Coups d’État et populismes latino-américains

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L’essor du populisme en Amérique latine, manifeste après la Première Guerre mondiale, trouve son origine dans une combinaison de dynamiques sociales et économiques complexes. La faiblesse des institutions démocratiques, impuissantes face aux exigences croissantes des citoyens, la pauvreté endémique et des inégalités flagrantes, ont formé un terreau fertile pour le germination des idées populistes. L’impact dévastateur de la Grande Dépression de 1929 a amplifié ces tensions préexistantes, plongeant la région dans une ère de violence politique et de troubles sociaux sans précédent.

En Colombie, l’épopée de Jorge Eliécer Gaitán incarne cette période tumultueuse. Porté par une vague de soutien populaire, Gaitán et son mouvement ont capturé l’imaginaire des déshérités, promettant justice et égalité. Son assassinat tragique en 1948 a engendré "La Violencia", une période de conflits internes sanglants et persistants.

Cuba n’était pas en reste. Les années 1930 ont été marquées par l’émergence de Fulgencio Batista, un autre leader charismatique prétendant défendre les intérêts des classes laborieuses. Cependant, la corruption et l’autoritarisme ont érodé la légitimité de son règne, préparant le terrain pour la révolution de Fidel Castro en 1959.

Au Brésil, l’arrivée au pouvoir de Getúlio Vargas en 1930 semblait présager un changement radical. Vargas, avec son discours centré sur le bien-être de la classe ouvrière et des populations marginalisées, a lancé des réformes progressives. Pourtant, la dérive autoritaire de son gouvernement a terni son héritage, culminant dans son renversement en 1945.

Ce travail se propose de disséquer les forces sous-jacentes qui ont favorisé l’émergence du populisme en Amérique latine, en s'appuyant sur un contexte politico-économique marqué par des bouleversements mondiaux. Il offre une analyse minutieuse des répercussions de la Grande Dépression sur la région, illustrée par des études de cas approfondies en Colombie, à Cuba, et au Brésil, révélant les nuances et les spécificités nationales qui ont caractérisé chaque expérience avec le populisme.

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Les années 1920 : Un tournant dans l'histoire de l'Amérique latine

Au cours des années 1920, l'Amérique latine s'est transformée sous l'effet de dynamiques économiques, politiques et sociales en pleine effervescence. Après la fin de la Première Guerre mondiale, la région a bénéficié d'une croissance économique remarquable, souvent qualifiée de « boom ». Cette période de prospérité, qui s'est étirée jusqu'à la fin de la décennie, était largement alimentée par la demande internationale croissante pour les produits sud-américains, stimulée par la reprise économique mondiale et l'expansion industrielle. L’augmentation substantielle de la demande pour les matières premières comme le caoutchouc, le cuivre, et le soja a propulsé les économies latino-américaines sur la voie de la croissance. Les marchés internationaux, en cours de reconstruction et d'expansion, ont absorbé ces produits à un rythme sans précédent. En conséquence, l’investissement étranger a afflué, les industries nationales se sont développées, et l'urbanisation a progressé à un rythme accéléré, modifiant le paysage social et économique de la région. Ce boom économique a également provoqué des changements sociopolitiques significatifs. L’émergence d’une classe moyenne plus robuste et l'accroissement de la population urbaine ont instigué un élan pour des réformes démocratiques et sociales. Les citoyens, désormais plus informés et engagés, ont commencé à exiger une plus grande participation politique et une répartition plus équitable des richesses nationales. Cependant, cette prospérité apparente cachait des vulnérabilités structurelles. La dépendance excessive à l'égard des marchés mondiaux et des matières premières a rendu l'Amérique latine particulièrement sensible aux fluctuations économiques internationales. La Grande Dépression de 1929 a brutalement révélé ces faiblesses, entraînant une contraction économique sévère, le chômage et l’instabilité sociale et politique.

La période dorée des années 1920 en Amérique latine, souvent évoquée sous l'appellation "la danse des millions", incarne une époque de prospérité sans précédent, marquée par une croissance économique galopante et un optimisme contagieux. La hausse exponentielle du produit national brut et l'engouement des investisseurs étrangers, principalement des États-Unis, ont transformé la région en un terrain fertile pour les opportunités d'affaires et l'innovation. Cette ère de prospérité était le produit d'un alignement fortuit de facteurs économiques globaux et régionaux. La reconstruction post-Première Guerre mondiale en Europe et ailleurs stimulait la demande pour les ressources naturelles et agricoles de l'Amérique latine. Les pays de la région, richement dotés en matières premières, ont vu leurs exportations s'envoler, entraînant avec elles une expansion économique et une prospérité nationales. "La danse des millions" n'était pas seulement un phénomène économique. Elle a imprégné la psyché sociale et culturelle de la région, insufflant un sentiment d’optimisme et d’euphorie. Les métropoles bourgeonnaient, les arts et la culture florissaient, et un sentiment palpable que l’Amérique latine était en passe de réaliser son potentiel inexploré se répandait. Cependant, cette danse effrénée était également teintée d'ambiguïté. La prospérité n'était pas uniformément répartie, et les inégalités sociales et économiques persistaient, voire s'aggravaient. L’afflux massif de capitaux étrangers a également suscité des préoccupations quant à la dépendance économique et l’ingérence étrangère. L'embellie était vulnérable, ancrée dans la volatilité des marchés mondiaux et la fluctuation des prix des matières premières.

La "danse des millions" est un épisode emblématique dans l'histoire économique de l'Amérique latine, illustrant une transformation marquée par l'afflux d'investissements étrangers et une diversification économique naissante. Alors que la région était traditionnellement ancrée dans une économie d'exportation dominée par les produits agricoles et miniers, les circonstances mondiales ont ouvert une fenêtre d'opportunité pour une réorientation significative. La Première Guerre mondiale avait contraint l'Europe à réduire ses exportations, créant un vide que les industries naissantes de l'Amérique latine se sont empressées de combler. Le continent, riche en ressources naturelles mais auparavant limité par la faible capacité industrielle, a entrepris un processus d'industrialisation accéléré. Les industries textiles, alimentaires et de construction ont bénéficié d'une croissance remarquable, signalant une transition vers une économie plus autosuffisante et diversifiée. Cet afflux d'investissements étrangers, conjugué à la croissance industrielle intérieure, a également entraîné une urbanisation rapide. Des villes se sont développées et élargies, et avec elles, une classe moyenne urbaine a émergé, modifiant le paysage social et politique de la région. Cette nouvelle dynamique a insufflé une vitalité et une diversité à l'économie, mais a également mis en lumière des défis structurels et des inégalités persistantes. Malgré l'euphorie économique, la dépendance continue à l'égard des exportations de matières premières a laissé la région vulnérable aux chocs externes. La prospérité reposait sur un équilibre précaire, et la "danse des millions" était à la fois une célébration de la croissance et une préfiguration des vulnérabilités économiques à venir.

La période post-Première Guerre mondiale a effectivement été caractérisée par l'ascension de l'impérialisme américain en Amérique latine. Alors que les puissances européennes, notamment la Grande-Bretagne, étaient occupées par la reconstruction après la guerre, les États-Unis ont saisi l'opportunité d'étendre leur emprise sur leur voisinage méridional. Cette ascendance n'était pas simplement le fruit du hasard mais résultait d'une stratégie délibérée. Le Doctrine Monroe, proclamée au début du XIXe siècle, trouvait une nouvelle pertinence dans ce contexte, avec son principe cardinal, « l'Amérique aux Américains », servant de base idéologique à l'expansion américaine. Les modalités de cette intrusion impérialiste étaient diverses. Politiquement, les États-Unis ont été impliqués dans l'ingénierie du changement de régime, installant des gouvernements qui étaient idéologiquement alignés et économiquement subordonnés à Washington. Des interventions militaires directes, des soutiens aux coups d’État, et d'autres formes d'ingérence politique étaient monnaie courante. Économiquement, les compagnies américaines ont proliféré dans la région. Leur influence n'était pas limitée à l'extraction des ressources naturelles et agricoles, mais s'étendait également à la domination des marchés locaux et régionaux. Le concept de "bananeraies", où des entreprises comme United Fruit Company exerçaient une influence considérable, est devenu emblématique de cette époque. Culturellement, l'Amérique latine a été exposée à une intense americanisation. Le style de vie, les valeurs, et les idéaux démocratiques américains ont été promus, souvent au détriment des traditions et des identités locales. L’hégémonie américaine en Amérique latine a eu des implications profondes. Elle a instauré un nouvel ordre régional et a redéfini les relations interaméricaines pour les décennies à venir. Bien que cette influence ait apporté modernisation et développement dans certains secteurs, elle a également engendré des résistances, des ressentiments et des instabilités politiques. La dualité de l'impact américain - en tant que catalyseur du développement et source de contention - continue d'habiter l'imaginaire politique et culturel de l'Amérique latine. Les héritages de cette époque sont encore palpables aujourd'hui, témoignant de la complexité et de l’ambiguïté de l’impérialisme américain dans la région.

Durant la "danse des millions", le tissu social de l'Amérique latine a été remodelé et redéfini par d’importants bouleversements économiques et politiques. La mutation n'était pas seulement visible dans les chiffres de la croissance économique ou les taux d'investissement étranger, mais aussi dans la vie quotidienne des citoyens ordinaires, dont les existences étaient transformées par les courants de changement qui traversaient le continent. La modification structurelle de l'économie a résonné profondément dans la société. L’agriculture, autrefois l’épine dorsale de l’économie, a été mécanisée, réduisant la nécessité d’une main-d'œuvre abondante et exacerbant le déclin de la petite paysannerie. Les grandes haciendas et les entreprises agricoles commerciales sont devenues des acteurs dominants, poussant de nombreux petits agriculteurs et métayers hors de leurs terres ancestrales. L'exode rural, un phénomène d'émigration massive de la campagne vers les villes, était un symptôme visible de ces transformations économiques. Des villes autrefois paisibles et gérables sont devenues des métropoles animées, et avec cette croissance démographique sont venus des défis complexes liés à l'emploi, au logement, et aux services publics. La pauvreté et les inégalités, déjà préoccupantes, ont été exacerbées, avec des bidonvilles et des quartiers défavorisés émergeant à la périphérie des centres urbains florissants. L’immigration européenne massive, en particulier en Argentine et au Brésil, a ajouté une autre couche de complexité à ce mélange social en ébullition. Elle a stimulé la croissance démographique et économique, mais a également intensifié la concurrence pour les emplois et les ressources, et a amplifié les tensions sociales et culturelles. Dans ce contexte de changement rapide et souvent déstabilisant, le terrain était fertile pour l'émergence d'idéologies populistes. Les leaders populistes, avec leur rhétorique axée sur la justice sociale, l'équité économique et la réforme politique, ont trouvé une résonance particulière parmi les masses désenchantées. Pour ceux qui étaient déplacés, marginalisés et désillusionnés par les promesses non tenues de la prospérité économique, le populisme offrait non seulement des réponses, mais aussi un sentiment d'appartenance et de dignité.

L'évolution rapide de la structure démographique en Amérique latine, résultant de l'industrialisation et de l'urbanisation accélérées, a incarné une transformation significative qui a redéfini la région à de nombreux égards. Le déplacement massif de la population des campagnes vers les centres urbains était non seulement une migration physique, mais aussi une transition culturelle, sociale, et économique. Dans des pays comme l'Argentine, le Pérou, et ceux d'Amérique centrale, la baisse rapide du pourcentage de la population vivant dans les zones rurales a mis en évidence l'ampleur du mouvement. Les villes sont devenues les principaux moteurs de croissance, attirant une multitude de migrants ruraux avec la promesse d'emplois et d'opportunités dans le sillage de l'expansion industrielle. Cependant, cette croissance rapide a également amplifié des problèmes existants et en a introduit de nouveaux. Les infrastructures urbaines, non préparées à une telle affluence, étaient souvent submergées. La pénurie de logements, l'insuffisance des services de santé et d'éducation, et le chômage croissant sont devenus des problèmes persistants. Les villes, symboles d'opportunité, étaient également le théâtre d’inégalités criantes et de pauvreté urbaine. Pour les élites traditionnelles, ce bouleversement démographique présentait un défi complexe. Les méthodes anciennes de gouvernance et de maintien de l'ordre social étaient insuffisantes face à une population urbaine en croissance rapide, diversifiée et souvent mécontente. De nouveaux mécanismes de gestion sociale, politique et économique étaient nécessaires pour naviguer dans cette réalité changeante. Ce basculement vers une société urbaine a également eu des implications profondes sur le plan politique. Les nouveaux arrivants urbains, dotés de préoccupations et d'exigences distinctes, ont modifié le paysage politique. Les partis et mouvements politiques qui pouvaient articuler et répondre à ces nouvelles demandes ont gagné en importance. C'est dans ce contexte que le populisme, avec son appel direct aux masses et sa promesse de réformes sociales et économiques, a gagné du terrain. L'héritage de cette transformation rapide est encore visible aujourd'hui. Les villes d'Amérique latine sont des centres vibrants de culture, d'économie et de politique, mais elles sont également confrontées à des défis persistants de pauvreté, d'inégalité et de gouvernance. La migration de la campagne à la ville, qui a été un élément déterminant de la "danse des millions", continue d'influencer la trajectoire de développement de l'Amérique latine, témoignant de la complexité et de la dynamique de cette région diverse et en évolution rapide.

La "danse des millions" n'a pas été seulement une métamorphose économique et démographique ; elle a également été marquée par une effervescence intellectuelle et idéologique. Le développement des réseaux de commerce et de communication a tissé des liens plus étroits non seulement entre les villes et les régions, mais aussi entre les pays et les continents. L’Amérique latine est devenue un creuset où les idées et les idéologies se sont croisées et mélangées, formant un terrain propice à l'innovation sociale et politique, mais aussi à la contestation. Le Mexique, en pleine effervescence révolutionnaire, est devenu un exportateur d'idées progressistes et nationalistes. En même temps, l’influence de l'Europe socialiste et fasciste, et de la Russie bolchévique, s'est infiltrée, introduisant des concepts et des méthodologies qui ont défié les paradigmes existants. Chaque courant de pensée a trouvé ses adeptes, ses critiques, et a contribué à la richesse du discours politique de la région. L’immigration, en particulier l’arrivée d’immigrants juifs fuyant les persécutions en Europe, a ajouté une autre dimension à cette mosaïque culturelle et intellectuelle. Ils ont apporté avec eux non seulement des compétences et des talents divers, mais aussi des perspectives idéologiques et culturelles distinctes, enrichissant le discours social et politique. Les élites traditionnelles se sont retrouvées dans une position précaire. Leur autorité, autrefois incontestée, était désormais mise à l’épreuve par une population de plus en plus diverse, éduquée et engagée. Les villes, centres d'innovation et de contestation, sont devenues des arènes où se déroulaient des débats houleux sur l’identité, la gouvernance, et la justice sociale. Dans ce contexte, le populisme a trouvé son moment et son lieu. Les leaders populistes, avec leur capacité à articuler les frustrations des masses et à présenter des visions audacieuses d'égalité et de justice, ont gagné en popularité. Ils ont su naviguer dans cette mer tumultueuse d'idées et d'idéologies, proposant des réponses concrètes aux défis pressants de la pauvreté, de l'inégalité, et de l’exclusion. La "danse des millions" se révèle ainsi comme une période de transformation multidimensionnelle. Elle a non seulement redéfini l'économie et la démographie de l’Amérique latine, mais elle a également inauguré une ère de pluralisme idéologique et de dynamisme politique qui continuerait à façonner la destinée de la région pour des générations. Dans ce contexte foisonnant, les tensions entre tradition et modernité, élites et masses, ainsi que entre différentes idéologies, ont forgé le caractère distinct et complexe de l’Amérique latine telle que nous la connaissons aujourd'hui.

La période caractérisée par la "danse des millions" a été un moment critique où les structures de pouvoir établies et les normes sociales en Amérique latine ont été profondément remises en question. La conjonction des forces de l'industrialisation rapide, de l'urbanisation et de l'afflux d'idéologies étrangères a mis à nu les fissures dans les fondations des régimes existants et a déclenché une réévaluation de l’ordre social et politique. L’élite traditionnelle et l’Église catholique, jadis des piliers incontestés de l’autorité et de l’influence, ont été confrontées à une série de défis sans précédent. Leur autorité morale et politique a été érodée non seulement par la diversification des idées et des croyances mais aussi par leur incapacité apparente à atténuer la pauvreté et les inégalités exacerbées par la transformation économique rapide. Les nouvelles idéologies, apportées par les vagues d'immigrants et facilitées par les réseaux de communication en expansion, ont contourné les gardiens traditionnels de l’information et de la connaissance. Les idées du socialisme, du fascisme et du bolchevisme, entre autres, ont trouvé un écho parmi des segments de la population qui se sentaient marginalisés et oubliés par le système existant. La croissance rapide des centres urbains a été un autre catalyseur de changement. Les villes sont devenues des creusets de diversité et d’innovation, mais aussi des épicentres de pauvreté et de désenchantement. Les nouveaux arrivants en ville, détachés des structures traditionnelles de la vie rurale et confrontés aux réalités crues de la vie urbaine, étaient réceptifs aux idées radicales et aux mouvements de réforme. C'est dans ce terreau fertile que les mouvements populistes ont germé et prospéré. Les leaders populistes, habiles à canaliser le mécontentement populaire et à articuler une vision d'équité et de justice, ont émergé comme des alternatives viables aux élites traditionnelles. Ils ont offert une réponse, bien que controversée, aux questions pressantes de l’époque: comment réconcilier le progrès économique avec la justice sociale? Comment intégrer les idées et les identités diverses dans une vision cohérente de la nation?

Cette migration massive de la campagne vers la ville a engendré un bouillonnement culturel et social dont les répercussions résonnent encore dans l’Amérique latine contemporaine. Les villes, autrefois des bastions de l'élite urbaine et des traditions coloniales, sont devenues des scènes vibrantes d'interaction et de fusion entre différentes classes, ethnies et cultures. Dans les villes bourgeonnantes, les bidonvilles et les quartiers populaires se sont multipliés, abritant une population diverse et dynamique. Si ces zones étaient marquées par la pauvreté et la précarité, elles étaient aussi des espaces d’innovation, où de nouvelles formes d'expression culturelle, artistique et musicale ont vu le jour. La musique, l'art, la littérature et même la cuisine ont été transformés par cette fusion de traditions et d’influences. Chaque ville est devenue un tableau vivant de la diversité de son pays. À Rio de Janeiro, à Buenos Aires, à Mexico, les sons, les saveurs et les couleurs des régions rurales ont imprégné la vie urbaine, créant des métropoles aux identités riches et complexes. Des traditions qui étaient autrefois isolées dans des villages et des communautés rurales éloignés se sont mélangées et ont évolué, donnant naissance à des formes culturelles uniques et distinctives. Sur le plan social, les migrants ruraux ont été confrontés à la réalité brutale de la vie urbaine. L'adaptation à un environnement urbain exigeait non seulement une réorientation économique et professionnelle, mais aussi une transformation des identités et des modes de vie. Les anciennes normes et valeurs ont été remises en question, et les nouveaux arrivants ont dû naviguer dans un paysage social en constante évolution. Cependant, ces défis étaient aussi des vecteurs de changement. Les communautés de migrants ont été des agents actifs de transformation sociale et culturelle. Ils ont introduit de nouvelles normes, de nouvelles valeurs et de nouvelles aspirations dans le discours urbain. La lutte pour la survie, la dignité et la reconnaissance a donné une nouvelle impulsion aux mouvements sociaux et politiques, renforçant la demande de droits, de justice et d'équité.

La confrontation entre l’ancien et le nouveau, le rural et l’urbain, et le traditionnel et le moderne a été au cœur de la transformation de l’Amérique latine durant la période de la "danse des millions". Les migrants ruraux, bien qu’ils aient été marginaux et souvent traités avec mépris par les résidents urbains établis, étaient en réalité des agents de changement, catalyseurs d’un renouveau social et culturel. La migration a effectivement facilité une intégration nationale plus profonde. En dépit de la discrimination et des difficultés, les migrants ont tissé leurs traditions, langues et cultures dans le tissu des métropoles. Cette mosaïque culturelle, contrastée et vibrante, a permis une interaction et un échange qui ont progressivement dissous les barrières régionales et sociales, jetant les bases d'une identité nationale plus cohérente et intégrée. L’urbanisation a également impulsé une révolution éducative. L’analphabétisme, autrefois répandu, a commencé à reculer face à l’impératif d’une population urbaine éduquée et informée. L'éducation n’était plus un luxe, mais une nécessité, et l’accès à l’éducation a ouvert des portes à des opportunités économiques et sociales, tout en favorisant une citoyenneté active et éclairée. L’avènement de la radio et du cinéma a marqué une autre étape importante dans cette transformation. Ces médias ont non seulement offert du divertissement, mais ont aussi servi de canaux pour la diffusion d’informations et d’idées. Ils ont capturé l’imagination des masses, établissant une communauté d'audience qui transcende les frontières géographiques et sociales. La culture populaire, autrefois segmentée et régionale, est devenue nationale et même internationale. Ces développements ont érodé les divisions traditionnelles et ont encouragé une identité collective et une conscience nationale. Les défis étaient certes nombreux, mais avec eux venaient des opportunités inédites d’expression, de représentation et de participation. L’Amérique latine était en mouvement, non seulement physiquement, avec la migration des populations, mais aussi socialement et culturellement. Les années marquées par la "danse des millions" se sont révélées être une époque de contradictions. Elles ont été marquées par des inégalités et des discriminations profondes, mais aussi par une effervescence créative et une dynamique sociale qui ont jeté les bases des sociétés latino-américaines modernes. Dans cette époque tumultueuse, les fondations d’un nouveau chapitre de l’histoire régionale ont été établies, un chapitre où l’identité, la culture et la nation seraient constamment négociées, contestées et réinventées.

L'émergence d'une nouvelle classe moyenne au cours des années 1910 et 1920 a été un phénomène transformationnel qui a bouleversé les dynamiques sociales et politiques traditionnelles en Amérique latine. Cette nouvelle classe sociale, plus éduquée et économiquement diversifiée, a constitué une force intermédiaire entre les élites traditionnelles et les classes laborieuses et rurales. Caractérisée par une indépendance économique relative et un accès accru à l'éducation, cette classe moyenne était moins encline à se soumettre à l'autorité des élites traditionnelles et du capital étranger. Elle était moteur d’aspirations démocratiques, favorisant la transparence, l’équité et la participation dans la gouvernance et la vie publique. La montée de cette classe moyenne a été stimulée par l'expansion économique, l'urbanisation et l'industrialisation. Les opportunités d'emploi dans le secteur public, l’éducation, et les petites entreprises ont proliféré. Avec cette croissance économique et sociale, un sentiment renforcé d'identité et d'autonomie a pris racine. Ces individus étaient les porteurs de nouvelles idéologies et perspectives. Ils cherchaient une représentation politique, l’accès à l’éducation et la justice sociale. Étant souvent éduqués, ils étaient également des consommateurs et des diffuseurs d'idées et de cultures, faisant le lien entre les influences locales et internationales. L'impact de cette classe moyenne sur la politique a été significatif. Elle a été un catalyseur pour la démocratisation, l'expression pluraliste et le débat public. Elle a soutenu et souvent dirigé des mouvements de réforme qui cherchaient à rééquilibrer le pouvoir, à réduire la corruption et à garantir que les ressources et les opportunités soient plus équitablement réparties. Culturellement, cette nouvelle classe moyenne a été au cœur de l'émergence d’une culture nationale distincte. Ils étaient les créateurs et les consommateurs d'une littérature, d'un art, d'une musique et d'un cinéma qui reflétaient les réalités, les défis et les aspirations spécifiques de leurs nations respectives.

L'afflux de ces jeunes étudiants universitaires a insufflé une vigueur renouvelée et une intensité à l'atmosphère académique et culturelle des pays d'Amérique latine. Ces étudiants, armés de curiosité, d’ambition et d’une conscience accrue de leur rôle dans une société en rapide mutation, étaient souvent à la pointe de l'innovation intellectuelle et du changement social. L’université est devenue un terrain fertile pour l’échange d’idées, le débat et la contestation. Les salles de classe et les campus étaient des espaces où les idées traditionnelles étaient remises en question et où les paradigmes émergents étaient explorés et façonnés. Les questions relatives à la gouvernance, aux droits civils, à l’identité nationale et à la justice sociale étaient fréquemment discutées et débattues avec une passion et une intensité renouvelées. Les étudiants de l'époque n'étaient pas des spectateurs passifs; ils étaient activement engagés dans la politique et la société. Beaucoup étaient influencés par des idéologies variées, y compris le socialisme, le marxisme, le nationalisme et d'autres courants de pensée qui circulaient avec vigueur dans un monde post-Première Guerre mondiale. Les universités sont devenues des centres d'activisme, où la théorie et la pratique se rencontraient et s'entremêlaient. Le contexte économique a également joué un rôle crucial dans cette transformation. Avec l’essor de la classe moyenne, l’éducation supérieure n'était plus l'apanage exclusif de l’élite. Un nombre croissant de familles de la classe moyenne aspiraient à offrir à leurs enfants des opportunités d'éducation qui ouvriraient la voie à une vie meilleure, marquée par une sécurité économique et une mobilité sociale. Cette diversification de la population étudiante a également entraîné une diversification des perspectives et des aspirations. Les étudiants étaient animés par un désir de participer activement à la construction de leurs nations, de définir leur identité et de façonner leur avenir. Ils étaient conscients de leur potentiel en tant qu'agents de changement et étaient déterminés à jouer un rôle dans la transformation de leurs sociétés.

L'année 1918 a marqué un tournant significatif dans l’implication politique des étudiants en Amérique latine. Inspirés et galvanisés par un mélange de dynamiques locales et internationales, ils sont devenus des acteurs politiques actifs, s’exprimant avec audace sur des questions cruciales touchant leurs nations. Cette montée de l’activisme étudiant ne se limitait pas à la politique conventionnelle, mais embrassait également des enjeux tels que l’éducation, la justice sociale, et les droits civiques. L’autonomie universitaire était au cœur de leurs revendications. Ils aspiraient à des institutions d'enseignement supérieur libérées des influences politiques et idéologiques extérieures, où la libre pensée, l'innovation et le débat critique pouvaient prospérer. Pour eux, l’université devait être un sanctuaire d'apprentissage et d’exploration intellectuelle, un lieu où les jeunes esprits pouvaient se former, s’interroger et innover sans contrainte. Les idéologies variées ont nourri l'énergie et la passion de ces jeunes acteurs. La révolution mexicaine, avec son appel vibrant à la justice, à l’égalité et à la réforme, a résonné profondément. L’indigénisme, avec son focus sur les droits et la dignité des populations indigènes, a ajouté une autre couche de complexité et d’urgence à leur cause. Le socialisme et l’anarchisme ont offert des visions alternatives d’ordre social et économique. Ces étudiants ne se voyaient pas simplement comme des bénéficiaires passifs de l'éducation. Ils se percevaient comme des partenaires actifs, des catalyseurs de changement, des bâtisseurs d’un futur plus juste et équitable. Ils étaient persuadés que l'éducation devait être un outil d'émancipation, non seulement pour eux mais pour l’ensemble de la société, en particulier pour les classes ouvrières et les marginalisés. Leurs actions et leurs voix ont porté au-delà des murs des universités. Ils ont engagé un dialogue plus large avec la société, stimulant des débats publics et influençant des politiques. Leurs revendications et leurs actions ont révélé une soif de réforme profonde, un désir de démanteler les structures oppressives et d'édifier des nations fondées sur l'équité, la justice et l’inclusion.

Le début du XXe siècle en Amérique latine a été marqué par un foisonnement de mouvements sociaux, et notamment le renforcement du mouvement ouvrier. Dans le sillage de l'industrialisation rapide et des changements sociaux, les travailleurs des industries naissantes se sont retrouvés dans des conditions de travail souvent précaires, stimulant un besoin urgent de solidarité et de mobilisation pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Les années 1920 ont vu une augmentation notable de l'organisation syndicale. Encouragés par les idées socialistes, anarchistes et communistes, et souvent guidés par des immigrants européens qui étaient eux-mêmes influencés par les mouvements ouvriers en Europe, les travailleurs latino-américains ont commencé à voir la valeur et la puissance de l'action collective. Ils ont reconnu que leurs droits et leurs intérêts pouvaient être protégés et promus efficacement par le biais d'organisations unifiées et structurées. Les secteurs tels que l'exploitation minière, la fabrication, le pétrole, et d'autres industries lourdes sont devenus des bastions du mouvement ouvrier. Confrontés à des conditions de travail difficiles, des heures de travail longues, des salaires insuffisants, et peu ou pas de protections sociales, les travailleurs de ces secteurs ont été particulièrement réceptifs aux appels à l'union et à la mobilisation. Les grèves, les manifestations, et d'autres formes d'action directe sont devenues des moyens courants par lesquels les travailleurs exprimaient leurs revendications et contestaient l'exploitation et l'injustice. Les syndicats ont été des plateformes cruciales, non seulement pour la négociation collective et la défense des droits des travailleurs, mais aussi comme des espaces de solidarité, d'éducation politique, et de construction de l'identité de classe. Ce mouvement n'était pas isolé; il était intrinsèquement lié à des mouvements politiques plus larges au sein des pays latino-américains et au-delà. Les idéologies de gauche ont contribué à façonner le discours et les revendications des travailleurs, insufflant une dimension politique profonde à leurs luttes. Ces dynamiques ont contribué à une transformation sociopolitique profonde en Amérique latine. Les travailleurs, autrefois marginalisés et impuissants, sont devenus des acteurs politiques importants. Leurs luttes ont contribué à l'émergence de politiques plus inclusives, à l'élargissement de la citoyenneté, et à la progression des droits sociaux et économiques.

Durant cette période tumultueuse, l'armée est devenue non seulement une institution de défense et de sécurité, mais aussi un acteur politique crucial en Amérique latine. Les forces militaires ont émergé comme des agents de changement dynamiques, souvent en réaction à des gouvernements perçus comme incapables de répondre aux exigences sociales et économiques croissantes des populations diversifiées. Les coups d'État militaires se sont multipliés, menés fréquemment par des officiers ambitieux inspirés par un désir de réforme et une aspiration à instaurer l'ordre et la stabilité. Ces interventions étaient parfois accueillies favorablement par des segments de la population frustrés par la corruption, l'incompétence et l'inefficacité des dirigeants civils. Cependant, elles ont aussi introduit de nouvelles dynamiques de pouvoir et d’autoritarisme, avec des implications complexes pour la gouvernance, les droits humains, et le développement. Au cœur de cette émergence militaire, il y avait une tension inhérente. Les militaires étaient souvent perçus comme des agents de modernisation et de progrès, apportant une direction déterminée et des réformes nécessaires. En même temps, leur ascension impliquait une centralisation du pouvoir et une répression potentielle des libertés civiles et politiques. Dans des pays comme le Mexique et le Brésil, l'influence de l'armée était palpable. Des figures comme Getúlio Vargas au Brésil ont incarné la complexité de cette ère. Ils ont introduit des réformes économiques et sociales significatives et ont capitalisé sur le mécontentement populaire, mais ils ont également régné à travers des méthodes autoritaires. L'incursion de l'armée dans la politique était interconnectée avec des dynamiques économiques et sociales plus larges. La Grande Dépression de 1929 a exacerbé les tensions existantes, mettant à l’épreuve les économies et les sociétés. Les idéologies populistes ont gagné du terrain, offrant des réponses simples et séduisantes à des problèmes complexes et structurels.

Ce détachement de l'armée des influences et du contrôle des institutions traditionnelles en Amérique latine peut être attribué à plusieurs facteurs clés. D'une part, la complexité croissante des problèmes socio-économiques et politiques requérait une approche plus robuste et souvent autoritaire pour maintenir l'ordre et la stabilité. D'autre part, le désir d'une modernisation rapide et d'une réforme structurelle a poussé l'armée à se positionner comme un acteur politique autonome et puissant. L'érosion de l'influence des partis politiques traditionnels et de l'Église catholique a été exacerbée par leurs difficultés à répondre aux besoins et aux aspirations changeantes d'une population en croissance et de plus en plus urbanisée. Le discrédit des élites et des institutions traditionnelles a laissé un vide que l'armée était prête à remplir, se présentant comme un bastion de l'ordre, de la discipline et de l'efficacité. Les coups d'État et les interventions militaires sont devenus des instruments courants pour réajuster le cours politique des nations. La justification de ces interventions reposait souvent sur le prétexte de la corruption endémique, de l'incompétence des civils au pouvoir et de la nécessité d'une main ferme pour guider le pays vers la modernisation et le progrès. La doctrine de la sécurité nationale, qui mettait l'accent sur la stabilité intérieure et la lutte contre le communisme et d'autres « menaces internes », a également joué un rôle central dans la politisation de l'armée. Cette doctrine, souvent alimentée et soutenue par des influences externes, notamment des États-Unis, a conduit à une série de régimes autoritaires et de dictatures militaires dans la région. Cependant, cette émergence de l'armée en tant que force politique prépondérante n'était pas sans conséquences. Bien que souvent initialement accueillis pour leur promesse de réforme et d'ordre, de nombreux régimes militaires ont été marqués par la répression, les violations des droits humains et l'autoritarisme. La promesse de la stabilité et du progrès était souvent mise en balance avec une diminution des libertés civiles et politiques.

L'émergence de l'armée comme une nouvelle force politique en Amérique latine était symbiotique avec l'ascension de la classe moyenne. Les officiers militaires, souvent issus de milieux modestes, voient leur ascension sociale et politique parallèle à l'expansion et à l'affirmation de la classe moyenne dans le contexte national. Le rôle élargi de l'armée ne se limitait pas à la gouvernance et à la politique; il s'étendait également au développement économique. Les officiers percevaient l'institution militaire comme un mécanisme efficace et discipliné pour impulser une modernisation économique rapide, combattre la corruption endémique et instaurer une gouvernance efficace, caractéristiques souvent perçues comme manquantes dans les administrations civiles précédentes. La vision de l'armée transcendait la simple maintenance de l'ordre et de la sécurité. Elle englobait une ambition de transformer la nation, de catalyser l'industrialisation, de moderniser l'infrastructure et de promouvoir un développement économique équilibré. Cette perspective était souvent ancrée dans une idéologie nationaliste, visant à réduire la dépendance vis-à-vis des puissances étrangères et à affirmer la souveraineté et l'autonomie nationales. Dans cette configuration, l'armée se positionnait comme une institution capable de transcender les divisions partisanes, les intérêts sectoriels et les rivalités régionales. Elle promettait une unité, une direction claire et un engagement envers le bien commun, qualités considérées comme essentielles pour naviguer dans les eaux tumultueuses de l'économie et de la politique des années 20 et au-delà. Toutefois, cette nouvelle dynamique a aussi soulevé des questions critiques sur la nature de la démocratie, la séparation des pouvoirs et les droits civiques en Amérique latine. La prédominance de l'armée dans la politique et l'économie a instauré un contexte où l'autoritarisme et le militarisme pouvaient prospérer, souvent au détriment des libertés politiques et civiles.

L'implication accrue de l'armée dans la politique latino-américaine n'était pas une dynamique isolée; elle faisait partie d'une transformation sociopolitique plus vaste qui remettait en question les structures de pouvoir traditionnelles et ouvrait des espaces pour une participation plus large. Bien que l'intervention militaire ait souvent été associée à l'autoritarisme, elle coïncidait paradoxalement avec l'élargissement de la sphère politique dans certaines régions et contextes. L'une des manifestations les plus notables de cette ouverture a été l'inclusion progressive de groupes jusqu'alors marginalisés. La classe ouvrière, qui avait longtemps été exclue des décisions politiques, a commencé à trouver sa voix. Les syndicats et les mouvements ouvriers ont joué un rôle crucial dans cette évolution, se battant pour les droits des travailleurs, l'équité économique et la justice sociale. Parallèlement, les femmes ont également commencé à revendiquer leur place dans la sphère publique. Des mouvements féministes et des groupes de défense des droits des femmes ont émergé, défiant les normes de genre traditionnelles et luttant pour l'égalité des sexes, le droit de vote et une représentation équitable dans toutes les sphères de la vie sociale, économique et politique. Ces changements ont été influencés par une multitude de facteurs. Les idées démocratiques et égalitaires circulaient de plus en plus librement, portées par la modernisation, l'éducation et les communications globales. Les mouvements sociaux et politiques internationaux ont également joué un rôle, avec des idées et des idéaux transcendant les frontières nationales et influençant les discours locaux. Cette expansion de la démocratie et de la participation n'était cependant pas uniforme. Elle était souvent en tension avec les forces autoritaires et conservatrices et était tributaire des dynamiques spécifiques de chaque pays. Les conquêtes étaient contestées et fragiles, et la trajectoire de la démocratisation était loin d'être linéaire.

L'incorporation des technologies émergentes, telles que le cinéma et la radio, dans le domaine politique d'Amérique latine a coïncidé avec une montée des idéologies d'extrême droite dans la région. Cette coalescence a créé une dynamique où les messages politiques, notamment ceux alignés sur des visions conservatrices et autoritaires, pouvaient être amplifiés et diffusés de manière inédite. L'extrême droite a gagné en influence, alimentée par des craintes de l'instabilité sociale, des tensions économiques et une aversion pour les idéologies de gauche perçues comme une menace pour l'ordre social et économique existant. Les leaders politiques et militaires de cette mouvance ont exploité les nouvelles technologies médiatiques pour propager leurs idéologies, atteindre et mobiliser des bases de soutien, et influencer l'opinion publique. La radio et le cinéma sont devenus des outils puissants pour façonner la conscience politique et sociale. Les messages pouvaient être conçus et diffusés de manière à susciter l'émotion, renforcer les identités collectives et articuler des visions du monde spécifiques. Les personnalités charismatiques ont utilisé ces médias pour construire leur image, communiquer directement avec les masses et façonner le discours public. Cependant, cette expansion de l'influence médiatique a aussi soulevé des questions critiques sur la propagande, la manipulation et la concentration du pouvoir médiatique. L'extrême droite, en particulier, a souvent été associée à des tactiques de manipulation de l'information, de contrôle des médias et de suppression des voix dissidentes. L'impact de ces dynamiques sur la démocratie et la société civile en Amérique latine était considérable. D'une part, l'accessibilité accrue à l'information et la capacité de mobilisation renforcée par la radio et le cinéma ont joué un rôle dans la démocratisation de l'espace public. D'autre part, l'utilisation stratégique de ces technologies par des forces d'extrême droite a contribué à l'ancrage et à la propagation d'idéologies autoritaires. Dans ce contexte complexe, le paysage politique et médiatique de l'Amérique latine est devenu un terrain contesté. Les luttes pour le contrôle de l'information, la définition de la vérité et la formation de l'opinion publique ont été intrinsèquement liées aux enjeux de pouvoir, d'autorité et de démocratie dans la région. Les résonances de cette ère de communication émergente et de polarisation idéologique continuent d'influencer les dynamiques politiques et sociales de l'Amérique latine à ce jour.

Les populismes latino-américains

Le populisme latino-américain des années 1920 aux années 1950 était un phénomène complexe, unissant des masses diverses autour de figures charismatiques qui promettaient un changement radical et la satisfaction des besoins du peuple. Ces mouvements populaires ont puisé dans le mécontentement généralisé résultant des inégalités socio-économiques croissantes, de l'injustice et de la marginalisation de vastes segments de la population. Les leaders populistes, tels que Getúlio Vargas au Brésil, Juan Perón en Argentine et Lázaro Cárdenas au Mexique, ont capitalisé sur ces frustrations. Ils ont créé des connexions directes avec leurs bases, souvent en contournant les institutions traditionnelles et les élites, et ont instauré un style de gouvernance centré sur le leader. Leur rhétorique était imprégnée de thèmes de justice sociale, de nationalisme et de redistribution économique. Les années 1930 aux années 1950 ont été particulièrement turbulentes. Les mouvements populistes ont été confrontés à une opposition féroce des forces conservatrices et des militaires. Les coups d'État étaient monnaie courante, une indication de la tension existante entre les forces populaires et les éléments traditionnels et autoritaires de la société. Cependant, le populisme a laissé un héritage indélébile. Premierement, il a élargi la participation politique. Des segments de la population qui étaient auparavant exclus du processus politique ont été mobilisés et intégrés dans la politique nationale. Deuxièmement, il a ancré les thèmes de justice sociale et économique dans le discours politique. Bien que les méthodes et les politiques des leaders populistes aient été contestées, elles ont mis en lumière des questions d'équité, d'inclusion et de droits qui continueraient à résonner dans la politique latino-américaine. Troisièmement, il a contribué à forger une identité politique autour du nationalisme et de la souveraineté. En réponse à l’influence étrangère et aux déséquilibres économiques, les populistes ont cultivé une vision du développement et de la dignité nationaux. Néanmoins, le populisme latino-américain de cette époque était également associé à des défis considérables. Le culte du leader et la centralisation du pouvoir ont souvent limité le développement d’institutions démocratiques robustes. De plus, bien que portant des messages d’inclusion, ces mouvements ont parfois engendré des polarisations et des conflits profonds au sein des sociétés. Le populisme continue d’être un élément clé de la politique latino-américaine. Ses formes, ses acteurs et ses discours ont évolué, mais les thèmes fondamentaux de la justice, de l'inclusion et du nationalisme qu'il a introduits continuent d'influencer le paysage politique, et résonnent encore dans les débats et les conflits contemporains de la région.

Juan Domingo Perón est effectivement l'une des figures emblématiques du populisme latino-américain, bien qu'il n'ait pas été son initiateur. Lorsque Perón est monté au pouvoir en Argentine dans les années 1940, le populisme était déjà une force politique majeure en Amérique latine, caractérisé par des figures charismatiques, une orientation vers la justice sociale et économique et une base de soutien massif parmi les classes populaires. Perón a capitalisé sur ce mouvement existant et l’a adapté au contexte particulier de l’Argentine. Son ascension au pouvoir peut être attribuée à une combinaison de facteurs, notamment son rôle dans le gouvernement militaire existant, son charisme personnel et sa capacité à mobiliser un large éventail de groupes sociaux autour de son programme politique. La doctrine péroniste, ou «justicialisme», combinait des éléments de socialisme, de nationalisme et de capitalisme pour créer une «troisième voie» unique et distincte. Perón a promu le bien-être des travailleurs et a introduit des réformes sociales et économiques substantielles. Ses politiques visaient à équilibrer les droits des travailleurs, la justice sociale et la productivité économique. La première dame, Eva Perón, ou "Evita", a également joué un rôle central dans le populisme péroniste. Elle était une figure adorée qui a consolidé le soutien des classes populaires pour le régime péroniste. Evita était connue pour son dévouement aux pauvres et son rôle dans la promotion des droits des femmes, y compris le droit de vote des femmes en Argentine. Ainsi, bien que Perón ait surfé sur une vague de populisme déjà existante en Amérique latine, il a laissé sa propre empreinte indélébile. Le péronisme a continué à façonner la politique argentine pendant des décennies, reflétant les tensions persistantes entre les forces populistes et élites, l'inclusion sociale et la stabilité économique, et le nationalisme et l'internationalisme dans la région. Le leg de Perón démontre la complexité du populisme en Amérique latine. C'est un phénomène enraciné dans des contextes historiques, sociaux et économiques spécifiques, capable de s'adapter et de se transformer en réponse aux dynamiques changeantes de la politique et de la société régionale.

Le populisme qui a émergé en Amérique latine pendant les années 1920 et 1930 était une tentative de rassembler la classe ouvrière sous une bannière politique tout en préservant les structures sociales et politiques existantes. C'était un mouvement qui se voulait un pont entre les différentes classes sociales, offrant une voix aux travailleurs, aux migrants ruraux, et à la petite bourgeoisie tout en évitant une transformation radicale de l'ordre social. L'État jouait un rôle central en tant que médiateur dans ce type de populisme. Il servait d'intermédiaire pour harmoniser les intérêts souvent contradictoires des différents groupes sociaux. Les gouvernements populistes étaient reconnus pour leur capacité à instaurer des programmes sociaux et économiques répondant aux préoccupations immédiates des masses. Ils cherchaient ainsi à construire et à renforcer leur légitimité et à obtenir le soutien populaire. Le leadership charismatique était un autre trait distinctif du populisme de cette époque. Les dirigeants populistes, souvent dotés d'un charme personnel remarquable, établissaient une connexion directe avec les masses. Ils avaient tendance à contourner les canaux politiques traditionnels, se présentant comme les véritables représentants du peuple, et étaient souvent perçus comme tels par leurs partisans. Cependant, malgré ces avancées en termes de mobilisation populaire et d'engagement politique, le populisme de cette période n’a pas cherché à renverser fondamentalement l'ordre social existant. Les structures de pouvoir, bien que contestées et modifiées, sont largement restées en place. Les leaders populistes ont opéré des changements significatifs, mais ils ont également fait preuve de prudence pour éviter des ruptures radicales susceptibles de provoquer une instabilité majeure. L'évolution du populisme en Amérique latine était le produit des tensions entre les impératifs de l'inclusion sociale et les réalités d'un ordre social et politique ancré. Chaque pays de la région, tout en partageant des traits communs du populisme, a manifesté ce phénomène d'une manière qui reflétait ses défis, ses contradictions et ses opportunités spécifiques.

Les dynamiques urbaines en Amérique latine, marquées par une croissance rapide des populations urbaines et une mobilisation accrue des classes ouvrières et moyennes, ont été perçues comme une menace pour l'ordre social traditionnel. Les nouveaux groupes urbains, dotés de préoccupations et d’aspirations distinctes, avaient le potentiel de se radicaliser, remettant en question l'hégémonie des élites et posant des défis significatifs à l'ordre établi. Dans ce contexte, le populisme s'est érigé comme une stratégie pour atténuer ces menaces tout en permettant une certaine mobilité et intégration sociales. Plutôt que d'opter pour la lutte des classes, une approche qui aurait pu conduire à une rupture sociale et politique majeure, les leaders populistes ont adopté une rhétorique de l'unité et de la solidarité nationales. Ils ont prôné un État corporatiste, où chaque secteur de la société, chaque "corporation", avait un rôle déterminé à jouer dans le cadre d'une harmonie sociale orchestrée. Dans ce modèle, l’État assumait un rôle central et paternaliste, guidant et gérant la "famille nationale" à travers une gouvernance hiérarchique. Les coalitions de patronage vertical étaient essentielles pour garantir la loyauté et la coopération des différents groupes, assurant ainsi que l'ordre social restait en équilibre, même s’il était dynamique. Ce populisme, tout en répondant à certaines aspirations des masses urbaines, avait donc pour objectif ultime de contenir et de canaliser leurs énergies au sein d’un ordre social ajusté mais préservé. Le changement était nécessaire, mais il devait être soigneusement géré pour éviter la révolution sociale. Cette démarche a contribué à la stabilité politique, mais elle a également limité le potentiel de transformation sociale radicale et la remise en cause profonde des inégalités structurelles. C’était une danse délicate entre l’inclusion et le contrôle, la réforme et la conservation, caractéristique du paysage politique de l’Amérique latine de cette époque.

Rafael Molina Trujillo.

Le populisme en Amérique latine s’est souvent incarné dans la figure d’un leader charismatique qui se distinguait par sa capacité à établir un lien émotionnel profond et puissant avec les masses. Ces leaders étaient plus que des politiciens ; ils étaient des symboles vivants des aspirations et des désirs de leur peuple. Leur charisme ne résidait pas seulement dans leur éloquence ou leur présence, mais dans leur capacité à résonner avec les vécus quotidiens et les défis des classes populaires. La masculinité et la force étaient des traits saillants de ces figures populistes. Ils incarnaient une forme de machisme, une vigueur et une détermination qui étaient non seulement attrayantes mais aussi rassurantes pour un public en quête de direction et de stabilité dans des temps souvent tumultueux. L’autoritarisme n’était pas perçu négativement dans ce contexte, mais plutôt comme un signe de détermination et de capacité à prendre des décisions difficiles pour le bien du peuple. Ces leaders charismatiques étaient adroitement positionnés, ou se positionnaient eux-mêmes, comme l'incarnation de la volonté populaire. Ils se présentaient comme des figures quasi-messianiques, des champions des désavantagés et des voix des sans-voix. Ils dépassaient la politique traditionnelle et transcendaient les clivages institutionnels pour parler directement au peuple, créant ainsi un rapport direct, presque intime. Dans cet environnement, le lien émotionnel tissé entre le leader et les masses était capital. Cela ne reposait pas sur des programmes politiques détaillés ou des idéologies rigides, mais sur une alchimie émotionnelle et symbolique. Le leader était perçu comme l’un des leurs, une personne qui comprenait profondément leurs besoins, leurs souffrances et leurs espoirs.

En Amérique latine, la figure du leader populiste se déployait dans un mélange complexe de bienveillance et d’autoritarisme, une dualité qui définissait son approche de la gouvernance et sa relation avec le peuple. Perçu comme un père protecteur, le leader populiste incarnait une figure paternaliste, gagnant la confiance et l’affection des masses par son apparente compréhension de leurs besoins et aspirations, et par sa promesse de protection et de tutelle. Toutefois, cette bienveillance coexistait avec un autoritarisme manifeste. L’opposition et la dissidence étaient souvent peu tolérées. Le leader, se percevant et étant perçu comme l’incarnation de la volonté populaire, considérait toute opposition non pas comme un contrepoint démocratique, mais comme une trahison de la volonté du peuple. Ce type de leadership oscillait ainsi entre la tendresse et la fermeté, entre l’inclusion et la répression. L’utilisation des médias de masse était stratégique dans la consolidation du pouvoir de ces leaders populistes. Les radios, les journaux, et plus tard, la télévision, sont devenus des outils puissants pour façonner l’image du leader, construire et renforcer sa marque personnelle, et solidifier son emprise émotionnelle sur le public. Ils étaient des maîtres dans l’art de la communication, utilisant les médias pour parler directement au peuple, contourner les intermédiaires, et instiller un sentiment de connexion personnelle. Sur le plan idéologique, le populisme latino-américain n’était souvent pas caractérisé par une complexité ou une profondeur doctrinale. Au lieu de cela, il reposait sur des thèmes larges et mobilisateurs tels que le nationalisme, le développement, et la justice sociale. La précision idéologique était sacrifiée au profit d’une narration mobilisatrice, avec le leader lui-même se tenant au centre, comme le champion indomptable de ces causes. Ce cocktail de charisme personnel, de narration médiatique et d’approches autoritaires mais bienveillantes, a défini l’essence du populisme en Amérique latine. Le leader était le mouvement, et le mouvement était le leader. C'était moins une question de politique et d'idéologie qu’une danse délicate d’émotions et de symboles, où le pouvoir et la popularité étaient façonnés dans l'étreinte intime entre le leader charismatique et un peuple en quête d'identité, de sécurité et de reconnaissance.

L'interventionnisme étatique est un trait caractéristique du populisme en Amérique latine, une manifestation concrète de l'engagement du leader populiste à répondre directement aux besoins des masses et à façonné un ordre social et économique aligné sur les aspirations populaires. L’État, sous la direction charismatique du leader, ne se contente pas de réguler ; il intervient, il s’engage, il transforme. Les programmes sociaux, les initiatives économiques et les projets d’infrastructure deviennent des outils pour traduire le charisme personnel en actions concrètes et palpables. Cependant, les défis sociaux et économiques internes, souvent complexes et enracinés, requièrent des solutions nuancées et à long terme. Pour le leader populiste, il devient donc tentant, et parfois nécessaire, de détourner l'attention des défis internes vers des enjeux extérieurs, notamment en identifiant des ennemis étrangers communs. Le nationalisme se mêle alors à une certaine xénophobie, le récit populiste se nourrissant de la démarcation claire entre « nous » et « eux ». Que ce soit l'impérialisme américain souvent dénoncé pour son influence néfaste, ou les communautés d'immigrants diverses, ciblées pour leur différence apparente, le récit populiste en Amérique latine canalise l'insatisfaction et les frustrations populaires vers des cibles extérieures. Dans un tel contexte, l’unité nationale est renforcée, mais souvent au prix de la marginalisation et de la stigmatisation des « autres », ceux qui sont perçus comme extérieurs à la communauté nationale. Cette stratégie, bien que réussie dans la mobilisation des masses et la consolidation du pouvoir du leader, peut masquer et parfois exacerber les tensions et les défis sous-jacents. Les conflits sociaux internes, les inégalités économiques et les divergences politiques demeurent, souvent en sourdine, mais toujours présents. Le populisme latino-américain, avec sa flamboyance et son charisme, est ainsi une danse délicate entre l’affirmation de l’identité nationale et la gestion des tensions internes, entre la promesse d’un avenir prospère et la réalité des défis profondément enracinés qui jalonnent le chemin vers la réalisation de cette promesse. C’est un récit d’espoir et de défi, de solidarité et de division, révélateur de la complexité et de la richesse de l’expérience politique et sociale de la région.

Le règne autoritaire de Rafael Trujillo en République dominicaine, qui a duré 31 ans de 1930 à 1961, illustre un cas extrême de populisme en Amérique latine. Trujillo, un officier formé par les Marines américains, a été une figure dominante, incarnant une version intense de l’autoritarisme mélangé à un charisme populiste. En 1937, Trujillo a commandité l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire de l'Amérique latine : le massacre de 15 000 à 20 000 Haïtiens. Cette atrocité a dévoilé une brutalité incommensurable et une xénophobie exacerbée qui définissaient son régime. Malgré ce crime contre l’humanité, Trujillo a réussi à maintenir une base de soutien significative parmi certains secteurs de la population dominicaine. L’utilisation stratégique des médias de masse, combinée à un culte de la personnalité soigneusement orchestré, a transformé le despote en un leader perçu comme fort et protecteur. Le dirigeant a su maîtriser l’art de la communication et, grâce à cela, a réussi à façonner une réalité alternative où il était vu comme le protecteur indomptable de la nation dominicaine contre les menaces extérieures, malgré un bilan macabre. L’histoire de Trujillo met en lumière les nuances complexes et souvent contradictoires du populisme en Amérique latine. Un homme qui a régné pendant plus de trois décennies, dont le pouvoir était alimenté par un mélange toxique d’autoritarisme et de charme populiste, et dont l’héritage est marqué par une atrocité qui a coûté la vie à des milliers de personnes, tout en restant une figure populiste influente grâce à une stratégie médiatique efficace.

L'impact de la Grande Dépression sur l'Amérique latine

Conséquences économiques

La Grande Dépression qui a débuté en 1929 a envoyé des ondes de choc à travers le globe, et l'Amérique latine n'a pas été épargnée. Les nations de cette région, en particulier celles ancrées dans l'économie d'exportation, ont été durement touchées. Une interdépendance marquée avec les marchés des États-Unis et de l'Europe a amplifié l'impact de la crise financière sur les économies latino-américaines. La contraction économique résultant de la chute abrupte de la demande pour les produits d'exportation a été rapide et sévère. Les matières premières, pierre angulaire de nombreuses économies de la région, ont vu leurs prix s'effondrer. Cette récession économique a entravé la croissance, augmenté le chômage et réduit le niveau de vie. Des millions de personnes ont été plongées dans la pauvreté, exacerbant les inégalités sociales et économiques existantes. L'effet durable de la Grande Dépression s'est étendu bien au-delà de la décennie de 1930. Elle a non seulement perturbé l'économie mais a également engendré un climat de mécontentement politique et social. Dans ce contexte d'instabilité économique, les idéologies politiques se sont radicalisées, et le terrain a été préparé pour l'émergence de mouvements populistes et autoritaires. Des leaders charismatiques ont capitalisé sur le désespoir public, promettant des réformes et une reprise économique. Le paysage économique post-dépression de l'Amérique latine était marqué par une méfiance accrue envers le modèle économique libéral et une orientation plus marquée vers des politiques économiques internes et protectionnistes. Les gouvernements ont adopté des mesures pour renforcer l'économie nationale, parfois au détriment des relations commerciales internationales.

La Grande Dépression, enracinée dans une crise financière aux États-Unis, a eu des répercussions mondiales, et l'Amérique latine ne faisait pas exception. La baisse de la consommation aux États-Unis a frappé durement les pays d'Amérique latine, dont les économies dépendaient fortement des exportations vers le géant nord-américain. La réduction de la demande pour ces exportations s'est traduite par une baisse des revenus et un choc économique considérable. Les économies de l'Amérique latine, déjà précaires et largement basées sur l'exportation de matières premières, ont été frappées de plein fouet. Les prix des produits de base ont chuté, exacerbant l'impact de la réduction de la demande. Les revenus d'exportation ont plongé, et l'investissement étranger s'est tari. Cette combinaison dévastatrice a provoqué une contraction économique rapide, ébranlant les fondements économiques de la région. Le niveau de vie, en progression durant la période faste précédente, a connu une chute abrupte. Le chômage et la pauvreté ont augmenté, créant des tensions sociales et exacerbant les inégalités. La confiance dans les institutions financières et politiques s'est effritée, ouvrant la porte à l'instabilité et à l'agitation. L'écho de cette instabilité économique a résonné bien au-delà des années de crise. L'agitation politique et sociale s'est intensifiée, les défis économiques alimentant les mécontentements populaires et donnant naissance à des mouvements pour des réformes radicales. Les systèmes politiques de la région ont été mis à l'épreuve, et dans de nombreux cas, les gouvernements existants ont été incapables de répondre efficacement à la crise. En définitive, la Grande Dépression a laissé une empreinte indélébile sur l'Amérique latine, remodelant son paysage économique, politique et social. Les séquelles de cette période tumultueuse ont influencé le cours de l'histoire de la région, façonnant ses réponses aux crises futures et modifiant le parcours de son développement économique et social.

Implications sociales

La Grande Dépression a marqué une période de détresse économique intense et de bouleversement social en Amérique latine. Les ramifications de la crise économique globale étaient clairement visibles dans le tissu quotidien de la vie, notamment dans les zones rurales de la région, qui étaient gravement affectées par des pertes d’emploi massives. Les secteurs agricoles et miniers, pilier des économies rurales, étaient en déclin. La baisse des prix des produits de base et la réduction de la demande internationale ont mis à mal ces secteurs, laissant des milliers de travailleurs sans emploi. Cette vague de chômage a déclenché une migration importante vers les zones urbaines. Les travailleurs ruraux, désespérés et désemparés, ont afflué vers les villes avec l'espoir de trouver un emploi et un refuge économique. Cependant, les villes, elles-mêmes engluées dans la crise, n'étaient guère préparées à accueillir un tel afflux de migrants. La surpopulation, la pauvreté et le sous-emploi sont devenus endémiques. Les infrastructures urbaines étaient insuffisantes pour faire face à l'augmentation rapide de la population. Les bidonvilles ont commencé à se développer à la périphérie des grandes villes, incarnant les difficultés et les privations de l'époque. Les familles et les communautés ont été durement touchées. Le chômage généralisé a déstabilisé les structures familiales, exacerbant les défis quotidiens de la survie. La baisse du niveau de vie était non seulement une réalité économique mais aussi une crise sociale. La détresse économique a approfondi le fossé des revenus, exacerbant les inégalités et semant les graines de l'agitation sociale. La Grande Dépression a, ainsi, été un catalyseur de changements sociaux considérables. Elle n’a pas seulement déclenché une récession économique mais a aussi engendré une transformation sociale profonde. Les défis et les luttes de cette période ont laissé une empreinte indélébile sur l’histoire sociale et économique de l’Amérique latine, façonnant les dynamiques sociales et politiques des décennies à suivre.

La Grande Dépression a plongé l’Amérique latine dans un abîme économique et social, mais les manifestations de cette crise variaient considérablement d’un pays à l’autre. La diversité des structures économiques, des niveaux de développement et des conditions sociales dans la région a engendré une multiplicité d'expériences et de réponses face à la crise. Dans les pays d’Amérique latine déjà en proie à des niveaux élevés de pauvreté, les impacts de la Grande Dépression ont exacerbé les conditions existantes. Le chômage et la misère se sont accentués, mais dans un contexte où la précarité était déjà la norme, les transformations socio-économiques induites par la crise peuvent ne pas avoir été aussi abruptes ou visibles que dans des nations plus prospères. Comparativement, aux États-Unis, la crise a représenté un choc sévère et abrupt. La nation était passée d'une période de prospérité sans précédent, marquée par une industrialisation rapide et une expansion économique, à une époque de misère, de chômage massif et de désespoir. Cette transition brutale a accentué la visibilité de la crise, faisant des ravages économiques et sociaux de la Grande Dépression un élément omniprésent de la vie quotidienne. En Amérique latine, la résilience face à l'adversité économique et la familiarité avec la précarité ont peut-être atténué la perception de la crise, mais elles n'ont pas réduit son impact dévastateur. La contraction économique, l’escalade de la pauvreté et du chômage, et les bouleversements sociaux ont profondément marqué la région. Chaque pays, avec ses particularités économiques et sociales, a navigué dans la tourmente de la dépression avec des stratégies de survie distinctes, créant un patchwork complexe d'expériences et de réponses face à une crise mondiale sans précédent.

Conséquences politiques

La Grande Dépression a instauré un climat de crise économique exacerbée et de désespoir social en Amérique latine, jetant les bases d'une instabilité politique considérable. Dans un contexte où la pauvreté et le chômage atteignaient des niveaux alarmants, la confiance dans les régimes politiques existants s'est érodée, ouvrant la voie à des changements radicaux de gouvernance. Entre 1930 et 1935, la région a été témoin d'une série de renversements de gouvernements, oscillant entre transitions pacifiques et coups d'État violents. Les conditions économiques désastreuses, exacerbées par la chute drastique des prix des exportations et la contraction de l'investissement étranger, ont alimenté un mécontentement généralisé. Les masses populaires, confrontées à la faim, au chômage et à la dégradation des conditions de vie, sont devenues des terrains fertiles pour les mouvements politiques radicaux et autoritaires. Dans ce contexte tumultueux, des figures politiques autoritaires ont émergé, capitalisant sur le désarroi populaire et promettant ordre, stabilité et rétablissement économique. Ces promesses ont résonné profondément dans une population désespérée pour le changement et une échappatoire à la misère quotidienne. Les institutions démocratiques, déjà fragiles et souvent marquées par l'élitisme et la corruption, ont succombé sous le poids de la crise. Les régimes autoritaires et militaires, présentant une façade de force et de détermination, sont apparus comme des alternatives séduisantes. Ces transitions politiques ont non seulement modelé le paysage politique de l'Amérique latine pendant la période de la dépression, mais ont également instauré des précédents et des dynamiques qui perdureraient pendant des décennies. La prévalence des régimes autoritaires a contribué à une érosion progressive des normes démocratiques et des droits de l'homme, et les échos de cette époque de tumulte peuvent être identifiés dans les développements politiques de la région pour les années à venir. En fin de compte, la Grande Dépression ne fut pas seulement une crise économique; elle a initié une transformation politique profonde et durable en Amérique latine, illustrant la profonde interconnexion entre les sphères économique, sociale et politique.

La Grande Dépression a profondément modifié la dynamique des relations entre les États-Unis et l'Amérique latine. Englués dans une crise économique dévastatrice, les États-Unis n'étaient plus en mesure d'exercer leur influence de manière aussi prédominante ni d'apporter le même niveau de soutien financier aux nations latino-américaines. Cette réduction de l'influence américaine s'est produite dans le contexte d'une politique de "bon voisinage", une stratégie diplomatique qui prônait une approche moins interventionniste dans la région. Cependant, alors que les États-Unis s'efforçaient de s'occuper de leurs propres défis intérieurs, l'Amérique latine était emportée par ses propres tourbillons de crises économiques et sociales. Les structures politiques déjà fragiles ont été exacerbées par le chômage de masse, la contraction économique et l'insécurité sociale. Dans ce contexte, l'absence d'un soutien substantiel des États-Unis a accentué la vulnérabilité politique de la région. Les dirigeants autoritaires ont saisi cette occasion pour se hisser au pouvoir, exploitant l'insécurité publique et la demande populaire pour la stabilité et le leadership fort. Ces régimes ont souvent prospéré en l'absence d'une présence américaine significative, et la politique de "bon voisinage", bien qu'aimée en théorie, s'est révélée impuissante à stabiliser ou à influencer de manière constructive la trajectoire politique de l'Amérique latine pendant cette période critique.

Le cas de la Colombie : crise absorbée par les cultivateurs de café

Facteurs économiques

//La Colombie est l'un des pays d'Amérique latine qui a été le plus touché par la Grande Dépression. Son économie dépendait largement des exportations de café, dont 75 % étaient destinées aux États-Unis. Malgré la grave crise économique provoquée par la chute de la demande d'exportation, la Colombie n'a pas connu de changement soudain de pouvoir, contrairement à de nombreux autres pays de la région. Au contraire, la crise a été absorbée en grande partie par les producteurs de café, qui ont dû faire face à une baisse des prix et des revenus à la suite de la dépression. L'impact économique et social de la dépression a été ressenti de manière aiguë dans les régions productrices de café de la Colombie et a eu de profondes conséquences pour le pays.

Après le début de la Grande Dépression en 1929, le prix mondial du café s'est effondré, entraînant une baisse significative des revenus des producteurs de café en Colombie. Cela a entraîné une diminution des importations et une contraction de l'économie, mais par rapport à d'autres pays d'Amérique latine, la Colombie était relativement mieux lotie. Le volume des exportations n'a diminué que de 13 % et le produit national brut (PNB) n'a baissé que de 2,4 %. Contrairement à de nombreux autres pays de la région, la Colombie n'a pas connu de coup d'État ou de révolution pendant cette période. Au lieu de cela, il y a eu un transfert historique du pouvoir du parti conservateur au parti libéral, en raison d'un système politique qui a marginalisé le parti libéral et permis aux conservateurs de garder le contrôle pendant plus de 50 ans. Ce transfert de pouvoir a eu lieu après la division du parti conservateur et l'élection d'un président libéral en 1930.

L'expérience de la Colombie pendant la Grande Dépression peut fournir des indications et des leçons précieuses pour comprendre des événements et des réactions similaires qui pourraient se produire dans le présent ou l'avenir. L'étude des expériences historiques des pays en période de crise économique peut contribuer à éclairer la façon dont les différents pays et régions réagissent à des défis similaires et peut éclairer la prise de décision dans le présent.

La transition de l'économie colombienne pendant la Grande Dépression a été influencée par la façon dont le café était produit. Le passage à la culture du café à petite échelle et le transfert de propriété des grands propriétaires fonciers aux petits exploitants ont aidé le pays à absorber, dans une certaine mesure, le choc économique de la Grande Dépression. En décentralisant l'industrie du café et en répartissant les risques entre de nombreux petits exploitants, le pays a pu atténuer l'impact de la baisse des prix du café et des revenus d'exportation sur l'ensemble de l'économie. Cela montre comment une économie diversifiée peut être plus résistante en temps de crise.

Pendant la Grande Dépression, les petits producteurs de café de Colombie ont été durement touchés par la chute des prix. Les anciens grands propriétaires terriens, qui s'étaient reconvertis dans l'achat et l'exportation de café, ont mieux résisté à la crise car ils n'avaient pas à supporter les coûts directs de la production de café. En revanche, les petits exploitants ont dû continuer à travailler dur pour produire du café malgré la faiblesse des prix, ce qui a entraîné leur exploitation et de nouvelles difficultés économiques. Cela montre comment les chocs économiques peuvent avoir un impact disproportionné sur les communautés vulnérables, perpétuant les cycles de pauvreté et d'inégalité.

Cette semi-autarcie a aidé dans une certaine mesure les petits producteurs de café en Colombie pendant la Grande Dépression. En ayant leur propre potager, ils ont pu produire une partie de leur nourriture, ce qui a réduit leur dépendance vis-à-vis du marché et leur a permis de survivre malgré les faibles prix du café. Cela montre comment les communautés locales et les ménages peuvent adopter des stratégies d'autosuffisance pour faire face aux chocs économiques et aux pressions extérieures. Néanmoins, elle met également en évidence les limites de ces stratégies et la nécessité de solutions systémiques plus larges pour s'attaquer aux causes profondes de l'instabilité économique.

Dynamiques politiques

Alfonso López Pumarejo, Président de la République de Colombie de 1934 à 1938, puis de 1942 à 1946.

Cette division des conservateurs a conduit au transfert du pouvoir au parti libéral en 1930 et a marqué un changement dans la politique colombienne. Malgré les difficultés économiques rencontrées par le pays pendant la Grande Dépression, il n'y a pas eu de troubles politiques majeurs ni de coups d'État, ce qui contraste avec les expériences de nombreux autres pays d'Amérique latine.

Le programme et les réformes populistes d'Alfonso Lopez ont permis de remédier aux conséquences sociales et économiques de la Grande Dépression en Colombie. Il a introduit des mesures telles que le suffrage universel pour les hommes, des programmes d'éducation, la syndicalisation et la reconnaissance des communautés indigènes pour améliorer le niveau de vie et réduire les inégalités dans le pays. Il s'agit d'une évolution vers des politiques et des réformes plus progressistes visant à remédier aux difficultés sociales et économiques généralisées rencontrées par la population colombienne en raison de la Grande Dépression.

Ce n'est qu'en 1934 qu'Alfonso Lopez est élu et lance un programme populiste connu sous le nom de "revolución en marcha". Ce programme s'inspire de la révolution mexicaine et comprend une petite réforme de la constitution, le suffrage universel pour les hommes et des programmes d'éducation et de syndicalisation. Il y avait également une petite reconnaissance des communautés indigènes de Colombie.

La "Révolution en marche" de Lopez était une tentative de s'attaquer à certains des problèmes sociaux et économiques qui avaient surgi à la suite de la Grande Dépression, notamment la pauvreté, l'inégalité et le chômage. Bien que ses réformes soient limitées, elles représentent une avancée significative pour le pays et marquent une évolution vers un paysage politique plus progressiste.

En 1938, Lopez est chassé du pouvoir par un coup d'État militaire, mettant fin à son programme populiste et réformateur. Le régime militaire d'extrême droite qui a pris le pouvoir a continué à réprimer l'opposition politique et les syndicats et à annuler une grande partie des progrès réalisés sous l'administration de Lopez.

Sous le président Alfonso Lopez, le libéralisme a obtenu le soutien d'une partie de la population urbaine et de la classe ouvrière. Cependant, malgré ce succès, les zones rurales, en particulier les petites communautés de cultivateurs de café, n'ont pas été touchées par les efforts de Lopez. Ces petits agriculteurs souffraient d'auto-exploitation depuis longtemps, et la pression exercée par leur situation a fini par aboutir à une guerre civile pendant la Seconde Guerre mondiale, appelée "violencia", qui a entraîné la mort de plus de 250 000 paysans et un exode rural massif.

Le cas de Cuba : Révolution et coup d’État militaire

Au XXe siècle, Cuba est devenu de plus en plus dépendant des États-Unis, qui importaient plus de 80 % du sucre cubain. L'économie cubaine était marquée par des inégalités sociales et politiques, avec une petite élite riche et de nombreux travailleurs pauvres. En 1959, une révolution menée par Fidel Castro a renversé le dictateur Fulgencio Batista, soutenu par les États-Unis, et a instauré un régime socialiste. Le nouveau gouvernement a nationalisé les biens appartenant aux Américains, notamment les plantations de sucre, et a mis en œuvre des réformes agraires pour améliorer la vie des travailleurs ruraux. Les relations américano-cubaines se dégradent, entraînant un embargo commercial et une série de tentatives américaines de renverser le gouvernement, dont l'invasion ratée de la baie des Cochons en 1961. Malgré les difficultés, la révolution cubaine a permis d'améliorer considérablement l'éducation, les soins de santé et l'égalité sociale, et Cuba reste aujourd'hui l'un des rares États socialistes au monde.

Cela a créé une situation d'extrême inégalité et de pauvreté pour la majorité de la population cubaine, entraînant des troubles sociaux et politiques. En 1933, un coup d'État militaire dirigé par Fulgencio Batista a renversé le gouvernement et établi une dictature qui a duré jusqu'en 1959, lorsqu'une révolution menée par Fidel Castro et le Mouvement du 26 juillet a réussi à renverser Batista et à établir un État socialiste à Cuba. Cette révolution a eu un impact significatif sur l'économie et le paysage politique du pays, conduisant à la nationalisation des entreprises appartenant aux Américains et à l'introduction de réformes sociales et économiques majeures visant à réduire les inégalités et à améliorer le niveau de vie du peuple cubain.

Entre 1929 et 1933, l'industrie sucrière cubaine a connu d'importantes turbulences dues à la Grande Dépression. La forte baisse des prix du sucre, qui ont chuté de plus de 60 %, a entraîné une diminution correspondante des exportations de plus de 80 %. Les grands propriétaires terriens ont pris des mesures draconiennes pour atténuer l'impact de ce ralentissement économique, notamment en réduisant les niveaux de production et en diminuant les salaires agricoles de 75 %. Cela a entraîné le licenciement massif de milliers de travailleurs saisonniers d'Haïti et de Jamaïque et la faillite de centaines de petites usines et de magasins. L'effet d'entraînement de ces événements est considérable : en 1933, un quart de la population active est au chômage et 60 % de la population vit en dessous du minimum vital.

Gerardo Machado est arrivé au pouvoir à Cuba en 1925, après avoir remporté l'élection présidentielle. Au début de sa présidence, Machado a mené des politiques nationalistes et libérales pour moderniser le pays. Il a lancé plusieurs projets d'infrastructure, tels que des routes, des ponts et des bâtiments, et a introduit des réformes dans les domaines de l'éducation, de l'agriculture et du travail. Ces efforts lui valent la popularité et le soutien du peuple cubain.

Cependant, au fil de sa présidence, Machado devient de plus en plus autoritaire et paranoïaque, réprimant l'opposition politique et violant les droits de l'homme. Il a mis en place une police secrète pour surveiller et intimider ses détracteurs, et a utilisé son armée pour réprimer les protestations et la dissidence. Il s'est également enrichi, ainsi que ses alliés, par la corruption et le détournement de fonds, s'aliénant encore davantage le peuple cubain.

Au début des années 1930, le régime de Machado est profondément impopulaire et il doit faire face à une opposition généralisée de divers secteurs de la société. En 1933, il est contraint de démissionner et de fuir le pays, marquant ainsi la fin de son règne. Bien que la présidence de Machado ait été marquée à la fois par des initiatives progressistes et par une répression brutale, on se souvient surtout de son héritage comme d'une période de dictature et d'abus de pouvoir.

La présidence de Machado est devenue de plus en plus autoritaire et l'opposition à son régime s'est radicalisée et organisée. L'opposition politique, les grèves et les protestations contre son régime sont devenues plus fréquentes, et certains groupes d'opposition ont eu recours à des actes de sabotage et de violence pour contester son pouvoir. Dans le même temps, les mouvements communistes, socialistes et anarchistes de Cuba gagnent en force, alimentés par le mécontentement populaire à l'égard des politiques de Machado.

En réponse à cette opposition croissante, le régime de Machado devient encore plus répressif et violent, utilisant l'armée et la police secrète pour réprimer les protestations et écraser la dissidence. Cette répression est devenue de plus en plus brutale, avec des violations généralisées des droits de l'homme, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires. L'instabilité politique et la répression croissantes ont alimenté la colère populaire et radicalisé davantage l'opposition, ce qui a entraîné des troubles et une instabilité généralisés dans le pays.

Face à l'instabilité politique et aux troubles croissants à Cuba, le gouvernement des États-Unis a tenté d'intervenir en envoyant un négociateur pour trouver une solution. Cependant, ces efforts n'ont finalement pas abouti. En août 1933, une grève générale paralyse le pays et l'armée libère Machado, qui part en exil.

Une coalition de divers groupes politiques et de la société civile prend alors le pouvoir, mais cette coalition est hétérogène et ne dispose pas d'un leader ou d'une direction claire. La coalition n'a pas pu gouverner le pays et contrôler efficacement l'anarchie générale, car divers groupes armés et milices parcouraient les rues, se disputant le pouvoir et l'influence. L'incapacité de la coalition à rétablir l'ordre et la stabilité a aggravé l'instabilité politique et la violence dans le pays et a ouvert la voie à de nouveaux conflits dans les années à venir.

Fulgencio Batista à Washington, D.C. en 1938.

La période qui suit l'éviction de Machado est caractérisée par un chaos et une violence généralisés, notamment des émeutes, des grèves et la prise de contrôle de plantations sucrières par des travailleurs qui cherchent à établir un collectif socialiste ou de type bolchevique.

En outre, des soldats et des officiers d'une caserne de La Havane, dirigés par le sergent Fulgencio Batista, se mutinent contre le gouvernement. Ce soulèvement militaire a déstabilisé davantage la situation politique déjà chaotique du pays, et Batista est devenu une figure clé du paysage politique du pays, menant finalement un coup d'État qui a établi sa propre dictature en 1952.

La mutinerie militaire menée par Batista a reçu un soutien inattendu de la part des civils, qui ont transformé le soulèvement en un coup d'État militaire. Le coup d'État a donné naissance à un gouvernement révolutionnaire de 100 jours gouverné par décret et visant à "rendre Cuba à Cuba" et à libérer le pays du contrôle américain. Le gouvernement révolutionnaire visait à mettre en œuvre des réformes radicales et à répondre aux doléances populaires, telles que l'inégalité sociale, la pauvreté et la répression politique.

Toutefois, le gouvernement révolutionnaire a été de courte durée et a dû faire face à l'opposition de divers groupes, dont l'armée et d'autres groupes d'intérêts. Le gouvernement a finalement été remplacé par une autre dictature militaire, marquant le début d'une longue période d'instabilité politique et de violence dans le pays.

Le gouvernement révolutionnaire de 100 jours a introduit plusieurs réformes pour remédier aux inégalités sociales et économiques du pays. L'une des principales réformes a consisté à accorder le suffrage universel aux femmes, leur donnant ainsi le droit de vote pour la première fois.

Le gouvernement a également mis en œuvre des réformes dans le secteur de l'éducation, accordant l'autonomie aux universités et augmentant l'accès à l'éducation pour tous. En outre, les travailleurs, y compris les coupeurs de canne, se sont vu accorder un salaire minimum et d'autres avantages sociaux, tels que des congés payés et de meilleures conditions de travail.

Une autre réforme importante a été le lancement de la réforme agraire, qui visait à remédier à la répartition inégale des terres et à améliorer la vie des agriculteurs ruraux. Ces réformes ont représenté un grand pas en avant pour Cuba. Cependant, elles n'ont finalement pas duré longtemps, et bon nombre des progrès réalisés pendant le gouvernement révolutionnaire ont été perdus pendant les périodes ultérieures d'instabilité politique et de violence.

Les réformes introduites par le gouvernement révolutionnaire de 100 jours ont été considérées comme trop radicales par les groupes de droite et d'extrême droite à Cuba, qui se sont opposés aux changements apportés au système politique et économique existant. Dans le même temps, la gauche marxiste a considéré que les réformes étaient trop timides et insuffisantes, car elles n'allaient pas assez loin dans la résolution des problèmes sous-jacents de la pauvreté, de l'inégalité et de la répression politique.

En outre, les réformes étaient inacceptables pour le gouvernement américain du président Franklin D. Roosevelt, qui les considérait comme une menace pour les intérêts américains dans la région. Les États-Unis s'inquiétaient de la propagation des idées et de l'influence marxistes dans la région, et considéraient les réformes à Cuba comme faisant partie d'une tendance plus large de mouvements et de gouvernements de gauche en Amérique latine. Cette opposition de la droite, de la gauche et des États-Unis a contribué à la chute du gouvernement révolutionnaire et à l'établissement d'une autre dictature militaire à Cuba.

Les États-Unis ne sont pas intervenus militairement à la suite du gouvernement révolutionnaire de 100 jours, mais ont choisi d'influencer les événements par la diplomatie et les manœuvres politiques. Le gouvernement américain a convaincu Batista de prendre le pouvoir par le biais d'une série de présidents civils, puis en tant que dictateur.

Batista dirige Cuba d'une main de fer, supprimant toute dissidence ou opposition politique et s'alignant étroitement sur les intérêts américains dans la région. Il a maintenu son emprise sur le pouvoir jusqu'à la révolution de 1959 menée par Fidel Castro, qui a renversé Batista et instauré un gouvernement socialiste à Cuba. La révolution castriste a représenté un tournant important dans l'histoire de Cuba et a marqué le début d'une nouvelle ère de réformes politiques, économiques et sociales dans le pays.

Le cas du Brésil : coup d’État militaire et régime fascisant

Dans le Brésil des années 1930, un coup d'État militaire a conduit à l'établissement d'un régime fasciste connu sous le nom d'Estado Novo (Nouvel État). Les dirigeants militaires du pays ont organisé le coup d'État et ont été soutenus par les élites conservatrices qui étaient mécontentes de la façon dont le gouvernement démocratique gérait les problèmes sociaux et économiques du pays. Le nouveau régime se caractérise par l'autoritarisme, la censure, la suppression de l'opposition politique et le contrôle du gouvernement sur l'économie. Malgré un certain soutien populaire initial, l'Estado Novo est finalement devenu très impopulaire, ce qui a entraîné sa chute en 1945. La dictature militaire brésilienne qui a suivi a duré jusqu'en 1985.

Contexte économique

Le Brésil a une économie mixte, avec une gamme variée de secteurs comprenant l'agriculture, la fabrication, les services et l'extraction de ressources. Le café a longtemps été une culture d'exportation importante, mais l'économie du pays s'est diversifiée au fil du temps. Les grands propriétaires terriens dominent l'industrie du café et les travailleurs du café, y compris les travailleurs saisonniers, les immigrants européens et les migrants brésiliens, ont un pouvoir de négociation limité. Cette situation a contribué à une répartition inégale des richesses et des revenus au Brésil.

En 1930, le Brésil était dirigé par la Première République de l'ordre et du progrès, un gouvernement marqué par l'instabilité politique et la crise économique. Malgré son nom, le gouvernement n'a pas réussi à résoudre ces problèmes de manière efficace. La crise a été exacerbée par un conflit autour de l'élection présidentielle, car seule une petite partie de la population avait le droit de voter et de participer à l'élection. Cela a entraîné un mécontentement généralisé et a contribué au coup d'État militaire qui a instauré le régime fasciste de l'Estado Novo la même année.

Trois des 17 États du Brésil ont refusé d'accepter les résultats de l'élection présidentielle, ce qui a entraîné des soulèvements et des troubles. En réponse, les militaires ont organisé un coup d'État et renversé le gouvernement civil, donnant le pouvoir à Getúlio Vargas, un éleveur de bétail et gouverneur de l'État de Rio Grande do Sul. Cet événement a marqué le début du régime de l'Estado Novo et d'une ère de pouvoir autoritaire au Brésil.

Paysage politique

Le pouvoir politique du Brésil s'est déplacé au fil du temps, reflétant les changements intervenus dans son paysage économique. Au début de l'histoire du Brésil, l'industrie sucrière dans la région du nord-est était la force économique dominante et exerçait une influence considérable sur le système politique du pays. Au fil du temps, le centre du pouvoir s'est déplacé vers Rio de Janeiro, dans le sud, où l'élevage et la production de produits de base comme le café ont gagné en importance. Cette concentration du pouvoir économique dans le sud a permis l'ascension de personnalités influentes comme Getúlio Vargas et a contribué à la stabilité politique de la région.

Une fois au pouvoir, Vargas a mené une politique de répression et de consolidation de son propre pouvoir. Il a d'abord ciblé la gauche socialiste et communiste, supprimant leurs activités politiques et étouffant les voix de l'opposition. Il a ensuite porté son attention sur la droite fasciste, connue sous le nom d'Intégralistes, que l'Italie de Mussolini finançait secrètement. Vargas a utilisé son pouvoir pour faire taire ses opposants politiques, créant un régime autoritaire caractérisé par la censure et la suppression de l'opposition politique. Cela a contribué à établir sa domination sur le pays et à consolider son pouvoir.

En 1937, Vargas a lancé un second coup d'État et imposé l'Estado Novo, un régime fasciste modelé sur l'Italie de Mussolini et le Portugal de Salazar. Dans le cadre de cet effort, il interdit tous les partis politiques et s'appuie sur le soutien direct de l'armée pour consolider son pouvoir. L'Estado Novo était un État corporatiste qui cherchait à réglementer et à contrôler tous les aspects de la société, y compris l'économie, la politique et la culture. Le régime était caractérisé par l'autoritarisme, la censure et la suppression de l'opposition politique, ainsi que par le contrôle du gouvernement sur l'économie. L'Estado Novo a duré jusqu'en 1945, date à laquelle il a été renversé à la suite d'une opposition et de troubles généralisés.

La dictature brésilienne des années 1930, également connue sous le nom d'Estado Novo, se caractérise par plusieurs éléments clés. Le régime encourageait le nationalisme et soulignait le rôle de l'armée. L'État est intervenu massivement dans l'économie, exerçant un contrôle sur les syndicats et les entreprises privées. La censure et la répression politique étaient également des caractéristiques centrales du régime, Vargas cherchant à supprimer l'opposition et à maintenir son emprise sur le pouvoir. Ces politiques ont contribué à créer un État hautement centralisé et autoritaire, dans lequel les libertés individuelles étaient limitées et le gouvernement exerçait un contrôle étendu sur tous les aspects de la société.

La dictature de l'Estado Novo au Brésil a duré jusqu'en 1954. Bien qu'il soit resté au pouvoir pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, le régime a dû faire face à une opposition et à des troubles croissants. Finalement, l'armée a organisé un nouveau coup d'État et a contraint Vargas à l'exil, marquant la fin de son règne et le début d'une nouvelle ère dans la politique brésilienne. Malgré la fin de la dictature, son héritage a perduré pendant de nombreuses années, le pays ayant connu une série de changements politiques et économiques dans les décennies qui ont suivi.

Conclusion : Comprendre les Coups d'Etat et les Populismes en Amérique Latine

La crise financière mondiale de 1929 a eu un impact profond sur les entreprises américaines, non seulement celles situées aux États-Unis, mais aussi dans toute l'Amérique latine. Les effets de la crise ont été profonds et dévastateurs, poussant de nombreuses entreprises au bord de la faillite.

La crise de 1929 a exposé les limites du libéralisme économique, qui était une forme de libéralisme relatif caractérisé par le soutien de l'État aux propriétaires terriens, aux industriels, aux entreprises, aux banques, tout en supprimant les droits et les libertés des travailleurs.

La crise de 1929 a révélé les failles de la forme relative du libéralisme économique, car elle aidait principalement les hacendados, les industriels, les sociétés, les banques et réprimait les travailleurs. La crise a mis en évidence les inégalités importantes présentes dans ces sociétés, entraînant le besoin d'un leader fort et charismatique pour unir et rassurer la population. Cette tendance ne s'est pas limitée à l'Amérique latine, puisque même les États-Unis, sous le président Roosevelt, ont eu recours à des politiques nationalistes.

Cela permet de maintenir la paix sociale et d'éviter les troubles sociaux, mais cela n'aboutit souvent qu'à des réformes limitées et insuffisantes. Le populisme peut également donner une illusion de changement, mais en réalité, il renforce les structures de pouvoir existantes et perpétue les inégalités.

Les petits paysans ruraux et la classe ouvrière urbaine, représentés par les partis socialistes et communistes et les syndicats, ont subi l'impact négatif des crises et des glissements politiques vers le populisme. Ces groupes ont souvent été supprimés ou intégrés dans un parti national plus important qui prétendait offrir des avantages sociaux.

La Grande Dépression de 1929 a mis en évidence les défauts et les lacunes du libéralisme économique, caractérisé par une tendance à l'intervention de l'État en faveur de l'élite aisée, y compris les hacendados, les industriels, les sociétés, les banques, et par la suppression de la classe ouvrière. Cette crise a mis en lumière les inégalités persistantes dans les sociétés des Amériques et la nécessité d'un leader charismatique pour unifier et réconforter la population, souvent par le biais d'idéologies nationalistes.

Pour calmer l'agitation sociale, des mouvements populistes ont été adoptés comme moyen d'éviter ou de supprimer la révolution, comme à Cuba en 1933. Néanmoins, ces efforts ont nécessité la mise en place d'une législation sociale pour protéger les droits des travailleurs et des pauvres. Toutefois, si les tensions ont pu être temporairement supprimées, elles n'ont pas complètement disparu et sont réapparues avec plus de force après la conclusion de la Seconde Guerre mondiale. Les répercussions de la Grande Dépression continuent d'être ressenties, en particulier par les petits paysans dans les zones rurales et par les partis et syndicats socialistes et communistes dans les zones urbaines, qui ont dû faire face à la suppression et à l'intégration dans des partis nationaux plus importants avec des dispositions limitées en matière de protection sociale.

Annexes

Références