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C’est dans ce contexte que les populismes latino-américains prennent forme dans les années 1920. Ces populismes vont dominer la politique des années 1930 à 1950.
Les populismes latino-américains, caractérisés par un leader charismatique, une base de masse et un accent mis sur les besoins des gens du peuple, sont apparus dans les années 1920 et ont dominé la politique dans la région des années 1930 aux années 1950. Cette période a été marquée par de nombreux coups d'État, les dirigeants militaires cherchant à renverser les gouvernements populistes. Malgré les difficultés, les populismes latino-américains ont laissé un héritage durable, façonnant le paysage politique et social de la région.
 
Juan Domingo Perón, en Argentine, est souvent associé au populisme en Amérique latine. Pourtant, il est arrivé au pouvoir dans les années 1940 et a surfé sur la vague de populisme qui s'était déjà installée dans la région depuis les années 1920 et 1930.
 
Pendant les années 1920 et 1930 en Amérique latine, le populisme était un mouvement politique qui visait à intégrer la classe ouvrière dans la politique nationale sans changer fondamentalement l'ordre social. Il ciblait les masses urbaines, les travailleurs, la petite bourgeoisie, les rentiers, les migrants ruraux, les étudiants, les intellectuels et les soldats, et s'efforçait de répondre à leurs besoins et à leurs préoccupations par le biais d'interventions gouvernementales et de programmes sociaux. Ce type de populisme cherchait à concilier les intérêts des différents groupes sociaux tout en maintenant les structures de pouvoir existantes.
 
Les classes urbaines d'Amérique latine étaient considérées comme une menace pour l'ordre social existant en raison de leur potentiel de radicalisation. Pour éviter cela, le populisme visait à rejeter la lutte des classes et à promouvoir la solidarité de classe en prônant un État corporatiste. Cet État était considéré comme un moyen de gouverner hiérarchiquement la famille nationale par le biais de coalitions verticales de patronage, maintenant ainsi les structures de pouvoir existantes et évitant la révolution sociale. Le populisme visait à concilier les intérêts des différents groupes sociaux afin de préserver l'ordre social.[[File:Rafael_Molina_Trujillo.jpg|thumb|100px|Rafael Molina Trujillo.]]
   
   
Souvent, on associe le populisme à Perón, mais il est plus tardif, car il surfe sur une vague en provenance des années 1920 et 1930.
Le populisme en Amérique latine était souvent caractérisé par un leader charismatique qui avait un lien émotionnel fort avec le peuple. Ce leader était souvent considéré comme une figure macho, caractérisée par la force, l'autoritarisme et la sympathie pour les besoins du peuple. Le leader charismatique était considéré comme l'incarnation de la volonté populaire, et son attrait personnel et son lien émotionnel avec les masses étaient des éléments clés du mouvement populiste.
 
Le populisme latino-américain de cette époque est un mouvement qui tente d’intégrer les classes populaires dans la politique nationale sans changer l’ordre social ; il vise surtout les masses urbaines, les ouvriers, la petite bourgeoisie, les rentiers, les migrants ruraux, les étudiants, les intellectuels et les soldats.
En Amérique latine, le leader populiste était souvent perçu comme une figure bienveillante et paternaliste qui comprenait et protégeait le peuple. En même temps, il ne tolérait pas l'opposition et pouvait être autoritaire dans son approche. Il a utilisé les médias de masse pour gagner le soutien populaire et construire sa marque personnelle, mais le mouvement lui-même n'avait pas d'idéologie complexe. Il était plutôt centré sur le nationalisme et sur une vague promesse de développement et de justice sociale. Le leader était considéré comme l'incarnation de la volonté populaire, et le lien émotionnel avec les masses était la clé du succès du mouvement.
 
Ce sont des classes urbaines dont la radicalisation menace d’apporter la révolution sociale avec la peur de perdre l’ordre social. Le populisme rejette la lutte des classes en faveur de la solidarité entre les classes défendant l’idée d’un État corporatiste qui dirigerait hiérarchiquement la famille nationale entre des coalitions verticales de patronages.
La forte intervention de l'État dans les affaires économiques et sociales était un aspect essentiel du populisme latino-américain. Pour détourner l'attention des conflits sociaux internes, le leader populiste cherchait souvent à unifier les masses contre un ennemi étranger commun, comme l'impérialisme américain, les immigrants chinois, les immigrants afro-caribéens ou les immigrants juifs (dans le cas de l'Argentine). Cela a contribué à créer un sentiment d'unité et de solidarité nationales, mais a également servi à détourner l'attention des tensions sociales et économiques sous-jacentes au sein du pays.


[[File:Rafael_Molina_Trujillo.jpg|thumb|100px|Rafael Molina Trujillo.]]
Le régime de Rafael Trujillo en République dominicaine est considéré comme l'un des exemples les plus extrêmes du populisme latino-américain. Trujillo a été formé dans la garde nationale par les Marines américains et est resté au pouvoir pendant de nombreuses années, gouvernant d'une main de fer. En 1937, il a ordonné le massacre de 15 000 à 20 000 paysans haïtiens par l'armée à la frontière, qui est considéré comme l'une des pires atrocités en matière de droits de l'homme de l'histoire de l'Amérique latine. Malgré cela, Trujillo a conservé le soutien populaire de certains secteurs de la population, en partie grâce à son utilisation des médias de masse pour construire un culte de la personnalité et à ses affirmations selon lesquelles il était un dirigeant fort et bienveillant qui s'efforçait de protéger la nation des menaces étrangères.
Le populisme est en général dirigé par un chef charismatique qui répond souvent au type macho c’est-à-dire un homme fort, autoritaire, mais sympathique avec lequel le peuple peu s’identifier émotionnellement.
C’est un homme bienveillant, paternalisme, grand leader des populismes qui est là parce qu’il comprend et protège le peuple, mais c’est en même temps un leader qui ne tolère pas la provocation et l’opposition. Il utilise les médias de masse pour gagner l’appui populaire, mais en même temps c’est un mouvement qui n’a pas vraiment d’idéologie complexe, au cœur de son idéologie est le nationalisme et une vague promesse de développement accompagnée de justice sociale.
Cela signifie un État fort qui intervient dans les affaires économiques et sociales, de plus afin de cacher les conflits sociaux internes le populisme uni souvent les masses contre un ennemi étranger commun qui peut être l’impérialisme étasunien, l’émigrant chinois ou encore l’immigrant afro-antillais ou bien l’immigrant juif dans le cas de l’Argentine.
Le cas le plus terrible du populisme est celui Trujillo formé dans la garde nationale par les marines et qui restera au pouvoir pendant longtemps, en 1937 il fait [http://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_des_Ha%C3%AFtiens_de_1937 massacrer par l’armée entre 15 et 20 000 paysans haïtiens] à la frontière.


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Version du 30 janvier 2023 à 23:08


La montée des idéologies populistes en Amérique latine après la Première Guerre mondiale est due à un certain nombre de facteurs, notamment l'incapacité des gouvernements démocratiques libéraux à répondre aux besoins économiques et sociaux des masses, la pauvreté et les inégalités généralisées et l'instabilité politique généralisée. La Grande Dépression de 1929 a eu un effet dévastateur sur la région, exacerbant les problèmes existants et entraînant des troubles et des violences politiques généralisés.

En Colombie, cette période a été marquée par l'ascension de Jorge Eliécer Gaitán et de son mouvement populiste, qui promettait de répondre aux besoins des pauvres et de la classe ouvrière. Cependant, l'assassinat de Gaitán en 1948 a déclenché une période de violence politique connue sous le nom de "La Violencia", qui a duré plus de dix ans.

À Cuba, les années 1930 ont vu l'ascension du leader populiste Fulgencio Batista, qui a promis de répondre aux besoins des pauvres et de la classe ouvrière. Toutefois, son régime a été marqué par une corruption et une violence politique généralisées, et il a finalement été renversé par Fidel Castro et le mouvement communiste en 1959.

Au Brésil, Getúlio Vargas est arrivé au pouvoir en 1930, promettant de répondre aux besoins de la classe ouvrière et des pauvres. Bien qu'il ait initialement mis en œuvre un certain nombre de réformes, notamment un salaire minimum et des lois sur le travail, le régime de Vargas est devenu de plus en plus autoritaire et a finalement été renversé en 1945.

Cet article propose un examen complet des changements politiques, économiques et sociaux survenus en Amérique latine entre la Première Guerre mondiale et la Grande Dépression de 1929, qui ont conduit à l'émergence des idéologies populistes. Il vise à examiner les effets de la Grande Dépression sur l'Amérique latine dans son ensemble, tout en se concentrant ensuite sur trois études de cas spécifiques - la Colombie, Cuba et le Brésil.

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Les années 1920 : Un tournant dans l'histoire de l'Amérique latine

Dans les années 1920, l'Amérique latine a connu d'importants changements économiques, politiques et sociaux. Les économies de la région ont connu un boom après la Première Guerre mondiale, qui a duré jusqu'à la fin des années 1920. Cette prospérité est due à des facteurs tels que la demande accrue de produits latino-américains et des conditions économiques mondiales favorables.

Cette période de l'histoire de l'Amérique latine est appelée "la danse des millions" en raison de la croissance rapide du produit national brut dans de nombreux pays et de l'afflux d'investissements étrangers, notamment des États-Unis, dans les pays d'Amérique du Sud. Ce terme reflète la prospérité et l'optimisme apparents de l'époque, les économies de la région étant en plein essor et beaucoup y voyant une opportunité de richesse et de réussite.

Pendant la "danse des millions", les investissements étrangers en Amérique latine ont augmenté de manière significative, et les économies de la région ont continué à dépendre fortement de l'exportation de produits agricoles et de minéraux pour acquérir les devises étrangères nécessaires à l'importation de produits manufacturés. Le déclin des importations européennes dû à la Grande Guerre a créé une opportunité d'industrialisation dans de nombreux pays d'Amérique latine. Des secteurs tels que le textile, la production d'aliments et de boissons, les matériaux de construction et la fabrication d'instruments ont connu une croissance importante au cours de cette période. Cette période a marqué un tournant dans le développement économique de la région et a marqué le passage à une économie plus diversifiée et industrialisée.

La Grande Guerre en Europe a également marqué le début de l'impérialisme américain en Amérique centrale, dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Les États-Unis ont vu dans le conflit une occasion d'étendre leur influence et leur contrôle sur la région, en particulier dans des secteurs précédemment dominés par les Britanniques. Cela a marqué un changement dans l'équilibre des forces et l'émergence des États-Unis comme acteur dominant dans la politique et l'économie de l'Amérique latine. L'intervention des États-Unis dans la région a entraîné des changements importants, notamment la mise en place de gouvernements favorables aux États-Unis, l'introduction de la démocratie à l'américaine et l'expansion des intérêts économiques américains. Cette période a marqué le début de l'hégémonie américaine dans la région, qui aura des effets durables sur le paysage politique et économique de l'Amérique latine.

Ces changements dans le paysage politique et économique de l'Amérique latine pendant la "danse des millions" ont eu un impact profond sur la société. Ils ont poursuivi les tendances amorcées dans les années 1850, avec le déclin de la petite paysannerie au profit des grandes haciendas, et la concentration de la main-d'œuvre dans certains secteurs, comme les plantations, les mines, les usines, les transports, l'administration, la fonction publique et les services. La mécanisation progressive de l'agriculture, ainsi que l'immigration massive d'Européens dans des pays comme l'Argentine et le Brésil, ont entraîné le déplacement de nombreux petits agriculteurs et métayers, qui ont été contraints d'émigrer vers les villes à la recherche de nouvelles opportunités. Cette migration des zones rurales vers les zones urbaines est connue sous le nom d'"exode rural". Ces changements sociaux ont contribué à l'accroissement de la pauvreté et des inégalités dans la région. Ils ont préparé le terrain pour la montée des idéologies populistes qui offriraient des solutions aux défis rencontrés par la classe ouvrière et les pauvres.

L'industrialisation et l'urbanisation rapides de la région ont entraîné une modification importante de la structure démographique de l'Amérique latine. Le pourcentage de la population vivant dans les zones rurales a diminué de façon spectaculaire, passant de 75 % en Argentine à 90 % au Pérou et en Amérique centrale, les migrants ruraux affluant vers les villes à la recherche de nouvelles opportunités. L'augmentation de la population des villes a posé de nouveaux défis aux élites traditionnelles, car il est devenu de plus en plus difficile de maintenir l'ordre social face à la pauvreté et aux inégalités. Le passage d'une société rurale à une société urbaine a été un élément déterminant de cette période et a eu des effets durables sur le paysage politique et économique de la région.

Les changements provoqués par la "danse des millions" et le passage à des sociétés urbaines ont été aggravés par le développement des réseaux de commerce et de communication. Cela a permis l'échange d'idées et d'idéologies par-delà les frontières et l'arrivée de nouveaux groupes d'immigrants. De nouvelles idéologies politiques et sociales ont été introduites depuis le Mexique, ainsi que depuis l'Europe socialiste et fasciste et la Russie bolchévique. L'arrivée d'immigrants juifs a également apporté de nouvelles perspectives et idées dans la région. Tous ces facteurs ont contribué à un sentiment croissant d'effervescence sociale et politique, les élites traditionnelles luttant pour maintenir leur contrôle face à ces nouveaux défis. L'intersection de ces forces a préparé le terrain pour la montée des idéologies populistes qui allaient définir le paysage politique de l'Amérique latine dans les années à venir.

L'afflux de nouvelles idéologies et perspectives a remis en question le contrôle dominant des élites traditionnelles et de l'Église catholique. L'arrivée de ces nouvelles idées a menacé l'ordre existant, et les régimes d'ordre et de progrès en place depuis des décennies ne pouvaient plus maintenir leur emprise sur le pouvoir. L'impact de ces développements s'est fait sentir dans toute l'Amérique latine, car le paysage politique et social de la région a été transformé. La montée de nouvelles idéologies, combinée à la pauvreté et aux inégalités croissantes engendrées par l'industrialisation et l'urbanisation, a préparé le terrain pour les mouvements populistes qui allaient définir la région dans les années à venir.

L'arrivée massive de migrants ruraux a transformé les villes et la culture urbaine d'Amérique latine. Dans chaque pays, des personnes issues de différentes régions culturelles se sont retrouvées dans les capitales et les grandes villes, créant un creuset d'origines et de traditions diverses. L'impact de cette migration s'est fait sentir dans tous les aspects de la vie urbaine, de la croissance des bidonvilles à la transformation des normes et des valeurs culturelles. L'arrivée de ces migrants ruraux s'est accompagnée de nouveaux défis et de nouvelles opportunités, alors qu'ils s'efforçaient de s'adapter à un environnement urbain peu familier et de trouver une place dans le paysage social et économique en rapide mutation de la région.

Bien que souvent confrontés au rejet et à la discrimination, ces migrants ruraux ont joué un rôle important dans l'intégration nationale. Leur présence dans les villes a apporté avec eux leurs traditions régionales et leur patrimoine culturel, enrichissant ainsi le tissu urbain. La nécessité d'être alphabétisé dans la vie urbaine a entraîné une croissance de l'éducation, les écoles devenant plus largement accessibles, ce qui a eu pour effet d'accroître l'alphabétisation de la population. En outre, l'arrivée de la radio et du cinéma dans les villes au cours des années 1920 a ajouté une nouvelle dimension à la vie urbaine et a offert de nouvelles possibilités de communication, de divertissement et d'expression culturelle. Ces développements ont apporté de nouveaux défis et opportunités, et ont contribué à façonner l'identité nationale émergente de l'Amérique latine dans les années à venir.

Au cours des années 1910 et 1920, d'autres changements sociaux importants ont eu lieu en Amérique latine. Une nouvelle classe moyenne est apparue : des intellectuels, des propriétaires de petites entreprises, des entrepreneurs, des enseignants et des fonctionnaires des capitales et des grandes villes. Ce groupe recherchait la stabilité et une place dans la société, mais il ne souhaitait plus être contrôlé par les élites traditionnelles ou le capital étranger. L'émergence de cette nouvelle classe moyenne a apporté de nouvelles perspectives, idées et aspirations et a contribué à façonner le paysage politique, social et culturel de la région. Ce groupe a joué un rôle important dans le développement d'un sentiment d'identité nationale et d'une société plus démocratique et inclusive.

À cette époque, le nombre d'étudiants universitaires augmente également, principalement des jeunes hommes issus de la classe moyenne supérieure. Ces étudiants ont apporté une énergie, des idées et des ambitions nouvelles aux universités et ont contribué à façonner la vie intellectuelle et culturelle de la région. L'augmentation de la population étudiante reflète également des changements sociaux et économiques plus larges, un nombre croissant de familles cherchant à offrir à leurs enfants une éducation supérieure et de meilleures opportunités pour l'avenir. La croissance de cette élite intellectuelle a contribué à créer de nouvelles voies pour l'engagement politique et culturel, et a joué un rôle important dans le façonnement de l'avenir de l'Amérique latine.

En 1918, les étudiants sont devenus une force politique en Amérique latine. Ils réclament l'autonomie des universités et sont influencés par diverses idéologies, notamment le socialisme, l'anarchisme, la révolution mexicaine et l'indigénisme. Ce réveil de l'activisme politique étudiant reflète un intérêt croissant pour le développement de leurs pays respectifs et l'éducation des classes ouvrières. Les étudiants se considèrent comme des agents du changement et cherchent à utiliser leur nouvelle voix politique pour façonner l'avenir de l'Amérique latine. Cette période a marqué le début d'une nouvelle ère d'engagement politique et intellectuel régional. Les étudiants continueront à jouer un rôle important dans l'élaboration de son avenir.

Dans les années 1920, les travailleurs de divers secteurs industriels ont commencé à s'organiser en syndicats et à s'intéresser aux idéologies socialistes, anarchistes et communistes. Cette tendance a été largement influencée par les immigrants européens qui ont apporté ces idéologies avec eux en Amérique latine. Des secteurs tels que les mines d'État, les usines, le pétrole et les fabriques de cigarettes sont particulièrement touchés par cette tendance, car les travailleurs de ces industries cherchent à améliorer leurs conditions de travail et leurs salaires par le biais d'actions collectives. Il s'agit d'un développement significatif car il marque le début du travail organisé en Amérique latine et signale une prise de conscience croissante des travailleurs de leurs droits et de l'importance de l'action collective pour atteindre leurs objectifs.

L'armée, source importante d'emplois et d'influence politique, est devenue un acteur majeur de l'évolution politique et sociale de l'Amérique latine à cette époque. Les coups d'État militaires sont de plus en plus fréquents, souvent menés par de jeunes officiers qui cherchent à moderniser leur pays, mais aussi à affirmer leur propre pouvoir. La montée des idéologies populistes, comme celles des régimes militaires du Mexique et du gouvernement populiste de Getulio Vargas au Brésil, reflète le mécontentement croissant des classes ouvrières urbaines et des populations rurales vis-à-vis des systèmes politiques et économiques existants. Ces changements allaient avoir un impact profond sur l'Amérique latine dans les années à venir, notamment les effets dévastateurs de la Grande Dépression de 1929.

En réponse à l'évolution du paysage social et économique, l'armée se positionne de plus en plus comme une force politique, s'affranchissant du contrôle des partis traditionnels et de l'Église catholique. Ce changement a marqué l'émergence de l'armée comme une alternative potentielle au statu quo en Amérique latine.

Cette évolution marque l'émergence d'une nouvelle force politique, l'armée, qui vise à se présenter comme une alternative aux partis politiques traditionnels et à l'Église catholique. Les officiers, principalement issus de la classe moyenne et des villes de province, cherchent à faire jouer à l'armée un rôle plus actif dans le développement économique du pays.

Cela entraîne une évolution vers un système politique plus démocratique et la participation à la sphère politique de groupes auparavant marginalisés, notamment les femmes et les personnes de la classe ouvrière.

L'influence des idéologies d'extrême droite s'accroît parmi les politiciens et les militaires latino-américains. Avec l'avènement des nouvelles technologies telles que le cinéma et la radio, ces politiciens peuvent désormais étendre leur portée et diffuser leur discours à un public plus large, façonnant ainsi le paysage politique de la nation.

Les populismes latino-américains

Les populismes latino-américains, caractérisés par un leader charismatique, une base de masse et un accent mis sur les besoins des gens du peuple, sont apparus dans les années 1920 et ont dominé la politique dans la région des années 1930 aux années 1950. Cette période a été marquée par de nombreux coups d'État, les dirigeants militaires cherchant à renverser les gouvernements populistes. Malgré les difficultés, les populismes latino-américains ont laissé un héritage durable, façonnant le paysage politique et social de la région.

Juan Domingo Perón, en Argentine, est souvent associé au populisme en Amérique latine. Pourtant, il est arrivé au pouvoir dans les années 1940 et a surfé sur la vague de populisme qui s'était déjà installée dans la région depuis les années 1920 et 1930.

Pendant les années 1920 et 1930 en Amérique latine, le populisme était un mouvement politique qui visait à intégrer la classe ouvrière dans la politique nationale sans changer fondamentalement l'ordre social. Il ciblait les masses urbaines, les travailleurs, la petite bourgeoisie, les rentiers, les migrants ruraux, les étudiants, les intellectuels et les soldats, et s'efforçait de répondre à leurs besoins et à leurs préoccupations par le biais d'interventions gouvernementales et de programmes sociaux. Ce type de populisme cherchait à concilier les intérêts des différents groupes sociaux tout en maintenant les structures de pouvoir existantes.

Les classes urbaines d'Amérique latine étaient considérées comme une menace pour l'ordre social existant en raison de leur potentiel de radicalisation. Pour éviter cela, le populisme visait à rejeter la lutte des classes et à promouvoir la solidarité de classe en prônant un État corporatiste. Cet État était considéré comme un moyen de gouverner hiérarchiquement la famille nationale par le biais de coalitions verticales de patronage, maintenant ainsi les structures de pouvoir existantes et évitant la révolution sociale. Le populisme visait à concilier les intérêts des différents groupes sociaux afin de préserver l'ordre social.

Rafael Molina Trujillo.

Le populisme en Amérique latine était souvent caractérisé par un leader charismatique qui avait un lien émotionnel fort avec le peuple. Ce leader était souvent considéré comme une figure macho, caractérisée par la force, l'autoritarisme et la sympathie pour les besoins du peuple. Le leader charismatique était considéré comme l'incarnation de la volonté populaire, et son attrait personnel et son lien émotionnel avec les masses étaient des éléments clés du mouvement populiste.

En Amérique latine, le leader populiste était souvent perçu comme une figure bienveillante et paternaliste qui comprenait et protégeait le peuple. En même temps, il ne tolérait pas l'opposition et pouvait être autoritaire dans son approche. Il a utilisé les médias de masse pour gagner le soutien populaire et construire sa marque personnelle, mais le mouvement lui-même n'avait pas d'idéologie complexe. Il était plutôt centré sur le nationalisme et sur une vague promesse de développement et de justice sociale. Le leader était considéré comme l'incarnation de la volonté populaire, et le lien émotionnel avec les masses était la clé du succès du mouvement.

La forte intervention de l'État dans les affaires économiques et sociales était un aspect essentiel du populisme latino-américain. Pour détourner l'attention des conflits sociaux internes, le leader populiste cherchait souvent à unifier les masses contre un ennemi étranger commun, comme l'impérialisme américain, les immigrants chinois, les immigrants afro-caribéens ou les immigrants juifs (dans le cas de l'Argentine). Cela a contribué à créer un sentiment d'unité et de solidarité nationales, mais a également servi à détourner l'attention des tensions sociales et économiques sous-jacentes au sein du pays.

Le régime de Rafael Trujillo en République dominicaine est considéré comme l'un des exemples les plus extrêmes du populisme latino-américain. Trujillo a été formé dans la garde nationale par les Marines américains et est resté au pouvoir pendant de nombreuses années, gouvernant d'une main de fer. En 1937, il a ordonné le massacre de 15 000 à 20 000 paysans haïtiens par l'armée à la frontière, qui est considéré comme l'une des pires atrocités en matière de droits de l'homme de l'histoire de l'Amérique latine. Malgré cela, Trujillo a conservé le soutien populaire de certains secteurs de la population, en partie grâce à son utilisation des médias de masse pour construire un culte de la personnalité et à ses affirmations selon lesquelles il était un dirigeant fort et bienveillant qui s'efforçait de protéger la nation des menaces étrangères.

L'impact de la Grande Dépression sur l'Amérique latine

Conséquences économiques

La grande dépression des États-Unis produit d’énormes ondes de chocs dans les nations latino-américaines et un marasme économique dont elles vont sortir qu’après la Deuxième Guerre mondiale ; plus le pays dépend d’exportations de matières premières ou agricoles vers les États-Unis plus le choque et terrible, mais ceux qui exportent aussi vers des pays européens sont aussi gravement touchés par la crise.

La chute de la consommation aux États-Unis entraine une forte diminution de la demande et les pays d’Amérique latine sont donc privés d’une grande partie de leur revenu, à cela s’ajoute la chute des prix de ces produits sur le marché mondial et en moyenne la valeur totale des exportations d’Amérique latine entre 1930 et 1934 est la moitié de ce qu’elle était entre 1925 et 1929.

Implications sociales

Les mines et les plantations licencient une bonne partie de leurs ouvriers qui vont venir gonfler la population des villes à la recherche d’un travail ; il y a la montée du chômage, la montée du sous-emploi, la dislocation des familles qui augmente dramatiquement.

Dans des pays où la population vit dans la pauvreté, la misère et la détresse sont terribles, mais quelque part elles sont moins spectaculaires et médiatisées qu’aux États-Unis. La misère était déjà là avant donc le redoublement de la misère est encaissé de façon moins dramatisée qu’aux États-Unis, mais n’en est pas moins forte.

Conséquences politiques

Le marasme économique latino-américain se reflète dans la politique ; de 1930 à 1935, la quasi-totalité des pays d’Amérique latine connaît des changements de régime plus ou moins violent.

Les États-Unis qui sont eux-mêmes enlisés dans la crise économique n’interviennent plus et en fait leur politique de bon voisinage ne va pas réussir à prévenir les coups d’État et les prises de pouvoir violentes.

Le cas de la Colombie : crise absorbée par les cultivateurs de café

Facteurs économiques

La Colombie ne voit pas de changement brutal au niveau du pouvoir, l’économie de la Colombie en 1929 dépend en grande partie de ses exportations de café dont 75 % va aux États-Unis.

Après 1929, le prix mondial du café plonge, les revenus issus du café chutent, les volumes des importations de Colombie reculent de 63 %, mais pour tous les autres indicateurs économiques la Colombie s’en tire mieux que le reste de l’Amérique latine. Le volume des exportations ne diminue que de 13 %, le PNB ne diminue que de 2,4 % ; en plus, il n’y a ni coup d’État ni de révolution seulement un transfert historique du gouvernement passant du parti conservateur au pouvoir depuis plus de 50 ans grâce à un système de politique qui marginalisait complètement le parti libéral passant aux libéraux en 1930 après la division des conservateurs et l’élection d’un président libéral.

La leçon de la Colombie est utile pour comprendre certaines réactions aujourd’hui.

Sur le plan économique, cette transition s’explique sur le mode de production du café. Depuis les années 1920, les grands propriétaires terriens qui sont aussi de grands marchands exportateurs ont vendu la plupart de leurs terres où se cultive le café à de petits paysans.

Cela permet aux ex-grands propriétaires de se concentrer dans l’achat des récoltes de café et dans l’exportation de café. Quand la crise frappe se sont principalement les petits paysans producteurs de café qui encaissent le choc de la chute des prix ; ils vendent alors le café à des prix très bas sans réduire la production, en fait ils s’auto-exploitent, ils se forcent, leurs femmes et leurs enfants à travailler tout autant afin de ne gagner presque rien.

Cela est possible, car beaucoup vivent en semi-autarcie et ont leur propre jardin potager, ils peuvent survivre sans presque rien acheter jusqu’à ce qu’ils sortent de ce moment très difficile.

Dynamiques politiques

Alfonso López Pumarejo, Président de la République de Colombie de 1934 à 1938, puis de 1942 à 1946.

Au niveau politique, le transfert du pouvoir se fait parce qu’en 1930 les conservateurs ont la mauvaise idée de se diviser entre deux candidats présidentiels ce qui permet aux libéraux de gagner avec un candidat issu de l’élite avec des vues traditionnelles.

C’est seulement en 1934 qu’il y a une nouvelle élection qui voit élu Alfonso Lopez qui lance un programme populisme qui s’appelle la « revolución en marcha » inspirée de la révolution mexicaine avec une petite réforme de la constitution, le suffrage universel pour les hommes, il lance des programmes d’éducation, de syndicalisation, il y a aussi une petite reconnaissance des communautés indiennes de la Colombie.

À partir de 1937, Lopez est attaqué par une extrême droite fascisante inspirée par le modèle du général Franco en Espagne devant renoncer à une partie de son programme de réforme et en particulier une timide réforme agraire.

Lopez réussit à intégrer une partie des classes urbaines et ouvrières derrière le libéralisme, il réussit aussi à limiter les dégâts de la grande dépression, mais les campagnes ne sont pas vraiment touchées par ces réformes ; les petits producteurs de café qui se sont auto-exploités pendant toutes ces années sont au bord de l’explosion qui se produira dans une guerre civile pendant la Deuxième Guerre mondiale qui s’appelle la « violencia » qui provoquera la mort de plus de 250 000 paysans ainsi qu’un énorme exode rural.

Le cas de Cuba : Révolution et coup d’État militaire

Cuba est une économie qui dépend du sucre depuis la fin du XVIIIème siècle d’abord cultivé par les esclaves jusqu’à l’abolition en 1886 puis par des travailleurs ruraux souvent des saisonniers de Jamaïque ou d’Haïti qui sont amenés afin de travailler dans les grandes plantations étasuniennes et sous-payés.

En 1930, la moitié des terres cultivées appartient à des citoyens étatsuniens à Cuba, ils détiennent aussi presque toutes les mines, les transports, les communications, une grande partie des banques et du commerce.

Entre 1929 et 1933, le prix du sucre chute de plus de 60 % et les exportations de sucre cubain plongent de plus de 80 %. Les grands propriétaires répondent en diminuant la production, en baissant les salaires agricoles de 75 %, en licenciant massivement et en déportant des milliers de travailleurs saisonniers de Haïti et de la Jamaïque. Des centaines de petites usines et de magasins font faillite ; en 1933 un quart de la population active est au chômage et 60 % de la population vie en dessous du minimum vital.

Au pouvoir, on trouve depuis 1924 le président Gerardo Machado, libéral nationaliste devenu dictateur.

Pendant la crise, l’opposition se radicalise contre lui à travers des grèves, des attentats, des sabotages, des mouvements communistes, socialistes et anarchistes très fort déjà dans les années 1920 à Cuba ; la répression devient de plus en plus sanguinaire.

Washington tente d’intervenir en envoyant un négociateur, mais sans solution ; en août 1933 une grève générale paralyse le pays, l’armée lâche le dictateur qui s’exile et une coalition très hétérogène prend le pouvoir, mais n’arrive pas à contrôler l’anarchie générale.

Fulgencio Batista à Washington, D.C. en 1938.

C’est une période où il y a des émeutes, des grèves, des prises de plantations sucrières par des travailleurs qui s’érigent en sorte de conglomérats bolcheviques ; peu après des soldats et des officiers d’une caserne de La Havane avec à leur tête le sergent Batista se mutinent.

De manière très inattendue, ils reçoivent l’appui des civils qui transforment leur mutinerie en un putsch militaire ; il en sort un gouvernement révolutionnaire qui va durer 100 jours gouverné par décret afin de « rendre Cuba à Cuba » et de la libérer de la tutelle des États-Unis.

C’est à ce moment-là que les femmes à Cuba acquièrent le suffrage universel, l’université leur autonomie, les travailleurs y compris les coupeurs de canne un salaire minimum et d’autres bénéfices sociaux et on lance un début de réforme agraire.

Ces réformes sont trop radicales pour la droite et l’extrême droite, trop timides pour la gauche marxiste et inacceptable pour les États-Unis de Roosevelt.

Les États-Unis n’interviennent pas militairement, mais convainquent Batista de prendre le pouvoir qu’il assume à travers des présidents civils puis directement comme dictateur jusqu’à la révolution castriste de 1959.

Le cas du Brésil : coup d’État militaire et régime fascisant

Il y a un coup d’État militaire et un régime fascisant.

Contexte économique

L’économie du Brésil est assez diversifiée, mais les exportations sont principalement du café ; contrairement à la Colombie, le café est cultivé par des travailleurs saisonniers, des immigrants européens, mais surtout des migrants brésiliens, ce sont des travailleurs soumis à de grands propriétaires terriens qui continuent à dominer sans partage sur leurs fiefs.

En 1930, c’est le gouvernement de la première république brésilienne d’ordre et de progrès, ce gouvernement ne prend pas de mesures cohérentes face à la crise provoquant un conflit autour de l’élection présidentielle, car c’est seulement une petite portion de la société qui avait le suffrage et pouvait élire le président.

Trois États sur dix-sept refusent le résultat de l’élection provoquant des soulèvements, les militaires vont renverser le gouvernement civil donnant le pourvoir à Vargas, éleveur de bétail et gouverneur de l’État de Rio Grande do Sul.

Paysage politique

On voit que tout le pouvoir au Brésil à mesure que l’histoire passe du Nord-Est sucrier à Rio de Janeiro au Sud où se concentrent les intérêts économiques le pouvoir et l’élevage de bétail comme la production de café.

Une fois au pouvoir Vargas commence par éliminer la gauche socialiste et communiste puis il se tourne vers la droite fasciste appelée alors « integraliste » et secrètement financée par l’Italie de Mussolini.

En 1937, Vargas interdit tous les partis politiques lançant un deuxième coup d’État directement appuyé par l’armée imposant l’Estado Novo aux Brésiliens ; c’est un État corporatiste inspiré de l’Italie de Mussolini et du Portugal de Salazar.

Cette dictature est caractérisée par le nationalisme, le développement de l’armée, l’intervention de l’État dans l’économie, le contrôle étatique des syndicats, la censure et la répression politique.

Cet Estado Novo dure jusqu’en 1954 traversant toute la Deuxième Guerre mondiale quand l’armée provoque un nouveau coup d’État et force Vargas à s’exiler.

Conclusion : Comprendre les Coups d'Etat et les Populismes en Amérique Latine

La crise de 1929 place toutes les sociétés américaines, c’est-à-dire des États-Unis, mais aussi d’Amérique latine, au bord du gouffre.

Elle montre les faiblesses du libéralisme économique, un libéralisme relatif puisque c’est un libéralisme dans lequel au fond l’État aide les hacendados, les industriels, les corporations, les banques et en même temps réprime les travailleurs.

Cette crise révèle les profondes inégalités de toutes ces sociétés et toutes ont besoin d’un leader charismatique qui uni et qui rassure la population ; toutes aussi on recourt au nationalisme y compris les États-Unis sous Roosevelt.

Le populisme permet aux classes dirigeantes d’éviter ou de supprimer les révolutions comme à Cuba en 1933, mais ils doivent souvent mettre en place une législation sociale afin de protéger les travailleurs et les plus démunis.

Partout, les grands perdants sont dans les campagnes les petits paysans et dans les villes les grands perdants sont les partis et les syndicats socialistes et communistes qui sont réprimés ou intégrés dans un grand parti national avec certaines bienveillances sociales.

Les tensions sociales sont étouffées, mais n’ont pas disparu et elles éclateront de nouveau après la Deuxième Guerre mondiale.

Annexes

Références