La pensée sociale d'Émile Durkheim et Pierre Bourdieu

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Les sciences politiques sont un domaine de recherche en constante évolution, avec des théories et des approches variées proposées par des penseurs majeurs tels que Durkheim et Bourdieu. Dans cet article, nous allons examiner les approches en sciences politiques de ces deux figures majeures de la sociologie et leur impact sur notre compréhension de la politique en tant que phénomène social complexe et dynamique. Nous commencerons par une analyse de l'approche holistique de Durkheim, qui met l'accent sur l'importance des institutions et des normes sociales dans la vie politique, avant d'examiner la critique plus radicale de Bourdieu, qui souligne l'influence du capital social et culturel sur la politique.

Durkheim, considéré comme le père fondateur de la sociologie, a proposé une approche holistique de la politique qui mettait l'accent sur l'importance des institutions et des normes sociales dans la vie politique. Selon Durkheim, la politique est un mécanisme qui permet de maintenir la cohésion sociale en garantissant l'harmonie entre les individus et les groupes sociaux. Il considérait la division du travail politique comme une manifestation de la division du travail social et voyait dans l'État un symbole de la solidarité organique. Pierre Bourdieu, quant à lui, a proposé une approche plus critique de la politique, dans laquelle il a mis l'accent sur l'influence du capital social et culturel sur la vie politique. Selon Bourdieu, la politique est une lutte pour le pouvoir qui se déroule dans un champ politique marqué par des inégalités sociales et culturelles. Il considérait que les acteurs politiques, tels que les partis politiques et les électeurs, sont soumis à des règles et des pratiques.

La vie d’Émile Durkheim : 1858 - 1917[modifier | modifier le wikicode]

Émile Durkheim (1858-1917) est l'un des fondateurs de la sociologie moderne. Né à Épinal en Lorraine, en France, sa vie et son travail ont été influencés par le contexte historique complexe dans lequel il a grandi et travaillé. Durkheim a étudié à l'École Normale Supérieure de Paris et est devenu professeur, enseignant la sociologie et la pédagogie. Il a cherché à établir la sociologie comme une science distincte, avec ses propres méthodes d'étude et de recherche. Sa perspective était que les sociétés étaient plus que la somme de leurs individus, mais des entités complexes avec leurs propres caractéristiques et lois. Durkheim a vécu pendant une période de bouleversements sociaux et politiques en France. La Commune de Paris, qui s'est déroulée en 1871, était une révolte contre le gouvernement français qui a été violemment réprimée. Cette époque, avec ses tensions sociales et ses conflits, a sans doute contribué à façonner la vision de Durkheim sur la société et l'importance de la solidarité sociale. Durkheim est surtout connu pour ses travaux sur l'anomie, le suicide, la division du travail social, la religion et la solidarité sociale. Il a soutenu que les sociétés modernes étaient caractérisées par une solidarité organique, basée sur la dépendance mutuelle des individus en raison de la spécialisation du travail. Cela contrastait avec la solidarité mécanique des sociétés plus traditionnelles, basée sur la similitude des individus.

Les premières questions qu’il se pose est quels facteurs ont conduit une partie de la société à prendre les armes contre les plus démunis et qu'est-ce qui entraîne la dissolution apparente de la société ? Cette question reflète les préoccupations de Durkheim concernant la cohésion sociale et l'ordre moral. Il était profondément préoccupé par les conditions qui pourraient mener à la décomposition sociale, ou à ce qu'il appelait l'anomie - un état de manque de normes ou de règles, de désorientation et d'insécurité.

En ce qui concerne la question de pourquoi une partie de la société accepterait de s'armer pour attaquer les plus pauvres, Durkheim aurait probablement souligné les divisions sociales et économiques, ainsi que l'absence de solidarité sociale. Il voyait la solidarité comme le ciment qui unit une société, et lorsque cette solidarité est affaiblie, il peut y avoir des conflits et de la violence. Pour Durkheim, la cohésion sociale est basée sur deux types de solidarité : la solidarité mécanique, qui est basée sur la similitude et est typique des sociétés traditionnelles ou primitives, et la solidarité organique, qui est basée sur la différence et la dépendance mutuelle, typique des sociétés modernes, industrialisées. La transition de la solidarité mécanique à la solidarité organique peut être tumultueuse et peut conduire à des conflits sociaux. Quant à la question de savoir ce qui fait qu'il n'y a plus de société, Durkheim voyait la société comme plus qu'une simple collection d'individus. Pour lui, une société est un système complexe de relations sociales, de normes, de valeurs et de croyances. Si ces liens sociaux sont affaiblis, par exemple par des inégalités économiques extrêmes, des conflits politiques ou des changements sociaux rapides, alors la société elle-même peut sembler se désintégrer. C'est ce qu'il appelait l'anomie.

Durkheim a vécu et travaillé à une époque où les idéaux de la République, comme la liberté, l'égalité et la fraternité, étaient importants dans la pensée politique et sociale française. C'était aussi une période où le socialisme commençait à gagner en influence en tant qu'idéologie politique et économique. Durkheim lui-même n'était pas socialiste, mais il a reconnu l'importance des questions sociales et économiques dans la formation de la société. Il a cherché à comprendre comment les sociétés pouvaient maintenir leur cohésion malgré les divisions économiques et sociales, et a souligné l'importance de la solidarité sociale pour maintenir l'ordre et la stabilité. Dans ce contexte, Durkheim a développé sa théorie de la solidarité mécanique et organique. Il a soutenu que, dans les sociétés modernes, la cohésion sociale dépend moins de la similitude des individus (comme c'est le cas dans la solidarité mécanique) que de leur interdépendance économique et sociale (comme c'est le cas dans la solidarité organique). Durkheim a mis l'accent sur l'importance des institutions sociales, comme l'éducation, pour promouvoir la solidarité et prévenir l'anomie. Il a vu dans l'éducation un moyen de transmettre les valeurs et les normes sociales qui unissent une société.

Pour Durkheim, le lien social ou la solidarité est le ciment qui maintient une société unie. Il a cherché à comprendre comment ces liens sont créés et maintenus, et comment ils peuvent être rompus, conduisant à des problèmes sociaux tels que l'anomie. Durkheim a défini deux types de solidarité : mécanique et organique. La solidarité mécanique est typique des sociétés traditionnelles ou primitives, où les individus se ressemblent beaucoup dans leurs valeurs, leurs croyances et leur mode de vie. En revanche, la solidarité organique est typique des sociétés modernes, où les individus sont fortement différenciés par leur travail et leurs rôles sociaux, mais sont reliés par leur dépendance mutuelle. Pour Durkheim, l'étude scientifique des faits sociaux était essentielle pour comprendre la société. Les faits sociaux, selon lui, sont des phénomènes qui ont une existence indépendante des individus particuliers. Ils sont "extérieurs" à l'individu et "coercitifs", c'est-à-dire qu'ils exercent une contrainte sur l'individu. Cela inclut des choses comme les normes et les valeurs sociales, les institutions sociales, les lois, les coutumes, etc. En comprenant comment ces faits sociaux fonctionnent, Durkheim croyait que nous pouvions mieux comprendre comment la société est maintenue ensemble, comment les conflits sociaux peuvent être résolus, et comment prévenir des problèmes tels que l'anomie. Dans ce sens, Durkheim voyait la sociologie non seulement comme une science, mais aussi comme un outil pour l'amélioration de la société.

Les questions posées par Durkheim restent pertinentes aujourd'hui. La question de la solidarité, ou de ce qui unit une société, est toujours au cœur des débats sociologiques. Nous vivons dans un monde de plus en plus interconnecté, où les changements économiques, politiques et technologiques remodèlent constamment nos sociétés. Comprendre comment ces changements affectent notre cohésion sociale est une question fondamentale. Durkheim a vécu à une époque de changements sociaux rapides, avec la transition d'une société principalement rurale à une société principalement urbaine et industrielle. Il a vu ces changements comme une transition de la solidarité mécanique à la solidarité organique. Les "faits sociaux", selon Durkheim, sont des phénomènes qui ont une existence indépendante des individus. Il a soutenu que ces faits sociaux peuvent être étudiés scientifiquement, tout comme les phénomènes naturels en physique ou en biologie. Cela inclut non seulement des institutions sociales évidentes comme la famille ou l'éducation, mais aussi des phénomènes plus abstraits comme les normes sociales, les valeurs, les croyances collectives, etc. Ainsi, pour interpréter un événement (comme un conflit social, un changement politique, ou même un phénomène individuel comme le suicide), Durkheim dirait que nous devons le comprendre en termes de faits sociaux. Par exemple, dans son étude du suicide, il a cherché à comprendre comment les facteurs sociaux (comme le degré de cohésion sociale, les normes religieuses, etc.) influencent les taux de suicide.

Ces travaux permettent de comprendre le monde d’aujourd’hui. Chacune de ces œuvres a contribué à établir la sociologie comme une discipline scientifique distincte et à définir son objet d'étude : les faits sociaux.

  1. "De la division du travail social" (1893) : Dans ce travail, Durkheim examine comment la division du travail, ou la spécialisation des rôles dans la société, a changé les relations sociales. Il soutient que la division du travail a conduit à une nouvelle forme de solidarité, qu'il appelle la solidarité organique, basée sur la dépendance mutuelle plutôt que sur la similitude.
  2. "Les règles de la méthode sociologique" (1895) : Ce travail est essentiellement une déclaration de la méthode scientifique de Durkheim pour l'étude des faits sociaux. Il y définit les faits sociaux comme des phénomènes extérieurs et coercitifs qui peuvent être étudiés objectivement, indépendamment des préférences ou des croyances individuelles.
  3. "Le suicide" (1897) : Dans cette œuvre, Durkheim applique sa méthode à l'étude d'un phénomène particulier : le suicide. Il démontre que le suicide, bien que souvent considéré comme un acte profondément personnel, peut être compris comme un fait social qui est influencé par des facteurs sociaux tels que la religion, le mariage, et l'intégration sociale. Il divise le suicide en trois types principaux : le suicide égoïste, le suicide altruiste, et le suicide anomique.

Ces travaux ont posé les fondements de la sociologie en tant que discipline académique et continuent d'influencer la façon dont nous comprenons la société aujourd'hui. Ils illustrent l'approche de Durkheim, qui considérait que la sociologie devrait se concentrer sur les structures sociales et les forces sociales plutôt que sur les actions individuelles.

Durkheim n'était pas "penseur" dans le sens où il ne se contentait pas de réfléchir de manière abstraite sur des idées, mais il était un observateur attentif de la société qui s'efforçait de comprendre les forces et les structures qui la façonnent. Il considérait la sociologie comme une science empirique qui devrait être basée sur l'observation systématique et l'analyse des faits sociaux. Il a cherché à identifier les structures et les forces sociales qui sous-tendent les phénomènes observables, comme la division du travail, le suicide ou la religion. Durkheim se concentrait sur les contradictions et les tensions dans la société, comme le conflit entre l'individu et la collectivité, ou entre la tradition et le modernisme. Il voyait ces contradictions comme des forces motrices du changement social. Ainsi, alors que Durkheim était certainement un penseur - ses idées ont profondément influencé la sociologie et d'autres disciplines - il était aussi un observateur et un analyste de la société. Son objectif était de comprendre la société de manière empirique et scientifique, en se basant sur des faits observables plutôt que sur des spéculations théoriques.

L'Affaire Dreyfus a eu un impact significatif sur Durkheim et son travail. L'injustice apparente de la situation - un officier de l'armée française, Alfred Dreyfus, qui a été faussement accusé d'espionnage, largement en raison de son appartenance ethnique et religieuse - a mis en évidence pour Durkheim les dangers de l'irrationalité et de l'intolérance dans la société. Cela l'a amené à réfléchir davantage à la question de la morale et de l'éthique dans les relations sociales. Pour Durkheim, la société n'est pas seulement un ensemble d'individus ; elle est un système moral et éthique. L'Affaire Dreyfus a mis en évidence pour lui la nécessité d'un système de justice équitable et impartial qui respecte les droits de l'individu. Durkheim a également été fortement influencé par la laïcité, une idée clé de la République française qui sépare l'Église et l'État. Bien qu'il ait reconnu le rôle important que joue la religion dans la création de la solidarité et du sentiment de communauté, il a soutenu que la laïcité était nécessaire pour préserver la liberté individuelle et éviter les conflits religieux. En ce qui concerne le socialisme, Durkheim voyait la solidarité comme un élément clé de cette philosophie. Pour lui, le socialisme n'était pas seulement une question d'égalité économique, mais aussi de solidarité sociale - la reconnaissance que tous les membres de la société sont interconnectés et dépendants les uns des autres. Il croyait que lorsque les individus prenaient conscience de cette interconnexion, ils agiraient de manière plus solidaire et altruiste. Bien que Durkheim ait soutenu l'importance de la solidarité et de la justice sociale, il n'était pas lui-même un militant ou un révolutionnaire. Sa principale contribution a été de fournir une analyse sociologique de ces questions, en aidant à comprendre comment la solidarité est créée et maintenue dans une société complexe et diverse.

Émile Durkheim est devenu professeur de sociologie à l'Université de Bordeaux en 1887, ce qui en fait l'un des premiers professeurs de sociologie en France. Durkheim a travaillé sur des questions de morale et d'éthique, et il a été profondément affecté par les événements de la Première Guerre mondiale. Son fils André a été tué au combat en 1916, ce qui a été un coup dévastateur pour Durkheim. Cet événement tragique a eu un impact significatif sur lui et a probablement influencé son travail sur les questions de guerre, de conflit et de cohésion sociale. Durkheim est décédé en 1917, apparemment d'épuisement et de chagrin suite à la mort de son fils. Son travail a continué à avoir une influence majeure sur la sociologie et d'autres disciplines des sciences sociales bien après sa mort, et il est toujours largement lu et cité aujourd'hui.

Le fait social[modifier | modifier le wikicode]

Dans "Les Règles de la méthode sociologique", Durkheim définit les faits sociaux comme des manières d'agir, de penser et de sentir qui sont extérieures à l'individu et qui sont dotées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. Il est essentiel pour Durkheim que les faits sociaux soient considérés comme des choses, c'est-à-dire comme des entités objectives qui peuvent être étudiées indépendamment des perceptions et des évaluations individuelles. Pour lui, les faits sociaux ont une réalité qui leur est propre, distincte de celle des individus qui composent la société. Ils sont "généraux" en ce sens qu'ils ne se limitent pas à des actions individuelles, mais représentent des modèles de comportement qui sont communs à un groupe, à une société ou à une culture. Les faits sociaux ont une existence propre, indépendante de leurs manifestations individuelles. Ils peuvent se manifester sous forme de lois, de coutumes, de croyances, de modes, de valeurs, etc., qui influencent et contraignent le comportement des individus. Le fait que ces phénomènes soient suffisamment fréquents et étendus pour être qualifiés de "collectifs" est un autre aspect important de la définition de Durkheim. Ces idées ont joué un rôle fondamental dans l'établissement de la sociologie en tant que discipline scientifique distincte de la psychologie ou de la philosophie. En se concentrant sur les faits sociaux, Durkheim a permis à la sociologie de se concentrer sur les structures et les processus sociaux qui façonnent le comportement humain.

Les modalités d'agir peuvent être conditionnées à la fois par des facteurs individuels et collectifs. Durkheim reconnaissait que les individus ont leurs propres perceptions, expériences et caractéristiques individuelles qui influencent leur comportement. Cependant, il soutenait également que les actions individuelles sont façonnées et guidées par des déterminants collectifs, c'est-à-dire des normes, des valeurs, des coutumes et des attentes partagées au sein d'une société donnée. Durkheim mettait l'accent sur le fait que les individus sont socialement intégrés et qu'ils agissent en fonction des normes et des attentes de leur groupe social. Ces normes et attentes fournissent des modèles de comportement ou des "réactions types" qui sont communément acceptés et observés dans une société donnée. Ces réactions types peuvent inclure des comportements, des attitudes, des valeurs, des croyances ou des manières de penser qui sont partagés par de nombreux membres de la société. Ainsi, les modalités d'agir sont influencées à la fois par des facteurs individuels, tels que les expériences et les perceptions subjectives, et par des déterminants collectifs, tels que les normes sociales et les attentes partagées. Durkheim considérait que l'analyse des faits sociaux devait prendre en compte cette interaction complexe entre l'individuel et le collectif, afin de comprendre pleinement les comportements et les actions dans une société donnée.

Selon Durkheim, le fait social répond à quatre critères :

  • L'extériorité : selon Durkheim, les faits sociaux sont extérieurs aux individus. Ils sont le produit de la société dans son ensemble, et non pas des actions ou des décisions individuelles. Ils existent indépendamment de tout individu particulier et perdurent même après la mort de l'individu. De plus, les faits sociaux ont une force contraignante sur les individus. Ils dictent la manière dont les individus doivent se comporter dans différentes situations et contextes sociaux. Si un individu ne se conforme pas à ces normes et règles sociales, il peut être sanctionné par la société. En outre, les faits sociaux ont une certaine permanence dans le temps. Ils sont plus durables que la vie d'un individu. Ils peuvent changer et évoluer avec le temps, mais ils ne disparaissent pas facilement. Cette permanence donne une certaine stabilité et prévisibilité à la vie sociale. Enfin, l'extériorité des faits sociaux signifie qu'ils sont indépendants de la volonté et du contrôle des individus. Les individus ne peuvent pas simplement décider de changer un fait social à leur guise. Ils doivent se conformer à ces faits sociaux, qu'ils le veuillent ou non.
  • La contrainte : la contrainte est une caractéristique essentielle des faits sociaux. Elle s'exerce sur les individus de diverses manières et à différents niveaux, y compris par le biais de normes sociales, de lois, de règles, d'attentes, de rituels, de traditions et de coutumes. La contrainte, dans le contexte de la théorie de Durkheim, n'est pas nécessairement négative ou oppressive. C'est un moyen par lequel la société assure sa cohérence et son ordre. Elle facilite la coordination et la coopération entre les individus et aide à maintenir la stabilité sociale. Par exemple, les normes sociales contraignent les individus à se comporter d'une certaine manière dans certaines situations. Si un individu enfreint ces normes, il peut être sanctionné par la société, soit par des sanctions formelles (par exemple, des sanctions juridiques), soit par des sanctions informelles (par exemple, la désapprobation sociale). La contrainte peut également prendre la forme d'influences plus subtiles, comme la pression à se conformer aux attentes sociales ou à suivre certaines traditions ou coutumes. Par exemple, l'attente sociale que les individus se marient et aient des enfants peut être vue comme une forme de contrainte. La contrainte est une force qui façonne le comportement des individus et assure la cohésion sociale. Elle est omniprésente dans la société et influence tous les aspects de la vie sociale.
  • La généralité : Durkheim a souligné la généralité comme l'une des caractéristiques clés d'un fait social. Pour qu'un phénomène soit considéré comme un fait social, il doit être répandu dans une société à un moment donné. Cela signifie que les faits sociaux ne sont pas des événements isolés ou des comportements individuels, mais des modèles de comportement qui sont largement partagés par les membres d'une société. Par exemple, les coutumes, les traditions, les lois, les normes sociales, les institutions, les modes de pensée, etc., sont tous des exemples de faits sociaux car ils sont communs à la plupart des membres d'une société. La généralité ne signifie pas que chaque individu dans une société se conforme nécessairement au fait social, mais plutôt que le fait social est généralement accepté et pratiqué par la majorité. Par exemple, bien que tout le monde n'adhère pas nécessairement aux mêmes croyances religieuses dans une société, la religion elle-même est un fait social car elle est une institution largement acceptée et pratiquée dans la société. En outre, la généralité d'un fait social peut varier selon les sociétés et les époques. Par exemple, ce qui est considéré comme une norme sociale acceptable peut varier d'une société à l'autre et d'une époque à l'autre. Cela montre que les faits sociaux sont dynamiques et évoluent avec le temps et le contexte social.
  • Le critère historique : Le critère historique est un autre élément essentiel dans la définition des faits sociaux selon Durkheim. Pour qu'un phénomène soit considéré comme un fait social, il doit non seulement être généralisé, mais il doit aussi avoir une certaine durée dans le temps. Un nouveau phénomène ou une nouvelle tendance ne devient un fait social que lorsqu'il a eu le temps de se diffuser largement au sein de la société et d'être intégré dans ses structures et ses pratiques. Autrement dit, un fait social doit être enraciné dans l'histoire de la société. L'importance du critère historique est liée à la notion de stabilité des faits sociaux. Même s'ils peuvent changer et évoluer avec le temps, les faits sociaux ont généralement une certaine permanence et résistent aux changements rapides. Un exemple de l'application du critère historique dans l'analyse des faits sociaux pourrait être l'évolution de l'usage de la technologie numérique et d'Internet. Au début, Internet et les ordinateurs étaient principalement utilisés par des chercheurs en informatique et des professionnels de la technologie. Cependant, avec le temps, leur utilisation s'est généralisée à toutes les strates de la société. Aujourd'hui, l'utilisation d'Internet et des technologies numériques est un fait social en soi - elle transcende les individus et les groupes, et elle a une force coercitive, obligeant les individus à l'utiliser pour la communication, le travail, l'éducation, etc. C'est également un exemple de la manière dont les faits sociaux peuvent évoluer et changer avec le temps. À mesure que les technologies numériques se développent et se diffusent, les normes et les comportements associés à leur utilisation changent également. Par exemple, il y a quelques décennies, il était courant d'envoyer des lettres par la poste. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins courant, remplacé par des communications électroniques comme les courriels et les messages instantanés. Ainsi, l'utilisation généralisée d'Internet et de la technologie numérique est un exemple d'un fait social qui a émergé et s'est développé au fil du temps. Un nouveau phénomène ou une nouvelle tendance ne devient un fait social que lorsqu'il a eu le temps de se diffuser largement au sein de la société et d'être intégré dans ses structures et ses pratiques. Autrement dit, un fait social doit être enraciné dans l'histoire de la société. L'importance du critère historique est liée à la notion de stabilité des faits sociaux. Même s'ils peuvent changer et évoluer avec le temps, les faits sociaux ont généralement une certaine permanence et résistent aux changements rapides.

Durkheim a soutenu que pour étudier les faits sociaux de manière scientifique, ils devaient être traités comme des "choses" (ou "objets"). Par cela, il ne voulait pas dire qu'ils étaient matériels ou tangibles au même sens que les objets physiques, mais plutôt qu'ils devaient être considérés comme des entités indépendantes de nos perceptions individuelles ou de nos jugements de valeur. Selon Durkheim, les faits sociaux ont une réalité qui existe indépendamment de l'individu. Ils sont extérieurs à l'individu et ils le contraignent. Ils ont des caractéristiques qui peuvent être observées, décrites et analysées. Ils ne sont pas simplement des idées ou des perceptions dans nos esprits, mais des aspects concrets de la réalité sociale qui ont une influence réelle sur notre comportement. Ainsi, pour étudier les faits sociaux, nous devons adopter une approche objective et scientifique. Nous devons les observer et les analyser de manière impartiale, sans laisser nos préjugés personnels ou nos opinions influencer notre compréhension. Nous devons les mesurer et les quantifier autant que possible, utiliser des méthodes rigoureuses pour tester nos hypothèses et nos théories, et toujours être prêts à réviser nos idées à la lumière de nouvelles preuves. Cela signifie également que nous devons nous efforcer de comprendre les faits sociaux de manière systématique et globale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents et en cherchant à découvrir les lois sous-jacentes qui les régissent. Nous ne devons pas nous contenter d'expliquer les faits sociaux en termes de motivations ou de intentions individuelles, mais nous devons chercher à comprendre comment ils sont produits et maintenus par les structures et les processus sociaux plus larges.

Selon Durkheim, ce qui "fait société" est une combinaison de faits sociaux qui se manifestent à travers les institutions, les normes, les valeurs, les règles, les pratiques, les croyances et les comportements qui sont partagés par les membres d'une communauté. Ce sont ces faits sociaux qui créent la structure et l'ordre de la société, et qui régissent les interactions entre les individus. Les représentations collectives, une notion importante dans la théorie de Durkheim, jouent un rôle central dans la formation de la société. Les représentations collectives sont des idées, des croyances ou des valeurs partagées par les membres d'une société. Elles sont le produit de l'interaction sociale et contribuent à former la conscience collective, c'est-à-dire le cadre de pensée et de compréhension commun qui unit les membres d'une société. Elles fournissent une base commune pour la communication et l'interaction, et créent un sentiment d'appartenance et d'identité collective. Par exemple, dans une société donnée, il peut y avoir une représentation collective que l'éducation est importante. Cette représentation collective peut se manifester à travers des institutions sociales comme le système éducatif, les normes sociales comme l'attente que les enfants iront à l'école, et les comportements individuels comme l'étude et l'apprentissage. Ainsi, pour Durkheim, ce qui "fait société" est l'ensemble des faits sociaux, y compris les représentations collectives, qui fournissent une structure et un ordre à la vie sociale, et qui unissent les individus en une communauté cohérente et fonctionnelle.

Durkheim a établi une distinction importante entre les représentations individuelles et les représentations collectives. Les représentations individuelles, aussi appelées "prénotions", sont les idées, les croyances et les perceptions qu'un individu a en fonction de son expérience personnelle et de son interprétation subjective de son environnement. Elles sont uniques à chaque individu et sont en constante évolution. Les représentations collectives, en revanche, sont des idées, des croyances et des valeurs partagées par les membres d'une société. Elles sont le produit de l'interaction sociale et sont intégrées dans les institutions, les normes et les pratiques de la société. Elles sont relativement stables et durables, et transcendent les individus. Les représentations collectives jouent un rôle central dans la formation et le maintien de la société. Elles fournissent un cadre de pensée et de compréhension commun qui unit les membres d'une société et guide leurs interactions. Elles sont également un élément clé des faits sociaux, qui sont les phénomènes qui résultent de l'activité collective et qui exercent une contrainte sur les individus. Cependant, Durkheim a insisté sur le fait que pour étudier les faits sociaux de manière scientifique, il faut aller au-delà des représentations individuelles et se concentrer sur les représentations collectives. Les représentations individuelles sont trop variables et subjectives pour fournir une base pour l'analyse sociologique. Les représentations collectives, en revanche, peuvent être observées, mesurées et analysées, et peuvent nous aider à comprendre les structures et les processus sociaux.

L'idée que le crime a une fonction dans la société peut sembler contre-intuitive, mais elle est centrale dans la théorie de Durkheim. Pour Durkheim, le crime est un fait social et, comme tous les faits sociaux, il a une fonction dans la société. Voici comment il voit cela:

  1. Normalité du crime: Durkheim soutenait que le crime est un phénomène normal parce qu'il existe dans toutes les sociétés. Son existence universelle suggère qu'il répond à certaines fonctions sociales ou qu'il est une conséquence inévitable de la vie sociale.
  2. Fonction de renforcement des normes et des valeurs: Le crime joue un rôle important dans le renforcement des normes et des valeurs sociales. Lorsqu'un crime est commis, la société réagit souvent par l'indignation et le châtiment, ce qui renforce l'adhésion à la norme violée et rappelle à tous les membres de la société l'importance de respecter les normes.
  3. Fonction de changement social: Le crime peut également jouer un rôle dans le changement social. Dans certaines circonstances, les actes criminels peuvent mettre en évidence l'injustice ou l'inadéquation des normes existantes et peuvent conduire à des changements dans ces normes.
  4. Fonction de cohésion sociale: Enfin, le crime peut favoriser la cohésion sociale en créant un sentiment d'unité parmi les membres de la société contre le criminel.

Durkheim ne justifie pas ou ne glorifie pas le crime. Au contraire, il cherche à comprendre son rôle sociologique. Selon lui, une société sans crime est impossible car il y aura toujours des individus qui dévient des normes sociales. De plus, une société sans déviance serait stérile et incapable de changer et d'évoluer.

Les formes de la solidarité sociale[modifier | modifier le wikicode]

Ce qui est fondamental est de travailler sur l’organisation de la collectivité. Qu’est-ce qui se joue dans nos sociétés modernes ? Dans les sociétés modernes, il y a une division du travail plus marquée, avec une spécialisation et une différenciation accrues des rôles et des tâches. Cela conduit à une plus grande indépendance individuelle dans le sens où chaque personne a son propre rôle spécifique et distinct. Cette indépendance se traduit également par une plus grande liberté individuelle et une plus grande variété de façons de vivre sa vie. Cependant, en même temps, cette spécialisation signifie que les individus dépendent plus fortement les uns des autres. Par exemple, un individu peut être un excellent médecin, mais il dépend d'autres personnes pour produire sa nourriture, construire sa maison, gérer les infrastructures de sa ville, et ainsi de suite. En d'autres termes, bien que chaque individu puisse avoir un rôle plus indépendant, la société dans son ensemble fonctionne grâce à une forte interdépendance entre ses membres. C'est ce paradoxe qui est au cœur de la solidarité organique : alors que chaque individu devient plus distinct et indépendant, la société dans son ensemble devient plus intégrée et interconnectée.

Durkheim a développé le concept d'anomie pour décrire une condition sociale où il y a un effondrement ou une diminution des normes et des valeurs qui régissent le comportement des individus dans une société. L'anomie survient souvent pendant des périodes de changement social rapide ou de crise, lorsque les anciennes normes sont perturbées et que de nouvelles normes n'ont pas encore été établies. Cela peut entraîner une confusion, un sentiment d'insécurité et une augmentation de comportements tels que la criminalité et le suicide. L'anomie peut être vue comme un symptôme de la transition entre la solidarité mécanique et la solidarité organique dans une société. Lorsque la solidarité mécanique, basée sur la similitude et la conformité à un ensemble commun de normes et de valeurs, commence à s'effriter, les individus peuvent se sentir perdus et désorientés. La solidarité organique, basée sur l'interdépendance et la spécialisation des rôles, n'est pas encore pleinement établie, laissant un vide normatif. Cela peut être particulièrement le cas dans les sociétés modernes, où les changements sociaux sont souvent rapides et perturbateurs. Par exemple, la montée de l'industrialisation et du capitalisme au 19ème et 20ème siècles a créé des conditions d'anomie alors que les sociétés luttent pour adapter leurs normes et leurs valeurs à ces nouveaux systèmes économiques. L'anomie est donc un concept clé pour comprendre comment les sociétés gèrent le changement et la transition, et comment elles peuvent échouer à le faire. C'est une indication de la tension entre l'individu et la société, et de la nécessité d'un équilibre entre la liberté individuelle et la cohésion sociale.

La distinction entre solidarité mécanique et solidarité organique est centrale dans le travail d'Émile Durkheim. Ces deux formes de solidarité reflètent des types de sociétés différents, avec des structures sociales, des normes et des valeurs distinctes.

La solidarité mécanique caractérise généralement les sociétés traditionnelles ou prémodernes, comme les sociétés agricoles ou tribales, où il y a une grande similarité entre les individus en termes de valeurs, de croyances et de styles de vie. Dans ces sociétés, la cohésion sociale est maintenue par le partage d'une conscience collective - un ensemble commun de croyances et de valeurs morales qui sont profondément intériorisées par chaque individu.

À l'opposé, la solidarité organique est typique des sociétés modernes ou postmodernes, qui sont caractérisées par une grande diversité et une spécialisation des rôles. Dans ces sociétés, la cohésion sociale repose sur l'interdépendance économique et sociale des individus. Les individus sont liés les uns aux autres non pas par des similitudes, mais par des différences - ils dépendent les uns des autres pour des services et des compétences spécialisés qu'ils ne peuvent pas fournir eux-mêmes.

Ainsi, la transition d'une solidarité mécanique à une solidarité organique représente le passage d'une société traditionnelle à une société moderne. C'est un processus qui peut être perturbateur et conflictuel, car il implique un changement radical dans la structure sociale et dans la manière dont les individus se perçoivent eux-mêmes et leurs relations avec les autres. Cependant, selon Durkheim, ce processus est également nécessaire pour l'adaptation et la survie des sociétés dans un monde en constante évolution.

La place du fait religieux[modifier | modifier le wikicode]

Pour Émile Durkheim, la religion joue un rôle fondamental dans la société. Il a étudié la religion comme un phénomène social dans son livre "Les formes élémentaires de la vie religieuse" publié en 1912. Pour lui, la religion est un fait social en ce qu'elle est pratiquée par un groupe de personnes et exerce une contrainte sur l'individu. Durkheim a soutenu que la religion était essentielle pour fournir une cohésion sociale, une solidarité et une harmonie dans la société en créant un ensemble commun de croyances et de pratiques. La religion contribue à la formation de la conscience collective, qui est une force unificatrice au sein de la société. Durkheim a également suggéré que la religion fonctionne comme une source de signification et d'orientation pour les individus, en fournissant une structure pour comprendre le monde et leur place en son sein. Concernant la sécularisation, Durkheim a vécu à une époque où la société occidentale connaissait une baisse de l'influence de la religion sur la vie publique, un processus souvent appelé sécularisation. Toutefois, même si la religion perd de son influence institutionnelle, Durkheim reconnaît que les êtres humains ont toujours besoin de rituels et de croyances pour donner un sens à leur vie. Par conséquent, même dans une société sécularisée, les fonctions sociologiques de la religion (cohésion sociale, signification, orientation) peuvent être remplies par d'autres formes de croyances et de pratiques, telles que les idéologies politiques, le nationalisme, l'humanitarisme, la science, etc.

Dans la perspective de Durkheim, la religion joue un rôle crucial dans le façonnement des valeurs morales d'une société et dans le maintien de la cohésion sociale. Pour Durkheim, la religion est un système de croyances et de pratiques qui unissent les individus en une seule communauté morale, ce qu'il appelait une Église. La religion crée un ensemble commun de normes et de valeurs qui guident le comportement des individus et aident à réguler la vie sociale. Ces normes et valeurs partagées deviennent une partie de la conscience collective, un ensemble d'idées et de sentiments communs à tous les membres d'une société qui agissent comme une force unificatrice. La religion fournit également un cadre pour les rituels et les cérémonies qui renforcent le sentiment de communauté et d'appartenance. Ces rituels religieux réunissent les individus, leur permettant d'exprimer collectivement leurs croyances et leurs sentiments, et de renforcer leur solidarité et leur cohésion.

Durkheim a souligné l'importance persistante du religieux dans la société, même dans des contextes apparemment sécularisés. Il a fait valoir que bien que les institutions religieuses traditionnelles puissent perdre de leur importance ou de leur influence, les aspects fondamentaux du religieux continuent à structurer nos sociétés. En d'autres termes, même si les formes explicites de religion peuvent décliner dans certaines sociétés, les principes et les valeurs qui étaient autrefois encapsulés dans les croyances religieuses peuvent continuer à influencer la culture, les normes et les comportements sociaux. Ces principes et valeurs peuvent être incorporés dans d'autres institutions sociales, comme le droit, l'éducation, la politique, ou même dans les normes et les valeurs de la société en général. De plus, le concept de "sacré" de Durkheim ne se limite pas à la religion au sens traditionnel du terme. Pour Durkheim, le sacré se réfère à tout ce qui est mis à part, vénéré ou considéré comme inviolable dans une société. Cela peut inclure des symboles, des idées ou des valeurs qui sont considérés comme essentiels à l'identité collective d'une société. Ainsi, même en l'absence de religion traditionnelle, il peut y avoir d'autres formes de sacré dans une société.

En ce qui concerne le "crime religieux", Durkheim le voyait comme une violation du sacré, une transgression des normes et des valeurs considérées comme essentielles à l'ordre moral d'une société. Cela peut inclure non seulement les crimes contre la religion, mais aussi toute action qui viole les principes moraux fondamentaux d'une société. Selon Durkheim, le traitement des crimes dans une société - leur détection, leur condamnation et leur punition - est un moyen important par lequel une société réaffirme ses normes morales et renforce la cohésion sociale.

La « criminalité religieuse » est le crime contre les choses collectives (l’autorité publique, les mœurs, les traditions, la religion). Le crime religieux est la première forme de crime dans une société en développement. Pour Durkheim, la "criminalité religieuse" peut être considérée comme une atteinte au sacré, une violation des normes collectives partagées par la société, qu'il s'agisse de l'autorité publique, des mœurs, des traditions ou de la religion elle-même. Dans une société traditionnelle ou en développement, les normes et les valeurs sont souvent solidement ancrées dans la religion, et donc, toute transgression de ces normes est considérée comme un crime religieux. C'est-à-dire que le crime n'est pas seulement une infraction à une loi séculière, mais aussi une infraction à une loi divine ou à une norme morale sacrée. Cela dit, il est important de noter que même si la société devient plus sécularisée, les normes et les valeurs d'origine religieuse peuvent continuer à exercer une influence, même si elles sont maintenant intégrées dans des institutions séculières comme le droit ou l'éducation. Ainsi, même en l'absence d'une croyance religieuse explicite, les actions qui violent ces normes et ces valeurs peuvent toujours être considérées comme des transgressions morales graves, voire des "crimes", au sens large du terme.

La théorie de la socialisation[modifier | modifier le wikicode]

Émile Durkheim, en tant que l'un des pères fondateurs de la sociologie, a fait des contributions significatives à notre compréhension de la socialisation. Il a distingué deux processus majeurs de socialisation : l'intégration sociale et la régulation sociale.

L'intégration sociale est le processus par lequel les individus s'associent, se connectent et collaborent pour former une société. C'est le processus par lequel les individus ou les groupes sont acceptés dans la société et comment ils s'adaptent et adoptent ses valeurs, ses normes et ses coutumes.

  1. Conscience et croyances communes : Dans une société, les individus partagent souvent des croyances, des valeurs et des perspectives communes qui façonnent leur conscience collective. Cette conscience collective sert de liant pour unir les individus et les aider à travailler ensemble vers des objectifs communs.
  2. Interactions avec les autres : L'intégration sociale implique également la participation à des interactions sociales. Cela peut se produire dans divers contextes, tels que la famille, l'école, le lieu de travail, etc. Ces interactions permettent aux individus d'apprendre et d'adopter les normes sociales et les comportements attendus.
  3. Buts communs : Les sociétés ont souvent des buts et des objectifs communs qui servent à unir leurs membres. Ces buts peuvent varier en fonction du contexte, par exemple des buts politiques dans une société politique, ou des buts économiques dans une société commerciale.

L'intégration sociale, en favorisant la cohésion et l'harmonie, joue un rôle crucial dans le maintien de la stabilité sociale et dans la promotion du bien-être de tous les membres de la société. Cependant, il est également important de noter que l'intégration sociale peut parfois entraver l'individualité et la liberté personnelle, car elle nécessite la conformité aux normes et aux valeurs du groupe.

La régulation sociale joue un rôle essentiel dans le maintien de l'ordre et de la stabilité dans une société. Elle représente l'ensemble des mécanismes par lesquels la société exerce une sorte de contrôle sur ses membres, en établissant et en faisant respecter des normes de comportement. La régulation sociale fonctionne à plusieurs niveaux. Elle peut être imposée par des institutions formelles, telles que les lois et les règlements gouvernementaux, ou elle peut être le résultat de normes sociales informelles, telles que les attentes et les comportements acceptables dans une culture donnée. Ces mécanismes de régulation sociale aident à orienter le comportement des individus de manière à favoriser la cohésion et la coopération au sein de la société. Ils aident également à prévenir ou à gérer les conflits et à maintenir un certain degré d'équilibre social. En somme, l'intégration et la régulation sociales sont deux processus clés qui aident à définir la structure et le fonctionnement d'une société. Elles permettent de maintenir l'ordre, de favoriser la coopération et d'assurer la survie et le bien-être du groupe dans son ensemble.

Émile Durkheim a largement contribué à notre compréhension de la société et du changement social. Ses théories sur la solidarité sociale, l'intégration, la régulation, et le rôle des institutions sociales, entre autres, continuent d'influencer la sociologie contemporaine. Dans une société moderne, selon Durkheim, la solidarité est organique. Cela signifie que les membres de la société dépendent les uns des autres en raison de la complexité et de la division du travail. Chaque individu a un rôle spécialisé à jouer, et tous ces rôles sont interdépendants pour le bon fonctionnement de la société. En outre, Durkheim a souligné l'importance de buts communs, de principes de justice et de symboliques partagées pour la cohésion sociale. Les buts communs donnent un sens et un but à la vie en société, les principes de justice garantissent l'équité et l'égalité, et les symboles partagés facilitent la communication et l'identification commune. Enfin, Durkheim a également reconnu que le changement social est une partie inévitable de toute société. Il a soutenu que le changement social est généralement le résultat de changements dans la division du travail et dans la densité dynamique (c'est-à-dire le nombre d'individus et leur degré d'interaction). Ces changements peuvent conduire à de nouveaux types de solidarité sociale, à de nouvelles normes et valeurs, et à de nouvelles formes d'organisation sociale.

Dans son livre de 1897, "Le Suicide", Émile Durkheim a postulé que le suicide n'est pas simplement un acte individuel de désespoir résultant de problèmes personnels. Au lieu de cela, il soutenait que le suicide est un phénomène social, influencé par des facteurs sociaux et culturels.

Durkheim a identifié quatre types de suicide, chacun étant le résultat de différents niveaux d'intégration sociale et de régulation sociale :

  1. Le suicide égoïste : Il se produit lorsque les individus ne sont pas suffisamment intégrés dans la société. Ils peuvent se sentir isolés ou aliénés, ce qui peut les conduire au suicide.
  2. Le suicide altruiste : Il se produit lorsque les individus sont trop intégrés dans la société, au point où ils se sacrifient pour le bien du groupe. Cela est plus courant dans les sociétés traditionnelles où les obligations envers la famille ou la communauté sont primordiales.
  3. Le suicide anomic : Il se produit lorsque les normes sociales sont faibles ou confuses, laissant les individus sans guidance ou soutien. Cela peut se produire lors de périodes de grand changement social ou économique.
  4. Le suicide fataliste : Ce type est moins développé par Durkheim, mais il décrit des situations où l'individu est excessivement régulé, où les attentes envers lui sont si élevées et oppressantes qu'il se sent poussé au suicide.

Ainsi, Durkheim a montré que le suicide n'est pas seulement un acte personnel, mais est également fortement influencé par des facteurs sociaux. Cela met en évidence l'importance de la cohésion sociale et de la régulation sociale pour prévenir le suicide.

Pour Durkheim, le suicide est un phénomène social qui découle d'un manque ou d'un excès de socialisation. Lorsqu'il y a un défaut de socialisation, l'individu peut se sentir isolé, déconnecté de la société, ce qui peut conduire à un sentiment d'anomie et finalement au suicide. C'est ce que Durkheim appelle le suicide égoïste ou anomic. D'un autre côté, un excès de socialisation peut également conduire au suicide. Dans ces cas, l'individu peut se sentir submergé par les normes et les attentes sociales, au point de se sacrifier pour le bien de la communauté. C'est ce que Durkheim appelle le suicide altruiste. La société moderne, selon Durkheim, a du mal à maintenir un équilibre entre l'intégration sociale (l'individu se sentant partie intégrante de la société) et la régulation sociale (l'individu respectant les normes et les règles de la société). L'équilibre entre ces deux facteurs est crucial pour prévenir le suicide et assurer la cohésion sociale. En somme, l'analyse du suicide par Durkheim souligne l'importance de la socialisation et de l'équilibre social dans la prévention des comportements autodestructeurs et le maintien de la cohésion sociale.

Pierre Bourdieu : pour une théorie politique du monde social[modifier | modifier le wikicode]

Pierre Bourdieu : 1930 - 2002[modifier | modifier le wikicode]

Pierre Bourdieu.

Pierre Bourdieu, sociologue français influent, a servi en Algérie pendant la guerre d'indépendance. Cette expérience a eu une influence significative sur son travail et ses idées. Bourdieu a été particulièrement frappé par les différences entre le discours officiel de la France sur la situation en Algérie et la réalité qu'il a observée sur le terrain. Il a constaté que le discours politique et médiatique français sur la guerre et la colonisation ne correspondait pas à l'expérience vécue par les Algériens. Cela l'a conduit à développer son concept de "champ", qui est un espace social structuré de positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leur occupant (individuel ou collectif). Les champs sont des lieux de lutte pour le pouvoir, où les acteurs utilisent différentes formes de capital (économique, social, culturel) pour gagner en position. Cette expérience a également influencé sa théorie de la violence symbolique, où il soutient que le pouvoir est souvent exercé dans la société non pas par la force physique, mais par des moyens plus subtils, comme la manipulation du discours, des idées et des symboles. Pour Bourdieu, le rôle du sociologue est de révéler ces structures de pouvoir souvent cachées et de dévoiler la réalité qui se cache derrière le discours dominant. Il soutient que les sociologues doivent toujours être conscients de l'écart entre le discours et la réalité et travailler à le combler.

Pierre Bourdieu est connu pour ses recherches approfondies sur les structures de pouvoir et les hiérarchies sociales. Il est convaincu que la société est structurée en différents "champs" - des domaines d'activité comme l'art, l'éducation, la religion, etc. - où les individus luttent pour le pouvoir et le prestige. Ses premiers travaux sur la société algérienne et la culture kabyle ont jeté les bases de sa théorie du pouvoir et de la domination. Il a observé comment les structures sociales traditionnelles et les pratiques culturelles contribuaient à maintenir les hiérarchies sociales existantes et à reproduire les inégalités. Bourdieu a également développé le concept de "capital culturel", qui se réfère à la connaissance, aux compétences, à l'éducation et aux autres biens culturels qu'une personne possède. Il soutenait que le capital culturel joue un rôle crucial dans la détermination de la position sociale d'un individu et contribue à la reproduction des inégalités sociales. Dans ses travaux ultérieurs, Bourdieu a appliqué ces idées à l'étude d'autres sociétés, y compris celle de la France. Il a critiqué le néolibéralisme et a soutenu une position altermondialiste, affirmant que les structures de pouvoir globales contribuent à la reproduction des inégalités à une échelle mondiale. Ainsi, Bourdieu a laissé une marque indélébile sur la sociologie et les sciences sociales, en proposant des outils conceptuels puissants pour analyser les structures de pouvoir et les hiérarchies sociales.

Pierre Bourdieu a écrit de nombreux ouvrages influents qui ont contribué à façonner la sociologie moderne :

  • "Le Déracinement" (1964) : Dans cet ouvrage, Bourdieu examine les conséquences du déracinement de la population rurale algérienne pendant la guerre d'indépendance. Il montre comment ce déracinement a détruit les structures sociales existantes et a conduit à une crise sociale et culturelle.
  • "La Distinction" (1979) : Il s'agit peut-être de l'œuvre la plus célèbre de Bourdieu. Il y analyse la façon dont les individus utilisent le goût et la consommation culturelle pour affirmer leur statut social et se distinguer des autres classes sociales. Bourdieu soutient que les préférences en matière de goût ne sont pas simplement des choix individuels, mais sont fortement influencées par le milieu social et le capital culturel.
  • "Le Sens Pratique" (1980) : Dans cet ouvrage, Bourdieu développe le concept d'habitus, qu'il définit comme un ensemble de dispositions durables et transférables qui structurent les perceptions, les jugements et les actions des individus.
  • "La Misère du Monde" (1993) : C'est une étude de grande envergure sur la souffrance sociale en France à la fin du 20e siècle, basée sur une série d'entretiens avec des individus de divers milieux sociaux.
  • "La Domination Masculine" (1998) : Dans cet ouvrage, Bourdieu analyse la manière dont la domination masculine est reproduite dans la société. Il soutient que cette domination est enracinée dans l'habitus, les structures sociales et les pratiques culturelles.

Pierre Bourdieu a passé une grande partie de sa carrière à critiquer les structures de pouvoir et d'inégalité dans la société, et à développer une théorie sociologique qui intègre des éléments de philosophie et de politique. Il a occupé la chaire de sociologie au Collège de France de 1981 jusqu'à sa retraite en 2002, une position prestigieuse qui a renforcé son influence en tant que l'un des principaux penseurs sociaux du 20e siècle. Dans les années 1990 et au début des années 2000, Bourdieu est devenu de plus en plus critique à l'égard de la mondialisation et du néolibéralisme, qu'il voyait comme des forces qui exacerbent les inégalités sociales et économiques. Il s'est aligné sur le mouvement altermondialiste, qui cherche des alternatives à la mondialisation néolibérale, et a participé à des manifestations et à des campagnes de sensibilisation. Bourdieu a insisté sur le rôle de la sociologie en tant que force de critique sociale et a exhorté les sociologues à s'engager activement dans la lutte contre l'injustice sociale. Son travail continue d'influencer de nombreux domaines, dont la sociologie, l'anthropologie, l'éducation, et les études culturelles.

Le concept d’habitus[modifier | modifier le wikicode]

L'habitus, un concept central dans le travail de Pierre Bourdieu, est un ensemble de dispositions durables et transférables que les individus acquièrent au cours de leur vie à travers leurs expériences sociales. Ces dispositions façonnent les perceptions, les jugements et les actions des individus d'une manière qui est à la fois structurée (par les conditions sociales passées et présentes) et structurante (en orientant l'action et l'expérience futures). L'habitus englobe les attitudes, les croyances, les valeurs et les comportements qui sont typiques d'un groupe social particulier. Il est le produit de l'incorporation de la structure sociale dans le corps de l'individu, qui devient alors capable de naviguer dans le monde social et de comprendre ses règles implicites. Cependant, l'habitus n'est pas un carcan fixe et déterminant. Les individus ont la capacité d'agir et de penser de manière créative en fonction des situations, mais leurs actions et leurs pensées sont structurées par l'habitus qu'ils ont acquis. Les comportements et les attitudes peuvent donc varier en fonction des situations, mais restent largement guidés par l'habitus. Bourdieu soutenait que l'habitus est à la fois le produit de l'histoire et le moyen par lequel l'histoire est reproduite et réinventée dans les pratiques quotidiennes. Il s'agit donc d'un concept dynamique qui fait le lien entre les structures sociales et l'agence individuelle.

Pierre Bourdieu distingue deux formes d'habitus : primaire et secondaire.

L'habitus primaire est acquis durant les premières années de la vie, au sein de la famille et du milieu social d'origine. Il est donc fortement influencé par la classe sociale, le niveau d'éducation des parents, le genre, etc. C'est au cours de cette phase que l'on apprend et internalise les règles et les normes implicites de notre milieu social, qui deviennent ensuite une seconde nature. L'habitus primaire est considéré comme le plus durable et le plus profondément ancré.

L'habitus secondaire est acquis plus tard, généralement au cours de la scolarisation, de la formation professionnelle, ou d'autres expériences qui impliquent une certaine forme de socialisation (comme entrer dans une nouvelle profession, rejoindre une organisation, etc.). Cet habitus peut compléter, modifier ou même contredire l'habitus primaire, en fonction des circonstances. Par exemple, un individu peut développer un habitus scolaire qui diffère de son habitus familial, en fonction de l'influence de ses professeurs, de ses camarades de classe, etc.

Il est important de noter que l'habitus n'est pas statique, mais dynamique et adaptable. Les individus peuvent changer d'habitus au cours de leur vie en réponse à de nouvelles expériences et à de nouveaux contextes sociaux. Cependant, l'habitus primaire, étant le plus ancré, tend à avoir une influence durable sur la perception du monde et le comportement des individus.

L'habitus, dans la théorie de Pierre Bourdieu, est une sorte de "programme interne" qui guide nos pensées, nos perceptions et nos actions de manière inconsciente. Cette structure interne est influencée par nos expériences passées et notre socialisation, et elle est constamment en train de se remodeler et de s'adapter à de nouvelles situations. Cependant, même si l'habitus peut être comparé à un programme informatique en ce sens qu'il guide notre comportement, il est important de noter que, contrairement à un programme informatique, l'habitus n'est pas rigide ou invariable. Il peut y avoir des "ratés" ou des incohérences dans notre comportement, car l'habitus est influencé par de nombreux facteurs différents, y compris des facteurs individuels et contextuels. De plus, alors que les programmes informatiques sont conçus pour être précis et prévisibles, l'habitus est intrinsèquement flexible et adaptable. En outre, l'habitus n'est pas seulement un mécanisme de reproduction sociale, mais aussi un mécanisme de changement et d'innovation. Il permet aux individus de s'adapter à de nouvelles situations et de développer de nouvelles pratiques et façons de penser. En ce sens, l'habitus est un concept fondamental pour comprendre la dynamique de la vie sociale et la manière dont les individus naviguent dans le monde social.

La socialisation primaire est le processus par lequel les individus apprennent et intègrent les normes et les valeurs de leur société dès leur plus jeune âge. Cela se fait principalement à travers la famille et l'école. Les individus acquièrent ainsi leur première compréhension du monde, ce qui forme leur habitus primaire. La socialisation secondaire, en revanche, se réfère au processus d'apprentissage qui se produit plus tard dans la vie, lorsque les individus entrent dans de nouveaux environnements sociaux ou adoptent de nouveaux rôles. Cela peut comprendre des contextes tels que le lieu de travail, l'université, ou même des groupes de pairs. Cette socialisation secondaire se superpose et interagit avec l'habitus primaire existant, ajoutant une nouvelle couche de complexité à la manière dont les individus perçoivent et interagissent avec le monde. Il est également important de noter que la socialisation est un processus continu qui se déroule tout au long de la vie. Les individus apprennent et s'adaptent constamment à de nouvelles situations et à de nouveaux environnements, ce qui façonne en permanence leur habitus et leur compréhension du monde.

L'habitus n'est pas une structure statique, mais est constamment en mouvement et en évolution en réponse aux nouvelles expériences, connaissances et influences. De plus, comme l'habitus est façonné par la socialisation, il peut y avoir des différences générationnelles marquées en raison des variations des influences sociales et culturelles au fil du temps. Les jeunes générations peuvent intégrer dans leur habitus de nouveaux éléments qui ne sont pas présents ou moins prononcés dans l'habitus des générations plus anciennes. Ces différences peuvent parfois conduire à des conflits ou à des malentendus entre les générations. Par exemple, les valeurs des parents peuvent entrer en conflit avec les attitudes plus progressives de leurs enfants, ce qui peut conduire à des tensions. C'est un phénomène que l'on observe souvent en sociologie, où les changements sociaux et culturels à grande échelle se reflètent dans les interactions interpersonnelles et intergénérationnelles. Cela peut se manifester de différentes manières, comme des différences d'opinion sur les questions politiques ou sociales, des différences dans les modes de vie et les comportements, ou même des différences dans l'utilisation de la technologie et des médias.

Pierre Bourdieu a décrit les mouvements d'habitus en termes de « déclassés » et de « parvenus ». Ces termes se réfèrent à des individus qui ont changé de classe sociale et doivent donc adapter leur habitus à leur nouvelle situation.

  • Les "déclassés" désignent ceux qui ont connu une mobilité sociale descendante. Ils peuvent avoir du mal à s'adapter à leur nouvelle situation sociale en raison de la dissonance entre leur habitus (formé dans une classe sociale plus élevée) et leur position sociale actuelle. Ils peuvent continuer à maintenir des comportements, des goûts et des attitudes associés à leur ancienne classe sociale, ce qui peut entraîner des tensions ou des difficultés d'adaptation.
  • Les "parvenus", d'autre part, sont ceux qui ont connu une mobilité sociale ascendante. Ils peuvent également rencontrer des défis lors de l'adaptation à leur nouvelle position sociale. Leur habitus, formé dans une classe sociale inférieure, peut ne pas correspondre à leur nouvelle position sociale. Ils peuvent se sentir mal à l'aise ou éprouver un sentiment d'illégitimité dans leur nouvelle classe sociale.

L'habitus reflète également les expériences de classe, car il est formé par la socialisation et les expériences au sein d'une classe sociale particulière. Cela peut inclure des comportements de classe, des goûts, des attitudes, des préférences, etc. Ces habitudes de classe peuvent être reproduites et renforcées par les institutions sociales, contribuant ainsi à la reproduction sociale des inégalités de classe.

Pierre Bourdieu a développé l'idée que les habitus de classe sont en conflit les uns avec les autres, ce qui produit et reproduit des inégalités sociales. Dans sa vision, la société est un "champ" où différents groupes (ou classes) sociaux luttent pour le capital économique, culturel et social Selon Bourdieu, chaque classe a son propre habitus, c'est-à-dire un ensemble de dispositions, de préférences et de comportements qui sont socialement inculqués et qui semblent "naturels" ou "évidents" pour les membres de cette classe. L'habitus est donc à la fois le produit de la position sociale d'un individu et le mécanisme par lequel cette position est perpétuée. L'habitus de classe peut être source de conflit car il détermine non seulement les comportements et les attitudes des individus, mais aussi leurs aspirations et leurs attentes. Par exemple, ceux qui détiennent beaucoup de capital culturel (comme une éducation supérieure) peuvent valoriser et aspirer à des choses différentes de ceux qui ont moins de ce capital. Cela peut conduire à des malentendus, des tensions et des conflits entre différentes classes. De plus, Bourdieu suggère que les individus et les groupes sont constamment engagés dans des luttes symboliques pour définir ce qui est valorisé et respecté dans la société. Ces luttes peuvent contribuer à la reproduction des inégalités sociales en renforçant la légitimité de certaines formes de capital sur d'autres. Par exemple, dans une société où le capital culturel est hautement valorisé, ceux qui ont une éducation supérieure peuvent être en mesure de légitimer leur position privilégiée et de dévaluer les compétences et les contributions de ceux qui ont moins d'éducation.

Champ social et conflictualité : entre reproduction et distinction[modifier | modifier le wikicode]

« On peut ainsi représenter le monde social sous la forme d’un espace (à plusieurs dimensions) construit sur la base de principes de différenciation ou de distribution constitués par l’ensemble des propriétés agissantes dans l’univers social considéré. Les agents et les groupes d’agents sont ainsi définis par leurs positions relatives dans cet espace. »[1]

Cette citation de Pierre Bourdieu est une excellente représentation de sa vision de la société en tant qu'espace social, structuré autour de différents types de capital - économique, culturel et social. Dans cet espace, les individus et les groupes se positionnent en fonction de leurs différentes ressources ou propriétés, qui définissent leur place dans le champ social. En d'autres termes, l'espace social de Bourdieu est un ensemble de positions structurées dans un champ donné, où chaque position est déterminée par la quantité et le type de capital que possèdent les individus ou les groupes. Ces positions sont relatives, ce qui signifie qu'elles sont définies par rapport aux autres positions dans le champ. Par exemple, dans le champ de l'éducation, une personne ayant un doctorat occupe une position plus élevée que celle ayant uniquement un baccalauréat, en raison de la plus grande quantité de capital culturel (c'est-à-dire l'éducation) que possède la personne titulaire d'un doctorat. Dans cette perspective, les luttes sociales sont vues comme des luttes pour le changement de position dans cet espace social, par l'acquisition ou la conversion de différents types de capital. Les inégalités sociales sont ainsi perçues comme le produit de la distribution inégale de ces différentes formes de capital.

Pour Pierre Bourdieu, l'espace social est un système dynamique et complexe, qui est structuré par la répartition de différents types de "capital" possédés par les individus ou les groupes. Ces capitaux peuvent être économiques (richesse, possessions), culturels (éducation, compétences, connaissances) ou sociaux (relations, réseaux). La position d'un individu ou d'un groupe dans cet espace social est déterminée par la quantité et le type de capital qu'il possède. Les différentes positions dans l'espace social sont relatives les unes aux autres, ce qui signifie que la position d'un individu ou d'un groupe est définie par rapport aux positions des autres. Il est important de noter que cet espace social est en constante évolution. Les individus et les groupes peuvent changer de position en acquérant ou en perdant du capital. De même, les principes qui régissent la distribution du capital peuvent changer avec le temps, en fonction des changements sociaux, économiques et culturels. C'est ce que Bourdieu entend par "conjontures" - les conditions spécifiques d'une période donnée qui influencent la structure de l'espace social.

Pierre Bourdieu a formulé la "théorie des capitaux" pour expliquer comment les individus et les groupes sociaux se positionnent et interagissent dans l'espace social. Selon Bourdieu, chaque individu ou groupe social dispose d'une certaine quantité de différents types de capitaux, qui sont utilisés pour maintenir ou améliorer leur position dans la société. Ces capitaux comprennent le capital économique, culturel, social et symbolique. Chaque type de capital joue un rôle crucial dans la détermination de la position d'un individu ou d'un groupe dans l'espace social.

  • Le capital humain renvoie à la somme des compétences, des connaissances et des expériences d'un individu. Il est souvent associé à l'éducation et à la formation, mais il comprend également des compétences non formelles et de l'expérience acquise par le travail ou d'autres activités.
  • Le capital économique est le capital financier et matériel, comprenant tout ce qui peut être mesuré en termes monétaires.
  • Le capital culturel se réfère à la connaissance des normes, des valeurs et des compétences de la culture dominante. Il comprend la connaissance des arts, de la littérature, des manières et des normes de comportement et de discours acceptables dans une société donnée.
  • Le capital social fait référence aux réseaux et aux connexions qu'un individu peut avoir. Il s'agit des relations de confiance, de l'appartenance à des groupes ou des réseaux, qui peuvent être utilisés pour obtenir des ressources et des avantages.
  • Le capital symbolique est une forme de reconnaissance sociale, d'honneur ou de prestige. Il est souvent lié à la possession des autres types de capitaux, car la possession de capital économique, culturel ou social peut souvent conduire à une plus grande reconnaissance et prestige dans la société.

Ces différents types de capital ne sont pas mutuellement exclusifs et ils interagissent souvent les uns avec les autres. Ces différentes formes de capitaux interagissent et peuvent souvent être converties les unes en les autres. Par exemple, une personne peut utiliser son capital économique (richesse) pour acquérir du capital culturel (éducation). De même, une personne qui possède beaucoup de capital social (relations) peut être en mesure d'acquérir du capital économique (en trouvant un emploi bien rémunéré grâce à ses connexions, par exemple).

La théorie des capitaux de Bourdieu permet d'expliquer la manière dont les individus et les groupes se positionnent dans la société selon deux critères principaux : la hiérarchisation et la distinction.

  1. Hiérarchisation : Le volume total du capital détenu par une personne ou un groupe détermine largement leur position dans l'ordre social. Plus une personne ou un groupe possède de capital (qu'il soit économique, culturel, social ou symbolique), plus sa position dans la hiérarchie sociale est élevée.
  2. Distinction : La structure du capital, c'est-à-dire la distribution relative des différents types de capitaux, joue également un rôle important. Par exemple, certaines personnes ou groupes peuvent avoir beaucoup de capital économique mais peu de capital culturel, tandis que d'autres peuvent avoir beaucoup de capital culturel mais peu de capital économique. Ces différences dans la structure du capital peuvent conduire à des différences dans les modes de vie, les goûts, les préférences et les comportements, créant ainsi des distinctions entre différents groupes sociaux.

C'est pourquoi Bourdieu considère que la société est un espace de positions sociales différentes qui sont constamment en jeu et en compétition. Chaque individu ou groupe social utilise ses capitaux pour maintenir ou améliorer sa position dans l'espace social.

Espace social de Bourdieu.svg.png

Bilan de la pensée bourdieusienne[modifier | modifier le wikicode]

Pour Bourdieu, la société est un espace de lutte, de concurrence et de conflit. Ces conflits n'impliquent pas nécessairement une violence physique ou ouverte, mais plutôt une compétition pour les ressources, le pouvoir, le prestige, la reconnaissance, etc. Les agents sociaux cherchent à maintenir ou à améliorer leur position dans le champ social en utilisant les différents types de capitaux dont ils disposent. Par exemple, ils peuvent utiliser leur capital économique pour acquérir du capital culturel (par exemple, en payant une éducation privée de qualité pour leurs enfants), ou utiliser leur capital social pour obtenir du capital économique (par exemple, en utilisant leurs relations pour obtenir un emploi bien rémunéré). De plus, les capitaux peuvent être utilisés pour exclure d'autres personnes ou groupes de certaines positions ou avantages sociaux. Par exemple, les personnes ayant un haut niveau de capital culturel peuvent utiliser cette ressource pour dévaloriser les goûts et les préférences de ceux qui ont moins de capital culturel, créant ainsi des distinctions sociales. Enfin, il est important de noter que les différents types de capitaux ne sont pas toujours parfaitement alignés ou compatibles. Par exemple, une personne peut avoir beaucoup de capital économique mais peu de capital culturel, ou vice versa. Cela peut conduire à des tensions ou des contradictions au sein de la structure sociale.

Pierre Bourdieu a élaboré une théorie sociologique qui cherche à dépasser la dichotomie classique entre le marxisme et l'approche fonctionnaliste ou structuraliste. Au lieu de cela, il propose une vision plus nuancée de la stratification sociale qui prend en compte plusieurs types de capitaux, pas seulement le capital économique. Dans la théorie de Bourdieu, le capital économique est certes important, mais il n'est pas le seul facteur déterminant de la position sociale d'un individu. Le capital culturel et le capital social jouent également un rôle majeur. Le capital culturel, par exemple, peut se manifester sous la forme de compétences linguistiques, de diplômes universitaires ou de la connaissance de certaines formes d'art ou de musique. Le capital social, quant à lui, peut se manifester par des relations personnelles, des réseaux de connaissances, etc. La hiérarchisation est un processus par lequel certains groupes sociaux sont classés au-dessus d'autres en fonction de la quantité de capital qu'ils possèdent. La distinction, en revanche, concerne la manière dont le capital est réparti ou structuré. Par exemple, une personne peut avoir une grande quantité de capital économique, mais peu de capital culturel, et vice versa. Le monde social est un champ d’antagonismes et de processus de différenciation, c’est aussi un marché dans lequel on peut jouer. Chacun joue de ses possibilités pour accroitre son capital ou empêcher les autres d’en acquérir. L’enjeu est d’accumuler. Les agents sociaux cherchent toujours à maintenir ou à accroitre le volume de leur capital et donc à maintenir ou à améliorer leur position sociale, d'autre part, les mécanismes de conservation de l’ordre social prédominent en raison de l’importance des stratégies de reproductions.

L'analyse de Pierre Bourdieu peut être considérée comme post-marxiste dans le sens où elle cherche à dépasser certaines limitations du marxisme traditionnel tout en continuant à se concentrer sur les questions de pouvoir et de lutte de classes. Le marxisme traditionnel se concentre principalement sur le capital économique (c'est-à-dire les ressources financières et matérielles) comme le principal déterminant de la position sociale et du pouvoir. Selon cette perspective, la classe sociale d'un individu est déterminée par sa position dans les relations de production (par exemple, s'il est un travailleur salarié, un propriétaire de capital, etc.). Bourdieu, cependant, reconnaît que le pouvoir et la domination ne sont pas uniquement basés sur le capital économique. Il introduit les concepts de capital culturel et de capital social comme des formes de pouvoir qui sont également importantes dans la détermination de la position sociale d'un individu. Le capital culturel comprend des choses comme l'éducation, les compétences linguistiques, et la familiarité avec les formes de culture dominantes. Le capital social, d'autre part, comprend des choses comme les relations personnelles, les réseaux de connaissances, et l'appartenance à certains groupes sociaux. Ainsi, bien que Bourdieu s'inspire du marxisme dans son accent sur les structures de pouvoir et de domination, son approche est plus complexe et multidimensionnelle. Il reconnaît que la position sociale d'un individu n'est pas uniquement déterminée par sa position dans l'économie, mais aussi par sa possession de capital culturel et social. C'est pourquoi on peut dire que Bourdieu développe une analyse post-marxiste.

Chaque classe est caractérisée par la quantité et le type de capital qu'elle détient.

  1. La classe dominante possède un capital économique et culturel abondant. Les membres de cette classe ont souvent une éducation élevée et occupent des postes de pouvoir dans la société. Cependant, il peut y avoir des tensions au sein de cette classe selon la nature du capital qui prédomine (économique ou culturel).
  2. La petite bourgeoisie est définie par sa position intermédiaire dans la structure sociale. Les membres de cette classe ont généralement un certain niveau d'éducation et d'emploi stable, mais ils n'ont pas le même niveau de richesse ou de pouvoir que la classe dominante. Ils peuvent aspirer à une ascension sociale, et cette aspiration peut parfois créer des tensions et des contradictions.
  3. Les classes populaires, quant à elles, sont caractérisées par un manque de capital économique et culturel. Les membres de ces classes peuvent avoir du mal à accéder à l'éducation et aux opportunités économiques, et ils sont souvent marginalisés ou exclus des positions de pouvoir dans la société.

Il est important de noter que, selon Bourdieu, la position de classe d'un individu n'est pas simplement une question de revenu ou de richesse, mais dépend également de facteurs tels que l'éducation, le statut social et les réseaux de relations.

La position des agents sociaux dans un champ donné, qu'il s'agisse de la politique, de l'éducation, de l'art, etc., est influencée par leur position dans l'espace social plus large. Cette position est déterminée par la quantité et le type de capital qu'ils possèdent. Dans ce contexte, Bourdieu a mis en évidence que les agents sociaux mettent en œuvre des stratégies pour conserver ou augmenter leur capital. Par exemple, ils peuvent chercher à acquérir davantage de capital économique par le biais de l'éducation ou de l'investissement, ou à augmenter leur capital culturel en se cultivant et en se familiarisant avec les arts et les sciences. La notion de reproduction sociale est également centrale dans l'œuvre de Bourdieu. Il soutient que les classes sociales tendent à se reproduire de génération en génération, en grande partie grâce à la transmission du capital. Par exemple, les enfants de la classe dominante ont souvent accès à une éducation de haute qualité et à un réseau social influent, ce qui leur permet d'acquérir un capital économique et culturel important et de maintenir la position de leur famille dans la hiérarchie sociale. En revanche, les enfants des classes populaires ont souvent moins accès à ces ressources, ce qui rend plus difficile leur mobilité sociale. C'est pourquoi Bourdieu a été un critique mordant des systèmes sociaux qui favorisent cette reproduction sociale et perpétuent les inégalités de classe.

Pierre Bourdieu a décrit plusieurs stratégies d'investissement que les individus et les familles peuvent utiliser pour conserver ou augmenter leur capital. Voici une brève description de chacune :

  1. Stratégies d'investissement biologique : Il s'agit des efforts déployés pour améliorer et préserver la santé et la vitalité physiques. Cela pourrait comprendre des choses comme l'attention portée à l'alimentation, l'exercice physique, les soins médicaux, etc. Ces stratégies peuvent améliorer le "capital corporel" d'un individu.
  2. Stratégies successorales (mariage) : Bourdieu souligne que le mariage a souvent été utilisé comme moyen d'échange ou d'acquisition de capital, qu'il soit économique, culturel ou social. Les mariages peuvent être utilisés pour créer ou renforcer les liens sociaux, acquérir du capital économique ou augmenter le prestige et la reconnaissance sociale.
  3. Stratégies éducatives : Ces stratégies concernent l'investissement dans l'éducation pour acquérir du capital culturel. Cela peut comprendre des choix tels que le type d'établissement scolaire à fréquenter, les matières à étudier, etc.
  4. Stratégies économiques : Ces stratégies concernent directement l'acquisition et la préservation du capital économique. Elles peuvent comprendre des décisions concernant l'épargne, l'investissement, l'emploi, etc.
  5. Stratégies symboliques : Il s'agit des efforts déployés pour acquérir et maintenir du capital symbolique, qui est lié à la reconnaissance, au prestige et à l'honneur. Cela pourrait comprendre des choses comme l'adhésion à certaines organisations, la participation à des activités prestigieuses, etc.

L'efficacité des stratégies de reproduction dépend fortement des ressources disponibles pour les agents, qui peuvent varier en fonction de l'évolution structurelle de la société. Par exemple, l'accès à une éducation de qualité, à un emploi bien rémunéré, à des soins de santé abordables et de qualité, etc., peut avoir une incidence majeure sur la capacité d'un individu à conserver ou à améliorer sa position sociale. De plus, il y a souvent une tension dans la société entre les forces de conservation, qui cherchent à maintenir l'ordre social existant, et les forces de changement, qui cherchent à le transformer. Cette tension peut être source de conflit, mais elle peut aussi stimuler le progrès et l'évolution sociale. Il est également important de noter que, même si les stratégies de reproduction peuvent être efficaces pour maintenir l'ordre social existant, elles peuvent aussi contribuer à la perpétuation des inégalités sociales. C'est pourquoi Bourdieu et d'autres sociologues ont souligné la nécessité d'une critique sociale et d'un changement structurel pour aborder les causes profondes de ces inégalités.

Le pouvoir politique[modifier | modifier le wikicode]

Le pouvoir politique se caractérise par le concept de « dépossession » . La notion de "dépossession" dans l'analyse de Bourdieu du pouvoir politique est liée à son concept de champ. Un champ est un espace social de compétition dans lequel les individus ou institutions luttent pour le contrôle des ressources spécifiques, ou le "capital", qui est valorisé dans ce domaine particulier.

Dans le champ politique, la dépossession peut se référer à plusieurs phénomènes :

  1. L'exclusion de certaines personnes ou groupes du pouvoir politique : C'est le sens le plus évident de la dépossession. Par exemple, les personnes qui n'ont pas le droit de vote ou qui sont marginalisées dans le système politique sont "dépossédées" de leur capacité à participer pleinement à la vie politique.
  2. La perte de contrôle sur la politique par ceux qui sont censés être en charge : Les politiciens eux-mêmes peuvent se sentir "dépossédés" s'ils estiment qu'ils n'ont pas réellement le contrôle sur les décisions politiques, soit parce qu'ils sont limités par des forces extérieures (comme les lobbys ou l'opinion publique), soit parce qu'ils sont pris dans des dynamiques de pouvoir à l'intérieur de leur propre parti ou organisation.
  3. La séparation entre les citoyens et la politique : Dans une perspective plus large, Bourdieu a également parlé de la dépossession en termes de la distance croissante entre les citoyens ordinaires et le monde de la politique, qui peut se manifester par un sentiment d'aliénation ou de cynisme envers la politique.

Ces formes de dépossession ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent souvent se renforcer mutuellement.

« Le champ de production politique est le lieu, inaccessible au profane, où se fabriquent, dans la concurrence entre professionnels qui s’y trouvent engagés, des formes de perception et d’expression politiquement agissantes et légitimes qui sont offertes aux citoyens ordinaires, réduits au statut de consommateur. »

Cette citation de Bourdieu illustre bien son concept de "champ" et de la manière dont il s'applique à la politique. Selon lui, le champ politique est un espace social spécifique, occupé par des "professionnels" de la politique - c'est-à-dire des politiciens, des stratèges, des conseillers, des lobbyistes, etc. Ces acteurs sont en compétition pour le contrôle des ressources politiques et pour définir la manière dont les questions politiques sont perçues et discutées. Dans le même temps, Bourdieu souligne que le champ politique est "inaccessible au profane". Par là, il entend que les citoyens ordinaires sont souvent tenus à l'écart du processus politique, réduits au rôle de spectateurs ou de consommateurs de la politique plutôt qu'à celui d'acteurs actifs. Ils sont invités à accepter les termes du débat politique tels qu'ils sont définis par les professionnels de la politique, plutôt qu'à participer à leur définition. C'est là que la notion de "dépossession" entre en jeu. Les citoyens ordinaires peuvent se sentir "dépossédés" de leur capacité à influencer le processus politique, soit parce qu'ils sont exclus de la prise de décision, soit parce qu'ils se sentent incapables de comprendre ou de naviguer dans le monde complexe de la politique.

Bourdieu soutenait que le champ politique, comme tous les champs sociaux, est structuré autour de certaines formes de capital spécifiques. Dans le cas de la politique, cela pourrait inclure le capital social (relations, réseaux), le capital culturel (connaissances, compétences, éducation), et parfois le capital économique. Cela signifie que pour entrer dans le champ politique et réussir en son sein, il faut accumuler ces formes de capital et les utiliser pour naviguer dans le champ. Cela nécessite un certain type d'habitus - un ensemble de dispositions, de comportements et de modes de pensée acquis par l'expérience sociale - qui est à la fois produit par et adapté au champ politique. Dans ce contexte, l'habitus politique serait caractérisé par des compétences telles que la capacité à parler en public, à débattre, à négocier, à comprendre des problèmes complexes, à mobiliser des soutiens, etc. Ceux qui possèdent cet habitus sont donc mieux équipés pour réussir en politique. En outre, Bourdieu soutenait que le champ politique fonctionne également comme un marché, où les politiciens cherchent à "vendre" leurs idées et leurs programmes aux électeurs. Dans ce marché, les électeurs sont souvent traités comme des consommateurs, et les politiciens cherchent à les fidéliser en leur proposant des produits politiques qui répondent à leurs besoins et à leurs préférences. Cependant, cette vision de la politique peut également entraîner l'exclusion et la marginalisation de ceux qui n'ont pas accès aux formes de capital nécessaires pour participer pleinement à la politique, y compris les plus pauvres et les plus marginalisés. Cela peut conduire à une concentration du pouvoir politique entre les mains d'une élite, et à un sentiment d'impuissance et de dépossession parmi les citoyens ordinaires.

On distingue deux caractéristiques, à savoir qu'il y a un divorce sociétal et que la politique devient un « jeu » ce qui fait qu'il y a une solidarité de fait entre les initiés politiques.

Pierre Bourdieu identifie ces deux types de capital politique comme étant essentiels à la réussite dans le champ politique.

  1. Le capital personnel de notoriété : il s'agit de la reconnaissance et de la visibilité que reçoit un individu au sein du champ politique. Cela peut être le produit de son histoire personnelle, de ses réalisations, de sa réputation, de sa présence médiatique, etc. Il est important de noter que la notoriété peut être positive ou négative, et qu'elle peut varier en fonction du contexte et des perceptions du public.
  2. Le capital délégué d'autorité politique : il s'agit du pouvoir et de l'autorité qui sont conférés à un individu par les autres acteurs du champ politique. Cela peut prendre la forme d'un mandat politique, où un individu est élu ou nommé à une position de pouvoir, mais il peut aussi être le produit de relations, d'alliances, de soutiens, etc. C'est une forme de capital qui est souvent en jeu dans les luttes pour le pouvoir au sein du champ politique.

Il convient de noter que ces deux formes de capital sont interdépendantes et peuvent se renforcer mutuellement. Par exemple, une grande notoriété peut aider un individu à obtenir un mandat politique, tandis qu'un mandat politique peut à son tour augmenter la notoriété de l'individu. Cependant, elles peuvent aussi parfois être en tension ou en conflit, comme lorsque la notoriété personnelle d'un individu est en contradiction avec son rôle ou son mandat politique.

Selon Pierre Bourdieu, la politique moderne fonctionne de plus en plus comme un marché où prévalent les règles de l'économie de marché. Pour lui, la politique est devenue une profession spécialisée, dominée par une élite qui possède les ressources spécifiques (capital) nécessaires pour réussir dans ce champ. Ces ressources peuvent être économiques, mais elles incluent également des formes de capital culturel et social, comme l'éducation, les compétences, les connexions et le prestige. Dans cette perspective, les professionnels de la politique développent des discours et des techniques spécifiques pour gagner et maintenir leur position dans le champ politique. Ces discours et techniques deviennent des formes de capital en soi, qui peuvent être monopolisées par l'élite politique et utilisées pour exclure ceux qui n'ont pas accès à ces ressources. De plus, Bourdieu souligne que ces discours politiques deviennent souvent si spécialisés et autonomes qu'ils sont difficiles à comprendre pour ceux qui ne sont pas initiés à ce langage, c'est-à-dire les citoyens ordinaires. Cela contribue à l'exclusion des non-professionnels de la politique et à la concentration du pouvoir politique entre les mains d'une élite. Cette analyse de Bourdieu met en évidence la dimension sociale et symbolique du pouvoir politique, et montre comment les inégalités de pouvoir peuvent être reproduites et renforcées à travers les pratiques et discours politiques.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Bourdieu, P. (1984). Espace social et genèse des "classes". Actes De La Recherche En Sciences Sociales, 52(1), 3-14. doi:10.3406/arss.1984.3327