La socialisation politique
Professeur(s) | Marco Giugni[1][2][3][4][5][6][7] |
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Cours | Comportement politique |
Lectures
- Introduction au cours de Comportement politique I
- Repères historiques et méthodologiques
- Les bases structurelles du comportement politique
- Les bases culturelles du comportement politique
- La socialisation politique
- L’acteur rationnel
- La participation politique
- Les modèles explicatifs du vote
- Les théories des mouvements sociaux
La socialisation politique est un processus fondamental par lequel les individus acquièrent et intègrent les normes, valeurs, attitudes et comportements politiques qui façonnent leur perception du système politique et déterminent leur participation au sein de celui-ci. Deux perspectives théoriques majeures structurent l'analyse de ce phénomène complexe. La sociologie politique souligne l'impact des structures sociales, des institutions et des agents de socialisation—tels que la famille, l'éducation, les médias et les groupes de pairs—dans la formation des orientations politiques individuelles, mettant en exergue les dynamiques collectives et les contextes socio-historiques. La théorie du choix rationnel, en revanche, adopte une approche individualiste, considérant les acteurs comme des agents rationnels qui, guidés par leurs intérêts personnels, prennent des décisions politiques calculées pour maximiser leurs bénéfices.
Cet article se propose d'explorer en profondeur ces deux cadres théoriques, en examinant leurs fondements épistémologiques, leurs méthodologies respectives et leurs contributions à la compréhension des mécanismes de socialisation politique, tout en évaluant les implications pratiques pour l'analyse de la participation politique et de la formation des opinions dans les sociétés contemporaines.
Socialisation : définitions approfondies avec les auteurs[modifier | modifier le wikicode]
La socialisation est un concept central en sociologie, se référant au processus par lequel les individus apprennent et intègrent les normes, les valeurs, les comportements et les croyances de leur société. Plusieurs sociologues ont proposé des définitions qui éclairent différentes facettes de ce processus complexe. Nous développerons ici les perspectives de Bélanger et Lemieux, Berger et Luckmann, et Boudon et Bourricaud.
Selon Bélanger et Lemieux, la socialisation est "un processus par lequel les valeurs culturelles sont transmises et intériorisées par une population donnée". Cette définition met en évidence deux aspects fondamentaux du processus de socialisation : la transmission des valeurs culturelles par la société et leur intériorisation par les individus. La transmission est assurée par divers agents de socialisation tels que la famille, l'école, les médias et les groupes de pairs, qui diffusent les normes, les croyances et les pratiques culturelles constituant le socle de l'identité collective. L'intériorisation implique que les individus intègrent profondément ces valeurs dans leur conscience, ce qui influence durablement leur manière de penser, de ressentir et d'agir. Cette perspective souligne l'importance des mécanismes qui assurent la continuité culturelle au sein d'une population, garantissant ainsi la stabilité et la cohésion sociale. En mettant l'accent sur ce double mouvement, Bélanger et Lemieux insistent sur le rôle crucial des structures sociales et des institutions dans la formation des individus, suggérant que la socialisation est largement déterminée par les contextes culturels et sociaux.
Pour Peter Berger et Thomas Luckmann, auteurs de "La construction sociale de la réalité" (1966), la socialisation est "l'installation cohérente et étendue d'un individu à l'intérieur du monde objectif d'une société ou d'un secteur de celle-ci". Leur approche se caractérise par la conception de la réalité sociale comme une construction humaine. La socialisation est le processus par lequel les individus apprennent ces constructions sociales et les perçoivent comme des réalités objectives. Elle permet à l'individu de s'immerger dans le monde social existant, en assimilant les structures, les institutions et les significations partagées qui le composent. Berger et Luckmann soulignent la dialectique entre l'individu et la société : l'individu est à la fois façonné par la société et contribue à sa construction. Cette perspective met l'accent sur l'importance des interactions sociales et du rôle actif des individus dans le processus de socialisation. Les individus, en participant aux pratiques sociales et en adoptant les significations partagées, contribuent à la reproduction et à la maintenance de la réalité sociale objective. Ainsi, la socialisation est perçue non seulement comme une adaptation à la société, mais aussi comme une participation à sa construction continue.
Raymond Boudon et François Bourricaud définissent la socialisation comme "les différents types d'apprentissages auxquels est soumis l'individu, notamment dans son jeune âge, qu'il s'agisse d'apprentissages linguistiques, cognitifs, symboliques ou normatifs". Leur approche met en lumière la diversité des apprentissages qui façonnent l'individu. Les apprentissages linguistiques concernent l'acquisition du langage, essentiel pour la communication et la structuration de la pensée. Les apprentissages cognitifs portent sur le développement des capacités intellectuelles, de la perception et de la compréhension du monde. Les apprentissages symboliques impliquent l'assimilation des symboles culturels, des signes et des significations partagées qui permettent de naviguer dans le contexte social. Les apprentissages normatifs concernent l'intégration des normes, des valeurs et des règles qui régissent le comportement social. Boudon et Bourricaud insistent sur le fait que l'enfance est une période cruciale pour la socialisation, car c'est durant cette phase que se construisent les fondations de la personnalité et des compétences sociales. La socialisation est perçue comme un processus éducatif au sens large, englobant non seulement l'éducation formelle dispensée par les institutions scolaires, mais aussi les influences informelles provenant de l'environnement familial et social qui contribuent à la formation de l'individu.
Les trois définitions convergent sur l'idée que la socialisation est un processus par lequel les individus deviennent des membres intégrés de leur société, mais elles mettent l'accent sur des aspects différents. Bélanger et Lemieux soulignent le rôle de la transmission et de l'intériorisation des valeurs culturelles, mettant l'accent sur l'influence des structures sociales et des institutions dans la formation des individus. Berger et Luckmann insistent sur la construction sociale de la réalité, où l'individu est un acteur actif qui, à travers ses interactions, participe à la création et à la maintenance des structures sociales. Boudon et Bourricaud se concentrent sur les mécanismes d'apprentissage individuels, mettant en avant la diversité des compétences et des connaissances acquises, et insistent sur l'importance de l'enfance comme période déterminante dans le processus de socialisation.
Le développement des perspectives de Bélanger et Lemieux, Berger et Luckmann, et Boudon et Bourricaud permet de saisir la complexité du processus de socialisation. En combinant ces approches, on comprend que la socialisation est à la fois un processus de transmission des valeurs et des normes culturelles assurant la continuité sociale, une construction sociale où les individus participent activement à la création et à la reproduction de la réalité sociale, et un ensemble d'apprentissages multiples qui façonnent les compétences, les connaissances et les comportements nécessaires à la vie en société. Cette analyse souligne l'importance de considérer les différentes dimensions de la socialisation pour comprendre comment les individus s'intègrent dans leur société et comment celle-ci se perpétue et évolue à travers les générations.
Socialisation : paradigme[modifier | modifier le wikicode]
Derrière les différentes définitions de la socialisation se dessine une double perspective qui illustre une dichotomie théorique du champ sociologique. Deux grandes approches dominent les théories de la socialisation : le paradigme du conditionnement et le paradigme de l'interaction.
Le paradigme du conditionnement conçoit la socialisation comme un processus de "dressage" par lequel l'individu, particulièrement le jeune, est amené à intérioriser les normes, les valeurs, les attitudes, les rôles, les savoirs et les savoir-faire de sa société. Dans cette perspective, la socialisation est unidirectionnelle : les agents de socialisation (famille, école, institutions religieuses, médias) transmettent de manière directive les éléments culturels et sociaux à l'individu, qui les absorbe passivement.
Cette approche est fortement influencée par les travaux d'Émile Durkheim, qui considère que la société impose aux individus les règles nécessaires pour maintenir la cohésion sociale. Pour Durkheim, l'éducation est le moyen par lequel la société façonne les individus pour qu'ils deviennent des êtres sociaux conformes aux attentes collectives. Talcott Parsons prolonge cette idée en soulignant le rôle des structures sociales dans la reproduction des modèles culturels, où les individus sont socialisés pour remplir les rôles qui leur sont assignés, assurant ainsi la stabilité du système social.
Le paradigme du conditionnement met l'accent sur la socialisation primaire, celle qui se déroule durant l'enfance. C'est à cette période que les fondements de l'identité et de la personnalité sont établis, à travers l'apprentissage des normes et des valeurs fondamentales de la société. L'individu est perçu comme un réceptacle des influences extérieures, absorbant les éléments culturels sans véritablement les questionner.
À l'opposé, le paradigme de l'interaction envisage la socialisation comme un processus d'adaptation et d'apprentissage où l'individu joue un rôle actif. La socialisation est ici bidirectionnelle : l'individu interagit avec son environnement social, négocie, interprète et parfois remet en question les normes et les valeurs qui lui sont proposées.
Cette perspective est influencée par l'interactionnisme symbolique, notamment les travaux de George Herbert Mead et Herbert Blumer. Mead souligne l'importance des interactions sociales dans le développement de la conscience de soi. L'individu construit son identité à travers les échanges avec autrui, en adoptant les rôles des autres pour comprendre les attentes sociales. Erving Goffman approfondit cette idée en décrivant la vie sociale comme une "mise en scène" où les individus jouent des rôles selon les contextes, adaptant constamment leur comportement.
Le paradigme de l'interaction met l'accent sur la socialisation secondaire, qui s'étend tout au long de la vie. Il reconnaît que les individus continuent d'apprendre et de se développer en fonction de leurs expériences, des nouveaux rôles qu'ils assument et des changements sociaux. Les individus sont ainsi considérés comme des agents capables d'influencer leur environnement et de participer à la transformation des normes et des valeurs sociales.
La distinction entre ces deux paradigmes souligne la complexité du processus de socialisation. Le paradigme du conditionnement met l'accent sur la stabilité sociale et la reproduction des structures existantes, en insistant sur le rôle des institutions et des agents de socialisation dans la formation des individus. Il perçoit les individus comme des êtres principalement passifs, conformes aux attentes sociales prédéterminées.
En revanche, le paradigme de l'interaction met en lumière le dynamisme de la vie sociale, où les individus sont des acteurs actifs qui participent à la construction et à la transformation de la société. Il reconnaît la capacité des individus à interpréter, négocier et même résister aux normes sociales, ce qui peut conduire à des changements sociaux.
Ces deux paradigmes ne sont pas mutuellement exclusifs mais peuvent être complémentaires. La socialisation comprend à la fois des aspects de conditionnement, où les individus intègrent des éléments culturels existants, et des aspects interactifs, où ils contribuent activement à façonner leur propre identité et leur environnement social.
La compréhension des paradigmes du conditionnement et de l'interaction est essentielle pour saisir les mécanismes par lesquels les individus s'intègrent dans la société et participent à son évolution. Le paradigme du conditionnement souligne l'importance des structures sociales et des processus éducatifs dans la transmission des normes et des valeurs, assurant ainsi la cohésion et la continuité sociales. Le paradigme de l'interaction, quant à lui, met en évidence le rôle actif des individus dans leur propre socialisation, reconnaissant leur capacité à influencer et à transformer les structures sociales existantes.
En considérant ces deux perspectives, on obtient une vision plus complète du processus de socialisation, qui intègre à la fois les influences externes et l'agentivité individuelle. Cela permet de mieux comprendre comment les individus naviguent dans le tissu social, comment ils se construisent en tant qu'êtres sociaux et comment ils contribuent à la dynamique de la société dans son ensemble.
Socialisation politique : définitions[modifier | modifier le wikicode]
La distinction entre les deux paradigmes de la socialisation, à savoir le conditionnement et l'interaction, se retrouve également dans les théories de la socialisation politique. La socialisation politique est le processus par lequel les individus acquièrent et développent des attitudes, des valeurs et des comportements politiques qui influencent leur participation au sein du système politique. Plusieurs auteurs ont proposé des définitions qui reflètent ces paradigmes, notamment Michael Rush, Lacam et Johnston Conover.
Michael Rush définit la socialisation politique comme le "processus par lequel les individus d'une société deviennent acquis au système politique". Cette définition met l'accent sur l'adoption par les individus des normes et des valeurs du système politique existant, suggérant une intégration harmonieuse au sein de ce système. Rush voit la socialisation politique comme un mécanisme par lequel les individus sont amenés à soutenir et à légitimer le système politique en place, ce qui est essentiel pour la stabilité et la continuité de la société. Cette perspective s'inscrit dans le paradigme du conditionnement, où la socialisation est perçue comme un processus unidirectionnel de transmission des valeurs et des normes politiques de la société vers l'individu. L'individu est considéré comme un récepteur passif des influences politiques, assimilant les croyances et les attitudes qui le rendent conforme aux attentes du système politique.
Lacam, de son côté, conçoit la socialisation politique comme "l'ensemble des mécanismes et des processus de formation et de transformation des systèmes individuels de représentations, d'opinions et d'attitudes politiques". Cette définition reconnaît la complexité et la dynamique du processus de socialisation politique, en insistant sur la formation initiale des orientations politiques ainsi que sur leur transformation au cours du temps. Lacam met en évidence le fait que la socialisation politique n'est pas seulement un processus d'acquisition passive, mais implique également des changements et des évolutions dans les perceptions et les attitudes politiques des individus. Cette approche suggère que les individus ne sont pas uniquement façonnés par le système politique, mais qu'ils peuvent aussi modifier leurs propres systèmes de représentations en réponse à de nouvelles expériences ou informations. Ainsi, la définition de Lacam intègre des éléments du paradigme de l'interaction, en reconnaissant le rôle actif de l'individu dans l'élaboration et la transformation de ses attitudes politiques.
Johnston Conover propose une définition qui reflète explicitement le paradigme de l'interaction. Elle définit la socialisation politique comme "l'apprentissage des valeurs, attitudes et modes de comportement qui aident les gens à 's'insérer' dans leurs systèmes politiques, qui en fait de 'bons' citoyens". Cette perspective met l'accent sur le processus d'apprentissage actif par lequel les individus acquièrent les compétences et les connaissances nécessaires pour participer efficacement au système politique. Johnston Conover souligne l'importance de l'adaptation et de l'engagement des individus dans le système politique, suggérant que la socialisation politique est un processus bidirectionnel. Les individus ne sont pas seulement influencés par le système politique, mais ils interagissent avec lui, développant leurs propres compréhensions et comportements politiques qui contribuent au fonctionnement du système. Cette approche reconnaît la capacité des individus à interpréter, à négocier et à internaliser les valeurs politiques de manière active, ce qui les rend aptes à participer pleinement en tant que citoyens informés et engagés.
Les définitions proposées par Rush, Lacam et Johnston Conover illustrent la manière dont les paradigmes du conditionnement et de l'interaction s'appliquent à la socialisation politique. Rush, avec son accent sur l'acquisition par les individus du système politique, représente une vision où la socialisation politique sert à intégrer les individus dans un système existant, en favorisant la cohésion et la stabilité politiques. L'individu est vu principalement comme un récepteur des influences politiques, ce qui est cohérent avec le paradigme du conditionnement.
Lacam, en insistant sur les mécanismes de formation et de transformation des représentations politiques individuelles, reconnaît que la socialisation politique est un processus continu et dynamique. Cette définition suggère que les individus peuvent évoluer dans leurs attitudes politiques en réponse à de nouvelles informations ou expériences, ce qui implique une interaction entre l'individu et son environnement politique. Ainsi, Lacam incorpore des éléments des deux paradigmes, reconnaissant à la fois les influences structurelles et le rôle actif de l'individu.
Johnston Conover, en décrivant la socialisation politique comme un apprentissage qui aide les individus à s'insérer dans leurs systèmes politiques, met en avant le rôle actif des individus dans le processus. Cette perspective est ancrée dans le paradigme de l'interaction, où les individus apprennent et adaptent les valeurs et les comportements politiques, contribuant ainsi au dynamisme du système politique. L'accent est mis sur la formation de "bons" citoyens, ce qui implique une participation active et informée au sein du système politique.
La socialisation politique est un processus complexe qui implique l'acquisition, le développement et la transformation des attitudes et des comportements politiques des individus. Les définitions de Rush, Lacam et Johnston Conover reflètent les différentes manières dont ce processus peut être conceptualisé, en mettant en lumière les influences structurelles et le rôle actif des individus. Comprendre ces différentes perspectives permet de mieux appréhender comment les individus interagissent avec le système politique, comment ils développent leurs identités politiques et comment ils contribuent à la continuité ou à la transformation du système politique. La distinction entre les paradigmes du conditionnement et de l'interaction est essentielle pour analyser les mécanismes de la socialisation politique et pour comprendre le rôle des individus en tant qu'acteurs politiques au sein de la société.
Socialisation politique : traditions de recherche[modifier | modifier le wikicode]
Dans le champ de la sociologie politique, il est possible de distinguer deux grandes traditions de recherche qui reflètent la distinction entre le système et l'acteur, c'est-à-dire entre le niveau macro-politique et le niveau micro-politique. Ces deux perspectives offrent des compréhensions différentes du processus de socialisation politique et de son impact sur les individus et la société.
La théorie des systèmes : une perspective macro-politique[modifier | modifier le wikicode]
La première tradition de recherche est celle de la théorie des systèmes, qui s'inscrit dans une perspective macro-politique. Dans cette approche, la socialisation politique est perçue comme un processus par lequel les individus intègrent les normes, les valeurs et les attitudes qui favorisent la stabilité politique et le maintien du système en place. Les travaux de Gabriel Almond et Sidney Verba sont emblématiques de cette perspective. Dans leur ouvrage majeur, The Civic Culture (1963), ils explorent comment les cultures politiques influencent la stabilité démocratique et mettent en évidence le rôle crucial de la socialisation primaire.
Selon cette théorie, la socialisation primaire, qui a lieu durant l'enfance, est fondamentale. Les parents, la famille et les premières institutions éducatives sont les principaux agents de socialisation qui inculquent aux jeunes les valeurs et les normes politiques du système. L'accent est mis sur le fait que les premières années de vie sont déterminantes pour la formation des orientations politiques des individus. C'est à travers ce processus que se forge une culture politique commune qui assure la cohésion sociale et la pérennité du système politique.
Cette perspective considère les individus comme des récepteurs passifs des influences politiques. La socialisation politique est unidirectionnelle : le système politique transmet ses valeurs aux individus, qui les intériorisent sans véritable interaction ou questionnement. L'objectif principal est le maintien de l'ordre social et politique existant, en assurant que les individus adhèrent aux normes et aux valeurs dominantes.
L'apprentissage politique : une perspective centrée sur l'acteur[modifier | modifier le wikicode]
La seconde tradition de recherche est celle de l'apprentissage politique, qui adopte une perspective micro-politique centrée sur l'acteur. Contrairement à la théorie des systèmes, cette approche considère les individus comme des agents actifs dans leur propre socialisation politique. Ils ne sont pas de simples récepteurs passifs, mais interagissent avec divers agents socialisateurs et apprennent tout au long de leur vie.
Dans cette perspective, l'attention se déplace du système vers l'individu et ses capacités d'apprentissage et d'adaptation. Le comportement politique est vu comme le résultat d'un apprentissage continu, influencé par les expériences personnelles, les interactions sociales et l'engagement actif dans des activités politiques. L'individu interagit avec de multiples agents de socialisation tels que les pairs, les médias, les organisations politiques et les institutions éducatives, ce qui enrichit et façonne ses attitudes et comportements politiques.
L'engagement politique lui-même est considéré comme une source importante de socialisation. En participant activement à la vie politique, les individus acquièrent de nouvelles compétences, développent leur compréhension des processus politiques et renforcent leur identité politique. Il n'y a plus l'idée d'un parcours linéaire prédéfini, mais plutôt d'une circularité où l'individu, par sa participation, continue d'apprendre et de se resocialiser politiquement.
Cette approche met l'accent sur la socialisation secondaire, qui commence à l'adolescence et se poursuit à l'âge adulte. Elle est caractérisée par une autodéfinition de soi et un choix d'appartenance sociale. Les individus, à travers leurs expériences et interactions, construisent leur propre identité politique, choisissent leurs affiliations et développent leurs propres opinions. Le concept de capital social, défini par Robert D. Putnam comme l'ensemble des réseaux, des normes et de la confiance sociale qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel, est également crucial dans cette perspective. Le capital social est vu comme une forme de socialisation qui renforce l'apprentissage politique et l'engagement citoyen.
Analyse comparative des deux traditions[modifier | modifier le wikicode]
Ces deux traditions de recherche offrent des visions contrastées de la socialisation politique. La théorie des systèmes met l'accent sur le rôle des structures sociales et des institutions dans la formation des attitudes politiques, privilégiant la stabilité et la cohésion du système. Les individus sont perçus comme des sujets passifs, façonnés principalement durant leur enfance par les agents de socialisation primaires.
En revanche, l'approche de l'apprentissage politique considère les individus comme des acteurs actifs et réflexifs. Elle reconnaît que la socialisation politique est un processus dynamique et continu qui se déroule tout au long de la vie. Les individus apprennent, s'adaptent et influencent le système politique à travers leurs interactions et leur participation. Cette perspective souligne l'importance de la socialisation secondaire et du capital social dans le développement des compétences politiques et de l'engagement citoyen.
La distinction entre ces deux traditions de recherche met en lumière la complexité du processus de socialisation politique. Comprendre ces perspectives est essentiel pour analyser comment les individus développent leurs attitudes et comportements politiques, comment ils interagissent avec le système politique et comment ils contribuent à sa stabilité ou à son évolution.
La théorie des systèmes souligne l'importance des premières années de vie et du rôle des institutions dans la transmission des valeurs politiques, favorisant ainsi la continuité du système politique. L'approche de l'apprentissage politique, quant à elle, met l'accent sur la capacité des individus à apprendre, à s'adapter et à influencer le système politique à travers leur engagement et leurs interactions sociales.
En intégrant ces deux perspectives, il est possible d'avoir une compréhension plus complète de la socialisation politique, en reconnaissant à la fois les influences structurelles et le rôle actif des individus. Cela permet d'appréhender la manière dont les individus deviennent des acteurs politiques informés et engagés, contribuant ainsi à la vitalité et à la dynamique de la démocratie.
Caractéristiques du processus de socialisation politique[modifier | modifier le wikicode]
Le concept de socialisation politique s'est historiquement développé pendant les premières phases de l'étude du comportement politique, notamment lors de l'émergence du behaviorisme au milieu du XXᵉ siècle. À cette époque, l'approche systémique dominait les analyses, mettant l'accent sur la manière dont les systèmes politiques influencent les comportements individuels. Les chercheurs se concentraient sur la transmission des valeurs et des normes politiques de la société vers l'individu, considéré souvent comme un récepteur passif de ces influences.
Jusqu'aux années 1970, l'étude de la socialisation politique était principalement marquée par trois postulats fondamentaux, reflétant les approches du conditionnement et du système :
- Les opinions et les comportements se fixent une fois pour toutes au cours de l'enfance : Selon ce postulat, l'enfance est perçue comme la période cruciale où les orientations politiques des individus se forment de manière durable. Les attitudes politiques acquises pendant cette phase seraient stables et peu susceptibles de changer à l'âge adulte. Des chercheurs comme David Easton et Jack Dennis ont soutenu cette idée en étudiant comment les enfants intègrent les symboles et les valeurs du système politique dès leur jeune âge.
- La socialisation politique est un processus unidirectionnel de transmission automatique d'attitudes et de comportements : Dans cette perspective, la socialisation politique est considérée comme un processus non intentionnel où l'individu est un objet plutôt qu'un sujet actif. Les agents de socialisation, tels que la famille, l'école et les médias, transmettent automatiquement les attitudes politiques, et l'individu les intériorise sans interaction ni critique. Cette vision est influencée par le behaviorisme, qui met l'accent sur les stimuli externes et les réponses comportementales, suggérant une adaptation quasi mécanique de l'individu à son environnement politique.
- La socialisation politique primaire se déroule selon un schéma universel : Ce postulat suggère que le processus de socialisation politique est homogène et uniforme pour tous les individus, indépendamment de leur contexte socio-économique, culturel ou historique. Il ne prend pas en compte les variations individuelles ou contextuelles qui peuvent influencer la manière dont les personnes intègrent les valeurs politiques. Cette approche universalisante a été critiquée pour son manque de considération des diversités sociales et culturelles.
À partir de la fin des années 1970, ces postulats ont été remis en question. Des critiques se sont élevées contre la vision déterministe et simpliste de la socialisation politique qu'ils véhiculaient. Les études empiriques ont montré que les opinions politiques ne sont pas figées dès l'enfance, mais peuvent évoluer tout au long de la vie en fonction des expériences personnelles, des interactions sociales et des événements socio-politiques.
Cette prise de conscience a conduit à l'émergence de l'approche de l'apprentissage politique, qui est progressivement devenue dominante. Contrairement à l'approche systémique, cette perspective considère l'individu comme un acteur actif dans sa propre socialisation politique. La socialisation est alors vue comme un processus bidirectionnel et continu, où l'individu interagit avec divers agents socialisateurs et construit ses propres attitudes politiques.
Des chercheurs comme Richard G. Niemi et M. Kent Jennings ont mis en évidence l'importance de la socialisation politique à l'adolescence et à l'âge adulte, soulignant que les expériences éducatives, professionnelles et sociales peuvent influencer significativement les orientations politiques. Ils ont montré que les attitudes politiques sont susceptibles de changer en réponse à de nouvelles informations ou situations, réfutant l'idée que les opinions se fixent une fois pour toutes durant l'enfance.
Ainsi, les caractéristiques du processus de socialisation politique ont évolué pour reconnaître plusieurs éléments clés :
- La fluidité des opinions et des comportements politiques : Les individus peuvent modifier leurs attitudes politiques en réponse à de nouvelles expériences, informations ou changements dans leur environnement social et politique. La socialisation politique est donc un processus dynamique qui se poursuit tout au long de la vie.
- Le rôle actif de l'individu dans sa propre socialisation : Les individus ne sont pas de simples récepteurs passifs des influences politiques. Ils interprètent, sélectionnent et parfois rejettent les informations et les normes qu'ils reçoivent, en fonction de leurs propres expériences et réflexions. Cette agentivité individuelle est centrale dans l'approche de l'apprentissage politique.
- La diversité des processus de socialisation : La socialisation politique varie en fonction des contextes culturels, sociaux et historiques. Les différences individuelles, les particularités des groupes sociaux et les spécificités culturelles influencent la manière dont les individus intègrent les valeurs politiques. Par exemple, le contexte familial, le niveau d'éducation, l'appartenance ethnique ou religieuse peuvent entraîner des trajectoires de socialisation politique distinctes.
Le processus de socialisation politique est complexe et multifacette. Les approches contemporaines reconnaissent qu'il ne s'agit pas d'un processus uniforme et déterminé uniquement par l'enfance. Au contraire, la socialisation politique est un parcours évolutif, influencé par une multitude de facteurs individuels et contextuels, où l'individu joue un rôle actif dans la construction de ses propres orientations politiques. Cette compréhension plus nuancée permet d'appréhender comment les individus participent à la vie politique de leur société et comment les systèmes politiques eux-mêmes peuvent évoluer en réponse aux transformations des attitudes et des comportements politiques de leurs citoyens.
Pour résumer les caractéristiques du processus de socialisation politique, il est essentiel de comprendre qu'il s'agit d'un processus interactif à la fois inintentionnel et délibéré. Cela signifie qu'il intègre des éléments du premier paradigme, où une partie de la socialisation politique nous est transmise par les agents de socialisation primaire, tels que la famille, l'école et les institutions religieuses, souvent de manière inconsciente. Ces agents jouent un rôle crucial dans la formation initiale des attitudes politiques, en inculquant des normes et des valeurs sans que l'individu en soit nécessairement conscient.
Parallèlement, le processus de socialisation politique comprend également une dimension liée à l'apprentissage politique voulu et recherché. À travers l'engagement actif et la participation à des activités politiques, les individus poursuivent délibérément leur propre socialisation. Ils interagissent avec divers agents de socialisation secondaire, tels que les associations, les organisations politiques, les partis, les médias et les groupes de pairs. Cette interaction active permet aux individus de développer, d'affiner et parfois de transformer leurs attitudes et comportements politiques.
Ce processus de socialisation politique a deux finalités complémentaires. La première est liée à l'existence de mécanismes de régulation des systèmes sociaux. En assurant la transmission et la reproduction des normes et des valeurs politiques, la socialisation politique contribue à la permanence et à la cohésion du système politique ou social. Elle renforce le système en maintenant une certaine continuité et en favorisant la stabilité politique. Cette perspective s'inscrit dans les approches systémiques et fonctionnalistes, où la socialisation est vue comme un moyen de perpétuer l'ordre social existant.
La seconde finalité est liée à la théorie individuelle de l'apprentissage. Ici, le but de la socialisation est d'insérer les individus dans un système donné en leur permettant de comprendre et de participer aux processus politiques. Elle explique comment les individus développent leurs propres comportements politiques à travers l'apprentissage et l'expérience. Cette finalité met l'accent sur l'agentivité des individus, reconnaissant leur capacité à influencer et à façonner activement leur environnement politique. Elle s'aligne avec les approches interactionnistes et constructivistes, qui voient les individus comme des acteurs actifs dans leur propre socialisation.
La socialisation politique se déroule à travers différentes phases et est influencée par divers agents de socialisation. Les agents de socialisation sont des instances qui peuvent être des institutions ou des personnes transmettant des attitudes politiques. Initialement, les agents de socialisation primaire, comme la famille et l'école, jouent un rôle prédominant dans la formation des premières attitudes politiques. Cependant, au fil du temps, les agents de socialisation secondaire, tels que les associations, les organisations politiques, les partis politiques, les médias et les groupes de pairs, deviennent de plus en plus influents. Aujourd'hui, on peut même avancer que les agents de socialisation secondaire sont peut-être plus importants que les agents de socialisation primaire, surtout à l'adolescence et à l'âge adulte, où les individus sont exposés à une multitude d'influences et d'expériences diverses.
Il est également crucial de garder à l'esprit le rôle et l'importance du contexte dans le processus de socialisation politique. Ce processus ne se produit pas de la même manière en fonction du contexte culturel, social, économique ou historique. Par exemple, les caractéristiques politiques d'un pays, son histoire, ses institutions, et les événements politiques contemporains peuvent influencer significativement la manière dont les individus sont socialisés politiquement. De plus, d'autres formes de contexte, comme le milieu socio-économique, l'appartenance ethnique, la religion ou la région géographique, peuvent également jouer un rôle déterminant. Le contexte détermine non seulement les contenus de la socialisation politique, mais aussi les agents de socialisation les plus influents et les mécanismes par lesquels la socialisation se produit.
En somme, le processus de socialisation politique est complexe et multifacette. Il combine des éléments inintentionnels, transmis principalement par les agents de socialisation primaire, et des éléments délibérés, acquis à travers un apprentissage politique actif et recherché. Il sert à la fois à renforcer le système politique en assurant sa cohésion et sa stabilité, et à permettre aux individus de s'insérer dans ce système en développant leurs propres comportements et attitudes politiques. La compréhension de ce processus nécessite une attention particulière aux différents agents de socialisation et au contexte dans lequel il se déroule, reconnaissant que la socialisation politique est un phénomène dynamique et contextuel qui varie selon les individus et les environnements.
L’impact biographique des mouvements sociaux[modifier | modifier le wikicode]
Les théories de la socialisation ont joué un rôle essentiel dans l'élaboration de diverses explications sociologiques, notamment en ce qui concerne l'étude des mouvements sociaux et les conséquences de l'engagement individuel au sein de ces mouvements. La socialisation, en particulier la socialisation secondaire, est utilisée pour comprendre comment l'engagement politique dans des mouvements sociaux peut avoir des effets significatifs sur les individus, en les socialisant davantage à la politique et en influençant durablement leur trajectoire personnelle et professionnelle.
Dans le domaine des mouvements sociaux, plusieurs aspects sont étudiés pour analyser les conséquences de la participation individuelle. Les conséquences politiques sont parmi les plus fréquemment examinées. Elles concernent la manière dont l'engagement dans un mouvement social influence les attitudes politiques, les comportements électoraux et la participation civique ultérieure des individus. Par exemple, des études ont montré que les personnes ayant participé à des mouvements sociaux sont plus susceptibles de rester politiquement actives, de voter régulièrement et de s'impliquer dans des activités communautaires.
Au-delà des conséquences politiques, les chercheurs s'intéressent également à l'impact culturel et social plus large que l'engagement dans un mouvement social peut avoir sur les individus. Cela inclut des changements dans les valeurs personnelles, les identités sociales, les réseaux sociaux et les perspectives sur des questions sociales et culturelles. L'engagement dans un mouvement social peut conduire à une transformation profonde de l'identité individuelle, renforçant le sentiment d'appartenance à une communauté et modifiant les croyances et les attitudes envers la société.
Un aspect particulier de cet impact est ce que l'on appelle l'impact biographique des mouvements sociaux. Ce concept se réfère aux effets durables que la participation à un mouvement social peut avoir sur la vie des individus, par opposition à ceux qui ne s'engagent pas. L'impact biographique peut se manifester de diverses manières, telles que des choix de carrière influencés par l'engagement militant, des changements dans les relations personnelles ou une orientation de vie différente basée sur les valeurs et les convictions acquises ou renforcées par l'expérience du mouvement.
Des sociologues comme Doug McAdam ont étudié cet impact biographique en profondeur. Dans son ouvrage "Freedom Summer" (1988), McAdam analyse comment la participation des étudiants au projet Freedom Summer de 1964, visant à inscrire les Afro-Américains sur les listes électorales dans le Mississippi, a eu des conséquences durables sur leur vie. Il constate que ces individus ont continué à être politiquement actifs, ont choisi des carrières orientées vers le service public ou le travail social, et ont maintenu des valeurs et des engagements sociaux forts, bien des années après leur participation initiale.
Cet impact biographique souligne l'importance de la socialisation secondaire, qui se produit à l'âge adulte et est souvent liée à des expériences significatives telles que l'engagement dans un mouvement social. Contrairement à la socialisation primaire, qui a lieu durant l'enfance et l'adolescence, la socialisation secondaire permet aux individus de développer de nouvelles identités et de réorienter leur trajectoire de vie en fonction de nouvelles expériences et influences.
L'étude de l'impact biographique des mouvements sociaux démontre comment la participation à ces mouvements peut avoir des conséquences profondes et durables sur les individus. Elle met en évidence le rôle de la socialisation secondaire dans le développement des attitudes politiques et des comportements sociaux, soulignant l'importance de comprendre les mouvements sociaux non seulement comme des phénomènes collectifs visant à changer la société, mais aussi comme des contextes qui transforment les individus qui y participent.
De nombreuses études ont été menées aux États-Unis sur les activistes de la Nouvelle Gauche (New Left) à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ces recherches, souvent qualitatives et longitudinales, ont utilisé des données de panel, c'est-à-dire des données recueillies en interrogeant les mêmes individus à différents moments dans le temps. Cette méthodologie permet de retracer les parcours individuels et d'analyser les évolutions personnelles, contrairement aux études transversales qui offrent une photographie à un moment donné.
Les chercheurs ont mis en évidence le rôle crucial de la phase de socialisation que constitue le premier engagement politique. L'expérience d'engagement dans les mouvements sociaux a un impact fort et durable sur les individus, influençant non seulement leurs attitudes politiques, mais aussi divers aspects de leur vie personnelle. Cet impact s'inscrit dans le cadre de la socialisation secondaire, où les expériences vécues à l'âge adulte continuent de façonner les attitudes, les comportements et les identités des individus.
Au niveau des attitudes politiques, les études ont montré que les personnes ayant participé activement à la Nouvelle Gauche ont maintenu une continuité dans leur identité politique. Par exemple, ceux qui se définissaient comme left-libertarians (libertaires de gauche) ont généralement conservé cette orientation, tandis que d'autres, partageant initialement ces convictions mais n'ayant pas participé activement au mouvement, étaient plus susceptibles de les abandonner ou de les exprimer moins fortement. Ces individus engagés sont également restés plus actifs en politique tout au long de leur vie, témoignant d'une participation soutenue aux processus politiques et civiques.
Les effets de cet engagement dépassent le cadre politique pour toucher la vie personnelle des individus. Les chercheurs ont observé des choix de vie qualifiés d'"alternatifs" parmi les anciens activistes de la Nouvelle Gauche. Ces personnes avaient, par rapport à celles qui ne s'étaient pas engagées, une plus grande propension à ne pas se marier ou à cohabiter plutôt qu'à officialiser une union. Elles étaient également plus susceptibles de ne pas avoir d'enfants ou d'en avoir plus tardivement. Ces choix reflètent une remise en question des normes sociales traditionnelles, influencée par les valeurs et les idéaux portés par le mouvement.
En outre, l'engagement dans la Nouvelle Gauche a eu un impact sur les choix professionnels des individus. Beaucoup ont opté pour des carrières en accord avec leurs convictions politiques et sociales, privilégiant des professions dans le secteur public, l'éducation, le travail social ou des domaines liés à la justice sociale et aux droits civiques. Ce choix professionnel est une manifestation de la volonté de continuer à œuvrer pour les changements sociopolitiques défendus par le mouvement.
L'ensemble de ces études souligne l'effet socialisateur de l'engagement politique sur les comportements et les attitudes des individus. L'expérience d'engagement dans un mouvement social agit comme un puissant agent de socialisation secondaire, renforçant ou modifiant les orientations politiques et influençant les trajectoires de vie. Cet impact durable sur les choix personnels et professionnels illustre comment la participation active à un mouvement social peut façonner l'identité et le parcours d'un individu bien au-delà de la période d'engagement initiale.
Cet exemple renforce l'idée que le paradigme de l'apprentissage politique est particulièrement pertinent pour expliquer le rôle de la socialisation. Plutôt que de considérer les individus comme des récepteurs passifs des influences politiques durant l'enfance (socialisation primaire), ce paradigme met l'accent sur le rôle actif des individus dans leur propre socialisation à travers des expériences vécues à l'âge adulte. L'engagement politique est ainsi vu comme un processus d'apprentissage continu, où les individus interagissent avec leur environnement social et politique, développant et affinant leurs attitudes et comportements.
En conclusion, l'étude de l'impact biographique des mouvements sociaux, telle que celle menée sur les activistes de la Nouvelle Gauche américaine, démontre comment l'engagement politique peut avoir des conséquences profondes et durables sur les individus. Elle souligne l'importance de la socialisation secondaire et de l'apprentissage politique dans la formation des attitudes, des comportements et des choix de vie, enrichissant notre compréhension du processus complexe de socialisation politique.
Capital social[modifier | modifier le wikicode]
Le capital social est un concept qui a gagné en popularité au cours des vingt cinque dernières années en science politique, bien qu'il trouve ses origines dans la sociologie. Cependant, il ne fait pas l'unanimité, notamment en ce qui concerne sa définition, sa conceptualisation et son utilisation pour l'étude du comportement politique. Une distinction importante dans les définitions et la conceptualisation du capital social réside dans la différence entre les niveaux micro et macro.
Approches microsociologiques et macrosociologiques du capital social[modifier | modifier le wikicode]
Il existe une distinction entre une approche microsociologique ou micro-politique, où le capital social est considéré comme une ressource individuelle possédée par les individus, et une approche macrosociologique, qui voit le capital social comme une caractéristique des collectivités ou des sociétés.
Dans l'approche microsociologique, Pierre Bourdieu est une référence clé. Pour Bourdieu, le capital social est l'un des trois types de capitaux, aux côtés du capital économique et du capital culturel. Il définit le capital social comme "l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance" (Bourdieu, 1980). Autrement dit, le capital social est constitué des relations sociales que les individus peuvent mobiliser pour obtenir des avantages personnels. Il est intrinsèquement lié à la position sociale de l'individu et peut être converti en capital économique ou culturel.
D'autres auteurs, tels que James Coleman, ont également contribué à la conceptualisation du capital social au niveau individuel. Coleman considère le capital social comme une ressource qui facilite l'action des individus au sein des structures sociales. Il met l'accent sur les fonctions du capital social, en soulignant comment les relations sociales peuvent influencer les résultats éducatifs, le développement des enfants et le fonctionnement des communautés.
Dans l'approche macrosociologique, le capital social est souvent considéré comme une propriété collective qui peut affecter le fonctionnement des institutions et la performance économique et politique des sociétés. Robert D. Putnam est l'un des principaux auteurs dans cette perspective. Dans son ouvrage "Bowling Alone" (2000), Putnam définit le capital social comme les "traits de l'organisation sociale tels que les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel". Selon lui, un capital social élevé dans une société est associé à une participation civique active, une meilleure gouvernance et des performances économiques supérieures.
Débats autour de la définition et de l'utilisation du capital social[modifier | modifier le wikicode]
La diversité des définitions du capital social a conduit à des débats sur sa pertinence et son utilité en science politique et en sociologie. Certains critiques soulignent que le concept est trop large et manque de clarté conceptuelle, ce qui rend difficile son opérationnalisation et sa mesure empirique. D'autres soutiennent que le capital social peut avoir des effets négatifs, par exemple en renforçant des réseaux exclusifs, en favorisant la corruption ou en entravant l'intégration sociale de certains groupes.
Malgré ces critiques, le capital social reste un concept influent pour comprendre les comportements politiques et sociaux. Il permet d'analyser comment les relations sociales et les réseaux peuvent influencer la participation politique, la confiance dans les institutions et la cohésion sociale. Les recherches empiriques continuent d'explorer les différentes dimensions du capital social, en tenant compte des niveaux micro et macro, pour mieux comprendre son impact sur les sociétés contemporaines.
Le capital social est un concept multidimensionnel qui a suscité un intérêt croissant en science politique et en sociologie. La distinction entre les approches microsociologiques, focalisées sur les ressources individuelles, et les approches macrosociologiques, axées sur les propriétés collectives, reflète la complexité du concept. Des auteurs tels que Pierre Bourdieu, James Coleman et Robert Putnam ont apporté des contributions significatives à sa conceptualisation, bien que des débats persistent quant à sa définition précise et à son application dans l'étude du comportement politique.
Alejandro Portes : le capital social comme ressource individuelle[modifier | modifier le wikicode]
Une définition faisant autorité dans la littérature est celle proposée par Alejandro Portes, pour qui le capital social est "l'habilité des acteurs à s'assurer des bénéfices en vertu de l'appartenance à des réseaux sociaux ou à d'autres structures sociales". Dans cette perspective, le capital social est perçu comme quelque chose qui découle de l'insertion des individus dans des réseaux sociaux. La socialisation est ainsi considérée comme le fruit de l'appartenance à différents réseaux, permettant aux individus de mobiliser des ressources en fonction de leurs relations sociales. Cette définition, large et générale, est largement utilisée dans la littérature sur le capital social, mettant l'accent sur les avantages que les individus peuvent tirer de leurs connexions sociales.
Des sociologues tels que Pierre Bourdieu et James Coleman partagent une vision similaire du capital social comme ressource individuelle. Bourdieu définit le capital social comme "l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance". Pour lui, le capital social est un des types de capitaux, aux côtés du capital économique et du capital culturel, qui peuvent être convertis les uns en les autres et qui contribuent à la position sociale d'un individu.
Coleman, quant à lui, considère le capital social comme une ressource qui facilite certaines actions des individus au sein des structures sociales. Il met l'accent sur les fonctions du capital social, soulignant comment les relations sociales peuvent influencer les résultats éducatifs, le développement des enfants et le fonctionnement des communautés. Dans cette approche, le capital social est inhérent aux relations entre les individus et peut être mobilisé pour atteindre des objectifs personnels ou collectifs.
Robert D. Putnam : le capital social comme propriété du système[modifier | modifier le wikicode]
Une autre approche conceptualise le capital social comme une propriété du système ou de la collectivité. Cette perspective a été popularisée par Robert D. Putnam à partir des années 1990. Selon Putnam, le capital social est défini comme "les caractéristiques de l'organisation sociale, telles que les réseaux, les normes et la confiance, qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel". Dans cette vision, le capital social n'est pas seulement une ressource individuelle, mais une caractéristique de la société dans son ensemble qui peut améliorer la performance des institutions et la qualité de la vie civique.
Putnam a illustré cette approche dans son étude comparative des régions italiennes dans son ouvrage "Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy" (1993). Il y montre que les gouvernements régionaux du nord de l'Italie sont plus efficaces que ceux du sud, en grande partie grâce à un capital social plus développé, caractérisé par une culture civique forte et des réseaux associatifs denses. Pour Putnam, le capital social en tant que propriété collective influence le fonctionnement des institutions démocratiques et la prospérité économique, soulignant l'importance des liens sociaux et de la confiance au sein de la société.
Dans cette perspective, certains chercheurs estiment que la notion de capital social et celle de réseau social se superposent. Pour eux, le capital social est constitué par l'ensemble des réseaux dans lesquels les individus sont insérés, et ces réseaux eux-mêmes sont porteurs de normes et de confiance qui facilitent la coopération. D'autres considèrent que le capital social est le résultat de l'insertion dans ces réseaux, mettant l'accent sur les bénéfices que les individus ou la collectivité peuvent en tirer.
Distinction entre les deux approches[modifier | modifier le wikicode]
La différence principale entre ces deux définitions réside dans la conception du capital social comme ressource individuelle versus propriété collective. Pour des auteurs comme Portes, Bourdieu et Coleman, le capital social est une ressource que les individus possèdent et peuvent mobiliser grâce à leur insertion dans des réseaux sociaux. Il s'agit d'un capital qui peut être accumulé et utilisé par les individus pour atteindre leurs objectifs personnels, influençant leur position sociale et leur capacité à agir au sein de la société.
En revanche, pour des auteurs comme Putnam, le capital social est plutôt une caractéristique du système social ou de la collectivité. Il englobe les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coopération et le bénéfice mutuel à l'échelle de la société. Dans cette perspective, le capital social est un bien public qui profite à tous les membres de la communauté, renforçant la cohésion sociale et la performance institutionnelle.
Cette distinction a des implications importantes pour la compréhension de la socialisation. Dans l'approche individuelle, la socialisation est le processus par lequel les individus s'insèrent dans des réseaux sociaux et accumulent du capital social, influençant leurs opportunités et leur comportement politique. Dans l'approche systémique, le capital social est une caractéristique de la société qui façonne la socialisation des individus en leur fournissant un environnement riche en réseaux, en normes partagées et en confiance mutuelle, ce qui peut influencer positivement la participation politique et le fonctionnement démocratique.
Putnam soutient que des niveaux élevés de capital social au sein d'une société favorisent la participation civique et la responsabilité collective, contribuant ainsi à une meilleure gouvernance. Son analyse des différences entre le nord et le sud de l'Italie illustre comment des variations dans le capital social peuvent avoir des conséquences significatives sur le développement politique et économique régional.
Le concept de capital social peut être compris de manière différente selon qu'on le considère comme une ressource individuelle ou comme une propriété du système. Ces deux approches offrent des perspectives complémentaires pour étudier comment les relations sociales et les réseaux influencent le comportement politique, la cohésion sociale et le fonctionnement des institutions. La distinction entre les visions de Portes, Bourdieu et Coleman d'une part, et celle de Putnam d'autre part, souligne l'importance de considérer à la fois les dimensions individuelles et collectives du capital social dans l'analyse sociopolitique.
Différentes conceptualisations du capital social : Stolle[modifier | modifier le wikicode]
Le concept de capital social a été exploré par divers auteurs qui en ont proposé des définitions et des conceptualisations distinctes. Dans The Oxford Handbook of Political Behavior (2007), édité par Russell J. Dalton et Hans-Dieter Klingemann, Dietlind Stolle met en évidence trois perspectives clés liées à trois auteurs influents : Robert D. Putnam, James S. Coleman et Nan Lin. Ces perspectives diffèrent en termes de définition du capital social, des aspects importants des interactions sociales, des bénéfices qu'il apporte aux individus ou aux systèmes, et de la conscience que les acteurs ont de ces bénéfices.
Robert D. Putnam : l'importance des normes de réciprocité[modifier | modifier le wikicode]
Pour Robert D. Putnam, le capital social est défini comme "les caractéristiques de l'organisation sociale telles que les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel" (Putnam, 1995). Il met l'accent sur les normes de réciprocité et la confiance généralisée au sein de la société. Les interactions sociales importantes dans sa perspective sont celles qui renforcent la cohésion communautaire et la participation civique. Le capital social, selon Putnam, est une propriété collective qui profite au système dans son ensemble, améliorant la performance des institutions démocratiques et le bien-être social. Les acteurs peuvent ne pas être pleinement conscients des bénéfices individuels, mais leur participation aux réseaux sociaux et aux associations civiles contribue à un bénéfice mutuel et à une société plus fonctionnelle.
James S. Coleman : les ressources dans la structure sociale[modifier | modifier le wikicode]
James S. Coleman conceptualise le capital social en se concentrant sur les aspects de la structure sociale qui fournissent diverses ressources aux acteurs pour satisfaire leurs intérêts. Dans son ouvrage Foundations of Social Theory (1990), Coleman définit le capital social par sa fonction : il facilite certaines actions des acteurs au sein de la structure sociale. Les interactions sociales importantes sont celles qui créent des obligations, des attentes et des canaux d'information. Le capital social est vu comme une ressource individuelle qui émerge de la structure sociale, permettant aux acteurs d'atteindre leurs objectifs. Les acteurs sont au moins partiellement conscients des bénéfices que le capital social peut leur apporter et peuvent chercher à développer des relations qui les aideront à satisfaire leurs intérêts.
Nan Lin : investissement dans les relations sociales pour un retour sur le marché[modifier | modifier le wikicode]
Pour Nan Lin, le capital social est défini comme "l'investissement dans des relations sociales avec une attente de retour" (Lin, 2001). Il met l'accent sur le fait que les individus investissent délibérément dans des relations sociales pour obtenir des ressources précieuses, en particulier dans un contexte de marché. Les interactions sociales importantes sont celles qui peuvent fournir des avantages économiques ou professionnels. Le capital social est donc considéré comme une ressource individuelle stratégique, où les acteurs sont pleinement conscients des bénéfices potentiels et cherchent activement à maximiser leur position en investissant dans des réseaux sociaux pertinents.
Analyse comparative des trois perspectives[modifier | modifier le wikicode]
Bien que ces trois conceptualisations partagent l'idée que le capital social découle des relations sociales, elles diffèrent sur plusieurs points clés. Concernant la définition du capital social, Putnam le voit comme une propriété collective centrée sur les réseaux communautaires et les normes de réciprocité bénéficiant au système dans son ensemble. Coleman considère le capital social comme une ressource individuelle émergeant de la structure sociale, facilitant les actions des acteurs pour atteindre leurs intérêts. Lin définit le capital social comme un investissement individuel dans les relations sociales avec une attente consciente de retour sur le marché.
Les aspects importants des interactions sociales varient également. Putnam souligne l'importance des réseaux horizontaux, des normes de réciprocité et de la confiance généralisée pour la coopération et la participation civique. Coleman met l'accent sur les obligations mutuelles, les attentes et les canaux d'information qui facilitent l'action au sein de la structure sociale. Lin se concentre sur les relations stratégiques pouvant fournir des ressources et des avantages économiques ou statutaires aux individus.
En ce qui concerne les bénéfices du capital social, pour Putnam, ils sont collectifs, améliorant la performance des institutions et la qualité de la vie démocratique. Chez Coleman, les bénéfices sont à la fois individuels et collectifs, facilitant les actions des acteurs et le fonctionnement efficace de la société. Selon Lin, les bénéfices sont principalement individuels, visant à améliorer la position et les opportunités des acteurs sur le marché.
Enfin, la conscience des bénéfices par les acteurs diffère entre les perspectives. Putnam suggère que les acteurs peuvent ne pas être pleinement conscients des bénéfices, ceux-ci émergeant de la participation communautaire et profitant au collectif. Coleman indique que les acteurs sont partiellement conscients des avantages, cherchant à établir des relations qui faciliteront leurs actions. Lin affirme que les acteurs sont pleinement conscients des bénéfices potentiels et investissent intentionnellement dans les relations sociales pour obtenir des retours.
Conclusion[modifier | modifier le wikicode]
Dans chacune de ces perspectives, l'idée fondamentale est que le capital social est le fruit d'un ensemble de relations que les individus entretiennent avec différents groupes, personnes ou institutions. Qu'il soit considéré comme une propriété collective renforçant la cohésion sociale (Putnam), comme une ressource individuelle facilitant l'action au sein de la structure sociale (Coleman), ou comme un investissement stratégique pour obtenir des avantages sur le marché (Lin), le capital social joue un rôle crucial dans le fonctionnement des sociétés et des systèmes politiques. Ces différentes conceptualisations reflètent des approches variées de la manière dont les interactions sociales et les réseaux peuvent être mobilisés pour générer des bénéfices, tant au niveau individuel que collectif. Comprendre ces distinctions est essentiel pour analyser comment le capital social influence les comportements politiques, la participation civique et le fonctionnement des institutions démocratiques.
Sources du capital social[modifier | modifier le wikicode]
Le concept de capital social suscite un intérêt croissant, notamment en ce qui concerne ses sources et ses conséquences. Comprendre d'où provient le capital social est essentiel pour saisir son rôle dans la société contemporaine. Traditionnellement, le capital social a été perçu comme émergeant principalement de la société civile, à travers les réseaux informels, les associations volontaires et les interactions entre individus. Cependant, la perspective dominante aujourd'hui élargit cette vision en reconnaissant que le capital social peut également provenir de manière plus verticale, c'est-à-dire de l'État lui-même. L'État peut jouer un rôle actif dans la production et la promotion du capital social en établissant des institutions, des politiques publiques et des cadres législatifs qui favorisent la confiance, la coopération et la participation citoyenne.
Dans son article influent "Social Capital: Its Origins and Applications in Modern Sociology" publié en 1998, Alejandro Portes examine en profondeur les origines et les applications du capital social dans la sociologie moderne.[8] Portes distingue clairement entre la définition du capital social, ses sources ou origines, et ses effets. Il souligne que le capital social ne se résume pas à une seule dimension, mais qu'il est le résultat d'interactions complexes entre les individus, les réseaux sociaux et les structures institutionnelles.
Selon Portes, les sources du capital social sont multiples. Elles incluent non seulement les relations interpersonnelles et les réseaux communautaires, mais aussi les structures formelles et informelles qui soutiennent ces relations. Les normes de réciprocité, la confiance mutuelle et les obligations sociales sont des éléments clés qui alimentent le capital social au niveau micro. Au niveau macro, les institutions étatiques peuvent renforcer le capital social en promouvant des politiques qui encouragent la participation civique, la transparence et la responsabilité sociale.
Cependant, Portes met également en garde contre le risque de mélanger les définitions, les sources et les effets du capital social, ce qui peut compliquer son étude empirique. En confondant ces dimensions, il devient difficile de mesurer précisément le capital social et de comprendre comment il influence les comportements individuels et collectifs. Pour une analyse rigoureuse, il est donc crucial de distinguer clairement ce qu'est le capital social (sa définition), d'où il vient (ses sources) et ce qu'il produit (ses effets).
En résumé, les sources du capital social sont à la fois horizontales et verticales. Elles émanent des interactions sociales au sein de la société civile, mais aussi des structures et des politiques mises en place par l'État. Cette double origine souligne l'importance de considérer à la fois les dynamiques sociales informelles et le rôle des institutions publiques dans la formation et le renforcement du capital social. Comprendre ces sources permet non seulement d'analyser plus finement le capital social, mais aussi de concevoir des interventions politiques visant à le développer pour le bénéfice de la société dans son ensemble.
Alejandro Portes insiste sur l'importance de distinguer la définition du capital social de ses sources et de ses conséquences. Selon lui, le capital social peut provenir de diverses origines, et il est essentiel de ne pas confondre ce qu'est le capital social avec les facteurs qui le génèrent ou les effets qu'il produit. Portes souligne également la nécessité de différencier les sources du capital social en fonction de leur nature, qu'elles soient de type expressif ou instrumental.
Les sources expressives du capital social se réfèrent aux relations sociales qui sont une fin en soi pour les individus. Dans ce cas, les acteurs s'engagent dans des interactions sociales pour satisfaire des besoins identitaires, affectifs ou communautaires. Ces relations renforcent le sentiment d'appartenance et les liens de solidarité au sein d'un groupe. Les sources instrumentales, en revanche, impliquent que les individus établissent des relations sociales dans le but d'obtenir des avantages spécifiques. Ici, le capital social découle d'échanges basés sur des intérêts réciproques, où les acteurs cherchent à maximiser leurs bénéfices personnels ou professionnels grâce à leur réseau social.
Portes met également en lumière le rôle de différents agents dans la génération du capital social. Parmi les origines du capital social, il identifie l'État, la société civile et les motivations individuelles des acteurs. L'État peut contribuer à la production du capital social en créant des institutions et des politiques qui favorisent la confiance et la coopération entre les citoyens. La société civile, à travers les associations, les réseaux communautaires et les organisations non gouvernementales, joue également un rôle crucial en facilitant les interactions sociales et en renforçant les normes de réciprocité.
Il est essentiel, selon Portes, de ne pas se limiter à l'étude des conséquences positives du capital social, comme l'a souvent fait la littérature. Si le capital social peut effectivement favoriser la coopération, la confiance mutuelle et le fonctionnement efficace des institutions, il peut aussi engendrer des effets négatifs. Parmi ces conséquences négatives, on peut citer la formation de réseaux exclusifs qui peuvent conduire à l'exclusion sociale, la reproduction des inégalités, ou encore la facilitation de comportements déviants tels que la corruption ou le népotisme.
En distinguant clairement la définition du capital social de ses sources et de ses conséquences, Portes propose une approche analytique plus rigoureuse. Cette distinction permet d'éviter les confusions conceptuelles et facilite l'étude empirique du capital social. Elle invite également les chercheurs à examiner de manière critique non seulement les origines multiples du capital social, qu'elles soient expressives ou instrumentales, mais aussi à considérer pleinement ses effets, qu'ils soient bénéfiques ou préjudiciables pour les individus et la société.
Types de capital social[modifier | modifier le wikicode]
Le capital social a été largement étudié dans divers contextes pour comprendre le comportement politique. Un domaine spécifique d'étude, particulièrement en Suisse, s'intéresse à l'engagement politique des étrangers ou des immigrés. Dans ce cadre, de nombreux travaux utilisent une distinction proposée par Robert D. Putnam, qui identifie trois types différents de capital social : le bonding, le bridging et le linking.
Le capital social bonding[modifier | modifier le wikicode]
Le capital social de type bonding se réfère aux liens sociaux qui unissent des groupes socialement homogènes. Il s'agit de la valeur attribuée aux réseaux sociaux connectant des individus partageant des caractéristiques similaires, telles que l'origine ethnique, la religion, la classe sociale ou la culture. Ce type de capital social renforce la cohésion interne du groupe, favorise la solidarité, le soutien mutuel et le maintien de l'identité culturelle.
Dans le contexte des immigrés en Suisse, le capital social bonding peut se manifester par la formation de communautés ou d'associations culturelles où les membres partagent des expériences communes et s'entraident pour s'adapter à la nouvelle société. Bien que cela puisse offrir un soutien précieux, une forte concentration sur le bonding peut limiter les interactions avec d'autres groupes sociaux, ce qui peut freiner l'intégration plus large dans la société d'accueil.
Le capital social bridging[modifier | modifier le wikicode]
Le capital social de type bridging concerne les liens sociaux qui relient des groupes socialement hétérogènes. C'est la valeur attribuée aux réseaux sociaux qui établissent des ponts entre des individus ou des groupes différents en termes d'ethnicité, de religion, de statut socio-économique ou de culture. Pour Putnam, ce type de capital social est essentiel car il favorise la compréhension mutuelle, la tolérance et la coopération entre différents segments de la société.
En Suisse, le capital social bridging est crucial pour les immigrés cherchant à s'intégrer pleinement dans la société. En participant à des organisations communautaires mixtes, des associations sportives ou des projets de voisinage, les immigrés peuvent établir des relations avec des membres de la société suisse, élargissant ainsi leurs réseaux sociaux. Cela peut conduire à une meilleure compréhension interculturelle, à la réduction des préjugés et à l'accès à de nouvelles opportunités économiques et sociales.
Le capital social linking[modifier | modifier le wikicode]
Le capital social de type linking se réfère aux liens qui relient de manière verticale les individus ou les groupes sociaux aux institutions politiques et aux structures de pouvoir. C'est la valeur attribuée aux réseaux sociaux qui connectent les membres de la société civile aux décideurs politiques, aux administrations publiques et aux organisations formelles.
Pour les immigrés en Suisse, le capital social linking est particulièrement important pour accéder aux ressources institutionnelles, aux informations sur les droits et les obligations, et pour participer aux processus décisionnels. Par exemple, la participation à des conseils consultatifs municipaux, à des ateliers organisés par des institutions gouvernementales ou à des programmes d'intégration peut renforcer les liens entre les immigrés et les structures politiques. Cela facilite leur inclusion politique et sociale, leur permettant de faire entendre leur voix et d'influencer les politiques qui les concernent.
Impact sur la participation politique[modifier | modifier le wikicode]
Ces différents types de capital social ont des impacts variés sur la participation politique. Le capital social bonding peut renforcer la mobilisation politique au sein d'un groupe homogène, en consolidant les identités collectives et en encourageant la participation à des causes communes. Cependant, il peut également conduire à l'isolement social et à la fragmentation, limitant l'engagement avec le reste de la société.
Le capital social bridging, en favorisant les liens entre des groupes divers, est associé à une participation politique plus inclusive et à une société civile dynamique. Il permet aux individus d'accéder à une variété de perspectives, de ressources et d'opportunités, encourageant une participation plus active et informée dans la sphère politique.
Le capital social linking est crucial pour l'accès aux institutions politiques et pour l'influence sur les processus décisionnels. Il peut accroître la confiance des individus dans les institutions, renforcer la légitimité du système politique et encourager une participation politique formelle. Pour les immigrés, un capital social linking solide peut faciliter l'acquisition de la citoyenneté, l'engagement dans des partis politiques ou des organisations non gouvernementales, et la défense de leurs droits.
En combinant ces trois types de capital social, on peut créer un environnement favorable à une participation politique accrue et à une intégration sociale réussie. Les politiques publiques et les initiatives communautaires visant à renforcer le capital social bridging et linking peuvent jouer un rôle déterminant dans l'engagement des immigrés et des minorités dans la vie politique suisse. En encourageant des interactions intergroupes et en facilitant l'accès aux institutions politiques, il est possible de promouvoir une démocratie plus inclusive et représentative.
Capital social et participation politique des immigrés : modèle[modifier | modifier le wikicode]
Un ensemble de chercheurs, parmi lesquels Dirk Jacobs et Jean Tillie, se sont intéressés à l'explication de la participation politique des immigrés en se basant sur le concept de capital social. Dans leur article intitulé "Introduction: Social Capital and Political Integration of Migrants" (Journal of Ethnic and Migration Studies, 2004), ils proposent un modèle d'analyse causale, ou path analysis, pour examiner les variables qui influencent la participation politique des populations immigrées.
Ces chercheurs partent d'une critique de la conception de Robert D. Putnam, qui considère le capital social essentiellement comme une propriété du système. Selon Putnam, la densité des associations au sein d'une société est un indicateur de la qualité ou de la quantité du capital social existant. Toutefois, Jacobs et Tillie estiment que cette approche systémique ne suffit pas à expliquer les comportements politiques individuels. Ils soutiennent qu'il est crucial de comprendre dans quelle mesure ce capital social, au niveau systémique, se traduit en une ressource individuelle possédée ou non par les acteurs.
Dans leur modèle, ils intègrent des variables de contrôle ainsi que des variables liées au capital social, mesurées à travers l'adhésion à des associations de volontariat. Bien qu'ils reconnaissent l'idée putnamienne que le capital social est constitué par l'appartenance à des associations, ils affinent cette conception en distinguant entre le "ethnic membership" et le "cross-ethnic membership", correspondant respectivement aux notions de "bonding" et "bridging" de Putnam. Le "bonding" désigne les liens sociaux au sein de groupes socialement homogènes, renforçant la cohésion interne et la solidarité entre membres partageant une même identité ethnique ou culturelle. Le "bridging", quant à lui, se réfère aux liens qui relient des groupes socialement hétérogènes, favorisant l'interaction et la compréhension mutuelle entre différentes communautés.
En appliquant cette distinction, Jacobs et Tillie explorent l'impact de l'insertion des immigrés dans différentes associations sur leur participation politique. Ils examinent comment l'appartenance à des associations ethniques peut renforcer les réseaux internes et le capital social bonding, tout en évaluant si cela favorise ou entrave la participation politique au sens plus large. Par ailleurs, ils analysent comment l'engagement dans des associations interethniques ou générales contribue au capital social bridging, potentiellement plus propice à une intégration politique accrue et à une participation plus active dans la société d'accueil.
Leur modèle suggère que le capital social individuel, issu de l'engagement associatif, joue un rôle déterminant dans la mobilisation politique des immigrés. Les variables de capital social, mesurées par le degré d'adhésion à différents types d'associations, influencent directement la propension des individus à participer à la vie politique. En particulier, le capital social bridging est considéré comme un facteur clé pour expliquer une participation politique plus élevée, car il facilite l'accès à des ressources diversifiées, élargit les réseaux sociaux et renforce le sentiment d'efficacité politique.
Ainsi, l'approche de Jacobs et Tillie met en évidence l'importance de dépasser une conception purement systémique du capital social pour intégrer la dimension individuelle. Ils démontrent que ce n'est pas seulement la densité des associations dans une société qui compte, mais aussi la manière dont les individus s'approprient ce capital social et le transforment en ressource personnelle. En distinguant entre les types de capital social et en analysant leur impact spécifique sur la participation politique des immigrés, ils apportent une contribution significative à la compréhension des mécanismes d'intégration politique.
Cette analyse souligne également la nécessité de promouvoir des politiques et des initiatives favorisant le capital social bridging, afin de faciliter l'engagement politique des populations immigrées. En encourageant la participation à des associations interethniques et en renforçant les liens entre différentes communautés, il est possible de créer un environnement plus inclusif et propice à une intégration politique réussie.
Capital social et participation politique des immigrés : résultats[modifier | modifier le wikicode]
Dans leur étude sur le capital social et l'intégration politique des migrants, Jacobs et Tillie (2004) analysent comment l'appartenance à des associations influence la participation politique des immigrés dans quatre pays. Leurs résultats montrent que, dans chaque pays étudié, le "ethnic membership", c'est-à-dire l'appartenance à des associations ethniques, est un facteur déterminant de la participation politique. Les immigrés qui sont membres d'associations fournissant un capital social de type bonding ont une probabilité plus élevée de participer politiquement que ceux qui ne sont pas membres de telles associations.
Cette observation suggère que l'engagement dans des associations, même celles qui sont socialement homogènes, joue un rôle crucial dans la mobilisation politique des immigrés. Toutefois, Jacobs et Tillie soulignent que ce n'est pas tant le type de capital social (bonding ou bridging) qui explique la participation, mais plutôt le fait même d'être membre d'une association et de tirer parti du capital social généré par cette appartenance. L'insertion dans des réseaux associatifs offre aux individus des ressources, des informations et des opportunités qui favorisent leur implication dans la sphère politique.
Cette perspective est en partie en accord avec le modèle du "civic voluntarism" proposé par Verba et ses collègues. Selon ce modèle, l'appartenance à des associations ne fournit pas directement du capital social, mais développe des capacités civiques chez les individus. Ces capacités incluent des compétences organisationnelles, une meilleure compréhension des enjeux politiques et une confiance accrue en leur capacité à influencer le processus politique. Ces compétences civiques, acquises à travers l'engagement associatif, peuvent ensuite être mobilisées pour participer activement à la vie politique.
Ainsi, les résultats de Jacobs et Tillie mettent en évidence l'importance de l'appartenance associative pour la participation politique des immigrés. Ils suggèrent que, indépendamment du type de capital social en jeu, c'est l'engagement dans des associations qui facilite l'intégration politique. Cela a des implications significatives pour les politiques d'intégration et les initiatives visant à encourager la participation politique des immigrés. En soutenant et en promouvant l'accès des immigrés à diverses associations, il est possible de renforcer leur capital social et leurs capacités civiques, ce qui peut conduire à une participation politique plus active et inclusive.
En conclusion, le capital social, mesuré à travers l'appartenance à des associations, joue un rôle essentiel dans la participation politique des immigrés. Ce n'est pas nécessairement le type spécifique de capital social qui importe le plus, mais plutôt l'existence de liens associatifs qui permettent aux individus de développer les ressources et les compétences nécessaires pour s'engager politiquement. Cette compréhension souligne la valeur des associations en tant qu'espaces de socialisation politique et de développement des capacités civiques, contribuant ainsi à une démocratie plus participative et représentative.
La socialisation politique et le capital social comme moteurs de l'engagement politique[modifier | modifier le wikicode]
La socialisation politique se révèle être un processus essentiel et complexe qui façonne les attitudes, les comportements et les identités politiques des individus. À travers les différentes définitions proposées par des auteurs tels que Bélanger et Lemieux, Berger et Luckmann, et Boudon et Bourricaud, il est clair que la socialisation englobe la transmission et l'intériorisation des normes, des valeurs et des pratiques culturelles et politiques. Ces définitions mettent en lumière le rôle des structures sociales, des institutions et des apprentissages individuels dans l'intégration des individus au sein de la société.
La distinction entre le paradigme du conditionnement et celui de l'interaction offre deux perspectives pour comprendre la socialisation politique. Le paradigme du conditionnement envisage la socialisation comme un processus unidirectionnel où les individus, principalement durant l'enfance, intériorisent passivement les normes et les valeurs imposées par la société. À l'inverse, le paradigme de l'interaction considère les individus comme des acteurs actifs qui, tout au long de leur vie, apprennent et s'adaptent en interagissant avec divers agents de socialisation. Cette dualité reflète également les traditions de recherche en socialisation politique, opposant la théorie des systèmes, centrée sur la stabilité et le maintien du système politique, à l'approche de l'apprentissage politique, focalisée sur l'engagement actif des individus et leur capacité à influencer le système politique.
Les caractéristiques du processus de socialisation politique ont évolué, passant d'une vision statique et déterministe à une compréhension dynamique qui reconnaît l'importance de la socialisation secondaire. L'engagement dans les mouvements sociaux, comme l'illustrent les études sur les activistes de la Nouvelle Gauche aux États-Unis, démontre l'impact biographique significatif de la participation politique. Ces expériences d'engagement ont des effets durables sur les attitudes politiques, les choix de vie personnels et professionnels, soulignant le rôle de la socialisation continue à l'âge adulte.
Le concept de capital social, bien que débattu et défini de diverses manières, est central pour comprendre les mécanismes de participation politique. Les approches de Portes, Bourdieu, Coleman et Putnam offrent des perspectives complémentaires. Tandis que certains voient le capital social comme une ressource individuelle issue de l'insertion dans des réseaux sociaux, d'autres le considèrent comme une propriété collective caractérisant la société dans son ensemble. La distinction entre les types de capital social—bonding, bridging et linking—permet d'analyser comment les réseaux sociaux, qu'ils relient des groupes homogènes, hétérogènes ou qu'ils connectent les individus aux institutions, influencent la participation politique.
Les recherches sur la participation politique des immigrés, notamment les travaux de Jacobs et Tillie, mettent en évidence que l'appartenance à des associations joue un rôle crucial dans la mobilisation politique. Ce n'est pas uniquement le type de capital social qui importe, mais le fait d'être membre d'une association qui fournit des ressources et développe des capacités civiques, favorisant ainsi l'engagement politique. Ces études soulignent l'importance des réseaux associatifs pour renforcer le capital social et faciliter l'intégration politique des populations immigrées.
La socialisation politique et le capital social sont des éléments fondamentaux qui influencent la manière dont les individus participent à la vie politique. Ils mettent en exergue l'importance des interactions sociales, des réseaux et des institutions dans la formation de citoyens actifs et engagés. Comprendre ces processus est essentiel pour promouvoir une participation politique inclusive, renforcer la cohésion sociale et soutenir le fonctionnement démocratique des sociétés contemporaines.
Annexes[modifier | modifier le wikicode]
- Coleman, J. S. (1990). Foundations of Social Theory. Cambridge, MA: Harvard University Press.
- Lin, N. (2001). Social Capital: A Theory of Social Structure and Action. Cambridge: Cambridge University Press.
- Putnam, R. D. (1995). "Bowling Alone: America's Declining Social Capital". Journal of Democracy, 6(1), 65-78.
- Stolle, D. (2007). "Social Capital". In R. J. Dalton & H.-D. Klingemann (Eds.), The Oxford Handbook of Political Behavior (pp. 655-676). Oxford: Oxford University Press.
Références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Marco Giugni - UNIGE
- ↑ Marco Giugni - Google Scholar
- ↑ Marco Giugni - Researchgate.net
- ↑ Marco Giugni - Cairn.info
- ↑ Marco Giugni - Protest Survey
- ↑ Marco Giugni - EPFL Press
- ↑ Marco Giugni - Bibliothèque Nationale de France
- ↑ Portes, A. (1998). Social Capital: Its Origins and Applications in Modern Sociology. Annual Review of Sociology, 24(1), 1–24. https://doi.org/10.1146/annurev.soc.24.1.1
- ↑ Revenir plus haut en : 9,0 et 9,1 Jacobs, D., & Tillie, J. (2004). Introduction: social capital and political integration of migrants. Journal of Ethnic and Migration Studies, 30(3), 419–427. https://doi.org/10.1080/13691830410001682016