« Évolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la Modernité » : différence entre les versions

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{{Infobox Lecture
Basé sur un cours de Michel Oris<ref>[https://cigev.unige.ch/institution/team/prof/michel-oris/ Page personnelle de Michel Oris sur le site de l'Université de Genève]</ref><ref>[http://cigev.unige.ch/files/4114/3706/0157/cv_oris_fr_20150716.pdf CV de Michel Oris en français]</ref>
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| cours = [[Histoire économique et sociale de la globalisation, 16e-21e siècles]]
| en = Evolution of Socioeconomic Structures in the Eighteenth Century: From the Ancien Régime to Modernity
| faculté = [[Global Studies Institute]]
| es = Evolución de las estructuras socioeconómicas en el siglo XVIII: del Antiguo Régimen a la Modernidad
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| it = Evoluzione delle strutture socio-economiche nel Settecento: dall'Ancien Régime alla Modernità
| professeurs = [[Michel Oris]]
| pt = Evolução das Estruturas Socioeconómicas no Século XVIII: Do Antigo Regime à Modernidade
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| de = Entwicklung der sozioökonomischen Strukturen im 18. Jahrhundert: Vom Ancien Régime zur Moderne
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| ch = 十八世纪社会经济结构的演变: 从旧制度到现代性
*[[Une gigantesque paysannerie]]
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*[[Le régime démographique ancien : l'homéostasie]]
 
*[[Structures et changements de structures : le XVIIIe siècle]]
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*[[Origines et causes de la révolution industrielle anglaise]]
|[[Histoire économique et sociale de la globalisation, 16e-21e siècles]]
*[[Mécanismes structurels de la révolution industrielle]]
|[[Structures Agraires et Société Rurale: Analyse de la Paysannerie Européenne Préindustrielle]] [[Le régime démographique d'ancien régime : l'homéostasie]] [[Évolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la Modernité]] [[Origines et causes de la révolution industrielle anglaise]] [[Mécanismes structurels de la révolution industrielle]] [[La diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale ]] [[La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le Japon]] [[Les coûts sociaux de la révolution industrielle]] [[Analyse Historique des Phases Conjoncturelles de la Première Mondialisation]] [[Dynamiques des Marchés Nationaux et Mondialisation des Échanges de Produits]] [[La formation de systèmes migratoires mondiaux]] [[Dynamiques et Impacts de la Mondialisation des Marchés de l'Argent : Le Rôle Central de la Grande-Bretagne et de la France]] [[La transformation des structures et des relations sociales durant la révolution industrielle]] [[Aux Origines du Tiers-Monde et l'Impact de la Colonisation]] [[Echecs et blocages dans les Tiers-Mondes]] [[Mutation des Méthodes de Travail: Évolution des Rapports de Production de la Fin du XIXe au Milieu du XXe]] [[L'Âge d'Or de l'Économie Occidentale : Les Trente Glorieuses (1945-1973)]] [[L'Économie Mondiale en Mutation : 1973-2007]] [[Les défis de l’État-Providence]] [[Autour de la colonisation : peurs et espérances du développement]] [[Le Temps des Ruptures: Défis et Opportunités dans l'Économie Internationale]] [[Globalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »]]
*[[La diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale ]]
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*[[Au-delà de l'Europe]]
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*[[Les coûts sociaux de la révolution industrielle]]
*[[Introduction : les trois temps de la conjoncture]]
*[[Marchés nationaux et marchés mondiaux de produits]]
*[[La formation de systèmes migratoires mondiaux]]
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*[[Aux origines du tiers-monde]]
*[[Echecs et blocages dans les Tiers-Mondes]]
*[[L’organisation des rapports de production : un raccourci pour aller de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle]]
*[[Les Trente Glorieuses]]
*[[Une nouvelle économie : 1973 - 2007]]
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*[[Autour de la colonisation : peurs et espérances du développement]]
*[[Le temps des ruptures]]
*[[Globalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »]]
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Le XVIIIe siècle marque l'avènement d'une ère révolutionnaire dans le cours de l'histoire humaine, façonnant de manière indélébile l'avenir de l'Europe et, par extension, du monde. Ce siècle, ancré entre des traditions anciennes et des visions modernes, a été un carrefour des contrastes et des contradictions. Au début de ce siècle, l'Europe restait largement une mosaïque de sociétés agraires, régies par des structures féodales ancestrales et une noblesse héréditaire détenant le pouvoir et les privilèges. La vie quotidienne était rythmée par les cycles agricoles et la grande majorité de la population vivait dans de petites communautés rurales, dépendantes de la terre pour leur subsistance. Cependant, les germes du changement étaient déjà présents sous la surface, prêts à éclore.
À mesure que le siècle progressait, un vent de changement soufflait sur le continent. L'influence des philosophes des Lumières, qui préconisaient la raison, la liberté individuelle et le scepticisme vis-à-vis de l'autorité traditionnelle, commençait à remettre en question l'ordre établi. Les salons littéraires, les cafés et les journaux sont devenus des forums pour les idées progressistes, alimentant le désir de réforme sociale, économique et politique. La dynamique économique de l'Europe connaissait également une transformation radicale. L'introduction de nouvelles méthodes agricoles et la mise en œuvre de la rotation des cultures ont amélioré le rendement des terres, favorisant une croissance démographique et augmentant la mobilité sociale. Le commerce international s'intensifiait grâce aux avancées dans la navigation et à l'expansion coloniale, et des villes comme Amsterdam, Londres et Paris devenaient des centres bourdonnants de commerce et de finance. La révolution industrielle, bien qu'à ses balbutiements, commençait à montrer son visage à la fin du XVIIIe siècle. Les innovations technologiques, en particulier dans le textile, transformaient les méthodes de production et déplaçaient l'accent de l'économie du domaine rural vers les villes urbaines en expansion. L'énergie hydraulique et plus tard la machine à vapeur révolutionnaient l'industrie et le transport, pavant la voie à une production de masse et à une société plus industrialisée.
Pourtant, cette période de croissance et d'expansion était également témoin d'une inégalité croissante. La mécanisation entraînait souvent le chômage parmi les travailleurs manuels, et les conditions de vie dans les villes industrialisantes étaient fréquemment misérables. La richesse générée par le commerce international et la colonisation des Amériques n'était pas également répartie, et les avantages du progrès étaient souvent tempérés par l'exploitation et l'injustice. Les bouleversements politiques, tels que la Révolution française et la guerre d'indépendance américaine, ont montré le potentiel et le désir de gouvernement représentatif, sapant les fondations de la monarchie absolue et jetant les bases des républiques modernes. La notion d'État-nation commençait à émerger, redéfinissant l'identité et la souveraineté. La fin du XVIIIe siècle a donc été une période de transition spectaculaire, où le monde ancien faisait place progressivement à de nouvelles structures et idéologies. L'empreinte de ces transformations a façonné les sociétés européennes et a établi les prémisses du monde contemporain, inaugurant des débats qui continuent de résonner dans notre société actuelle.


= Notions de structures et de conjoncture =
= Notions de structures et de conjoncture =


On entend par "structure" des éléments importants qui caractérisent un régime économique. Ces éléments ses caractérisent par leur stabilité.
Dans le jargon des sciences économiques et sociales, le terme "structure" renvoie aux caractéristiques et aux institutions durables qui composent et définissent le fonctionnement d'une économie. Ces éléments structurels incluent les lois, les régulations, les normes sociales, les infrastructures, les institutions financières et politiques, ainsi que les modèles de propriété et les répartitions des ressources. Les éléments structurels sont considérés stables car ils sont intégrés au tissu de la société et de l'économie et ne changent pas rapidement ou facilement. Ils servent de fondement pour les activités économiques et sont cruciaux pour comprendre comment et pourquoi une économie fonctionne de la manière dont elle le fait.
Les faits de structure sont les composantes  d’un système qui tend vers l’équilibre.
 
Le concept d'équilibre en économie, souvent associé à l'économiste Léon Walras, est un état théorique où les ressources sont allouées de la manière la plus efficace possible, c'est-à-dire que l'offre rencontre la demande à un prix qui satisfait à la fois producteurs et consommateurs. Dans un tel système, aucun acteur économique n'a l'incitation à changer sa stratégie de production, de consommation ou d'échange, parce que les conditions existantes maximisent l'utilité pour tous dans les limites des contraintes données. Cependant, dans la réalité, les économies sont rarement, voire jamais, dans un état d'équilibre parfait. Les changements structurels, comme ceux observés pendant le XVIIIe siècle avec la transition vers des systèmes économiques plus industrialisés et capitalistes, impliquent un processus dynamique où les structures économiques évoluent et s'adaptent. Ce processus peut être perturbé par des innovations technologiques, des découvertes scientifiques, des conflits, des politiques gouvernementales, des mouvements sociaux, ou des crises économiques, qui peuvent tous entraîner des déséquilibres et nécessiter des ajustements structurels. Les économistes étudient ces changements structurels pour comprendre comment les économies se développent et réagissent à diverses perturbations, et pour informer les politiques qui visent à promouvoir la stabilité, la croissance, et le bien-être économique.
 
Dans le contexte du capitalisme, la structure peut être envisagée comme l'ensemble des cadres réglementaires, des institutions, des réseaux d'entreprises, des marchés et des pratiques culturelles qui façonnent et soutiennent l'activité économique. Cette structure est essentielle pour le bon fonctionnement du capitalisme, qui repose sur les principes de la propriété privée, de l'accumulation de capital, et des marchés concurrentiels pour la distribution des biens et services. L'intégrité structurelle d'un système capitaliste, c'est-à-dire la robustesse et la résilience de ses composantes et institutions, est cruciale pour assurer sa stabilité et sa capacité à s'auto-réguler. Dans un tel système, chaque élément – qu'il s'agisse d'une institution financière, d'une entreprise, d'un consommateur ou d'une politique gouvernementale – doit fonctionner efficacement et de manière autonome, tout en étant en cohérence avec l'ensemble du système. Le capitalisme est théoriquement conçu pour être un système autorégulé où l'interaction des forces de marché – principalement l'offre et la demande – mène à un équilibre économique. Par exemple, si la demande pour un produit augmente, le prix tend à augmenter, ce qui signifie une plus grande incitation pour les producteurs à produire plus de ce produit, ce qui, à terme, devrait rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande. Cependant, l'histoire économique montre que les marchés et les systèmes capitalistes ne sont pas toujours auto-correctifs et peuvent parfois être sujets à des déséquilibres persistants, tels que des bulles spéculatives, des crises financières, ou des inégalités croissantes. Dans ces cas, les éléments du système peuvent ne pas s'adapter efficacement ou rapidement, entraînant une instabilité qui peut nécessiter une intervention extérieure, comme la réglementation gouvernementale ou les politiques monétaires et fiscales, pour rétablir la stabilité. Ainsi, bien que le capitalisme tende vers une certaine forme d'équilibre grâce à la flexibilité et l'adaptabilité de ses structures, la réalité de son fonctionnement peut être beaucoup plus complexe et nécessite souvent une gestion prudente et une régulation pour éviter les dysfonctionnements.
 
== La Structure d’Ancien Régime ==
L'économie de l'Ancien Régime, qui prévalait en Europe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle et qui est particulièrement associée à la France pré-révolutionnaire, était principalement dominée par l'agriculture. Cette prédominance agraire était fortement marquée par la monoculture céréalière, avec le blé comme étalon de cette production. Cette spécialisation reflétait les besoins alimentaires fondamentaux de l'époque, les conditions climatiques et environnementales, ainsi que des pratiques agricoles ancrées dans la tradition. La terre constituait la source principale de richesse et le symbole du statut social, ce qui engendrait une structure socio-économique rigide peu encline au changement et à l'adoption de nouvelles méthodes de culture.
La productivité de l'agriculture de l'Ancien Régime était faible. Les rendements des terres étaient limités par l'usage de techniques agricoles traditionnelles et un manque criant d'innovation. La rotation triennale des cultures et la dépendance aux aléas de la nature, sans moyens technologiques avancés, restreignaient l'efficience agricole. L'investissement dans des technologies susceptibles d'améliorer la situation était rare, freiné par une combinaison de manque de connaissances, de capital, et d'un système social qui ne valorisait pas l'entrepreneuriat agricole.
 
En ce qui concerne la démographie, l'équilibre de la population était maintenu par des coutumes sociales telles que le mariage tardif et un taux élevé de célibat définitif, pratiques particulièrement répandues dans l'Europe du Nord-Ouest. Ces habitudes, associées à une forte mortalité infantile et à des périodes récurrentes de famine ou de pandémie, régulaient naturellement la croissance démographique malgré les maigres productions agricoles.
 
Le développement des moyens de transport et de communication était également très limité, engendrant une économie caractérisée par l'existence de micromarchés. Les coûts élevés de transport rendaient prohibitif le commerce de marchandises sur de longues distances, à l'exception de produits à forte valeur ajoutée comme les montres produites à Genève. Ces articles de luxe, qui s'adressaient à une clientèle aisée, pouvaient absorber les frais de transport sans compromettre leur compétitivité sur les marchés éloignés.
 
Enfin, la production industrielle et artisanale de l'Ancien Régime était principalement axée sur la fabrication de biens de consommation courante, dictée par la "loi d'urgence de consommation", à savoir les nécessités de manger, boire et se vêtir. Les industries, en particulier le textile, étaient souvent des activités à petite échelle, réparties sur le territoire et fortement contrôlées par des corporations qui restreignaient la concurrence et l'innovation. Cette production limitée était cohérente avec les besoins immédiats et les capacités économiques de la majorité de la population de l'époque.
 
Cet ensemble de caractéristiques définissait une économie et une société où le statu quo prévalait, laissant peu de place à l'innovation et au changement dynamique. La rigidité des structures de l'Ancien Régime a, par conséquent, joué un rôle dans le retard de l'entrée de pays comme la France dans la Révolution industrielle, par rapport à l'Angleterre où des réformes sociales et économiques ont ouvert la voie à une modernisation plus rapide.
 
== La Conjoncture: Analyse et Impact ==
L'histoire économique et sociale est marquée par des cycles de croissance et de récession, des crises et des périodes de reprise qui se déroulent sur le long terme. La modification des structures socio-économiques est un processus ardu, notamment parce qu'il implique de perturber l'équilibre de systèmes qui sont en place depuis des siècles. Ces structures ne sont toutefois pas figées et témoignent de la dynamique constante de la société qui évolue continuellement, même si les modalités de cette évolution peuvent être subtiles et complexes à discerner.
 
Les crises sont souvent le résultat d'une accumulation de tensions au sein d'un système qui a connu une longue période de stabilité apparente. Ces tensions peuvent être exacerbées par des événements catastrophiques qui forcent une réorganisation du système en place. Les crises peuvent également engendrer une polarisation sociale plus marquée, avec des gagnants et des perdants plus distincts à mesure que la société s'adapte et réagit aux changements.
 
L'image des "montées puis des reculs, comme des marées successives" est une métaphore puissante pour décrire ces cycles économiques et sociaux. Il y a des périodes de croissance démographique ou économique qui semblent s'inverser ou être annulées par des périodes de crise ou de dépression. Ces "flux et reflux" sont caractéristiques de l'histoire humaine, et leur étude offre des aperçus précieux sur les forces qui façonnent les sociétés au fil du temps. Cela suggère également une résilience inhérente aux systèmes sociaux, qui bien que confrontés à des "pannes" régulières, sont capables de se reprendre et de s'élever à nouveau, bien que jamais tout à fait de la même manière qu'auparavant. Chaque cycle apporte avec lui des changements, des adaptations et parfois des transformations profondes des structures existantes.


== Structure d’ancien régime ==  
= L'Aube de la Croissance Économique =
Ces notions caractérisent un régime économique :
Le XVIIIe siècle est marqué par une expansion démographique sans précédent dans l'histoire européenne. La population du Royaume-Uni, par exemple, a connu une croissance impressionnante, passant d'environ 5,5 millions d'habitants au début du siècle à 9 millions à l'aube du XIXe siècle, soit une augmentation de près de 64%. Cette croissance démographique est l'une des plus remarquables de l'époque, reflet de l'amélioration des conditions de vie et des progrès technologiques et agricoles. La France n'est pas en reste avec une augmentation de sa population de 22 à 29 millions d'habitants, ce qui représente une hausse de 32%. Ce taux de croissance, bien que moins spectaculaire que celui du Royaume-Uni, témoigne néanmoins d'un changement significatif dans la démographie française, bénéficiant également de l'amélioration de l'agriculture et d'une relative stabilité politique. À l'échelle du continent européen, la population globale a connu une croissance d'environ 58%, un chiffre remarquable étant donné que l'Europe avait été sujet à des crises démographiques récurrentes dans les siècles précédents. Contrairement aux périodes antérieures, cette croissance n'a pas été suivie de crises démographiques majeures, comme des famines ou des épidémies à grande échelle, qui auraient pu réduire significativement le nombre d'habitants. 
*''' La domination écrasante de l’agriculture'''. Celle-ci est fondamentalement une agriculture céréalière : structure mono-économique ou mono-sectorielle (blé, blé, blé et blé).
*'''La faible productivité''', soit de faibles rendements est un autre élément de structure : structurellement ont n’arrivait pas à investir pour augmenter les capacités.
*'''homéostasie''' : équilibre des populations grâce, en Europe de l’Ouest, au célibat définitif et au mariage tardif
*'''La carence de moyens de transport et de voies de communication.'''  Ceci crée des micromarchés. Les coûts de transports étant élevés, on ne pouvait transporter la marchandise puisque ce que l’on transportait devenait trop cher. On a donc une multitude de micromarchés. Genève, enclave calviniste en pays catholique, développe l’horlogerie pour pouvoir exporter les montres, qui sont chères à la base, et pouvoir exporter et vendre aux élites.
*'''production industrielle/artisanale d’ancien régime faible''' (principalement textile) : on ne produit que des biens de consommation dont l’objectif est de répondre à la « loi d’urgence de consommation », c’est-à-dire manger, boire et se vêtir


== Conjoncture ==
Ces changements démographiques sont d'autant plus notables qu'ils se sont produits sans les traditionnelles « corrections » par la mortalité qui avaient historiquement accompagné les hausses de population. Les raisons de ce phénomène sont multiples : l'amélioration de la production agricole grâce à la Révolution agricole, les progrès dans le domaine de la santé publique, et le début de la Révolution industrielle qui a créé de nouveaux emplois et encouragé l'urbanisation. Ces augmentations de population ont joué un rôle crucial dans le développement économique et les transformations sociales de l'époque, en fournissant une main-d'œuvre abondante pour les industries naissantes et en stimulant la demande pour les produits manufacturés, posant ainsi les fondements des sociétés modernes européennes.
Il y a des cycles, des crises, des périodes récupération qui ont lieu sur la longue durée. Changer de structure est un processus difficile, car on doit changer des équilibres séculaires.


{{citation bloc|des montées puis des reculs, comme des marées successives. Un mouvement alterné, des flux et des reflux de la démographie qui sont le symbole de la vie de jadis, succession de pannes et d'essors, les premiers s'obstinant à annuler presque entièrement - pas tout à fait - les seconds.{{Référence nécessaire}}}}
La croissance démographique exceptionnelle du XVIIIe siècle en Europe peut être attribuée à plusieurs facteurs interdépendants qui, ensemble, ont modifié le paysage socio-économique du continent. L'innovation agricole a été un moteur clé de cette croissance. L'introduction de cultures en provenance de différents continents a diversifié et enrichi le régime alimentaire européen. Le maïs et le riz, importés respectivement d'Amérique latine et d'Asie, ont transformé l'agriculture dans le sud de l'Europe, notamment dans le nord de l'Italie, qui s'est adapté à la culture intensive du riz. Dans le nord et l'ouest de l'Europe, la pomme de terre a joué un rôle similaire. Sa propagation rapide au cours du siècle a permis d'augmenter l'apport calorique par rapport aux céréales traditionnelles et est devenue l'aliment de base des classes populaires. Le commerce a également contribué de manière significative à la prospérité et à l'augmentation de la population, surtout dans les îles britanniques. Le Royaume-Uni, en particulier, a bâti une flotte marchande robuste, s'établissant comme le "commerçant du monde". Le développement de la Révolution industrielle a permis de produire en masse des biens qui étaient ensuite distribués à travers le continent. En 1740, lorsqu'une mauvaise récolte a frappé l'Europe de l'Ouest, l'Angleterre a pu éviter une crise de mortalité en important du blé de l'Europe de l'Est grâce à sa flotte, alors que la France, moins bien connectée par voie maritime, subissait les conséquences de cette disette. Les Pays-Bas, eux aussi, bénéficiaient d'une puissance commerciale considérable grâce à leur marine marchande. Enfin, le changement dans les structures économiques a eu un impact profond. Le passage du "domestic system", où la production se faisait à domicile, à la proto-industrialisation, a créé de nouvelles dynamiques économiques. La proto-industrialisation, qui implique une augmentation de la production artisanale souvent rurale avant l'industrialisation complète, a posé les bases pour une révolution industrielle qui allait transformer les économies locales en économies d'échelle, amplifiant la capacité de production et de distribution des biens. Ces facteurs, conjugués à des progrès dans la santé publique et une meilleure gestion des ressources alimentaires, ont non seulement permis à la population européenne d'augmenter de façon substantielle, mais ont aussi pavé la voie à un avenir où l'industrialisation et le commerce mondial deviendraient les piliers de l'économie mondiale.  
= Le Domestic System ou Verlagsystem: Fondements et Mécanismes =


= La croissance, enfin ! =
Le Verlagsystem, ou système de mise en ouvrage, fut un précurseur essentiel de l'industrialisation en Europe. Caractéristique de certaines régions d'Allemagne et d'autres parties de l'Europe entre le XVIIe et le XIXe siècle, ce système marquait une étape intermédiaire entre le travail artisanal et la production industrielle en usine qui prédominerait plus tard. Dans ce système, le Verleger, souvent un entrepreneur ou un marchand aisé, jouait un rôle central. Il distribuait les matières premières nécessaires aux travailleurs – généralement des artisans ou des paysans qui cherchaient à compléter leurs revenus. Ces travailleurs, utilisant l'espace de leur propre foyer ou de petits ateliers locaux, se concentraient sur la production de biens selon les spécifications fournies par le Verleger. Ils étaient rémunérés à la pièce, et non par un salaire fixe, ce qui les encourageait à être aussi productifs que possible. Une fois les biens produits, le Verleger les récupérait, s'occupait de la finition si nécessaire, et les vendait sur le marché local ou à l'exportation. Le Verlagsystem a facilité l'expansion du commerce et a permis une plus grande spécialisation du travail. Il a été particulièrement dominant dans les industries textiles, où des articles comme les vêtements, les tissus et les rubans étaient produits en masse.
On observe au XVIIIe siècle un déblocage avec un accroissement de la population : le Royaume-Uni connaît une croissance démographique de 64% entre 1700 et 1800 (de 5.5 millions à 9 millions), la France une croissance de 32% (de 22 à 29 millions). La population a augmenté plus que jamais (globalement, de 58% en Europe) et n’a pas connu de crise post croissance.  


Cette croissance fulgurante a plusieurs raisons :  
Ce système présentait plusieurs avantages à l'époque : il offrait une flexibilité considérable en termes de main-d'œuvre, permettant aux travailleurs de s'adapter à la demande saisonnière et aux fluctuations du marché. En outre, il a permis aux entrepreneurs de minimiser les coûts fixes, comme ceux associés à la maintenance d'une grande usine, et de contourner certaines des restrictions des guildes, qui contrôlaient strictement la production et le commerce dans les villes. Toutefois, le Verlagsystem n'était pas sans défauts. Les travailleurs, liés à la pièce, pouvaient se retrouver dans une situation de quasi-dépendance vis-à-vis du Verleger, et étaient vulnérables aux pressions économiques telles que la baisse des prix des biens finis ou la hausse des coûts des matières premières. Avec l'avènement de la révolution industrielle et le développement de la production en usine, le Verlagsystem a progressivement décliné, les nouvelles machines permettant une production plus rapide, plus efficace et à plus grande échelle. Néanmoins, il a été une étape cruciale dans la transition de l'Europe vers une économie industrielle et a jeté les bases de certains principes de production modernes.
* L’élément qui a marqué tout le continent européen est l’amélioration des cultures. De nouveaux produits sont arrivés sur le marché, résultat du désenclavement du continent européen (maïs d’Amérique latine et riz d’Asie, qui arrivent en Europe du Sud, ainsi l’Italie du Nord devient une zone de rizière. cf. l’Asie qui pouvait se permettre une part plus importante population urbaine parce que le riz nourrit plus que le pain). Dans les pays du Nord et de l’Ouest, c’est la pomme de terre qui a été décisive. Elle se répand à toute vitesse au XVIIIe siècle et permet de nourrir plus que le pain. Elle devient l’aliment des petites gens.
* Deuxième explication, qui fonctionne particulièrement bien dans les îles britanniques, c’est l’effet du commerce. Les Anglais ont développé une flotte et deviennent les « boutiquiers du monde » (produisant beaucoup grâce à la révolution industrielle, ils écoulent tous leurs produits dans l’ensemble du continent européen. En 1740, après une mauvaise récolte en Europe de l’Ouest, les Anglais envoient une flotte importer du blé d’Europe de l’Est, et échappent à la crise de mortalité qui devait suivre, contrairement à la France. L’Angleterre est le moins enclavé de tous les pays européens. Même chose aux Pays-Bas, grâce à la puissance commerciale de leur flotte).
* Dernière raison : le changement des structures économiques (domestic system puis proto-industrialisation).


= Le domestic system ou Verlagsystem =
Le système domestique, parfois appelé domestic system en anglais, ou encore système de production à domicile, fut particulièrement prévalent dans l'industrie textile en Europe à partir du XVIe siècle. Il constituait une méthode d'organisation du travail qui précédait l'industrialisation et qui impliquait une production dispersée à domicile plutôt que centralisée dans une usine ou un atelier. Dans ce système, les matières premières étaient fournies aux travailleurs à domicile, qui étaient souvent des agriculteurs ou des membres de leur famille cherchant à gagner un revenu supplémentaire. Ces travailleurs utilisaient des outils simples pour filer la laine ou le coton, et pour tisser des tissus ou d'autres biens textiles. Le processus était généralement coordonné par des entrepreneurs ou des marchands qui fournissaient les matières premières et qui, après la production, récupéraient les biens finis pour les vendre sur le marché. Cette méthode de travail présentait des avantages tant pour les marchands que pour les travailleurs. Les marchands pouvaient contourner les restrictions des guildes urbaines, qui réglementaient strictement le commerce et l'artisanat dans les villes. Pour les travailleurs, cela permettait de travailler depuis chez eux, ce qui était particulièrement avantageux pour les familles rurales qui pouvaient ainsi compléter les revenus de l'agriculture avec la production textile. Cependant, le système domestique avait ses limites. La production était souvent lente et les quantités produites relativement faibles. De plus, la qualité des biens pouvait varier considérablement. Avec le temps, ces inconvénients sont devenus plus apparents, particulièrement lorsque la révolution industrielle a introduit des machines plus efficaces et la production en usine. L'invention de machines comme le métier à tisser mécanique et la machine à filer a grandement augmenté la productivité, menant à l'obsolescence du système domestique et à la montée des manufactures puis des usines. Le système domestique était donc une étape significative dans l'évolution de la production industrielle, servant de pont entre le travail artisanal traditionnel et les méthodes de production à grande échelle qui le suivirent. Il a été le témoin des premières étapes du capitalisme industriel et de l'émergence d'une économie de marché plus moderne.


Le domestic system se retrouve principalement dans le textile surtout, et à partir du XVIème siècle.
Le système domestique, largement répandu avant l'avènement de l'industrialisation, se distinguait par sa structure de production décentralisée et la dynamique entre les artisans et les marchands. Au cœur de ce système se trouvaient les paysans qui, en dehors des saisons exigeantes des travaux agricoles comme les semailles et les moissons, consacraient leur temps à la production artisanale, notamment dans le secteur du textile. Ce modèle offrait aux travailleurs un moyen de compléter leur revenu souvent insuffisant, tout en leur garantissant une certaine souplesse d'emploi. En retour, les marchands bénéficiaient d'une main-d'œuvre abordable et adaptative. D'autre part, le marchand tenait un rôle pivot dans l'organisation économique de ce système. Non seulement il fournissait aux artisans les matières premières requises, mais il était également en charge de la distribution des outils et de la gestion des commandes. Sa capacité à centraliser l'achat et la distribution des ressources lui permettait de réduire les coûts de transport et d'exercer un contrôle sur la chaîne de production et de vente. De plus, en réglant le rythme de travail selon les commandes, le marchand adaptait l'offre à la demande, une pratique qui annonçait les principes de flexibilité du capitalisme moderne. Dans l'ensemble, le système domestique était marqué par la figure dominante du marchand-entrepreneur, qui orchestré la production et la commercialisation des produits finis, s'appuyant sur une main-d'œuvre agricole intermittente. Ce système allait évoluer progressivement, ouvrant la voie à des méthodes de production plus centralisées et à la révolution industrielle qui s'en suivrait.


Les caractéristiques du système sont de trois. Les deux premières relèvent de l'organisation de production avec deux composantes que sont la main-d'oeuvre et la figure du marchand :
Dans le cadre du système domestique qui prévalait avant la révolution industrielle, le rôle du paysan était caractérisé par une forte dépendance économique. Celle-ci s'articulait autour de plusieurs axes. Tout d'abord, la vie du paysan était rythmée par les saisons et les cycles agricoles, ce qui rendait son revenu incertain et variable. En conséquence, la production artisanale, notamment dans le secteur textile, constituait un complément de revenu nécessaire pour pallier l'insuffisance des gains issus de l'agriculture. La nature de cette dépendance était double : non seulement le paysan dépendait de l'agriculture pour sa subsistance principale, mais il était également dépendant des revenus complémentaires que lui procurait le travail artisanal. D'autre part, la relation du paysan avec le marchand était de nature asymétrique. Le marchand, qui contrôlait la distribution des matières premières et la commercialisation des produits finis, avait une influence considérable sur les conditions de travail du paysan. En fournissant les outils et en passant les commandes, le marchand dictait le flux de travail et déterminait indirectement le niveau de revenu du paysan. Cette dépendance était exacerbée par le fait que le paysan ne possédait pas les moyens de commercialiser lui-même ses produits à une échelle significative, ce qui l'obligeait à accepter les termes dictés par le marchand. La dépendance du paysan vis-à-vis du marchand était renforcée par la précarité de son statut économique. Avec peu de possibilités de négocier ou d'altérer les conditions de son travail artisanal, le paysan était vulnérable aux fluctuations de la demande et aux décisions du marchand. Cette situation perdura jusqu'à l'avènement de l'industrialisation, qui transforma radicalement les méthodes de production et les rapports économiques au sein de la société.  
*La '''main-d’œuvre''' travaille à temps partiel, le paysan le fait quand il n'est pas occupé par les semences ou moissons. C'est une main-d'oeuvre bon marché, il reçoit un revenu d'appoint. D'autre part, le rythme du travail est dicté par les commandes/
*Le '''marchand''' fournit les matières premières a tous les paysans. Le cout du transport est plus rentable. C'est lui aussi qui loue les outils et c'est lui qui passe les commandes.  
Le paysan lui est complètement dépendant.
*Les '''oppositions''' incarnées par les corporations d'artisans du textile trouvent que ce système main-d'oeuvre - marchand est une concurrence déloyale et c'est ce qui va empêcher le verlagsystem de décoller.  


On innove en créant une organisation de production : travail à temps partiel pour les paysans, ce qui occupe leurs périodes creuses de l’agriculture. On engage le paysan, car il est une main-d’œuvre bon marché.
Les corporations d'artisans du textile, institutions fortes du Moyen Âge jusqu'à la période moderne, jouaient un rôle essentiel dans la régulation de la production et de la qualité des biens, ainsi que dans la protection économique et sociale de leurs membres. Lorsque le système de production décentralisé, connu sous le nom de Verlagsystem ou putting-out system, a commencé à se développer, il a présenté un modèle alternatif dans lequel les marchands externalisaient le travail aux artisans et aux paysans qui travaillaient chez eux. Ce nouveau modèle a engendré des tensions significatives avec les corporations traditionnelles pour plusieurs raisons. Les corporations étaient fondées sur des règles strictes concernant la formation, la production et la vente des biens. Elles imposaient des standards élevés de qualité et garantissaient un certain niveau de vie à leurs membres, tout en limitant la concurrence pour protéger les marchés locaux. Le Verlagsystem, cependant, opérait en dehors de ces règlementations. Les marchands pouvaient contourner les contraintes des corporations, offrant ainsi des produits à moindre coût et souvent à une échelle beaucoup plus grande. Pour les corporations, cette forme de production représentait une concurrence déloyale car elle ne respectait pas les mêmes règles et pouvait menacer le monopole économique qu'elles maintenaient sur la production et la vente des textiles. En conséquence, les corporations cherchaient souvent à limiter ou à interdire les activités du Verlagsystem afin de préserver leurs propres pratiques et avantages. Ces oppositions ont parfois mené à des conflits ouverts et à des tentatives de réglementation plus strictes visant à freiner l'expansion de ce système. Malgré cela, le Verlagsystem a gagné du terrain, particulièrement là où les corporations étaient moins puissantes ou moins présentes, préfigurant ainsi les changements économiques et sociaux qui allaient caractériser la révolution industrielle.  
Mais le domestic system demeure un système marginal, minoritaire, et son impact est minime. On revient donc au blocage initial : les marchands ont des capitaux, achètent des matières premières, achètent le travail des paysans au prix le plus bas et vendent le produit fini. C’est un capitalisme commercial, et il y a blocage en raison de la faiblesse de la demande, car on vit dans des sociétés de misère de masse, de disette tous les quatre ans. Les gens achètent donc des vêtements et les font durer, en rapiéçant. Une consommation de masse implique un pouvoir d’achat, mais dans l’ensemble de la population le pouvoir d’achat n’existait pas – sauf chez la noblesse, la bourgeoisie et le clergé, qui étaient minoritaires. Le domestic system n’a donc pas crû en partie en raison de la faiblesse de la demande.


= La proto-industrialisation =
L'organisation de production qui émergea avec le domestic system offrait une innovation dans la gestion de la main-d'œuvre agricole. Ce système permettait aux paysans de profiter de leurs périodes creuses en travaillant à temps partiel pour des marchands ou des manufacturiers. Le paysan devenait ainsi une main-d'œuvre bon marché et flexible pour le marchand, qui pouvait s'adapter aux fluctuations de la demande sans les contraintes d'un engagement à plein temps. Malgré cette innovation, le domestic system est resté un phénomène relativement marginal et n'a pas eu l'impact transformateur qu'auraient pu en attendre les marchands capitalistes. Ces derniers détenaient le capital nécessaire pour acheter les matières premières et payer les paysans pour leur travail, souvent au prix le plus bas, avant de vendre les produits finis sur le marché. Cela représentait une forme de capitalisme commercial précoce, mais ce modèle économique se heurtait à un obstacle majeur : la faiblesse de la demande. La réalité sociale et économique de l'époque était celle d'une "société de misère de masse", où les famines étaient courantes et la consommation se limitait à la stricte nécessité. Les vêtements, par exemple, étaient achetés pour durer et étaient rapiécés et réutilisés plutôt que remplacés. La consommation de masse requiert un niveau de pouvoir d'achat qui n'était tout simplement pas présent dans la majorité de la population, à l'exception de quelques groupes minoritaires comme la noblesse, la bourgeoisie et le clergé. Ainsi, malgré ses aspects innovants, le domestic system n'a pas connu une croissance significative, en partie à cause de cette faiblesse de la demande et de la capacité d'achat globalement limitée. Cela a contribué à maintenir le système économique dans un état de "blocage", où les progrès technologiques et organisationnels seuls ne pouvaient pas déclencher un développement économique plus large sans une augmentation concomitante de la demande du marché.


== Franklin Mendels (1972), sa thèse sur la Flandre au XVIIIème siècle ==
= L'Émergence de la Proto-industrialisation =


La proto-industrialisation est un terme inventé par Franklin Mendels représentant les dynamiques rurales au XVIIIème siècle. On assiste à une croissance des populations, surtout dans les campagnes, et qui se divise en deux groupes sociaux à la fin du XVIIème siècle :
La proto-industrie, qui a pris son essor principalement avant la Révolution industrielle, constituait un stade intermédiaire entre l'économie agricole traditionnelle et l'économie industrielle. Cette forme d'organisation économique a vu le jour en Europe, particulièrement dans les régions rurales où les agriculteurs cherchaient à compléter leurs revenus en dehors des saisons de plantation et de récolte. Dans ce système, la production n'était pas centralisée comme dans les usines ultérieures de l'ère industrielle, mais dispersée dans de nombreux petits ateliers ou domiciles. Les artisans et les petits producteurs, qui travaillaient souvent en famille, se spécialisaient dans la production de biens spécifiques tels que des textiles, de la poterie ou des métaux. Ces biens étaient ensuite collectés par des marchands qui se chargeaient de leur distribution sur des marchés plus larges, souvent bien au-delà des marchés locaux.
*les paysans sans terres qui va constituer la future « armée de réserve » de la révolution industrielle;
*les paysans qui vont trouver des solutions et chercher des revenus ailleurs


== Caractéristiques de la proto-industrie (« putting-out system ») ==
La proto-industrialisation impliquait une économie mixte où l'agriculture restait l'activité principale, mais où la production de biens manufacturés jouait un rôle croissant. Cette période était marquée par une division du travail encore rudimentaire et une utilisation limitée de machines spécialisées, mais elle posait néanmoins les bases pour le développement ultérieur de l'industrialisation, notamment en accoutumant une partie de la population au travail en dehors de l'agriculture, en stimulant le développement de compétences dans la production de biens et en favorisant l'accumulation de capital nécessaire pour financer des entreprises plus importantes et plus technologiquement avancées.


La protoindustrie est la source de la croissance au XVIIIème siècle. Franklin Mendels, avec sa thèse sur la Flandre au XVIIIe (1972), met en évidence deux évènements :
== Franklin Mendels (1972): Thèse sur la Flandre au XVIIIème Siècle ==
*Il observe qu’au XVIIIe, la croissance de la population se fait essentiellement dans les campagnes, tandis que les populations des villes stagnaient. C’est le seul endroit au monde et le seul moment de l’histoire où la campagne est meneuse de la croissance.
*La bonne unité économique est le ménage (pas la ville ni le village), qui est donc l’unité de production et de reproduction.


Il fait des études de microéconomie sur les Flandres au XVIIIème siècle et suit 5000 ménages à travers les archives. Il s’aperçoit qu’au sein du monde rural d’Europe de l’Ouest il existe trois groupes sociaux en croissance :
Franklin Mendels a conceptualisé le terme "proto-industrialisation" pour décrire le processus évolutif qui s'est déroulé dans les campagnes européennes, notamment en Flandre durant le XVIIIème siècle, préfigurant la Révolution industrielle. Sa thèse met en exergue la coexistence de l'agriculture avec la production de biens manufacturés à petite échelle dans les foyers paysans. Cette double activité économique permettait aux familles rurales d'accroître leurs revenus et de diminuer leur vulnérabilité aux aléas agricoles. Selon Mendels, la proto-industrialisation se caractérisait par une distribution éparse de la production manufacturée, souvent réalisée dans de petits ateliers ou au sein des ménages, et non dans de grandes usines concentrées. Les paysans étaient souvent dépendants des marchands locaux qui fournissaient les matières premières et s'occupaient de la commercialisation des produits finis. Ce système stimulait la productivité et favorisait l'efficacité dans la production de biens manufacturés, ce qui dynamisait l'économie des régions concernées. En outre, cette période a été témoin de changements significatifs au niveau des structures familiales et sociales. Les familles paysannes s'adaptaient en adoptant des stratégies économiques combinant agriculture et production manufacturière. Ce phénomène a eu pour conséquence de familiariser la main-d'œuvre avec les activités manufacturières et de tisser des réseaux de distribution pour les biens produits, facilitant ainsi l'accumulation de capital. La proto-industrialisation a donc non seulement modifié le paysage économique de ces régions, mais a également eu un impact sur leur démographie, la mobilité sociale et les relations familiales, jetant les bases des sociétés industrielles modernes.
*Celui des paysans sans terre, conséquence naturelle de la croissance démographique. On a plus de deux enfants par couple, et on a donc plusieurs héritiers, et on partage désormais la terre entre eux. La niche n’est plus viable, on est en faillite. La croissance démographique met donc les paysans sous pression et conduit certains à la faillite. Certains allaient travailler pour les grands propriétaires terriens, les autres sont devenus « l’armée de réserve du capitalisme » (dixit Marx), soit ceux qui ont été travaillés dans l’industrie qui allait naître, puisqu’ils demandaient désespérément du travail.  
*Celui des paysans qui émigrent pour ne pas faire éclater le ménage, et vont chercher les revenus dans les villes/autres pays. Ceci dit, la mobilité paysanne était très forte, et des systèmes migratoires se mettaient en place au XVIIIe.
*Celui des paysans qui s’attachaient à leur terre et étaient ceux qui se lançaient dans la proto-industrie pour pouvoir survivre.


Proto-industrie : travail à domicile, à la campagne. C’est un artisanat que l’on ne voit pas. C’est toujours du temps partiel qui amène une diversification des revenus. Le travail proto-industriel est compatible avec le travail agricole ; le paysan se sert des temps morts de l’agriculture pour travailler sur les métiers à filer. Concrètement, on tire les ressources servant à se nourrir de l’agriculture (comme avant) et la proto industrielle permet d’augmenter ses revenus. S’il y a une mauvaise récolte et le prix du blé monte, on a toujours de quoi payer pour en acheter. S’il y a une crise du textile, on dispose toujours de la récolte pour se nourrir. Pour que la survie soit menacée, il faut donc qu’il y ait deux crises simultanées, un dans chacun des deux secteurs. Ceci se produit, mais est très rare.
À la fin du XVIIe siècle, l'augmentation de la population en Europe a entraîné des changements significatifs dans la composition sociale des campagnes. Cette croissance démographique a conduit à la distinction de deux groupes principaux au sein de la population rurale. D'une part, il y avait les paysans sans terres. Ce groupe était constitué d'individus qui ne possédaient pas de parcelles agricoles et qui dépendaient souvent du travail saisonnier ou journalier pour survivre. Ces personnes étaient particulièrement vulnérables aux fluctuations économiques et aux mauvaises récoltes. Avec l'essor de la Révolution industrielle, ils allaient devenir une main-d'œuvre essentielle, souvent décrite comme une "armée de réserve" du capitalisme industriel, car ils étaient disponibles pour travailler dans les nouvelles usines et manufactures en raison de leur absence de liens avec la terre. D'autre part, il y avait les paysans qui, face à la pression démographique et à la raréfaction des terres disponibles, ont cherché des sources de revenus alternatives. Ces paysans ont commencé à se tourner vers des activités non agricoles, telles que la production artisanale ou le travail à domicile dans le cadre de systèmes tels que le domestic system ou la proto-industrialisation. Ils ont ainsi contribué à la diversification économique des campagnes et à la préparation des populations rurales aux transformations industrielles à venir. Ces dynamiques ont abouti à une réorganisation socio-économique des campagnes, avec un impact sur les structures traditionnelles de l'agriculture et une implication croissante des zones rurales dans les circuits économiques plus larges du commerce et de la production manufacturière.
== Caractéristiques de la Proto-industrie (« Putting-Out System ») ==


Avoir deux sources de revenus change profondément l’existence des paysans. La pauvreté est toujours « de masse », mais on a réalisé un gain important dans la sécurisation de l’existence.
Le XVIIIe siècle a été une période de transformations économiques profondes en Europe, et en particulier dans des régions comme la Flandre. L'historien économique Franklin Mendels, dans sa thèse emblématique sur la Flandre du XVIIIe siècle, a identifié plusieurs éléments clés qui caractérisent la protoindustrie, un système qui a préparé le terrain pour la révolution industrielle. L'une des constatations les plus surprenantes de Mendels est que, contrairement aux périodes antérieures de l'histoire, la croissance démographique au XVIIIe siècle était principalement centrée dans les campagnes plutôt que dans les villes. Cela marque un renversement des tendances démographiques historiques où les villes étaient habituellement les moteurs de la croissance. Cette expansion de la population rurale a entraîné un surplus de main-d'œuvre disponible pour de nouvelles formes de production. Par ailleurs, Mendels a identifié que l'unité économique de base durant cette période n'était ni la ville ni le village, mais plutôt le ménage. Le ménage fonctionnait comme le noyau de la production et de la reproduction. Les familles rurales, plutôt que de dépendre uniquement de l'agriculture, ont diversifié leurs activités en prenant part à la production protoindustrielle, souvent dans le cadre du domestic system. Ces ménages produisaient des biens à domicile, tels que des textiles, pour des marchands ou des entrepreneurs qui leur fournissaient des matières premières et récupéraient les produits finis pour la vente. Cette structure économique a permis une plus grande flexibilité et adaptabilité face aux fluctuations de la demande et des saisons, contribuant ainsi à une croissance économique soutenue qui allait éventuellement mener à la révolution industrielle. La protoindustrie a donc été un élément déterminant de la croissance économique au XVIIIe siècle, préparant les populations rurales aux changements majeurs qui allaient s'opérer avec l'industrialisation.


== Le commerce triangulaire ==
Les études minutieuses de Franklin Mendels sur les Flandres au XVIIIe siècle offrent un aperçu détaillé de la dynamique économique et sociale du monde rural d'Europe de l'Ouest. À travers l'analyse des archives de quelque 5000 ménages, Mendels a pu identifier trois groupes sociaux distincts, dont la croissance reflétait les tensions et les changements de l'époque. Les paysans sans terre représentaient un groupe en expansion, une conséquence directe de la croissance démographique qui surpassait la capacité de la terre à subvenir aux besoins de tous. Avec des pratiques d'héritage partageant la terre entre plusieurs héritiers, de nombreuses exploitations devenaient non viables et sombraient dans la faillite. Ces paysans étaient pressurisés par les impératifs démographiques et économiques, les conduisant parfois à la faillite. Pour certains, le travail pour de grands propriétaires terriens était une option, alors que d'autres deviendraient ce que Marx a appelé « l'armée de réserve du capitalisme », prêts à rejoindre la main-d'œuvre de l'industrie naissante, dans leur quête désespérée d'emploi. Un second groupe était composé de paysans qui choisissaient d'émigrer pour éviter la subdivision excessive de leur lopin de terre familial et la conséquente dilution des revenus. Ces paysans cherchaient des opportunités économiques en ville ou même à l'étranger, souvent saisonnièrement, établissant ainsi des schémas de migration qui devenaient courants au XVIIIe siècle. Enfin, il y avait ceux qui restaient attachés à leur terre mais étaient forcés d'innover pour survivre. Ce groupe adoptait la proto-industrie, combinant les travaux agricoles avec la production industrielle à petite échelle, souvent à domicile. En intégrant ces nouvelles formes de production, ils parvenaient à maintenir leur mode de vie rural tout en générant des revenus supplémentaires nécessaires pour soutenir leurs familles. Ces trois groupes sociaux, observés par Mendels, illustrent la complexité et la diversité des réponses aux défis économiques et démographiques de l'époque, et leur rôle central dans la transformation de la société rurale pré-industrielle.  
L’injection de la proto-industrie dans le commerce international a permis un déblocage ! C’est ce qu’on va appeler le putting-out system car on se tourne vers l’exportation. Cela donne lieu au commerce triangulaire qui lui-même donner lieu à la demande.
La différence entre la proto-industrie et le domestic system est le nombre de paysans touches par chacun de ces phénomènes.. Les terroirs agricoles qui n’ont pas été touchés par la proto-industrie sont très rares. Ceci s’est fait en raison de la sortie des micromarchés. Ceci fait que si l’on fabrique du textile, on peut exporter, et il y a multiplication de la demande grâce à « l’exportation ». On fabrique des tissus, des armes… des milliers de paysans fabriquent des clous, et cette fabrication de clous sert dans la construction navale. La production pour l’exportation est donc un facteur de croissance. C’est le début du commerce triangulaire et de l’exportation :
Europe (alcool, armes, textile, camelote…produits de la proto industrie) > Afrique (esclaves) > Amériques dont brésil et Iles Caraïbe (coton, sucre, café, cacao...économie de plantation) > Europe. La construction navale donne du travail (pour les paysans)… Les couts de transport baissent. La situation est « débloquée », il y a du travail pour des millions de paysans.
La proto-industrie est donc un travail pour l’exportation « internationale » à une époque où a eu lieu un éclatement des micromarchés et un déblocage économique.
Est-ce que la croissance de la population a poussé les gens à chercher des solutions et a mené à la proto industrie ou est-ce que la p roto industrie a permis la croissance de la population ?
La proto industrielle est une transition entre l’économie ancienne et l’économie moderne.


La proto-industrie représente une phase intermédiaire de développement économique qui a lieu principalement à la campagne, caractérisée par un système de travail à domicile. C'est une forme d'artisanat rural qui demeure largement invisible dans les statistiques économiques traditionnelles car elle s'insère dans les interstices du temps agricole. Les travailleurs, souvent des paysans, utilisent les périodes où l'agriculture demande moins d'attention pour s'adonner à des activités de production comme le filage ou le tissage, leur permettant ainsi de diversifier leurs sources de revenus. Le système proto-industriel est parfaitement compatible avec le rythme saisonnier de l'agriculture, puisqu'il capitalise sur les moments creux de celle-ci. Ainsi, les paysans peuvent continuer à subvenir à leurs besoins alimentaires grâce à l'agriculture tout en augmentant leur revenu par le biais d'activités proto-industrielles. En cas de mauvaise récolte et de hausse des prix du blé, les revenus supplémentaires générés par la proto-industrie offrent une sécurité économique, permettant l'achat de nourriture. Inversement, si une crise touche le secteur textile, les récoltes agricoles peuvent constituer une garantie contre la famine. La dualité de cette économie offre donc une certaine résilience face aux crises, étant donné que la survie des paysans ne dépend pas exclusivement d'un seul secteur. Seule la malchance d'une crise simultanée dans les secteurs agricole et proto-industriel pourrait menacer leur subsistance, une occurrence historiquement assez rare. Cela démontre la force d'un système économique diversifié, même à l'échelle microéconomique du ménage rural.


[[Fichier:comparaison_domestic_system-protoindustrie.png]]
L'introduction d'une deuxième source de revenu a marqué un tournant significatif dans la vie des paysans. Bien que la pauvreté ait continué à être répandue et que la majorité des gens aient vécu avec des moyens modestes, la capacité à générer des revenus supplémentaires à travers la proto-industrie a contribué à réduire la précarité de leur existence. Cette diversification des revenus a permis une meilleure sécurité économique, réduisant la vulnérabilité des paysans aux fluctuations saisonnières et aux aléas de l'agriculture. Ainsi, même si le niveau de vie global ne s'est pas élevé de manière spectaculaire, l'impact sur la sécurité et la stabilité des foyers ruraux a été substantiel. Les familles pouvaient mieux faire face aux années de mauvaises récoltes ou aux périodes d'augmentation des prix des denrées alimentaires. De plus, cette sécurité renforcée pouvait se traduire par une certaine amélioration du bien-être social. Avec un revenu supplémentaire, les familles avaient potentiellement accès à des biens et services qu'elles n'auraient pas pu se permettre autrement, comme de meilleures vêtements, outils, ou même une éducation pour leurs enfants. En somme, la proto-industrie a joué un rôle fondamental dans l'amélioration de la condition des paysans en leur fournissant un filet de sécurité qui allait au-delà de la subsistance et qui a préparé le terrain pour les changements sociaux et économiques de la Révolution industrielle.


== Le Commerce Triangulaire: Un Aperçu ==
L'intégration de la proto-industrie dans le commerce mondial a marqué une transformation significative de l'économie globale. Ce système, également connu sous le nom de putting-out system ou système de la domesticité, a ouvert la voie aux producteurs ruraux pour qu'ils participent pleinement à l'économie de marché, en fabriquant des biens destinés à l'exportation. Ce développement a entraîné une série de conséquences interconnectées. La proto-industrie a conduit à une hausse significative de la demande pour les produits manufacturés, en partie grâce à la mise en place du commerce triangulaire. Ce dernier désigne un circuit commercial entre l'Europe, l'Afrique et les Amériques, où les marchandises produites en Europe étaient échangées contre des esclaves en Afrique, qui étaient ensuite vendus dans les Amériques. Les matières premières des colonies étaient ramenées en Europe pour être transformées par la proto-industrie.
Ce commerce a alimenté l'accumulation de capital en Europe, capital qui a par la suite financé la Révolution industrielle. De plus, l'expansion des marchés pour les biens proto-industriels au-delà des frontières locales a favorisé l'émergence d'une économie de marché plus intégrée et mondialisée. Les structures économiques ont commencé à changer, la proto-industrie ayant pavé le chemin vers la Révolution industrielle en orientant les producteurs vers la production pour le marché et non plus seulement pour leur subsistance personnelle. Toutefois, il est essentiel de reconnaître que le commerce triangulaire comprenait également le commerce des esclaves, un aspect profondément inhumain de cette période historique. Les avancées économiques se sont parfois produites au prix de grandes souffrances humaines, et bien que l'économie ait prospéré, elle l'a fait en causant des torts irréparables à de nombreuses vies, dont l'impact se ressent encore de nos jours.
La proto-industrie, souvent confondue avec le domestic system, se distingue de ce dernier par son ampleur et son impact économique. La proto-industrie a touché un grand nombre de paysans, avec peu de régions agricoles épargnées par ce phénomène. Cette large diffusion est principalement due à la transition des producteurs ruraux des micromarchés locaux vers une économie globale, permettant l'exportation de leurs produits. L'exportation de biens tels que les textiles, les armes et même des articles aussi basiques que les clous a considérablement augmenté la demande globale et stimulé la croissance économique. Cette expansion des marchés a également été le moteur du commerce triangulaire. Ce système a vu les produits de la proto-industrie en Europe échangés contre des esclaves en Afrique, qui étaient ensuite transportés vers les Amériques pour travailler dans les économies de plantation produisant du coton, du sucre, du café et du cacao, lesquels étaient finalement exportés vers l'Europe. Ce flux commercial a non seulement contribué à une hausse de la demande pour les biens proto-industriels mais a aussi provoqué une augmentation du travail dans la construction navale, un secteur offrant de l'emploi à des millions de paysans, réduisant ainsi les coûts de transport et favorisant une croissance économique soutenue. Cependant, il est primordial de rappeler que le commerce triangulaire reposait sur l'esclavage, un système profondément tragique et inhumain, dont les séquelles sont toujours présentes dans la société moderne. La croissance économique qu'il a engendrée est indissociable de ces réalités historiques douloureuses.
La relation entre la croissance de la population et la proto-industrie au XVIIIe siècle est une question de cause à effet complexe qui a été largement débattue par les historiens économiques. D'une part, l'accroissement de la population peut être vu comme un facteur incitant à la recherche de nouvelles formes de revenus, conduisant ainsi au développement de la proto-industrie. Avec une population en augmentation, en particulier dans les campagnes, les terres deviennent insuffisantes pour subvenir aux besoins de tous, forçant ainsi les paysans à trouver des sources de revenus complémentaires, comme le travail proto-industriel qui peut être réalisé à domicile et ne nécessite pas de déplacements importants. D'autre part, la proto-industrie elle-même a pu encourager la croissance démographique en améliorant le niveau de vie des familles rurales et en leur permettant de subvenir mieux aux besoins de leurs enfants. L'accès à des revenus supplémentaires hors de l'agriculture a probablement réduit les taux de mortalité et permis aux familles de soutenir plus d'enfants jusqu'à l'âge adulte. De plus, avec l'augmentation des revenus, les populations étaient mieux nourries et plus résistantes aux maladies, ce qui pouvait également contribuer à une croissance démographique. La proto-industrie représente ainsi une phase de transition entre les économies traditionnelles, basées sur l'agriculture et l'artisanat à petite échelle, et l'économie moderne caractérisée par l'industrialisation et la spécialisation du travail. Elle a permis l'intégration des économies rurales dans les marchés internationaux, aboutissant à une augmentation de la production et à une diversification des sources de revenus. Cela a eu pour effet de dynamiser les économies locales et de les intégrer dans le réseau commercial mondial en expansion.
= Les effets démographiques =
= Les effets démographiques =


== Sur la mortalité ==
== Impacts sur la Mortalité ==
La mortalité a marqué la mentalité des gens de l'ancien régime. Il va y avoir une atténuation des crises de mortalité au XVIIIème siècle et XIXème siècle. La mortalité suit un trait descendant, et elle diminue, car les crises diminuent aussi. Les crises de mortalité s'espacent menant à une atténuation de la mortalité. Cela permet de changer de système démographique. On peut rattacher cela à la diversification des revenus et à la proto-industrialisation. On sait que la proto-industrialisation a fait reculer ce frein du mariage tardif, car la proto-industrie complète les revenus et permet de survivre.
Au XVIIIe et au début du XIXe siècle, l'Europe a connu une transformation démographique significative, caractérisée par une baisse de la mortalité, en partie grâce à une série d'améliorations et de changements dans la société. Les avancées dans l'agriculture ont permis d'augmenter la production alimentaire, diminuant ainsi le risque de famines. Parallèlement, des progrès en matière d'hygiène et des initiatives en santé publique ont commencé à réduire la propagation des maladies infectieuses. Même si les avancées majeures en médecine ne surviendront qu'à la fin du XIXe siècle, certaines découvertes préliminaires ont déjà eu un impact positif sur la santé. De plus, la proto-industrialisation a créé des opportunités de revenus supplémentaires en dehors de l'agriculture, permettant ainsi aux familles de mieux résister en période de récoltes médiocres et d'améliorer leur niveau de vie, y compris leur accès à une alimentation de qualité et aux soins de santé. Cette époque a également vu un changement dans la structure économique et sociale, avec des familles qui pouvaient désormais se permettre de se marier plus tôt et d'élever plus d'enfants grâce à une sécurité économique accrue. Le travail industriel à domicile, comme le textile, offrait une sécurité financière supplémentaire qui, associée à l'agriculture, assurait un revenu plus stable et diversifié. Cela a contribué à éroder l'ancien régime démographique où le mariage était souvent retardé par manque de ressources économiques. La convergence de ces facteurs a donc joué un rôle dans la réduction des crises de mortalité, menant à une croissance démographique soutenue et à une transformation des mentalités et des modes de vie. La proto-industrialisation, en offrant un complément de revenu et en favorisant une certaine stabilité économique, a été un élément clé de cette transition, bien que son influence varie grandement d'une région à l'autre.


== Sur l’âge au mariage et la fécondité ==
== Influence sur l’Âge au Mariage et la Fécondité ==
La proto industrialisation a faire reculer l'âge au mariage. Le petit paysan est sur une petite terre, mais il dégage d'autres revenus issus de la proto-industrialisation rendant le mariage plus rapide. Il faut aussi souligner que les enfants permettent de ramener un revenu en plus dans la proto industrialisation à travers les métiers à tisser .
La proto-industrialisation a eu un impact sur la structure sociale et économique des sociétés rurales, et parmi ces effets, on note un recul de l'âge au mariage. Avant cette période, de nombreux petits paysans devaient retarder le mariage jusqu'à ce qu'ils aient les moyens de soutenir une famille, car leurs ressources étaient limitées à ce que leur terre pouvait produire. Avec l'avènement de la proto-industrialisation, ces petits paysans ont pu compléter leurs revenus grâce à des activités industrielles à domicile, telles que le tissage, qui devenaient de plus en plus demandées avec l'expansion du marché. Cette nouvelle source de revenu a rendu le mariage plus accessible à un âge plus jeune, car les couples pouvaient compter sur des revenus additionnels pour subvenir à leurs besoins. De plus, dans ce nouveau modèle économique, les enfants représentaient une main-d'œuvre supplémentaire qui pouvait contribuer au revenu familial dès leur jeune âge. Ils pouvaient, par exemple, travailler sur les métiers à tisser à domicile. Cela signifiait que les familles avaient un incitatif économique pour avoir plus d'enfants et que ces derniers pouvaient contribuer économiquement bien avant d'atteindre l'âge adulte. Cette dynamique a renforcé la viabilité économique du mariage et de la famille élargie, permettant une augmentation de la natalité et contribuant à une croissance démographique accélérée. Cette transition démographique a eu des répercussions profondes sur la société, menant éventuellement à des changements structurels qui ont pavé la voie à l'industrialisation complète et à la modernisation économique.


Les gens se marient donc à nouveau, et plus vite. Du coup, la fécondité repart aussi. Cela est valable dans certaines régions, car dans d’autres, les paysans préféraient se marier plus tard, car ils souhaitaient d’abord s’enrichir en devenant propriétaires.
Le phénomène de proto-industrialisation a eu des effets variables sur les comportements matrimoniaux et la fécondité selon les régions. Dans les zones où la proto-industrialisation fournissait des revenus supplémentaires significatifs, les gens ont commencé à se marier plus tôt et la fécondité a augmenté en conséquence. La possibilité de compléter les revenus agricoles avec ceux provenant du travail industriel à domicile a réduit les obstacles économiques au mariage précoce, car les familles pouvaient nourrir plus de bouches et soutenir des ménages plus larges. Cependant, dans d'autres régions, la prudence économique prévalait et les paysans avaient tendance à reporter le mariage jusqu'à ce qu'ils aient accumulé suffisamment de ressources pour devenir propriétaires fonciers. L'acquisition de terres était souvent considérée comme une garantie de sécurité économique, et les paysans préféraient retarder le mariage et la création d'une famille jusqu'à ce qu'ils puissent assurer une certaine stabilité matérielle. Cette différence régionale dans les comportements de mariage reflète la diversité des stratégies économiques et des valeurs culturelles qui influençaient les décisions des paysans. Alors que la proto-industrialisation offrait de nouvelles opportunités, les réponses à ces opportunités étaient loin d'être uniformes et étaient souvent façonnées par les conditions locales, les traditions et les aspirations individuelles.


= De nouveaux rapports au corps et à l'environnement =  
= Transformation des Rapports Humains: Corps et Environnement =  


[[Fichier:Attenuation of mortality swing sweden 1735 - 1920.png|vignette]]
[[Fichier:Attenuation of mortality swing sweden 1735 - 1920.png|400px|vignette]]Le graphique représente le taux de mortalité pour 1 000 individus sur l'axe des ordonnées et les années de 1720 à 1920 sur l'axe des abscisses. Une tendance claire est visible sur le graphique : le taux de mortalité, qui présente d'importantes fluctuations avec des pics élevés dans les premières années (notamment autour de 1750 et juste avant 1800), s'aplanit progressivement au fil du temps, les pics devenant moins marqués et le taux global de mortalité diminuant. La ligne pointillée représente une ligne de tendance indiquant la trajectoire générale à la baisse du taux de mortalité sur cette période de deux siècles. Cette représentation visuelle suggère qu'avec le temps, les instances et la sévérité des crises de mortalité (telles que les épidémies, les famines et les guerres) ont diminué, en raison des améliorations dans la santé publique, la médecine, les conditions de vie et des changements dans les structures sociales.


== Une nouvelle vision de la mort ==  
== Évolution de la Perception de la Mort ==  
L’humanité occidentale prend conscience de la mort. Auparavant, au XVIème et au XVIIème, il y avait une fatalité face à la mort, le village des morts et des vivants cohabitait. Au XVIIIème siècle, il a un rejet de la mort, elle devient extérieure. Lorsque la mortalité recule elle n’est plus le quotidien, mais découle de l’exceptionnel, elle devient une fascination. En d'autres termes, cela marque le début de la modernité. Les mentalités changent et la mort recule. On a une nouvelle vision de la mort qui s'inscrit dans une mise à distance de la mort : elle devient quelque chose d’extérieur au monde des vivants.  
Le changement dans la perception de la mort en Occident pendant le passage du XVIème au XVIIIème siècle reflète une transformation profonde des mentalités et de la culture. Au XVIème et au XVIIème siècles, la mortalité élevée et les fréquentes épidémies faisaient de la mort une présence constante et familière dans la vie quotidienne. Les gens étaient habitués à coexister avec la mort, tant au niveau communautaire qu'individuel. Les cimetières se trouvaient souvent au cœur des villages ou des villes, et les morts faisaient partie intégrante de la communauté, comme en témoignent les rituels et les commémorations. Cependant, au XVIIIème siècle, notamment avec les progrès de la médecine, de l'hygiène et de l'organisation sociale, la mortalité a commencé à reculer, et avec elle, la présence omniprésente de la mort a diminué. Cette diminution de la mortalité quotidienne a conduit à une transformation de la perception de la mort. Elle n'était plus perçue comme une compagne constante, mais plutôt comme un événement tragique et exceptionnel. Les cimetières ont été déplacés à l'extérieur des zones habitées, signifiant une séparation physique et symbolique entre les vivants et les morts. Cette « mise à distance » de la mort coïncide avec ce que de nombreux historiens et sociologues considèrent comme le début de la modernité occidentale. Les mentalités se sont tournées vers la valorisation de la vie, du progrès et de l'avenir. La mort est devenue quelque chose à combattre, à repousser, et, idéalement, à vaincre. Ce changement d'attitude a également conduit à une certaine fascination pour la mort, qui est devenue un sujet de réflexion philosophique, littéraire et artistique, réfléchissant une certaine anxiété face à l'inconnu et à l'inévitable. Cette nouvelle vision de la mort reflète un changement plus large dans la compréhension humaine de soi et de sa place dans l'univers. La vie, la santé et le bonheur sont devenus des valeurs centrales, tandis que la mort est devenue une limite à repousser, un défi à relever. Cela a profondément influencé les pratiques culturelles, sociales et même économiques, et continue de façonner la manière dont la société contemporaine aborde la fin de vie et le deuil.  


Le recul de la mortalité aurait permis de changer les rapports des bourreaux lors des exécutions. Au cours du XVIIIème siècle, il faut noter qu'on arrête les exécutions publiques{{Où}}. Avant, les condamnés étaient torturés, on leur faisait peur en leur infligeant des exécutions horribles. Par la suite, on ne torture plus, mais on tue plutôt radicalement.  
Le recul de la mortalité au XVIIIème siècle et les changements dans les perceptions et pratiques autour de la mort ont eu des conséquences sur de nombreux aspects de la vie sociale, y compris la justice pénale et les pratiques d'exécution. À l'époque médiévale et au début de l'époque moderne, les exécutions publiques étaient courantes et souvent accompagnées de tortures et de méthodes particulièrement brutales. Ces exécutions avaient une fonction sociale et politique : elles étaient censées être un spectacle dissuasif, un avertissement adressé à la population contre la transgression des lois. Elles étaient souvent mises en scène avec un haut degré de cruauté, ce qui reflétait la familiarité de l'époque avec la violence et la mort. Cependant, au XVIIIème siècle, sous l'influence des Lumières et de la nouvelle sensibilité envers la vie humaine et la dignité, on assiste à une transformation des pratiques juridiques et punitives. Les philosophes des Lumières, comme Cesare Beccaria dans son ouvrage "Des délits et des peines" (1764), ont argumenté contre l'utilisation de la torture et des peines cruelles, plaidant pour une justice plus rationnelle et humaine. Dans ce contexte, les exécutions publiques commencent à être remises en question. Elles sont peu à peu perçues comme barbares et non civiles, et en contradiction avec les nouvelles valeurs de la société. Ce changement de perspective conduit à des réformes dans le système pénal, avec une tendance vers des exécutions plus "humaines" et, finalement, vers l'abolition des exécutions publiques. L'exécution, plutôt que d'être un spectacle public de torture, devient un acte rapide et moins douloureux, avec pour but de mettre fin à la vie du condamné plutôt que de lui infliger une longue souffrance. L'introduction de méthodes comme la guillotine en France à la fin du XVIIIème siècle était en partie justifiée par l'idée d'une exécution plus rapide et moins inhumaine. Le recul de la mortalité et les changements de mentalité qui l'accompagnent ont joué un rôle dans la transformation des pratiques judiciaires, menant à la diminution et finalement à l'arrêt des exécutions publiques et des tortures associées, reflétant une humanisation progressive de la société et de ses institutions.  


Au XVIIIème siècle, on va sortir les cimetières hors des villes. On sépare donc le village des morts du village des vivants<ref>Vieux Paris, jeunes Lumières, par Nicolas Melan (Le Monde diplomatique, janvier 2015) Monde-diplomatique.fr,. (2015). Vieux Paris, jeunes Lumières, par Nicolas Melan (Le Monde diplomatique, janvier 2015). Retrieved 17 January 2015, from http://www.monde-diplomatique.fr/2015/01/MELAN/51961</ref>.. Cette externalisation est renforcée, car l’humanité occidentale se dit maintenant « qu’on peut faire quelque chose ».
Au XVIIIe siècle, les cimetières commencent à être déplacés hors des villes, signe d'une transformation profonde dans la façon dont la société considère la mort et les morts. Pendant des siècles, les défunts avaient été enterrés près des églises, au cœur même des communautés, mais cela a commencé à changer pour diverses raisons.


== Lutte contre les maladies ==
Les préoccupations de santé publique ont gagné en importance avec l'urbanisation croissante. Les cimetières surpeuplés au sein des villes étaient vus comme des menaces potentielles pour la santé, d'autant plus en période d'épidémies. Cette prise de conscience a amené les autorités à repenser l'organisation des espaces urbains pour limiter les risques sanitaires. L'influence des Lumières a également encouragé une nouvelle approche de la mort. Elle n'était plus un spectacle quotidien, mais une affaire personnelle et privée. Il y avait une tendance croissante à considérer les rites mortuaires et le deuil comme devant être vécus de manière plus intime, à l'écart du regard public. En même temps, les conceptions de l'individu évoluaient. On accordait plus de dignité à la personne humaine, vivante comme morte, ce qui s'est traduit par un besoin d'espaces funéraires traitant les dépouilles avec respect et décence. L'esprit de rationalisme de l'époque a aussi joué un rôle. On croyait davantage en la capacité humaine à aménager et à contrôler son environnement. Déplacer les cimetières était une manière de réorganiser l'espace pour améliorer le bien-être collectif, en alignant l'agencement de la ville avec les principes de rationalité et de progrès. Ce déménagement des cimetières était une expression concrète d'un éloignement de la mort de la vie quotidienne, reflétant une volonté de la gérer de manière plus méthodique, et montrait un respect grandissant pour la dignité des morts, tout en marquant un pas vers un contrôle accru sur les facteurs environnementaux affectant la vie publique.
L'externalisation de la mort accentuée par le fait que l'homme a l'impression de pouvoir faire quelque chose. La variole et le premier triomphe de l'humanité sur les épidémies.  


La variole, et la première victoire de l’humanité sur une épidémie : on pense que la variole a pris le relais de la peste, puisque l’humanité n’aurait pas pu supporter les deux fléaux à la fois. La variole tuait souvent, et si elle ne tuait pas, elle défigurait (ex. Mirabeau). Les gens de l’époque n’ont alors aucune idée de ce qu’est un virus. Au XVIIIe, on sort de l’impuissance. On bricole des solutions. En 1721 apparait l’inoculation (on permet à des enfants de développer des anticorps en leur donnant une variole affaiblie). Globalement, cela fonctionnait, même si c’était extrêmement dangereux. En 1796 apparait le vaccin de Jenner, qui inocule une variole dont souffrent les vaches à des enfants, ce qui fait générer à ces derniers des anticorps (petite précision, en 1796, l’Angleterre est en guerre avec la France, mais veille à transmettre quand même la solution à la France). On se rend donc compte que l’on peut lutter contre les épidémies. Les humains se placent dans une posture conquérante envers la nature. On sort de la « faiblesse face à la nature ». Il y a le développement d’une culture savante de la nature (encyclopédies, etc.). Les premiers débats viennent très vite concernant la soutenabilité (XIXe), par ex. de la production de bateaux par rapport aux réserves de forêts. L’anthropocentrisme est de mise, de manière générale. L’exploitation des ressources de minerai, etc. se fait dans la continuité de ce changement de mentalité.
== La Lutte contre les Maladies: Progrès et Défis ==
L'externalisation de la mort au XVIIIe siècle reflète une période où les perspectives sur la vie, la santé et la maladie commencent à se transformer significativement. L'homme de l'époque des Lumières, armé d'une foi nouvelle dans la science et le progrès, commence à croire en sa capacité à influencer, voire à contrôler, son environnement et sa santé. La variole était l'une des maladies les plus dévastatrices, provoquant des épidémies régulières et des taux de mortalité élevés. La découverte de l'immunisation par Edward Jenner à la fin du XVIIIe siècle a été une révolution en termes de santé publique. En utilisant le vaccin contre la variole, Jenner a prouvé qu'il était possible de prévenir une maladie plutôt que de simplement la traiter ou d'en subir les conséquences. Cela a marqué le début d'une nouvelle ère où la médecine préventive devenait un objectif réalisable, renforçant ainsi l'impression que l'humanité pouvait triompher sur les épidémies qui avaient décimé des populations entières par le passé. Cette victoire sur la variole a non seulement sauvé d'innombrables vies mais a également renforcé l'idée que la mort n'était pas toujours inévitable ni un destin à accepter sans lutte. Elle a symbolisé un tournant où la mort, autrefois inextricablement tissée dans le quotidien et acceptée comme partie intégrante de la vie, a commencé à être vue comme un événement que l'on pouvait repousser, gérer, et dans certains cas, éviter grâce à l'avancement de la médecine et de la science.  


== Culture de la nature ==   
La variole a été une des maladies les plus redoutées avant le développement des premières méthodes efficaces de prévention. La maladie a eu un impact profond sur les sociétés à travers les siècles, causant des décès en masse et laissant ceux qui survivaient souvent avec de graves séquelles physiques. La métaphore que la variole a pris le relais de la peste illustre le fardeau constant de la maladie au sein des populations avant la compréhension moderne de la pathologie et l'avènement de la santé publique.
 
L'observation que l'humanité n'aurait pas pu supporter deux fléaux simultanés tels que la peste et la variole met en lumière la vulnérabilité de la population face aux maladies infectieuses avant le XVIIIe siècle. Le cas de figures célèbres comme Mirabeau, qui a été défiguré par la variole, rappelle la terreur que cette maladie inspirait. Malgré l'ignorance de ce qu'était un virus à l'époque, le XVIIIe siècle a marqué une époque de transition où l'on est passé de la superstition et de l'impuissance face aux maladies à des tentatives plus systématiques et empiriques de compréhension et de contrôle. Des pratiques telles que la variolisation, qui impliquait l'inoculation d'une forme atténuée de la maladie pour induire une immunité, ont été développées bien avant que la science ne comprenne les mécanismes sous-jacents de l'immunologie. C'est Edward Jenner qui, à la fin du XVIIIe siècle, a mis au point la première vaccination, en utilisant le pus issu de la variole des vaches (vaccinia) pour immuniser contre la variole humaine, avec des résultats significativement plus sûrs que la variolisation traditionnelle. Cette découverte ne se fondait pas sur une compréhension scientifique de la maladie au niveau moléculaire, qui ne viendrait que bien plus tard, mais plutôt sur une observation empirique et l'application de méthodes expérimentales. La victoire sur la variole symbolise donc un tournant décisif dans la lutte de l'humanité contre les épidémies, ouvrant la voie aux progrès futurs en matière de vaccination et de contrôle des maladies infectieuses, qui allaient transformer la santé publique et la longévité humaine dans les siècles suivants.
 
L'inoculation, pratiquée avant la vaccination telle que nous la connaissons, était une forme primitive de prévention de la variole. Cette pratique impliquait l'introduction délibérée du virus de la variole dans l'organisme d'une personne saine, généralement par l'intermédiaire d'une petite incision dans la peau, dans l'espoir que cela entraînerait une infection légère mais suffisante pour induire une immunité sans provoquer la maladie complète. En 1721, la pratique de l'inoculation a été introduite en Europe par Lady Mary Wortley Montagu, qui l'a découverte en Turquie et l'a amenée en Angleterre. Elle l'a fait inoculer à ses propres enfants. L'idée était que l'inoculation d'une forme atténuée de la maladie procurerait une protection contre une infection ultérieure, qui pourrait être beaucoup plus sévère ou même mortelle. Cette méthode avait des risques significatifs. Les personnes inoculées pouvaient développer une forme complète de la maladie et devenir des vecteurs de transmission de la variole, contribuant à sa propagation. De plus, il y avait une mortalité associée à l'inoculation elle-même, bien que celle-ci fût inférieure à la mortalité de la variole à l'état naturel. Malgré ses dangers, l'inoculation a été la première tentative systématique de contrôler une maladie infectieuse par l'immunisation, et elle a jeté les bases des pratiques ultérieures de vaccination développées par Edward Jenner et d'autres. L'acceptation et la pratique de l'inoculation ont varié, avec beaucoup de controverses et de débats, mais son utilisation a marqué une étape importante dans la compréhension et la gestion de la variole avant que la vaccination avec le vaccin plus sûr et plus efficace de Jenner ne devienne courante à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.
 
En 1796, Edward Jenner, un médecin anglais, a réalisé une avancée médicale majeure en mettant au point la vaccination contre la variole. Observant que les trayeuses qui avaient contracté la vaccine, une maladie semblable à la variole mais bien moins sévère, transmise par les vaches, ne contractaient pas la variole humaine, il a postulé qu'une exposition à la vaccine pouvait conférer une protection contre la variole humaine. Jenner a testé sa théorie en inoculant James Phipps, un garçon de huit ans, avec du pus prélevé sur des lésions de vaccine. Lorsque Phipps a par la suite résisté à une exposition à la variole, Jenner en a conclu que l'inoculation avec la vaccine (que nous appelons maintenant le virus de la vaccine) offrait une protection contre la variole. Il a appelé ce procédé "vaccination", du mot latin "vacca" qui signifie "vache". Le vaccin de Jenner s'est révélé beaucoup plus sûr que les méthodes précédentes d'inoculation de la variole, et il a été adopté dans de nombreux pays malgré les guerres et les tensions politiques de l'époque. Malgré le conflit en cours entre l'Angleterre et la France, Jenner a assuré que son vaccin atteigne d'autres nations, y compris la France, illustrant une compréhension précoce et remarquable de la santé publique comme une préoccupation transnationale. Cette avancée a symbolisé un tournant dans la lutte contre les maladies infectieuses. Elle a posé les bases de l'immunologie moderne et a représenté un premier pas significatif vers la conquête des maladies épidémiques qui avaient affligé l'humanité pendant des siècles. La pratique de la vaccination s'est répandue et a finalement mené à l'éradication de la variole au XXe siècle, marquant la première fois qu'une maladie humaine a été éliminée grâce aux efforts coordonnés de la santé publique.
 
La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle marquent un changement fondamental dans l'attitude des sociétés occidentales vis-à-vis de la nature. Avec le recul de la mortalité due aux maladies comme la variole et l'augmentation des connaissances scientifiques, la nature est progressivement passée d'un état de force indomptable et souvent hostile à un ensemble de ressources à exploiter et à comprendre. L'ère des Lumières, avec son accent sur la raison et l'accumulation de connaissances, a conduit à la création d'encyclopédies et à une diffusion plus large du savoir. Des figures telles que Carl Linnaeus ont travaillé à classer le monde naturel, imposant un ordre humain à la diversité du vivant. Cette époque a vu l'essor d'une culture savante où l'exploration, la classification et l'exploitation de la nature étaient considérées comme des moyens d'améliorer la société. C'est aussi à cette période que les premières préoccupations concernant la soutenabilité des ressources naturelles commencent à émerger, en réponse à l'accélération de l'exploitation industrielle. Les débats sur la déforestation pour la construction navale, l'extraction du charbon et du minerai, ainsi que d'autres activités d'exploitation intensive reflètent une prise de conscience naissante des limites environnementales. L'anthropocentrisme de l'époque, qui plaçait l'homme au centre de toutes choses et comme maître de la nature, a stimulé le développement industriel et économique. Cependant, avec le temps, il a également entraîné une prise de conscience croissante des effets environnementaux et sociaux de cette approche, jetant les bases des mouvements écologiques et de conservation qui émergeraient plus tard. Ainsi, le développement d'une culture savante et la valorisation de la nature non seulement comme un objet d'étude mais aussi comme une source de richesse matérielle ont été des éléments clés dans le changement de la relation de l'humanité avec son environnement, une relation qui continue d'évoluer face aux défis environnementaux contemporains.
 
== La culture de la nature ==   


[[Image:Carlowitz Sylvicultura.jpg|thumb|200px|Cover of ''Sylvicultura oeconomica, oder haußwirthliche Nachricht und Naturmäßige Anweisung zur wilden Baum-Zucht'' of 1713.]]
[[Image:Carlowitz Sylvicultura.jpg|thumb|200px|Cover of ''Sylvicultura oeconomica, oder haußwirthliche Nachricht und Naturmäßige Anweisung zur wilden Baum-Zucht'' of 1713.]]


En 1713, Von Karlowitz parlait déjà d’une première définition du développement durable<ref> Grober, Ulrich. "Hans Carl Von Carlowitz: Der Erfinder Der Nachhaltigkeit | ZEIT ONLINE." ZEIT ONLINE. 25 Nov. 1999. Web. 24 Nov. 2015 url: http://www.zeit.de/1999/48/Der_Erfinder_der_Nachhaltigkeit</ref>.  L'homme commence à croire qu'il peut dominer la nature. L’œuvre de l’homme s’impose sur la nature, c'est le développement d'une culture de l'usage du monde. Dieu leur a donné une terre que les humains peuvent exploiter: c'est l'anthropocentrisme. Va se mettre en place une culture savante de la nature avec entre autres l'agronomie, la sylviculture ou encore les voyages d’explorations. C'est une démarche anthropocentrique qui met la nature au service de l’être humain.
Hans Carl von Carlowitz, un administrateur saxon des mines, est souvent crédité d'être l'un des premiers à formuler le concept de gestion durable des ressources naturelles. Dans son ouvrage "Sylvicultura oeconomica" de 1713, il a développé l'idée que l'on ne devrait couper que le volume de bois que la forêt peut reproduire naturellement, pour garantir que la sylviculture reste productive à long terme. Cette réflexion était en grande partie une réponse à la déforestation massive et aux besoins croissants en bois pour l'industrie minière et comme matériau de construction. Hans Carl von Carlowitz est crédité d'être l'un des pionniers du concept de durabilité, en particulier dans le contexte de la foresterie. Dans ce livre, il a exposé la nécessité d'une approche équilibrée de la sylviculture, qui prend en compte la régénération des arbres parallèlement à leur récolte, afin de maintenir les forêts pour les générations futures. Ceci était une réponse aux pénuries de bois auxquelles l'Allemagne était confrontée au 18ème siècle, en grande partie à cause de la surexploitation pour les activités minières et de fusion. La publication est significative car elle a posé les fondations pour la gestion durable des ressources naturelles, en particulier la pratique de planter plus d'arbres qu'on en coupe, qui est une pierre angulaire des pratiques modernes de sylviculture durable. Il est remarquable que l'idée de durabilité a été conceptualisée il y a plus de 300 ans, reflétant une compréhension précoce de l'impact environnemental de l'activité humaine et de la nécessité de la conservation des ressources.
 
Bien que les préoccupations de von Carlowitz aient été centrées sur la sylviculture et l'utilisation du bois, son idée reflète un principe de base du développement durable moderne : l'utilisation des ressources naturelles devrait être équilibrée par des pratiques qui assurent leur renouvellement pour les générations futures. À l'époque, c'était un concept avant-gardiste, car il allait à l'encontre de l'idée répandue de l'exploitation illimitée de la nature. Cependant, la notion d'un développement qui serait durable n'a pas immédiatement pris racine dans les politiques publiques ou dans la conscience collective. Ce n'est qu'avec l'évolution des sciences environnementales et les changements sociaux des siècles suivants que l'idée d'une gestion prudente des ressources de la Terre s'est pleinement établie.   
 
L'époque moderne, notamment à partir du XVIIIe siècle, est marquée par un changement fondamental dans la relation de l'humanité avec la nature. La révolution scientifique et les Lumières ont contribué à promouvoir une vision de l'homme comme maître et possesseur de la nature, une idée philosophiquement soutenue par des penseurs comme René Descartes. Dans cette perspective, la nature n'est plus un environnement dans lequel l'homme doit trouver sa place, mais un réservoir de ressources à utiliser pour son propre développement. L'anthropocentrisme, qui place l'être humain au centre de toutes les préoccupations, devient le principe directeur de l'exploitation du monde naturel. La terre, selon la croyance religieuse et culturelle de l'époque, est vue comme un don de Dieu aux hommes qui sont chargés de la cultiver et de l'exploiter. Les développements en agronomie et sylviculture sont des manifestations de cette approche, cherchant à optimiser l'usage du sol et des forêts pour une production maximale. Les voyages d'exploration, alimentés par un désir de découverte mais aussi par des motivations économiques, sont aussi le reflet de cette volonté d'exploiter de nouvelles ressources et d'étendre la sphère de l'influence humaine. Cette culture savante de la nature s'est exprimée à travers la création de systèmes de classification du monde naturel, de l'amélioration des techniques de culture, de l'exploitation minière plus efficace, et de l'exploitation forestière régulée. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, par exemple, visait à compiler tout le savoir humain, y compris la connaissance de la nature, et à le rendre accessible pour une utilisation rationnelle et éclairée. C'est cette démarche qui a jeté les bases de l'utilisation industrielle des ressources naturelles, préfigurant les révolutions industrielles qui allaient profondément transformer les sociétés humaines et leur rapport à l'environnement. Toutefois, l'exploitation à grande échelle de la nature sans considération pour les impacts environnementaux à long terme mènera plus tard aux crises écologiques que nous connaissons aujourd'hui, et à la remise en question de l'anthropocentrisme en tant que tel.


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*Vieux Paris, jeunes Lumières, par Nicolas Melan (Le Monde diplomatique, janvier 2015) Monde-diplomatique.fr,. (2015). Vieux Paris, jeunes Lumières, par Nicolas Melan (Le Monde diplomatique, janvier 2015). Retrieved 17 January 2015, from http://www.monde-diplomatique.fr/2015/01/MELAN/51961
*Grober, Ulrich. "Hans Carl Von Carlowitz: Der Erfinder Der Nachhaltigkeit | ZEIT ONLINE." ZEIT ONLINE. 25 Nov. 1999. Web. 24 Nov. 2015 url: http://www.zeit.de/1999/48/Der_Erfinder_der_Nachhaltigkeit.


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Version actuelle datée du 29 novembre 2023 à 10:46

Basé sur un cours de Michel Oris[1][2]

Structures Agraires et Société Rurale: Analyse de la Paysannerie Européenne PréindustrielleLe régime démographique d'ancien régime : l'homéostasieÉvolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la ModernitéOrigines et causes de la révolution industrielle anglaiseMécanismes structurels de la révolution industrielleLa diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le JaponLes coûts sociaux de la révolution industrielleAnalyse Historique des Phases Conjoncturelles de la Première MondialisationDynamiques des Marchés Nationaux et Mondialisation des Échanges de ProduitsLa formation de systèmes migratoires mondiauxDynamiques et Impacts de la Mondialisation des Marchés de l'Argent : Le Rôle Central de la Grande-Bretagne et de la FranceLa transformation des structures et des relations sociales durant la révolution industrielleAux Origines du Tiers-Monde et l'Impact de la ColonisationEchecs et blocages dans les Tiers-MondesMutation des Méthodes de Travail: Évolution des Rapports de Production de la Fin du XIXe au Milieu du XXeL'Âge d'Or de l'Économie Occidentale : Les Trente Glorieuses (1945-1973)L'Économie Mondiale en Mutation : 1973-2007Les défis de l’État-ProvidenceAutour de la colonisation : peurs et espérances du développementLe Temps des Ruptures: Défis et Opportunités dans l'Économie InternationaleGlobalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »

Le XVIIIe siècle marque l'avènement d'une ère révolutionnaire dans le cours de l'histoire humaine, façonnant de manière indélébile l'avenir de l'Europe et, par extension, du monde. Ce siècle, ancré entre des traditions anciennes et des visions modernes, a été un carrefour des contrastes et des contradictions. Au début de ce siècle, l'Europe restait largement une mosaïque de sociétés agraires, régies par des structures féodales ancestrales et une noblesse héréditaire détenant le pouvoir et les privilèges. La vie quotidienne était rythmée par les cycles agricoles et la grande majorité de la population vivait dans de petites communautés rurales, dépendantes de la terre pour leur subsistance. Cependant, les germes du changement étaient déjà présents sous la surface, prêts à éclore.

À mesure que le siècle progressait, un vent de changement soufflait sur le continent. L'influence des philosophes des Lumières, qui préconisaient la raison, la liberté individuelle et le scepticisme vis-à-vis de l'autorité traditionnelle, commençait à remettre en question l'ordre établi. Les salons littéraires, les cafés et les journaux sont devenus des forums pour les idées progressistes, alimentant le désir de réforme sociale, économique et politique. La dynamique économique de l'Europe connaissait également une transformation radicale. L'introduction de nouvelles méthodes agricoles et la mise en œuvre de la rotation des cultures ont amélioré le rendement des terres, favorisant une croissance démographique et augmentant la mobilité sociale. Le commerce international s'intensifiait grâce aux avancées dans la navigation et à l'expansion coloniale, et des villes comme Amsterdam, Londres et Paris devenaient des centres bourdonnants de commerce et de finance. La révolution industrielle, bien qu'à ses balbutiements, commençait à montrer son visage à la fin du XVIIIe siècle. Les innovations technologiques, en particulier dans le textile, transformaient les méthodes de production et déplaçaient l'accent de l'économie du domaine rural vers les villes urbaines en expansion. L'énergie hydraulique et plus tard la machine à vapeur révolutionnaient l'industrie et le transport, pavant la voie à une production de masse et à une société plus industrialisée.

Pourtant, cette période de croissance et d'expansion était également témoin d'une inégalité croissante. La mécanisation entraînait souvent le chômage parmi les travailleurs manuels, et les conditions de vie dans les villes industrialisantes étaient fréquemment misérables. La richesse générée par le commerce international et la colonisation des Amériques n'était pas également répartie, et les avantages du progrès étaient souvent tempérés par l'exploitation et l'injustice. Les bouleversements politiques, tels que la Révolution française et la guerre d'indépendance américaine, ont montré le potentiel et le désir de gouvernement représentatif, sapant les fondations de la monarchie absolue et jetant les bases des républiques modernes. La notion d'État-nation commençait à émerger, redéfinissant l'identité et la souveraineté. La fin du XVIIIe siècle a donc été une période de transition spectaculaire, où le monde ancien faisait place progressivement à de nouvelles structures et idéologies. L'empreinte de ces transformations a façonné les sociétés européennes et a établi les prémisses du monde contemporain, inaugurant des débats qui continuent de résonner dans notre société actuelle.

Notions de structures et de conjoncture[modifier | modifier le wikicode]

Dans le jargon des sciences économiques et sociales, le terme "structure" renvoie aux caractéristiques et aux institutions durables qui composent et définissent le fonctionnement d'une économie. Ces éléments structurels incluent les lois, les régulations, les normes sociales, les infrastructures, les institutions financières et politiques, ainsi que les modèles de propriété et les répartitions des ressources. Les éléments structurels sont considérés stables car ils sont intégrés au tissu de la société et de l'économie et ne changent pas rapidement ou facilement. Ils servent de fondement pour les activités économiques et sont cruciaux pour comprendre comment et pourquoi une économie fonctionne de la manière dont elle le fait.

Le concept d'équilibre en économie, souvent associé à l'économiste Léon Walras, est un état théorique où les ressources sont allouées de la manière la plus efficace possible, c'est-à-dire que l'offre rencontre la demande à un prix qui satisfait à la fois producteurs et consommateurs. Dans un tel système, aucun acteur économique n'a l'incitation à changer sa stratégie de production, de consommation ou d'échange, parce que les conditions existantes maximisent l'utilité pour tous dans les limites des contraintes données. Cependant, dans la réalité, les économies sont rarement, voire jamais, dans un état d'équilibre parfait. Les changements structurels, comme ceux observés pendant le XVIIIe siècle avec la transition vers des systèmes économiques plus industrialisés et capitalistes, impliquent un processus dynamique où les structures économiques évoluent et s'adaptent. Ce processus peut être perturbé par des innovations technologiques, des découvertes scientifiques, des conflits, des politiques gouvernementales, des mouvements sociaux, ou des crises économiques, qui peuvent tous entraîner des déséquilibres et nécessiter des ajustements structurels. Les économistes étudient ces changements structurels pour comprendre comment les économies se développent et réagissent à diverses perturbations, et pour informer les politiques qui visent à promouvoir la stabilité, la croissance, et le bien-être économique.

Dans le contexte du capitalisme, la structure peut être envisagée comme l'ensemble des cadres réglementaires, des institutions, des réseaux d'entreprises, des marchés et des pratiques culturelles qui façonnent et soutiennent l'activité économique. Cette structure est essentielle pour le bon fonctionnement du capitalisme, qui repose sur les principes de la propriété privée, de l'accumulation de capital, et des marchés concurrentiels pour la distribution des biens et services. L'intégrité structurelle d'un système capitaliste, c'est-à-dire la robustesse et la résilience de ses composantes et institutions, est cruciale pour assurer sa stabilité et sa capacité à s'auto-réguler. Dans un tel système, chaque élément – qu'il s'agisse d'une institution financière, d'une entreprise, d'un consommateur ou d'une politique gouvernementale – doit fonctionner efficacement et de manière autonome, tout en étant en cohérence avec l'ensemble du système. Le capitalisme est théoriquement conçu pour être un système autorégulé où l'interaction des forces de marché – principalement l'offre et la demande – mène à un équilibre économique. Par exemple, si la demande pour un produit augmente, le prix tend à augmenter, ce qui signifie une plus grande incitation pour les producteurs à produire plus de ce produit, ce qui, à terme, devrait rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande. Cependant, l'histoire économique montre que les marchés et les systèmes capitalistes ne sont pas toujours auto-correctifs et peuvent parfois être sujets à des déséquilibres persistants, tels que des bulles spéculatives, des crises financières, ou des inégalités croissantes. Dans ces cas, les éléments du système peuvent ne pas s'adapter efficacement ou rapidement, entraînant une instabilité qui peut nécessiter une intervention extérieure, comme la réglementation gouvernementale ou les politiques monétaires et fiscales, pour rétablir la stabilité. Ainsi, bien que le capitalisme tende vers une certaine forme d'équilibre grâce à la flexibilité et l'adaptabilité de ses structures, la réalité de son fonctionnement peut être beaucoup plus complexe et nécessite souvent une gestion prudente et une régulation pour éviter les dysfonctionnements.

La Structure d’Ancien Régime[modifier | modifier le wikicode]

L'économie de l'Ancien Régime, qui prévalait en Europe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle et qui est particulièrement associée à la France pré-révolutionnaire, était principalement dominée par l'agriculture. Cette prédominance agraire était fortement marquée par la monoculture céréalière, avec le blé comme étalon de cette production. Cette spécialisation reflétait les besoins alimentaires fondamentaux de l'époque, les conditions climatiques et environnementales, ainsi que des pratiques agricoles ancrées dans la tradition. La terre constituait la source principale de richesse et le symbole du statut social, ce qui engendrait une structure socio-économique rigide peu encline au changement et à l'adoption de nouvelles méthodes de culture. La productivité de l'agriculture de l'Ancien Régime était faible. Les rendements des terres étaient limités par l'usage de techniques agricoles traditionnelles et un manque criant d'innovation. La rotation triennale des cultures et la dépendance aux aléas de la nature, sans moyens technologiques avancés, restreignaient l'efficience agricole. L'investissement dans des technologies susceptibles d'améliorer la situation était rare, freiné par une combinaison de manque de connaissances, de capital, et d'un système social qui ne valorisait pas l'entrepreneuriat agricole.

En ce qui concerne la démographie, l'équilibre de la population était maintenu par des coutumes sociales telles que le mariage tardif et un taux élevé de célibat définitif, pratiques particulièrement répandues dans l'Europe du Nord-Ouest. Ces habitudes, associées à une forte mortalité infantile et à des périodes récurrentes de famine ou de pandémie, régulaient naturellement la croissance démographique malgré les maigres productions agricoles.

Le développement des moyens de transport et de communication était également très limité, engendrant une économie caractérisée par l'existence de micromarchés. Les coûts élevés de transport rendaient prohibitif le commerce de marchandises sur de longues distances, à l'exception de produits à forte valeur ajoutée comme les montres produites à Genève. Ces articles de luxe, qui s'adressaient à une clientèle aisée, pouvaient absorber les frais de transport sans compromettre leur compétitivité sur les marchés éloignés.

Enfin, la production industrielle et artisanale de l'Ancien Régime était principalement axée sur la fabrication de biens de consommation courante, dictée par la "loi d'urgence de consommation", à savoir les nécessités de manger, boire et se vêtir. Les industries, en particulier le textile, étaient souvent des activités à petite échelle, réparties sur le territoire et fortement contrôlées par des corporations qui restreignaient la concurrence et l'innovation. Cette production limitée était cohérente avec les besoins immédiats et les capacités économiques de la majorité de la population de l'époque.

Cet ensemble de caractéristiques définissait une économie et une société où le statu quo prévalait, laissant peu de place à l'innovation et au changement dynamique. La rigidité des structures de l'Ancien Régime a, par conséquent, joué un rôle dans le retard de l'entrée de pays comme la France dans la Révolution industrielle, par rapport à l'Angleterre où des réformes sociales et économiques ont ouvert la voie à une modernisation plus rapide.

La Conjoncture: Analyse et Impact[modifier | modifier le wikicode]

L'histoire économique et sociale est marquée par des cycles de croissance et de récession, des crises et des périodes de reprise qui se déroulent sur le long terme. La modification des structures socio-économiques est un processus ardu, notamment parce qu'il implique de perturber l'équilibre de systèmes qui sont en place depuis des siècles. Ces structures ne sont toutefois pas figées et témoignent de la dynamique constante de la société qui évolue continuellement, même si les modalités de cette évolution peuvent être subtiles et complexes à discerner.

Les crises sont souvent le résultat d'une accumulation de tensions au sein d'un système qui a connu une longue période de stabilité apparente. Ces tensions peuvent être exacerbées par des événements catastrophiques qui forcent une réorganisation du système en place. Les crises peuvent également engendrer une polarisation sociale plus marquée, avec des gagnants et des perdants plus distincts à mesure que la société s'adapte et réagit aux changements.

L'image des "montées puis des reculs, comme des marées successives" est une métaphore puissante pour décrire ces cycles économiques et sociaux. Il y a des périodes de croissance démographique ou économique qui semblent s'inverser ou être annulées par des périodes de crise ou de dépression. Ces "flux et reflux" sont caractéristiques de l'histoire humaine, et leur étude offre des aperçus précieux sur les forces qui façonnent les sociétés au fil du temps. Cela suggère également une résilience inhérente aux systèmes sociaux, qui bien que confrontés à des "pannes" régulières, sont capables de se reprendre et de s'élever à nouveau, bien que jamais tout à fait de la même manière qu'auparavant. Chaque cycle apporte avec lui des changements, des adaptations et parfois des transformations profondes des structures existantes.

L'Aube de la Croissance Économique[modifier | modifier le wikicode]

Le XVIIIe siècle est marqué par une expansion démographique sans précédent dans l'histoire européenne. La population du Royaume-Uni, par exemple, a connu une croissance impressionnante, passant d'environ 5,5 millions d'habitants au début du siècle à 9 millions à l'aube du XIXe siècle, soit une augmentation de près de 64%. Cette croissance démographique est l'une des plus remarquables de l'époque, reflet de l'amélioration des conditions de vie et des progrès technologiques et agricoles. La France n'est pas en reste avec une augmentation de sa population de 22 à 29 millions d'habitants, ce qui représente une hausse de 32%. Ce taux de croissance, bien que moins spectaculaire que celui du Royaume-Uni, témoigne néanmoins d'un changement significatif dans la démographie française, bénéficiant également de l'amélioration de l'agriculture et d'une relative stabilité politique. À l'échelle du continent européen, la population globale a connu une croissance d'environ 58%, un chiffre remarquable étant donné que l'Europe avait été sujet à des crises démographiques récurrentes dans les siècles précédents. Contrairement aux périodes antérieures, cette croissance n'a pas été suivie de crises démographiques majeures, comme des famines ou des épidémies à grande échelle, qui auraient pu réduire significativement le nombre d'habitants.

Ces changements démographiques sont d'autant plus notables qu'ils se sont produits sans les traditionnelles « corrections » par la mortalité qui avaient historiquement accompagné les hausses de population. Les raisons de ce phénomène sont multiples : l'amélioration de la production agricole grâce à la Révolution agricole, les progrès dans le domaine de la santé publique, et le début de la Révolution industrielle qui a créé de nouveaux emplois et encouragé l'urbanisation. Ces augmentations de population ont joué un rôle crucial dans le développement économique et les transformations sociales de l'époque, en fournissant une main-d'œuvre abondante pour les industries naissantes et en stimulant la demande pour les produits manufacturés, posant ainsi les fondements des sociétés modernes européennes.

La croissance démographique exceptionnelle du XVIIIe siècle en Europe peut être attribuée à plusieurs facteurs interdépendants qui, ensemble, ont modifié le paysage socio-économique du continent. L'innovation agricole a été un moteur clé de cette croissance. L'introduction de cultures en provenance de différents continents a diversifié et enrichi le régime alimentaire européen. Le maïs et le riz, importés respectivement d'Amérique latine et d'Asie, ont transformé l'agriculture dans le sud de l'Europe, notamment dans le nord de l'Italie, qui s'est adapté à la culture intensive du riz. Dans le nord et l'ouest de l'Europe, la pomme de terre a joué un rôle similaire. Sa propagation rapide au cours du siècle a permis d'augmenter l'apport calorique par rapport aux céréales traditionnelles et est devenue l'aliment de base des classes populaires. Le commerce a également contribué de manière significative à la prospérité et à l'augmentation de la population, surtout dans les îles britanniques. Le Royaume-Uni, en particulier, a bâti une flotte marchande robuste, s'établissant comme le "commerçant du monde". Le développement de la Révolution industrielle a permis de produire en masse des biens qui étaient ensuite distribués à travers le continent. En 1740, lorsqu'une mauvaise récolte a frappé l'Europe de l'Ouest, l'Angleterre a pu éviter une crise de mortalité en important du blé de l'Europe de l'Est grâce à sa flotte, alors que la France, moins bien connectée par voie maritime, subissait les conséquences de cette disette. Les Pays-Bas, eux aussi, bénéficiaient d'une puissance commerciale considérable grâce à leur marine marchande. Enfin, le changement dans les structures économiques a eu un impact profond. Le passage du "domestic system", où la production se faisait à domicile, à la proto-industrialisation, a créé de nouvelles dynamiques économiques. La proto-industrialisation, qui implique une augmentation de la production artisanale souvent rurale avant l'industrialisation complète, a posé les bases pour une révolution industrielle qui allait transformer les économies locales en économies d'échelle, amplifiant la capacité de production et de distribution des biens. Ces facteurs, conjugués à des progrès dans la santé publique et une meilleure gestion des ressources alimentaires, ont non seulement permis à la population européenne d'augmenter de façon substantielle, mais ont aussi pavé la voie à un avenir où l'industrialisation et le commerce mondial deviendraient les piliers de l'économie mondiale.

Le Domestic System ou Verlagsystem: Fondements et Mécanismes[modifier | modifier le wikicode]

Le Verlagsystem, ou système de mise en ouvrage, fut un précurseur essentiel de l'industrialisation en Europe. Caractéristique de certaines régions d'Allemagne et d'autres parties de l'Europe entre le XVIIe et le XIXe siècle, ce système marquait une étape intermédiaire entre le travail artisanal et la production industrielle en usine qui prédominerait plus tard. Dans ce système, le Verleger, souvent un entrepreneur ou un marchand aisé, jouait un rôle central. Il distribuait les matières premières nécessaires aux travailleurs – généralement des artisans ou des paysans qui cherchaient à compléter leurs revenus. Ces travailleurs, utilisant l'espace de leur propre foyer ou de petits ateliers locaux, se concentraient sur la production de biens selon les spécifications fournies par le Verleger. Ils étaient rémunérés à la pièce, et non par un salaire fixe, ce qui les encourageait à être aussi productifs que possible. Une fois les biens produits, le Verleger les récupérait, s'occupait de la finition si nécessaire, et les vendait sur le marché local ou à l'exportation. Le Verlagsystem a facilité l'expansion du commerce et a permis une plus grande spécialisation du travail. Il a été particulièrement dominant dans les industries textiles, où des articles comme les vêtements, les tissus et les rubans étaient produits en masse.

Ce système présentait plusieurs avantages à l'époque : il offrait une flexibilité considérable en termes de main-d'œuvre, permettant aux travailleurs de s'adapter à la demande saisonnière et aux fluctuations du marché. En outre, il a permis aux entrepreneurs de minimiser les coûts fixes, comme ceux associés à la maintenance d'une grande usine, et de contourner certaines des restrictions des guildes, qui contrôlaient strictement la production et le commerce dans les villes. Toutefois, le Verlagsystem n'était pas sans défauts. Les travailleurs, liés à la pièce, pouvaient se retrouver dans une situation de quasi-dépendance vis-à-vis du Verleger, et étaient vulnérables aux pressions économiques telles que la baisse des prix des biens finis ou la hausse des coûts des matières premières. Avec l'avènement de la révolution industrielle et le développement de la production en usine, le Verlagsystem a progressivement décliné, les nouvelles machines permettant une production plus rapide, plus efficace et à plus grande échelle. Néanmoins, il a été une étape cruciale dans la transition de l'Europe vers une économie industrielle et a jeté les bases de certains principes de production modernes.

Le système domestique, parfois appelé domestic system en anglais, ou encore système de production à domicile, fut particulièrement prévalent dans l'industrie textile en Europe à partir du XVIe siècle. Il constituait une méthode d'organisation du travail qui précédait l'industrialisation et qui impliquait une production dispersée à domicile plutôt que centralisée dans une usine ou un atelier. Dans ce système, les matières premières étaient fournies aux travailleurs à domicile, qui étaient souvent des agriculteurs ou des membres de leur famille cherchant à gagner un revenu supplémentaire. Ces travailleurs utilisaient des outils simples pour filer la laine ou le coton, et pour tisser des tissus ou d'autres biens textiles. Le processus était généralement coordonné par des entrepreneurs ou des marchands qui fournissaient les matières premières et qui, après la production, récupéraient les biens finis pour les vendre sur le marché. Cette méthode de travail présentait des avantages tant pour les marchands que pour les travailleurs. Les marchands pouvaient contourner les restrictions des guildes urbaines, qui réglementaient strictement le commerce et l'artisanat dans les villes. Pour les travailleurs, cela permettait de travailler depuis chez eux, ce qui était particulièrement avantageux pour les familles rurales qui pouvaient ainsi compléter les revenus de l'agriculture avec la production textile. Cependant, le système domestique avait ses limites. La production était souvent lente et les quantités produites relativement faibles. De plus, la qualité des biens pouvait varier considérablement. Avec le temps, ces inconvénients sont devenus plus apparents, particulièrement lorsque la révolution industrielle a introduit des machines plus efficaces et la production en usine. L'invention de machines comme le métier à tisser mécanique et la machine à filer a grandement augmenté la productivité, menant à l'obsolescence du système domestique et à la montée des manufactures puis des usines. Le système domestique était donc une étape significative dans l'évolution de la production industrielle, servant de pont entre le travail artisanal traditionnel et les méthodes de production à grande échelle qui le suivirent. Il a été le témoin des premières étapes du capitalisme industriel et de l'émergence d'une économie de marché plus moderne.

Le système domestique, largement répandu avant l'avènement de l'industrialisation, se distinguait par sa structure de production décentralisée et la dynamique entre les artisans et les marchands. Au cœur de ce système se trouvaient les paysans qui, en dehors des saisons exigeantes des travaux agricoles comme les semailles et les moissons, consacraient leur temps à la production artisanale, notamment dans le secteur du textile. Ce modèle offrait aux travailleurs un moyen de compléter leur revenu souvent insuffisant, tout en leur garantissant une certaine souplesse d'emploi. En retour, les marchands bénéficiaient d'une main-d'œuvre abordable et adaptative. D'autre part, le marchand tenait un rôle pivot dans l'organisation économique de ce système. Non seulement il fournissait aux artisans les matières premières requises, mais il était également en charge de la distribution des outils et de la gestion des commandes. Sa capacité à centraliser l'achat et la distribution des ressources lui permettait de réduire les coûts de transport et d'exercer un contrôle sur la chaîne de production et de vente. De plus, en réglant le rythme de travail selon les commandes, le marchand adaptait l'offre à la demande, une pratique qui annonçait les principes de flexibilité du capitalisme moderne. Dans l'ensemble, le système domestique était marqué par la figure dominante du marchand-entrepreneur, qui orchestré la production et la commercialisation des produits finis, s'appuyant sur une main-d'œuvre agricole intermittente. Ce système allait évoluer progressivement, ouvrant la voie à des méthodes de production plus centralisées et à la révolution industrielle qui s'en suivrait.

Dans le cadre du système domestique qui prévalait avant la révolution industrielle, le rôle du paysan était caractérisé par une forte dépendance économique. Celle-ci s'articulait autour de plusieurs axes. Tout d'abord, la vie du paysan était rythmée par les saisons et les cycles agricoles, ce qui rendait son revenu incertain et variable. En conséquence, la production artisanale, notamment dans le secteur textile, constituait un complément de revenu nécessaire pour pallier l'insuffisance des gains issus de l'agriculture. La nature de cette dépendance était double : non seulement le paysan dépendait de l'agriculture pour sa subsistance principale, mais il était également dépendant des revenus complémentaires que lui procurait le travail artisanal. D'autre part, la relation du paysan avec le marchand était de nature asymétrique. Le marchand, qui contrôlait la distribution des matières premières et la commercialisation des produits finis, avait une influence considérable sur les conditions de travail du paysan. En fournissant les outils et en passant les commandes, le marchand dictait le flux de travail et déterminait indirectement le niveau de revenu du paysan. Cette dépendance était exacerbée par le fait que le paysan ne possédait pas les moyens de commercialiser lui-même ses produits à une échelle significative, ce qui l'obligeait à accepter les termes dictés par le marchand. La dépendance du paysan vis-à-vis du marchand était renforcée par la précarité de son statut économique. Avec peu de possibilités de négocier ou d'altérer les conditions de son travail artisanal, le paysan était vulnérable aux fluctuations de la demande et aux décisions du marchand. Cette situation perdura jusqu'à l'avènement de l'industrialisation, qui transforma radicalement les méthodes de production et les rapports économiques au sein de la société.

Les corporations d'artisans du textile, institutions fortes du Moyen Âge jusqu'à la période moderne, jouaient un rôle essentiel dans la régulation de la production et de la qualité des biens, ainsi que dans la protection économique et sociale de leurs membres. Lorsque le système de production décentralisé, connu sous le nom de Verlagsystem ou putting-out system, a commencé à se développer, il a présenté un modèle alternatif dans lequel les marchands externalisaient le travail aux artisans et aux paysans qui travaillaient chez eux. Ce nouveau modèle a engendré des tensions significatives avec les corporations traditionnelles pour plusieurs raisons. Les corporations étaient fondées sur des règles strictes concernant la formation, la production et la vente des biens. Elles imposaient des standards élevés de qualité et garantissaient un certain niveau de vie à leurs membres, tout en limitant la concurrence pour protéger les marchés locaux. Le Verlagsystem, cependant, opérait en dehors de ces règlementations. Les marchands pouvaient contourner les contraintes des corporations, offrant ainsi des produits à moindre coût et souvent à une échelle beaucoup plus grande. Pour les corporations, cette forme de production représentait une concurrence déloyale car elle ne respectait pas les mêmes règles et pouvait menacer le monopole économique qu'elles maintenaient sur la production et la vente des textiles. En conséquence, les corporations cherchaient souvent à limiter ou à interdire les activités du Verlagsystem afin de préserver leurs propres pratiques et avantages. Ces oppositions ont parfois mené à des conflits ouverts et à des tentatives de réglementation plus strictes visant à freiner l'expansion de ce système. Malgré cela, le Verlagsystem a gagné du terrain, particulièrement là où les corporations étaient moins puissantes ou moins présentes, préfigurant ainsi les changements économiques et sociaux qui allaient caractériser la révolution industrielle.

L'organisation de production qui émergea avec le domestic system offrait une innovation dans la gestion de la main-d'œuvre agricole. Ce système permettait aux paysans de profiter de leurs périodes creuses en travaillant à temps partiel pour des marchands ou des manufacturiers. Le paysan devenait ainsi une main-d'œuvre bon marché et flexible pour le marchand, qui pouvait s'adapter aux fluctuations de la demande sans les contraintes d'un engagement à plein temps. Malgré cette innovation, le domestic system est resté un phénomène relativement marginal et n'a pas eu l'impact transformateur qu'auraient pu en attendre les marchands capitalistes. Ces derniers détenaient le capital nécessaire pour acheter les matières premières et payer les paysans pour leur travail, souvent au prix le plus bas, avant de vendre les produits finis sur le marché. Cela représentait une forme de capitalisme commercial précoce, mais ce modèle économique se heurtait à un obstacle majeur : la faiblesse de la demande. La réalité sociale et économique de l'époque était celle d'une "société de misère de masse", où les famines étaient courantes et la consommation se limitait à la stricte nécessité. Les vêtements, par exemple, étaient achetés pour durer et étaient rapiécés et réutilisés plutôt que remplacés. La consommation de masse requiert un niveau de pouvoir d'achat qui n'était tout simplement pas présent dans la majorité de la population, à l'exception de quelques groupes minoritaires comme la noblesse, la bourgeoisie et le clergé. Ainsi, malgré ses aspects innovants, le domestic system n'a pas connu une croissance significative, en partie à cause de cette faiblesse de la demande et de la capacité d'achat globalement limitée. Cela a contribué à maintenir le système économique dans un état de "blocage", où les progrès technologiques et organisationnels seuls ne pouvaient pas déclencher un développement économique plus large sans une augmentation concomitante de la demande du marché.

L'Émergence de la Proto-industrialisation[modifier | modifier le wikicode]

La proto-industrie, qui a pris son essor principalement avant la Révolution industrielle, constituait un stade intermédiaire entre l'économie agricole traditionnelle et l'économie industrielle. Cette forme d'organisation économique a vu le jour en Europe, particulièrement dans les régions rurales où les agriculteurs cherchaient à compléter leurs revenus en dehors des saisons de plantation et de récolte. Dans ce système, la production n'était pas centralisée comme dans les usines ultérieures de l'ère industrielle, mais dispersée dans de nombreux petits ateliers ou domiciles. Les artisans et les petits producteurs, qui travaillaient souvent en famille, se spécialisaient dans la production de biens spécifiques tels que des textiles, de la poterie ou des métaux. Ces biens étaient ensuite collectés par des marchands qui se chargeaient de leur distribution sur des marchés plus larges, souvent bien au-delà des marchés locaux.

La proto-industrialisation impliquait une économie mixte où l'agriculture restait l'activité principale, mais où la production de biens manufacturés jouait un rôle croissant. Cette période était marquée par une division du travail encore rudimentaire et une utilisation limitée de machines spécialisées, mais elle posait néanmoins les bases pour le développement ultérieur de l'industrialisation, notamment en accoutumant une partie de la population au travail en dehors de l'agriculture, en stimulant le développement de compétences dans la production de biens et en favorisant l'accumulation de capital nécessaire pour financer des entreprises plus importantes et plus technologiquement avancées.

Franklin Mendels (1972): Thèse sur la Flandre au XVIIIème Siècle[modifier | modifier le wikicode]

Franklin Mendels a conceptualisé le terme "proto-industrialisation" pour décrire le processus évolutif qui s'est déroulé dans les campagnes européennes, notamment en Flandre durant le XVIIIème siècle, préfigurant la Révolution industrielle. Sa thèse met en exergue la coexistence de l'agriculture avec la production de biens manufacturés à petite échelle dans les foyers paysans. Cette double activité économique permettait aux familles rurales d'accroître leurs revenus et de diminuer leur vulnérabilité aux aléas agricoles. Selon Mendels, la proto-industrialisation se caractérisait par une distribution éparse de la production manufacturée, souvent réalisée dans de petits ateliers ou au sein des ménages, et non dans de grandes usines concentrées. Les paysans étaient souvent dépendants des marchands locaux qui fournissaient les matières premières et s'occupaient de la commercialisation des produits finis. Ce système stimulait la productivité et favorisait l'efficacité dans la production de biens manufacturés, ce qui dynamisait l'économie des régions concernées. En outre, cette période a été témoin de changements significatifs au niveau des structures familiales et sociales. Les familles paysannes s'adaptaient en adoptant des stratégies économiques combinant agriculture et production manufacturière. Ce phénomène a eu pour conséquence de familiariser la main-d'œuvre avec les activités manufacturières et de tisser des réseaux de distribution pour les biens produits, facilitant ainsi l'accumulation de capital. La proto-industrialisation a donc non seulement modifié le paysage économique de ces régions, mais a également eu un impact sur leur démographie, la mobilité sociale et les relations familiales, jetant les bases des sociétés industrielles modernes.

À la fin du XVIIe siècle, l'augmentation de la population en Europe a entraîné des changements significatifs dans la composition sociale des campagnes. Cette croissance démographique a conduit à la distinction de deux groupes principaux au sein de la population rurale. D'une part, il y avait les paysans sans terres. Ce groupe était constitué d'individus qui ne possédaient pas de parcelles agricoles et qui dépendaient souvent du travail saisonnier ou journalier pour survivre. Ces personnes étaient particulièrement vulnérables aux fluctuations économiques et aux mauvaises récoltes. Avec l'essor de la Révolution industrielle, ils allaient devenir une main-d'œuvre essentielle, souvent décrite comme une "armée de réserve" du capitalisme industriel, car ils étaient disponibles pour travailler dans les nouvelles usines et manufactures en raison de leur absence de liens avec la terre. D'autre part, il y avait les paysans qui, face à la pression démographique et à la raréfaction des terres disponibles, ont cherché des sources de revenus alternatives. Ces paysans ont commencé à se tourner vers des activités non agricoles, telles que la production artisanale ou le travail à domicile dans le cadre de systèmes tels que le domestic system ou la proto-industrialisation. Ils ont ainsi contribué à la diversification économique des campagnes et à la préparation des populations rurales aux transformations industrielles à venir. Ces dynamiques ont abouti à une réorganisation socio-économique des campagnes, avec un impact sur les structures traditionnelles de l'agriculture et une implication croissante des zones rurales dans les circuits économiques plus larges du commerce et de la production manufacturière.

Caractéristiques de la Proto-industrie (« Putting-Out System »)[modifier | modifier le wikicode]

Le XVIIIe siècle a été une période de transformations économiques profondes en Europe, et en particulier dans des régions comme la Flandre. L'historien économique Franklin Mendels, dans sa thèse emblématique sur la Flandre du XVIIIe siècle, a identifié plusieurs éléments clés qui caractérisent la protoindustrie, un système qui a préparé le terrain pour la révolution industrielle. L'une des constatations les plus surprenantes de Mendels est que, contrairement aux périodes antérieures de l'histoire, la croissance démographique au XVIIIe siècle était principalement centrée dans les campagnes plutôt que dans les villes. Cela marque un renversement des tendances démographiques historiques où les villes étaient habituellement les moteurs de la croissance. Cette expansion de la population rurale a entraîné un surplus de main-d'œuvre disponible pour de nouvelles formes de production. Par ailleurs, Mendels a identifié que l'unité économique de base durant cette période n'était ni la ville ni le village, mais plutôt le ménage. Le ménage fonctionnait comme le noyau de la production et de la reproduction. Les familles rurales, plutôt que de dépendre uniquement de l'agriculture, ont diversifié leurs activités en prenant part à la production protoindustrielle, souvent dans le cadre du domestic system. Ces ménages produisaient des biens à domicile, tels que des textiles, pour des marchands ou des entrepreneurs qui leur fournissaient des matières premières et récupéraient les produits finis pour la vente. Cette structure économique a permis une plus grande flexibilité et adaptabilité face aux fluctuations de la demande et des saisons, contribuant ainsi à une croissance économique soutenue qui allait éventuellement mener à la révolution industrielle. La protoindustrie a donc été un élément déterminant de la croissance économique au XVIIIe siècle, préparant les populations rurales aux changements majeurs qui allaient s'opérer avec l'industrialisation.

Les études minutieuses de Franklin Mendels sur les Flandres au XVIIIe siècle offrent un aperçu détaillé de la dynamique économique et sociale du monde rural d'Europe de l'Ouest. À travers l'analyse des archives de quelque 5000 ménages, Mendels a pu identifier trois groupes sociaux distincts, dont la croissance reflétait les tensions et les changements de l'époque. Les paysans sans terre représentaient un groupe en expansion, une conséquence directe de la croissance démographique qui surpassait la capacité de la terre à subvenir aux besoins de tous. Avec des pratiques d'héritage partageant la terre entre plusieurs héritiers, de nombreuses exploitations devenaient non viables et sombraient dans la faillite. Ces paysans étaient pressurisés par les impératifs démographiques et économiques, les conduisant parfois à la faillite. Pour certains, le travail pour de grands propriétaires terriens était une option, alors que d'autres deviendraient ce que Marx a appelé « l'armée de réserve du capitalisme », prêts à rejoindre la main-d'œuvre de l'industrie naissante, dans leur quête désespérée d'emploi. Un second groupe était composé de paysans qui choisissaient d'émigrer pour éviter la subdivision excessive de leur lopin de terre familial et la conséquente dilution des revenus. Ces paysans cherchaient des opportunités économiques en ville ou même à l'étranger, souvent saisonnièrement, établissant ainsi des schémas de migration qui devenaient courants au XVIIIe siècle. Enfin, il y avait ceux qui restaient attachés à leur terre mais étaient forcés d'innover pour survivre. Ce groupe adoptait la proto-industrie, combinant les travaux agricoles avec la production industrielle à petite échelle, souvent à domicile. En intégrant ces nouvelles formes de production, ils parvenaient à maintenir leur mode de vie rural tout en générant des revenus supplémentaires nécessaires pour soutenir leurs familles. Ces trois groupes sociaux, observés par Mendels, illustrent la complexité et la diversité des réponses aux défis économiques et démographiques de l'époque, et leur rôle central dans la transformation de la société rurale pré-industrielle.

La proto-industrie représente une phase intermédiaire de développement économique qui a lieu principalement à la campagne, caractérisée par un système de travail à domicile. C'est une forme d'artisanat rural qui demeure largement invisible dans les statistiques économiques traditionnelles car elle s'insère dans les interstices du temps agricole. Les travailleurs, souvent des paysans, utilisent les périodes où l'agriculture demande moins d'attention pour s'adonner à des activités de production comme le filage ou le tissage, leur permettant ainsi de diversifier leurs sources de revenus. Le système proto-industriel est parfaitement compatible avec le rythme saisonnier de l'agriculture, puisqu'il capitalise sur les moments creux de celle-ci. Ainsi, les paysans peuvent continuer à subvenir à leurs besoins alimentaires grâce à l'agriculture tout en augmentant leur revenu par le biais d'activités proto-industrielles. En cas de mauvaise récolte et de hausse des prix du blé, les revenus supplémentaires générés par la proto-industrie offrent une sécurité économique, permettant l'achat de nourriture. Inversement, si une crise touche le secteur textile, les récoltes agricoles peuvent constituer une garantie contre la famine. La dualité de cette économie offre donc une certaine résilience face aux crises, étant donné que la survie des paysans ne dépend pas exclusivement d'un seul secteur. Seule la malchance d'une crise simultanée dans les secteurs agricole et proto-industriel pourrait menacer leur subsistance, une occurrence historiquement assez rare. Cela démontre la force d'un système économique diversifié, même à l'échelle microéconomique du ménage rural.

L'introduction d'une deuxième source de revenu a marqué un tournant significatif dans la vie des paysans. Bien que la pauvreté ait continué à être répandue et que la majorité des gens aient vécu avec des moyens modestes, la capacité à générer des revenus supplémentaires à travers la proto-industrie a contribué à réduire la précarité de leur existence. Cette diversification des revenus a permis une meilleure sécurité économique, réduisant la vulnérabilité des paysans aux fluctuations saisonnières et aux aléas de l'agriculture. Ainsi, même si le niveau de vie global ne s'est pas élevé de manière spectaculaire, l'impact sur la sécurité et la stabilité des foyers ruraux a été substantiel. Les familles pouvaient mieux faire face aux années de mauvaises récoltes ou aux périodes d'augmentation des prix des denrées alimentaires. De plus, cette sécurité renforcée pouvait se traduire par une certaine amélioration du bien-être social. Avec un revenu supplémentaire, les familles avaient potentiellement accès à des biens et services qu'elles n'auraient pas pu se permettre autrement, comme de meilleures vêtements, outils, ou même une éducation pour leurs enfants. En somme, la proto-industrie a joué un rôle fondamental dans l'amélioration de la condition des paysans en leur fournissant un filet de sécurité qui allait au-delà de la subsistance et qui a préparé le terrain pour les changements sociaux et économiques de la Révolution industrielle.

Le Commerce Triangulaire: Un Aperçu[modifier | modifier le wikicode]

L'intégration de la proto-industrie dans le commerce mondial a marqué une transformation significative de l'économie globale. Ce système, également connu sous le nom de putting-out system ou système de la domesticité, a ouvert la voie aux producteurs ruraux pour qu'ils participent pleinement à l'économie de marché, en fabriquant des biens destinés à l'exportation. Ce développement a entraîné une série de conséquences interconnectées. La proto-industrie a conduit à une hausse significative de la demande pour les produits manufacturés, en partie grâce à la mise en place du commerce triangulaire. Ce dernier désigne un circuit commercial entre l'Europe, l'Afrique et les Amériques, où les marchandises produites en Europe étaient échangées contre des esclaves en Afrique, qui étaient ensuite vendus dans les Amériques. Les matières premières des colonies étaient ramenées en Europe pour être transformées par la proto-industrie.

Ce commerce a alimenté l'accumulation de capital en Europe, capital qui a par la suite financé la Révolution industrielle. De plus, l'expansion des marchés pour les biens proto-industriels au-delà des frontières locales a favorisé l'émergence d'une économie de marché plus intégrée et mondialisée. Les structures économiques ont commencé à changer, la proto-industrie ayant pavé le chemin vers la Révolution industrielle en orientant les producteurs vers la production pour le marché et non plus seulement pour leur subsistance personnelle. Toutefois, il est essentiel de reconnaître que le commerce triangulaire comprenait également le commerce des esclaves, un aspect profondément inhumain de cette période historique. Les avancées économiques se sont parfois produites au prix de grandes souffrances humaines, et bien que l'économie ait prospéré, elle l'a fait en causant des torts irréparables à de nombreuses vies, dont l'impact se ressent encore de nos jours.

La proto-industrie, souvent confondue avec le domestic system, se distingue de ce dernier par son ampleur et son impact économique. La proto-industrie a touché un grand nombre de paysans, avec peu de régions agricoles épargnées par ce phénomène. Cette large diffusion est principalement due à la transition des producteurs ruraux des micromarchés locaux vers une économie globale, permettant l'exportation de leurs produits. L'exportation de biens tels que les textiles, les armes et même des articles aussi basiques que les clous a considérablement augmenté la demande globale et stimulé la croissance économique. Cette expansion des marchés a également été le moteur du commerce triangulaire. Ce système a vu les produits de la proto-industrie en Europe échangés contre des esclaves en Afrique, qui étaient ensuite transportés vers les Amériques pour travailler dans les économies de plantation produisant du coton, du sucre, du café et du cacao, lesquels étaient finalement exportés vers l'Europe. Ce flux commercial a non seulement contribué à une hausse de la demande pour les biens proto-industriels mais a aussi provoqué une augmentation du travail dans la construction navale, un secteur offrant de l'emploi à des millions de paysans, réduisant ainsi les coûts de transport et favorisant une croissance économique soutenue. Cependant, il est primordial de rappeler que le commerce triangulaire reposait sur l'esclavage, un système profondément tragique et inhumain, dont les séquelles sont toujours présentes dans la société moderne. La croissance économique qu'il a engendrée est indissociable de ces réalités historiques douloureuses.

La relation entre la croissance de la population et la proto-industrie au XVIIIe siècle est une question de cause à effet complexe qui a été largement débattue par les historiens économiques. D'une part, l'accroissement de la population peut être vu comme un facteur incitant à la recherche de nouvelles formes de revenus, conduisant ainsi au développement de la proto-industrie. Avec une population en augmentation, en particulier dans les campagnes, les terres deviennent insuffisantes pour subvenir aux besoins de tous, forçant ainsi les paysans à trouver des sources de revenus complémentaires, comme le travail proto-industriel qui peut être réalisé à domicile et ne nécessite pas de déplacements importants. D'autre part, la proto-industrie elle-même a pu encourager la croissance démographique en améliorant le niveau de vie des familles rurales et en leur permettant de subvenir mieux aux besoins de leurs enfants. L'accès à des revenus supplémentaires hors de l'agriculture a probablement réduit les taux de mortalité et permis aux familles de soutenir plus d'enfants jusqu'à l'âge adulte. De plus, avec l'augmentation des revenus, les populations étaient mieux nourries et plus résistantes aux maladies, ce qui pouvait également contribuer à une croissance démographique. La proto-industrie représente ainsi une phase de transition entre les économies traditionnelles, basées sur l'agriculture et l'artisanat à petite échelle, et l'économie moderne caractérisée par l'industrialisation et la spécialisation du travail. Elle a permis l'intégration des économies rurales dans les marchés internationaux, aboutissant à une augmentation de la production et à une diversification des sources de revenus. Cela a eu pour effet de dynamiser les économies locales et de les intégrer dans le réseau commercial mondial en expansion.

Les effets démographiques[modifier | modifier le wikicode]

Impacts sur la Mortalité[modifier | modifier le wikicode]

Au XVIIIe et au début du XIXe siècle, l'Europe a connu une transformation démographique significative, caractérisée par une baisse de la mortalité, en partie grâce à une série d'améliorations et de changements dans la société. Les avancées dans l'agriculture ont permis d'augmenter la production alimentaire, diminuant ainsi le risque de famines. Parallèlement, des progrès en matière d'hygiène et des initiatives en santé publique ont commencé à réduire la propagation des maladies infectieuses. Même si les avancées majeures en médecine ne surviendront qu'à la fin du XIXe siècle, certaines découvertes préliminaires ont déjà eu un impact positif sur la santé. De plus, la proto-industrialisation a créé des opportunités de revenus supplémentaires en dehors de l'agriculture, permettant ainsi aux familles de mieux résister en période de récoltes médiocres et d'améliorer leur niveau de vie, y compris leur accès à une alimentation de qualité et aux soins de santé. Cette époque a également vu un changement dans la structure économique et sociale, avec des familles qui pouvaient désormais se permettre de se marier plus tôt et d'élever plus d'enfants grâce à une sécurité économique accrue. Le travail industriel à domicile, comme le textile, offrait une sécurité financière supplémentaire qui, associée à l'agriculture, assurait un revenu plus stable et diversifié. Cela a contribué à éroder l'ancien régime démographique où le mariage était souvent retardé par manque de ressources économiques. La convergence de ces facteurs a donc joué un rôle dans la réduction des crises de mortalité, menant à une croissance démographique soutenue et à une transformation des mentalités et des modes de vie. La proto-industrialisation, en offrant un complément de revenu et en favorisant une certaine stabilité économique, a été un élément clé de cette transition, bien que son influence varie grandement d'une région à l'autre.

Influence sur l’Âge au Mariage et la Fécondité[modifier | modifier le wikicode]

La proto-industrialisation a eu un impact sur la structure sociale et économique des sociétés rurales, et parmi ces effets, on note un recul de l'âge au mariage. Avant cette période, de nombreux petits paysans devaient retarder le mariage jusqu'à ce qu'ils aient les moyens de soutenir une famille, car leurs ressources étaient limitées à ce que leur terre pouvait produire. Avec l'avènement de la proto-industrialisation, ces petits paysans ont pu compléter leurs revenus grâce à des activités industrielles à domicile, telles que le tissage, qui devenaient de plus en plus demandées avec l'expansion du marché. Cette nouvelle source de revenu a rendu le mariage plus accessible à un âge plus jeune, car les couples pouvaient compter sur des revenus additionnels pour subvenir à leurs besoins. De plus, dans ce nouveau modèle économique, les enfants représentaient une main-d'œuvre supplémentaire qui pouvait contribuer au revenu familial dès leur jeune âge. Ils pouvaient, par exemple, travailler sur les métiers à tisser à domicile. Cela signifiait que les familles avaient un incitatif économique pour avoir plus d'enfants et que ces derniers pouvaient contribuer économiquement bien avant d'atteindre l'âge adulte. Cette dynamique a renforcé la viabilité économique du mariage et de la famille élargie, permettant une augmentation de la natalité et contribuant à une croissance démographique accélérée. Cette transition démographique a eu des répercussions profondes sur la société, menant éventuellement à des changements structurels qui ont pavé la voie à l'industrialisation complète et à la modernisation économique.

Le phénomène de proto-industrialisation a eu des effets variables sur les comportements matrimoniaux et la fécondité selon les régions. Dans les zones où la proto-industrialisation fournissait des revenus supplémentaires significatifs, les gens ont commencé à se marier plus tôt et la fécondité a augmenté en conséquence. La possibilité de compléter les revenus agricoles avec ceux provenant du travail industriel à domicile a réduit les obstacles économiques au mariage précoce, car les familles pouvaient nourrir plus de bouches et soutenir des ménages plus larges. Cependant, dans d'autres régions, la prudence économique prévalait et les paysans avaient tendance à reporter le mariage jusqu'à ce qu'ils aient accumulé suffisamment de ressources pour devenir propriétaires fonciers. L'acquisition de terres était souvent considérée comme une garantie de sécurité économique, et les paysans préféraient retarder le mariage et la création d'une famille jusqu'à ce qu'ils puissent assurer une certaine stabilité matérielle. Cette différence régionale dans les comportements de mariage reflète la diversité des stratégies économiques et des valeurs culturelles qui influençaient les décisions des paysans. Alors que la proto-industrialisation offrait de nouvelles opportunités, les réponses à ces opportunités étaient loin d'être uniformes et étaient souvent façonnées par les conditions locales, les traditions et les aspirations individuelles.

Transformation des Rapports Humains: Corps et Environnement[modifier | modifier le wikicode]

Attenuation of mortality swing sweden 1735 - 1920.png

Le graphique représente le taux de mortalité pour 1 000 individus sur l'axe des ordonnées et les années de 1720 à 1920 sur l'axe des abscisses. Une tendance claire est visible sur le graphique : le taux de mortalité, qui présente d'importantes fluctuations avec des pics élevés dans les premières années (notamment autour de 1750 et juste avant 1800), s'aplanit progressivement au fil du temps, les pics devenant moins marqués et le taux global de mortalité diminuant. La ligne pointillée représente une ligne de tendance indiquant la trajectoire générale à la baisse du taux de mortalité sur cette période de deux siècles. Cette représentation visuelle suggère qu'avec le temps, les instances et la sévérité des crises de mortalité (telles que les épidémies, les famines et les guerres) ont diminué, en raison des améliorations dans la santé publique, la médecine, les conditions de vie et des changements dans les structures sociales.

Évolution de la Perception de la Mort[modifier | modifier le wikicode]

Le changement dans la perception de la mort en Occident pendant le passage du XVIème au XVIIIème siècle reflète une transformation profonde des mentalités et de la culture. Au XVIème et au XVIIème siècles, la mortalité élevée et les fréquentes épidémies faisaient de la mort une présence constante et familière dans la vie quotidienne. Les gens étaient habitués à coexister avec la mort, tant au niveau communautaire qu'individuel. Les cimetières se trouvaient souvent au cœur des villages ou des villes, et les morts faisaient partie intégrante de la communauté, comme en témoignent les rituels et les commémorations. Cependant, au XVIIIème siècle, notamment avec les progrès de la médecine, de l'hygiène et de l'organisation sociale, la mortalité a commencé à reculer, et avec elle, la présence omniprésente de la mort a diminué. Cette diminution de la mortalité quotidienne a conduit à une transformation de la perception de la mort. Elle n'était plus perçue comme une compagne constante, mais plutôt comme un événement tragique et exceptionnel. Les cimetières ont été déplacés à l'extérieur des zones habitées, signifiant une séparation physique et symbolique entre les vivants et les morts. Cette « mise à distance » de la mort coïncide avec ce que de nombreux historiens et sociologues considèrent comme le début de la modernité occidentale. Les mentalités se sont tournées vers la valorisation de la vie, du progrès et de l'avenir. La mort est devenue quelque chose à combattre, à repousser, et, idéalement, à vaincre. Ce changement d'attitude a également conduit à une certaine fascination pour la mort, qui est devenue un sujet de réflexion philosophique, littéraire et artistique, réfléchissant une certaine anxiété face à l'inconnu et à l'inévitable. Cette nouvelle vision de la mort reflète un changement plus large dans la compréhension humaine de soi et de sa place dans l'univers. La vie, la santé et le bonheur sont devenus des valeurs centrales, tandis que la mort est devenue une limite à repousser, un défi à relever. Cela a profondément influencé les pratiques culturelles, sociales et même économiques, et continue de façonner la manière dont la société contemporaine aborde la fin de vie et le deuil.

Le recul de la mortalité au XVIIIème siècle et les changements dans les perceptions et pratiques autour de la mort ont eu des conséquences sur de nombreux aspects de la vie sociale, y compris la justice pénale et les pratiques d'exécution. À l'époque médiévale et au début de l'époque moderne, les exécutions publiques étaient courantes et souvent accompagnées de tortures et de méthodes particulièrement brutales. Ces exécutions avaient une fonction sociale et politique : elles étaient censées être un spectacle dissuasif, un avertissement adressé à la population contre la transgression des lois. Elles étaient souvent mises en scène avec un haut degré de cruauté, ce qui reflétait la familiarité de l'époque avec la violence et la mort. Cependant, au XVIIIème siècle, sous l'influence des Lumières et de la nouvelle sensibilité envers la vie humaine et la dignité, on assiste à une transformation des pratiques juridiques et punitives. Les philosophes des Lumières, comme Cesare Beccaria dans son ouvrage "Des délits et des peines" (1764), ont argumenté contre l'utilisation de la torture et des peines cruelles, plaidant pour une justice plus rationnelle et humaine. Dans ce contexte, les exécutions publiques commencent à être remises en question. Elles sont peu à peu perçues comme barbares et non civiles, et en contradiction avec les nouvelles valeurs de la société. Ce changement de perspective conduit à des réformes dans le système pénal, avec une tendance vers des exécutions plus "humaines" et, finalement, vers l'abolition des exécutions publiques. L'exécution, plutôt que d'être un spectacle public de torture, devient un acte rapide et moins douloureux, avec pour but de mettre fin à la vie du condamné plutôt que de lui infliger une longue souffrance. L'introduction de méthodes comme la guillotine en France à la fin du XVIIIème siècle était en partie justifiée par l'idée d'une exécution plus rapide et moins inhumaine. Le recul de la mortalité et les changements de mentalité qui l'accompagnent ont joué un rôle dans la transformation des pratiques judiciaires, menant à la diminution et finalement à l'arrêt des exécutions publiques et des tortures associées, reflétant une humanisation progressive de la société et de ses institutions.

Au XVIIIe siècle, les cimetières commencent à être déplacés hors des villes, signe d'une transformation profonde dans la façon dont la société considère la mort et les morts. Pendant des siècles, les défunts avaient été enterrés près des églises, au cœur même des communautés, mais cela a commencé à changer pour diverses raisons.

Les préoccupations de santé publique ont gagné en importance avec l'urbanisation croissante. Les cimetières surpeuplés au sein des villes étaient vus comme des menaces potentielles pour la santé, d'autant plus en période d'épidémies. Cette prise de conscience a amené les autorités à repenser l'organisation des espaces urbains pour limiter les risques sanitaires. L'influence des Lumières a également encouragé une nouvelle approche de la mort. Elle n'était plus un spectacle quotidien, mais une affaire personnelle et privée. Il y avait une tendance croissante à considérer les rites mortuaires et le deuil comme devant être vécus de manière plus intime, à l'écart du regard public. En même temps, les conceptions de l'individu évoluaient. On accordait plus de dignité à la personne humaine, vivante comme morte, ce qui s'est traduit par un besoin d'espaces funéraires traitant les dépouilles avec respect et décence. L'esprit de rationalisme de l'époque a aussi joué un rôle. On croyait davantage en la capacité humaine à aménager et à contrôler son environnement. Déplacer les cimetières était une manière de réorganiser l'espace pour améliorer le bien-être collectif, en alignant l'agencement de la ville avec les principes de rationalité et de progrès. Ce déménagement des cimetières était une expression concrète d'un éloignement de la mort de la vie quotidienne, reflétant une volonté de la gérer de manière plus méthodique, et montrait un respect grandissant pour la dignité des morts, tout en marquant un pas vers un contrôle accru sur les facteurs environnementaux affectant la vie publique.

La Lutte contre les Maladies: Progrès et Défis[modifier | modifier le wikicode]

L'externalisation de la mort au XVIIIe siècle reflète une période où les perspectives sur la vie, la santé et la maladie commencent à se transformer significativement. L'homme de l'époque des Lumières, armé d'une foi nouvelle dans la science et le progrès, commence à croire en sa capacité à influencer, voire à contrôler, son environnement et sa santé. La variole était l'une des maladies les plus dévastatrices, provoquant des épidémies régulières et des taux de mortalité élevés. La découverte de l'immunisation par Edward Jenner à la fin du XVIIIe siècle a été une révolution en termes de santé publique. En utilisant le vaccin contre la variole, Jenner a prouvé qu'il était possible de prévenir une maladie plutôt que de simplement la traiter ou d'en subir les conséquences. Cela a marqué le début d'une nouvelle ère où la médecine préventive devenait un objectif réalisable, renforçant ainsi l'impression que l'humanité pouvait triompher sur les épidémies qui avaient décimé des populations entières par le passé. Cette victoire sur la variole a non seulement sauvé d'innombrables vies mais a également renforcé l'idée que la mort n'était pas toujours inévitable ni un destin à accepter sans lutte. Elle a symbolisé un tournant où la mort, autrefois inextricablement tissée dans le quotidien et acceptée comme partie intégrante de la vie, a commencé à être vue comme un événement que l'on pouvait repousser, gérer, et dans certains cas, éviter grâce à l'avancement de la médecine et de la science.

La variole a été une des maladies les plus redoutées avant le développement des premières méthodes efficaces de prévention. La maladie a eu un impact profond sur les sociétés à travers les siècles, causant des décès en masse et laissant ceux qui survivaient souvent avec de graves séquelles physiques. La métaphore que la variole a pris le relais de la peste illustre le fardeau constant de la maladie au sein des populations avant la compréhension moderne de la pathologie et l'avènement de la santé publique.

L'observation que l'humanité n'aurait pas pu supporter deux fléaux simultanés tels que la peste et la variole met en lumière la vulnérabilité de la population face aux maladies infectieuses avant le XVIIIe siècle. Le cas de figures célèbres comme Mirabeau, qui a été défiguré par la variole, rappelle la terreur que cette maladie inspirait. Malgré l'ignorance de ce qu'était un virus à l'époque, le XVIIIe siècle a marqué une époque de transition où l'on est passé de la superstition et de l'impuissance face aux maladies à des tentatives plus systématiques et empiriques de compréhension et de contrôle. Des pratiques telles que la variolisation, qui impliquait l'inoculation d'une forme atténuée de la maladie pour induire une immunité, ont été développées bien avant que la science ne comprenne les mécanismes sous-jacents de l'immunologie. C'est Edward Jenner qui, à la fin du XVIIIe siècle, a mis au point la première vaccination, en utilisant le pus issu de la variole des vaches (vaccinia) pour immuniser contre la variole humaine, avec des résultats significativement plus sûrs que la variolisation traditionnelle. Cette découverte ne se fondait pas sur une compréhension scientifique de la maladie au niveau moléculaire, qui ne viendrait que bien plus tard, mais plutôt sur une observation empirique et l'application de méthodes expérimentales. La victoire sur la variole symbolise donc un tournant décisif dans la lutte de l'humanité contre les épidémies, ouvrant la voie aux progrès futurs en matière de vaccination et de contrôle des maladies infectieuses, qui allaient transformer la santé publique et la longévité humaine dans les siècles suivants.

L'inoculation, pratiquée avant la vaccination telle que nous la connaissons, était une forme primitive de prévention de la variole. Cette pratique impliquait l'introduction délibérée du virus de la variole dans l'organisme d'une personne saine, généralement par l'intermédiaire d'une petite incision dans la peau, dans l'espoir que cela entraînerait une infection légère mais suffisante pour induire une immunité sans provoquer la maladie complète. En 1721, la pratique de l'inoculation a été introduite en Europe par Lady Mary Wortley Montagu, qui l'a découverte en Turquie et l'a amenée en Angleterre. Elle l'a fait inoculer à ses propres enfants. L'idée était que l'inoculation d'une forme atténuée de la maladie procurerait une protection contre une infection ultérieure, qui pourrait être beaucoup plus sévère ou même mortelle. Cette méthode avait des risques significatifs. Les personnes inoculées pouvaient développer une forme complète de la maladie et devenir des vecteurs de transmission de la variole, contribuant à sa propagation. De plus, il y avait une mortalité associée à l'inoculation elle-même, bien que celle-ci fût inférieure à la mortalité de la variole à l'état naturel. Malgré ses dangers, l'inoculation a été la première tentative systématique de contrôler une maladie infectieuse par l'immunisation, et elle a jeté les bases des pratiques ultérieures de vaccination développées par Edward Jenner et d'autres. L'acceptation et la pratique de l'inoculation ont varié, avec beaucoup de controverses et de débats, mais son utilisation a marqué une étape importante dans la compréhension et la gestion de la variole avant que la vaccination avec le vaccin plus sûr et plus efficace de Jenner ne devienne courante à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.

En 1796, Edward Jenner, un médecin anglais, a réalisé une avancée médicale majeure en mettant au point la vaccination contre la variole. Observant que les trayeuses qui avaient contracté la vaccine, une maladie semblable à la variole mais bien moins sévère, transmise par les vaches, ne contractaient pas la variole humaine, il a postulé qu'une exposition à la vaccine pouvait conférer une protection contre la variole humaine. Jenner a testé sa théorie en inoculant James Phipps, un garçon de huit ans, avec du pus prélevé sur des lésions de vaccine. Lorsque Phipps a par la suite résisté à une exposition à la variole, Jenner en a conclu que l'inoculation avec la vaccine (que nous appelons maintenant le virus de la vaccine) offrait une protection contre la variole. Il a appelé ce procédé "vaccination", du mot latin "vacca" qui signifie "vache". Le vaccin de Jenner s'est révélé beaucoup plus sûr que les méthodes précédentes d'inoculation de la variole, et il a été adopté dans de nombreux pays malgré les guerres et les tensions politiques de l'époque. Malgré le conflit en cours entre l'Angleterre et la France, Jenner a assuré que son vaccin atteigne d'autres nations, y compris la France, illustrant une compréhension précoce et remarquable de la santé publique comme une préoccupation transnationale. Cette avancée a symbolisé un tournant dans la lutte contre les maladies infectieuses. Elle a posé les bases de l'immunologie moderne et a représenté un premier pas significatif vers la conquête des maladies épidémiques qui avaient affligé l'humanité pendant des siècles. La pratique de la vaccination s'est répandue et a finalement mené à l'éradication de la variole au XXe siècle, marquant la première fois qu'une maladie humaine a été éliminée grâce aux efforts coordonnés de la santé publique.

La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle marquent un changement fondamental dans l'attitude des sociétés occidentales vis-à-vis de la nature. Avec le recul de la mortalité due aux maladies comme la variole et l'augmentation des connaissances scientifiques, la nature est progressivement passée d'un état de force indomptable et souvent hostile à un ensemble de ressources à exploiter et à comprendre. L'ère des Lumières, avec son accent sur la raison et l'accumulation de connaissances, a conduit à la création d'encyclopédies et à une diffusion plus large du savoir. Des figures telles que Carl Linnaeus ont travaillé à classer le monde naturel, imposant un ordre humain à la diversité du vivant. Cette époque a vu l'essor d'une culture savante où l'exploration, la classification et l'exploitation de la nature étaient considérées comme des moyens d'améliorer la société. C'est aussi à cette période que les premières préoccupations concernant la soutenabilité des ressources naturelles commencent à émerger, en réponse à l'accélération de l'exploitation industrielle. Les débats sur la déforestation pour la construction navale, l'extraction du charbon et du minerai, ainsi que d'autres activités d'exploitation intensive reflètent une prise de conscience naissante des limites environnementales. L'anthropocentrisme de l'époque, qui plaçait l'homme au centre de toutes choses et comme maître de la nature, a stimulé le développement industriel et économique. Cependant, avec le temps, il a également entraîné une prise de conscience croissante des effets environnementaux et sociaux de cette approche, jetant les bases des mouvements écologiques et de conservation qui émergeraient plus tard. Ainsi, le développement d'une culture savante et la valorisation de la nature non seulement comme un objet d'étude mais aussi comme une source de richesse matérielle ont été des éléments clés dans le changement de la relation de l'humanité avec son environnement, une relation qui continue d'évoluer face aux défis environnementaux contemporains.

La culture de la nature[modifier | modifier le wikicode]

Cover of Sylvicultura oeconomica, oder haußwirthliche Nachricht und Naturmäßige Anweisung zur wilden Baum-Zucht of 1713.

Hans Carl von Carlowitz, un administrateur saxon des mines, est souvent crédité d'être l'un des premiers à formuler le concept de gestion durable des ressources naturelles. Dans son ouvrage "Sylvicultura oeconomica" de 1713, il a développé l'idée que l'on ne devrait couper que le volume de bois que la forêt peut reproduire naturellement, pour garantir que la sylviculture reste productive à long terme. Cette réflexion était en grande partie une réponse à la déforestation massive et aux besoins croissants en bois pour l'industrie minière et comme matériau de construction. Hans Carl von Carlowitz est crédité d'être l'un des pionniers du concept de durabilité, en particulier dans le contexte de la foresterie. Dans ce livre, il a exposé la nécessité d'une approche équilibrée de la sylviculture, qui prend en compte la régénération des arbres parallèlement à leur récolte, afin de maintenir les forêts pour les générations futures. Ceci était une réponse aux pénuries de bois auxquelles l'Allemagne était confrontée au 18ème siècle, en grande partie à cause de la surexploitation pour les activités minières et de fusion. La publication est significative car elle a posé les fondations pour la gestion durable des ressources naturelles, en particulier la pratique de planter plus d'arbres qu'on en coupe, qui est une pierre angulaire des pratiques modernes de sylviculture durable. Il est remarquable que l'idée de durabilité a été conceptualisée il y a plus de 300 ans, reflétant une compréhension précoce de l'impact environnemental de l'activité humaine et de la nécessité de la conservation des ressources.

Bien que les préoccupations de von Carlowitz aient été centrées sur la sylviculture et l'utilisation du bois, son idée reflète un principe de base du développement durable moderne : l'utilisation des ressources naturelles devrait être équilibrée par des pratiques qui assurent leur renouvellement pour les générations futures. À l'époque, c'était un concept avant-gardiste, car il allait à l'encontre de l'idée répandue de l'exploitation illimitée de la nature. Cependant, la notion d'un développement qui serait durable n'a pas immédiatement pris racine dans les politiques publiques ou dans la conscience collective. Ce n'est qu'avec l'évolution des sciences environnementales et les changements sociaux des siècles suivants que l'idée d'une gestion prudente des ressources de la Terre s'est pleinement établie.

L'époque moderne, notamment à partir du XVIIIe siècle, est marquée par un changement fondamental dans la relation de l'humanité avec la nature. La révolution scientifique et les Lumières ont contribué à promouvoir une vision de l'homme comme maître et possesseur de la nature, une idée philosophiquement soutenue par des penseurs comme René Descartes. Dans cette perspective, la nature n'est plus un environnement dans lequel l'homme doit trouver sa place, mais un réservoir de ressources à utiliser pour son propre développement. L'anthropocentrisme, qui place l'être humain au centre de toutes les préoccupations, devient le principe directeur de l'exploitation du monde naturel. La terre, selon la croyance religieuse et culturelle de l'époque, est vue comme un don de Dieu aux hommes qui sont chargés de la cultiver et de l'exploiter. Les développements en agronomie et sylviculture sont des manifestations de cette approche, cherchant à optimiser l'usage du sol et des forêts pour une production maximale. Les voyages d'exploration, alimentés par un désir de découverte mais aussi par des motivations économiques, sont aussi le reflet de cette volonté d'exploiter de nouvelles ressources et d'étendre la sphère de l'influence humaine. Cette culture savante de la nature s'est exprimée à travers la création de systèmes de classification du monde naturel, de l'amélioration des techniques de culture, de l'exploitation minière plus efficace, et de l'exploitation forestière régulée. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, par exemple, visait à compiler tout le savoir humain, y compris la connaissance de la nature, et à le rendre accessible pour une utilisation rationnelle et éclairée. C'est cette démarche qui a jeté les bases de l'utilisation industrielle des ressources naturelles, préfigurant les révolutions industrielles qui allaient profondément transformer les sociétés humaines et leur rapport à l'environnement. Toutefois, l'exploitation à grande échelle de la nature sans considération pour les impacts environnementaux à long terme mènera plus tard aux crises écologiques que nous connaissons aujourd'hui, et à la remise en question de l'anthropocentrisme en tant que tel.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]