« Le régime démographique d'ancien régime : l'homéostasie » : différence entre les versions

De Baripedia
Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
 
(40 versions intermédiaires par le même utilisateur non affichées)
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{Infobox Lecture
Basé sur un cours de Michel Oris<ref>[https://cigev.unige.ch/institution/team/prof/michel-oris/ Page personnelle de Michel Oris sur le site de l'Université de Genève]</ref><ref>[http://cigev.unige.ch/files/4114/3706/0157/cv_oris_fr_20150716.pdf CV de Michel Oris en français]</ref>
| image = Évolution démographique europe ancien régime.png
 
| image_caption =  
{{Translations
| cours = [[Histoire économique et sociale de la globalisation, 16e-21e siècles]]
| en = The demographic regime of the Ancien Régime: homeostasis
| faculté = [[Global Studies Institute]]
| es = El régimen demográfico del Antiguo Régimen: la homeostasis
| département =
| it = Il regime demografico dell'Ancien Régime: l'omeostasi
| professeurs = [[Michel Oris]]
| pt = O Regime Demográfico do Antigo Regime: Homeostasia
| enregistrement =
| de = Das demografische System des Ancien Régime: Homöostase
| lectures =
| ch = 旧政体的人口制度:平衡状态
*[[Une gigantesque paysannerie]]
}}
*[[Le régime démographique ancien : l'homéostasie]]
 
*[[Structures et changements de structures : le XVIIIe siècle]]
{{hidden
*[[Origines et causes de la révolution industrielle anglaise]]
|[[Histoire économique et sociale de la globalisation, 16e-21e siècles]]
*[[Mécanismes structurels de la révolution industrielle]]
|[[Structures Agraires et Société Rurale: Analyse de la Paysannerie Européenne Préindustrielle]] [[Le régime démographique d'ancien régime : l'homéostasie]] [[Évolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la Modernité]] [[Origines et causes de la révolution industrielle anglaise]] [[Mécanismes structurels de la révolution industrielle]] [[La diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale ]] [[La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le Japon]] [[Les coûts sociaux de la révolution industrielle]] [[Analyse Historique des Phases Conjoncturelles de la Première Mondialisation]] [[Dynamiques des Marchés Nationaux et Mondialisation des Échanges de Produits]] [[La formation de systèmes migratoires mondiaux]] [[Dynamiques et Impacts de la Mondialisation des Marchés de l'Argent : Le Rôle Central de la Grande-Bretagne et de la France]] [[La transformation des structures et des relations sociales durant la révolution industrielle]] [[Aux Origines du Tiers-Monde et l'Impact de la Colonisation]] [[Echecs et blocages dans les Tiers-Mondes]] [[Mutation des Méthodes de Travail: Évolution des Rapports de Production de la Fin du XIXe au Milieu du XXe]] [[L'Âge d'Or de l'Économie Occidentale : Les Trente Glorieuses (1945-1973)]] [[L'Économie Mondiale en Mutation : 1973-2007]] [[Les défis de l’État-Providence]] [[Autour de la colonisation : peurs et espérances du développement]] [[Le Temps des Ruptures: Défis et Opportunités dans l'Économie Internationale]] [[Globalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »]]
*[[La diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale ]]
|headerstyle=background:#ffffff
*[[Au-delà de l'Europe]]
|style=text-align:center;
*[[Les coûts sociaux de la révolution industrielle]]
*[[Introduction : les trois temps de la conjoncture]]
*[[Marchés nationaux et marchés mondiaux de produits]]
*[[La formation de systèmes migratoires mondiaux]]
*[[La mondialisation des marchés de l'argent]]
*[[La transformation des structures et des relations sociales]]
*[[Aux origines du tiers-monde]]
*[[Echecs et blocages dans les Tiers-Mondes]]
*[[L’organisation des rapports de production : un raccourci pour aller de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle]]
*[[Les Trente Glorieuses]]
*[[Une nouvelle économie : 1973 - 2007]]
*[[Les défis de l’État-Providence]]
*[[Autour de la colonisation : peurs et espérances du développement]]
*[[Le temps des ruptures]]
*[[Globalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »]]
}}
}}
[[Fichier:Évolution démographique europe ancien régime.png|350px|vignette]]
Entre le 15e et le 18e siècle, l'Europe préindustrielle a été le théâtre d'un équilibre démographique fascinant, désigné par le terme d'homéostasie démographique. Cette période historique, riche en transformations, a vu les sociétés et les économies se développer sur le fond d'un régime démographique où la croissance de la population était soigneusement contrebalancée par des forces régulatrices telles que les épidémies, les conflits armés et les famines. Cette autorégulation naturelle et démographique s'est avérée être un moteur de stabilité, orchestrant un développement économique et social mesuré et durable.
Ce délicat équilibre démographique a non seulement favorisé une croissance modérée et soutenable de la population européenne, mais a également jeté les bases d'un progrès économique et social cohérent. Grâce à ce phénomène d'homéostasie, l'Europe a réussi à éviter les bouleversements démographiques extrêmes, ce qui a permis à ses économies et sociétés préindustrielles de s'épanouir dans un cadre de changements graduels et maîtrisés.
Dans cet , nous examinerons de plus près les dynamiques de ce régime démographique ancien et son influence cruciale sur le tissu des économies et des communautés européennes avant l'avènement de l'industrialisation, en mettant en lumière comment ce fragile équilibre a facilité une transition ordonnée vers des structures économiques et sociales plus complexes.


= Les crises de mortalité de l’ancien régime =
= Les crises de mortalité de l’ancien régime =
On parle des quatre chevaliers de l’apocalypse, à savoir, la faim, les guerres, les épidémies et la mort.
Durant l’Ancien Régime, l'Europe a été confrontée à des crises de mortalité fréquentes et dévastatrices, souvent décrites à travers la métaphore des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Chacun de ces cavaliers représentait l’une des grandes calamités qui frappaient la société et contribuaient à un taux de mortalité élevé.
 
La famine, résultant de récoltes médiocres, de conditions climatiques extrêmes ou de perturbations économiques, était un fléau récurrent. Elle affaiblissait la population, réduisait sa résilience face aux maladies et entraînait une augmentation dramatique de la mortalité parmi les plus démunis. Les périodes de disette étaient souvent suivies ou accompagnées par des épidémies qui, dans un contexte de faiblesse généralisée, trouvaient un terrain propice à leur propagation. Les guerres constituaient une autre source de mortalité importante. Au-delà des morts sur les champs de bataille, les conflits avaient des effets délétères sur la production agricole et les infrastructures, engendrant ainsi une détérioration des conditions de vie et une augmentation des décès indirectement liés aux guerres. Les épidémies, quant à elles, étaient peut-être les plus impitoyables des cavaliers. Des maladies telles que la peste ou le choléra frappaient sans distinction, anéantissant parfois des quartiers entiers ou des villages. L'absence de traitements efficaces et le manque de connaissances médicales aggravaient leur impact mortel. Enfin, le cavalier représentant la mort incarnait l'issue fatale de ces trois fléaux, mais aussi la mortalité quotidienne due au vieillissement, aux accidents et à d'autres causes naturelles ou violentes. Ces crises de mortalité, à travers leurs conséquences directes et indirectes, régulaient la démographie européenne, en maintenant la population à un niveau que les ressources de l'époque pouvaient soutenir.
 
L'impact de ces cavaliers sur la société de l’Ancien Régime était immense, façonnant de manière indélébile les structures démographiques, économiques et sociales de l'époque et laissant une empreinte profonde dans l'histoire européenne.


== La faim ==
== La faim ==
On a cru jusqu’aux années 1960 que le principal facteur de mortalité au Moyen-âge était la faim. Or, il faut faire une distinction entre disette et famine : la disette est très fréquente à l’époque. Par exemple à Florence, entre 1375 et 1791, la ville connaît en moyenne une disette tous les quatre ans. Une période de disette est très commune au Moyen-âge ayant lieu lorsque la récolte d'une année a été consommée, mais qu’il faut garder des grains pour les ressemer l’année prochaine. Ainsi, une partie des récoltes doit être conservée pour les replanter l’année suivante. Il y a disette quand la production est insuffisante, mais qu'il est obligé de mettre de côté une certaine quantité pour pouvoir ressemer la saison suivante.
Jusqu'aux années 1960, la vision prédominante était que la faim constituait le principal facteur de mortalité au Moyen Âge. Cependant, cette perspective a évolué avec la reconnaissance de la nécessité de distinguer la disette de la famine. Si la famine était un événement catastrophique avec des conséquences mortelles massives, la disette était plutôt une occurrence courante dans la vie médiévale, marquée par des périodes de pénurie alimentaire plus modérées mais fréquentes. Dans des villes comme Florence, le cycle agricole était ponctué de périodes de disette presque rythmiques, avec des épisodes de pénurie alimentaire survenant environ tous les quatre ans. Ces épisodes étaient liés aux fluctuations de la production agricole et à la gestion des ressources céréalières. À la fin de chaque saison de récolte, la population se retrouvait devant un dilemme : consommer la production de l'année pour satisfaire les besoins immédiats ou en conserver une part pour ensemencer les champs pour la prochaine saison. Une année de disette pouvait survenir lorsque les récoltes étaient simplement suffisantes pour subvenir aux besoins immédiats de la population, sans pour autant permettre un excédent pour les réserves ou les semences futures. Cette situation précaire était exacerbée par le fait qu'il était impératif de réserver une portion des grains pour les semailles. L'insuffisance de la production signifiait alors que la population devait endurer une période de restrictions alimentaires, avec des rations diminuées jusqu'à la prochaine récolte, en espérant que celle-ci soit plus abondante. Ces périodes de disette ne menaient pas systématiquement à une mortalité de masse comme c'était le cas lors des famines, mais elles avaient néanmoins un impact considérable sur la santé et la longévité de la population. La malnutrition chronique affaiblissait la résistance aux maladies et pouvait augmenter indirectement la mortalité, en particulier chez les individus les plus vulnérables comme les enfants et les personnes âgées. Ainsi, la disette jouait son rôle dans le fragile équilibre démographique du Moyen Âge, façonnant subtilement la structure de la population médiévale.


On parle de famine quand les gens meurent réellement de faim. Elles sont dues à de très mauvaises récoltes elles-mêmes dues à des accidents climatiques majeurs. Par exemple, vers 1696, un volcan islandais{{Lequel}}<ref>https://books.google.co.uk/books?id=xBzt3XNBlakC&lpg=PA247&ots=XaXyb7hwJJ&dq=volcano%20iceland%20%221696%22&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q=volcano%20iceland%20%221696%22&f=false</ref><ref>Il nous faudrait savoir de quel volcan parle-t-on... une piste ici --> http://www.ultimatehistoryproject.com/the-eruption-of-laki.html</ref> entre en éruption et reproduit un mini âge glacier sur l’Europe durant quelques années. De ce fait, les productions sont considérablement amoindries et causent des famines sur tout le continent. En Finlande, 30% de la population meurt à cause de ce des mauvaises récoltes. Pour revenir à Florence, il y a eu une famine tous les 40 ans, alors que souffrir de la faim arrive tous les 4 ans. Donc, la faim est présente en permanence, mais mourir de faim massivement est relativement rare par rapport aux dires des historiens des années 1960. La famine n’est donc pas la raison principale de la mortalité.
La distinction entre famine et disette est cruciale pour comprendre les conditions de vie et les facteurs de mortalité au Moyen Âge. Alors que la disette se réfère à des périodes de pénurie alimentaire récurrentes et gérables jusqu'à un certain point, la famine désigne des crises alimentaires aiguës où les individus meurent de faim, souvent en résultat de récoltes dramatiquement insuffisantes causées par des catastrophes climatiques. Un exemple frappant est l'éruption d'un volcan islandais aux alentours de 1696, qui a déclenché un refroidissement climatique temporaire en Europe, parfois décrit comme un "mini âge glaciaire". Cet événement extrême a provoqué une réduction drastique des rendements agricoles, plongeant le continent dans des famines dévastatrices. En Finlande, cette période a été si tragique que près de 30% de la population a péri, soulignant l'extrême vulnérabilité des sociétés préindustrielles face aux aléas climatiques. À Florence, l'histoire démontre que bien que la disette était un visiteur régulier, avec des périodes difficiles tous les quatre ans environ, la famine était un fléau beaucoup plus sporadique, survenant tous les quarante ans en moyenne. Cette différence met en lumière une réalité importante : bien que la faim soit une compagne presque constante pour de nombreuses personnes à l'époque, la mort massive due à la famine était relativement rare. Ainsi, contrairement aux perceptions antérieures largement répandues jusqu'aux années 1960, la famine n'était pas la cause principale de la mortalité à l'époque médiévale. Les historiens ont révisé cette conception en reconnaissant que d'autres facteurs, tels que les épidémies et les conditions sanitaires précaires, jouaient un rôle beaucoup plus significatif dans la mortalité de masse. Cette compréhension nuancée aide à peindre un tableau plus précis de la vie et des défis auxquels étaient confrontées les populations du Moyen Âge.


== Les guerres ==
== Les guerres ==
Ligne 44 : Ligne 41 :
[[Fichier:Les actions de guerres en europe 1320 - 1750.png|vignette|300px]]
[[Fichier:Les actions de guerres en europe 1320 - 1750.png|vignette|300px]]


À cette époque, la guerre est une constante. Il y a toutefois une évolution. Vers les années 1300, ce sont principalement des petits conflits entre seigneurs, mais avec le temps et l’apparition des État-Nations, les conflits sont de plus en plus importants. Le gros problème n’est pas la mortalité due aux combats, mais le fait que les armées n’ont aucune intendance. Les armées, pour se nourrir, pillent les campagnes alentour et occasionnent énormément de pertes civiles, les paysans n’ayant plus de quoi s’alimenter après les pillages.
Ce graphique indique le nombre d'actions de guerre en Europe sur une période de 430 ans, de 1320 à 1750. D'après la courbe, on peut observer que l'activité militaire a fluctué considérablement au cours de cette période, avec plusieurs pics qui pourraient correspondre à des périodes de conflits majeurs. Ces points culminants pourraient représenter des guerres d'envergure comme la Guerre de Cent Ans, les guerres d'Italie, les guerres de religion en France, la Guerre de Trente Ans, et les différents conflits impliquant les puissances européennes au XVIIe et début du XVIIIe siècle. La méthode de "somme triennale mobile" utilisée pour établir les données indique que les chiffres ont été lissés sur des périodes de trois ans pour donner une image plus claire des tendances, plutôt que de refléter les variations annuelles qui pourraient être plus chaotiques et moins représentatives des tendances à long terme. Il est important de noter que ce type de graphique historique permet aux chercheurs d'identifier des motifs et des cycles dans l'activité militaire et de les corréler avec d'autres événements historiques, économiques ou démographiques pour une meilleure compréhension des dynamiques historiques.
 
Durant le Moyen Âge et jusqu'à l'aube de la période moderne, les guerres ont constitué une réalité quasi-constante en Europe. Cependant, la nature de ces conflits a subi une transformation notable au fil des siècles, reflet d'évolutions politiques et sociales plus larges. Au XIVe siècle, le paysage conflictuel était dominé par de petites guerres féodales. Ces affrontements, souvent localisés, étaient principalement le fait de rivalités entre seigneurs pour le contrôle de terres ou le règlement de querelles de succession. Bien que ces escarmouches aient pu être violentes et destructrices au niveau local, elles n'étaient pas comparables en termes d'échelle ou de conséquences aux guerres qui allaient suivre. Avec la consolidation des États-nations et l'émergence de souverains cherchant à étendre leur pouvoir au-delà de leurs frontières traditionnelles, les XIVe et XVe siècles ont vu l'émergence de conflits d'une ampleur et d'une destructivité sans précédent. Ces nouvelles guerres d'État étaient menées par des armées permanentes plus importantes et mieux organisées, souvent soutenues par un complexe bureaucratique naissant. La guerre devint ainsi un instrument de politique nationale, avec des objectifs allant de la conquête territoriale à l'affirmation de la suprématie dynastique. L'impact de ces conflits sur la population civile était souvent indirect mais dévastateur. La logistique des armées étant encore primitive, l'intendance militaire reposait largement sur la réquisition et le pillage des ressources des régions traversées. Les armées en campagne prélevaient leur subsistance directement sur les économies locales, saisissant les récoltes et le bétail, détruisant les infrastructures, et propageant la famine et la maladie parmi les civils. La guerre devenait ainsi une calamité pour la population non combattante, la privant des moyens de subsistance nécessaires à sa survie. Ce n'était donc pas tant les combats eux-mêmes qui causaient le plus grand nombre de décès civils, mais plutôt l'effondrement des structures économiques locales dues aux besoins insatiables des armées. Cette forme de guerre alimentaire avait un impact démographique considérable, réduisant les populations non seulement par la violence directe, mais aussi en créant des conditions de vie précaires qui favorisaient la maladie et la mort. La guerre, dans ce contexte, était à la fois un moteur de destruction et un vecteur de crise démographique.


Par ailleurs, les armées sont des vecteurs d’épidémies, car en traversant des régions elles diffusent des maladies. Par exemple, les Mongols firent le siège de Caffa, comptoir génois en Mer Noire. Or, ces Mongols étaient touchés par la peste et quand ils levèrent le siège, ils avaient contaminé les populations génoises de la ville. Des génois contaminés sont retournés à Gênes et, cette dernière étant une plaque tournante de l’économie mondiale, la peste va se répandre dans toute l’Europe.
L'histoire militaire de l'époque prémoderne montre clairement que les armées n'étaient pas seulement des instruments de conquête et de destruction, mais aussi des vecteurs puissants de propagation de maladies. Les mouvements de troupes à travers continents et frontières jouaient un rôle significatif dans la diffusion des épidémies, amplifiant ainsi leur portée et leur impact. L'exemple historique de la peste noire illustre de manière tragique cette dynamique. Lorsque l'armée mongole a assiégé Caffa, un comptoir génois en Crimée, au XIVe siècle, elle a involontairement initié une chaîne d'événements qui allait déboucher sur l'une des plus grandes catastrophes sanitaires de l'histoire humaine. La peste bubonique, déjà présente parmi les troupes mongoles, a été transmise à la population assiégée par le biais des attaques et des échanges commerciaux. Des habitants de Caffa, infectés par la maladie, ont ensuite fui par la mer et sont retournés à Gênes. Gênes, à cette époque, était une ville majeure dans les réseaux commerciaux mondiaux, ce qui a facilité la diffusion rapide de la peste à travers l'Italie et, finalement, dans toute l'Europe. Les navires partant de Gênes avec à leur bord des personnes infectées ont apporté la peste dans de nombreux ports méditerranéens, d'où la maladie s'est étendue à l'intérieur des terres, suivant les routes commerciales et les déplacements des populations. L'impact de la peste noire sur l'Europe fut cataclysmique. On estime que cette pandémie a tué entre 30% et 60% de la population européenne, provoquant une régression démographique massive et des changements sociaux profonds. Ce fut un rappel brutal de la manière dont la guerre et le commerce pouvaient interagir avec la maladie pour façonner le cours de l'histoire. La peste noire est ainsi devenue synonyme d'une époque où la maladie pouvait redessiner les contours des sociétés avec une rapidité et une ampleur sans précédent.


== Les épidémies ==
== Les épidémies ==


[[Fichier:Nombre de lieux touchés par la peste dans le nord-ouest de l'Europe 1347 - 1800.png|vignette|300px]]
[[Fichier:Nombre de lieux touchés par la peste dans le nord-ouest de l'Europe 1347 - 1800.png|vignette|400px]]


Les organismes sont fragilisés par la faim et sont peu aptes à résister aux infections. La mort est tellement présente que l’on ne documente que les épidémies les plus terribles, comme la peste au XVIème siècle et XVIIème siècle. Elle est présente durant tout le Moyen-âge jusqu’au XVIIIème siècle. La peste est transmise par les rats qui étaient très présents à l’époque, mais elle est aussi transmise par les armées et les marchands qui sont infectés et qui se déplacent beaucoup.
Cette image représente un graphique historique montrant le nombre de lieux touchés par la peste dans le nord-ouest de l'Europe de 1347 à 1800, avec une somme triennale mobile pour lisser les variations sur de courtes périodes. Ce graphique illustre clairement plusieurs épidémies majeures, où l'on peut voir des pics indiquant une forte propagation de la maladie à différents moments. Le premier et le plus prononcé des pics correspond à la pandémie de la peste noire qui a débuté en 1347. Cette vague a eu des conséquences dévastatrices sur la population de l'époque, causant la mort d'une grande partie des Européens en l'espace de quelques années. Après ce premier grand pic, le graphique montre plusieurs autres épisodes significatifs où le nombre de lieux touchés augmente, ce qui reflète les réapparitions périodiques de la maladie. Ces pics peuvent correspondre à des événements tels que de nouvelles introductions du pathogène dans la population par le commerce ou par les mouvements de troupes, ainsi que des conditions favorisant la prolifération des rats et des puces vecteurs de la maladie. Vers la fin du graphique, après 1750, on note une diminution de la fréquence et de l'intensité des épidémies, ce qui peut indiquer une meilleure compréhension de la maladie, des améliorations dans la santé publique, le développement urbain, des changements climatiques, ou d'autres facteurs qui ont aidé à réduire l'impact de la peste. Ces données sont précieuses pour comprendre l'impact de la peste sur l'histoire européenne et l'évolution des réponses humaines aux pandémies.


La peste noire a tué le 1/3 des Européens en 10 ans (1348-1351). Peste : maladie de la peau transportée par les rats. Les conditions d’hygiène, déplorables, facilitent la propagation. Peste bubonique : apparition de bubons, mort lente et douloureuse. Taux de contagion élevé ce qui mène à la terreur (ainsi que l’apparence, les cris de douleurs des malades…). La peste disparait, tous les gens fragiles sont morts (principe darwinien un peu macabre), tandis que les plus résistants ont développé des anticorps ce qui fait que la maladie disparaît, mais réapparaît une fois que la génération qui a développé une immunité soit morte. Elle fait un retour en force au XVIIe siècle. L’Europe n’est pas le seul continent atteint. Le virus mute en une version plus meurtrière.
La relation entre la malnutrition, la maladie et la mortalité est une composante cruciale de la compréhension de la dynamique démographique historique. Dans les sociétés préindustrielles, un approvisionnement alimentaire incertain et souvent précaire contribuait à une vulnérabilité accrue aux maladies infectieuses. Les populations affamées, affaiblies par le manque d'accès régulier à une nourriture adéquate et nutritive, étaient beaucoup moins résistantes aux infections, ce qui augmentait considérablement le risque de mortalité lors d'épidémies. La peste, en particulier, a été un fléau récurrent en Europe tout au long du Moyen-âge et bien après, marquant profondément la société et l'économie. La peste noire du XIVe siècle est sans doute l'exemple le plus notoire, ayant décimé une proportion substantielle de la population européenne. La persistance de la peste jusqu'au XVIIIe siècle témoigne de l'interaction complexe entre les êtres humains, les vecteurs animaux comme les rats, et les bactéries pathogènes telles que Yersinia pestis, responsable de la peste. Les rats, porteurs des puces infectées par la bactérie, étaient omniprésents dans les villes densément peuplées et sur les navires, ce qui facilitait la transmission de la maladie. Cependant, la dispersion de la peste ne peut être attribuée aux seuls rongeurs ; les activités humaines jouaient également un rôle essentiel. Les armées en déplacement et les marchands parcourant les routes commerciales étaient des agents de transmission efficaces, car ils transportaient avec eux la maladie d'une région à l'autre, souvent à des vitesses que les sociétés de l'époque étaient mal équipées pour gérer. Ce modèle de propagation de la maladie souligne l'importance des infrastructures sociales et économiques dans la santé publique, même dans les périodes anciennes. Le contexte des épidémies de peste révèle à quel point des facteurs apparemment non liés, comme le commerce et les mouvements de troupe, peuvent avoir un impact direct et dévastateur sur la santé des populations.
Démographie De l’ancien régime : XVIIe siècle en France = 44 millions de décès donc 7 à 8% dus à la peste (« que » 3 millions). La peste a donc causé une « surmortalité ». Les baptêmes étaient à peine plus nombreux que les sépultures, 90% de l’excédent de naissances sur les décès est englouti par la peste. La population reste stable et stagnante,


La peste tue plus les gens mobiles et les gens qui ont du contact, donc une maladie de jeunes adultes. Ces jeunes adultes n’ayant pas fait de gosses, ils sont considérés comme étant « naissances perdues » (enfants que les gens qui sont morts n’ont pas eus). On retrouve le même phénomène sur la pyramide des âges en France après 14-18 : il y a une génération sacrifiée (morte durant la guerre), puis une génération de « naissances perdues », soit les enfants que les morts au front en 14-18 n’ont pas eus.
La Peste Noire, qui a frappé l'Europe au milieu du XIVe siècle, est considérée comme l'une des pandémies les plus dévastatrices de l'histoire humaine. L'impact démographique de cette maladie a été sans précédent, avec des estimations indiquant que jusqu'à un tiers de la population du continent a été éliminé entre 1348 et 1351. Cet événement a profondément façonné le cours de l'histoire européenne, entraînant des changements socio-économiques significatifs. La peste est une maladie infectieuse causée par la bactérie Yersinia pestis. Elle est principalement associée aux rats, mais c'est en réalité les puces qui transmettent la bactérie aux humains. La version bubonique de la peste se caractérise par l'apparition de bubons, des ganglions lymphatiques enflés, particulièrement dans l'aine, les aisselles et le cou. La maladie est extrêmement douloureuse et souvent mortelle, avec un fort taux de contagion. La propagation rapide de la peste bubonique était en partie due aux conditions d'hygiène déplorables de l'époque. La surpopulation, le manque de connaissances en matière de santé publique et la cohabitation étroite avec les rongeurs ont créé des conditions idéales pour la propagation de la maladie. Selon certaines théories, une forme de sélection naturelle a eu lieu pendant cette pandémie. Les individus les plus faibles étaient les premiers à succomber, tandis que ceux qui survivaient étaient souvent ceux qui avaient une résistance naturelle ou qui avaient développé une immunité. Cela pourrait expliquer la régression temporaire de la maladie après les premières vagues mortelles. Cependant, cette immunité n'était pas permanente; avec le temps, une nouvelle génération sans immunité naturelle est devenue vulnérable, permettant à la maladie de resurgir. Le XVIIe siècle a vu de nouvelles vagues de peste en Europe. Bien que ces épidémies aient été mortelles, elles n'ont pas atteint les niveaux catastrophiques de la Peste Noire. En France une grande partie des décès au XVIIe siècle étaient encore dus à la peste, ce qui a entraîné une "surmortalité". L'effet de la peste sur la démographie de l'Ancien Régime était tel que la croissance naturelle de la population (la différence entre les naissances et les décès) était souvent absorbée par les décès dus à la peste. Cela a conduit à une population relativement stable ou stagnante, avec peu de croissance nette à long terme en raison de la peste et d'autres maladies qui continuaient de frapper la population à intervalles réguliers.


Une fois que les « faibles » sont morts restent les « forts », la mortalité diminue donc puisqu’ils sont plus résistants. Mais ceux-ci deviennent fragiles à leur tour, et la mortalité augmente à nouveau. La courbe de la mortalité est donc hachurée : elle monte puis descend.
La peste s'attaquait impitoyablement à toute la population, mais certains facteurs pouvaient rendre les individus plus vulnérables. Les jeunes adultes, souvent plus mobiles en raison de leur engagement dans le commerce, les voyages ou même en tant que soldats, étaient plus susceptibles d'être exposés à la peste. Ce groupe d'âge est également plus susceptible d'avoir des contacts sociaux étendus, ce qui augmente leur risque d'exposition aux maladies infectieuses. La mortalité élevée parmi les jeunes adultes durant les épidémies de peste avait des implications démographiques de longue portée, notamment en réduisant le nombre de naissances futures. Les individus qui mouraient avant d'avoir des enfants représentaient des "naissances perdues", un phénomène qui réduit le potentiel de croissance de la population pour les générations suivantes. Ce phénomène n'est pas unique à l'époque de la peste. Un effet similaire a été observé après la Première Guerre mondiale. La guerre a entraîné la mort de millions de jeunes hommes, constituant une génération en grande partie perdue. Les "naissances perdues" se réfèrent aux enfants que ces hommes auraient pu avoir s'ils avaient survécu. L'impact démographique de ces pertes s'est répercuté bien au-delà des champs de bataille, affectant la structure de la population pendant des décennies. La conséquence de ces deux catastrophes historiques est visible dans les pyramides des âges postérieures à ces événements, où l'on observe un déficit dans les groupes d'âge correspondants. La diminution de la population en âge de procréer a entraîné un déclin naturel de la natalité, un vieillissement de la population et une modification de la structure sociale et économique de la société. Ces changements ont souvent exigé des ajustements sociaux et économiques importants pour répondre aux nouveaux défis démographiques.


La peste a donc effacé l’excédant des naissances sur les décès. La population de la France ne peut donc pas s’accroitre et il y a un blocage démographique, les naissances en plus par rapport au décès étant effacées par la maladie. Aujourd’hui, on sait que les épidémies étaient le premier facteur de mortalité au Moyen-âge.
Durant la peste noire, par exemple, la population la plus vulnérable – souvent désignée par l'expression "les faibles" en termes de résilience aux maladies – a subi de lourdes pertes. Ceux qui ont survécu étaient généralement plus résistants, soit par la chance d'une exposition moins grave, soit par une résistance innée ou acquise à la maladie. Cette sélection naturelle d'un certain type a eu pour effet immédiat de réduire la mortalité globale parce que la proportion de la population qui avait survécu était plus robuste. Cependant, cette résilience n'est pas nécessairement permanente. Avec le temps, cette population "plus forte" vieillit et devient plus vulnérable à d'autres maladies ou à la réapparition de la même maladie, surtout si la maladie évolue. Par conséquent, la mortalité pourrait à nouveau augmenter, reflétant un cycle de résilience et de vulnérabilité. La courbe de mortalité serait donc marquée par des pics et des creux successifs. Après une épidémie, la mortalité baisserait alors que les individus les plus résistants survivent, mais avec le temps et sous l'effet d'autres facteurs stressants tels que la famine, les guerres ou l'émergence de nouvelles maladies, elle pourrait remonter. Cette "courbe hachurée" reflète l'interaction continue entre les facteurs de stress environnementaux et la dynamique démographique de la population. La peste a donc effacé l’excédant des naissances sur les décès. La population de la France ne peut donc pas s’accroitre et il y a un blocage démographique, les naissances en plus par rapport au décès étant effacées par la maladie. Aujourd’hui, on sait que les épidémies étaient le premier facteur de mortalité au Moyen-âge.


<gallery mode="packed" widths="200px" heights="200px">
[[Fichier:Évolution démographique europe ancien régime.png|400px|vignette|centré]]
Fichier:Évolution démographique europe ancien régime.png
 
Fichier:schéma des interactions dans une crise démographique.png
L'image représente un graphique en noir et blanc qui illustre les taux de baptêmes et de sépultures sur une période qui semble s'étendre de 1690 à 1790, avec une échelle logarithmique sur l'axe des ordonnées pour mesurer les fréquences. La courbe supérieure, marquée par une ligne noire solide et des zones ombrées, indique les baptêmes, tandis que la courbe inférieure, représentée par une ligne noire en pointillé, représente les sépultures. Le graphique montre des périodes où les baptêmes dépassent les sépultures, ce qui est indiqué par les zones où la courbe supérieure se trouve au-dessus de la courbe inférieure. Ces périodes représentent une croissance naturelle de la population, où le nombre de naissances surpasse le nombre de décès. Inversement, il y a des moments où les sépultures surpassent les baptêmes, démontrant une mortalité supérieure à la natalité, ce qui est représenté par les zones où la courbe des sépultures monte au-dessus de celle des baptêmes. Les fluctuations marquées du graphique illustrent les périodes d'excédent des décès par rapport aux naissances, avec des pics significatifs qui suggèrent des événements de mortalité de masse, comme des épidémies, des famines ou des guerres. La ligne A, qui semble être une ligne de tendance ou une moyenne mobile, aide à visualiser la tendance générale de l'excédent des décès sur les naissances sur cette période d'un siècle. La période couverte par ce graphique correspond à des moments tumultueux de l'histoire européenne, marqués par des changements sociaux, politiques et environnementaux significatifs, qui ont eu un impact profond sur la démographie de l'époque.[[Fichier:Schéma des interactions dans une crise démographique.png|400px|vignette|centré]]L'image présente un schéma conceptuel qui dépeint les interactions complexes au sein d'une crise démographique. Les principaux facteurs déclencheurs de cette crise sont représentés par trois grands rectangles qui se distinguent au centre du schéma : la mauvaise récolte, la guerre et l'épidémie. Ces événements centraux sont interconnectés et leurs impacts s'étendent à travers divers phénomènes socio-économiques et démographiques. La mauvaise récolte est un élément catalyseur, engendrant une hausse des prix et une disette, déclenchant ainsi des migrations de détresse. La guerre provoque la panique et aggrave la situation par le biais de migrations similaires, tandis que les épidémies augmentent directement la mortalité tout en affectant également la natalité et la nuptialité. Ces crises majeures influencent divers aspects de la vie démographique. Par exemple, l'augmentation des prix et la disette entraînent des difficultés économiques qui se répercutent sur les schémas de mariage et de reproduction, illustrés par une chute de la nuptialité et une baisse de la natalité. En outre, les épidémies, souvent exacerbées par la disette et les mouvements de population dus à la guerre, peuvent conduire à une hausse significative de la mortalité. Le schéma indique les effets directs par des lignes continues et les effets secondaires par des lignes pointillées, montrant ainsi une hiérarchie dans l'impact de ces différents événements. L'ensemble du schéma met en lumière la cascade d'effets déclenchés par les crises, démontrant comment une mauvaise récolte peut déclencher une série d'événements qui se propagent bien au-delà de ses conséquences immédiates, en provoquant des guerres, des migrations, et en facilitant la propagation d'épidémies, contribuant ainsi à une augmentation de la mortalité et à une stagnation ou un déclin de la population.
</gallery>


= L’homéostasie grâce au contrôle de la croissance démographique =
= L’homéostasie grâce au contrôle de la croissance démographique =


== Le concept d’homéostasie ==
== Le concept d’homéostasie ==
L’homéostasie (du grec ὅμοιος, hómoios, « similaire », et στάσις (ἡ), stásis, « stabilité, action de se tenir debout ») désigne un équilibre dynamique entre population et environnement. Cela signifie que malgré les crises on revient toujours à un équilibre. Les gens de l’ancien régime ont peu de possibilités de changer leur environnement, mais les paysans ont vite compris le principe d’homéostasie.
L'homéostasie est un principe fondamental qui s'applique à de nombreux systèmes biologiques et écologiques, y compris les populations humaines et leur interaction avec l'environnement. Il s'agit de la capacité d'un système à maintenir une condition interne stable malgré les changements externes. Dans le contexte de l'Ancien Régime, où la technologie et les moyens d'action sur l'environnement étaient limités, les populations devaient s'adapter continuellement pour maintenir cet équilibre dynamique avec les ressources disponibles. Les crises, telles que les famines, les épidémies et les guerres, testaient la résilience de cet équilibre. Cependant, même face à ces perturbations, les communautés s'efforçaient de rétablir l'équilibre à travers diverses stratégies de survie et d'adaptation. Les paysans, en particulier, jouaient un rôle essentiel dans le maintien de l'homéostasie démographique. Ils étaient les plus directement affectés par les mauvaises récoltes ou les changements climatiques, mais ils étaient aussi les premiers à répondre à ces défis. Par leur connaissance empirique des cycles naturels et leur capacité à ajuster leurs pratiques agricoles, ils pouvaient atténuer les impacts de ces crises. Par exemple, ils pouvaient alterner les cultures, stocker des réserves pour les années difficiles, ou adapter leur régime alimentaire pour faire face à la disette. En outre, les communautés rurales avaient souvent des systèmes de solidarité et d'entraide qui permettaient de répartir le risque et d'aider les membres les plus vulnérables en cas de crise. Ce type de résilience sociale est un autre aspect de l'homéostasie où la cohésion et l'organisation de la société contribuent à maintenir l'équilibre démographique et social. L'homéostasie, dans ce contexte, est donc moins une question de contrôle actif sur l'environnement que de réponses adaptatives qui permettent aux populations de survivre et de se rétablir après des perturbations, poursuivant ainsi le cycle de stabilité et de changement.


Il y a action sur la démographie. Malgré le fait qu’il n’y ait aucune connaissance de médecine moderne. L’équilibre de l’homéostasie se fait entre population (bouches à nourrir) et ressources (nourriture). La notion de dynamisme implique que le système homéostatique peut bouger, mais revient à l’équilibre, encaisse les chocs puis se stabilise. Elle correspond aux écosystèmes qui sont en situation d’homéostasie (ex. incendie qui détruit une forêt puis la forêt se régénère. L’assolement biennal et triennal est un ex. de savoir homéostatique qu’avaient les paysans du Moyen-âge). Par contre, on ne savait pas jouer sur les ressources avant la révolution industrielle (on ne peut pas récolter plus). On doit donc jouer sur la population. La population stagne à la manière des animaux. La mort sélectionne la population, les faibles disparaissent et ne restent que les résistants. Les années passent et ceux qui étaient résistants deviennent faibles et disparaissent tandis que ne restent que les nouveaux résistants.
avant les avancées de la médecine moderne et la révolution industrielle, les populations humaines étaient fortement influencées par les principes d'homéostasie, qui régulent l'équilibre entre les ressources disponibles et le nombre de personnes qui en dépendent. Les sociétés devaient trouver des moyens de s'adapter aux limitations de leur environnement pour survivre. Les techniques agricoles comme l'assolement biennal et triennal étaient des réponses homéostatiques aux défis de la production alimentaire. Ces méthodes permettaient de reposer et de régénérer la fertilité du sol en alternant les cultures et les jachères, contribuant ainsi à prévenir l'épuisement des terres et à maintenir un niveau de production qui pouvait subvenir aux besoins de la population. Puisque l'on ne pouvait pas significativement augmenter les ressources alimentaires avant les innovations techniques et agricoles de la révolution industrielle, la régulation démographique se faisait souvent par des mécanismes sociaux et culturels. Par exemple, le système européen de mariage tardif et de célibat définitif limitait la croissance démographique en réduisant la période de fécondité des femmes et en diminuant ainsi le taux de natalité. De plus, la sélection naturelle jouait un rôle dans la dynamique des populations. Les épidémies, comme celles de la peste, et les famines éliminaient souvent les individus les plus vulnérables, laissant derrière eux une population qui avait soit une résistance naturelle soit des pratiques sociales qui contribuaient à la survie. Ce dynamisme homéostatique reflète la capacité des systèmes biologiques et sociaux à absorber les perturbations et à retourner à un état d'équilibre, bien que cet équilibre puisse se situer à un niveau différent de celui d'avant la perturbation. Comme dans les écosystèmes, où un incendie peut détruire une forêt mais est suivi par une régénération, les sociétés humaines ont développé des mécanismes pour gérer et surmonter les crises.
S’est donc mis en place le système européen de mariage tardif et de célibat définitif.


== Micro et macro-stabilité de long terme ==
== Micro et macro-stabilité de long terme ==
Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il n’y a pas la sécurité d’existence. Les gens du Moyen-âge n’avaient aucun moyen de savoir pourquoi ils subissaient la mort, ils n’y pouvaient rien. Les gens se sentent impuissants. D’ailleurs on a longtemps cru que les petites gens n’avaient pas d’autres options que de prier Dieu et de totalement subir la mort. Or on a découvert que les paysans tentaient de diminuer le caractère meurtrier des crises de mortalité.
La perception historique de l'impuissance des populations face aux crises majeures, notamment la mort et la maladie, a longtemps été influencée par le manque apparent de moyens pour comprendre et contrôler ces événements. En effet, avant l'ère moderne et l'essor de la médecine scientifique, les causes exactes de nombreuses maladies et décès restaient souvent mystérieuses. De ce fait, les sociétés médiévales et pré-modernes étaient en grande partie dépendantes de la religion, des superstitions et des remèdes traditionnels pour tenter de faire face à ces crises. Cependant, cette vision de passivité complète a été remise en question par des recherches historiques plus récentes. Il est maintenant reconnu que même face à des forces apparemment incontrôlables, comme les épidémies de peste ou les famines, les populations de l'époque n'étaient pas entièrement résignées. Les paysans et autres classes sociales ont développé des stratégies pour atténuer les impacts des crises. Par exemple, ils ont adopté des pratiques agricoles innovantes, mis en place des mesures de quarantaine, ou même migré vers des régions moins touchées par la famine ou la maladie. Les mesures prises pouvaient aussi être de nature communautaire, comme l'organisation de la charité pour soutenir ceux qui étaient les plus touchés par la crise. De plus, les structures sociales et familiales pouvaient offrir un certain degré de résilience, en partageant les ressources et en soutenant les membres les plus vulnérables. Après la Seconde Guerre mondiale, la situation a radicalement changé avec la mise en place de systèmes de sécurité sociale dans de nombreux pays, l'avènement des soins de santé modernes et un accès accru à l'information qui a permis une meilleure compréhension et prévention des crises de santé publique. La sécurité d'existence s'est améliorée grâce à ces développements, réduisant considérablement le sentiment d'impuissance face à la maladie et à la mort.


= Les régulations sociales : le système européen du mariage tardif et du célibat définitif =
= Les régulations sociales : le système européen du mariage tardif et du célibat définitif =
Ligne 83 : Ligne 79 :
== La mise en place : XVIème siècle – XVIIIème siècle ==
== La mise en place : XVIème siècle – XVIIIème siècle ==
   
   
Les paysans régulaient la croissance démographique en régulant l’accès au mariage. C’est ce qu’on appelle le système européen du mariage tardif et du célibat définitif. Au XVIème siècle, entre 10% et 15% des femmes ne se marient pas. De plus du XVIe au XVIIIe, les femmes se marient de plus en plus tard. On voit que les femmes se mariaient au XVIème entre 19 et 20 ans et au XVIIIème siècle vers 25 et 26 ans. On pense que les paysans, quand ils sont devenus libres, ont cherché à avoir peu d’enfants pour ne pas diviser leurs terres entre trop d’héritiers et finir par les perdre.
Au cours de la période allant du Moyen Âge jusqu'à la fin de la période pré-industrielle, les populations européennes ont mis en œuvre une stratégie de régulation démographique connue sous le nom de système européen de mariage tardif et de célibat définitif. Les données historiques révèlent que cette pratique a conduit à un âge au mariage relativement élevé et à des taux substantiels de célibat, en particulier chez les femmes. À titre d'exemple, les historiens ont documenté que pendant le XVIe siècle, l'âge moyen au premier mariage des femmes pouvait varier de 19 à 22 ans, tandis que vers le XVIIIe siècle, cet âge avait augmenté pour se situer entre 25 et 27 ans dans de nombreuses régions. Ces chiffres démontrent un décalage significatif par rapport aux normes de l'époque médiévale et contrastent nettement avec d'autres parties du monde où l'âge au mariage était nettement plus bas et où le célibat était moins courant. Le pourcentage de femmes qui ne se mariaient jamais était également notable. Les estimations indiquent qu'entre le XVIe et le XVIIIe siècle, environ 10% à 15% des femmes restaient célibataires toute leur vie. Ce taux de célibat a contribué à une limitation naturelle de la taille de la population, ce qui était particulièrement crucial dans une économie où la terre était la principale source de richesse et de subsistance. Ce système de mariage et de natalité a probablement été influencé par des facteurs économiques et sociaux. Les terres ne pouvant soutenir une population en croissance rapide, le mariage tardif et le célibat permanent ont servi de mécanisme de contrôle de la population. De plus, avec les systèmes d'héritage qui tendaient vers le partage égal des terres, avoir moins d'enfants signifiait éviter la division excessive des terres, ce qui aurait pu mener à un déclin économique des familles paysannes.


== La ligne Saint Petersburg – Trieste ==
== La ligne Saint Petersburg – Trieste ==
Ligne 89 : Ligne 85 :
[[Fichier:Ligne saint petersburg trieste.png|200px|vignette|droite]]
[[Fichier:Ligne saint petersburg trieste.png|200px|vignette|droite]]


Ce système se développe à l’Ouest, et suit une ligne de Saint Petersburg à Trieste. À l’Est, on reste sur un système universel de mariage, car les paysans de l’Est sont dans un système de servage et n’ont rien à transmettre à leurs enfants.
Le système de mariage tardif et de célibat définitif était caractéristique de certaines parties de l'Europe, notamment dans les régions occidentales et nordiques. La distinction entre l'Ouest et l'Est de l'Europe en ce qui concerne les pratiques de mariage était marquée par des différences sociales et économiques considérables. À l'Ouest, où ce système était en vigueur, on observait une ligne imaginaire allant de Saint-Pétersbourg à Trieste qui marquait la frontière de ce modèle démographique. Les paysans et les familles occidentales possédaient souvent leurs terres ou avaient des droits significatifs sur celles-ci, et l'héritage passait par la lignée familiale. Ces conditions favorisaient la mise en place d'une stratégie de limitation des naissances pour préserver l'intégrité et la viabilité des exploitations familiales. Les familles cherchaient à éviter la fragmentation des terres à travers les générations, ce qui aurait pu affaiblir leur position économique. En revanche, à l'Est de cette ligne, notamment dans les régions soumises au servage, le système était différent. Les paysans de l'Est de l'Europe étaient souvent serfs, liés à la terre de leur seigneur et ne disposaient pas de propriété qu'ils pourraient transmettre. Dans ce contexte, il n'y avait pas de pression économique immédiate pour limiter la taille de la famille par le biais du mariage tardif ou du célibat. Les pratiques matrimoniales étaient plus universelles et les mariages étaient souvent arrangés pour des raisons d'ordre social et économique, sans la considération directe d'une stratégie de préservation des terres familiales. Cette dichotomie entre l'Est et l'Ouest reflète la diversité des structures socio-économiques en Europe avant les grands bouleversements de la révolution industrielle, qui finiront par transformer en profondeur les systèmes de mariage et les structures familiales sur l'ensemble du continent.


== Les effets démographiques ==
== Les effets démographiques ==
La fertilité s’étend entre 15 et 49 ans. Avec des mariages qui sont passés de 20 à 25 ans, cela enlève cinq des années les plus fertiles chez une femme, ce qui équivaut à 2/3 enfants par femme, ce qui réduit la pression démographique.  
La période de fertilité d'une femme, souvent estimée entre 15 et 49 ans, est cruciale pour la compréhension de la dynamique démographique historique. Dans une société où l'âge moyen au mariage pour les femmes augmente, comme ce fut le cas en Europe de l'Ouest entre le XVIe et le XVIIIe siècle, les implications sur la fertilité globale sont importantes. Lorsque l'âge au mariage passe de 20 à 25 ans, les femmes entament leur vie reproductive plus tard, réduisant ainsi le nombre d'années pendant lesquelles elles sont susceptibles de concevoir. Les années immédiatement après la puberté sont souvent les plus fertiles, et retarder le mariage de cinq ans peut retirer plusieurs des années les plus fertiles de la vie d'une femme. Cela pourrait résulter en une baisse du nombre moyen d'enfants par femme, car il y aurait moins d'opportunités de grossesse au cours de sa vie reproductive. Si l'on considère qu'une femme peut avoir en moyenne un enfant tous les deux ans après le mariage, en supprimant cinq années de fertilité potentiellement haute, cela pourrait équivaloir à la réduction de la naissance de deux à trois enfants par femme. Cette diminution aurait un impact significatif sur la croissance démographique globale d'une population. En effet, cette pratique de mariage tardif et de limitation des naissances n'était pas due à une meilleure compréhension de la biologie de la reproduction ou à des mesures de contraception, mais plutôt à une réponse socio-économique aux conditions de vie. En limitant le nombre de leurs enfants, les familles pouvaient mieux allouer leurs ressources limitées, éviter la subdivision excessive des terres et préserver le bien-être économique des générations suivantes. Ce phénomène a contribué à une forme de régulation naturelle de la population avant l'avènement de la planification familiale moderne.  
   
   
== Mariage tardif et célibat définitif ==
== Mariage tardif et célibat définitif ==
Quand on compte les femmes qui ne sont pas encore mariées, les veuves et les célibataires, 50% des femmes n’étaient pas mariées et ne pouvaient donc pas avoir d’enfants. Cela réduit le nombre d’enfants par femme d’une manière très forte (réduction de 30% de la fécondité). Pour un équilibre entre population et environnement, sans pouvoir trop agir sur l’environnement, on agit sur les naissances. On explique le fait que les femmes n’aient pas d’enfants quand elles ne sont pas mariées par les règles que valorise la religion catholique, qui défend la chasteté et donc encourage le mariage tardif et défend les relations extraconjugales. On ne compte que 2% à 3% de naissances illégitimes.
Le système de régulation de la natalité en Europe occidentale, notamment du XVIe au XVIIIe siècle, reposait en grande partie sur des normes sociales et religieuses qui décourageaient la procréation hors du cadre du mariage. Dans ce contexte, un nombre significatif de femmes ne se mariaient pas, restant célibataires ou devenant veuves sans se remarier. Si l'on prend en compte que, dans certaines régions, jusqu'à 50% des femmes pouvaient être dans cette situation à un moment donné, l'impact sur les taux de natalité globaux serait considérable. La non-mariée et la veuvage signifiaient, pour la plupart des femmes de cette époque, qu'elles n'avaient pas d'enfants légitimes, en partie à cause des strictes conventions sociales et des enseignements de l'Église catholique qui promouvait la chasteté hors du mariage. Les mariages tardifs étaient encouragés et les relations sexuelles hors mariage étaient fortement condamnées, réduisant ainsi la probabilité de naissances hors mariage. Les naissances illégitimes étaient rares, avec des estimations autour de 2% à 3%. Ceci suggère une conformité relativement élevée aux normes sociales et religieuses, ainsi qu'un contrôle efficace de la sexualité et de la reproduction hors des liens du mariage. Cette dynamique sociale a donc eu pour effet de réduire de manière significative la fécondité globale, avec une réduction estimée jusqu'à 30%. Cela a joué un rôle essentiel dans la régulation démographique de l'époque, assurant un équilibre entre la population et les ressources disponibles dans un contexte où il y avait peu de moyens d'augmenter la production de ressources environnementales. Ainsi, les structures sociales et les normes culturelles ont servi de mécanisme de contrôle de la population, maintenant la stabilité démographique en l'absence de méthodes contraceptives modernes ou d'interventions médicales pour réguler la natalité.
   
   
À l’époque, on a aussi l’idée que mariage égal ménage. Donc, il faut une niche, c’est-à-dire un endroit ou vivre, le plus souvent les fermes, une fois qu’un couple s’est marié. À l’époque, on ne construit pas de nouvelles fermes, et donc un couple doit attendre qu’une ferme se libère avant de pouvoir se marier et s’y installer, ce qui encourage le mariage tardif.
La structure sociale et économique de l'Europe pré-industrielle avait une influence directe sur les pratiques matrimoniales. Le concept de "mariage égal ménage" était fortement ancré dans les mentalités, signifiant qu'un mariage n'était pas seulement l'union de deux personnes mais également la formation d'un nouveau foyer autonome. Cela impliquait la nécessité d'avoir un espace de vie propre, souvent sous la forme d'une ferme ou d'une maison, où le couple pouvait s'installer et vivre de manière indépendante. Cette nécessité d'obtenir une "niche" pour vivre limitait le nombre de mariages possibles à un moment donné. Les opportunités de mariage étaient donc étroitement liées à la disponibilité du logement, qui dans les sociétés agricoles dépendait de la transmission de propriété, telle que les fermes, souvent de génération en génération. La croissance démographique était limitée par la quantité fixe de terres et de fermes, qui ne s'accroissait pas au même rythme que la population. En conséquence, les jeunes couples devaient attendre qu'une propriété se libère, soit par le décès des occupants précédents, soit lorsque ceux-ci étaient prêts à céder leur place, souvent à leurs enfants ou à d'autres membres de la famille. Cela contribuait à retarder l'âge au mariage car les jeunes gens, en particulier les hommes qui étaient souvent attendus pour prendre en charge une ferme, devaient attendre d'avoir les moyens économiques de soutenir un ménage avant de se marier. En retardant le mariage, les périodes de fécondité des femmes étaient également raccourcies, ce qui contribuait à une baisse de la natalité globale. Ainsi, les limitations économiques et les contraintes de logement jouaient un rôle déterminant dans les stratégies matrimoniales et démographiques, favorisant l'émergence du modèle européen du mariage tardif et du ménage nucléaire, qui a eu un impact profond sur les structures sociales et les dynamiques de population en Europe jusqu'à la modernisation et l'urbanisation qui ont accompagné la révolution industrielle.


Il y a aussi le facteur des parents. Les parents veulent que les enfants restent à la maison pour s’occuper d’eux. Le célibat définitif est souvent le résultat du sacrifice d’un enfant d’une fratrie, toujours une fille, qui accepte de rester aux côtés de leurs parents pour s’en occuper.
Le rôle des relations familiales et des attentes envers les enfants était un facteur important dans les stratégies matrimoniales et démographiques des sociétés pré-industrielles européennes. Dans un contexte où les systèmes de retraite et de soins pour les personnes âgées étaient inexistants, les parents dépendaient de leurs enfants pour obtenir un soutien dans leur vieillesse. Cela se traduisait souvent par la nécessité pour au moins un enfant de rester célibataire pour s'occuper de ses parents. Typiquement, dans une famille avec plusieurs enfants, il n'était pas rare qu'un accord tacite ou explicite désigne une des filles pour rester à la maison et prendre soin de ses parents. Ce rôle était souvent assumé par une fille, en partie parce que les fils étaient attendus pour travailler la terre, générer des revenus et perpétuer la lignée familiale. Les filles célibataires avaient aussi moins d'opportunités économiques et sociales hors du cadre familial, les rendant plus disponibles pour prendre soin de leurs parents. Cette pratique du célibat définitif comme forme de "sacrifice" familial avait plusieurs conséquences. D'un côté, elle assurait un certain soutien pour la génération plus âgée, mais de l'autre, elle réduisait le nombre de mariages et par conséquent, la natalité. Cela fonctionnait comme un mécanisme de régulation démographique naturel au sein de la communauté, contribuant ainsi à l'équilibre entre la population et les ressources disponibles. Ces dynamiques soulignent la complexité des liens entre structure familiale, économie, et démographie dans l'Europe pré-industrielle, et comment les choix personnels étaient souvent façonnés par des nécessités économiques et des devoirs familiaux.


On revient toujours à une stabilité avec l’homéostasie. S’il y a une crise de mortalité, les niches se libèrent plus tôt, et donc une génération se marie plus jeune, et ont donc une fécondité plus grande, il y a plus d’enfants pour combler la perte démographique liée a la crise de mortalité.
L'homéostasie démographique, dans le contexte des sociétés pré-industrielles, reflète un processus de régulation naturelle de la population en réponse à des événements extérieurs. Lorsque ces sociétés étaient frappées par des crises de mortalité, telles que des épidémies, des famines ou des conflits, la population diminuait considérablement. Ces crises avaient pour conséquence indirecte de libérer des "niches" économiques et sociales, telles que des fermes, des emplois ou des rôles dans la communauté, qui étaient auparavant occupées par ceux qui sont décédés. Cela créait de nouvelles opportunités pour les générations survivantes. Les jeunes couples pouvaient se marier plus tôt parce qu'il y avait moins de concurrence pour les ressources et l'espace. Comme les mariages précoces sont généralement associés à une période de fertilité plus longue et donc à un nombre potentiellement plus élevé d'enfants, la population pouvait ainsi rebondir relativement rapidement après une crise. La fertilité accrue des couples mariés jeunes compensait les pertes démographiques subies pendant la crise, ce qui permettait à la population de retourner vers un état d'équilibre, selon les principes de l'homéostasie. Ce cycle de crise et de récupération démontre la résilience des populations humaines et leur capacité à s'adapter aux conditions changeantes, bien que souvent au prix de pertes humaines considérables. C'est une démonstration du concept de l'homéostasie appliqué à la démographie, où après une perturbation extérieure majeure, les systèmes sociaux et économiques inhérents à ces communautés tendaient à ramener la population à un niveau soutenable par les ressources disponibles et les structures sociales en place.


== Nuances dans le système européen : les trois Suisses ==
== Nuances dans le système européen : les trois Suisses ==
Pour prendre l’exemple de la Suisse, il y a plusieurs lois en vigueur selon les régions :
Les pratiques matrimoniales et successorales variées en Suisse reflètent la manière dont les sociétés traditionnelles s'adaptaient aux contraintes économiques et environnementales. Dans le centre de la Suisse, le système matrimonial était influencé par des réglementations strictes qui restreignaient l'accès au mariage, privilégiant ainsi les familles aisées. Cette restriction était souvent accompagnée d'une transmission des terres selon un modèle inégalitaire, généralement au profit de l'aîné des fils. Cette dynamique avait des implications significatives pour les enfants non héritiers, qui étaient contraints de chercher des moyens de subsistance en dehors de leur lieu de naissance. Cette contrainte sur le mariage et l'héritage a eu pour effet de réguler la population locale, poussant à une émigration qui contribuait à l'équilibre démographique de la région. Les enfants non héritiers, en quittant la région pour chercher fortune ailleurs, permettaient d'éviter une surpopulation qui aurait pu résulter d'une division trop fragmentée des terres agricoles, préservant ainsi l'économie rurale et la stabilité sociale de leur communauté d'origine.
*au centre, les règles sur le mariage sont très strictes, et les pauvres ne peuvent se marier. La transmission de la terre se fait uniquement à un fils (l’ainé, transmission inégalitaire). Il y a donc une émigration des autres enfants qui n’ont hérité de rien.
 
*dans le Valais, il n’y a pas de loi sur le mariage, et il y a une succession égalitaire, s’il y a 3 fils et 1 fille, les 3 fils héritent et dédommagent la sœur qui n’a pas le droit d’être propriétaire. Souvent, les frères se mettent d’accord pour laisser la terre à un seul des enfants, les autres émigrent.
Dans le Valais, la situation matrimoniale et successorale contrastait nettement avec celle du centre de la Suisse. Sans restrictions légales sur le mariage, les individus pouvaient se marier plus librement, indépendamment de leur statut économique. Lorsqu'il s'agissait de l'héritage, la tradition du Valais favorisait une répartition égalitaire des biens. Les frères qui ne devenaient pas propriétaires étaient souvent indemnisés, un arrangement qui leur permettait de démarrer leur propre vie ailleurs, souvent par l'émigration. Ces pratiques successorales égalitaires menaient régulièrement à des accords entre les frères pour maintenir les terres agricoles intactes au sein de la famille, choisissant volontairement un seul héritier pour la gestion des terres et la continuation de l'entreprise familiale. Ce faisant, ils s'assuraient que les exploitations restaient viables et que la propriété foncière ne devenait pas trop morcelée pour rester productive. En même temps, cela contribuait également à un équilibre démographique, car les frères qui partaient cherchaient des opportunités en dehors du Valais, réduisant ainsi la pression sur les ressources locales.
*en Suisse italienne, il y a une mobilité masculine massive, les hommes sont absents durant plusieurs mois voir années, ce qui déséquilibre le marché matrimonial, et donc limite les naissances (les femmes ne peuvent se permettre d’être infidèles, car tout le monde se rend compte si elles tombent enceintes quand le mari n’est pas là).
 
En Suisse italienne, la dynamique sociale et démographique était fortement impactée par la mobilité professionnelle des hommes. Un grand nombre d'hommes quittaient leur domicile pour des périodes prolongées, allant de quelques mois à plusieurs années, pour trouver du travail ailleurs. Cette migration de travailleur, souvent saisonnière, avait pour conséquence un déséquilibre notable sur le marché matrimonial local, réduisant de facto le nombre de mariages possibles en raison de l'absence prolongée des hommes. Cette absence réduisait les occasions pour de nouvelles familles de se former, limitant ainsi le taux de natalité. En outre, les conventions sociales et les valeurs religieuses prédominantes maintenaient les femmes dans des rôles traditionnels et encourageaient la fidélité conjugale. Dans un tel contexte, les femmes avaient peu d'opportunités ou de tolérance sociale pour avoir des enfants en dehors du mariage. Ainsi, les normes culturelles combinées à l'absence des hommes jouaient un rôle clé dans le maintien d'un certain équilibre démographique, limitant l'accroissement naturel de la population en Suisse italienne.
 
Ces diverses pratiques illustrent comment la régulation de la croissance démographique pouvait être indirectement orchestrée par des mécanismes sociaux, économiques et culturels. Ils permettaient de gérer la taille de la population selon les capacités de l'environnement et des ressources, assurant la pérennité des structures familiales et la stabilité économique des communautés.


== Un retour sur la mort omniprésente ==
== Un retour sur la mort omniprésente ==
Une famille complète est une famille où le couple reste ensemble du mariage jusqu'à la fin de la fécondité de la femme aux alentours de 50ans. À ce moment, il y a en théorie sept enfants par femme, mais beaucoup de familles sont affectées par la mort notamment par la mort du mari ou de la femme avant ses 50 ans. Avec ces ruptures, on arrive à 4/5 enfants par famille.  
La structure traditionnelle d'une famille complète implique un engagement de long terme, où le couple reste uni de leur mariage jusqu'à la fin de la période de fécondité de la femme, généralement autour de l'âge de 50 ans. Si cette continuité est maintenue sans interruption, la théorie suggère qu'une femme pourrait avoir sept enfants en moyenne au cours de sa vie. Cependant, cette situation idéale est souvent impactée par des perturbations telles que la mortalité prématurée de l'un des conjoints. La mort prématurée d'un conjoint, que ce soit le mari ou la femme, avant que la femme n'atteigne l'âge de 50 ans, peut réduire significativement le nombre d'enfants que le couple aurait pu avoir. De telles ruptures familiales sont courantes en raison des conditions de santé, des maladies, des accidents ou d'autres facteurs de risque liés à l'époque et au contexte social et économique. Lorsque l'on prend en compte ces décès prématurés et leurs effets sur la structure familiale, le nombre moyen d'enfants par famille tend à diminuer, avec une moyenne de quatre à cinq enfants par famille. Cette réduction est également un reflet des défis de la vie familiale et des taux de mortalité de l'époque, qui influençaient fortement la démographie et la taille des ménages.  


De plus, entre 20% et 30% des enfants meurent avant qu’ils aient un an, et seulement la moitié des enfants qui sont mis au monde survivent plus que 15 ans. Ainsi, le couple de 2 est remplacé par 2 à 2,5 naissances, le couple arrive donc à peine à se remplacer lui-même, il y a une stagnation de la population. Avec l'idée d’insécurité d'existence, il y a d’un côté des sociétés qui trouvent des solutions pour stabiliser les populations (homéostasie) et en même temps il y a l’habitude de la mort. Le terme caveau vient du fait que l’on enterrait les membres de la famille dans la cave, dû au manque de place. Au XVIIIème siècle, quand on a voulu vider Paris de ses cimetières intramuros, on a déterré plus de 1,6 million de morts. Les gens de l’époque acceptaient la mort.
L'enfance, à travers les siècles, a toujours été une période particulièrement vulnérable pour la survie humaine, et cela était encore plus marqué dans le contexte pré-moderne où les connaissances médicales et les conditions de vie étaient loin d'être optimales. À cette époque, un nombre considérable d'enfants, soit entre 20% et 30%, ne survivaient pas à leur première année de vie. En outre, seulement la moitié des enfants nés arrivaient à l'âge de quinze ans. Cela implique qu'un couple moyen ne produisait que deux à deux et demi enfants qui atteignaient l'âge adulte, ce qui n'était guère suffisant pour plus qu'un simple remplacement de la population. En conséquence, la croissance démographique restait stagnante. Cette précarité de l'existence et la familiarité avec la mort façonnaient profondément la psyché et les pratiques sociales de l'époque. Les populations développèrent des mécanismes d'homéostasie, des stratégies pour maintenir l'équilibre démographique en dépit des incertitudes de la vie. Parallèlement, la mort était tellement omniprésente qu'elle était intégrée dans la vie quotidienne. L'origine du terme "caveau" témoigne de cette intégration; il se réfère à la pratique consistant à enterrer les membres de la famille dans la cave de la maison, souvent par manque d'espace dans les cimetières. Ce rapport à la mort est frappant lorsqu'on considère l'histoire de Paris au XVIIIème siècle. Pour des raisons de santé publique, la ville a entrepris de vider ses cimetières surpeuplés situés à l'intérieur de ses murs. Lors de cette opération, les restes de plus de 1,6 million d'individus furent exhumés et transférés dans les catacombes. Cette mesure radicale souligne à quel point la mort était courante et combien peu de place elle laissait, au sens littéral comme figuré, dans la société de l'époque. La mort n'était pas une étrangère, mais une voisine familière avec laquelle il fallait cohabiter.


On trouve d’ailleurs des manuels sur comment bien mourir, mourir en bon chrétien, pour être prêt a mourir à tout moment. On consolait d’ailleurs les condamnés à mort en leur disant qu’ils avaient la chance de savoir quand ils allaient mourir et pouvaient donc se préparer.
L'acceptation et la familiarité avec la mort dans la société pré-moderne se manifestent également à travers l'existence de guides et de manuels enseignant comment mourir de manière appropriée, souvent sous l'intitulé d'“Ars Moriendi” ou l'art de bien mourir. Ces textes étaient répandus en Europe dès le Moyen Âge, offrant des conseils pour mourir en état de grâce, conformément aux enseignements chrétiens. Ces manuels offraient des instructions sur la façon de faire face aux tentations spirituelles qui pourraient survenir à l'approche de la mort, et comment les surmonter afin d'assurer le salut de l'âme. Ils traitaient également de l'importance de recevoir les sacrements, de faire la paix avec Dieu et les hommes, et de laisser derrière soi des instructions pour le règlement de ses affaires et la répartition de ses biens. Dans ce contexte, la mort n'était pas seulement une fin mais aussi un passage critique qui nécessitait préparation et réflexion. Même dans les moments les plus sombres, comme lorsqu'une personne était condamnée à mort, cette culture de la mort offrait une forme de consolation paradoxale: le condamné avait, contrairement à beaucoup d'autres qui mouraient subitement ou sans avertissement, la possibilité de se préparer à son dernier moment, de se repentir de ses péchés et de partir en paix avec sa conscience. Cela reflétait une perception très différente de la mort de celle que nous avons aujourd'hui, où la mort subite est souvent considérée comme la plus cruelle, tandis que dans ces temps plus anciens, une telle mort sans préparation était perçue comme une tragédie pour l'âme.


= Annexes =
= Annexes =
Ligne 125 : Ligne 124 :
[[Category:histoire]]
[[Category:histoire]]
[[Category:histoire économique]]
[[Category:histoire économique]]
[[Category:2011]]
[[Category:2012]] 
[[Category:2013]]
[[Category:2014]]
[[Category:2015]]

Version actuelle datée du 28 novembre 2023 à 18:31

Basé sur un cours de Michel Oris[1][2]

Structures Agraires et Société Rurale: Analyse de la Paysannerie Européenne PréindustrielleLe régime démographique d'ancien régime : l'homéostasieÉvolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la ModernitéOrigines et causes de la révolution industrielle anglaiseMécanismes structurels de la révolution industrielleLa diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le JaponLes coûts sociaux de la révolution industrielleAnalyse Historique des Phases Conjoncturelles de la Première MondialisationDynamiques des Marchés Nationaux et Mondialisation des Échanges de ProduitsLa formation de systèmes migratoires mondiauxDynamiques et Impacts de la Mondialisation des Marchés de l'Argent : Le Rôle Central de la Grande-Bretagne et de la FranceLa transformation des structures et des relations sociales durant la révolution industrielleAux Origines du Tiers-Monde et l'Impact de la ColonisationEchecs et blocages dans les Tiers-MondesMutation des Méthodes de Travail: Évolution des Rapports de Production de la Fin du XIXe au Milieu du XXeL'Âge d'Or de l'Économie Occidentale : Les Trente Glorieuses (1945-1973)L'Économie Mondiale en Mutation : 1973-2007Les défis de l’État-ProvidenceAutour de la colonisation : peurs et espérances du développementLe Temps des Ruptures: Défis et Opportunités dans l'Économie InternationaleGlobalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »

Évolution démographique europe ancien régime.png

Entre le 15e et le 18e siècle, l'Europe préindustrielle a été le théâtre d'un équilibre démographique fascinant, désigné par le terme d'homéostasie démographique. Cette période historique, riche en transformations, a vu les sociétés et les économies se développer sur le fond d'un régime démographique où la croissance de la population était soigneusement contrebalancée par des forces régulatrices telles que les épidémies, les conflits armés et les famines. Cette autorégulation naturelle et démographique s'est avérée être un moteur de stabilité, orchestrant un développement économique et social mesuré et durable.

Ce délicat équilibre démographique a non seulement favorisé une croissance modérée et soutenable de la population européenne, mais a également jeté les bases d'un progrès économique et social cohérent. Grâce à ce phénomène d'homéostasie, l'Europe a réussi à éviter les bouleversements démographiques extrêmes, ce qui a permis à ses économies et sociétés préindustrielles de s'épanouir dans un cadre de changements graduels et maîtrisés.

Dans cet , nous examinerons de plus près les dynamiques de ce régime démographique ancien et son influence cruciale sur le tissu des économies et des communautés européennes avant l'avènement de l'industrialisation, en mettant en lumière comment ce fragile équilibre a facilité une transition ordonnée vers des structures économiques et sociales plus complexes.

Les crises de mortalité de l’ancien régime[modifier | modifier le wikicode]

Durant l’Ancien Régime, l'Europe a été confrontée à des crises de mortalité fréquentes et dévastatrices, souvent décrites à travers la métaphore des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Chacun de ces cavaliers représentait l’une des grandes calamités qui frappaient la société et contribuaient à un taux de mortalité élevé.

La famine, résultant de récoltes médiocres, de conditions climatiques extrêmes ou de perturbations économiques, était un fléau récurrent. Elle affaiblissait la population, réduisait sa résilience face aux maladies et entraînait une augmentation dramatique de la mortalité parmi les plus démunis. Les périodes de disette étaient souvent suivies ou accompagnées par des épidémies qui, dans un contexte de faiblesse généralisée, trouvaient un terrain propice à leur propagation. Les guerres constituaient une autre source de mortalité importante. Au-delà des morts sur les champs de bataille, les conflits avaient des effets délétères sur la production agricole et les infrastructures, engendrant ainsi une détérioration des conditions de vie et une augmentation des décès indirectement liés aux guerres. Les épidémies, quant à elles, étaient peut-être les plus impitoyables des cavaliers. Des maladies telles que la peste ou le choléra frappaient sans distinction, anéantissant parfois des quartiers entiers ou des villages. L'absence de traitements efficaces et le manque de connaissances médicales aggravaient leur impact mortel. Enfin, le cavalier représentant la mort incarnait l'issue fatale de ces trois fléaux, mais aussi la mortalité quotidienne due au vieillissement, aux accidents et à d'autres causes naturelles ou violentes. Ces crises de mortalité, à travers leurs conséquences directes et indirectes, régulaient la démographie européenne, en maintenant la population à un niveau que les ressources de l'époque pouvaient soutenir.

L'impact de ces cavaliers sur la société de l’Ancien Régime était immense, façonnant de manière indélébile les structures démographiques, économiques et sociales de l'époque et laissant une empreinte profonde dans l'histoire européenne.

La faim[modifier | modifier le wikicode]

Jusqu'aux années 1960, la vision prédominante était que la faim constituait le principal facteur de mortalité au Moyen Âge. Cependant, cette perspective a évolué avec la reconnaissance de la nécessité de distinguer la disette de la famine. Si la famine était un événement catastrophique avec des conséquences mortelles massives, la disette était plutôt une occurrence courante dans la vie médiévale, marquée par des périodes de pénurie alimentaire plus modérées mais fréquentes. Dans des villes comme Florence, le cycle agricole était ponctué de périodes de disette presque rythmiques, avec des épisodes de pénurie alimentaire survenant environ tous les quatre ans. Ces épisodes étaient liés aux fluctuations de la production agricole et à la gestion des ressources céréalières. À la fin de chaque saison de récolte, la population se retrouvait devant un dilemme : consommer la production de l'année pour satisfaire les besoins immédiats ou en conserver une part pour ensemencer les champs pour la prochaine saison. Une année de disette pouvait survenir lorsque les récoltes étaient simplement suffisantes pour subvenir aux besoins immédiats de la population, sans pour autant permettre un excédent pour les réserves ou les semences futures. Cette situation précaire était exacerbée par le fait qu'il était impératif de réserver une portion des grains pour les semailles. L'insuffisance de la production signifiait alors que la population devait endurer une période de restrictions alimentaires, avec des rations diminuées jusqu'à la prochaine récolte, en espérant que celle-ci soit plus abondante. Ces périodes de disette ne menaient pas systématiquement à une mortalité de masse comme c'était le cas lors des famines, mais elles avaient néanmoins un impact considérable sur la santé et la longévité de la population. La malnutrition chronique affaiblissait la résistance aux maladies et pouvait augmenter indirectement la mortalité, en particulier chez les individus les plus vulnérables comme les enfants et les personnes âgées. Ainsi, la disette jouait son rôle dans le fragile équilibre démographique du Moyen Âge, façonnant subtilement la structure de la population médiévale.

La distinction entre famine et disette est cruciale pour comprendre les conditions de vie et les facteurs de mortalité au Moyen Âge. Alors que la disette se réfère à des périodes de pénurie alimentaire récurrentes et gérables jusqu'à un certain point, la famine désigne des crises alimentaires aiguës où les individus meurent de faim, souvent en résultat de récoltes dramatiquement insuffisantes causées par des catastrophes climatiques. Un exemple frappant est l'éruption d'un volcan islandais aux alentours de 1696, qui a déclenché un refroidissement climatique temporaire en Europe, parfois décrit comme un "mini âge glaciaire". Cet événement extrême a provoqué une réduction drastique des rendements agricoles, plongeant le continent dans des famines dévastatrices. En Finlande, cette période a été si tragique que près de 30% de la population a péri, soulignant l'extrême vulnérabilité des sociétés préindustrielles face aux aléas climatiques. À Florence, l'histoire démontre que bien que la disette était un visiteur régulier, avec des périodes difficiles tous les quatre ans environ, la famine était un fléau beaucoup plus sporadique, survenant tous les quarante ans en moyenne. Cette différence met en lumière une réalité importante : bien que la faim soit une compagne presque constante pour de nombreuses personnes à l'époque, la mort massive due à la famine était relativement rare. Ainsi, contrairement aux perceptions antérieures largement répandues jusqu'aux années 1960, la famine n'était pas la cause principale de la mortalité à l'époque médiévale. Les historiens ont révisé cette conception en reconnaissant que d'autres facteurs, tels que les épidémies et les conditions sanitaires précaires, jouaient un rôle beaucoup plus significatif dans la mortalité de masse. Cette compréhension nuancée aide à peindre un tableau plus précis de la vie et des défis auxquels étaient confrontées les populations du Moyen Âge.

Les guerres[modifier | modifier le wikicode]

Les actions de guerres en europe 1320 - 1750.png

Ce graphique indique le nombre d'actions de guerre en Europe sur une période de 430 ans, de 1320 à 1750. D'après la courbe, on peut observer que l'activité militaire a fluctué considérablement au cours de cette période, avec plusieurs pics qui pourraient correspondre à des périodes de conflits majeurs. Ces points culminants pourraient représenter des guerres d'envergure comme la Guerre de Cent Ans, les guerres d'Italie, les guerres de religion en France, la Guerre de Trente Ans, et les différents conflits impliquant les puissances européennes au XVIIe et début du XVIIIe siècle. La méthode de "somme triennale mobile" utilisée pour établir les données indique que les chiffres ont été lissés sur des périodes de trois ans pour donner une image plus claire des tendances, plutôt que de refléter les variations annuelles qui pourraient être plus chaotiques et moins représentatives des tendances à long terme. Il est important de noter que ce type de graphique historique permet aux chercheurs d'identifier des motifs et des cycles dans l'activité militaire et de les corréler avec d'autres événements historiques, économiques ou démographiques pour une meilleure compréhension des dynamiques historiques.

Durant le Moyen Âge et jusqu'à l'aube de la période moderne, les guerres ont constitué une réalité quasi-constante en Europe. Cependant, la nature de ces conflits a subi une transformation notable au fil des siècles, reflet d'évolutions politiques et sociales plus larges. Au XIVe siècle, le paysage conflictuel était dominé par de petites guerres féodales. Ces affrontements, souvent localisés, étaient principalement le fait de rivalités entre seigneurs pour le contrôle de terres ou le règlement de querelles de succession. Bien que ces escarmouches aient pu être violentes et destructrices au niveau local, elles n'étaient pas comparables en termes d'échelle ou de conséquences aux guerres qui allaient suivre. Avec la consolidation des États-nations et l'émergence de souverains cherchant à étendre leur pouvoir au-delà de leurs frontières traditionnelles, les XIVe et XVe siècles ont vu l'émergence de conflits d'une ampleur et d'une destructivité sans précédent. Ces nouvelles guerres d'État étaient menées par des armées permanentes plus importantes et mieux organisées, souvent soutenues par un complexe bureaucratique naissant. La guerre devint ainsi un instrument de politique nationale, avec des objectifs allant de la conquête territoriale à l'affirmation de la suprématie dynastique. L'impact de ces conflits sur la population civile était souvent indirect mais dévastateur. La logistique des armées étant encore primitive, l'intendance militaire reposait largement sur la réquisition et le pillage des ressources des régions traversées. Les armées en campagne prélevaient leur subsistance directement sur les économies locales, saisissant les récoltes et le bétail, détruisant les infrastructures, et propageant la famine et la maladie parmi les civils. La guerre devenait ainsi une calamité pour la population non combattante, la privant des moyens de subsistance nécessaires à sa survie. Ce n'était donc pas tant les combats eux-mêmes qui causaient le plus grand nombre de décès civils, mais plutôt l'effondrement des structures économiques locales dues aux besoins insatiables des armées. Cette forme de guerre alimentaire avait un impact démographique considérable, réduisant les populations non seulement par la violence directe, mais aussi en créant des conditions de vie précaires qui favorisaient la maladie et la mort. La guerre, dans ce contexte, était à la fois un moteur de destruction et un vecteur de crise démographique.

L'histoire militaire de l'époque prémoderne montre clairement que les armées n'étaient pas seulement des instruments de conquête et de destruction, mais aussi des vecteurs puissants de propagation de maladies. Les mouvements de troupes à travers continents et frontières jouaient un rôle significatif dans la diffusion des épidémies, amplifiant ainsi leur portée et leur impact. L'exemple historique de la peste noire illustre de manière tragique cette dynamique. Lorsque l'armée mongole a assiégé Caffa, un comptoir génois en Crimée, au XIVe siècle, elle a involontairement initié une chaîne d'événements qui allait déboucher sur l'une des plus grandes catastrophes sanitaires de l'histoire humaine. La peste bubonique, déjà présente parmi les troupes mongoles, a été transmise à la population assiégée par le biais des attaques et des échanges commerciaux. Des habitants de Caffa, infectés par la maladie, ont ensuite fui par la mer et sont retournés à Gênes. Gênes, à cette époque, était une ville majeure dans les réseaux commerciaux mondiaux, ce qui a facilité la diffusion rapide de la peste à travers l'Italie et, finalement, dans toute l'Europe. Les navires partant de Gênes avec à leur bord des personnes infectées ont apporté la peste dans de nombreux ports méditerranéens, d'où la maladie s'est étendue à l'intérieur des terres, suivant les routes commerciales et les déplacements des populations. L'impact de la peste noire sur l'Europe fut cataclysmique. On estime que cette pandémie a tué entre 30% et 60% de la population européenne, provoquant une régression démographique massive et des changements sociaux profonds. Ce fut un rappel brutal de la manière dont la guerre et le commerce pouvaient interagir avec la maladie pour façonner le cours de l'histoire. La peste noire est ainsi devenue synonyme d'une époque où la maladie pouvait redessiner les contours des sociétés avec une rapidité et une ampleur sans précédent.

Les épidémies[modifier | modifier le wikicode]

Nombre de lieux touchés par la peste dans le nord-ouest de l'Europe 1347 - 1800.png

Cette image représente un graphique historique montrant le nombre de lieux touchés par la peste dans le nord-ouest de l'Europe de 1347 à 1800, avec une somme triennale mobile pour lisser les variations sur de courtes périodes. Ce graphique illustre clairement plusieurs épidémies majeures, où l'on peut voir des pics indiquant une forte propagation de la maladie à différents moments. Le premier et le plus prononcé des pics correspond à la pandémie de la peste noire qui a débuté en 1347. Cette vague a eu des conséquences dévastatrices sur la population de l'époque, causant la mort d'une grande partie des Européens en l'espace de quelques années. Après ce premier grand pic, le graphique montre plusieurs autres épisodes significatifs où le nombre de lieux touchés augmente, ce qui reflète les réapparitions périodiques de la maladie. Ces pics peuvent correspondre à des événements tels que de nouvelles introductions du pathogène dans la population par le commerce ou par les mouvements de troupes, ainsi que des conditions favorisant la prolifération des rats et des puces vecteurs de la maladie. Vers la fin du graphique, après 1750, on note une diminution de la fréquence et de l'intensité des épidémies, ce qui peut indiquer une meilleure compréhension de la maladie, des améliorations dans la santé publique, le développement urbain, des changements climatiques, ou d'autres facteurs qui ont aidé à réduire l'impact de la peste. Ces données sont précieuses pour comprendre l'impact de la peste sur l'histoire européenne et l'évolution des réponses humaines aux pandémies.

La relation entre la malnutrition, la maladie et la mortalité est une composante cruciale de la compréhension de la dynamique démographique historique. Dans les sociétés préindustrielles, un approvisionnement alimentaire incertain et souvent précaire contribuait à une vulnérabilité accrue aux maladies infectieuses. Les populations affamées, affaiblies par le manque d'accès régulier à une nourriture adéquate et nutritive, étaient beaucoup moins résistantes aux infections, ce qui augmentait considérablement le risque de mortalité lors d'épidémies. La peste, en particulier, a été un fléau récurrent en Europe tout au long du Moyen-âge et bien après, marquant profondément la société et l'économie. La peste noire du XIVe siècle est sans doute l'exemple le plus notoire, ayant décimé une proportion substantielle de la population européenne. La persistance de la peste jusqu'au XVIIIe siècle témoigne de l'interaction complexe entre les êtres humains, les vecteurs animaux comme les rats, et les bactéries pathogènes telles que Yersinia pestis, responsable de la peste. Les rats, porteurs des puces infectées par la bactérie, étaient omniprésents dans les villes densément peuplées et sur les navires, ce qui facilitait la transmission de la maladie. Cependant, la dispersion de la peste ne peut être attribuée aux seuls rongeurs ; les activités humaines jouaient également un rôle essentiel. Les armées en déplacement et les marchands parcourant les routes commerciales étaient des agents de transmission efficaces, car ils transportaient avec eux la maladie d'une région à l'autre, souvent à des vitesses que les sociétés de l'époque étaient mal équipées pour gérer. Ce modèle de propagation de la maladie souligne l'importance des infrastructures sociales et économiques dans la santé publique, même dans les périodes anciennes. Le contexte des épidémies de peste révèle à quel point des facteurs apparemment non liés, comme le commerce et les mouvements de troupe, peuvent avoir un impact direct et dévastateur sur la santé des populations.

La Peste Noire, qui a frappé l'Europe au milieu du XIVe siècle, est considérée comme l'une des pandémies les plus dévastatrices de l'histoire humaine. L'impact démographique de cette maladie a été sans précédent, avec des estimations indiquant que jusqu'à un tiers de la population du continent a été éliminé entre 1348 et 1351. Cet événement a profondément façonné le cours de l'histoire européenne, entraînant des changements socio-économiques significatifs. La peste est une maladie infectieuse causée par la bactérie Yersinia pestis. Elle est principalement associée aux rats, mais c'est en réalité les puces qui transmettent la bactérie aux humains. La version bubonique de la peste se caractérise par l'apparition de bubons, des ganglions lymphatiques enflés, particulièrement dans l'aine, les aisselles et le cou. La maladie est extrêmement douloureuse et souvent mortelle, avec un fort taux de contagion. La propagation rapide de la peste bubonique était en partie due aux conditions d'hygiène déplorables de l'époque. La surpopulation, le manque de connaissances en matière de santé publique et la cohabitation étroite avec les rongeurs ont créé des conditions idéales pour la propagation de la maladie. Selon certaines théories, une forme de sélection naturelle a eu lieu pendant cette pandémie. Les individus les plus faibles étaient les premiers à succomber, tandis que ceux qui survivaient étaient souvent ceux qui avaient une résistance naturelle ou qui avaient développé une immunité. Cela pourrait expliquer la régression temporaire de la maladie après les premières vagues mortelles. Cependant, cette immunité n'était pas permanente; avec le temps, une nouvelle génération sans immunité naturelle est devenue vulnérable, permettant à la maladie de resurgir. Le XVIIe siècle a vu de nouvelles vagues de peste en Europe. Bien que ces épidémies aient été mortelles, elles n'ont pas atteint les niveaux catastrophiques de la Peste Noire. En France une grande partie des décès au XVIIe siècle étaient encore dus à la peste, ce qui a entraîné une "surmortalité". L'effet de la peste sur la démographie de l'Ancien Régime était tel que la croissance naturelle de la population (la différence entre les naissances et les décès) était souvent absorbée par les décès dus à la peste. Cela a conduit à une population relativement stable ou stagnante, avec peu de croissance nette à long terme en raison de la peste et d'autres maladies qui continuaient de frapper la population à intervalles réguliers.

La peste s'attaquait impitoyablement à toute la population, mais certains facteurs pouvaient rendre les individus plus vulnérables. Les jeunes adultes, souvent plus mobiles en raison de leur engagement dans le commerce, les voyages ou même en tant que soldats, étaient plus susceptibles d'être exposés à la peste. Ce groupe d'âge est également plus susceptible d'avoir des contacts sociaux étendus, ce qui augmente leur risque d'exposition aux maladies infectieuses. La mortalité élevée parmi les jeunes adultes durant les épidémies de peste avait des implications démographiques de longue portée, notamment en réduisant le nombre de naissances futures. Les individus qui mouraient avant d'avoir des enfants représentaient des "naissances perdues", un phénomène qui réduit le potentiel de croissance de la population pour les générations suivantes. Ce phénomène n'est pas unique à l'époque de la peste. Un effet similaire a été observé après la Première Guerre mondiale. La guerre a entraîné la mort de millions de jeunes hommes, constituant une génération en grande partie perdue. Les "naissances perdues" se réfèrent aux enfants que ces hommes auraient pu avoir s'ils avaient survécu. L'impact démographique de ces pertes s'est répercuté bien au-delà des champs de bataille, affectant la structure de la population pendant des décennies. La conséquence de ces deux catastrophes historiques est visible dans les pyramides des âges postérieures à ces événements, où l'on observe un déficit dans les groupes d'âge correspondants. La diminution de la population en âge de procréer a entraîné un déclin naturel de la natalité, un vieillissement de la population et une modification de la structure sociale et économique de la société. Ces changements ont souvent exigé des ajustements sociaux et économiques importants pour répondre aux nouveaux défis démographiques.

Durant la peste noire, par exemple, la population la plus vulnérable – souvent désignée par l'expression "les faibles" en termes de résilience aux maladies – a subi de lourdes pertes. Ceux qui ont survécu étaient généralement plus résistants, soit par la chance d'une exposition moins grave, soit par une résistance innée ou acquise à la maladie. Cette sélection naturelle d'un certain type a eu pour effet immédiat de réduire la mortalité globale parce que la proportion de la population qui avait survécu était plus robuste. Cependant, cette résilience n'est pas nécessairement permanente. Avec le temps, cette population "plus forte" vieillit et devient plus vulnérable à d'autres maladies ou à la réapparition de la même maladie, surtout si la maladie évolue. Par conséquent, la mortalité pourrait à nouveau augmenter, reflétant un cycle de résilience et de vulnérabilité. La courbe de mortalité serait donc marquée par des pics et des creux successifs. Après une épidémie, la mortalité baisserait alors que les individus les plus résistants survivent, mais avec le temps et sous l'effet d'autres facteurs stressants tels que la famine, les guerres ou l'émergence de nouvelles maladies, elle pourrait remonter. Cette "courbe hachurée" reflète l'interaction continue entre les facteurs de stress environnementaux et la dynamique démographique de la population. La peste a donc effacé l’excédant des naissances sur les décès. La population de la France ne peut donc pas s’accroitre et il y a un blocage démographique, les naissances en plus par rapport au décès étant effacées par la maladie. Aujourd’hui, on sait que les épidémies étaient le premier facteur de mortalité au Moyen-âge.

Évolution démographique europe ancien régime.png

L'image représente un graphique en noir et blanc qui illustre les taux de baptêmes et de sépultures sur une période qui semble s'étendre de 1690 à 1790, avec une échelle logarithmique sur l'axe des ordonnées pour mesurer les fréquences. La courbe supérieure, marquée par une ligne noire solide et des zones ombrées, indique les baptêmes, tandis que la courbe inférieure, représentée par une ligne noire en pointillé, représente les sépultures. Le graphique montre des périodes où les baptêmes dépassent les sépultures, ce qui est indiqué par les zones où la courbe supérieure se trouve au-dessus de la courbe inférieure. Ces périodes représentent une croissance naturelle de la population, où le nombre de naissances surpasse le nombre de décès. Inversement, il y a des moments où les sépultures surpassent les baptêmes, démontrant une mortalité supérieure à la natalité, ce qui est représenté par les zones où la courbe des sépultures monte au-dessus de celle des baptêmes. Les fluctuations marquées du graphique illustrent les périodes d'excédent des décès par rapport aux naissances, avec des pics significatifs qui suggèrent des événements de mortalité de masse, comme des épidémies, des famines ou des guerres. La ligne A, qui semble être une ligne de tendance ou une moyenne mobile, aide à visualiser la tendance générale de l'excédent des décès sur les naissances sur cette période d'un siècle. La période couverte par ce graphique correspond à des moments tumultueux de l'histoire européenne, marqués par des changements sociaux, politiques et environnementaux significatifs, qui ont eu un impact profond sur la démographie de l'époque.

Schéma des interactions dans une crise démographique.png

L'image présente un schéma conceptuel qui dépeint les interactions complexes au sein d'une crise démographique. Les principaux facteurs déclencheurs de cette crise sont représentés par trois grands rectangles qui se distinguent au centre du schéma : la mauvaise récolte, la guerre et l'épidémie. Ces événements centraux sont interconnectés et leurs impacts s'étendent à travers divers phénomènes socio-économiques et démographiques. La mauvaise récolte est un élément catalyseur, engendrant une hausse des prix et une disette, déclenchant ainsi des migrations de détresse. La guerre provoque la panique et aggrave la situation par le biais de migrations similaires, tandis que les épidémies augmentent directement la mortalité tout en affectant également la natalité et la nuptialité. Ces crises majeures influencent divers aspects de la vie démographique. Par exemple, l'augmentation des prix et la disette entraînent des difficultés économiques qui se répercutent sur les schémas de mariage et de reproduction, illustrés par une chute de la nuptialité et une baisse de la natalité. En outre, les épidémies, souvent exacerbées par la disette et les mouvements de population dus à la guerre, peuvent conduire à une hausse significative de la mortalité. Le schéma indique les effets directs par des lignes continues et les effets secondaires par des lignes pointillées, montrant ainsi une hiérarchie dans l'impact de ces différents événements. L'ensemble du schéma met en lumière la cascade d'effets déclenchés par les crises, démontrant comment une mauvaise récolte peut déclencher une série d'événements qui se propagent bien au-delà de ses conséquences immédiates, en provoquant des guerres, des migrations, et en facilitant la propagation d'épidémies, contribuant ainsi à une augmentation de la mortalité et à une stagnation ou un déclin de la population.

L’homéostasie grâce au contrôle de la croissance démographique[modifier | modifier le wikicode]

Le concept d’homéostasie[modifier | modifier le wikicode]

L'homéostasie est un principe fondamental qui s'applique à de nombreux systèmes biologiques et écologiques, y compris les populations humaines et leur interaction avec l'environnement. Il s'agit de la capacité d'un système à maintenir une condition interne stable malgré les changements externes. Dans le contexte de l'Ancien Régime, où la technologie et les moyens d'action sur l'environnement étaient limités, les populations devaient s'adapter continuellement pour maintenir cet équilibre dynamique avec les ressources disponibles. Les crises, telles que les famines, les épidémies et les guerres, testaient la résilience de cet équilibre. Cependant, même face à ces perturbations, les communautés s'efforçaient de rétablir l'équilibre à travers diverses stratégies de survie et d'adaptation. Les paysans, en particulier, jouaient un rôle essentiel dans le maintien de l'homéostasie démographique. Ils étaient les plus directement affectés par les mauvaises récoltes ou les changements climatiques, mais ils étaient aussi les premiers à répondre à ces défis. Par leur connaissance empirique des cycles naturels et leur capacité à ajuster leurs pratiques agricoles, ils pouvaient atténuer les impacts de ces crises. Par exemple, ils pouvaient alterner les cultures, stocker des réserves pour les années difficiles, ou adapter leur régime alimentaire pour faire face à la disette. En outre, les communautés rurales avaient souvent des systèmes de solidarité et d'entraide qui permettaient de répartir le risque et d'aider les membres les plus vulnérables en cas de crise. Ce type de résilience sociale est un autre aspect de l'homéostasie où la cohésion et l'organisation de la société contribuent à maintenir l'équilibre démographique et social. L'homéostasie, dans ce contexte, est donc moins une question de contrôle actif sur l'environnement que de réponses adaptatives qui permettent aux populations de survivre et de se rétablir après des perturbations, poursuivant ainsi le cycle de stabilité et de changement.

avant les avancées de la médecine moderne et la révolution industrielle, les populations humaines étaient fortement influencées par les principes d'homéostasie, qui régulent l'équilibre entre les ressources disponibles et le nombre de personnes qui en dépendent. Les sociétés devaient trouver des moyens de s'adapter aux limitations de leur environnement pour survivre. Les techniques agricoles comme l'assolement biennal et triennal étaient des réponses homéostatiques aux défis de la production alimentaire. Ces méthodes permettaient de reposer et de régénérer la fertilité du sol en alternant les cultures et les jachères, contribuant ainsi à prévenir l'épuisement des terres et à maintenir un niveau de production qui pouvait subvenir aux besoins de la population. Puisque l'on ne pouvait pas significativement augmenter les ressources alimentaires avant les innovations techniques et agricoles de la révolution industrielle, la régulation démographique se faisait souvent par des mécanismes sociaux et culturels. Par exemple, le système européen de mariage tardif et de célibat définitif limitait la croissance démographique en réduisant la période de fécondité des femmes et en diminuant ainsi le taux de natalité. De plus, la sélection naturelle jouait un rôle dans la dynamique des populations. Les épidémies, comme celles de la peste, et les famines éliminaient souvent les individus les plus vulnérables, laissant derrière eux une population qui avait soit une résistance naturelle soit des pratiques sociales qui contribuaient à la survie. Ce dynamisme homéostatique reflète la capacité des systèmes biologiques et sociaux à absorber les perturbations et à retourner à un état d'équilibre, bien que cet équilibre puisse se situer à un niveau différent de celui d'avant la perturbation. Comme dans les écosystèmes, où un incendie peut détruire une forêt mais est suivi par une régénération, les sociétés humaines ont développé des mécanismes pour gérer et surmonter les crises.

Micro et macro-stabilité de long terme[modifier | modifier le wikicode]

La perception historique de l'impuissance des populations face aux crises majeures, notamment la mort et la maladie, a longtemps été influencée par le manque apparent de moyens pour comprendre et contrôler ces événements. En effet, avant l'ère moderne et l'essor de la médecine scientifique, les causes exactes de nombreuses maladies et décès restaient souvent mystérieuses. De ce fait, les sociétés médiévales et pré-modernes étaient en grande partie dépendantes de la religion, des superstitions et des remèdes traditionnels pour tenter de faire face à ces crises. Cependant, cette vision de passivité complète a été remise en question par des recherches historiques plus récentes. Il est maintenant reconnu que même face à des forces apparemment incontrôlables, comme les épidémies de peste ou les famines, les populations de l'époque n'étaient pas entièrement résignées. Les paysans et autres classes sociales ont développé des stratégies pour atténuer les impacts des crises. Par exemple, ils ont adopté des pratiques agricoles innovantes, mis en place des mesures de quarantaine, ou même migré vers des régions moins touchées par la famine ou la maladie. Les mesures prises pouvaient aussi être de nature communautaire, comme l'organisation de la charité pour soutenir ceux qui étaient les plus touchés par la crise. De plus, les structures sociales et familiales pouvaient offrir un certain degré de résilience, en partageant les ressources et en soutenant les membres les plus vulnérables. Après la Seconde Guerre mondiale, la situation a radicalement changé avec la mise en place de systèmes de sécurité sociale dans de nombreux pays, l'avènement des soins de santé modernes et un accès accru à l'information qui a permis une meilleure compréhension et prévention des crises de santé publique. La sécurité d'existence s'est améliorée grâce à ces développements, réduisant considérablement le sentiment d'impuissance face à la maladie et à la mort.

Les régulations sociales : le système européen du mariage tardif et du célibat définitif[modifier | modifier le wikicode]

La mise en place : XVIème siècle – XVIIIème siècle[modifier | modifier le wikicode]

Au cours de la période allant du Moyen Âge jusqu'à la fin de la période pré-industrielle, les populations européennes ont mis en œuvre une stratégie de régulation démographique connue sous le nom de système européen de mariage tardif et de célibat définitif. Les données historiques révèlent que cette pratique a conduit à un âge au mariage relativement élevé et à des taux substantiels de célibat, en particulier chez les femmes. À titre d'exemple, les historiens ont documenté que pendant le XVIe siècle, l'âge moyen au premier mariage des femmes pouvait varier de 19 à 22 ans, tandis que vers le XVIIIe siècle, cet âge avait augmenté pour se situer entre 25 et 27 ans dans de nombreuses régions. Ces chiffres démontrent un décalage significatif par rapport aux normes de l'époque médiévale et contrastent nettement avec d'autres parties du monde où l'âge au mariage était nettement plus bas et où le célibat était moins courant. Le pourcentage de femmes qui ne se mariaient jamais était également notable. Les estimations indiquent qu'entre le XVIe et le XVIIIe siècle, environ 10% à 15% des femmes restaient célibataires toute leur vie. Ce taux de célibat a contribué à une limitation naturelle de la taille de la population, ce qui était particulièrement crucial dans une économie où la terre était la principale source de richesse et de subsistance. Ce système de mariage et de natalité a probablement été influencé par des facteurs économiques et sociaux. Les terres ne pouvant soutenir une population en croissance rapide, le mariage tardif et le célibat permanent ont servi de mécanisme de contrôle de la population. De plus, avec les systèmes d'héritage qui tendaient vers le partage égal des terres, avoir moins d'enfants signifiait éviter la division excessive des terres, ce qui aurait pu mener à un déclin économique des familles paysannes.

La ligne Saint Petersburg – Trieste[modifier | modifier le wikicode]

Ligne saint petersburg trieste.png

Le système de mariage tardif et de célibat définitif était caractéristique de certaines parties de l'Europe, notamment dans les régions occidentales et nordiques. La distinction entre l'Ouest et l'Est de l'Europe en ce qui concerne les pratiques de mariage était marquée par des différences sociales et économiques considérables. À l'Ouest, où ce système était en vigueur, on observait une ligne imaginaire allant de Saint-Pétersbourg à Trieste qui marquait la frontière de ce modèle démographique. Les paysans et les familles occidentales possédaient souvent leurs terres ou avaient des droits significatifs sur celles-ci, et l'héritage passait par la lignée familiale. Ces conditions favorisaient la mise en place d'une stratégie de limitation des naissances pour préserver l'intégrité et la viabilité des exploitations familiales. Les familles cherchaient à éviter la fragmentation des terres à travers les générations, ce qui aurait pu affaiblir leur position économique. En revanche, à l'Est de cette ligne, notamment dans les régions soumises au servage, le système était différent. Les paysans de l'Est de l'Europe étaient souvent serfs, liés à la terre de leur seigneur et ne disposaient pas de propriété qu'ils pourraient transmettre. Dans ce contexte, il n'y avait pas de pression économique immédiate pour limiter la taille de la famille par le biais du mariage tardif ou du célibat. Les pratiques matrimoniales étaient plus universelles et les mariages étaient souvent arrangés pour des raisons d'ordre social et économique, sans la considération directe d'une stratégie de préservation des terres familiales. Cette dichotomie entre l'Est et l'Ouest reflète la diversité des structures socio-économiques en Europe avant les grands bouleversements de la révolution industrielle, qui finiront par transformer en profondeur les systèmes de mariage et les structures familiales sur l'ensemble du continent.

Les effets démographiques[modifier | modifier le wikicode]

La période de fertilité d'une femme, souvent estimée entre 15 et 49 ans, est cruciale pour la compréhension de la dynamique démographique historique. Dans une société où l'âge moyen au mariage pour les femmes augmente, comme ce fut le cas en Europe de l'Ouest entre le XVIe et le XVIIIe siècle, les implications sur la fertilité globale sont importantes. Lorsque l'âge au mariage passe de 20 à 25 ans, les femmes entament leur vie reproductive plus tard, réduisant ainsi le nombre d'années pendant lesquelles elles sont susceptibles de concevoir. Les années immédiatement après la puberté sont souvent les plus fertiles, et retarder le mariage de cinq ans peut retirer plusieurs des années les plus fertiles de la vie d'une femme. Cela pourrait résulter en une baisse du nombre moyen d'enfants par femme, car il y aurait moins d'opportunités de grossesse au cours de sa vie reproductive. Si l'on considère qu'une femme peut avoir en moyenne un enfant tous les deux ans après le mariage, en supprimant cinq années de fertilité potentiellement haute, cela pourrait équivaloir à la réduction de la naissance de deux à trois enfants par femme. Cette diminution aurait un impact significatif sur la croissance démographique globale d'une population. En effet, cette pratique de mariage tardif et de limitation des naissances n'était pas due à une meilleure compréhension de la biologie de la reproduction ou à des mesures de contraception, mais plutôt à une réponse socio-économique aux conditions de vie. En limitant le nombre de leurs enfants, les familles pouvaient mieux allouer leurs ressources limitées, éviter la subdivision excessive des terres et préserver le bien-être économique des générations suivantes. Ce phénomène a contribué à une forme de régulation naturelle de la population avant l'avènement de la planification familiale moderne.

Mariage tardif et célibat définitif[modifier | modifier le wikicode]

Le système de régulation de la natalité en Europe occidentale, notamment du XVIe au XVIIIe siècle, reposait en grande partie sur des normes sociales et religieuses qui décourageaient la procréation hors du cadre du mariage. Dans ce contexte, un nombre significatif de femmes ne se mariaient pas, restant célibataires ou devenant veuves sans se remarier. Si l'on prend en compte que, dans certaines régions, jusqu'à 50% des femmes pouvaient être dans cette situation à un moment donné, l'impact sur les taux de natalité globaux serait considérable. La non-mariée et la veuvage signifiaient, pour la plupart des femmes de cette époque, qu'elles n'avaient pas d'enfants légitimes, en partie à cause des strictes conventions sociales et des enseignements de l'Église catholique qui promouvait la chasteté hors du mariage. Les mariages tardifs étaient encouragés et les relations sexuelles hors mariage étaient fortement condamnées, réduisant ainsi la probabilité de naissances hors mariage. Les naissances illégitimes étaient rares, avec des estimations autour de 2% à 3%. Ceci suggère une conformité relativement élevée aux normes sociales et religieuses, ainsi qu'un contrôle efficace de la sexualité et de la reproduction hors des liens du mariage. Cette dynamique sociale a donc eu pour effet de réduire de manière significative la fécondité globale, avec une réduction estimée jusqu'à 30%. Cela a joué un rôle essentiel dans la régulation démographique de l'époque, assurant un équilibre entre la population et les ressources disponibles dans un contexte où il y avait peu de moyens d'augmenter la production de ressources environnementales. Ainsi, les structures sociales et les normes culturelles ont servi de mécanisme de contrôle de la population, maintenant la stabilité démographique en l'absence de méthodes contraceptives modernes ou d'interventions médicales pour réguler la natalité.

La structure sociale et économique de l'Europe pré-industrielle avait une influence directe sur les pratiques matrimoniales. Le concept de "mariage égal ménage" était fortement ancré dans les mentalités, signifiant qu'un mariage n'était pas seulement l'union de deux personnes mais également la formation d'un nouveau foyer autonome. Cela impliquait la nécessité d'avoir un espace de vie propre, souvent sous la forme d'une ferme ou d'une maison, où le couple pouvait s'installer et vivre de manière indépendante. Cette nécessité d'obtenir une "niche" pour vivre limitait le nombre de mariages possibles à un moment donné. Les opportunités de mariage étaient donc étroitement liées à la disponibilité du logement, qui dans les sociétés agricoles dépendait de la transmission de propriété, telle que les fermes, souvent de génération en génération. La croissance démographique était limitée par la quantité fixe de terres et de fermes, qui ne s'accroissait pas au même rythme que la population. En conséquence, les jeunes couples devaient attendre qu'une propriété se libère, soit par le décès des occupants précédents, soit lorsque ceux-ci étaient prêts à céder leur place, souvent à leurs enfants ou à d'autres membres de la famille. Cela contribuait à retarder l'âge au mariage car les jeunes gens, en particulier les hommes qui étaient souvent attendus pour prendre en charge une ferme, devaient attendre d'avoir les moyens économiques de soutenir un ménage avant de se marier. En retardant le mariage, les périodes de fécondité des femmes étaient également raccourcies, ce qui contribuait à une baisse de la natalité globale. Ainsi, les limitations économiques et les contraintes de logement jouaient un rôle déterminant dans les stratégies matrimoniales et démographiques, favorisant l'émergence du modèle européen du mariage tardif et du ménage nucléaire, qui a eu un impact profond sur les structures sociales et les dynamiques de population en Europe jusqu'à la modernisation et l'urbanisation qui ont accompagné la révolution industrielle.

Le rôle des relations familiales et des attentes envers les enfants était un facteur important dans les stratégies matrimoniales et démographiques des sociétés pré-industrielles européennes. Dans un contexte où les systèmes de retraite et de soins pour les personnes âgées étaient inexistants, les parents dépendaient de leurs enfants pour obtenir un soutien dans leur vieillesse. Cela se traduisait souvent par la nécessité pour au moins un enfant de rester célibataire pour s'occuper de ses parents. Typiquement, dans une famille avec plusieurs enfants, il n'était pas rare qu'un accord tacite ou explicite désigne une des filles pour rester à la maison et prendre soin de ses parents. Ce rôle était souvent assumé par une fille, en partie parce que les fils étaient attendus pour travailler la terre, générer des revenus et perpétuer la lignée familiale. Les filles célibataires avaient aussi moins d'opportunités économiques et sociales hors du cadre familial, les rendant plus disponibles pour prendre soin de leurs parents. Cette pratique du célibat définitif comme forme de "sacrifice" familial avait plusieurs conséquences. D'un côté, elle assurait un certain soutien pour la génération plus âgée, mais de l'autre, elle réduisait le nombre de mariages et par conséquent, la natalité. Cela fonctionnait comme un mécanisme de régulation démographique naturel au sein de la communauté, contribuant ainsi à l'équilibre entre la population et les ressources disponibles. Ces dynamiques soulignent la complexité des liens entre structure familiale, économie, et démographie dans l'Europe pré-industrielle, et comment les choix personnels étaient souvent façonnés par des nécessités économiques et des devoirs familiaux.

L'homéostasie démographique, dans le contexte des sociétés pré-industrielles, reflète un processus de régulation naturelle de la population en réponse à des événements extérieurs. Lorsque ces sociétés étaient frappées par des crises de mortalité, telles que des épidémies, des famines ou des conflits, la population diminuait considérablement. Ces crises avaient pour conséquence indirecte de libérer des "niches" économiques et sociales, telles que des fermes, des emplois ou des rôles dans la communauté, qui étaient auparavant occupées par ceux qui sont décédés. Cela créait de nouvelles opportunités pour les générations survivantes. Les jeunes couples pouvaient se marier plus tôt parce qu'il y avait moins de concurrence pour les ressources et l'espace. Comme les mariages précoces sont généralement associés à une période de fertilité plus longue et donc à un nombre potentiellement plus élevé d'enfants, la population pouvait ainsi rebondir relativement rapidement après une crise. La fertilité accrue des couples mariés jeunes compensait les pertes démographiques subies pendant la crise, ce qui permettait à la population de retourner vers un état d'équilibre, selon les principes de l'homéostasie. Ce cycle de crise et de récupération démontre la résilience des populations humaines et leur capacité à s'adapter aux conditions changeantes, bien que souvent au prix de pertes humaines considérables. C'est une démonstration du concept de l'homéostasie appliqué à la démographie, où après une perturbation extérieure majeure, les systèmes sociaux et économiques inhérents à ces communautés tendaient à ramener la population à un niveau soutenable par les ressources disponibles et les structures sociales en place.

Nuances dans le système européen : les trois Suisses[modifier | modifier le wikicode]

Les pratiques matrimoniales et successorales variées en Suisse reflètent la manière dont les sociétés traditionnelles s'adaptaient aux contraintes économiques et environnementales. Dans le centre de la Suisse, le système matrimonial était influencé par des réglementations strictes qui restreignaient l'accès au mariage, privilégiant ainsi les familles aisées. Cette restriction était souvent accompagnée d'une transmission des terres selon un modèle inégalitaire, généralement au profit de l'aîné des fils. Cette dynamique avait des implications significatives pour les enfants non héritiers, qui étaient contraints de chercher des moyens de subsistance en dehors de leur lieu de naissance. Cette contrainte sur le mariage et l'héritage a eu pour effet de réguler la population locale, poussant à une émigration qui contribuait à l'équilibre démographique de la région. Les enfants non héritiers, en quittant la région pour chercher fortune ailleurs, permettaient d'éviter une surpopulation qui aurait pu résulter d'une division trop fragmentée des terres agricoles, préservant ainsi l'économie rurale et la stabilité sociale de leur communauté d'origine.

Dans le Valais, la situation matrimoniale et successorale contrastait nettement avec celle du centre de la Suisse. Sans restrictions légales sur le mariage, les individus pouvaient se marier plus librement, indépendamment de leur statut économique. Lorsqu'il s'agissait de l'héritage, la tradition du Valais favorisait une répartition égalitaire des biens. Les frères qui ne devenaient pas propriétaires étaient souvent indemnisés, un arrangement qui leur permettait de démarrer leur propre vie ailleurs, souvent par l'émigration. Ces pratiques successorales égalitaires menaient régulièrement à des accords entre les frères pour maintenir les terres agricoles intactes au sein de la famille, choisissant volontairement un seul héritier pour la gestion des terres et la continuation de l'entreprise familiale. Ce faisant, ils s'assuraient que les exploitations restaient viables et que la propriété foncière ne devenait pas trop morcelée pour rester productive. En même temps, cela contribuait également à un équilibre démographique, car les frères qui partaient cherchaient des opportunités en dehors du Valais, réduisant ainsi la pression sur les ressources locales.

En Suisse italienne, la dynamique sociale et démographique était fortement impactée par la mobilité professionnelle des hommes. Un grand nombre d'hommes quittaient leur domicile pour des périodes prolongées, allant de quelques mois à plusieurs années, pour trouver du travail ailleurs. Cette migration de travailleur, souvent saisonnière, avait pour conséquence un déséquilibre notable sur le marché matrimonial local, réduisant de facto le nombre de mariages possibles en raison de l'absence prolongée des hommes. Cette absence réduisait les occasions pour de nouvelles familles de se former, limitant ainsi le taux de natalité. En outre, les conventions sociales et les valeurs religieuses prédominantes maintenaient les femmes dans des rôles traditionnels et encourageaient la fidélité conjugale. Dans un tel contexte, les femmes avaient peu d'opportunités ou de tolérance sociale pour avoir des enfants en dehors du mariage. Ainsi, les normes culturelles combinées à l'absence des hommes jouaient un rôle clé dans le maintien d'un certain équilibre démographique, limitant l'accroissement naturel de la population en Suisse italienne.

Ces diverses pratiques illustrent comment la régulation de la croissance démographique pouvait être indirectement orchestrée par des mécanismes sociaux, économiques et culturels. Ils permettaient de gérer la taille de la population selon les capacités de l'environnement et des ressources, assurant la pérennité des structures familiales et la stabilité économique des communautés.

Un retour sur la mort omniprésente[modifier | modifier le wikicode]

La structure traditionnelle d'une famille complète implique un engagement de long terme, où le couple reste uni de leur mariage jusqu'à la fin de la période de fécondité de la femme, généralement autour de l'âge de 50 ans. Si cette continuité est maintenue sans interruption, la théorie suggère qu'une femme pourrait avoir sept enfants en moyenne au cours de sa vie. Cependant, cette situation idéale est souvent impactée par des perturbations telles que la mortalité prématurée de l'un des conjoints. La mort prématurée d'un conjoint, que ce soit le mari ou la femme, avant que la femme n'atteigne l'âge de 50 ans, peut réduire significativement le nombre d'enfants que le couple aurait pu avoir. De telles ruptures familiales sont courantes en raison des conditions de santé, des maladies, des accidents ou d'autres facteurs de risque liés à l'époque et au contexte social et économique. Lorsque l'on prend en compte ces décès prématurés et leurs effets sur la structure familiale, le nombre moyen d'enfants par famille tend à diminuer, avec une moyenne de quatre à cinq enfants par famille. Cette réduction est également un reflet des défis de la vie familiale et des taux de mortalité de l'époque, qui influençaient fortement la démographie et la taille des ménages.

L'enfance, à travers les siècles, a toujours été une période particulièrement vulnérable pour la survie humaine, et cela était encore plus marqué dans le contexte pré-moderne où les connaissances médicales et les conditions de vie étaient loin d'être optimales. À cette époque, un nombre considérable d'enfants, soit entre 20% et 30%, ne survivaient pas à leur première année de vie. En outre, seulement la moitié des enfants nés arrivaient à l'âge de quinze ans. Cela implique qu'un couple moyen ne produisait que deux à deux et demi enfants qui atteignaient l'âge adulte, ce qui n'était guère suffisant pour plus qu'un simple remplacement de la population. En conséquence, la croissance démographique restait stagnante. Cette précarité de l'existence et la familiarité avec la mort façonnaient profondément la psyché et les pratiques sociales de l'époque. Les populations développèrent des mécanismes d'homéostasie, des stratégies pour maintenir l'équilibre démographique en dépit des incertitudes de la vie. Parallèlement, la mort était tellement omniprésente qu'elle était intégrée dans la vie quotidienne. L'origine du terme "caveau" témoigne de cette intégration; il se réfère à la pratique consistant à enterrer les membres de la famille dans la cave de la maison, souvent par manque d'espace dans les cimetières. Ce rapport à la mort est frappant lorsqu'on considère l'histoire de Paris au XVIIIème siècle. Pour des raisons de santé publique, la ville a entrepris de vider ses cimetières surpeuplés situés à l'intérieur de ses murs. Lors de cette opération, les restes de plus de 1,6 million d'individus furent exhumés et transférés dans les catacombes. Cette mesure radicale souligne à quel point la mort était courante et combien peu de place elle laissait, au sens littéral comme figuré, dans la société de l'époque. La mort n'était pas une étrangère, mais une voisine familière avec laquelle il fallait cohabiter.

L'acceptation et la familiarité avec la mort dans la société pré-moderne se manifestent également à travers l'existence de guides et de manuels enseignant comment mourir de manière appropriée, souvent sous l'intitulé d'“Ars Moriendi” ou l'art de bien mourir. Ces textes étaient répandus en Europe dès le Moyen Âge, offrant des conseils pour mourir en état de grâce, conformément aux enseignements chrétiens. Ces manuels offraient des instructions sur la façon de faire face aux tentations spirituelles qui pourraient survenir à l'approche de la mort, et comment les surmonter afin d'assurer le salut de l'âme. Ils traitaient également de l'importance de recevoir les sacrements, de faire la paix avec Dieu et les hommes, et de laisser derrière soi des instructions pour le règlement de ses affaires et la répartition de ses biens. Dans ce contexte, la mort n'était pas seulement une fin mais aussi un passage critique qui nécessitait préparation et réflexion. Même dans les moments les plus sombres, comme lorsqu'une personne était condamnée à mort, cette culture de la mort offrait une forme de consolation paradoxale: le condamné avait, contrairement à beaucoup d'autres qui mouraient subitement ou sans avertissement, la possibilité de se préparer à son dernier moment, de se repentir de ses péchés et de partir en paix avec sa conscience. Cela reflétait une perception très différente de la mort de celle que nous avons aujourd'hui, où la mort subite est souvent considérée comme la plus cruelle, tandis que dans ces temps plus anciens, une telle mort sans préparation était perçue comme une tragédie pour l'âme.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

  • Carbonnier-Burkard Marianne. Les manuels réformés de préparation à la mort. In: Revue de l'histoire des religions, tome 217 n°3, 2000. La prière dans le christianisme moderne. pp. 363-380. url :/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_2000_num_217_3_103

Références[modifier | modifier le wikicode]