La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le Japon

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Basé sur un cours de Michel Oris[1][2]

Structures Agraires et Société Rurale: Analyse de la Paysannerie Européenne PréindustrielleLe régime démographique d'ancien régime : l'homéostasieÉvolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la ModernitéOrigines et causes de la révolution industrielle anglaiseMécanismes structurels de la révolution industrielleLa diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le JaponLes coûts sociaux de la révolution industrielleAnalyse Historique des Phases Conjoncturelles de la Première MondialisationDynamiques des Marchés Nationaux et Mondialisation des Échanges de ProduitsLa formation de systèmes migratoires mondiauxDynamiques et Impacts de la Mondialisation des Marchés de l'Argent : Le Rôle Central de la Grande-Bretagne et de la FranceLa transformation des structures et des relations sociales durant la révolution industrielleAux Origines du Tiers-Monde et l'Impact de la ColonisationEchecs et blocages dans les Tiers-MondesMutation des Méthodes de Travail: Évolution des Rapports de Production de la Fin du XIXe au Milieu du XXeL'Âge d'Or de l'Économie Occidentale : Les Trente Glorieuses (1945-1973)L'Économie Mondiale en Mutation : 1973-2007Les défis de l’État-ProvidenceAutour de la colonisation : peurs et espérances du développementLe Temps des Ruptures: Défis et Opportunités dans l'Économie InternationaleGlobalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »

L'essor économique et la dynamique industrielle des États-Unis ainsi que l'éveil industriel du Japon sont des chapitres fascinants de l'histoire mondiale qui invitent à la réflexion sur la stratégie et l'adaptabilité. Ce cours propose une exploration narrative de ces développements, en commençant par les racines du protectionnisme aux États-Unis, une doctrine économique soigneusement tissée par Alexander Hamilton. À travers le prisme de l'histoire, nous verrons comment les tensions entre le Nord industriel et le Sud agricole ont façonné la trajectoire économique du pays.

En parallèle, nous nous transporterons vers l'archipel japonais, où une nation autrefois repliée sur elle-même a rencontré le vent du changement avec l'arrivée des navires américains. Le récit se poursuivra en retraçant le chemin du Japon depuis l'ère Meiji, où des réformes progressistes ont transformé l'agriculture et où la soif de savoir a mené à des voyages instructifs à travers l'Europe.

En tissant ensemble les fils de l'éducation, de l'innovation et de la politique internationale, nous découvrirons comment ces pays ont non seulement consolidé leur indépendance mais également établi leur influence. Les récits de cette période ne manqueront pas d'illustrer comment des décisions cruciales ont préparé le terrain pour l'échiquier géopolitique actuel. Ce parcours didactique est moins une leçon qu'une invitation au voyage dans le temps, où chaque étape révèle des choix stratégiques qui ont, pas à pas, façonné notre ère contemporaine.

Le cas des États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

Un marché intérieur de taille[modifier | modifier le wikicode]

Alexander Hamilton.

La Révolution industrielle aux États-Unis s'est distinguée par une croissance économique essentiellement alimentée par la demande intérieure, un phénomène largement soutenu par divers facteurs démographiques et économiques. À la fin du XIXe siècle, le pays comptait déjà un marché intérieur de plus de 60 millions d'habitants, suite à une vague importante d'immigration qui avait vu plus de 23 millions d'Européens s'installer aux États-Unis depuis le début du siècle. Avec un territoire étendu et riche en ressources naturelles, les États-Unis n'avaient pas à dépendre fortement des importations pour leurs matières premières. Les vastes réserves de charbon, de fer et d'autres minéraux ont fourni une base solide pour l'essor industriel. L'exploitation pétrolière, qui a commencé avec le premier puits de pétrole en Pennsylvanie en 1859, a également alimenté l'industrialisation. Les immigrants européens non seulement ont stimulé la demande de biens de consommation mais ont aussi fourni une main-d'œuvre abondante pour les industries en plein essor. Cette main-d'œuvre a été cruciale dans l'établissement d'un marché du travail dynamique et diversifié, capable de soutenir des secteurs industriels variés. Les investissements en infrastructure ont également joué un rôle clé. Par exemple, le réseau de chemins de fer, qui s'est considérablement étendu après la Guerre Civile, a atteint près de 200 000 miles de voies ferrées à la fin du siècle. Cela a non seulement aidé à ouvrir et à intégrer les marchés régionaux, mais a également réduit les coûts de transport, rendant les produits américains plus compétitifs. L'innovation a été un moteur de l'industrialisation, soutenue par un cadre juridique favorable qui a encouragé la recherche et la protection de la propriété intellectuelle. L'esprit d'entreprise a été cultivé, et des figures telles que Thomas Edison avec ses 1 093 brevets ont symbolisé cette période de créativité intense. La politique gouvernementale, en mettant en place des tarifs douaniers élevés, a protégé les industries naissantes, permettant aux entreprises américaines de prospérer à l'abri de la concurrence étrangère. Cela a favorisé un environnement dans lequel les industries pouvaient grandir sans avoir à dépendre fortement des marchés extérieurs. L'économie américaine a bénéficié d'une combinaison de politiques stratégiques, de ressources abondantes et d'un afflux constant de talents et de main-d'œuvre. Tout cela a contribué à une croissance économique qui a été remarquablement autonome, se traduisant par une proportion élevée de la richesse nationale générée par les activités internes. Cette autarcie économique a jeté les bases de la superpuissance que les États-Unis sont devenus au cours du siècle suivant.

Sous le système mercantiliste de l'Empire britannique, les colonies américaines étaient souvent limitées dans leur développement économique. L'Angleterre voyait les colonies principalement comme des sources de matières premières et comme des marchés pour ses produits manufacturés. Les lois commerciales et de navigation britanniques visaient à contrôler le commerce colonial et à garantir que les bénéfices économiques reviennent à la métropole. Cela incluait des restrictions sur la fabrication dans les colonies et l'obligation pour les colonies d'exporter certaines matières premières uniquement vers l'Angleterre. Ces politiques ont engendré un mécontentement croissant parmi les colons américains, qui ont commencé à voir ces restrictions comme un frein à leur prospérité et à leur liberté économique. La taxe sur le thé, et d'autres taxes perçues par les lois Townshend, étaient particulièrement impopulaires parce qu'elles étaient imposées sans la représentation des colons dans le Parlement britannique, d'où le célèbre slogan "No taxation without representation". Le Boston Tea Party de 1773 a été une réponse directe à ces taxes et au monopole accordé à la Compagnie britannique des Indes orientales sur le commerce du thé. Cette action de protestation symbolique a été l'une des étincelles qui ont conduit à la Révolution américaine et finalement à la déclaration d'indépendance des États-Unis en 1776. Après l'indépendance, les États-Unis ont cherché à diversifier leur économie et à réduire leur dépendance vis-à-vis des produits européens. Les dirigeants américains, tels qu'Alexander Hamilton, ont soutenu le développement d'une économie mixte comprenant à la fois l'agriculture et l'industrie. Hamilton a notamment prôné l'usage de tarifs protecteurs pour aider les industries naissantes des États-Unis à se développer face à la concurrence étrangère. Au fur et à mesure que le XIXe siècle progressait, les États-Unis ont de plus en plus adopté des politiques économiques qui favorisaient l'industrialisation et le développement d'un marché intérieur robuste, contribuant ainsi à leur ascension en tant que puissance économique.

Alexander Hamilton, en tant que premier Secrétaire au Trésor des États-Unis, a joué un rôle déterminant dans la mise en place de politiques économiques qui allaient façonner le développement économique du pays. Dans son célèbre rapport sur les manufactures, présenté en 1791, Hamilton a préconisé l'utilisation de tarifs protecteurs pour encourager le développement de l'industrie nationale, qui était alors naissante et incapable de rivaliser sur un pied d'égalité avec les industries britanniques bien établies et plus développées. Hamilton soutenait que sans protection tarifaire, les industries américaines auraient du mal à se développer face à la concurrence des produits importés, qui étaient souvent moins chers en raison des économies d'échelle et de l'avancement technologique dont bénéficiaient les producteurs européens. Il a proposé des mesures telles que les tarifs à l'importation pour rendre les produits étrangers plus chers et donc moins attractifs par rapport aux produits fabriqués localement. Cependant, il s'est également opposé aux taxes à l'exportation, comprenant que de telles taxes pourraient pénaliser les exportateurs américains et réduire la compétitivité des matières premières américaines sur les marchés mondiaux. La guerre civile américaine, qui a duré de 1861 à 1865, a représenté un conflit non seulement idéologique et social mais aussi économique. Le Nord industrialisé prônait un système protectionniste qui protégeait ses industries en imposant des tarifs élevés sur les biens importés. À l'inverse, le Sud, qui était principalement agraire et dépendant de l'exportation de coton, soutenait le libre-échange pour continuer à bénéficier des marchés d'exportation européens sans tarifs prohibitifs. La victoire du Nord a marqué le triomphe du protectionnisme aux États-Unis et a mis en place des conditions favorables à une industrialisation rapide après la guerre. Cette période après la guerre de Sécession a vu les États-Unis devenir l'une des principales puissances industrielles mondiales, grâce en partie à ces politiques protectionnistes qui ont encouragé le développement des industries nationales.

Dynamisme et protectionnisme[modifier | modifier le wikicode]

La politique de protectionnisme aux États-Unis était fortement influencée par le désir d'indépendance économique vis-à-vis de l'Angleterre et d'autres puissances industrielles européennes. Alexander Hamilton a été un ardent défenseur de cette approche. Sa vision était qu'un système de droits de douane protecteurs était nécessaire pour permettre aux industries naissantes américaines de se développer et de concurrencer les importations britanniques, qui bénéficiaient de l'avance industrielle et technologique de la Grande-Bretagne. Hamilton a argumenté que les jeunes industries américaines avaient besoin de temps pour mûrir et devenir compétitives. Les droits de douane devaient donc servir de mesure temporaire pour donner aux entreprises nationales le temps de croître sans être écrasées par la concurrence étrangère. En pratique, cela signifiait imposer des tarifs sur les produits importés qui concurrençaient directement les produits fabriqués aux États-Unis. Ces tarifs rendaient les produits étrangers plus chers, ce qui rendait les produits américains relativement moins coûteux en comparaison et plus attrayants pour les consommateurs locaux. Cette stratégie s'inscrivait dans un cadre plus large de politiques visant à renforcer l'économie nationale, y compris la création d'une banque nationale et la standardisation de la monnaie. Les tarifs douaniers étaient une source importante de revenu pour le gouvernement fédéral à une époque où les autres formes d'imposition étaient encore limitées. Au fil du temps, le protectionnisme est devenu un élément central de la politique économique américaine et est resté prédominant pendant de nombreuses décennies, notamment avec la passage des Tariffs Act, comme le Morrill Tariff de 1861, qui a augmenté les droits de douane peu avant le début de la guerre de Sécession, et qui a été suivi par d'autres augmentations pendant et après la guerre. Les politiques protectionnistes ont été débattues et adaptées tout au long de l'histoire économique des États-Unis, reflétant les changements dans les besoins de l'économie nationale, la pression des différents groupes d'intérêts, et l'évolution des théories économiques.

Les États du Nord, en pleine industrialisation, bénéficiaient de la politique protectionniste pour développer leur industrie naissante. Les droits de douane sur les produits importés les protégeaient de la concurrence européenne, en particulier des produits manufacturés britanniques qui étaient souvent moins chers et de meilleure qualité en raison de l'avance de la révolution industrielle au Royaume-Uni. En revanche, l'économie du Sud reposait fortement sur l'agriculture, et plus spécifiquement sur la production de coton, qui était surnommé "l'or blanc". Cette culture était extrêmement lucrative, en grande partie à cause de la main-d’œuvre esclave qui réduisait drastiquement les coûts de production. Le coton du Sud était en grande demande, non seulement par l'industrie textile du Nord, mais aussi par celle de l'Europe, en particulier par les usines de Manchester, en Angleterre. Les planteurs du Sud étaient donc en faveur du libre-échange car cela leur permettait d'exporter leur coton sans restrictions et de bénéficier de produits manufacturés importés à moindre coût. En réponse au protectionnisme américain, les nations européennes, et l'Angleterre en particulier, pouvaient imposer leurs propres droits de douane sur les importations de coton, ce qui nuisait aux intérêts économiques du Sud. Cette opposition d'intérêts économiques était l'un des nombreux facteurs qui ont conduit à la fracture entre le Nord et le Sud, et qui ont finalement débouché sur la guerre civile. Avec la victoire du Nord, la politique protectionniste s'est renforcée, ce qui a fourni un terreau propice à la poursuite de l'industrialisation et à la transformation économique des États-Unis en une puissance industrielle majeure à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La guerre civile et l'abolition de l'esclavage ont également signifié la fin de l'ancien système économique du Sud, qui devait s'adapter à une nouvelle réalité économique post-esclavagiste et plus diversifiée.

L'industrialisation des États-Unis au cours du XIXe siècle fut une période de transformation radicale et de croissance fulgurante. Entre 1820 et 1910, le pays a connu une multiplication par 11 de son Produit National Brut (PNB), tandis que le PNB européen triplait seulement. Pendant cette même période, le PNB par habitant aux États-Unis a presque triplé, reflétant une amélioration considérable du niveau de vie et une efficacité productive accrue. Cette croissance était étayée par des innovations technologiques majeures et par une population qui quadruplait, grâce en grande partie à l'immigration soutenue. Les États-Unis attiraient des personnes en quête de prospérité, ce qui leur assurait un réservoir continu de travailleurs et d'entrepreneurs. Avec cette augmentation démographique, l'industrie américaine ne connaissait jamais de pénurie de main-d'œuvre, et l'afflux des capitaux se faisait de manière simultanée. Les investissements, qu'ils soient nationaux ou étrangers, affluaient, attirés par les opportunités industrielles et commerciales en expansion. L'exploitation des ressources naturelles abondantes, à l'image du Mississippi qui jouait un rôle clé dans le transport et la distribution de marchandises, ajoutait à cette prospérité. Ce fleuve avait une force motrice comparable à celle de nombreuses machines à vapeur, symbolisant l'ingéniosité et l'exploitation optimale des avantages naturels du pays. Le développement des États-Unis à cette époque a été si remarquable qu'il est devenu synonyme de développement, de richesse, et de dynamisme économique à l'échelle mondiale. La combinaison de l'accroissement de la productivité, des innovations, de la main-d'œuvre qualifiée, et de l'utilisation stratégique des ressources naturelles a solidifié la position des États-Unis comme une des premières puissances économiques mondiales au début du XXe siècle.

En 1913, les États-Unis s'étaient établis comme la première puissance économique mondiale, grâce à une série de transformations et de développements stratégiques. L'industrialisation accélérée, soutenue par une série d'innovations technologiques marquantes, a propulsé la production industrielle au-delà de celle des économies européennes. La démographie du pays a connu une croissance exponentielle, alimentée par l'immigration et des taux de natalité élevés, fournissant ainsi à la fois un vaste marché de consommateurs internes et une abondante main-d'œuvre industrielle. D'importants investissements dans les infrastructures, en particulier les chemins de fer, ont tissé un réseau reliant les différentes régions du pays, ouvrant de nouveaux marchés et simplifiant le commerce national. Les avancées technologiques ont également joué un rôle clé, en particulier dans la production d'énergie et les méthodes de production de masse, augmentant considérablement l'efficacité industrielle. Sur le plan économique, les politiques protectionnistes ont abrité les industries naissantes de la concurrence internationale, tandis que l'essor d'un marché intérieur unifié a stimulé les affaires. Le secteur financier américain a connu une croissance robuste, avec un système bancaire développé et la concentration de capital qui ont facilité l'investissement dans les entreprises et les grands projets industriels. L'agriculture n'était pas en reste, avec une production mécanisée et hautement productive qui a non seulement soutenu la population en expansion mais a aussi généré d'importants excédents pour l'exportation. De plus, la relative stabilité politique des États-Unis, en comparaison avec les puissances européennes souvent en proie à des conflits ou à l'approche de la Première Guerre mondiale, a contribué à un environnement propice à la croissance économique. Cette conjoncture favorable, alliée à une période de paix interne suivant la Guerre de Sécession, a permis aux États-Unis de devenir un leader économique global, position qui fut renforcée avec leur entrée dans la Première Guerre mondiale, où ils jouèrent un rôle de fournisseur essentiel pour les nations belligérantes tout en restant à l'écart des premiers conflits.

Les spécificités du Japon[modifier | modifier le wikicode]

L'empereur Meiji vers la fin de son règne.

Le succès industriel du Japon, surtout par rapport à d'autres pays en dehors de l'Europe et de l'Amérique du Nord, a démenti la notion selon laquelle la modernité et l'industrialisation étaient exclusivement l'apanage des nations occidentales. Cette transformation japonaise, appelée l'ère Meiji, après la restauration de l'empereur Meiji en 1868, est une histoire de modernisation rapide et intentionnelle. Le Japon, isolé pendant des siècles sous la politique du sakoku, s'est ouvert sous la pression des puissances occidentales. Contrairement à l'Égypte ou aux pays d'Amérique latine, le Japon a entrepris une série de réformes radicales pour transformer son économie et sa société afin d'éviter la domination étrangère. L'élite dirigeante japonaise a reconnu que pour préserver leur indépendance, ils devaient adopter les technologies et les méthodes occidentales, mais en les adaptant à leur propre contexte culturel et social. Ils ont envoyé des étudiants et des délégations à l'étranger pour apprendre les pratiques occidentales dans l'ingénierie, la science et le gouvernement. De retour au Japon, ces connaissances ont été utilisées pour établir des infrastructures modernes, comme les chemins de fer et les systèmes de télécommunication, ainsi que pour moderniser l'armée. L'industrialisation a été également encouragée par des politiques gouvernementales qui ont établi et soutenu de nouvelles industries avec des investissements en capitaux, souvent par la nationalisation avant de transférer ces entités au secteur privé. La culture japonaise, avec son emphase sur la discipline, le travail acharné et l'harmonie sociale, a facilité l'adoption de pratiques de travail industriel. De plus, le Japon avait une tradition de centralisation du pouvoir sous le shogunat, ce qui a permis au gouvernement Meiji de diriger efficacement la transformation nationale. Le résultat fut que le Japon devint une puissance industrielle et militaire, ce qui fut démontré par sa victoire dans la guerre russo-japonaise en 1905. Cela a positionné le Japon comme un acteur majeur sur la scène mondiale et a inspiré d'autres pays asiatiques et africains, prouvant qu'il était possible de moderniser et de réussir l'industrialisation sans perdre entièrement sa culture et son autonomie. Le Japon a réussi là où d'autres pays non occidentaux avaient échoué, en mettant en œuvre une stratégie d'industrialisation délibérée, tout en conservant une indépendance politique et culturelle. Cela a abouti à un modèle unique de développement industriel qui a propulsé le Japon au rang de deuxième économie mondiale jusqu'au début du XXIe siècle.

La période d'isolation du Japon, connue sous le nom de sakoku, durant laquelle les étrangers étaient largement interdits d'entrée et les Japonais interdits de quitter le pays, a été une caractéristique distinctive de la politique des Tokugawa. De 1640 à 1853, cette politique a non seulement isolé le Japon des influences et des conflits étrangers mais a également permis au pays de développer une culture et une économie internes uniques, sans l'interférence ou la concurrence directe des puissances coloniales européennes. Bien que le sakoku ait été une fermeture relative, ce n'était pas une isolation totale. Le Japon entretenait des relations limitées avec certaines nations étrangères, comme les Pays-Bas, à travers le comptoir commercial de Dejima dans la baie de Nagasaki, et avec la Chine et la Corée par le biais de contacts restreints et contrôlés. Ces échanges sélectifs ont permis au Japon de rester informé des développements mondiaux sans pour autant s'exposer à une influence étrangère accablante. Le Japon a ainsi été préservé de nombreuses conséquences négatives de la colonisation, y compris l'exposition à des maladies étrangères contre lesquelles la population n'avait pas d'immunité. Cela contraste fortement avec l'expérience de nombreux peuples autochtones dans les Amériques, par exemple, où l'introduction de maladies comme la variole et la grippe par les Européens a causé des pandémies dévastatrices. Lorsque le Japon s'est ouvert sous la pression des flottes noires du commodore Perry des États-Unis en 1853, il a pu négocier sa position dans le monde avec une relative indépendance, en partie grâce à sa période d'isolement. Cela lui a permis de moderniser de son propre chef et à ses propres conditions, plutôt que d'être forcé de suivre les diktats d'une puissance coloniale. Cette modernisation auto-dirigée, qui a débuté avec l'ère Meiji, a mis en place les fondations d'un Japon industriel qui serait finalement reconnu comme une puissance mondiale au début du XXe siècle.

Exercice des troupes américaines à Shimoda devant l'envoyé de l'empereur, le 8 juin 1854, lithographie de 1856.

Le débarquement de la flotte militaire américaine, connue sous le nom de flotte des "Black Ships" dirigée par le commodore Matthew Perry en 1853, fut un tournant pour le Japon. Cet événement a marqué la fin de la politique d'isolationnisme du Japon (sakoku) et a ouvert la voie à la modernisation du pays. Le commodore Perry a navigué dans la baie d'Edo (aujourd'hui Tokyo) avec une flotte de navires noirs armés et a exigé que le Japon ouvre ses ports au commerce international, utilisant la démonstration de la force navale américaine comme moyen de persuasion. Conscients de leur infériorité militaire technologique et désireux d'éviter le sort des autres nations colonisées, les dirigeants japonais ont accepté de signer le traité de Kanagawa en 1854. Ce traité a stipulé que:

  • Les ports de Shimoda et Hakodate seraient ouverts au commerce américain, brisant ainsi plus de deux siècles d'isolement économique.
  • Les navires américains pourraient se réapprovisionner et se réparer dans ces ports.
  • Un consul américain serait établi à Shimoda, une étape importante vers des relations diplomatiques régulières.

Contrairement à ce qui est parfois perçu, le traité n'a pas permis un commerce totalement libre et sans taxe. Il a plutôt ouvert les ports pour le réapprovisionnement et établi des relations diplomatiques, posant les bases pour des négociations commerciales futures. Cela a été suivi par d'autres accords, appelés Traités inégaux, qui ont été plus avantageux pour les États-Unis et d'autres puissances occidentales, en forçant le Japon à concéder des droits de commerce et de navigation, ainsi que des exemptions de taxes pour leurs ressortissants. Ces événements ont forcé le Japon à se moderniser rapidement pour résister à l'influence étrangère et ont été un catalyseur de la restauration Meiji en 1868, qui a transformé le Japon en une nation industrielle et impériale moderne.

L'arrivée impressionnante de la flotte américaine au Japon a agi comme un électrochoc pour le pays, révélant brutalement l'écart technologique et militaire qui le séparait des puissances occidentales. Cette prise de conscience a été un moteur essentiel pour le Japon, lui montrant qu'une ouverture et une modernisation étaient cruciales pour maintenir son indépendance et ne pas subir le sort de nombreuses autres nations colonisées. Cette révélation a culminé avec la révolution Meiji, commençant en 1868, une période charnière qui a marqué un changement radical dans l'organisation politique, sociale et économique du Japon. Elle a signifié la restauration du pouvoir impérial, l'abolition du shogunat, et a lancé une série de réformes pour transformer rapidement le Japon en une nation industrialisée. En embrassant l'industrialisation et en adoptant les technologies, les pratiques administratives et même les aspects culturels de l'Occident, le Japon a cherché à se positionner sur un pied d'égalité avec les grandes puissances du monde, entamant ainsi son ascension vers une puissance économique mondiale.

La réforme agraire entreprise durant la période Meiji fut un pivot dans le développement économique du Japon. Cette réforme a changé la structure fiscale liée à l'agriculture, qui formait le socle de l'économie japonaise de l'époque. En remplaçant les taxes variables, qui étaient prélevées en fonction de la taille des récoltes, par un système de taxation fixe basé sur la valeur estimée des terres, le gouvernement Meiji a pu stabiliser ses revenus fiscaux. Ce nouveau système avait plusieurs avantages. D'abord, il a permis au gouvernement de prévoir avec précision ses recettes fiscales, ce qui est crucial pour la planification et le développement des infrastructures et des services. Ensuite, en décorrélant l'impôt de la production réelle, les paysans étaient moins pénalisés en cas de mauvaises récoltes et pouvaient réinvestir davantage dans leur production lors des années fastes. De plus, en rendant les taxes fixes, il y avait un encouragement à accroître la productivité et l'efficacité agricole, puisque toute augmentation de la production se traduisait directement par une augmentation du revenu net du paysan. Cette réforme a aussi permis la mobilisation de capitaux nécessaires pour financer la modernisation et l'industrialisation du pays. Avec des revenus plus prévisibles, le gouvernement pouvait émettre des bons du trésor et investir dans des projets d'infrastructure, comme les chemins de fer et les ports, qui allaient s'avérer déterminants pour l'intégration des marchés nationaux et l'accélération du développement industriel. En consolidant sa base fiscale et en incitant à une production agricole plus intensive, le Japon jetait les fondations de sa future croissance économique et de son élévation au rang de puissance industrielle.

Au tournant du 20e siècle, le Japon a connu une croissance démographique rapide et une modernisation qui a entraîné des changements sociaux et économiques considérables. L'une des réponses du gouvernement à ces défis a été de faciliter l'émigration vers des pays comme le Brésil et le Pérou. Ces politiques d'émigration visaient à résoudre plusieurs problèmes. Premièrement, elles offraient une solution à la surpopulation rurale et à la pression sur les terres agricoles, en transférant une partie de la population dans des régions où il y avait une demande de main-d'œuvre agricole et où des opportunités d'acquérir des terres étaient disponibles. Deuxièmement, cela permettait également au Japon de tisser des liens économiques avec d'autres nations, ce qui pouvait potentiellement ouvrir des marchés pour ses exportations et contribuer à sa croissance économique. Le Brésil et le Pérou, avec leurs vastes étendues de terres arables et leur besoin de main-d'œuvre pour les plantations de café et d'autres cultures, étaient des destinations attrayantes pour les migrants japonais. De plus, les deux pays étaient ouverts à l'immigration japonaise, espérant que cela contribuerait au développement de leur agriculture et économie. Les Japonais qui ont émigré ont établi des communautés prospères, en particulier au Brésil, qui abrite aujourd'hui la plus grande population japonaise en dehors du Japon. Cette diaspora a non seulement aidé à soulager la pression démographique au Japon, mais a également contribué à la diffusion de la culture et des compétences japonaises à l'étranger. L'exemple d'Alberto Fujimori en tant que descendant d'immigrés japonais devenant président du Pérou dans les années 1990 illustre l'influence et le succès que ces communautés ont pu atteindre en Amérique Latine. Cela montre comment les politiques d'émigration japonaises du début du siècle ont eu des répercussions durables et significatives bien au-delà des frontières du Japon.

La Restauration Meiji au Japon a été une période de modernisation et d'industrialisation rapide, engagée par le gouvernement pour transformer le pays en une puissance mondiale. Pour y parvenir, le gouvernement Meiji a adopté une stratégie d'État dirigiste pour l'établissement d'un secteur industriel. Initialement, l'État a pris l'initiative de créer des industries. Ces industries étaient souvent des modèles inspirés directement des avancées technologiques et industrielles observées en Europe, notamment en Angleterre, qui était alors à la pointe de la révolution industrielle. En instaurant ces entreprises, le gouvernement a non seulement posé les bases d'un tissu industriel national moderne, mais a également acquis les compétences et les connaissances technologiques nécessaires pour concurrencer sur la scène internationale. Après avoir mis en place ces industries avec succès, l'État les a vendues au secteur privé. Cette privatisation avait plusieurs objectifs. Elle permettait de lever des capitaux pour l'État et d'encourager l'investissement privé dans l'économie. De plus, elle diffusait les pratiques industrielles à travers l'économie et favorisait une croissance économique plus large et durable, menée par le secteur privé. Pour s'assurer le soutien des puissants daimyos (seigneurs féodaux) et samouraïs qui avaient été les dirigeants du pays durant la période Edo, le gouvernement a converti leur statut économique. Les indemnités qu'ils recevaient en riz ont été converties en obligations d'État et en espèces, ce qui leur a donné les moyens de participer à la nouvelle économie capitaliste. Beaucoup ont été encouragés à investir dans les nouvelles entreprises industrielles. Ces politiques ont eu pour effet de consolider l'unité nationale et de créer une classe d'entrepreneurs et d'industriels qui voyaient leur réussite économique comme liée à la réussite de la nation. L'engagement patriotique dans l'industrialisation a été fortement promu par le gouvernement, qui a inculqué l'idée que contribuer au développement industriel était un devoir national. En conséquence, la période Meiji a vu l'émergence d'un Japon modernisé et industrialisé, capable de rivaliser avec les puissances occidentales tant sur le plan militaire que commercial.

Le Japon, au cours de la période de transformation radicale connue sous le nom d'ère Meiji, a adopté une stratégie d'État proactive pour l'acquisition de connaissances et de technologies étrangères. Cette stratégie était un élément central de son processus d'industrialisation et de modernisation. Le gouvernement a joué le rôle d'importateur initial, envoyant des délégations d'étudiants et de fonctionnaires à l'étranger, notamment en Europe et aux États-Unis, pour étudier et acheter des technologies avancées. Ces émissaires ont acquis non seulement des machines, mais aussi des savoir-faire et des connaissances en matière de production industrielle, comprenant la conception d'usines, la fabrication d'armes, et d'autres biens manufacturés. Ces connaissances ont ensuite été transférées au Japon, où des formateurs enseignaient aux artisans locaux comment utiliser ces nouvelles machines. Ces formations se déroulaient souvent dans des centres d'apprentissage ou au sein même des nouvelles usines construites sur le modèle occidental. Les artisans japonais, réputés pour leur finesse et leur habileté technique, se sont rapidement adaptés aux technologies importées. L'efficacité avec laquelle ces compétences ont été assimilées et améliorées a permis au Japon de devenir indépendant des importations occidentales relativement rapidement. En peu de temps, le pays a commencé à produire localement les biens qui étaient auparavant importés, et avec le temps, a même commencé à exporter des biens manufacturés. Cette indépendance technologique a constitué un pilier de la nouvelle puissance économique du Japon, le propulsant vers le statut de nation industrialisée et lui permettant de se hisser parmi les puissances mondiales de l'époque.

Durant l'ère Meiji, qui commence en 1868, le Japon se lance dans une ambitieuse stratégie de modernisation. Au lieu de s'appuyer sur des experts étrangers, le pays envoie ses jeunes étudier dans les universités et les écoles techniques de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Ces étudiants japonais acquièrent des compétences avancées et, une fois de retour dans leur pays, deviennent les artisans de la transformation industrielle de la nation. Ces jeunes formés à l'étranger ne sont pas seulement armés de connaissances techniques ; ils sont également empreints d'un fort sentiment patriotique, désireux d'utiliser leur expertise pour contribuer à l'essor du Japon. Ils s'attellent à adapter et améliorer les technologies occidentales, en les ajustant aux besoins et conditions locaux du Japon. Leur travail permet au pays de s'affranchir progressivement de sa dépendance envers l'Occident et d'établir ses propres industries. L'objectif est clair : transformer le Japon en une puissance industrielle autonome, avec ses propres marques et technologies capables de rivaliser sur le marché mondial. Ce processus d'assimilation, d'innovation et d'amélioration conduit le Japon, en l'espace de quelques décennies, à passer d'une société isolée et traditionnelle à un acteur industriel majeur sur la scène internationale.

L'enseignement au Japon, même avant l'ère Meiji, possédait des racines profondes dans la société, ce qui a considérablement facilité l'adoption des innovations occidentales au cours de la révolution industrielle du pays. Dès le XVIIe siècle, un réseau éducatif relativement développé existait déjà, ce qui est remarquable compte tenu de la complexité de l'écriture japonaise, composée de kanji (caractères chinois) et de kana (syllabaires). Vers le milieu du XIXe siècle, le taux d'alphabétisation au Japon était impressionnant, avec seulement la moitié de la population incapable de lire ou d'écrire, une statistique notable surtout quand on la compare à d'autres nations de l'époque. Cela signifie que la population avait déjà une base sur laquelle construire de nouvelles compétences et connaissances. Lorsque le gouvernement Meiji s'est engagé dans son processus de modernisation, il s'est tourné vers les modèles éducatifs occidentaux, en particulier le modèle américain, pour refondre et améliorer son système éducatif. Ce faisant, il a créé un cadre qui a non seulement permis l'acquisition rapide de nouvelles compétences techniques nécessaires à l'industrialisation, mais a aussi encouragé une pensée critique et innovante. Cette approche a eu pour effet de renforcer davantage la capacité du Japon à assimiler la technologie occidentale et à la faire sienne, créant ainsi une main-d'œuvre instruite et compétente prête à soutenir la croissance et le développement économique du pays.

L'approche japonaise durant l'ère Meiji était caractérisée par une politique d'emprunt sélectif et stratégique des meilleures pratiques internationales, une forme d'éclectisme industriel et culturel qui a permis au Japon de s'élever rapidement sur la scène mondiale sans dépendre excessivement d'une seule autre nation ou d'un seul modèle étranger. La marine impériale japonaise, par exemple, a été modelée d'après la Royal Navy britannique, qui était considérée à l'époque comme la force maritime la plus puissante du monde. En s'inspirant de ce modèle, le Japon a pu développer une force navale moderne capable de défendre ses intérêts et d'étendre son influence. De même, l'armée de terre japonaise a tiré des leçons de la Grande Armée de Napoléon, une force connue pour ses tactiques révolutionnaires et son organisation. Cela a permis à l'infanterie japonaise de moderniser sa structure et de s'adapter aux méthodes de guerre contemporaines. Sur le plan politique, le gouvernement japonais a choisi de s'inspirer du modèle allemand pour rédiger sa Constitution. À cette époque, l'Allemagne était reconnue pour sa forte organisation étatique et son système juridique, des caractéristiques que les Japonais trouvaient adaptées à leurs objectifs de modernisation et de centralisation du pouvoir. Cet éclectisme judicieux dans l'adoption de diverses influences étrangères a non seulement permis au Japon de moderniser rapidement son armée et son gouvernement, mais a aussi favorisé un sentiment national de fierté et d'autonomie. En combinant et en adaptant ces différents modèles à leur contexte unique, les Japonais ont pu créer un système qui était à la fois moderne et adapté à leurs besoins spécifiques, jetant les bases de ce qui deviendrait une des économies les plus dynamiques et innovantes du XXe siècle.

Russes et japonais lors des négociations du traité de Portsmouth (1905).

La victoire du Japon sur la Russie en 1905 lors de la guerre russo-japonaise a marqué un tournant historique, soulignant l'ascension rapide du Japon comme puissance militaire et industrielle. La bataille de Tsushima, en particulier, a été un événement clé, où la flotte japonaise a infligé une défaite décisive à la marine russe, alors considérée comme l'une des plus puissantes du monde. La victoire sur les troupes russes à Port Arthur a consolidé la réputation du Japon en tant que force militaire compétente et moderne. Ces succès ont signifié la reconnaissance du Japon en tant que première puissance non-occidentale à remporter une victoire majeure contre une puissance occidentale moderne. Cela a eu un effet retentissant à travers le monde, surtout en Asie, où cela a été vu comme un signal que les puissances coloniales occidentales pouvaient être défiées. Cependant, avec l'accroissement de sa puissance, le Japon a également commencé à adopter des politiques impérialistes, à l'instar des puissances occidentales qu'il avait auparavant critiquées. La colonisation de la Corée, de Taïwan et de parties de la Chine a montré cette face expansionniste de la politique japonaise. Ce comportement impérialiste a continué au début du 20e siècle et s'est intensifié dans les années 1930, menant à des conflits majeurs en Asie et contribuant au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique. Après sa défaite lors de la Seconde Guerre mondiale, le Japon a été occupé par les forces alliées, principalement les États-Unis. Pourtant, dans les décennies suivantes, le pays a connu une période de croissance économique exceptionnelle, connue sous le nom de « miracle économique japonais ». Cette période de reconstruction et d'expansion a finalement propulsé le Japon à la position de deuxième plus grande économie mondiale au cours du 20e siècle, un statut qu'il a maintenu jusqu'à l'émergence de la Chine en tant que superpuissance économique au début du 21e siècle.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]