John Locke et le débat sur le gouvernement civil
John Locke.
| Professeur(s) | Alexis Keller[1][2][3] |
|---|---|
| Cours | Histoire de la pensée juridique et politique : les fondements de la pensée juridique et politique moderne 1500 – 1850 |
Lectures
- Machiavel et la Renaissance italienne
- L’ère de la Réforme
- La naissance du concept moderne de l’État
- John Locke et le débat sur le gouvernement civil
- Montesquieu et la définition de l’État libre
- Jean-Jacques Rousseau et le nouveau pacte social
- Le Fédéraliste et la théorie politique américaine
- John Stuart Mill, démocratie et limites de l’Etat libéral
Au XVIIe siècle, l’Angleterre connaît une succession de bouleversements politiques et religieux qui vont profondément marquer la pensée européenne. La guerre civile qui oppose Charles Ier au Parlement, l’exécution du roi en 1649, l’instauration du Commonwealth d’Oliver Cromwell puis la Restauration monarchique en 1660 témoignent d’un siècle traversé par des tensions entre absolutisme royal et revendications parlementaires. Ces événements culminent avec la Glorieuse Révolution de 1688, qui voit l’éviction de Jacques II et l’affirmation d’un nouveau régime fondé sur le contrôle du Parlement et le refus d’un pouvoir royal absolu. Ce contexte nourrit un débat théorique intense sur la légitimité de l’autorité politique, sur la place de la souveraineté et sur les droits des individus au sein de la société civile.
C’est dans ce cadre que John Locke, philosophe anglais formé à la médecine et aux sciences naturelles, intervient avec ses Two Treatises of Government. Rédigés dans les années 1680 et publiés en 1690, ces textes constituent une réponse directe aux théories absolutistes et au droit divin défendu notamment par Robert Filmer. Locke y expose une conception nouvelle du pouvoir politique, fondée non plus sur une autorité héritée ou transcendante, mais sur un contrat passé entre des individus libres et égaux. Pour lui, les hommes naissent avec des droits naturels – la vie, la liberté et la propriété – que le gouvernement civil a pour mission essentielle de protéger. L’autorité ne trouve donc sa légitimité que dans le consentement des gouvernés, et lorsqu’elle excède ce cadre, le peuple est en droit de résister.
En opposition à Hobbes, qui voyait dans la soumission à un souverain absolu la condition de la paix, Locke propose une lecture du contrat social qui limite le pouvoir afin de préserver la liberté. Sa pensée s’inscrit ainsi dans une tradition qui rompt avec l’idée de l’État tout-puissant et ouvre la voie au libéralisme moderne. En mettant au premier plan la notion de gouvernement civil, Locke participe à redéfinir la relation entre l’individu et la communauté politique. Ses thèses influenceront durablement les révolutions américaine et française, et continueront d’alimenter la réflexion sur la démocratie, le droit de résistance et la séparation des pouvoirs.
Le cadre politique et religieux de la pensée lockéenne
La réflexion politique de John Locke s’inscrit dans la continuité mais aussi dans la rupture avec celle de Thomas Hobbes. Depuis Hobbes, la définition de l’État comme personne morale souveraine, dotée de pouvoirs étendus et s’imposant comme le garant de la paix civile, n’est plus véritablement remise en question. En cela, Hobbes reprend et actualise la conception formulée par Jean Bodin, donnant naissance au Léviathan, figure d’un État absolu et indivisible. Ce que Locke remet en cause n’est donc pas tant l’existence de l’État en tant qu’entité souveraine que le rapport que celui-ci entretient avec les individus. Après Hobbes, le questionnement change de nature : il ne s’agit plus de savoir si l’État doit exister, mais de déterminer jusqu’où son pouvoir peut s’étendre et dans quelle mesure il doit garantir la liberté, l’égalité et la propriété des citoyens.
Locke apparaît ainsi comme le premier à proposer un modèle d’État qui ne soit pas absolutiste, rompant avec l’idée d’un pouvoir autoritaire et sans limites. Le contexte dans lequel il écrit explique largement cette orientation. Si Hobbes avait conçu son système au cœur de la guerre civile et de la première révolution anglaise, Locke, lui, publie ses Two Treatises of Government dans un moment tout différent : celui d’une monarchie restaurée mais profondément contestée. Après l’exécution de Charles Ier et l’expérience républicaine dirigée par Cromwell, la monarchie est rétablie en 1660 avec l’avènement de Charles II, dont le précepteur avait été Hobbes lui-même. On peut ainsi dire que l’élève de Hobbes monte sur le trône d’Angleterre.
Cette restauration ne fait cependant pas disparaître les tensions. Dès les années 1660, une opposition latente persiste entre les partisans de la concentration des pouvoirs royaux et ceux qui défendent les prérogatives du Parlement. Cette rivalité devient de plus en plus vive lorsque Charles II meurt en 1685 et que son successeur, Jacques II, revendique ouvertement son catholicisme. S’il ne cherche pas à imposer la foi catholique, Jacques II exprime la volonté de rapprocher l’Église anglicane des pratiques romaines. Dans une Angleterre largement acquise à la Réforme depuis le règne d’Élisabeth Iʳᵉ, cette orientation provoque de profondes inquiétudes.
Les événements continentaux viennent encore aggraver la situation. En France, la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 prive les protestants de droits garantis depuis 1598, entraînant un vaste exode de huguenots vers la Suisse, les Provinces-Unies et l’Angleterre. Au moment où la cause protestante se radicalise à travers l’Europe, l’affirmation catholique de Jacques II est perçue comme une menace directe. Les tensions qui avaient pu être contenues sous Charles II éclatent désormais au grand jour.
En 1688, le Parlement agit : Jacques II est destitué et remplacé par Guillaume d’Orange, stathouder des Provinces-Unies et époux de Marie, héritière protestante de la couronne anglaise. C’est la « Glorieuse Révolution », qui établit un nouvel équilibre entre le roi et le Parlement. Guillaume III accepte le trône mais sous des conditions précises : il signe le Bill of Rights de 1689, qui garantit certains droits fondamentaux et reconnaît au Parlement des compétences décisives, notamment en matière fiscale et de contrôle du gouvernement. Il accepte également l’Acte de Tolérance de 1689, qui institue une liberté de culte pour les protestants non anglicans et marque un pas important vers la reconnaissance de la pluralité religieuse.
Ce nouveau cadre politique ouvre la voie à une conception du pouvoir fondée sur le partage et la limitation des prérogatives royales. C’est dans ce contexte que Locke publie en 1690 ses Deux Traités du gouvernement civil, un ouvrage destiné à justifier la destitution de Jacques II et à asseoir le nouvel ordre politique issu de la Glorieuse Révolution. Locke y développe l’idée d’un gouvernement fondé sur le consentement, garant des droits naturels et limité dans ses fonctions, en opposition à la vision absolutiste héritée de Hobbes et de Filmer.
Biographie
John Locke naît à Wrington le 26 août 1632, fils d'un greffier de justice de paix, capitaine dans les régiments parlementaires pendant la guerre civile. Au cours de ses études à Oxford, dont il n'apprécie guère la philosophie aristotélicienne ni les disputes scolastiques, le jeune Locke découvre Descartes, qui lui donne le goût de la philosophie. Il s'intéresse également aux écrits de Wallis sur la géométrie et à ceux de L. Ward sur l’astrologie.
Effrayé par l’ampleur des querelles confessionnelles, il opte à la même époque pour la tolérance religieuse. Destiné à la carrière ecclésiastique, il y renonce pour la médecine, qu’il pratiquera à Oxford avec un ancien ami de collège.
C’est en 1666 qu’il fait la connaissance de Lord Ashley, futur duc de Shaftesbury, avec qui il se lie d'amitié et dont il deviendra le médecin privé, tout en étant chargé de s’occuper aussi des affaires du futur duc. Comme Lord Protecteur de la Caroline, Lord Ashley demande à Locke en 1669 de rédiger la Constitution de cette colonie. À cette époque, il fait son premier voyage en France. Il y retourne en 1675, mais doit rentrer en Angleterre à la demande de Lord Ashley qui a été nommé président du Conseil privé du roi.
Quelques années plus tard, lorsque pour des raisons politiques Lord Ashley est accusé de complot et doit fuir en Hollande, des soupçons se portent aussi sur Locke qui quitte alors l’Angleterre pour la même destination. Il se fixe ainsi en 1683 à Amsterdam, puis à Rotterdam, où il préside un petit club philosophique.
Après la Révolution anglaise de 1688, Locke revient en Angleterre en 1689 sur le même bateau que la princesse Marie, femme de Guillaume d'Orange. Il est alors nommé Commissaire aux appels.
En 1689, il publie l’Epistola de Tolerantia - Lettre sur la tolérance - qui sera assez rapidement diffusée sur le continent. C'est en 1690 qu'il devient célèbre avec la publication de son principal ouvrage philosophique, An Essay concerning Human Understanding qui s'en prend à la doctrine cartésienne des idées innées et développe une théorie de la connaissance de type empirique - sensualiste. La même année, il fait paraître Two Treatises of Government, dont le premier tome est une réfutation des thèses énoncées dans le Patriarcha de l'écrivain absolutiste Robert Filmer, et le second, plus connu sous le titre d’Essai sur le gouvernement civil, propose une vaste réflexion sur les fondements et les limites de l’État.
En 1695, il publie encore le Reasonableness of Christianity, qui formule les idées maîtresses du déisme.[4][5][6][7] Intéressé aux problèmes monétaires, il siège dès 1696 dans le nouveau Conseil de commerce; sa santé déclinant, il doit en démissionner en 1700. Retiré à Oates, il y écrira ses Paraphrases des Épitres de Saint Paul avant de mourir le 28 octobre 1704.
Locke est celui qui a rédigé la constitution de la Caroline du Nord imprégnant l’État américain de sa marque. Le fondateur de la Pennsylvanie est William Penn qui a hérité de la Pennsylvanie afin qu’il constitue une colonie britannique.
En 1683, Locke doit fuir l’Angleterre, il était lié à un complot, lié par Lord Ashley, il dut fuir l’Angleterre et se fixer à Amsterdam qui avec Rotterdam sont les hauts lieux du protestantisme et de la liberté de penser. Au XVIIème siècle, l’empire hollandais est la grande puissance du moment.
Philosophie politique
La pensée de Locke est contrairement à Hobbes éminemment religieuse.
Locke, dans toute sa philosophie tente de répondre à quatre questions :
- comment penser un gouvernement qui ne conduit ni à la guerre civile ni à l’oppression ? Un gouvernement qui est un autre modèle que celui proposé par Hobbes.
- comment aménager les rapports entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux ? Dans les Lettres sur la Tolérance il se pose la question entre le religieux et le politique.
- comment penser un gouvernement compatible avec une nouvelle forme de société que l’on peut qualifier de société marchande ? Locke s’intéresse non seulement à un gouvernement qui puisse ne pas tomber dans la guerre civile et l’oppression, mais il développe aussi une réflexion de type économique.
- quel est le statut épistémologique de la connaissance ? comment connaissons-nous ce que nous connaissons ? Par quel mécanisme apprenons-nous ?
La première question est au fond la réponse à Thomas Hobbes : quel est le bon gouvernement ? Comment et sur quels principes est-il fondé pour qu’il ne verse ni dans la guerre civile ni dans l’oppression ?
C’est dans le Traité sur le Gouvernement Civil de 1690 que Locke répond à Hobbes et à la première question. Locke est fasciné par les sciences tout comme Hobbes, il va partir des mêmes prémisses : il ne sert à rien de réfléchir au bon gouvernement si on ne sait pas de quoi sommes-nous faits. Il se replonge dans la question de l’état de nature.
C’est à partir d’une réflexion sur l’état de nature que Locke arrive à ses conclusions.
Dans ses Deux traités sur le Gouvernement Civil de 1690, Locke construit son système juridique également à partir d’un exposé de la condition de l’homme à l’état de nature. Il y énonce quatre principes :
- tous les hommes sont naturellement égaux : il n’y a pas de hiérarchie naturelle qui contraindrait l’un à se mettre au service de l’autre.
- l’homme est d’une nature libre : il n’est pas conflictuel par essence, l’homme n’est pas de nature belliqueuse et encore moins craintive.
- l’homme est un être profondément rationnel : l’homme est animé par le besoin de la raison, qui le pousse à se rapprocher de ses semblables, il défend la vision d’Aristote qui est que l’homme est profondément social. C’est également sa raison qui lui fait comprendre (à l’homme) la nécessité de l’échange (biens matériels et immatériels)
- l’état de nature est un état paisible où règnent la liberté, l’égalité et la propriété : les hommes naissent libres, égaux, et propriétaires ; à l’époque, Dieu est propriétaire du corps de l’homme. Lorsque Locke affirmera en 1790 que nous sommes le propriétaire exclusif de notre corps et de notre esprit, il pense à la propriété de nous-mêmes. C’est une loi naturelle qui aura des conséquences politiques très importantes.
L’homme, bien que paisible, rationnel, libre, égal à son semblable et propriétaire de son corps est dans un état instable, cela ne permet pas le vivre ensemble de manière harmonieuse, on ne peut pas bien échanger, l’ordre social n’est pas bien organisé, l’ordre politique n’est pas mis en place ; il faut quitter l’état de nature afin de mettre en place l’état de société.
Les hommes à l’état de nature ne sont pas malheureux, mais la raison des hommes les amène à quitter l’état de nature vers l’état de société. Il faut un consentement afin de constituer un État et un gouvernement légitime.
Nous nous donnons des lois afin de mettre en place un gouvernement légitime construit autour de quatre grands principes importants :
- le consentement : l’acceptation du vivre-ensemble, il faut consentir afin de mettre en place un État. Hobbes concevait le pouvoir comme un pouvoir descendant, chez Locke il y a l’idée d’un pouvoir légitime ascendant, le consentement permet d’assoir cette légitimité. Il faut que l’acte d’instauration de l’État soit un acte consenti.
- un gouvernement légitime, un gouvernement acceptable, un gouvernement moderne est un gouvernement qui consacre le principe de la séparation des pouvoirs : Locke écrit au moment de la restauration, le pouvoir doit se partager entre le roi et le parlement.
- le pouvoir est situé dans le pouvoir législatif : le cœur même d’un pouvoir légitime est le pouvoir de légiférer, de faire et de défaire la loi.
- Notion de trust (confiance) : fondamentalement, le pouvoir politique est un dépôt aux mains du parlement au nom de la confiance (trust) que l’on fait à ce parlement, c’est parce qu’on a confiance envers le parlement qu’il est autorisé à représenter. Il y a l’idée que le pouvoir législatif est dépositaire de la légitimité parce que la confiance lui a été attribuée, parce qu’il a la confiance des individus.
Un gouvernement légitime est un gouvernement qui consacre le pouvoir du parlement, la séparation des pouvoirs, la confiance des individus, et le respect de la liberté religieuse et la liberté de culte ; ce gouvernement qui respecte l’égalité, la liberté et surtout la propriété est à l’antithèse de Thomas Hobbes.
John Locke, Traité du Gouvernement Civil, 1690
Cet ouvrage répond à la première question à savoir quel gouvernement est légitime et les conditions d’existence à un gouvernement légitimité permettant à la liberté, l’égalité et la propriété de s’établir.
À l’époque le terme gouvernement signifie État, un gouvernement légitime est un gouvernement qui réussit ou a réussi à garantir les droits à l’égalité, la liberté et la propriété.
Le souci de Hobbes était un souci de sécurité et d’autorité, le souci de Locke est de garantir les principes de liberté, d’égalité et de propriété ; il va proposer un État de séparation des pouvoirs qui garantit ces droits fondamentaux.
« Cependant, quoique l'état de nature soit un état de liberté, ce n'est nullement un état de licence. Certainement, un homme, en cet état, a une liberté incontestable, par laquelle il peut disposer comme il veut, de sa personne ou de ce qu'il possède: mais il n'a pas la liberté et le droit de se détruire lui-même, non plus que de faire tort à aucune autre personne, ou de la troubler dans ce dont elle jouit, il doit faire de sa liberté le meilleur et le plus noble usage, que sa propre conservation demande de lui. L'état de nature a la loi de la nature, qui doit le régler, et à laquelle chacun est obligé de se soumettre et d'obéir : la raison, qui est cette loi, enseigne à tous les hommes, s'ils veulent bien la consulter, qu'étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire à un autre, par rapport à sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien : car, les hommes étant tous l'ouvrage d'un ouvrier tout-puissant et infiniment sage, les serviteurs d'un souverain maître, placés dans le monde par lui et pour ses intérêts, ils lui appartiennent en propre, et son ouvrage doit durer autant qu'il lui plait, non autant qu'il plait à un autre. Et étant doués des mêmes facultés dans la communauté de nature, on ne peut supposer aucune subordination entre nous, qui puisse nous autoriser à nous détruire les uns les autres, comme si nous étions faits pour les usages les uns des autres, de la même manière que les créatures d'un rang inférieur au nôtre, sont faites pour notre usage. Chacun donc est obligé de se conserver lui-même, et de ne quitter point volontairement son poste pour parler ainsi. »
L’homme est propriétaire de son corps et de son esprit, toutefois l’ultime propriétaire est quand même Dieu nous interdisant de disposer de notre existence. Nous sommes propriétaires de notre corps et de notre esprit, mais Dieu en est copropriétaire. Dieu est dans nos vies selon Locke.
C’est l’ambiguïté de Locke qui affirme la propriété de notre corps et de notre esprit, mais nous ne pouvons pas tout faire.
On voit très bien aux paragraphes 7, 8, 9 et 10 l’origine du principe de séparation des pouvoirs chez Locke qui divise le pouvoir en deux :
- pouvoir d’exécuter
- pouvoir de juger
La réflexion de Locke repose sur l’idée qu’à l’état de nature nous avons deux pouvoirs essentiels :
- pouvoir de se conserver
- pouvoir de punir
C’est l’idée de la séparation des pouvoirs que Locke transpose à l’état de nature.
« J'assure donc encore, que tous les hommes sont naturellement dans cet état, que j'appelle état de nature, et qu'ils y demeurent jusqu'à ce que, de leur propre consentement, ils se soient faits membres de quelque société politique : et je ne doute point que dans la suite de ce Traité cela ne paraisse très évident. »
On ne peut imposer aux uns de vivre avec les autres, il faut consentir à cette possibilité ; il n’y a pas d’État légitime s’il ne repose pas sur une volonté, un consentement assumé. Pour Hobbes, il fallait signer le contrat de soumission, l’acte par lequel nous donnions nos pouvoirs au Léviathan était un acte unique. La logique de Locke est différente.
Le titre du Chapitre III est De l’état de Guerre répondant à Hobbes.
« L'état de guerre, est un état d'inimitié et de destruction. Celui qui déclare à un autre, soit par paroles, soit par actions, qu'il en veut à sa vie, doit faire cette déclaration, non avec passion et précipitamment, mais avec un esprit tranquille : et alors cette déclaration met celui qui l'a fait, dans l'état de guerre avec celui à qui il l'a faite. »
Au chapitre VIII est la naissance de l’État, une fois l’État mis en place, il n’est plus nécessaire d’avoir le consentement de tous, mais le consentement de la majorité.
« Les hommes étant nés tous également, ainsi qu'il a été prouvé, dans une liberté parfaite, et avec le droit de jouir paisiblement et sans contradiction, de tous les droits et de tous les privilèges des lois de la nature; chacun a, par la nature, le pouvoir, non seulement de conserver ses biens propres, c'est-à-dire, sa vie, sa liberté et ses riches¬ses, contre toutes les entreprises, toutes les injures et tous les attentats des autres; mais encore de juger et de punir ceux qui violent les lois de la nature, selon qu'il croit que l'offense le mérite, de punir même de mort, lorsqu'il s'agit de quelque crime énorme, qu'il pense mériter la mort. Or, parce qu'il ne peut y avoir de société politique, et qu'une telle société ne peut subsister, si elle n'a en soi le pouvoir de conserver ce qui lui appartient en propre, et, pour cela, de punir les fautes de ses membres; là seule¬ment se trouve une société politique, où chacun des membres s'est dépouillé de son pouvoir naturel, et l'a remis entre les mains de la société, afin qu'elle en dispose dans toutes sortes de causes, qui n'empêchent point d'appeler toujours aux lois établies par elle. Par ce moyen, tout jugement des particuliers étant exclu, la société acquiert le droit de souveraineté; et certaines lois étant établies, et certains hommes autorisés par la communauté pour les faire exécuter, ils terminent tous les différends qui peuvent arriver entre les membres de cette société-là, touchant quelque matière de droit, et punissent les fautes que quelque membre aura commises contre la société en général, ou contre quelqu'un de son corps, conformément aux peines marquées par les lois. Et par là, il est aisé de discerner ceux qui sont ou qui ne sont pas ensemble en société politique. Ceux qui composent un seul et même corps, qui ont des lois communes établies et des juges auxquels ils peuvent appeler, et qui ont l'autorité de terminer les disputes et les procès, qui peuvent être parmi eux et de punir ceux qui font tort aux autres et commettent quelque crime : ceux-là sont en société - mais ceux qui ne peuvent civile les uns avec les autres ; appeler de même à aucun tribunal sur la terre, ni à aucunes lois positives, sont toujours dans l'état de nature; chacun, où il n'y a point d'autre juge, étant juge et exécuteur pour soi-même, ce qui est, comme je l'ai montré auparavant, le véritable et parfait état de nature. »
Cet ouvrage est au fond l’Histoire de l’Humanité et du gouvernement des hommes.
À partir du paragraphe 105, Locke nous montre comment l’histoire des sociétés humaines a évolué, il décrit le processus répondant à la question de lorsqu’on regarde l’histoire de l’humanité, ce processus a existé, l’état de nature a existé, il y a des sociétés qui sont encore à l’état de nature.
Des communautés quittent l’état de nature pour vivre ensemble, mais certaines n’ont pas évolué, les conséquences sont importantes, Locke introduit l’argument que tous les inventeurs de la sociologie moderne reprendront par la suite est que les sociétés humaines évoluent par étapes : les sociétés humaines ont un début et parfois une fin.
La question est de savoir qu’est-ce que le début et qu’est-ce que la fin ? Une société qui n’a pas quitté l’état de nature est une société qui n’a pas évolué parce que les conséquences d’une telle affirmation sont que les sociétés évoluées peuvent faire évoluer celles qui n’ont pas évolué.
L’Amérique était dans un État de nature, si l’Amérique est à l’état de nature alors il faut l’amener à l’état de société c’est pourquoi il faut occuper les terres, il faut coloniser, répandre la vie sociale moderne, il faut convaincre, imposer, attirer vers les sociétés évoluées que sont la Grande-Bretagne, la France et l’Europe.
Derrière cette vision évolutionniste de l’histoire se cache une vision avec des conséquences dramatiques pour une partie de la terre à savoir l’idée que nos sociétés sont divisées entre sociétés civilisées et des sociétés qui ne le sont pas. Cette vision binaire de l’ordre international repose sur une vision de l‘histoire par étape, faisant des sociétés européennes les sociétés les plus évoluées ; l’implication d’un tel argument sont dans l’ordre intellectuel dramatique et important.
Aux paragraphes 123 et 124 apparaissent les buts de l’État, la société politique a un certain nombre d’objectifs.
« […] ce n'est pas sans raison qu'ils recherchent la société, et qu'ils souhaitent de se joindre avec d'autres qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s'unir et de composer un corps, pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens; choses que j'appelle, d'un nom général, propriétés.
C'est pourquoi, la plus grande et la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté et se soumettent à un gouvernement, c'est de conserver leurs propriétés, pour la conservation desquelles bien des choses manquent dans l'état de nature. »
Nous quittons l’état de nature parce que nous voulons conserver nos droits dont le droit de propriété, va être mis en place un État légitime qui va protéger nos droits parmi lesquels le droit de propriété.
Les conséquences pour l’ordre international sont immenses, si l’État veut garantir la propriété privée, il doit le faire aussi hors de l’État.
Locke affirme l’importance du pouvoir législatif puisqu’il est partisan affirmé du pouvoir législatif.
Il ne faut pas faire de Locke le représentant du colonialisme moderne, en revanche la philosophie de Locke, la philosophe du droit de propriété a donné des arguments à ceux qui ont souhaité étendre les territoires des grands pays européens. Locke n’avait pas d’ambitions particulières, mais il a fourni par la rigueur de son raisonnement des arguments pour ceux qui avaient des ambitions.
L’État que dessine Locke est plus proche de nous que celui de Hobbes. Locke pose la question du rapport entre le religieux et le politique ; le second problème est de comment articulé la vie, comment aménager les rapports entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux ?
John Locke, Lettre sur la Tolérance, 1689
La tolérante est une nécessité et un devoir chrétien, d’autre part, la liberté religieuse doit être constitutive de ce gouvernement légitime, l’État moderne consacre la liberté religieuse et la liberté de culte, enfin si la liberté religieuse doit être consacrée, alors c’est peut être avant tout parce que la certitude ou la vérité absolue et unique n’existe pas.
En d’autres termes, il est impossible de connaître avec certitude la vérité dans l’ordre de la connaissance : au nom de cette idée que la vérité absolue est difficilement, compréhensible, atteignable, on ne peut imposer une religion et une croyance dans une époque où les églises avaient tendance à prétendre détenir la vérité.
Locke ne souhaite pas qu’un État impose une doctrine, une religion et une vérité.
« J'avoue qu'il me paraît fort étrange (et je ne crois pas être le seul de mon avis), qu'un homme qui souhaite avec ardeur le salut de son semblable, le fasse expirer au milieu des tourments, lors même qu'il n'est pas converti. »
Pour Locke, afin de sauver l’âme de quelqu’un il y a quelque chose de contradictoire dans la volonté de convertir et de tuer quelqu’un pour sa croyance.
« La tolérance, en faveur de ceux qui diffèrent des autres en matière de religion, est si conforme à l'évangile de Jésus-Christ, et au sens commun de tous les hommes, qu'on peut regarder comme une chose monstrueuse, qu'il y ait des gens assez aveugles, pour n'en voir pas la nécessité et l'avantage, au milieu de tant de lumière qui les environne. »
Un bon chrétien est par définition un chrétien tolérant.
Ensuite, Locke fait une division entre l’État et ses compétences, Il y a une stricte séparation entre le temporel et le spirituel. L’État moderne pour Locke repose sur une division stricte entre l’État et le religieux. Ce qui frappe le lecteur est la dimension et la vision très protestante de l’église calviniste qu’a Locke.
« Examinons à présent ce qu'on doit entendre par le mot d'Église. Par ce terme, j'en¬tends une société d'hommes, qui se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public, et lui rendre le culte qu'ils jugent lui être agréable, et propre à leur faire obtenir le salut. »
Locke parle d’une société libre, volontaire afin de décrire l’église ; c’est une vision que Luther et Calvin avaient défendue : l’État et l’Église relèvent du consentement individuel.
L’État que nous dessine Locke est un État décrivant une monarchie parlementaire ouverte, opposée à la vision descendante du pouvoir proposée par Hobbes, mais surtout Locke propose un État soucieux de garantir les droits individuels : liberté, égalité et propriété privée.
Locke pense que l’État moderne doit garantir la sécurité et dans certains cas permettre de résister à l’oppression ; dans un certain sens, Locke est partisan à un droit de résistance face à un État autoritaire et à tendance despotique et absolutiste.
La résistance à un État monarchique et tout puissant va être récusée par Montesquieu.
Annexes
Références
- ↑ Alexis Keller - Wikipedia
- ↑ Alexis Keller - Faculté de droit - UNIGE
- ↑ Alexis Keller | International Center for Transitional Justice
- ↑ Stuart, M. (Ed.). (2015). A companion to Locke: Stuart/companion. Chichester, England: Wiley-Blackwell. Url: https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118328705.ch25
- ↑ Riano, N. (2019, March 15). John Locke on “The Reasonableness of Christianity” ~ the imaginative conservative. Retrieved November 19, 2020, from Theimaginativeconservative.org website: https://theimaginativeconservative.org/2019/03/john-locke-reasonableness-of-christianity-nayeli-riano.html
- ↑ Rabieh, M. S. (1991). The Reasonableness of Locke, or the Questionableness of Christianity. The Journal of Politics, 53(4), 933–957. https://doi.org/10.2307/2131861
- ↑ Nuovo, V. (Ed.). (1996). John Locke and Christianity: Contemporary responses to the reasonableness of Christianity. South Bend, IN: St Augustine’s Press. Url: https://philpapers.org/rec/NUOJLA