Les coûts sociaux de la révolution industrielle

De Baripedia

Basé sur un cours de Michel Oris[1][2][3]

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Les nouveaux espaces

Bassins et villes industrielles

Évolution de la population urbaine de l'europe 1000 - 1980.png

Ce tableau donne un aperçu historique de l'accroissement de la population urbaine en Europe, à l'exclusion de la Russie, à travers les âges, mettant en évidence deux seuils de population pour définir une ville : celle ayant plus de 2 000 habitants et celle dépassant les 5 000 habitants. Au début du deuxième millénaire, vers l'an 1000, l'Europe avait déjà une proportion notable de sa population vivant dans des zones urbaines. Les villes de plus de 2 000 habitants abritaient 5,4 millions d'individus, constituant 13,7 % de la population totale. Lorsqu'on monte le seuil à 5 000 habitants, on recense 5,8 millions de personnes, ce qui représente 9,7 % de la population. En avançant vers l'an 1500, on constate une légère augmentation proportionnelle de la population urbaine. Pour les villes de plus de 2 000 habitants, elle passe à 10,9 millions, soit 14,5 % de la population. Dans les villes dépassant les 5 000 résidents, le nombre atteint 7,9 millions, équivalant à 10,4 % de la population totale. L'impact de la révolution industrielle devient nettement visible en 1800, avec un bond significatif du nombre de citadins. Il y a 26,2 millions de personnes dans les villes de plus de 2 000 habitants, qui forment désormais 16,2 % de la population totale. Pour les villes de plus de 5 000 habitants, le nombre s'élève à 18,6 millions, représentant 12,5 % de la population. L'urbanisation s'accélère davantage au milieu du XIXe siècle, et en 1850, on dénombre 45,3 millions de personnes dans les villes de plus de 2 000 habitants, ce qui correspond à 22,1 % de la population totale. En ce qui concerne les villes de plus de 5 000 habitants, elles regroupent 38,3 millions d'individus, soit 18,9 % de la population. Le XXe siècle marque un tournant avec une urbanisation massive. En 1950, les villes de plus de 2 000 habitants voient leur population grimper à 193,0 millions, représentant une majorité de 53,6 % de la population totale. Les villes de plus de 5 000 habitants ne sont pas en reste, avec une population de 186,0 millions, soit 50,7 % de l'ensemble des Européens. Finalement, en 1980, le phénomène urbain atteint des sommets avec 310,0 millions d'Européens résidant dans des villes de plus de 2 000 habitants, ce qui représente 68,0 % de la population. Pour les villes de plus de 5 000 habitants, la population est de 301,1 millions, équivalent à 66,7 % de la population. Le tableau révèle donc une transition spectaculaire d'une Europe majoritairement rurale vers une dominante urbaine, processus qui s'est accéléré avec l'industrialisation et s'est poursuivi tout au long du XXe siècle.

Selon l'historien économique Paul Bairoch, la société de l'Ancien Régime était caractérisée par une limite naturelle de la population urbaine à environ 15 % du total de la population. Cette idée découle de l'observation que, jusqu'en 1800, la grande majorité de la population — entre 70 et 75 %, voire 80 % pendant les mois d'hiver où l'activité agricole ralentissait — devait travailler dans l'agriculture pour produire suffisamment de nourriture. La production alimentaire limitait ainsi la taille des populations urbaines, car les surplus agricoles devaient nourrir les citadins, souvent considérés comme des "parasites" parce qu'ils ne contribuaient pas directement à la production agricole. La population qui n'était pas engagée dans l'agriculture, soit environ 25 à 30 %, se répartissait dans d'autres secteurs d'activité. Mais tous n'étaient pas des habitants urbains ; certains vivaient et travaillaient dans des zones rurales, comme les curés et d'autres professionnels. Cela signifiait que la proportion de la population qui pouvait vivre en ville sans surcharger la capacité productive de l'agriculture était d'un maximum de 15 %. Ce chiffre n'était pas dû à une législation formelle mais représentait une contrainte économique et sociale dictée par le niveau de développement agricole et technologique de l'époque. Avec l'avènement de la révolution industrielle et les progrès dans l'agriculture, la capacité des sociétés à nourrir des populations urbaines plus nombreuses s'est accrue, permettant un dépassement de cette limite hypothétique et ouvrant la voie à une urbanisation croissante.

Le paysage démographique et social de l'Europe a subi des transformations considérables depuis le milieu du XIXe siècle. Vers 1850, les prémices de l'industrialisation ont commencé à modifier l'équilibre entre les populations rurales et urbaines. Les progrès technologiques dans l'agriculture ont commencé à réduire la quantité de main-d'œuvre nécessaire pour produire la nourriture, et les usines en expansion dans les villes ont commencé à attirer des travailleurs des campagnes. Cependant, même avec ces changements, les paysans et la vie rurale restaient prédominants à la fin du XIXe siècle. La majorité de la population européenne vivait toujours dans des communautés agricoles, et ce n'est que progressivement que les villes ont grossi et que les sociétés sont devenues plus urbanisées. Ce n'est qu'au milieu du XXe siècle, notamment dans les années 1950, que l'on a observé un changement majeur, avec un taux d'urbanisation qui a franchi le seuil des 50 % en Europe. Cela a marqué un tournant, indiquant que pour la première fois dans l'histoire, une majorité de la population vivait dans des villes plutôt que dans des zones rurales. À l'heure actuelle, avec un taux d'urbanisation qui dépasse les 70 %, les villes sont devenues le cadre de vie dominant en Europe. L'Angleterre, avec des villes comme Manchester et Birmingham, a été le point de départ de ce changement, suivie par d'autres régions industrielles comme la Ruhr en Allemagne et le Nord de la France, toutes deux riches en ressources et en industries qui ont attiré une main-d'œuvre nombreuse. Ces régions étaient des centres névralgiques de l'activité industrielle et ont servi de modèles pour l'expansion urbaine à travers le continent.

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Cette carte est une représentation graphique de l'Europe à l'époque pré-industrielle, mettant en relief les zones qui étaient des centres industriels majeurs avant la Première Guerre mondiale. Elle souligne l'intensité et la spécialisation des activités industrielles à travers différents symboles et motifs qui identifient les types d'industries prédominantes dans chaque région. Les régions sombres marquées par des symboles de hauts-fourneaux et de mines de charbon indiquent des bassins industriels axés sur la métallurgie et l'extraction minière. Des endroits comme la Ruhr, le Nord de la France, la Silésie, la région du Pays noir en Belgique et le South Wales se distinguent comme des centres industriels clés, montrant l'importance du charbon et de la sidérurgie dans l'économie européenne de l'époque. Les zones avec des rayures signalent les régions où l'industrie textile et la construction mécanique étaient fortement représentées. Cette répartition géographique démontre que l'industrialisation n'était pas uniforme mais plutôt concentrée dans certains lieux, dépendant des ressources disponibles et de l'investissement en capital. Des traits distincts dénotent les régions spécialisées dans la sidérurgie, notamment en Lorraine et dans certains secteurs de l'Italie et de l'Espagne, suggérant que l'industrie de l'acier était aussi répandue, bien que moins dominante que l'industrie du charbon. Les symboles maritimes, comme les navires, sont positionnés dans des régions telles que le North East de l'Angleterre, suggérant l'importance de la construction navale, ce qui était cohérent avec l'expansion des empires coloniaux européens et le commerce international. Cette carte illustre de manière frappante comment la révolution industrielle a modifié le paysage économique et social de l'Europe. Les régions industrielles identifiées étaient probablement des points chauds pour la migration interne, attirant des travailleurs des campagnes vers les villes en croissance. Cela a eu des conséquences profondes sur la structure démographique, entraînant une urbanisation rapide, le développement des classes ouvrières et l'émergence de nouveaux défis sociaux comme la pollution et le logement insalubre. La carte met en évidence l'inégalité du développement industriel à travers le continent, reflétant les disparités régionales qui sont apparues en matière d'opportunités économiques, de conditions de vie et de croissance démographique. Ces régions industrielles ont exercé une influence déterminante sur les trajectoires économiques et sociales de leurs pays respectifs, une influence qui a perduré bien au-delà de l'ère industrielle classique.

La carte historique de l'Europe pré-industrielle dépeint deux types principaux de régions industrielles qui ont été cruciales pour la transformation économique et sociale du continent : les pays noirs et les villes textiles. Les "pays noirs" sont représentés par les zones assombries avec des icônes de hauts-fourneaux et de mines. Ces régions étaient le cœur de l'industrie lourde, centrées principalement sur l'extraction du charbon et la production d'acier. Le charbon était à la base de l'économie industrielle, alimentant les machines et les usines qui ont soutenu la révolution industrielle. Des régions comme la Ruhr en Allemagne, le Nord de la France, la Silésie, et le Pays Noir en Belgique étaient des centres industriels notables, caractérisés par une concentration dense d'activités liées au charbon et à la sidérurgie. À l'opposé, les villes textiles, indiquées par des zones rayées, étaient spécialisées dans la production de textiles, un secteur également vital pendant la révolution industrielle. Ces villes tiraient parti de la mécanisation pour produire des tissus en masse, ce qui les a élevées au rang de pôles industriels importants. La révolution du textile a débuté en Angleterre et s'est rapidement étendue à d'autres parties de l'Europe, donnant naissance à de nombreuses villes industrielles centrées sur la filature et le tissage. La distinction entre ces deux types de régions industrielles est cruciale. Alors que les pays noirs étaient souvent caractérisés par la pollution, les conditions de travail difficiles et un impact environnemental significatif, les villes textiles, bien qu'elles aient aussi leurs propres défis sociaux et sanitaires, étaient généralement moins polluantes et pouvaient avoir un caractère plus dispersé, car les usines de textiles nécessitaient moins de concentration de ressources lourdes que les hauts-fourneaux et les mines. La carte met donc en lumière non seulement la répartition géographique de l'industrialisation, mais aussi la diversité des industries qui composaient le tissu économique de l'Europe à cette époque. Chacune de ces régions avait des effets sociaux distincts, influençant la vie des travailleurs, la structure des classes sociales, l'urbanisation et l'évolution des sociétés urbaines et rurales dans le contexte de la révolution industrielle.

Les "pays noirs" sont une expression évocatrice utilisée pour décrire les régions qui sont devenues le théâtre de l'extraction du charbon et de la production de métal pendant la révolution industrielle. Le terme fait allusion à la fumée et à la suie omniprésentes dans ces zones, résultat de l'activité intense des hauts-fourneaux et des fonderies qui transformaient les villages paisibles en villes industrielles en très peu de temps. L'atmosphère était si chargée de pollution que le ciel et les bâtiments étaient littéralement noircis, d'où l'appellation "pays noirs". Ce phénomène d'industrialisation rapide a bouleversé le monde statique d'alors, marquant le début d'une ère où la croissance économique est devenue la norme et la stagnation synonyme de crise. Le charbonnage en particulier a catalysé cette transformation en nécessitant une main-d'œuvre pléthorique. Les mines de charbon et les industries sidérurgiques devenaient ainsi les moteurs d'une expansion démographique fulgurante, à l'image de Seraing, où l'arrivée de l'industriel Cockerill a vu la population passer de 2 000 à 44 000 habitants en un siècle. Les ouvriers, souvent recrutés parmi les populations rurales, étaient employés en masse dans les mines de charbon, qui exigeaient une force physique considérable, notamment pour le travail au piolet avant l'automatisation des années 1920. Cette demande en main-d'œuvre a contribué à un exode rural vers ces centres d'activités industrielles. Les usines sidérurgiques nécessitaient de grands espaces ouverts en raison du poids et de la taille des matériaux manipulés, c'est pourquoi elles ne pouvaient pas être établies dans les villes déjà denses. L'industrialisation s'est donc déplacée vers la campagne, où l'espace était disponible et où le charbon était à portée. Cela a mené à la création de vastes bassins industriels, changeant radicalement le paysage ainsi que la structure sociale et économique des régions concernées. Ces transformations industrielles ont également apporté des changements profonds dans la société. La vie quotidienne a été radicalement modifiée, avec la naissance de la classe ouvrière et la dégradation des conditions de vie due à la pollution et à l'urbanisation rapide. Les "pays noirs" sont devenus des symboles du progrès mais aussi des témoins des coûts sociaux et environnementaux de la révolution industrielle.

Victor Hugo décrit ces paysage : "Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flémalle, la chose devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée d’étincelles; d’autres dessinent lugubrement sur un fond rouge la noire silhouette des villages; ailleurs les flammes apparaissent à travers les crevasses d’un groupe d’édifices. On croirait qu’une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres flamboyants. Ce spectacle de guerre est donné par la paix; cette copie effroyable de la dévastation est faite par l’industrie. Vous avez tout simplement là sous les yeux les hauts fourneaux de M. Cockerill."

Cette citation de Victor Hugo, extraite de son "Voyage le long du Rhin" écrit en 1834, est un témoignage puissant de l'impact visuel et émotionnel de l'industrialisation en Europe. Hugo, connu pour son œuvre littéraire mais aussi pour son intérêt dans les questions sociales de son époque, décrit ici avec un lyrisme sombre et puissant la vallée de la Meuse en Belgique, près de la Petite-Flémalle, marquée par les installations industrielles de John Cockerill. Hugo utilise des images de destruction et de guerre pour décrire la scène industrielle devant lui. Les hauts fourneaux illuminent la nuit, ressemblant à des cratères en éruption, des incendies de villages, ou même à une terre ravagée par une armée ennemie. Il y a un contraste saisissant entre la paix et la guerre; la scène qu'il décrit est non pas le résultat d'un conflit armé mais de l'industrialisation pacifique, ou du moins non militaire. Les "cratères en éruption" évoquent l'intensité et la violence de l'activité industrielle, qui marque le paysage de manière aussi indélébile que la guerre elle-même. Cette description dramatique souligne à la fois la fascination et la répulsion que l'industrialisation peut susciter. D'un côté, il y a la magnificence et la puissance de la transformation humaine, de l'autre, la destruction d'un mode de vie et d'un environnement. Les références aux incendies et aux silhouettes noires des villages projettent l'image d'une terre sous l'emprise de forces presque apocalyptiques, reflétant l'ambivalence du progrès industriel. En contextualisant cette citation, il faut se souvenir que l'Europe des années 1830 était en pleine révolution industrielle. Les innovations technologiques, l'utilisation intensive du charbon et le développement de la métallurgie transformaient radicalement l'économie, la société et l'environnement. Cockerill était un entrepreneur industriel de premier plan de cette époque, ayant développé un des plus importants complexes industriels en Europe à Seraing, en Belgique. L'essor de cette industrie a été synonyme de prospérité économique, mais aussi de bouleversements sociaux et d'un impact environnemental considérable, notamment la pollution et la dégradation du paysage. Victor Hugo, avec cette citation, nous invite à réfléchir sur le double visage de l'industrialisation, qui est à la fois source de progrès et de dévastation. Il révèle ainsi l'ambiguïté de l'époque où le génie humain, capable de métamorphoser le monde, doit aussi compter avec les conséquences parfois sombres de ces transformations.

Les villes textiles de la révolution industrielle représentent un aspect crucial de la transformation économique et sociale qui a débuté au XVIIIe siècle. Dans ces centres urbains, l'industrie textile a joué un rôle moteur, favorisé par l'extrême division du travail en processus distincts tels que le tissage, le filage et la teinture. Contrairement aux industries lourdes du charbon et de la sidérurgie, souvent installées dans des zones rurales ou périurbaines pour des raisons logistiques et de place, les usines textiles pouvaient tirer parti de la verticalité des bâtiments urbains existants ou spécialement construits pour maximiser l'espace au sol limité. Ces usines se sont naturellement intégrées dans l'espace urbain et ont contribué à redéfinir la physionomie des villes du nord de la France, de la Belgique et d'autres régions, qui ont vu leur densité de population augmenter de manière spectaculaire. La transition de l'artisanat et de la proto-industrie vers une production industrielle à grande échelle a entraîné la faillite de nombreux artisans, qui se sont alors tournés vers le travail en usine. Cette industrialisation textile a transformé des bourgs en véritables métropoles industrielles, entraînant une urbanisation rapide et souvent désorganisée, marquée par une construction effrénée dans tous les espaces disponibles. L'augmentation massive de la production textile ne s'est pas accompagnée d'une augmentation équivalente du nombre de travailleurs, grâce aux gains de productivité réalisés par l'industrialisation. Les villes textiles de l'époque se caractérisaient donc par une concentration extrême de la main-d'œuvre dans les usines, lesquelles devenaient le centre de la vie sociale et économique, éclipsant les institutions traditionnelles comme l'hôtel de ville ou les places publiques. L'espace public était dominé par l'usine, qui définissait non seulement le paysage urbain, mais aussi le rythme et la structure de la vie communautaire. Cette transformation a également influencé la composition sociale des villes, attirant des commerçants et des entrepreneurs qui avaient profité de la croissance économique du XIXe siècle. Ces nouvelles élites ont souvent soutenu et investi dans le développement des infrastructures industrielles et résidentielles, contribuant ainsi à l'expansion urbaine. En résumé, les villes textiles incarnent un chapitre fondamental de l'histoire industrielle, illustrant le lien étroit entre les progrès technologiques, les changements sociaux et la reconfiguration de l'environnement urbain.

Deux types de développement démographique

Vue de Verviers (Milieu du XIXe s.)
Aquarelle de J. Fussell.
Développement démographique saint Etienne vs Roubaix.png

Dans les villes textiles, les artisans ruraux éparpillés viennent se concentrer en ville. Ils quittent les campagnes pour venir s’installer près des usines étant donné que cela prend beaucoup de temps de se déplacer de la campagne à l’usine. Ce qui est intéressant est que le nombre de travailleurs du textile est resté le même pour une explosion des gains de productivité. En ville, il y a une concentration des forces dispersée. Verviers est par exemple une ville textile où on dénombre 35000 habitants au début XIXe siècle et 100000 habitants à la fin du XIXe siècle.

Concernant les régions sidérurgiques, les ouvriers se concentrent dans les bassins industriels dans les pays noirs, il n’y a pas non plus d’explosion d’ouvriers. La machine à vapeur permet d’aérer les galeries des mines, mais il faut des travailleurs. Les pays noirs connaissent une explosion démographique étant due à l’industrie charbonnière. Par exemple, à Liège, la population augmente de 50000 habitants à 400000 habitants.

De la ville, les agglomérations ont la densité et l’accumulation des populations. Du village, ces bourgades qui ont énormément crû ont conservé l’organisation rudimentaire, le peu de polices, les administrations presque inexistantes, les services publics déficients en ce qui concerne l’hygiène publique, l’instruction primaire et professionnelle archaïque… les grandes villes, elles, se dotent de l’eau courante, de l’électricité, de l’université, des administrations ; bref, de tous les attributs d’une ville moderne. La ville de Seraing (industrielle) s’endette jusqu’au cou pour construire des écoles primaires qui ne suffisent pas vu que la croissance démographique y est énorme. Le dernier prêt permettant la construction d’écoles au XIXe siècle n’a été remboursé qu’en 1961. Ceci se fait parce que la masse fiscale de telles villes est faible vu que les salaires des ouvriers sont faibles.

Conditions de logement et hygiène

Les espaces sont sous-équipés. Les villes textiles subissent le premier choc parce que ce sont des espaces déjà denses, et il faut accueillir une population nouvelle. On rajoute des étages, on construit des logements au-dessus des ruelles.

Dans l’immense majorité des cas, le développement des pays noirs est tout aussi anarchique. Les ouvriers vivent comme des animaux dans des espèces de bidonvilles. Ces espaces sont à l’origine d’un cercle vicieux, car ces taudis ne sont pas faits pour durer et on ne peut pas amener l’eau, car c’est très étendu donc ça coute cher. D'autre part, ces taudis sans fondations en danger menacent d'effondrement. Il est impossible d'améliorer l’hygiène de ces villes. La seule solution est de bâtir à nouveau. On passe du stade de village à celui de commune avec énormément d’habitants,mais sans être des villes. Les infrastructures ne suivent pas. Au milieu du XIXe siècle, Pasteur fait ses découvertes concernant l’hygiène et les microbes. Certaines villes font appel à lui pour faire construire des canalisations, mais des affaissements de terrain dus aux mines abandonnées y détruisent tout. On peut donc remarquer qu’il est extrêmement difficile de construire des installations d’hygiène et d’eau lorsque les constructions sont déjà faites de manière anarchique. De plus, les taudis ne vont pas en hauteur, mais en largeur, et s’étalent, il faut donc des kilomètres de canalisation là où dans une ville bien agencée, une petite portion de canalisations suffirait pour des centaines d’habitants. De plus, les fumées rejetées par les cheminées des fourneaux font que le pays est littéralement noir de pollution. Nous avons vu que les conditions sociales ont été pénibles dans les pays tard venus ; l’Allemagne représente une exception. Les Allemands ont appris des erreurs commises en Belgique et en France pour construire des logements un tant soit peu salubres, dans des rues clairement tracées.

« On construisit des habitations telles quelles, insalubres le plus souvent, en dehors d’un plan général arrêté. Maisons basses, en contrebas du sol, sans air ni lumière ; une pièce au rez-de-chaussée, pas de pavé, pas de cave ; un grenier comme étage ; aération par un trou, muni d’un carreau de vitre fixé dans la toiture ; stagnation des eaux ménagères ; absence ou insuffisance des latrines ; encombrement et promiscuité. »

— Dr. Kuborn, 1907, sur Seraing.

« C’est « sur ces lieux insalubres, sur ces repaires infects, que les maladies épidémiques s’abattent comme l’oiseau de proie plonge sur sa victime. Le choléra nous l’a démontré, la grippe nous en rappelé le souvenir, et peut-être, le typhus nous donnera-t-il un de ces jours un troisième exemple. »

— Dr. Kuborn, 1907, sur Seraing.

Une alimentation déficiente et des salaires bas

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Les marchés mettent très longtemps à s’organiser et il y a très peu de commerçants et d’épiciers dans les villes industrielles. Ces commerçants pratiquent des prix exagérés profitant de leur situation engendrant un endettement des ouvriers. Les entreprises ont essayé de réagir via le truck-system : le salaire est payé en partie en denrées alimentaires ou en biens de consommations domestiques que l’entreprise achète en gros. Le truck-system donne un pouvoir de l’entreprise sur la survie immédiate.

L’ouvrier est considéré comme immature. Durant tout le XIXe siècle, va être entamée une réflexion sur le salaire minimum de l’ouvrier afin qu’il puisse vivre sans le liquider dans la débauche.

Émerge la loi d’Engel : « Plus un individu, une famille, un peuple sont pauvres, plus grand est le pourcentage de leur revenu qu'ils doivent consacrer à leur entretien physique dont la nourriture représente la part la plus importante ». Cette loi permet de mesurer le degré de pauvreté d’un peuple, d’une famille ou d’un individu pour voir quel pourcentage de son revenu il consacre à se nourrir. Le faible revenu fait que la majorité de la population ne peut pas payer d’impôts. Cela met en exergue la dureté de la condition ouvrière. Le salaire réel commencera à augmenter quand la révolution industrielle va être bien installée dans la seconde moitié du XIXe siècle.

En d’autres termes, la loi d’Engel est une loi empirique avancée en 1857 par le statisticien allemand Ernst Engel[4]. D'après cette loi, la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires (ou coefficient d'Engel) est d'autant plus faible que le revenu est élevé. Même si la proportion d'une catégorie de biens est réputée décroissante dans un budget de consommation donné, cela n'empêche pas que si le revenu augmente, la dépense allouée à l'alimentation, exprimée en valeur absolue, augmente[5].

Le jugement ultime : la mortalité des populations industrielles

Le paradoxe de la croissance

Il y a croissance, certes, mais elle se fait au prix d’urbanisation sauvage ; les conditions de vie sont déplorables : hygiène, maladies et tout le bataclan qui vient avec. Dans les villes anglaises vers 1820-1830, au Creusot vers 1840, en Belgique orientale vers 1850-1860, en 1900 à Bilbao, l’espérance de vie tombe à 30 ans. Une génération dans chaque pays a donc payé l’entrée dans la modernité. En parallèle, la mortalité régresse dans les campagnes voisines du fait des ressources plus nombreuses et plus accesibles. Les conditions de travail sont dénoncées par les premiers « syndicats ». Pourtant, les adultes mourraient moins que les jeunes. L’explication vient du fait que la majorité des ouvriers sont des immigrés venus des campagnes, ce sont donc les plus forts et les plus audacieux uniquement qui y vont, le reste ne voulant pas quitter leur verte campagne. Ceci explique la relative faible mortalité des adultes.

L’environnement plus que le travail

L’environnement a un rôle meurtrier encore plus important que le travail, bien que les conditions de travail soient épouvantables.

La loi le Chapelier promulguée en France le 14 juin 1791 est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage[6]. Cette loi est utilisée pour interdire les syndicats.

Les émigrants qui arrivent dans les bassins industriels sont les plus robustes, les plus ouverts à la prise de risque et ils ont donc une espérance de vie un peu plus haute faisant que les adultes sont un peu épargnés. Néanmoins, la vieillesse vient plus tôt. On s’use littéralement au travail. Les enfants sont les premières victimes à cause des eaux souillées causant de la déshydratation et des diarrhées. Les conditions de conservation des aliments contribuaient aussi à la mortalité infantile. Par exemple, le lait était amené depuis la campagne posant des problèmes de conservation et de transport participant à l'élévation du taux de mortalité.

Les épidémies de choléra

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Le choléra, qui vient d’Inde, commence à se répandre en pandémies (épidémies à l’échelle mondiale). Ceci commence avec la colonisation britannique en Inde, puis se répand. Progressivement en 1840 - 1855, la première pandémie mondiale se propage de l’Inde vers la Chine, la Russie, retourne en Inde, suit le chemin de la Mecque, arrive en Europe, parvient à traverser l’Atlantique et touche les États-Unis, l’Amérique centrale et l’Amérique latine. Le cheminement est intéressant, elle développe en Europe l’idée de la « barbarie asiatique » menaçant la civilisation (la seule, l’unique civilisation, qui est l’Européenne). Après avoir enfin connu la croissance, l’Europe a peur de « s’écraser ». La modernité « fragilise » puisqu’elle permet aux faibles de survivre aux petites épreuves, puis d’attraper une maladie infectieuse et de contaminer tout le monde. On a peur d’une chute brutale. La médiatisation des épidémies (« Le choléra arrive ! » ; « Premiers morts à Berlin ! ») rajoute à la peur populaire. Il y a de plus une inégalité sociale terrible. On meurt 8 fois plus du choléra quand on est pauvres que quand on est riches, et les épidémies creusent les inégalités sociales. Le virus du choléra est tué par les acides gastriques, si on est bien nourris (viande…) on est donc immunisés Par contre, le pain et les patates…

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De grandes épidémies touchent la France après les révolutions de 1830 et 1848. Les pauvres sont en colère, accusant les bourgeois de vouloir empoisonner la fureur populaire. L’armée du tsar est obligée de réprimer des manifestations à Moscou après des épidémies. Les médecins jouent le rôle d’intermédiaires, et sont écoutés par la population en raison de leur dévouement. Ils sont formés dans des facultés, ont une éducation scientifique. Leur bonté est cependant mise à rude épreuve durant les épidémies. Pasteur n’arrivant qu’en 1885, ils ne savent pas ce qu’est un virus, d’où des techniques de guérison qui peuvent nous sembler pas très orthodoxes, mais qui n’étaient en fait pas très ridicules à l’époque. En effet, les médecins observaient de près les étapes de la maladie, et tentaient. Dans le cas du choléra, de réchauffer le malade dans la phase « froide » et de le fortifier avant qu’arrive la dernière phase, celle qui allait déterminer la survie ou la mort.

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En France, le préfet Haussmann a mené la politique d’assainissement de Paris, en repoussant les petites gens jusque dans les banlieues, en construisant des infrastructures et de grands boulevards. D’où la crainte des bourgeois de la population qui « descend » sur Paris, qui marche sur Paris.

La « question sociale »

La distinction ne se fait plus sur le sang, mais sur le statut social engendrant une élite bourgeoise. Est internalisée une hiérarchie sociale et morale. L’élite est constituée d'individus qui, ayant réussi à gérer leurs affaires, possèdent donc le crédit nécessaire afin de gérer le pays. Ce sont d'ailleurs pendant un moment les seuls à pouvoir voter. Les ouvriers sont vus comme des enfants cédant à l’alcoolisme. Une idée reçue par les ouvriers est qu'il ne faut pas se mettre en colère, car cela pourrait amener le choléra, c'est pourquoi il n'y a pas de manifestation. Dans ce contexte, les bourgeois deviennent paranoïaques des banlieues ouvrières.

« Si vous osez pénétrer dans les quartiers maudits où [la population ouvrière] habite, vous verrez à chaque pas des hommes et des femmes flétries par le vice et par la misère, des enfants à demi nus qui pourrissent dans la saleté et étouffent dans des réduits sans jour et sans air. Là, au foyer de la civilisation, vous rencontrerez des milliers d’hommes retombés, à force d’abrutissement, dans la vie sauvage ; là, enfin, vous apercevrez la misère sous un aspect si horrible qu’elle vous inspirera plus de dégoût que de pitié, et que vous serez tenté de la regarder comme le juste châtiment d’un crime [...]. Isolés de la nation, mis en dehors de la communauté sociale et politique, seuls avec leurs besoins et leurs misères, ils s’agitent pour sortir de cette effrayante solitude, et, comme les barbares auxquels on les a comparés, ils méditent peut-être une invasion. »

— Buret, cité par Chevalier, 594-595.

Annexes

Références

  1. Page personnelle de Michel Oris sur le site de l'Université de Genève
  2. Page du Vice-recteur Michel Oris sur le site l'Université de Genève
  3. CV de Michel Oris en français
  4. Ernst Engel, Die Lebenskosten belgischer Arbeiterfamilien frueher und jetzt. Ermittelt aus Familienhaushaltsrechnungen und vergleichend zusammengestellt, Bulletin of the International Institute of Statistics, 9, 1895, pp.57 et suiv.
  5. Loi d'Engel. (2013, novembre 21). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 20:36, octobre 8, 2014 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Loi_d%27Engel&oldid=98523654.
  6. "Loi Le Chapelier." Wikipédia, l'encyclopédie libre. 15 sept 2014, 08:00 UTC. 3 oct 2014, 17:39 <http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Loi_Le_Chapelier&oldid=107461787>.