« L’ère de la Réforme » : différence entre les versions
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Le terme ''monarchomaque'', littéralement « ceux qui combattent les monarques », apparaît dans le dernier tiers du XVIᵉ siècle pour désigner les auteurs protestants qui, à la différence de Luther et même de Calvin, vont systématiser une véritable théorie politique de la résistance. Si Luther avait condamné la révolte et si Calvin avait ouvert une brèche en autorisant la résistance par l’intermédiaire de magistrats, les monarchomaques franchissent un pas supplémentaire : ils transforment cette possibilité en principe politique explicite. Pour eux, résister à un roi tyrannique ou hérétique n’est pas seulement permis, c’est un devoir religieux et politique. | |||
Ces penseurs, parmi lesquels on compte Théodore de Bèze, François Hotman, Philippe Duplessis-Mornay ou l’auteur anonyme du célèbre ''Vindiciae contra tyrannos'' (1579), fournissent aux réformés français un arsenal théorique qui légitime leur combat armé contre la monarchie catholique.[[File:Peace-of-augsburg 1555.jpg|thumb|left|200px|Representatives of the German estates at the Augsburg conference discuss the possibilities of a religious peace.]] | |||
Pour comprendre l’émergence des thèses monarchomaques dans les années 1570, il faut replacer Calvin et ses successeurs dans le contexte politique et religieux de l’Europe du XVIᵉ siècle. Luther écrit ses premiers grands traités entre 1520 et 1523, Calvin publie la première édition de l’''Institution'' en 1536 : tous deux s’expriment encore dans un climat où la rupture avec Rome est récente et où les réformés espèrent parfois une réforme pacifique de l’Église. | |||
Mais à partir de 1540, la situation se transforme profondément. Dans le Saint-Empire romain germanique, en France et en Angleterre, éclatent de véritables guerres de religion. La Réforme n’est plus seulement une question théologique : elle devient un enjeu de survie politique. Les protestants doivent défendre leur foi par les armes et justifier doctrinalement leur résistance. | |||
Dans le Saint-Empire, les tensions confessionnelles débouchent sur une série de conflits sanglants entre princes catholiques et protestants. La solution provisoire vient avec la paix d’Augsbourg (1555), qui consacre le principe ''cuius regio, eius religio'' — « tel prince, telle religion ». Désormais, chaque prince peut imposer sa confession dans son territoire, et les sujets doivent s’y conformer ou émigrer. | |||
Cet accord met fin à vingt années de guerre religieuse, mais au prix d’une division confessionnelle profonde du Saint-Empire. Surtout, il laisse intacte la question de la légitimité du pouvoir : les princes protestants ont trouvé une reconnaissance, mais les sujets n’ont aucun droit de résistance individuelle. | |||
En Angleterre, la rupture avec Rome a lieu dès 1534 avec l’Acte de suprématie d’Henri VIII. Le pays connaît ensuite une alternance brutale entre répression catholique et répression protestante, jusqu’à l’avènement d’Élisabeth Iʳᵉ (1558). La reine parvient à établir un compromis religieux (l’''Elizabethan Settlement'') qui, à partir des années 1560, stabilise le royaume et protège les protestants. | |||
Ainsi, vers 1560, l’Allemagne et l’Angleterre connaissent un relatif apaisement : un cadre juridique ou politique, aussi imparfait soit-il, permet aux protestants de survivre. | |||
À partir de | La situation est toute autre en France. À partir des années 1540, le royaume s’enfonce dans des guerres de Religion prolongées, opposant catholiques et huguenots. Les affrontements déchirent le pays pendant plus de trente ans, ponctués de massacres, de sièges et de traités sans lendemain.[[Fichier:Francois Dubois 001.jpg|thumb|200px|Le massacre de la Saint-Barthélemy joua un rôle essentiel dans l'émergence des thèses monarchomaques.]] | ||
Le | Le point de rupture survient en 1572 avec le massacre de la Saint-Barthélemy. Dans la nuit du 23 au 24 août, des milliers de protestants — dont de nombreux chefs de la noblesse huguenote — sont assassinés à Paris, sur ordre ou avec la complicité du roi Charles IX et de la cour catholique. Le choc est immense : pour les réformés, ce n’est plus seulement la persécution, mais l’extermination qui menace. | ||
C’est dans ce contexte de persécution extrême que s’élaborent les théories monarchomaques. La logique est simple : si l’État français, incarné par la monarchie catholique, cherche à anéantir le protestantisme, alors il devient nécessaire de résister non seulement au nom de la foi, mais aussi au nom d’un principe politique supérieur. | |||
La résistance cesse d’être un simple refus religieux et devient un droit, voire un devoir politique. En liant la survie de la foi réformée à la défense de la liberté politique, les monarchomaques inaugurent une nouvelle étape dans la pensée de l’État moderne. | |||
Les monarchomaques reprennent les ambiguïtés de Calvin pour les transformer en une doctrine explicite. Là où Calvin disait que les magistrats pouvaient, dans certaines circonstances, s’opposer à la tyrannie, les monarchomaques vont affirmer que la résistance est un droit fondamental du peuple, exercé par ses représentants. | |||
La différence est de taille : Calvin restait attaché à l’idée que le peuple ne pouvait pas agir directement, mais seulement par des intermédiaires. Les monarchomaques, eux, vont jusqu’à affirmer que si le souverain viole la loi de Dieu ou opprime son peuple, il trahit son mandat, perd sa légitimité et peut être renversé. | |||
Ainsi, dans les années 1570, la pensée réformée franchit une étape décisive : la résistance cesse d’être tolérée à titre d’exception, elle devient un principe constitutif de la légitimité politique. | |||
La pensée monarchomaque prend véritablement forme dans les années qui suivent le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Trois ouvrages majeurs fixent les contours de cette doctrine de la résistance : ''Franco-Gallia'' de François Hotman (1573), ''Du droit des magistrats sur leurs sujets'' de Théodore de Bèze (1574) et les ''Vindiciae contra tyrannos'' (1579), attribuées sous le pseudonyme de Junius Brutus, que la tradition rattache à Hubert Languet. Ces trois textes constituent le socle doctrinal des monarchomaques et marquent un tournant dans l’histoire de la pensée politique européenne, en donnant une formulation explicite au droit de résistance. | |||
La première chose qu’il faut souligner est que les monarchomaques ne sont pas des « démocrates avant l’heure ». Leur combat n’est pas motivé par un projet de souveraineté populaire ni par la volonté d’instaurer une démocratie moderne. Leur objectif est beaucoup plus limité et circonstanciel : défendre le droit à l’existence de la foi réformée et protéger les communautés protestantes menacées d’extermination. Leur motivation première est spirituelle, non politique. | |||
La | La radicalité de leur discours doit donc être comprise dans ce cadre. Face à une monarchie française qui refuse tout compromis et face à des persécutions sanglantes culminant avec la Saint-Barthélemy, les réformés n’ont d’autre choix que de justifier théologiquement et juridiquement leur survie. La résistance devient un devoir religieux, non une revendication politique universelle. Ce n’est pas un hasard si, une génération plus tard, avec l’Édit de Nantes (1598) qui accorde aux protestants des garanties substantielles, la veine monarchomaque s’essouffle rapidement. Leur combat n’a pas de visée abstraite : il est d’abord une question de survie confessionnelle. | ||
Les monarchomaques s’accordent sur une idée centrale : le pouvoir politique ne peut pas tout. Qu’il s’agisse d’un roi ou d’un collège de magistrats, le gouvernement est lié par un contrat avec ses sujets. Cette vision contractualiste du pouvoir rompt avec l’idée d’un prince absolu. Le souverain est tenu de respecter la justice, l’équité et la protection de ses sujets. Lorsqu’il viole ce contrat, il perd sa légitimité. | |||
Cette idée du contrat n’est pas conçue dans un esprit démocratique individuel, mais dans une logique communautaire. Le pouvoir naît d’un pacte entre le corps politique — le ''peuple'' envisagé comme une communauté morale — et le gouvernant. | |||
Si le souverain rompt le contrat et se transforme en tyran, alors la résistance devient non seulement possible, mais légitime. Certains auteurs franchissent même un pas supplémentaire : Junius Brutus, dans les ''Vindiciae contra tyrannos'', défend la légitimité du tyrannicide. Tuer un roi qui persécute son peuple, qui renie la foi ou qui viole les fondements de la justice n’est plus considéré comme un crime, mais comme une obligation morale. | |||
Cette radicalité témoigne de la désespérance des réformés français dans les années 1570, mais elle illustre aussi une mutation fondamentale dans l’histoire politique : le roi n’est plus intouchable, son pouvoir n’est plus sacré en soi, il est conditionné par le respect d’un contrat. | |||
Les monarchomaques puisent largement dans la tradition scolastique médiévale, héritée notamment de Thomas d’Aquin. Ils privilégient les arguments institutionnels et constitutionnels sur les qualités personnelles des princes. Ce qui compte n’est pas la vertu individuelle du gouvernant, mais la solidité d’un système politique qui garantit les droits des communautés. | |||
Ce glissement est fondamental : il ne s’agit plus de fonder la politique sur les vertus du prince, comme dans une tradition aristotélicienne, mais de penser la stabilité à travers des institutions capables de limiter et encadrer le pouvoir. Ce déplacement conceptuel annonce les débats modernes sur les constitutions, l’équilibre des pouvoirs et la protection des minorités. À partir du XVIIᵉ siècle, notamment après 1648 et la paix de Westphalie, de nombreux auteurs puiseront dans ce répertoire pour défendre les droits des minorités religieuses. | |||
Enfin, la conception monarchomaque du ''peuple'' reste profondément traditionnelle. Le peuple n’est pas entendu comme une collection d’individus autonomes dotés de droits subjectifs. Il est conçu comme un corps politique, une personne morale, une communauté organique qui délègue le pouvoir à ses représentants. Dans cette logique, la souveraineté populaire n’existe pas au sens moderne : le peuple est une entité collective, non une somme d’individus. | |||
Cette distinction est essentielle pour éviter les anachronismes. Les monarchomaques ne sont pas les précurseurs directs de la démocratie moderne ; ils sont les penseurs d’un moment de crise, qui utilisent le vocabulaire du contrat et du peuple pour défendre une communauté confessionnelle menacée. | |||
== François Hotman - Franco-Gallia, 1573 == | == François Hotman - Franco-Gallia, 1573 == | ||
[[Fichier:François Hotman.jpg|thumb|François Hotman.]] | [[Fichier:François Hotman.jpg|thumb|François Hotman.]] | ||
On trouve quatre arguments qui sont révélateurs de la position constitutionnelle des monarchomaques. | On trouve quatre arguments qui sont révélateurs de la position constitutionnelle des monarchomaques. | ||
Version du 14 septembre 2025 à 12:42
Luther brûlant publiquement les œuvres de Jan Eck, un livre de droit canon et la bulle condamnant ses propositions (Life of Martin Luther and the heroes of the Reformation, 1874).
| Professeur(s) | Alexis Keller[1][2][3] |
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| Cours | Histoire de la pensée juridique et politique : les fondements de la pensée juridique et politique moderne 1500 – 1850 |
Lectures
- Machiavel et la Renaissance italienne
- L’ère de la Réforme
- La naissance du concept moderne de l’État
- John Locke et le débat sur le gouvernement civil
- Montesquieu et la définition de l’État libre
- Jean-Jacques Rousseau et le nouveau pacte social
- Le Fédéraliste et la théorie politique américaine
- John Stuart Mill, démocratie et limites de l’Etat libéral
L’ère de la Réforme s’ouvre dans l’Europe du XVIe siècle, au croisement de bouleversements religieux, politiques, culturels et sociaux qui annoncent l’entrée dans la modernité. L’unité spirituelle héritée du Moyen Âge, cimentée par l’autorité de l’Église catholique romaine, est alors fragilisée par une série de crises profondes. Depuis le XIVe siècle, les scandales liés aux abus de la hiérarchie ecclésiastique, la multiplication des indulgences et l’accumulation de richesses par le clergé nourrissent une critique croissante de l’institution. À cette remise en cause morale s’ajoute une contestation intellectuelle et spirituelle portée par l’humanisme chrétien, qui encourage un retour aux textes fondateurs et valorise l’accès direct des fidèles à l’Écriture. Dans ce contexte, la diffusion de l’imprimerie constitue un facteur décisif, car elle permet à de nouvelles idées religieuses de se répandre avec une rapidité inédite.
L’année 1517, marquée par la publication des quatre-vingt-quinze thèses de Martin Luther à Wittenberg, est généralement retenue comme le point de départ symbolique de la Réforme protestante. Toutefois, cette rupture ne peut être comprise comme un événement isolé : elle s’inscrit dans une longue tradition de mouvements réformateurs qui, de Jan Hus à Savonarole, avaient déjà cherché à corriger les dérives de l’Église. La nouveauté tient à l’ampleur prise par la contestation et à sa résonance politique. Les souverains et princes d’Europe, désireux d’affirmer leur autonomie face au pouvoir pontifical, trouvent dans la Réforme un instrument de légitimation et de consolidation de leur autorité. De l’Empire germanique aux royaumes scandinaves, en passant par les cités helvétiques et la France, le message réformateur se diversifie en une pluralité de courants, du luthéranisme au calvinisme en passant par le zwinglianisme et l’anabaptisme.
Les conséquences de ces transformations dépassent largement le seul domaine religieux. La fracture confessionnelle contribue à remodeler la carte politique de l’Europe, en cristallisant de nouveaux rapports de force entre États et en donnant naissance à des guerres de religion qui marqueront durablement le continent. Elle s’accompagne d’une redéfinition des pratiques sociales et culturelles : nouvelles formes de piété, valorisation de l’éducation biblique, rôle accru de la prédication et de la lecture. Elle stimule également le développement de structures étatiques modernes, puisque le contrôle de la religion devient un instrument central de gouvernement.
L’étude de l’ère de la Réforme permet donc de comprendre un moment charnière où la rupture théologique se double d’une recomposition politique et culturelle de grande ampleur. Elle éclaire la manière dont l’Europe, en abandonnant l’idéal d’une chrétienté unifiée, a vu s’imposer une pluralité confessionnelle durable et a ouvert la voie à de nouvelles formes d’organisation du pouvoir, de la culture et de la vie spirituelle.
Luther (1483 - 1546) et les principes du luthéranisme
On ne peut saisir pleinement la naissance de l’État moderne si l’on se limite à l’apport de la pensée de Machiavel. La Réforme protestante, et en particulier la pensée de Martin Luther, a joué un rôle déterminant dans la reconfiguration des rapports entre religion, pouvoir et société au XVIe siècle. L’émergence du luthéranisme en Allemagne, à partir des années 1520, illustre la manière dont une rupture doctrinale a eu des conséquences politiques profondes. Luther incarne ainsi la deuxième étape de ce vaste mouvement intellectuel et spirituel.
Né en 1483 à Eisleben, Luther reçoit une formation universitaire marquée par le droit, la philosophie scolastique et la théologie augustinienne. Son expérience personnelle, notamment son angoisse face au salut et sa découverte du rôle central de la foi, le conduit à formuler une doctrine radicale : le salut ne dépend pas des œuvres ni de l’intercession de l’Église, mais de la seule grâce divine, reçue par la foi. Cette conviction, traduite par la formule de la sola fide (la foi seule), constitue le cœur du luthéranisme. À cela s’ajoutent d’autres principes fondamentaux : la sola scriptura (l’autorité unique de l’Écriture), la négation de la médiation sacerdotale et l’affirmation du « sacerdoce universel » des croyants. Ces thèses, rendues publiques en 1517 avec les quatre-vingt-quinze propositions de Wittenberg, s’opposent directement à la pratique des indulgences et, plus largement, à l’autorité du pape et de la hiérarchie ecclésiastique.
Sur le plan politique, la pensée de Luther a des implications considérables. D’une part, en délégitimant la centralité de Rome, elle offre aux princes allemands une justification pour s’émanciper de l’autorité pontificale et réorganiser la vie religieuse dans leurs territoires. D’autre part, la doctrine des deux règnes — le spirituel et le temporel — établit une distinction nouvelle entre la sphère religieuse et la sphère politique. Selon Luther, Dieu gouverne le monde par deux moyens : l’Évangile, qui concerne le salut des âmes, et l’épée, confiée aux autorités séculières, qui maintient l’ordre et la justice. Ce principe consacre l’autonomie du pouvoir politique en matière de gouvernement civil, tout en maintenant la nécessité d’une obéissance aux autorités établies.
Le luthéranisme ne se limite donc pas à une réforme de la foi : il prépare une réorganisation des structures sociales et politiques. Les princes deviennent responsables de l’Église dans leurs territoires (ecclesia sub imperio), inaugurant un modèle où la souveraineté religieuse et politique se confondent partiellement. Cette évolution ouvre la voie à une nouvelle conception de l’État, à la fois protecteur de l’ordre social et garant de la confession religieuse. Loin d’être un simple théologien, Luther contribue à l’émergence d’un cadre politique inédit, où le pouvoir séculier s’affirme comme pilier de l’unité territoriale et de la régulation collective.
Biographie
Martin Luther naît le 10 novembre 1483 à Eisleben, en Thuringe, dans une famille d’origine modeste mais en ascension sociale. Son père, Hans Luther, ancien paysan devenu mineur, connaît une certaine prospérité grâce à l’exploitation minière et souhaite pour son fils un avenir dans le droit. Cette volonté familiale illustre l’ambition d’une bourgeoisie montante dans une Allemagne encore marquée par la structure féodale mais en pleine mutation économique et sociale.
Luther reçoit une première éducation dans les écoles latines de Mansfeld et d’Eisenach, où il apprend la discipline humaniste et se familiarise avec le latin. En 1501, il entre à l’Université d’Erfurt, considérée comme l’une des plus prestigieuses d’Allemagne, où il suit un cursus en arts libéraux et obtient en 1505 le grade de maître ès arts. Destiné à une carrière juridique, il commence des études de droit, mais une crise existentielle, liée à la peur de la mort et du salut, le conduit à abandonner cette voie. En juillet 1505, après avoir survécu à un orage violent, il entre au couvent des ermites augustins d’Erfurt, choisissant la vie monastique contre l’avis de son père.
Ordonné prêtre en 1507, il poursuit des études théologiques et intègre rapidement l’Université de Wittenberg, fondée par Frédéric de Saxe, où il obtient en 1512 le titre de docteur en théologie. Nommé professeur d’Écriture sainte, il se consacre à l’enseignement biblique et à l’exégèse, forgeant peu à peu les bases de sa réflexion théologique.
Un voyage à Rome en 1510, effectué dans le cadre des affaires de son ordre, constitue une expérience décisive. Confronté au faste, à la corruption et aux intrigues de la Curie romaine, Luther est profondément troublé. Cette expérience alimente son désenchantement vis-à-vis de l’institution ecclésiastique et renforce son aspiration à une réforme spirituelle.
C’est en commentant l’Épître aux Romains, à partir de 1515, qu’il parvient à ce qu’il appellera plus tard sa « révélation » : l’homme ne peut être justifié devant Dieu que par la foi et non par ses œuvres. Cette doctrine, connue sous le nom de justification par la foi seule (sola fide), devient le pivot de sa pensée. Elle marque une rupture radicale avec la théologie scolastique dominante, qui insistait sur la coopération entre la grâce divine et les mérites humains.
L’événement fondateur de la Réforme a lieu le 31 octobre 1517, lorsque Luther rend publiques ses 95 thèses contre la pratique des indulgences, affichées, selon la tradition, sur les portes de l’église du château de Wittenberg. Ces thèses dénoncent le commerce des indulgences lancé par le pape Léon X pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre. Luther y conteste l’idée que l’autorité pontificale puisse accorder le salut en échange de contributions financières, affirmant que seul Dieu détient ce pouvoir.
Refusant de se rétracter malgré les injonctions, Luther entre rapidement en conflit ouvert avec Rome. Excommunié en 1520 par la bulle Exsurge Domine, il brûle publiquement le document, affirmant son rejet de l’autorité papale. Dans la même année, il publie trois traités majeurs : L’Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, La Captivité babylonienne de l’Église et De la liberté du chrétien. Ces écrits jettent les bases du luthéranisme : critique du cléricalisme, primauté de l’Écriture (sola scriptura), sacerdoce universel des croyants, et redéfinition de la liberté chrétienne.
En 1521, Luther est convoqué par l’empereur Charles Quint devant la Diète de Worms. Sommé de renier ses écrits, il refuse et affirme sa fidélité à la conscience éclairée par la parole divine. Mis au ban de l’Empire, il est néanmoins protégé par l’électeur Frédéric de Saxe, qui organise son enlèvement simulé et son refuge au château de la Wartburg. C’est là qu’il entame la traduction de la Bible en allemand, achevant le Nouveau Testament en 1522. Cette traduction marque une étape décisive pour la diffusion du protestantisme, rendant les Écritures accessibles à un large public et favorisant l’unification linguistique allemande.
Le succès des idées de Luther entraîne des interprétations divergentes. Les paysans allemands, en particulier, voient dans sa critique de l’autorité ecclésiastique une légitimation de leur lutte sociale. Face aux révoltes de 1524-1525, Luther adopte une position conservatrice et répressive. Dans ses pamphlets Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans et Admonestation à la paix, il condamne les soulèvements et affirme la primauté du pouvoir séculier pour maintenir l’ordre. Ce choix souligne sa méfiance envers tout désordre social et son attachement à une hiérarchie politique stable.
Parallèlement, il se heurte à d’autres courants réformateurs : les anabaptistes, favorables au baptême des adultes et à une réforme radicale de la société, et les humanistes comme Érasme. Ce dernier prône le libre arbitre (De libero arbitrio, 1524), auquel Luther répond par De servo arbitrio (Du serf-arbitre, 1525), affirmant que l’homme est incapable de coopérer à son salut sans la grâce divine.
La pensée de Luther repose sur une vision sombre de la nature humaine. L’homme est irrémédiablement marqué par le péché originel et ne peut, par sa raison ou sa volonté, atteindre le salut. Cette anthropologie pessimiste l’éloigne à la fois de la scolastique thomiste, qui affirmait la capacité de la raison humaine à connaître le monde, et de l’humanisme renaissant, qui valorisait l’autonomie et la dignité de l’homme.
Sa théologie connaît une évolution : d’abord proche d’une doctrine de la prédestination, il s’oriente progressivement vers la justification par la foi. Selon lui, Dieu accorde sa grâce librement, et c’est par la foi que l’homme peut en recevoir les fruits. La foi est à la fois un acte humain et un don divin. L’homme reste pécheur, mais la confiance en Dieu lui permet d’obtenir le salut. Cette doctrine bouleverse l’ecclésiologie : si le salut vient de la foi, les médiations institutionnelles de l’Église deviennent inutiles. Il n’existe plus de hiérarchie sacramentelle indispensable entre Dieu et les fidèles, mais une relation directe et personnelle.
Deux conséquences majeures découlent de cette vision. La première est l’émergence d’une conception horizontale de l’Église : le sacerdoce universel abolit la distinction radicale entre clercs et laïcs. La seconde est la réorganisation du pouvoir religieux. Puisque l’Église n’est plus garante du salut, l’organisation extérieure de la vie religieuse revient aux autorités séculières. Les princes deviennent ainsi les protecteurs et organisateurs de l’Église dans leurs territoires, inaugurant un modèle où religion et pouvoir politique se renforcent mutuellement.
Cette position prépare une redéfinition du rôle de l’État. Dans sa doctrine des deux règnes, Luther distingue le gouvernement spirituel, régi par l’Évangile, et le gouvernement temporel, régi par la loi et l’autorité politique. Le pouvoir séculier reçoit de Dieu la mission de maintenir l’ordre, la justice et la paix. Ce schéma justifie l’obéissance des sujets aux autorités, même injustes, et confère aux souverains un rôle central dans l’organisation religieuse et sociale.
À partir de 1525, Luther abandonne définitivement la vie monastique, épouse Katharina von Bora, ancienne religieuse cistercienne, et fonde un foyer qui devient un modèle de la famille pastorale protestante. Il poursuit son œuvre théologique, enseigne à Wittenberg et multiplie les publications, dont Des conciles et de l’Église (1539) et son Commentaire sur la Genèse. Les dernières années de sa vie sont assombries par des polémiques virulentes, notamment contre les juifs et contre certains réformateurs rivaux.
Luther meurt en 1546 à Eisleben. Son héritage est immense : outre une œuvre théologique et polémique qui couvre près de cent volumes, il inaugure une nouvelle manière de penser le rapport entre foi, société et pouvoir. Sa traduction de la Bible en allemand contribue à la formation d’une langue commune, tandis que son insistance sur la foi personnelle ouvre la voie à une spiritualité plus individualisée. Mais son rôle dépasse le cadre religieux : en plaçant les princes au centre de l’organisation ecclésiale, il contribue à la consolidation des États territoriaux et à la transformation durable de l’ordre politique européen.
La philosophie luthérienne : théologie
Luther construit sa pensée théologique sur un double constat : la nature humaine est irrémédiablement corrompue par le péché originel, et l’homme est incapable, par ses propres forces, d’accéder au salut. Cette vision sombre, qui rompt avec l’optimisme rationaliste de la scolastique thomiste et avec l’humanisme renaissant, constitue le socle de son système. Chez Thomas d’Aquin, l’homme, doté de raison, pouvait accéder à la vérité par l’exercice de ses facultés intellectuelles, collaborer avec la grâce divine et ainsi s’orienter vers son salut. Chez les humanistes, l’accent était mis sur la dignité et l’autonomie de l’individu, maître de sa volonté et de son destin. Luther, au contraire, rejette ces deux affirmations : la raison est obscurcie, la volonté asservie, et l’homme ne peut rien par lui-même.
De cette anthropologie pessimiste découle une redéfinition radicale de la relation entre Dieu et l’homme. Luther insiste sur l’idée du Deus absconditus — le Dieu caché — dont les desseins échappent à toute compréhension humaine. L’homme, marqué par le péché, ne peut connaître ni prévoir le plan divin. Toute prétention à percer ce mystère est vaine et relève de l’orgueil. Cette conviction conduit Luther, dans un premier temps, à adhérer à la doctrine de la prédestination : Dieu a choisi, de toute éternité, qui sera sauvé et qui sera damné. L’homme n’a aucune prise sur ce choix, qui relève de la souveraineté divine absolue.
Mais à partir de 1518-1520, Luther infléchit sa position. S’il maintient l’idée que l’homme ne peut obtenir le salut par ses œuvres, il affirme que la foi constitue la voie unique d’accès à la grâce divine. C’est la célèbre doctrine de la justification par la foi seule (sola fide). La foi n’est pas une œuvre méritoire, mais un acte de confiance en Dieu, suscité et soutenu par la grâce elle-même. L’homme reste pécheur (simul peccator et justus), mais sa foi attire le regard de Dieu, qui le déclare juste. Cette doctrine fonde une théologie nouvelle, marquée par deux autres principes indissociables : sola scriptura (l’Écriture seule comme autorité normative) et le sacerdoce universel des croyants (tout fidèle peut accéder directement à Dieu sans médiation sacerdotale).
Cette réorientation bouleverse la conception de l’Église. Si la foi suffit pour établir la relation à Dieu, l’institution ecclésiale perd son rôle traditionnel d’intermédiaire indispensable. L’Église n’est plus la détentrice exclusive des moyens de salut, mais une communauté de croyants rassemblés autour de la Parole et des sacrements essentiels (baptême et eucharistie). Son rôle devient essentiellement organisationnel et pastoral : assurer l’enseignement de la Parole, l’administration des sacrements et la cohésion spirituelle de la communauté. La sacralité de la hiérarchie ecclésiastique s’en trouve radicalement relativisée.
Là où cette théologie rejoint la philosophie politique, c’est dans ses implications pour l’ordre institutionnel et juridique. La séparation entre le domaine spirituel et le domaine temporel devient l’un des axes majeurs de la pensée luthérienne. Deux textes en particulier — le Traité de l’autorité temporelle (1523) et les écrits rédigés pendant la Guerre des Paysans (1524-1525) — permettent de dégager quatre conséquences politiques fondamentales.
Première conséquence : rejet de toute prétention juridictionnelle de l’Église sur les affaires temporelles. Le pouvoir spirituel doit se limiter au domaine religieux — prêcher l’Évangile, administrer les sacrements — sans empiéter sur le gouvernement civil. L’Église n’a aucune autorité en matière politique ou judiciaire. C’est un renversement complet de la tradition médiévale, où la papauté prétendait à une supériorité sur le pouvoir séculier.
Deuxième conséquence : rejet du droit canon. Pour Luther, le droit de l’Église, construit sur des siècles de jurisprudence romaine et d’arguments théologiques, ne possède aucune légitimité. Il repose sur des fondements humains et non divins. La seule norme véritable est la Parole de Dieu, contenue dans l’Écriture. Le droit civil doit être élaboré et appliqué par les autorités séculières, et non par une juridiction ecclésiastique.
Troisième conséquence : affirmation de l’autonomie du pouvoir temporel. Si l’Église ne doit pas interférer dans les affaires civiles, réciproquement, le pouvoir séculier ne doit pas se mêler de la doctrine ou des affaires purement religieuses. Il existe donc deux ordres distincts, régis par des logiques différentes. L’autorité politique tient sa mission directement de Dieu pour maintenir l’ordre et la justice, sans dépendre d’une légitimation ecclésiastique.
Quatrième conséquence : reconnaissance de la prééminence du pouvoir temporel. Si les deux ordres sont distincts, il revient néanmoins au pouvoir séculier d’assumer la responsabilité suprême de la vie collective. L’ordre politique doit garantir la paix, protéger l’Évangile et soutenir l’Église dans son rôle organisationnel. Se dessine alors la figure du « prince chrétien », garant de l’ordre temporel mais aussi protecteur de la foi. Cette conception conjugue autonomie politique et défense des valeurs religieuses : le prince doit gouverner en respectant les commandements de Dieu, mais sans céder aux ambitions de domination de l’Église.
L’idée du prince chrétien constitue une innovation politique majeure. Elle se distingue radicalement de la conception machiavélienne du pouvoir. Chez Machiavel, le prince peut user de la ruse, de la force et de la manipulation pour maintenir l’État, sans être contraint par la morale religieuse. Chez Luther, au contraire, le prince doit être fort, mais sa force doit être mise au service de la défense des valeurs chrétiennes et de l’ordre divin. Le prince luthérien n’est pas un tyran pragmatique, mais un serviteur de Dieu investi d’une mission politique et spirituelle.
Cette conception fait de Luther un antimachiavélien par excellence. Elle refuse le relativisme moral de la raison d’État pour lui substituer un cadre éthique inspiré de la foi chrétienne. Le prince doit gouverner de manière autonome par rapport à l’Église, mais toujours en conformité avec la Parole de Dieu.
L’une des controverses les plus célèbres de Luther illustre son pessimisme anthropologique et son refus de l’optimisme humaniste : le débat avec Érasme de Rotterdam sur la liberté de la volonté. Dans De libero arbitrio (1524), Érasme défend la dignité humaine et la capacité de l’homme à coopérer avec la grâce. Luther lui répond dans De servo arbitrio (Du serf-arbitre, 1525), où il affirme que la volonté humaine est totalement asservie au péché et que seul Dieu décide souverainement du salut.
Ce débat met en lumière deux visions inconciliables : l’humanisme chrétien d’Érasme, confiant dans les ressources morales de l’homme, et le pessimisme luthérien, qui nie toute autonomie de la volonté. La victoire de Luther dans les cercles réformés consacre le triomphe d’une théologie de la dépendance absolue à Dieu et confirme l’orientation antimachiavélienne et antihumaniste de sa philosophie politique.
Pouvoir spirituel et Pouvoir temporel
Luther ne construit pas une pensée politique au sens où l’ont fait Aristote, Machiavel ou Rousseau. Sa réflexion n’est pas une philosophie politique systématique, mais elle produit des conséquences politiques profondes. À travers sa théologie, il redéfinit les rapports entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel et contribue à faire émerger la figure du prince chrétien. Cette figure concentre l’autorité civile et assume la mission de protéger la foi, mais elle pose immédiatement une question centrale : jusqu’où le fidèle doit-il obéir à ce prince chrétien ? Existe-t-il une marge de résistance légitime face au pouvoir politique lorsqu’il s’affirme avec une telle force ?
Luther répond par une position singulière, marquée par une grande ambivalence. Dans ses sermons et ses écrits, il affirme que l’obéissance au pouvoir politique est un devoir absolu, sauf dans un cas extrême : si le prince exige de ses sujets qu’ils blasphèment ou renient leur foi. Hors de cette exception, la désobéissance est pour lui un péché. En d’autres termes, la résistance politique est une erreur, car le pouvoir séculier, quel qu’il soit, dérive de Dieu.
Cette position ne peut être comprise que dans le contexte des bouleversements politiques et religieux du premier XVIe siècle. Lorsque Luther publie ses 95 thèses en 1517, il vise directement l’autorité pontificale et le système des indulgences, symbole à ses yeux de la corruption romaine. Son geste a des effets politiques immédiats : il sape la légitimité du pouvoir religieux romain et fragilise l’équilibre du Saint-Empire.
Très vite, l’Église catholique comprend la portée de ce défi. Les premiers écrits anti-luthériens comparent son influence à celle de la peste noire, signe de la menace perçue. Convoqué par Charles Quint, Luther est mis en jugement, mais il échappe à la répression grâce à la protection de l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage. Ce soutien n’est pas seulement spirituel : les princes allemands y trouvent une opportunité politique pour s’affirmer face à l’Empereur et au pape. Luther, qui bénéficiait de leur protection, prend conscience de l’importance de ce jeu de pouvoir. Sa théologie n’est plus seulement une contestation religieuse, elle devient un instrument de réorganisation politique.
L’ambiguïté de Luther éclate au grand jour lors de la Guerre des Paysans (1524-1525). Inspirés par certains de ses écrits, des groupes de paysans allemands revendiquent la fin des privilèges féodaux, s’appuient sur la lecture directe des Écritures et voient dans le message luthérien une légitimation de la révolte sociale. En Souabe notamment, des soulèvements massifs éclatent, accompagnés de violences.
Luther prend alors peur de cette radicalisation. Il comprend que sa théologie, conçue comme une libération spirituelle, peut être instrumentalisée comme une idéologie révolutionnaire. Pour éviter l’anarchie et préserver l’ordre social, il choisit de condamner vigoureusement les insurgés. Dans son pamphlet Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans (1525), il appelle les princes à réprimer la révolte avec la plus grande sévérité. En bon pragmatique, il se range du côté de l’autorité politique. Le pouvoir séculier, même dur, reste selon lui institué par Dieu, et le désordre populaire menace l’ordre voulu par le Créateur.
Au cœur de cette position se trouve la doctrine des deux règnes. Pour Luther, Dieu gouverne le monde de deux manières distinctes. Le règne spirituel, par l’Évangile, concerne la foi, le salut et la vie intérieure. Le règne temporel, par l’épée, concerne la justice, l’ordre et la paix civile. L’un ne doit pas interférer dans le domaine de l’autre : l’Église n’a pas à gouverner le monde politique, et l’État n’a pas à administrer la foi. Mais cette séparation n’est pas symétrique : dans la pratique, Luther reconnaît au pouvoir temporel une autorité prépondérante.
Ainsi, la mission du prince est double : maintenir l’ordre civil et protéger la prédication de l’Évangile. Il doit être fort, respecté et pieux, mais sa légitimité ne dépend pas d’un mandat ecclésiastique : elle provient directement de Dieu. Cette conception fait du prince chrétien un pilier politique incontournable. Elle consacre l’autonomie du pouvoir politique vis-à-vis de l’Église tout en renforçant son rôle de garant de l’unité religieuse et sociale.
La question du droit de résistance divise profondément les réformés. Luther, de son côté, rejette presque totalement cette idée. Pour lui, même un prince injuste doit être obéi, car résister reviendrait à s’opposer à l’ordre voulu par Dieu. L’unique exception est celle de la foi : si l’autorité exige de renier le Christ, alors le chrétien doit désobéir. Mais cette désobéissance prend la forme du martyre, non de la révolte organisée.
Cette position, très conservatrice sur le plan politique, est le fruit d’une prudence pragmatique. Luther a vu comment ses thèses pouvaient être utilisées comme ferment révolutionnaire, et il veut éviter que sa Réforme religieuse se transforme en révolution sociale. L’ordre politique, même imparfait, est préféré au chaos, car il est institué par Dieu pour contenir le mal et protéger les faibles.
Cette intransigeance de Luther laisse néanmoins ouverte une question que ses successeurs exploreront. Les réformés ultérieurs, notamment Mélanchthon et surtout les penseurs calvinistes et monarchomaques, développeront des théories plus explicites du droit de résistance. Ils s’appuieront sur la théologie de Luther, mais en infléchissant son sens. Là où Luther voyait dans le pouvoir politique une autorité presque intouchable, d’autres verront la possibilité de justifier la résistance au tyran ou de défendre la communauté chrétienne contre un pouvoir oppresseur.
À la noblesse chrétienne de la nation allemande
Parmi les grands textes de 1520, À la noblesse chrétienne de la nation allemande sur l’amendement de l’état chrétien occupe une place centrale. Contrairement à Machiavel, qui puise dans l’héritage antique et humaniste, Luther s’appuie exclusivement sur les Saintes Écritures comme source doctrinale. Son langage est profondément religieux, mais il use de cette rhétorique avec une précision stratégique : il invoque Dieu quand cela sert son propos et adopte un ton politique quand la situation l’exige. Il s’adresse directement aux princes et à la noblesse allemande, qu’il charge d’une mission de réforme, là où le clergé a failli.
Dès les premières lignes, la critique institutionnelle de l’Église est explicite :
« J’ai rassemblé quelques articles qui touchent l’amendement de l’État chrétien, afin de les soumettre à la Noblesse chrétienne de la Nation allemande, au cas où il plairait à Dieu de se servir de l’État laïc pour porter secours à son Église, puisque l’état ecclésiastique, à qui cette tâche devrait plutôt incomber, s’est montré tout à fait négligent de ses devoirs. »
L’Église, selon Luther, a trahi sa vocation. Il revient donc à l’autorité séculière d’assumer la tâche de réforme, inaugurant un déplacement inédit du pouvoir de régulation de la chrétienté. Dans ce texte, Luther s’attaque implicitement à la tradition humaniste qui exalte l’autonomie de la volonté et la capacité rationnelle de l’homme. Pour lui, cette confiance est une illusion dangereuse :
« […] Dieu ne peut ni ne veut supporter qu’on entreprenne une bonne œuvre, en se fiant à sa seule raison et puissance. »
La raison humaine, privée de l’assistance divine, est impuissante. Toute tentative de réforme ou de gouvernement fondée uniquement sur l’intelligence et la force humaines conduit à l’échec. Cette méfiance se retrouve dans un autre passage, où il met en garde contre la présomption des puissants :
« Plus grande est la puissance, plus grandes et la détresse si on n’agit pas humblement et dans la crainte de Dieu. Si les Papes et les Romains ont réussi jusqu’à présent avec l’aide du diable à semer la discorde parmi les rois, ils sont capables de le faire maintenant encore, si nous agissons sans l’aide de Dieu, avec notre puissance et notre habilité propres. »
L’action politique ne peut donc être dissociée de la dépendance à Dieu. C’est ce lien indissoluble entre foi et pouvoir qui fonde la critique luthérienne du système romain. Luther structure sa critique autour de trois « murailles » qui, selon lui, protègent abusivement le pouvoir pontifical et empêchent toute réforme.
« […] les Romanistes se sont entourés de trois murailles grâce à quoi ils sont jusqu’ici protégés et ils ont empêché que quiconque puisse les réformer, si bien que la Chrétienté tout entière a, de ce fait, atteint un état d’effroyable décadence. »
Première muraille : la supériorité du spirituel sur le temporel.
« Premièrement, quand on leur a fait craindre le pouvoir temporel, ils ont posé pour principe de déclarer que le pouvoir temporel n’avait pas de droits sur eux, mais que par contre le pouvoir spirituel était supérieur au pouvoir temporel. »
Luther s’attaque ici à une prétention ancienne : depuis le couronnement de Charlemagne (800), l’Église s’était posée en source de légitimité pour le pouvoir séculier. Pour lui, il est urgent de rétablir l’équilibre, en affirmant que chaque pouvoir doit se limiter à son rôle. Deuxième muraille : le monopole d’interprétation des Écritures.
« Deuxièmement, quand on leur fait des remontrances avec la Sainte Écriture, ils établissent au contraire que nul n’a le droit d’interpréter la Sainte Écriture, si ce n’est le pape. »
C’est une attaque frontale contre le dogme de l’infaillibilité et la prétention ecclésiastique à contrôler l’accès à la vérité. Troisième muraille : le monopole de convocation des conciles.
« Troisièmement, qu’on les menace d’un Concile et ils inventent que nul ne peut convoquer un Concile si ce n’est le Pape. »
Cette mainmise institutionnelle sur les assemblées de l’Église rend toute réforme interne impossible. Luther propose une redéfinition radicale du statut de l’évêque et du clergé, reposant sur le sacerdoce universel :
« Aussi en consacrant, l’Évêque ne fait-il rien d’autre que si, aux lieu et place de toute l’assemblée, il choisissait quelqu’un dans la foule de ceux qui possèdent tous un égal pouvoir et lui ordonnait d’exercer ce même pouvoir à la place des autres, tout comme si dix frères, enfants royaux, également héritiers, choisissaient l’un d’entre eux pour régner à leur place sur l’héritage, ils seraient toujours rois et égaux en pouvoir, alors que la charge de gouverner serait confiée à un seul. »
Dans cette logique, l’évêque n’est pas supérieur en essence, mais simplement délégué d’une communauté de fidèles égaux. Luther ajoute :
« Car du fait que nous sommes tous également prêtres, nul ne doit se mettre lui-même en évidence ni entreprendre, sans avoir été autorisé ni choisi par nous, de faire ce dont tous nous possédons également le pouvoir. »
L’Église idéale est une Église horizontale, fondée sur l’égalité des croyants, où l’élection peut désigner ceux qui assument une fonction. Comme il l’exprime encore :
« De ceci, il résulte qu’entre laïcs, prêtres, Princes, Évêques et, comme ils disent, entre le clergé et le siècle, il n’existe au fond vraiment aucune autre différence si ce n’est celle qui provient de la fonction ou de la tâche et non pas de l’état. »
Cette conception fonctionnaliste dissout la hiérarchie sacrée au profit d’une répartition des rôles. Luther dénonce avec vigueur l’arrogance du clergé romain :
« Le second mur est encore moins solide et il tient encore moins : à savoir qu’ils prétendent être seuls maîtres de l’Écriture, encore que, leur vie durant, ils ne l’étudient jamais, ils s’arrogent l’autorité exclusive et nous font accroire par des paroles impudentes que le Pape ne peut se tromper dans le domaine de la foi, qu’il soit méchant ou bon, mais ils ne peuvent pas apporter à ceci le moindre commencement de preuve. »
Le monopole de l’interprétation est dénoncé comme une imposture. Pour le briser, Luther entreprend la traduction de la Bible en allemand, rendant le texte accessible aux fidèles et rompant ainsi le pouvoir de l’élite cléricale. La traduction devient un acte politique majeur, lié à la diffusion des Écritures et à l’autonomie des communautés chrétiennes. Enfin, Luther montre l’absurdité de l’argument selon lequel seul le pape pourrait convoquer un concile :
« Le troisième mur tombe de lui-même, si les deux premiers tombent, car, si le Pape agit contre l’Écriture, nous avons le devoir de porter assistance à l’Écriture de le réprimander et de l’obliger à obéir, selon la parole du Christ. »
La Bible elle-même justifie la correction fraternelle du pape, et la communauté chrétienne a le devoir de rappeler ses pasteurs à l’ordre.
« Ils n’ont aucun argument tiré de l’Écriture pour prouver qu’il appartient seulement au Pape de convoquer ou de confirmer un Concile, si ce n’est leurs propres lois qui n’ont de valeur que dans la mesure où elles ne portent pas tort aux lois de Dieu, et de la Chrétienté. »
Ainsi, Luther sape les fondements mêmes de l’autorité romaine : son pouvoir n’est pas enraciné dans la Parole de Dieu, mais dans des lois humaines.
De l’autorité temporelle et dans quelle mesure on lui doit obéissance
Publié en 1523, De l’autorité temporelle et dans quelle mesure on lui doit obéissance constitue l’un des écrits les plus importants de Luther sur la question du pouvoir. Alors que ses grands traités de 1520 ciblaient avant tout l’institution ecclésiastique et l’autorité papale, ce texte prend pour objet la place du prince et la relation que les chrétiens doivent entretenir avec lui. On y trouve les prémisses de sa doctrine des deux règnes et, surtout, une position ferme contre toute idée de droit de résistance, sauf exception très limitée.
Luther commence par adresser une critique sévère aux princes de son temps, qu’il accuse d’avoir abusé de leur pouvoir et d’avoir failli à leur mission :
« […] c’est pourquoi il me faut tourner mes efforts dans une autre direction et dire maintenant ce qu’ils ne doivent pas faire. J’espère qu’ils s’y conformeront aussi peu qu’ils ont suivi l’écrit susnommé, afin de rester des princes et de ne pas devenir des chrétiens ! Car Dieu Tout-Puissant a rendu fous nos princes, au point qu’ils s’imaginent pouvoir faire et commander ce qu’ils veulent à leurs sujets (et les sujets aussi se trompent s’ils croient qu’ils ont le devoir d’obéir à tout sans réserve), à tel point qu’ils se sont mus à commander aux gens de remettre les livres, et de croire et pratiquer selon leurs directives. »
Cette attaque traduit la frustration de Luther face à la noblesse allemande, incapable de se comporter comme de véritables princes chrétiens. Le pouvoir, mal exercé, crée un malaise et alimente les tensions sociales. Ce texte apparaît donc comme une mise en garde : si les princes ne se ressaisissent pas, le risque de révoltes grandit. Avant même de condamner la Guerre des paysans en 1525, Luther cherche ici à rappeler aux gouvernants leurs responsabilités. Le cœur de l’argumentation repose sur une affirmation fondamentale : tout pouvoir vient de Dieu.
« En premier lieu, nous devons donner un fondement solide à la loi et au glaive temporels, afin que personne ne doute que c’est par la volonté et l’ordonnance de Dieu qu’ils existent dans le monde. »
Contester le pouvoir revient donc à contester Dieu lui-même. C’est la pierre angulaire de la théologie politique luthérienne. Le glaive temporel n’est pas une institution humaine, mais un ordre voulu par le Créateur pour contenir le mal et garantir la paix civile.
Luther divise ainsi la réalité en deux sphères distinctes : le royaume de Dieu et le royaume du monde. Le royaume de Dieu regroupe les véritables chrétiens, ceux qui vivent dans la foi et n’ont pas besoin de coercition extérieure. Le royaume du monde, en revanche, englobe la masse des hommes pécheurs, incapables de vivre selon l’Évangile et nécessitant des lois humaines pour être contenus.
Il constate :
« Car, étant donné que fort peu croient et que seule la minorité se comporte de manière chrétienne, en ne résistant pas au mal, voire en ne faisant pas eux-mêmes le mal, Dieu a créé pour les autres, à côté de l’état chrétien et du royaume de Dieu, un autre règne, et il les a soumis au glaive, afin que, quelque désir qu’ils en aient, ils ne puissent agir selon leur mauvaise nature, et afin que, s’ils le faisaient, ils ne puissent le faire sans crainte, ni en toute quiétude et avec succès. »
Les mots « mauvaise nature » sont ici décisifs. Parce que l’homme est un pécheur invétéré, il faut un pouvoir temporel fort, incarné par le prince, pour contenir la violence des passions et maintenir l’ordre. De cette justification découle une conséquence majeure : le chrétien doit obéissance au pouvoir politique et n’a pas le droit de résister. Luther fonde ce principe sur l’enseignement du Christ :
« Le Christ ne dit pas : Vous ne devez pas servir le pouvoir ni lui être soumis, mais “Vous ne devez pas résister au mal”. C’est comme s’il disait : Comportez-vous de telle manière que vous supportiez tout ; car vous ne devez pas avoir besoin du pouvoir de façon qu’il vous aide et serve, qu’il vous soit utile ou nécessaire ; mais à l’inverse, c’est vous qui devez l’aider et le servir, lui être utile et nécessaire. »
Le chrétien doit donc supporter l’injustice et s’abstenir de toute révolte. Luther réaffirme ici l’impossibilité de justifier une résistance politique, sauf dans un cas précis : si le prince exige de renier le Christ ou de blasphémer. La non-obéissance est alors tolérée, mais elle se traduit par le refus passif, voire par le martyre, et non par une insurrection active. Une autre question se pose : le chrétien peut-il lui-même manier le glaive et exercer une fonction politique ou militaire ? Luther y répond positivement :
« […] vous demandez si, dans ces conditions, le chrétien peut, lui aussi, manier le glaive temporel et châtier les méchants, étant donné que les paroles du Christ […] le glaive ne peut exister parmi les chrétiens : c’est pourquoi vous ne pouvez le manier contre et parmi les chrétiens, puisqu’ils n’en ont pas besoin. »
Le glaive est une institution divine, il n’est pas sacrilège pour un chrétien de l’assumer. Bien au contraire, refuser cette mission reviendrait à nier une institution voulue par Dieu :
« Ne soyez pas, je vous prie, assez sacrilège pour prétendre qu’un chrétien ne peut exercer ce qui est l’œuvre même de Dieu, son institution et sa création. Sinon, il vous faudrait dire aussi qu’un chrétien ne peut manger ni boire ni se marier, choses qui sont aussi des œuvres et des institutions de Dieu. Mais si cela est l’œuvre de la création de Dieu, cela est bon, et bon de telle sorte que chacun peut en faire usage de manière chrétienne et qui plaise à Dieu. »
Ainsi, le prince chrétien est un serviteur de Dieu, investi d’une mission sacrée comparable au mariage ou au travail. De cette doctrine découle l’idéal du prince chrétien :
« Et de même il serait bon et nécessaire que tous les princes fussent de bons et vrais chrétiens. Car le glaive et le pouvoir, en tant que service particulier de Dieu, incombent aux chrétiens plus qu’à tous les autres hommes sur terre. C’est pourquoi vous devez tenir le glaive et le pouvoir en aussi haute estime que l’état de mariage ou le travail des champs ou l’artisanat, qui ont, eux aussi, été institués par Dieu. »
Et encore :
« Car ceux qui exercent le pouvoir sont les serviteurs et les ouvriers de Dieu, qui châtient le mal et protègent le bien. Cependant, il faut laisser à chacun la liberté de s’en abstenir quand cela n’est pas indispensable, de même que l’on est libre de se marier ou non, de travailler la terre ou non, quand ce n’est pas nécessaire. »
Le prince n’est pas seulement un chef politique, mais un instrument de Dieu chargé de maintenir la justice et d’encadrer la société. En retour, les fidèles doivent lui obéir en toutes choses, sauf lorsqu’il s’attaque directement à la foi chrétienne.
Au terme de ce texte, la position de Luther apparaît clairement : tout pouvoir vient de Dieu, et la résistance au prince est interdite. Seule la désobéissance passive est possible en cas de commandement contraire à l’Évangile. Cette doctrine très conservatrice est une réponse directe aux dangers que Luther percevait dans une lecture révolutionnaire de ses propres écrits. Hostile aux théories de la résistance, il fixe un cadre rigide qui confère au pouvoir temporel une légitimité quasi absolue.
Ce cadre, cependant, sera infléchi par ses successeurs. Là où Luther ferme la porte à la résistance, d’autres réformés, notamment calvinistes et monarchomaques, ouvriront la voie à des justifications plus élaborées du droit de résistance.
L'expansion du luthéranisme
Dès les années 1520, le message de Luther trouve un écho considérable au sein du Saint-Empire romain germanique. La critique de l’autorité papale, la dénonciation des indulgences et l’affirmation de la justification par la foi seule séduisent aussi bien des milieux populaires que des élites intellectuelles. La traduction allemande de la Bible, entreprise à partir de 1521, permet une diffusion massive de ses idées, renforcée par l’imprimerie qui démultiplie les pamphlets et les sermons.
Le luthéranisme ne reste pas confiné à l’Allemagne : il s’étend rapidement vers le nord de l’Europe. Les royaumes scandinaves adoptent la Réforme dès les années 1520-1530, faisant du luthéranisme la religion d’État au Danemark, en Suède et en Norvège. Dans les territoires de Bohême, en Hongrie et dans les pays baltes, il rencontre également un écho important. Au sein du Saint-Empire, de nombreux princes allemands, notamment en Saxe, en Hesse et dans les villes impériales, adoptent la nouvelle confession et l’imposent comme religion officielle de leurs territoires. Cette expansion transforme profondément la carte religieuse de l’Europe centrale.
Cette diffusion du luthéranisme entraîne immédiatement des conséquences politiques majeures. La théologie luthérienne, qui pose le principe de l’obéissance au pouvoir séculier et rejette toute résistance armée, peut être interprétée de deux manières radicalement opposées.
La première lecture, conservatrice et absolutiste.
De nombreux princes et rois qui se convertissent au luthéranisme s’appuient sur Luther pour légitimer leur autorité. Puisque tout pouvoir vient de Dieu et que résister au prince équivaut à résister à Dieu, ils trouvent dans ses écrits une justification théologique à leur pouvoir. La pensée luthérienne est alors utilisée comme un fondement du renforcement monarchique et de la centralisation politique. C’est une lecture qui tend à favoriser l’absolutisme.
La seconde lecture, radicale.
D’autres, au contraire, mettent l’accent sur l’exigence morale du prince chrétien. Si le pouvoir vient de Dieu, il doit être exercé conformément à la Parole divine. Or, si un souverain s’écarte de la foi véritable, il perd sa légitimité. Selon cette interprétation, il devient non seulement possible mais nécessaire de s’opposer à lui, voire de le renverser. La théologie de Luther, malgré ses intentions conservatrices, pouvait donc être réinterprétée comme une arme contre les princes impies ou tyranniques.
Laquelle de ces deux lectures l’emporta ? À l’échelle du XVIᵉ siècle, c’est la lecture radicale qui tend à dominer, en raison du contexte religieux et politique. Dans un Empire où l’Empereur Charles Quint demeure catholique, les princes protestants se sentent menacés. Les réformes imposées par Luther sont contestées et souvent réprimées. La Diète de Spire (1529) condamne explicitement les initiatives protestantes, provoquant la protestation officielle de plusieurs princes et villes — d’où le terme de « protestants ».
À partir des années 1530, l’organisation politique des protestants s’affermit. La Confession d’Augsbourg (1530), rédigée par Mélanchthon, systématise les principes luthériens. En 1531, les princes luthériens créent la Ligue de Smalkalde, alliance politico-militaire destinée à protéger leurs États contre toute tentative impériale de restauration du catholicisme. La défense armée de la foi devient alors une réalité, en contradiction avec la doctrine initiale de non-résistance de Luther.
Les persécutions et les rapports de force politiques contribuent à transformer la Réforme en un mouvement radicalisé. La lecture conservatrice reste présente dans les cours princières qui consolident leur pouvoir grâce au luthéranisme, mais la dynamique militante et contestataire l’emporte dans le climat d’oppression et de lutte confessionnelle qui caractérise la première moitié du XVIᵉ siècle.
Un homme joue un rôle déterminant dans cette radicalisation : Jean Calvin (1509-1564). Si Luther avait théologiquement fermé la porte au droit de résistance, Calvin, installé à Genève, ouvre une réflexion plus politique sur le rapport entre foi et pouvoir. Pour lui, un prince ou un magistrat qui ne respecte pas la vraie religion perd son autorité. Les magistrats inférieurs ont alors le devoir de s’opposer au souverain tyrannique. Cette pensée prépare directement les théories monarchomaques, qui, en France notamment, légitimeront la résistance armée contre les rois jugés hérétiques.
L’expansion du luthéranisme fournit donc le terrain initial d’une double dynamique : consolidation absolutiste des princes convertis, mais aussi radicalisation contestataire dans les contextes de persécution. C’est cette seconde voie qui, sous l’impulsion de Calvin et de ses successeurs, marquera durablement la pensée politique réformée.
À la veille de la guerre de Trente Ans, la carte religieuse de l’Europe centrale reflète ces tensions. Le Saint-Empire est profondément divisé entre États catholiques, luthériens et calvinistes. Les traités d’Augsbourg (1555) et leur principe cuius regio, eius religio (« tel prince, telle religion ») avaient reconnu légalement le luthéranisme, mais n’avaient pas prévu la reconnaissance du calvinisme, désormais très implanté. Cette lacune juridique, ajoutée aux rivalités dynastiques et territoriales, alimente un climat d’instabilité.
Le luthéranisme, en un siècle, est passé d’un mouvement théologique centré sur la foi et la justification à une force politique structurant des États et des alliances. Son expansion a ouvert deux voies antagonistes — absolutisme religieux et radicalisme contestataire — dont les tensions se cristalliseront dans le grand conflit confessionnel et politique qui éclate en 1618 : la guerre de Trente Ans.
Calvin (1509-1564) et les théories de la résistance
Calvin va suivre Luther jusqu’à un certain point, mais va s’en distancer.
Biographie
Jean Calvin, qualifié par Bossuet de « Second Patriarche de la Réforme protestante », naît le 10 juillet 1509 à Noyon en Picardie, dans une famille aisée et socialement intégrée. Son père, Gérard Cauvin, juriste issu d’une lignée d’artisans, exerce de nombreuses charges au service de l’évêque et du chapitre cathédral de Noyon. Cette proximité avec le clergé explique que le jeune Jean reçoive dès son enfance une solide formation religieuse, en même temps qu’une éducation classique. Destiné soit à une carrière ecclésiastique, soit à une carrière juridique, Calvin est inséré dès son plus jeune âge dans un univers où la culture religieuse et le droit se croisent étroitement.
Il poursuit des études à Paris dès 1523 : d’abord au Collège de la Marche, où il bénéficie de l’enseignement de Mathurin Cordier, pédagogue réputé, puis au Collège Montaigu, haut lieu de formation scolastique et humaniste. En 1528, il obtient son grade de maître ès arts. Il complète ensuite cette formation par des études juridiques à Orléans et à Bourges (1528-1530), où il suit les cours de Pierre de l’Estoile et d’André Alciat, figures majeures de l’humanisme juridique. À travers ces maîtres, il s’initie au renouveau méthodologique du droit et à la philologie humaniste. En parallèle, il fréquente le Collège de France, où il suit les cours de Guillaume Budé et de Pierre Danès, grands hellénistes. En 1532, il publie son premier ouvrage savant : un commentaire sur le De Clementia de Sénèque, qui témoigne de son érudition et de son inscription dans le courant humaniste européen.
En 1533, Calvin est impliqué dans les cercles évangéliques de Paris. Il collabore avec Nicolas Cop, recteur de l’Université de Paris, dont le discours de la Toussaint reprend des thèses favorables à Luther. Sa conversion à la nouvelle foi est désormais acquise. En mai 1534, les « Placards » — textes violents contre la messe affichés dans plusieurs villes françaises — provoquent une vague de répression. Calvin, comme de nombreux réformés, doit quitter la France. Commence alors une existence itinérante au service de sa foi, marquée par l’exil et la persécution.
Il séjourne à Bâle, ville d’imprimerie et de refuge pour les réformés, où il publie en 1536 la première édition de L’Institution de la religion chrétienne. Ce texte, réédité et augmenté tout au long de sa vie, constitue la somme de sa pensée théologique et politique. Peu après, il se rend à Genève, récemment passée à la Réforme, où Guillaume Farel le convainc de rester pour organiser la nouvelle Église.
À Genève, Calvin rencontre d’abord une forte opposition. Ses réformes morales et disciplinaires, jugées trop rigoureuses, lui valent l’exil en 1538. Il se réfugie alors à Strasbourg, où il collabore avec Martin Bucer et découvre une autre forme d’organisation ecclésiale. En 1541, il est rappelé à Genève, où il va s’installer définitivement.
Calvin entreprend de réorganiser la cité sur de nouvelles bases. Par les Ordonnances ecclésiastiques (1541), il institue un système où l’Église réformée est structurée autour de quatre ministères (pasteurs, docteurs, anciens et diacres) et où les Consistoires exercent un contrôle moral strict sur la vie des fidèles. Les édits civils et politiques (1542-1543), les ordonnances somptuaires (1558, 1564) et l’Académie de Genève (1559) parachèvent ce dispositif, transformant Genève en « Rome protestante ».
La discipline religieuse et morale imposée par Calvin suscite de nombreuses résistances : conflits avec Sébastien Castellion sur la tolérance, avec Jérôme Bolsec sur la prédestination, et surtout l’affaire Michel Servet, brûlé à Genève en 1553 pour hérésie. Mais à partir de 1555, Calvin triomphe définitivement : les Conseils genevois deviennent des instruments de sa réforme, et la cité se transforme en un centre majeur du protestantisme européen.
Contrairement à Luther, Calvin systématise une véritable pensée politique. S’il partage avec lui le pessimisme anthropologique et la conviction que tout pouvoir vient de Dieu, il s’en éloigne sur la question de la résistance. Là où Luther interdisait strictement toute opposition au prince, Calvin nuance la doctrine.
Pour lui, le pouvoir du souverain n’est légitime que s’il respecte la Parole de Dieu. S’il persécute la vraie foi, il cesse d’être un prince chrétien. Dans ce cas, la résistance est possible, mais elle doit être exercée par des autorités constituées, les « magistrats inférieurs » : nobles, institutions municipales ou corps représentatifs. Ces derniers ont la responsabilité de protéger le peuple contre un prince tyrannique.
Ainsi, Calvin ouvre une brèche théorique : il maintient le principe d’obéissance, mais conditionne la légitimité politique à la fidélité religieuse. Cette distinction est décisive : elle prépare le terrain aux théories de la résistance qui fleuriront au cours des guerres de Religion, notamment en France.
Calvin meurt à Genève le 27 mai 1564, après avoir désigné Théodore de Bèze comme son successeur à la tête de la Compagnie des pasteurs. Il laisse une œuvre immense — plus d’une cinquantaine de volumes — comprenant ses différentes éditions de l’Institution, ses nombreux commentaires bibliques et ses traités théologiques.
Son influence dépasse largement la sphère genevoise : par ses correspondances et par l’action des réfugiés formés à l’Académie de Genève, il inspire les Églises réformées de France, des Pays-Bas, d’Angleterre et d’Écosse. Mais surtout, il marque durablement la pensée politique moderne. En articulant théologie et droit de résistance, Calvin devient une référence pour les monarchomaques et pour les courants contractualistes qui, au XVIIᵉ siècle, redéfiniront les conditions de la légitimité politique.
En reprenant Luther mais en dépassant ses limites, Calvin propose une lecture radicale de la Réforme : il n’ouvre pas la voie à la révolution populaire, mais il légitime une résistance institutionnelle contre le tyran. De ce fait, il joue un rôle central dans la transition entre la Réforme religieuse et l’émergence d’une philosophie politique moderne.
Théologie de Calvin
Les premiers écrits de Jean Calvin, notamment dans les premières éditions de l’Institution de la religion chrétienne (1536, puis révisions successives), reprennent la ligne générale de Luther : l’autorité politique doit être respectée, car omnis potestas a Deo, tout pouvoir vient de Dieu. Comme Luther, Calvin distingue l’ordre spirituel de l’ordre temporel et insiste sur la nécessité d’obéir aux lois civiles. Le chrétien ne doit pas se révolter contre le prince, même injuste, car il reste instrument de la Providence divine.
Toutefois, là où Luther s’était montré catégorique — la seule exception admise étant le cas où l’autorité politique ordonne de blasphémer ou de renier le Christ — Calvin se révèle plus nuancé, plus ambigu et surtout plus attentif aux implications institutionnelles. Sa réflexion, nourrie par son double héritage humaniste et juridique, l’amène progressivement à introduire une série d’exceptions qui ouvrent la voie à une véritable théorie de la résistance politique.
Une lecture attentive de Calvin montre qu’il refuse l’idée d’une résistance directe du peuple. Pour lui, le corps politique ne doit pas se soulever spontanément contre son prince. Mais il admet que ce corps peut mandater des magistrats légitimes pour intervenir. Les « magistrats inférieurs », chargés de protéger le peuple et de faire respecter la justice, ont non seulement le droit mais parfois le devoir de s’opposer au prince si celui-ci viole la loi de Dieu ou persécute la vraie foi.
Il y a donc un élargissement des exceptions : si Luther n’admettait qu’un cas extrême, Calvin envisage toute une série de situations où la résistance est possible, pourvu qu’elle passe par des canaux institutionnels reconnus. Ce mécanisme de délégation — le peuple n’agit pas directement mais à travers ses magistrats — constitue une innovation fondamentale dans la pensée réformée.
Calvin s’inscrit dans un débat central du XVIᵉ siècle : qui détient l’imperium, c’est-à-dire la souveraineté, le pouvoir de faire et de défaire la loi, de commander et de punir ? Dans un contexte où la pensée politique redécouvre, grâce au droit romain et aux débats humanistes, la question de la souveraineté, Calvin apporte une réponse singulière.
Selon lui, l’imperium appartient en dernier ressort au corps politique. Celui-ci le délègue aux magistrats et au prince pour qu’ils exercent l’autorité. Mais qui dit délégation dit possibilité de rupture : si les conditions de l’exercice du pouvoir ne sont pas respectées, si les princes et magistrats violent le mandat qui leur a été confié, alors le corps politique peut retirer cette délégation.
Cette logique contractuelle ouvre la voie à une justification du droit de résistance : l’autorité n’est légitime que dans la mesure où elle reste fidèle au mandat reçu. Si elle le trahit, le contrat est rompu, et la résistance devient non seulement possible mais dans certains cas obligatoire.
Il faut toutefois souligner que Calvin ne formule jamais explicitement un catalogue de cas où la résistance est légitime. La prudence s’impose : la censure est forte, et toute justification trop directe de la révolte risquerait d’entraîner une condamnation. Calvin emploie donc souvent un langage métaphorique ou implicite. Il se présente comme hostile à la révolte populaire, mais il ménage des exceptions de plus en plus nombreuses, ouvrant un espace théorique qui sera exploité par ses disciples.
Ce double langage explique pourquoi Calvin peut apparaître comme contradictoire. D’un côté, il insiste sur l’obéissance, se rangeant derrière l’adage omni potestas a Deo. De l’autre, il esquisse une doctrine où le peuple, par l’intermédiaire de ses magistrats, peut résister à la tyrannie. L’ambiguïté n’est pas une faiblesse, mais une stratégie : elle permet à Calvin de maintenir la continuité avec Luther tout en adaptant sa théologie aux réalités politiques de son temps, marquées par les persécutions, les guerres de religion et l’exigence de protéger les fidèles.
On perçoit nettement dans les écrits de Calvin une évolution. Dans ses premiers textes, il adopte une attitude de méfiance face à toute idée de résistance. Mais progressivement, il élargit le spectre des exceptions. La résistance directe du peuple reste exclue, mais la résistance encadrée par des magistrats légitimes devient envisageable. Et dans certains cas — notamment en situation de tyrannie manifeste ou de persécution religieuse — elle devient un devoir.
Cette évolution marque une rupture décisive avec Luther. Là où ce dernier n’autorisait que la passivité ou le martyre, Calvin ouvre la possibilité d’une résistance institutionnelle, organisée, déléguée. Cette distinction annonce les grands développements du protestantisme politique, depuis les monarchomaques français jusqu’aux théories contractualistes modernes.
Institution de la religion chrétienne
En 1536, à seulement vingt-sept ans, Jean Calvin publie à Bâle la première édition de son grand ouvrage systématique, Institution de la religion chrétienne. Ce texte, qui connaîtra de multiples révisions et augmentations (jusqu’à l’édition définitive de 1559), constitue le socle de toute la théologie calvinienne. Conçu d’abord comme un manuel de défense de la foi réformée, il se développe progressivement en une somme théologique et politique.
Dans le chapitre XX, Calvin s’interroge directement sur la question du gouvernement civil. À travers une réflexion qui prolonge Luther mais s’en distingue, il cherche à définir le rôle de l’autorité politique, son rapport avec l’ordre spirituel et les limites éventuelles de l’obéissance due aux gouvernants. La question est cruciale : en pleine époque de persécutions religieuses et de bouleversements confessionnels, il s’agit de savoir comment le chrétien doit se comporter face au pouvoir, et dans quelle mesure il peut — ou non — résister.
Calvin commence par préciser la mission de l’autorité civile :
« Il convient maintenant de nous préoccuper du second à qui il revient d’établir seulement une justice civile et réformer la moralité sociale. Si ce sujet semble éloigné de la théologie et de la foi que je traite, la suite des développements montrera, pourtant, que c'est à juste titre que je l'aborde ensemble avec cette doctrine. Surtout, parce qu'aujourd'hui, il y a des anarchistes violents qui voudraient renverser l'ordre dans la cité, bien qu'il soit établi par Dieu. D'autre part, ceux qui flattent les gouvernants, en faisant une apologie démesurée du pouvoir, les font quasiment jouer à être des dieux. »
Cette citation éclaire immédiatement la position de Calvin. Le gouvernement civil n’a pas pour but de sauver les âmes — mission propre au gouvernement spirituel — mais d’organiser la société, d’assurer la justice et de maintenir la paix. Il existe donc une séparation claire entre les deux ordres, dans la lignée de Luther : le monde spirituel et le monde temporel obéissent à des logiques distinctes, bien qu’ils relèvent tous deux de la volonté divine.
Calvin adhère au principe luthérien de la séparation des deux règnes (omni potestas a Deo), mais il se démarque sur un point essentiel : la définition de la juste obéissance. Là où Luther privilégiait une fidélité absolue, Calvin nuance et introduit une voie médiane.
D’un côté, il rejette fermement la tentation anarchiste. La référence aux « anarchistes violents » vise les courants radicaux issus de la Réforme — anabaptistes, paysans insurgés, sectes millénaristes — qui avaient interprété la théologie de Luther comme une justification à la révolte. En prônant l’abolition des hiérarchies, certains groupes avaient provoqué de véritables bouleversements sociaux, notamment lors de la guerre des Paysans en Allemagne (1524-1525). Calvin condamne ces dérives et affirme que l’ordre civil, même imparfait, est une institution divine.
Mais, de l’autre côté, Calvin met en garde contre une adulation excessive des princes et des rois :
« D'autre part, ceux qui flattent les gouvernants, en faisant une apologie démesurée du pouvoir, les font quasiment jouer à être des dieux. »
Il s’agit d’une critique directe des cours princières et monarchiques qui sacralisent le pouvoir temporel. Alors que Luther, par sa méfiance vis-à-vis de la révolte, avait parfois laissé la voie ouverte à une lecture absolutiste, Calvin entend limiter cette dérive. L’autorité n’est pas absolue : elle reste soumise à Dieu et doit être exercée dans le cadre de la justice.
Ce double rejet — des radicaux d’un côté, des flatteurs de l’autre — conduit Calvin à définir une position de juste milieu. Le gouvernement civil est nécessaire pour maintenir l’ordre social et réprimer les excès de la nature humaine, profondément marquée par le péché. Mais ce gouvernement ne peut être divinisé ni soustrait à toute critique.
Calvin se place ainsi entre deux extrêmes : la dissolution anarchique de l’ordre et la sacralisation absolue du pouvoir. L’autorité civile est un instrument légitime de Dieu, mais elle reste limitée et ne doit pas être confondue avec l’ordre spirituel. En ce sens, il s’agit d’une pensée de l’ordre, mais d’un ordre tempéré, conditionné par le respect de la justice et de la morale chrétienne.
Dans le chapitre XX de l’Institution de la religion chrétienne, Calvin reprend à la fois l’héritage de Luther et celui de saint Augustin : le monde spirituel et le monde temporel sont distincts, mais ils doivent travailler en convergence. La cité terrestre, selon Augustin, est marquée par le péché, mais elle peut contribuer à préserver la paix civile et la justice, conditions nécessaires pour que la cité céleste puisse s’épanouir. Calvin prolonge ce raisonnement en définissant très précisément la mission de l’État :
« Le règne spirituel nous procure, déjà sur la terre, un avant-goût du bonheur ineffable et éternel. Le but du régime temporel du gouvernement est, tant que nous vivons dans la société des humains, de veiller sur la série extérieure de Dieu et de subvenir à ses besoins, de veiller sur la pure doctrine et la religion, de protéger le bien-être de l’Église, de nous aider à observer l’équité nécessaire, de promouvoir une justice civile dans le domaine des mœurs, en vue de la paix commune et de maintenir la loi et l’ordre pour le bien de tous. »
Cette citation est capitale : elle fixe ce que Calvin considère comme les « buts de l’État ». Le gouvernement n’est pas simplement un pouvoir de contrainte : il a une mission positive, orientée vers le bien commun, la préservation de l’ordre, la protection de l’Église et la garantie d’une coexistence pacifique entre les hommes. Dès le paragraphe III, Calvin insiste sur la nécessité absolue de conserver l’autorité politique, fût-elle imparfaite. Pour lui, l’existence du gouvernement est aussi essentielle à l’homme que la nourriture ou l’air qu’il respire :
« Pour le moment, nous voulons seulement indiquer que vouloir le rejeter, c'est faire preuve d'une barbarie inhumaine, puisqu’il est aussi nécessaire à l’être humain que le pain, l'eau, le soleil et l'air ; et sa fonction est encore bien plus grande (…) En résumé, il veille sur l'exercice public de la religion parmi les chrétiens, sur le maintien de bonnes relations entre tous. »
Ici transparaît la méfiance profonde de Calvin à l’égard de toute forme de résistance : refuser l’autorité civile serait une régression vers la barbarie. L’ordre civil est donc un bien en soi, voulu par Dieu, indispensable au vivre-ensemble.
Dans les sous-chapitres V à VIII, Calvin développe encore cette idée. Les gouvernements sont décrits comme les serviteurs de la justice civile, garants du vivre-ensemble, et la résistance individuelle y est présentée comme presque impossible à justifier. La défiance envers la désobéissance reste dominante, dans la lignée de Luther.
Cependant, à partir du chapitre VIII, Calvin nuance sa vision et s’autorise une réflexion sur les formes de gouvernement. Il ne se contente pas de justifier l’ordre établi : il critique les excès de la monarchie et valorise une forme aristocratique de gouvernement.
« Si l’on compare ces trois catégories de gouvernement que j’ai présentées, la seconde, à savoir le gouvernement par un petit nombre de personnes qui assure la liberté du peuple, me semble préférable, non pas en elle-même, mais parce qu’il n’arrive pas souvent – cela tient même du miracle – que les rois se conduisent si bien que leur volonté ne s’écarte jamais de l’équité et de la droiture. »
Ce passage est d’une grande importance. Calvin reconnaît la légitimité des trois formes de gouvernement traditionnelles — monarchie, aristocratie, démocratie — mais exprime une nette préférence pour le gouvernement aristocratique, c’est-à-dire par un petit nombre de personnes, censé mieux garantir la liberté collective. Il affirme clairement que les bons rois sont une exception miraculeuse, critique à peine voilée de la monarchie française.
Ce choix révèle l’influence des traditions politiques italiennes, en particulier florentines et vénitiennes, où les régimes aristocratiques avaient été pensés comme garants d’un équilibre durable. La proximité avec Machiavel est ici frappante : comme lui, Calvin privilégie les régimes mixtes ou collectifs à la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul.
Malgré cette critique de la monarchie, Calvin maintient son refus de légitimer la résistance populaire. Dans le sous-paragraphe 22 intitulé Le respect des autorités, il définit le premier devoir des sujets envers leurs supérieurs :
« Le premier devoir des sujets vis-à-vis de leurs supérieurs est d'avoir en grande estime leurs fonctions, les reconnaissant comme données par Dieu, et pour cette raison, manifestant aux autorités l'honneur et le respect que l’on doit à ceux qui sont lieutenants et représentants de Dieu. »
La formulation est claire : les autorités politiques sont les représentants de Dieu. Dès lors, s’opposer à elles, c’est s’opposer indirectement à Dieu lui-même. Cette idée, reprise au chapitre XXIII, réaffirme la réticence profonde de Calvin à l’égard du droit de résistance.
Il faut toutefois nuancer : Calvin ne fait pas de l’autorité politique un droit divin absolu. Il ne confond pas pouvoir politique et pouvoir spirituel. Mais il considère que le pouvoir temporel reçoit une part de sa légitimité de Dieu, ce qui rend extrêmement difficile, sinon impossible, de justifier la désobéissance ouverte.
Ce qui apparaît dans ce chapitre de l’Institution est une tension constitutive de la pensée calvinienne. D’un côté, Calvin insiste sur la nécessité d’obéir aux autorités, qui sont instituées par Dieu et qui assurent la paix commune. De l’autre, il introduit une critique du pouvoir monarchique et une préférence pour un gouvernement collégial, laissant entrevoir les germes d’une pensée plus ouverte à la résistance institutionnelle.
Cette ambivalence sera exploitée par ses successeurs. Tandis que Calvin reste mesuré, évitant toute justification explicite de la révolte, ses disciples — Théodore de Bèze, Hotman, Duplessis-Mornay — développeront, dans le contexte des guerres de Religion, une véritable doctrine du droit de résistance.
Lorsque Louis XIV, le « Roi-Soleil », affirme tenir son pouvoir directement de Dieu et fonde sa légitimité politique sur l’existence même de Dieu, il se place dans une logique radicalement différente de celle de Calvin. Dans la doctrine française du droit divin, qui s’affirme pleinement au XVIIᵉ siècle avec Bossuet comme grand théoricien, la volonté de Dieu justifie l’autorité absolue du roi en toutes circonstances. Le souverain est « oint de Dieu » et sa légitimité ne dépend d’aucune médiation humaine.
Chez Calvin, la démarche est autre. Pour lui, certes, omni potestas a Deo — tout pouvoir vient de Dieu. Mais l’homme politique n’est pas l’émanation directe de la volonté divine : il est d’abord choisi par les hommes, adoubé par le corps politique, et seulement ensuite reconnu comme exerçant une mission qui procède de Dieu. Autrement dit, Calvin ne nie pas l’origine divine du pouvoir, mais il refuse que l’autorité civile puisse se réclamer d’un droit divin inconditionnel.
Ainsi, là où les monarchies de droit divin utilisent Dieu pour justifier l’absolutisme, Calvin impose une limite : le gouvernant ne peut pas tout faire au nom de Dieu. L’instrumentalisation politique du principe omni potestas a Deo est précisément ce qu’il cherche à éviter.
Calvin insiste, dans l’Institution, sur le devoir d’obéissance :
« Il s’ensuit autre chose : honorant et respectant ainsi les autorités, nous devons leur obéir en observant leurs ordonnances, soit en payant les impôts, soit en prenant en charge une tâche qui relève de la défense commune, soit en obéissant à tout autre ordre (…) Que personne ne se trompe à ce sujet. Puisqu’on ne peut pas résister aux gouvernants sans résister à Dieu, s'il semble possible de résister à un gouvernement faible et dépourvu d’autorité, prenons garde parce que Dieu est fort et assez armé pour punir le mépris que l’on a de ses ordonnances. De plus, dans cette obéissance, j'inclus la mesure que doivent avoir, dans les affaires publiques, les citoyens privés (…) Je veux dire que les particuliers n’ont pas à se mettre en action sans intermédiaire. »
Ce passage réaffirme la condamnation de toute révolte directe du peuple. Le particulier ne doit pas résister, car ce serait résister à Dieu lui-même. Mais Calvin introduit ici une nuance capitale : il interdit la résistance sans intermédiaire. Par là même, il reconnaît implicitement la possibilité d’une résistance encadrée, médiatisée par des magistrats légitimes. L’argument de la non-résistance se retourne donc en ouverture conditionnée vers une résistance institutionnelle. Dans le sous-chapitre XXXI, Calvin aborde explicitement la question des magistrats établis pour la défense du peuple :
« En effet, s'il existait, il notre époque des magistrats établis pour la défense du peuple afin de réfréner la trop grande ambition ou la liberté des rois — comme il en existait autrefois chez les Spartes, avec les éphores, chez les Romains avec leurs défenseurs populaires et chez les Athéniens avec leurs démarques et, comme aujourd’hui dans chaque royaume lorsque les trois états sont assemblés — je ne leur défendrais pas du tout de s'opposer et de résister à l’intempérance ou à la cruauté des rois dans l'exercice de leur fonction. J’estime même que, s’ils voyaient combien les rois maltraitaient abusivement le pauvre peuple et faisaient comme si cela n'était pas, cette attitude devrait être accusée de parjure et de trahison vis-à-vis de la liberté du peuple, alors qu'ils devaient se reconnaître en avoir été ordonnés les protecteurs par la volonté de Dieu. »
Ici, Calvin se montre explicite : il admet que certains magistrats, investis de la mission de protéger le peuple, peuvent et doivent s’opposer aux abus du souverain. La référence aux éphores spartiates, aux tribuns de la plèbe romains, aux magistrats athéniens ou encore aux États généraux souligne qu’il s’agit d’une tradition politique bien établie : l’existence de contre-pouvoirs chargés de limiter la tyrannie des rois.
L’argument est décisif : la résistance n’est pas autorisée pour le peuple directement, mais elle devient possible, et même nécessaire, par l’action d’institutions reconnues. Calvin encadre ainsi le droit de résistance en le confiant à des médiateurs institutionnels, ouvrant la voie à une théorie de la résistance contrôlée.
Dans le sous-chapitre XXXIII, Calvin précise les bornes de l’obéissance civile :
« S’ils viennent à nous commander des choses contre le Seigneur, nous ne devons pas le supporter. Il ne faut, en ce domaine, n’avoir aucun égard à la dignité des supérieurs, que l’on respecte, lorsqu’elle est soumise à la puissance de Dieu, qui est la seule véritable au-dessus de toutes les autres. »
Cet argument rejoint Luther, qui tolérait déjà la désobéissance en cas d’ordre contraire à la foi. Mais Calvin va plus loin : il ne se limite pas au blasphème ou au reniement de la foi, il envisage des cas où les autorités, par leur abus ou leur cruauté, trahissent la volonté de Dieu. Dans ces circonstances, l’obéissance n’est plus due.
Calvin cherche donc à tenir une position d’équilibre. Il refuse la radicalité des anarchistes et des révolutionnaires qui veulent renverser tout pouvoir. Mais il critique également le dogme de non-résistance absolue de Luther, qu’il juge sans avenir et inadapté aux réalités du temps.
Sa pensée se situe « à la gauche de Luther », en ce sens qu’il ouvre la porte à une résistance encadrée, mais il ne va pas jusqu’aux positions des monarchomaques, qui feront de la résistance un droit explicite et inconditionnel. Calvin dit « oui » à la résistance, mais seulement sous certaines conditions : par l’intermédiaire de magistrats légitimes, et face à des rois qui trahissent la mission divine de protection du peuple.
Il y a donc un glissement progressif dans la théologie politique réformée : de la non-résistance luthérienne à la résistance conditionnelle calvinienne, puis à la résistance affirmée et théorisée des monarchomaques. Calvin représente l’étape intermédiaire : il ne fait pas de la résistance un droit, mais une possibilité encadrée, ouvrant la voie à une nouvelle conception de la souveraineté et de la légitimité politique.
Les monarchomaques
Le terme monarchomaque, littéralement « ceux qui combattent les monarques », apparaît dans le dernier tiers du XVIᵉ siècle pour désigner les auteurs protestants qui, à la différence de Luther et même de Calvin, vont systématiser une véritable théorie politique de la résistance. Si Luther avait condamné la révolte et si Calvin avait ouvert une brèche en autorisant la résistance par l’intermédiaire de magistrats, les monarchomaques franchissent un pas supplémentaire : ils transforment cette possibilité en principe politique explicite. Pour eux, résister à un roi tyrannique ou hérétique n’est pas seulement permis, c’est un devoir religieux et politique.
Ces penseurs, parmi lesquels on compte Théodore de Bèze, François Hotman, Philippe Duplessis-Mornay ou l’auteur anonyme du célèbre Vindiciae contra tyrannos (1579), fournissent aux réformés français un arsenal théorique qui légitime leur combat armé contre la monarchie catholique.
Pour comprendre l’émergence des thèses monarchomaques dans les années 1570, il faut replacer Calvin et ses successeurs dans le contexte politique et religieux de l’Europe du XVIᵉ siècle. Luther écrit ses premiers grands traités entre 1520 et 1523, Calvin publie la première édition de l’Institution en 1536 : tous deux s’expriment encore dans un climat où la rupture avec Rome est récente et où les réformés espèrent parfois une réforme pacifique de l’Église.
Mais à partir de 1540, la situation se transforme profondément. Dans le Saint-Empire romain germanique, en France et en Angleterre, éclatent de véritables guerres de religion. La Réforme n’est plus seulement une question théologique : elle devient un enjeu de survie politique. Les protestants doivent défendre leur foi par les armes et justifier doctrinalement leur résistance.
Dans le Saint-Empire, les tensions confessionnelles débouchent sur une série de conflits sanglants entre princes catholiques et protestants. La solution provisoire vient avec la paix d’Augsbourg (1555), qui consacre le principe cuius regio, eius religio — « tel prince, telle religion ». Désormais, chaque prince peut imposer sa confession dans son territoire, et les sujets doivent s’y conformer ou émigrer.
Cet accord met fin à vingt années de guerre religieuse, mais au prix d’une division confessionnelle profonde du Saint-Empire. Surtout, il laisse intacte la question de la légitimité du pouvoir : les princes protestants ont trouvé une reconnaissance, mais les sujets n’ont aucun droit de résistance individuelle.
En Angleterre, la rupture avec Rome a lieu dès 1534 avec l’Acte de suprématie d’Henri VIII. Le pays connaît ensuite une alternance brutale entre répression catholique et répression protestante, jusqu’à l’avènement d’Élisabeth Iʳᵉ (1558). La reine parvient à établir un compromis religieux (l’Elizabethan Settlement) qui, à partir des années 1560, stabilise le royaume et protège les protestants.
Ainsi, vers 1560, l’Allemagne et l’Angleterre connaissent un relatif apaisement : un cadre juridique ou politique, aussi imparfait soit-il, permet aux protestants de survivre.
La situation est toute autre en France. À partir des années 1540, le royaume s’enfonce dans des guerres de Religion prolongées, opposant catholiques et huguenots. Les affrontements déchirent le pays pendant plus de trente ans, ponctués de massacres, de sièges et de traités sans lendemain.
Le point de rupture survient en 1572 avec le massacre de la Saint-Barthélemy. Dans la nuit du 23 au 24 août, des milliers de protestants — dont de nombreux chefs de la noblesse huguenote — sont assassinés à Paris, sur ordre ou avec la complicité du roi Charles IX et de la cour catholique. Le choc est immense : pour les réformés, ce n’est plus seulement la persécution, mais l’extermination qui menace.
C’est dans ce contexte de persécution extrême que s’élaborent les théories monarchomaques. La logique est simple : si l’État français, incarné par la monarchie catholique, cherche à anéantir le protestantisme, alors il devient nécessaire de résister non seulement au nom de la foi, mais aussi au nom d’un principe politique supérieur.
La résistance cesse d’être un simple refus religieux et devient un droit, voire un devoir politique. En liant la survie de la foi réformée à la défense de la liberté politique, les monarchomaques inaugurent une nouvelle étape dans la pensée de l’État moderne.
Les monarchomaques reprennent les ambiguïtés de Calvin pour les transformer en une doctrine explicite. Là où Calvin disait que les magistrats pouvaient, dans certaines circonstances, s’opposer à la tyrannie, les monarchomaques vont affirmer que la résistance est un droit fondamental du peuple, exercé par ses représentants.
La différence est de taille : Calvin restait attaché à l’idée que le peuple ne pouvait pas agir directement, mais seulement par des intermédiaires. Les monarchomaques, eux, vont jusqu’à affirmer que si le souverain viole la loi de Dieu ou opprime son peuple, il trahit son mandat, perd sa légitimité et peut être renversé.
Ainsi, dans les années 1570, la pensée réformée franchit une étape décisive : la résistance cesse d’être tolérée à titre d’exception, elle devient un principe constitutif de la légitimité politique.
La pensée monarchomaque prend véritablement forme dans les années qui suivent le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Trois ouvrages majeurs fixent les contours de cette doctrine de la résistance : Franco-Gallia de François Hotman (1573), Du droit des magistrats sur leurs sujets de Théodore de Bèze (1574) et les Vindiciae contra tyrannos (1579), attribuées sous le pseudonyme de Junius Brutus, que la tradition rattache à Hubert Languet. Ces trois textes constituent le socle doctrinal des monarchomaques et marquent un tournant dans l’histoire de la pensée politique européenne, en donnant une formulation explicite au droit de résistance.
La première chose qu’il faut souligner est que les monarchomaques ne sont pas des « démocrates avant l’heure ». Leur combat n’est pas motivé par un projet de souveraineté populaire ni par la volonté d’instaurer une démocratie moderne. Leur objectif est beaucoup plus limité et circonstanciel : défendre le droit à l’existence de la foi réformée et protéger les communautés protestantes menacées d’extermination. Leur motivation première est spirituelle, non politique.
La radicalité de leur discours doit donc être comprise dans ce cadre. Face à une monarchie française qui refuse tout compromis et face à des persécutions sanglantes culminant avec la Saint-Barthélemy, les réformés n’ont d’autre choix que de justifier théologiquement et juridiquement leur survie. La résistance devient un devoir religieux, non une revendication politique universelle. Ce n’est pas un hasard si, une génération plus tard, avec l’Édit de Nantes (1598) qui accorde aux protestants des garanties substantielles, la veine monarchomaque s’essouffle rapidement. Leur combat n’a pas de visée abstraite : il est d’abord une question de survie confessionnelle.
Les monarchomaques s’accordent sur une idée centrale : le pouvoir politique ne peut pas tout. Qu’il s’agisse d’un roi ou d’un collège de magistrats, le gouvernement est lié par un contrat avec ses sujets. Cette vision contractualiste du pouvoir rompt avec l’idée d’un prince absolu. Le souverain est tenu de respecter la justice, l’équité et la protection de ses sujets. Lorsqu’il viole ce contrat, il perd sa légitimité.
Cette idée du contrat n’est pas conçue dans un esprit démocratique individuel, mais dans une logique communautaire. Le pouvoir naît d’un pacte entre le corps politique — le peuple envisagé comme une communauté morale — et le gouvernant.
Si le souverain rompt le contrat et se transforme en tyran, alors la résistance devient non seulement possible, mais légitime. Certains auteurs franchissent même un pas supplémentaire : Junius Brutus, dans les Vindiciae contra tyrannos, défend la légitimité du tyrannicide. Tuer un roi qui persécute son peuple, qui renie la foi ou qui viole les fondements de la justice n’est plus considéré comme un crime, mais comme une obligation morale.
Cette radicalité témoigne de la désespérance des réformés français dans les années 1570, mais elle illustre aussi une mutation fondamentale dans l’histoire politique : le roi n’est plus intouchable, son pouvoir n’est plus sacré en soi, il est conditionné par le respect d’un contrat.
Les monarchomaques puisent largement dans la tradition scolastique médiévale, héritée notamment de Thomas d’Aquin. Ils privilégient les arguments institutionnels et constitutionnels sur les qualités personnelles des princes. Ce qui compte n’est pas la vertu individuelle du gouvernant, mais la solidité d’un système politique qui garantit les droits des communautés.
Ce glissement est fondamental : il ne s’agit plus de fonder la politique sur les vertus du prince, comme dans une tradition aristotélicienne, mais de penser la stabilité à travers des institutions capables de limiter et encadrer le pouvoir. Ce déplacement conceptuel annonce les débats modernes sur les constitutions, l’équilibre des pouvoirs et la protection des minorités. À partir du XVIIᵉ siècle, notamment après 1648 et la paix de Westphalie, de nombreux auteurs puiseront dans ce répertoire pour défendre les droits des minorités religieuses.
Enfin, la conception monarchomaque du peuple reste profondément traditionnelle. Le peuple n’est pas entendu comme une collection d’individus autonomes dotés de droits subjectifs. Il est conçu comme un corps politique, une personne morale, une communauté organique qui délègue le pouvoir à ses représentants. Dans cette logique, la souveraineté populaire n’existe pas au sens moderne : le peuple est une entité collective, non une somme d’individus.
Cette distinction est essentielle pour éviter les anachronismes. Les monarchomaques ne sont pas les précurseurs directs de la démocratie moderne ; ils sont les penseurs d’un moment de crise, qui utilisent le vocabulaire du contrat et du peuple pour défendre une communauté confessionnelle menacée.
François Hotman - Franco-Gallia, 1573
On trouve quatre arguments qui sont révélateurs de la position constitutionnelle des monarchomaques.
Lorsque Hotman publie Franco-Gallia, ouvrage qui eut un fort succès, il se replonge dans l’histoire de France pour aller contre l’idée que le roi détient tous les pouvoirs, lorsqu’on lit la constitution française on se rend compte que la monarchie franque était élective, élue par des corps de l’État, la dimension de l’élection s’est perdue avec le temps ; la monarchie française doit être fondée sur le principe électif.
Le deuxième argument est que le pouvoir royal a toujours été en France limité par un Conseil Public qui représente les différents éléments de la population du royaume, ce sont les États généraux. Hotman dit que le roi prétend avoir tous les pouvoirs, mais d’abord la constitution ne l’indique pas et autrefois des institutions limitaient le pouvoir du roi.
Le troisième argument est lorsqu’on lit attentivement la constitution française, qui était à l’époque les lois fondamentales du royaume, on se rend compte que le Conseil Public détenait l’imperium, le vrai pouvoir souverain, la souveraineté n’était en fait pas détenue par le roi seul : le pouvoir du roi était limité.
Le quatrième argument est qu’au fond, le roi ne pouvait pas prendre de décisions importantes concernant les impôts, la politique étrangère, etc. sans l’accord de ce Conseil Public ; le tableau que nous dépeint Hotman est un tableau qui provoque à l’époque beaucoup de critiques des partisans du droit et d’un pouvoir centralisé et monarchique.
Il propose une lecture radicalement différente des lois que les juristes royaux faisaient. Son ouvrage ferra beaucoup de bruit, il va contester l’autorité du roi.
Fondamentalement, Hotman va développer une théorie de la suprématie du corps intermédiaire qui est d’une certaine manière l’ancêtre de la théorie de la souveraineté populaire.
De dire que le roi n’a pas la souveraineté seule, mais qu’elle est au sein d’un conseil, d’une « assemblée » qui délègue certaines de ses compétences au roi et une idée nouvelle et novatrice, surtout c’est une idée radicale qui va à l’encontre de l’idéologie dominante de la monarchie française.
Le roi n’a pas tous les pouvoirs et le roi ne peut pas tout faire parce que la monarchie au départ était une monarchie limitée dans son pouvoir.
Théodore de Bèze - Du droit des magistrats sur leurs sujets, 1574
- Article wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9odore_de_B%C3%A8ze
Ce texte est un développement de l’ébauche que Calvin avait fait sur le droit de résistance; il publie en 1574 du droit des magistrats qui est le premier traité qui définit les conditions d’exercice du droit de résistance.
Son ouvrage est un authentique traité de résistance, Théodore de Bèze est marqué par Hotman.
Le point de départ de Théodore de Bèze est tout d’abord l’affirmation qu’on doit obéir à dieu et que tout pouvoir vient de dieu, il retourne cet adage.
Si tout pouvoir vient de Dieu, cela signifie qu’il existe des circonstances où l’homme doit désobéir à la loi humaine au nom même de sa fidélité à dieu ; si tout pouvoir vient de dieu, il y a des cas ou des situations où l’homme doit désobéir non point à la loi divine, mais à la loi humaine. C’est parce que dieu détient le pouvoir qu’on peut désobéir à un pouvoir humain, simplement on ne peut pas lui désobéir et lui résister de n’importe quelle manière.
Son traité de résistance est extrêmement marqué, il défend deux idées reprenant notamment la théorie du contrat : il y a tout d’abord une première idée que le tyran par usurpation doit être déposé, il distingue deux formes de tyrannies, il peut être déposé et il faut résister au tyran légitime c’est-à-dire celui qui a légitimement hérité du trône, mais devient un tyran dans l’exercice même du pouvoir.
En France, le fils du roi succède au roi, le tyran légitime c’est un tyran qui est légitime en ce sens qu’il a le droit de régner, mais devient un tyran dans l’exercice même du pouvoir.
Jusqu’à lui un tyran par usurpation pouvait être déposé, en revanche ce qui est nouveau avec De Bèze est qu’un roi légitimement couronné peut également être déposé et on peut lui résister.
La deuxième idée est qu’on ne peut lui résister de n’importe quelle manière, chez Théodore de Bèze les intermédiaires sont les magistrats inférieurs.
Théodore de Bèze est favorable à la résistance politique par l’intermédiaire des magistrats inférieurs.
« Telle est donc l’origine des républiques et Potentats rapportée pour bonne raison à Dieu aucteur de tout bien. Ce qu’Homere mesmes a bien congeu et voulu delcarer, appelant les Rois nourrissons de Jupiter et pasteurs des peuples. »
De ce point de vue De Bèze est tout à fait classique, tout pouvoir vient de dieu. Il a tout de même commencé son chapitre par une phrase importante.
« par conséquent que les peuples ne sont pas créés pour les magistrats, mais au contraire les magistrats pour les peuples. »
Il ne faut pas inverser les rôles, les rois sont là pour servir le corps politique et non l’inverse, les magistrats ont des devoirs vis-à-vis du corps politique.
« Chacun doncq confesse, quand il est question de parler du devoir des magistrats, qu’il es loisible de les admonnester, voire mesmes en un besoin les reprendre franchement quand ils se fourvoient de leur office. Mais s’ils es question de reprimer ou mesmes chastier selon leurs demerites les tyrans tous manifestes, alors il y en a qui recommandent tellement la patience et les prieres à Dieu, qu’ils appellent seditieux, et condamnent comme faux chrestiens, tous ceux qui presentent leur col. »
C’est une critique de Luther à peine voilée, il critique tous ceux veulent résister ou se plaindre, certains recommandent la patiente et la prière au point que de dire que ceux qui veulent résister se trompent.
« Ce passage st fort glissant, et pourtant je prie derechef les lecteurs se souvenir de ce que j’ai dit un peu auparavant, à la fin de ne tirer mauvaise consequence de ce que j’ai à dire sur ce point. Je louë doncques la patience chrestienne comme tres recommaendable entre toutes autres vertus, et recognoi qu’il y faut songneusement encourager les hommes, comme estant celle qui emporte le pris de la félicité eternelle. Je deteste les seditions et toute confusion, comme monstres horribles (…) je nie que pour tout cela il ne soit licite aux peuples oppressez d’une tyrannie toute manifeste d’user de justes remedes conjoints avec la repentance et les pieres ; et voici les raisons sur lesquelles je me fonde. »
Cela n’est pas vrai qu’on ne peut résister, il y a des cas où l’on peut résister et où l’on doit résister.
En revanche, le cas et le roi qui est devenu un tyran dans l’exercice même de son pouvoir, il y a clairement des cas où il faut et c’est un devoir de résister ; on ne peut tout simplement descendre dans la rue, De Bèze est une pensée de l’ordre c’est pourquoi il faut recourir aux magistrats intermédiaires qui sont la courroie de transmission entre le pouvoir politique et le corps politique.
Quel est le devoir des subjets envers le souverain legitime estant devenu tyran manifeste, il faut recourir aux magistrats subalternes et inférieurs. Ce sont les magistrats qui sont véritablement le réceptacle de la résistance des populations.
« Je vien maintenant aux Magistrats inférieurs et qui sont comme en degré subalterne, entre le souverain de la maison d’un Roi, et plustot affectez à un Roi qu’à un Roiaume, mais ceux-là qui ont les charges publiques et de l’Estat, soit touchant l’administration de Justice, soit du fait de la guerre, appelez pour ceste cause en une monarchie Officiers de la couronne, et plustot du ROiaume que du Roi, estant cces deux choses bien differentes. »
Le magistrat inférieur est l’officier de la Couronne, c’est le magistrat qui représente le roi, c’est le représentant du roi, ce n’est pas le prince ni la haute noblesse, mais c’est une petite noblesse et surtout des gens qui occupent une fonction politique importante et représentant de la couronne.
De Bèze va plus loin, il affirme une idée essentielle : si les magistrats inférieurs sont le canal par lequel le corps politique peut se plaindre et résister aux décisions du roi, ils le sont parce qu’ils sont dépositaires d’une partie de la souveraineté, ils sont détenteur d’une partie de la souveraineté.
« ils demeurent en leurs estats tels qu’ils estoient, comme aussi la souveraineté demeure en son entier (…) Mais d’une costé, puis que ces officiers inférieurs du roiaume on receu, de par la souveraineté, l’observation et maintenance des loix entre ceux qui leur sont commus, à quoi-mesmes ils sont astreints par sement (duquel ne les peut absoudre la coulpe de celui, qui de Roi est devenu Tyran, et transgresse manifestement les conditions sous lesquelles il avoit esté receu Roi et lesquelles il avoit jurees) n’est-il pas raisonnable, par tout droit divin et humain, que quelque chose soit permise à tels inférieurs Magistrats pour le devoir de leur serment et conversation des loix, plus qu’à ceux qui sont du tout personnes privees et sans charge ? »
Comme ils ont une parcelle de souveraineté n’ont-ils pas un rôle à jouer ?
« je di donc que, s’ils sont reduits à telle necessité, ils sont tenus (mesmes par armes si fait se peut) de pourvoir contre une Tyrannie toute manifeste, à la salvation de ceux qu’ils ont en charge. »
Dans certaines circonstances mêmes par l’utilisation des armes, les magistrats inférieurs ou subalternes ont le devoir, de résister même par les armes de résister voir de déposer le tyran légitime, certes au départ, mais qui à peu à peu dérive et dont le pouvoir et peu à peu devenu arbitraire et abusif.
Le droit de résistance est reconnu et devient même un devoir de résistance pour ces magistrats inférieurs.
Un auteur ira jusqu’à dire que le droit de résistance est un droit sacré même si cela coûte la vie au tyran, un autre dira qu’on peut tuer le tyran qui se prévaut des règles par l’arbitraire, c’est le dernier des monarchomaques.
Théodore de Bèze avait basculé et ouvert la voie au droit de résistance en en faisant un devoir où les individus passent par des magistrats inférieurs pour résister.
Luther dit clairement non à la résistance en politique, pour Calvin dans certains cas seulement en ouvrant la porte à une série d’exceptions, de Bèze dit qu’il faut résister à des conditions de mise en œuvre précise.
L’ouvrage Défense de la liberté contre les tyrans de Junius Brutus de 1579 permet de comprendre la rupture radicale du droit de résistance ; cet ouvrage est très important.
Junius Brutus - Défense de la liberté contre les tyrans, Vindiciae contra tyrannos, 1579
- Article wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vindiciae_contra_tyrannos
Cet ouvrage est l’ouvrage le plus populaire, celui qui a eu un écho aussi si ce n’est pas plus grand que l’ouvrage de 1574 de théorie de de Bèze intitulé ‘’Du droit des magistrats sur leurs sujets’’. Cet ouvrage est édité et réédité 23 fois, traduit dans sept langues, mais surtout il sera réédité dans des langues vernaculaires comme l’anglais sept fois, le français six fois, et l’allemand trois fois.
C’est un pamphlet anonyme intitulé Vindiciae contra tyrannos signé Junius Brutus qui est dans sa forme un ouvrage classique qualifié de scholastique, il pose des questions et donne des réponses très méthodiques ; le monarchomaque qui en est l’auteur soit Hubert Languet soit Du Plessis-Mornay, le protestant à l’origine de cet ouvrage adopte une formule très scholastique dans la construction même de son pamphlet.
Ces questions sont au nombre de quatre :
- les sujets doivent-il obéir a un prince qui ordonne quelque chose qui va à l’encontre des lois de dieu ? Luther s’était déjà posé la question en tranchant par la négative, mais c’est une question que les monarchomaques se posent également, tous les partisans de la réforme vont se poser cette question.
- est-il légitime de résister à un prince qui s’écarte de la loi de dieu ?
- est-il légitime de résister à un prince qui opprime le corps politique soit qui fait montre d’autorité et d’autoritarisme ?
- les monarques voisins peuvent-ils venir à la rescousse de sujets et d’individus tyrannisés dans leur propre pays ?
Les réponses sont : « non », « oui », « oui », « oui ».
« Non » à la première question, Junius Brutus est dans la tradition luthérienne et calviniste, « oui » il est légitime de résister à un principe qui s’écarte de la loi de Dieu, « oui » pour Junius Brutus très clairement, et pour la dernière question la réponse est « oui ».
La partie la plus intéressante de ces questions est les deux dernières plus précisément ; de poser la question et de dire qu’il est légitime de résister à un prince qui opprime l’État et sans mentionner un prince qui viole les lois de Dieu, montre que la théorie de la résistance et le principe de résistance en politique est une vision séculière.
C’est la première fois dans l’histoire de la philosophie et notamment de la philosophie politique qu’une théorie séculière ne justifie pas la résistance du point de vue de la violation des lois divines, mais dit que si on ne me respect pas en tant qu’être il et possible de résister au pouvoir.
Pour affirmer cette vision séculière, il faut souligner le mot consentement ; le monarchomaque qui écrit ce texte défend une vision séculière de la résistance et une vision de l’autorité politique qui repose sur le consentement du corps politique.
Autrement dit, il est très clairement affirmé qu’un monarque est au service du corps politique dont il détient le pouvoir, d’une certaine manière le corps politique, le monarque n’est que le représentant du corps politique qui lui a délégué le pouvoir.
Cette vision est importante parce que pour la première fois dans l’histoire de la pensée jusque il y a véritablement des théoriciens de la politique et du droit qui affirme que l’autorité politique suprême ne détient pas son pouvoir d’une quelconque hérédité, mais détient avant tout son pouvoir du consentement du corps politique qui lui a délégué ce pouvoir.
L’imperium soit la souveraineté n’est pas détenu par la monarchie, mais par le corps politique qui véritablement délègue l’exercice de cette souveraineté au monarque.
Fort logiquement, la conclusion est sans appel, si on délègue le pouvoir est qu’on abuse de la délégation de ce pouvoir, alors celui qui en a hérité peut être tué ; ce texte fait l’apologie du tyrannicide de l’autorité politique devenue tyran qui peut être éliminé en vertu du principe fondateur du consentement.
Junius Brutus passe d’un droit de résistance à un devoir de résistance, c’est un ouvrage novateur.
La quatrième question ouvre la porte à l’internationalisation du conflit entre protestants et catholiques, d’internationaliser le combat des calvinistes qui doivent faire appel à des monarques protestants qui pourraient les aider.
Les deux grandes puissances en 1579 en Europe sont l’Angleterre et les Provinces unies libérées du joug espagnol devenues indépendantes ; l’argument vise très clairement à dire que si les protestants français sont sujets à de l’arbitraire, il est de leur devoir de faire appel à un prince protestant afin de leur venir en aide.
« Nous auons montré ci deant, que c’est Dieu qui inflitue les Rois, qui les eflit, qui leur donne les Royaumes. Maintenant nous difons, que c’eft le peuple qui eftablit les Rois, qui leur met les fceptres és mains, & qui par fes fuffrages aprouve leur election. »
Si tout pouvoir vient de dieu, les rois ne tiennent leur pouvoir que du corps politique et par le consentement du peuple.
« Alors du confentement de tout le pleuple, Saul, dit l’hiftoire, fut nommé Roy. »
Saint Paul doit sa nomination au consentement du corps politique.
« en fomme, puis qu’il n’y eut iamais homme, qui nafquift avec la couronne fur la tefte, & le fsceptre en la main, que nul ne peut eftre Roy de par foy ni regner fans peuple : & qu’au contraire le peuple puiffe eftre peuple fans Roy, & ait efté long temps auant qu’auoir des Rois, c’eft chofe trefaffeure, que tout Rois ont efté premierement eftablis par le peueple. »
C’est un discours « pseudo-révolutionnaire », c’est chose assurée que tout roi a été établi par le peuple.
« Or ,ce que nous difons de tout le peuple vniuerfellement, doit eftre auffi entendu, comme dit a efté en la feconde Queftion, de ceux qui en tout royaume ou ville reprefentent legitimement le corps du peuple, & qui ordinairement font appelez les Officiers du roaume (…) les Officiers du royaume, reçoyuét leur autorité du peuple, en l’enffemblee generale des Eftats. »
II y a l’idée de la représentation en politique qui est affirmée ici ; les représentants légitimes du corps du peuple sont les officiers du peuple.
Il y a l’ébauche de l’idée de représentation politique :
« Si le prince pourfuit , & ne fe foucie point des diuerfes remonftrances qu’on luy aura faites, ains vife feulemét à ce but de pouvoir comettre impunément tout le mal qui luy plaira : alors il eft coupable de tyranie, & peut-on pratiquer cotre luy tout ce que le droit & une iufte violéce permettent cotre un tyran. »
Il y a l’affirmation du droit et du devoir de résistance.
« Davantage, nous auons prouvé que que tous Rois reçoiuent leur dignité Royale de la main du peuple : que tout peuple confideré en un corps eft par deffus & plus grand que le Roy : qu’iceluy Roy eft tant feulement premier fouuerain fouuerneur & feruiteur du Royaume, qui n’a pour maiftre & vray Seigneur que le peuple. »
Le souverain est le peuple et parce qu’il est souverain il peut déposer et tuer le roi usurpateur ; toute cette vision est explicitée aux pages 210, 211 et 212 où Junius Brutus va justifier la nécessité de tuer le roi tyran. La souveraineté du peuple est déléguée dans la personne du monarque qui détient son pouvoir que par le consentement et que Rousseau appelle la volonté populaire.
Ce dernier pamphlet monarchomaque eut un retentissement colossal, avec lui s’achève la vaste réflexion depuis Luther sur les conditions de résistance en politique.
Avec Junius Brutus s’achève la vision la plus radicale du droit de résistance qui est devenue un devoir de résistance. Les monarchomaques ouvrent la voie à un déplacement de l’idée même de souveraineté ; pour Junius Brutus de dire que les rois détiennent le pouvoir de la volonté du peuple est un renversement capital et fondamental du pouvoir politique. C’est une vision plus radicale et ascendante du pouvoir qui se dessine et qui avec les monarchomaque et plus précisément Theodore de Bèze et Junius Brutus s’imposent.
Ces ouvrages vont marquer les esprits provoquant une secousse dans l’ordre conceptuel ; il appartiendra à un homme de reprendre la main et de clarifier cette notion de souveraineté qui avait complètement quitté le pouvoir royal afin de se retrouver dans le corps politique, c’est Jean Bodin.
Annexes
- Teisseyre Charles. Le prince chrétien aux XVe et XVIe siècle, à travers les représentations de Charlemagne et de Saint Louis. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 8e congrès, Tours, 1977. L'historiographie en Occident du Ve au XVe siècle. pp. 409-414.
- Vindiciae contra tyrannos. (2016, mars 3). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 09:11, avril 4, 2016 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Vindiciae_contra_tyrannos&oldid=123930726.
- Paul-Alexis Mellet. Les Traités Monarchomaques. Confusion des temps, résistance armée et monarchie parfaite (vers 1560-vers 1600).. Genève, Droz, pp.568, 2007, Travaux d'Humanisme et Renaissance, 434, 978-2-600-01139-6.
- Belmessous, S. (2014). THE PARADOX OF AN EMPIRE BY TREATY. Empire by Treaty: Negotiating European Expansion, 1600-1900, 1.
- Murray, A. H. (1956). Franco-Gallia of Francois Hotoman, The. Butterworths S. Afr. L. Rev., 100.
- Johnston, R. P. (2005). Jean Jacques Burlamaqui and the theory of social contract. Historia Constitucional, (6), 331-374.
- “How Do People Rebel? Mechanisms of Insurgent Alliance Formation.” The Graduate Institute of International and Development Studies, http://www.graduateinstitute.ch/home/research/research-news.html/_/news/research/2018/how-do-people-rebel-mechanisms-o
- BBC. (2018). The Thirty Years War, Germany, The Invention of... - BBC Radio 4. [online] Available at: https://www.bbc.co.uk/programmes/b015c342 [Accessed 7 Aug. 2018].
- Université de Genève. “Calvin - Histoire Et Réception D'une Réforme.” Coursera, https://www.coursera.org/learn/calvin#about

