La Guerre : conceptions et évolutions

De Baripedia

La guerre est un phénomène complexe qui a connu de nombreuses conceptions et évolutions au fil de l'histoire. Les différentes époques et sociétés ont eu des perspectives différentes sur la guerre, et ces conceptions ont évolué en réponse aux changements politiques, économiques, technologiques et sociaux.

La guerre est un conflit armé entre États ou groupes, souvent caractérisé par l'extrême violence, la perturbation sociale et l'interruption économique. Elle implique généralement le déploiement et l'utilisation de forces militaires et l'application de stratégies et de tactiques pour vaincre l'adversaire. La guerre peut avoir de nombreuses causes, y compris des désaccords territoriaux, politiques, économiques ou idéologiques. La guerre moderne est généralement considérée comme ayant pris naissance avec l'apparition de l'État-nation au XVIIe siècle. Le Traité de Westphalie de 1648 a marqué la fin de la Guerre de Trente Ans en Europe et a établi le concept de souveraineté nationale. Cela a créé un système international basé sur des États-nations indépendants qui pouvaient légitimement recourir à la guerre. L'augmentation de la taille des armées, l'amélioration de la technologie militaire et l'évolution des tactiques et stratégies ont également contribué à la naissance de la guerre moderne. A l'époque du terrorisme et de la mondialisation, la nature de la guerre se transforme. Nous sommes maintenant confrontés à des conflits asymétriques où les acteurs non étatiques, comme les groupes terroristes, jouent un rôle majeur. En outre, l'essor de la cybernétique a entraîné l'apparition de la guerre cybernétique. Enfin, la guerre de l'information, dans laquelle les informations sont utilisées pour manipuler ou tromper l'opinion publique ou l'adversaire, est devenue une tactique courante.

L'idée de la fin de la guerre est débattue. Certains soutiennent que la mondialisation, l'interdépendance économique et la diffusion des valeurs démocratiques ont rendu la guerre moins probable. D'autres soutiennent que la guerre n'est pas près de disparaître, en citant l'existence de conflits armés en cours, la persistance de tensions internationales et la possibilité de conflits futurs sur des ressources limitées ou en raison de l'instabilité climatique. De plus, alors que les conflits traditionnels entre États peuvent diminuer, les nouvelles formes de conflit, comme le terrorisme ou la cybernétique, persistent. L'avenir de la guerre est incertain, mais ce qui est certain, c'est que la poursuite de la diplomatie, du dialogue et du désarmement est essentielle pour prévenir la guerre et promouvoir une paix durable.

D'abord, nous allons explorer la nature fondamentale de la guerre, avant de nous pencher sur l'émergence de la guerre moderne. Nous constaterons que la guerre transcende la simple violence et agit comme un élément régulateur de notre système international, façonné depuis plusieurs siècles. Par la suite, nous examinerons les évolutions contemporaines de la guerre, en particulier dans le contexte du terrorisme et de la mondialisation, et nous nous demanderons si la nature de la guerre se transforme et si ses principes fondamentaux évoluent. Pour conclure, nous nous interrogerons sur l'avenir de la guerre : assistons-nous à sa fin, ou persiste-t-elle sous d'autres formes ?

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Qu’est-ce que la guerre ?

Définition de la guerre

Nous allons nous demander ce qu’est la guerre et revenir sur des mises en garde ainsi que des idées reçues sur ce qu’est la guerre. Il y a de très nombreuses définitions sur ce qu’est la guerre, mais l’une des plus pertinentes est celle de Hedley Bull qui a notamment fondé l’école anglaise qui, dans son ouvrage The Anarchical Society: A Study of Order in World Politics publié en 1977, donne la définition suivante : « an organized violence carried on by political units against each other ».

La définition de Hedley Bull sur la guerre souligne plusieurs aspects clés de ce phénomène complexe.

1. "Une violence organisée" : L'emploi de cette phrase suggère que la guerre n'est pas une série aléatoire ou chaotique d'actes violents. Elle est organisée et planifiée, souvent de manière très détaillée. Cette organisation peut impliquer la mobilisation de troupes, l'élaboration de stratégies et de tactiques, la production et l'acquisition d'armes, et bien d'autres aspects logistiques. La violence en question est également extrême, impliquant généralement la mort et des blessures graves, la destruction de biens et l'instabilité sociale.

2. "Menée par des unités politiques" : Ici, Bull souligne que la guerre est un acte commis par des acteurs politiques - typiquement des États-nations, mais aussi potentiellement des groupes non étatiques ayant une organisation politique. Cela reflète le fait que la guerre est souvent le produit de décisions politiques et est utilisée pour atteindre des objectifs politiques. Cela peut inclure des objectifs tels que la prise de territoire, le changement de régime, l'affirmation de la puissance nationale, ou la défense contre une menace perçue.

3. "Les unes contre les autres" : Cette partie de la définition souligne que la guerre implique un conflit. Il ne s'agit pas d'actes de violence unilatéraux, mais d'une situation où plusieurs parties s'opposent activement les unes aux autres. Cela implique une dynamique interactive où les actions de chaque partie influencent les actions de l'autre, créant un cycle de violence qui peut être difficile à briser.

Cette définition, tout en étant simple, englobe donc de nombreux aspects de la guerre. Cependant, il est important de noter que la guerre est un phénomène complexe qui ne peut être pleinement compris ou expliqué par une seule définition. De nombreuses autres perspectives et théories peuvent également apporter des informations précieuses sur la nature de la guerre, son origine, son déroulement et ses conséquences.

La distinction entre la violence interpersonnelle, comme la criminalité et les agressions, et la guerre, en tant que violence organisée menée par des unités politiques, est cruciale :

  • Violence interpersonnelle : Celle-ci se réfère à des actes de violence commis par des individus ou de petits groupes, souvent dans le contexte de crimes comme le vol, l'agression, le meurtre, etc. Elle n'est généralement pas coordonnée ou organisée à grande échelle, et elle n'a pas pour but d'atteindre des objectifs politiques. Les motivations peuvent être variées, allant des conflits personnels à la recherche de gains matériels.
  • Guerre : Contrairement à la violence interpersonnelle, la guerre est une forme de violence à grande échelle qui est soigneusement organisée et planifiée par des unités politiques, généralement des États-nations ou des groupes politiques structurés. La guerre vise à atteindre des objectifs spécifiques, souvent d'ordre politique, par l'usage de la force. Les combattants sont généralement des soldats ou des militants formés et équipés, et les conflits se déroulent souvent selon certaines règles ou conventions.

Le point soulevé par Hedley Bull sur le caractère officiel de la guerre est un élément crucial pour comprendre sa nature. Selon lui, la guerre est menée par des unités politiques, généralement des États, et se produit contre d'autres entités politiques. C'est une action qui est officiellement sanctionnée et conduite au nom de l'État. Cette distinction est importante car elle sépare la notion de guerre de celle de lutte contre le crime, qui est également une forme de violence organisée mais qui opère dans un cadre différent. Alors que la guerre est généralement un conflit entre États ou groupes politiques, la lutte contre le crime est une action entreprise par l'État à l'intérieur de ses propres frontières pour maintenir l'ordre et la sécurité. La lutte contre le crime est généralement menée par les forces de l'ordre, comme la police, qui ont pour mission de prévenir et de réprimer le crime. Elle n'a pas pour but de réaliser des objectifs politiques ou stratégiques, comme c'est le cas dans une guerre, mais plutôt de protéger les citoyens et de faire respecter la loi. Cette différenciation souligne le caractère exceptionnel de la guerre en tant qu'acte de violence organisée qui transcende les frontières politiques, contraste avec la violence interne, et est sanctionnée par l'État ou l'entité politique. La guerre est un phénomène politique par nature, visant à modifier le statu quo, souvent par le biais de l'utilisation de la force armée, et représente donc une dimension distincte de la violence dans la société.

La définition de la guerre formulée par Hedley Bull est assez complète et précise. Elle décrit bien la nature de la guerre moderne en soulignant ses aspects clés : c'est une violence organisée, menée par des unités politiques, entre elles, et généralement dirigée à l'extérieur de ces unités politiques. Cette définition couvre bien ce que beaucoup de gens entendent par "guerre", y compris ceux qui l'étudient dans un cadre académique ou militaire. Elle capture la notion que la guerre est un phénomène structuré, avec des acteurs spécifiques (les unités politiques), un caractère officiel, et une orientation externe. Cette définition sert également de base pour comprendre la complexité des conflits modernes, où les lignes entre les acteurs étatiques et non étatiques peuvent être floues, et où les conflits peuvent impliquer des acteurs internationaux et transcender les frontières nationales.

Toutefois, il convient de noter que cette définition, bien qu'utile, est une parmi de nombreuses façons possibles de définir et de comprendre la guerre. D'autres perspectives peuvent mettre l'accent sur d'autres aspects de la guerre, tels que sa dimension sociale, économique ou psychologique. Comme pour tout phénomène complexe, une compréhension complète de la guerre nécessite une approche multidimensionnelle qui tient compte de ses multiples facettes et implications.

Deux idées reçues

La guerre, en tant que concept, a infiltré notre conscience collective grâce à l'histoire, aux médias, à la littérature et à d'autres formes de communication culturelle. Cependant, nos perceptions intuitives de la guerre peuvent être façonnées par des idées préconçues qui ne reflètent pas nécessairement la complexité de la réalité.

Frontispiece of Leviathan.

Thomas Hobbes : « la guerre de tous contre tous »

Pour Thomas Hobbes dans Le Léviathan publié en 1651, la guerre est « la guerre de tous contre tous ». Dans ce livre, Hobbes décrit l'état de nature, une condition hypothétique où il n'y a pas de gouvernement ou d'autorité centrale pour imposer l'ordre. Il définit l'état de nature comme une "guerre de tous contre tous" (bellum omnium contra omnes en latin), où les individus sont en compétition constante les uns avec les autres pour la survie et les ressources. Selon Hobbes, sans une autorité centrale pour maintenir l'ordre, les êtres humains seraient constamment en conflit, menant à une vie qui serait "solitaire, pauvre, désagréable, brutale et courte". C'est la raison pour laquelle, selon lui, les êtres humains acceptent de renoncer à une partie de leur liberté en faveur d'un gouvernement ou d'un souverain (le Léviathan), qui est capable d'imposer la paix et l'ordre.

Dans "Le Léviathan", Hobbes soutient que sans un État ou une autorité centrale, la vie des individus serait dans un état constant de "guerre de tous contre tous". C'est l'anarchie, selon Hobbes, qui règne en l'absence de l'État. L'anarchie, dans ce contexte, ne signifie pas nécessairement le chaos ou la désorganisation, mais plutôt l'absence d'une autorité centrale pour imposer des règles et des normes de conduite. Pour Hobbes, l'État est donc un instrument nécessaire pour réguler les relations interindividuelles, prévenir les conflits et assurer la sécurité des individus. Les individus, selon Hobbes, acceptent de renoncer à une partie de leur liberté en échange de la sécurité et de la stabilité que l'État peut leur fournir.

En réalité, même dans des situations d'extrême instabilité sociale ou politique, les êtres humains tendent à former des structures et des organisations pour préserver l'ordre et faciliter la survie. La guerre perpétuelle, telle que décrite par Hobbes dans l'état de nature, est en effet pratiquement impossible du point de vue empirique. En outre, comme vous l'avez souligné, mener une guerre nécessite un degré d'organisation et de coordination que les individus en état d'anarchie auraient du mal à réaliser. Les individus sont plus enclins à se regrouper pour leur propre défense ou pour atteindre des objectifs communs, ce qui en soi peut être considéré comme une forme primitive d'État ou de gouvernance. Il est important de noter que Hobbes utilise l'état de nature et la "guerre de tous contre tous" comme des outils conceptuels pour argumenter en faveur de l'importance de l'État et du contrat social. Il ne suggère pas nécessairement que cet état de nature ait jamais existé littéralement.

Les conflits armés, en particulier ceux qui s'élèvent au niveau de la guerre, impliquent des dynamiques beaucoup plus complexes que les simples agressions ou conflits individuels. Ils nécessitent une organisation significative, une planification stratégique et des ressources substantielles.

Les guerres impliquent généralement des acteurs politiques - des États ou des groupes cherchant à atteindre des objectifs politiques spécifiques. Ainsi, la guerre n'est pas seulement une extension de l'agression individuelle ou de l'égoïsme, mais elle est également fortement liée à la politique, à l'idéologie et aux structures de pouvoir. En outre, les guerres ont souvent des conséquences sociales et politiques de grande envergure. Elles peuvent remodeler les frontières, renverser les gouvernements, provoquer des changements sociétaux majeurs, et avoir des effets durables sur les individus et les communautés. C'est pourquoi l'étude de la guerre nécessite une compréhension approfondie de nombreux aspects différents de la société humaine, y compris la politique, la psychologie, l'économie, la technologie et l'histoire.

La vision de Hobbes de la "guerre de tous contre tous" se concentre sur l'égoïsme et le conflit comme des aspects inhérents de la nature humaine. Cependant, comme vous l'avez justement souligné, la guerre, telle que nous la connaissons, n'est pas simplement le produit de l'égoïsme ou de l'agressivité individuelle. Elle est en fait une création sociale complexe qui nécessite une organisation et une coordination substantielles. L'idée que la guerre est en fait un produit de notre socialité, et non de notre égoïsme, est très éclairante. Pour mener une guerre, il faut non seulement des ressources, mais aussi une structure organisationnelle pour coordonner les efforts, une idéologie ou un objectif pour unifier les participants, et des normes ou des règles pour réguler la conduite. Tous ces éléments sont le produit de la vie en société. Cette perspective suggère que pour comprendre la guerre, nous devons regarder au-delà des simples instincts ou comportements individuels et considérer les structures sociales, politiques et culturelles qui permettent et façonnent le conflit armé. Elle souligne également que la prévention de la guerre nécessite une attention particulière à ces structures, et pas seulement à la nature humaine.

Bien que la théorie hobbesienne de la "guerre de tous contre tous" suggère que la guerre est enracinée dans la nature égoïste des individus, la réalité est beaucoup plus complexe. La guerre nécessite un certain degré d'organisation, de planification et de coordination, qui sont toutes des caractéristiques des sociétés humaines plutôt que des individus isolés. Par conséquent, la guerre peut être mieux comprise comme un phénomène social, plutôt que comme une simple extension de l'égoïsme ou de l'agressivité individuelle. La guerre est souvent influencée par, et a à son tour une influence sur, une variété de structures et de processus sociaux, y compris la politique, l'économie, la culture, et les normes et valeurs sociales. Les conflits armés ne se produisent pas dans le vide, mais sont profondément enracinés dans les contextes sociaux et historiques spécifiques.

La guerre, en effet, est bien plus qu'une simple manifestation de l'agressivité ou de l'égoïsme humain. Elle est plutôt le résultat d'un vaste ensemble de facteurs sociaux et organisationnels qui permettent, facilitent et motivent le conflit à grande échelle. Pour déclencher une guerre, il faut bien plus qu'une simple volonté ou un désir de combattre. Il faut des structures organisationnelles capables de mobiliser des ressources, de coordonner des stratégies et de diriger des forces armées. Ces structures comprennent des administrations bureaucratiques, des chaînes de commandement militaire, et des systèmes de soutien logistique, entre autres. Ces organisations ne peuvent exister sans le cadre social qui les soutient. De plus, il faut aussi un certain type de culture et d'idéologie qui justifie et valorise la guerre. Les croyances, les valeurs et les normes sociales jouent un rôle crucial dans la création et le maintien de ces organisations, ainsi que dans la motivation des individus à participer à la guerre. Ainsi, la guerre est un phénomène profondément social et structurel. Elle est le produit de notre capacité à vivre ensemble en société, et non de notre égoïsme ou de notre agressivité individuelle. Cette perspective peut offrir des pistes importantes pour la prévention des conflits et la promotion de la paix.

La guerre guerre comme relèvant de la nature humaine

Nous venons de voir comment faire la guerre et la rendre possible, maintenant nous allons, avec la seconde idée reçue, nous intéresser au « quand ». La seconde idée reçue est celle de la guerre perpétuelle d’Héraclite qui postule que « La guerre est le père de toute chose, et de toute chose elle est roi ». Cependant, ce point de vue simplifie excessivement la réalité.

La guerre, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est un phénomène spécifique qui nécessite un certain niveau de structure sociale et organisationnelle, comme nous l'avons précédemment discuté. En d'autres termes, la guerre n'est pas simplement une manifestation de la violence humaine, mais plutôt une forme organisée et structurée de conflit qui a évolué avec le temps en fonction de facteurs sociaux, politiques, économiques et technologiques. La présence de la violence organisée n'est pas un trait universel de toutes les sociétés humaines à travers l'histoire. Certaines sociétés ont vécu des périodes prolongées de paix, tandis que d'autres ont connu des niveaux plus élevés de violence et de conflit. En outre, la nature de la guerre elle-même a également changé de manière significative au fil du temps. Les guerres de l'Antiquité, par exemple, étaient très différentes des guerres modernes en termes de stratégie, de technologie, de tactiques et de conséquences.

Si on a un regard un peu plus sociologique, on pourrait dire que la guerre est un phénomène relativement récent dans l’histoire humaine, c’est en tout cas une caractéristique qui n’est pas intemporelle. Les preuves archéologiques et anthropologiques indiquent que la guerre, telle que nous la comprenons aujourd'hui en tant que conflit organisé à grande échelle entre des entités politiques, est un phénomène relativement récent dans l'histoire de l'humanité. Ce n'est qu'avec l'apparition de sociétés plus complexes et hiérarchisées, souvent accompagnée de la sédentarisation et de l'agriculture, que nous commençons à voir des signes clairs de guerre organisée. Avant cela, bien que la violence interpersonnelle et les conflits de petite envergure aient certainement existé, il n'y a pas de preuves convaincantes de conflits à grande échelle impliquant une coordination complexe et des objectifs politiques. Cela ne veut pas dire que les sociétés humaines étaient pacifiques ou sans violence, mais plutôt que la nature de cette violence était différente et ne correspondait pas à ce que nous appelons généralement "guerre".

L'idée que la guerre est un phénomène récent à l'échelle de l'histoire de l'humanité est soutenue par de nombreuses recherches en anthropologie et en archéologie. Avant l'avènement de l'agriculture lors de la Révolution néolithique datant d’environ 7000 avant Jésus Christ, les humains vivaient généralement en petits groupes de chasseurs-cueilleurs. Ces groupes avaient des conflits, mais ils étaient généralement de petite envergure et ne ressemblaient pas aux guerres organisées que nous connaissons aujourd'hui. On ne peut pas vraiment parler de guerre. La guerre, telle que nous la définissons actuellement, nécessite une certaine organisation sociale et une spécialisation du travail, y compris la formation de groupes dédiés aux combats. De plus, la guerre implique souvent des conflits pour le contrôle des ressources, ce qui devient plus pertinent avec l'émergence de l'agriculture et la sédentarisation des populations, lorsque les ressources deviennent plus localisées et limitées. C'est pourquoi la plupart des chercheurs s'accordent à dire que la guerre, en tant que phénomène structuré et organisé, n'a probablement pas existé avant la Révolution néolithique, il y a environ 10 000 ans. Cela signifie que pendant la majeure partie de l'histoire de l'humanité, la guerre telle que nous la connaissons n'existait pas, ce qui remet en question l'idée qu'elle est un aspect naturel et inévitable de la société humaine. Ainsi, si on part du principe que l’homme est apparu il y a 200000 ans, la guerre ne concernerait donc que 5% de notre histoire. Nous sommes loin d’un phénomène anhistorique et universel qui aurait toujours existé.

Il est important d’éviter d’essentialiser la guerre comme quelque chose qui serait en nous. Si on regarde empiriquement, les faits, la guerre n’a pas toujours existée et elle est liée à une organisation sociale développée. Cette forme d’organisation sociale apparait à partir du néolithique et elle coïncide avec une spécialisation fonctionnelle, à savoir avec l’apparition des premières villes. Ainsi, la guerre en tant que phénomène organisé et institutionnalisé est intrinsèquement liée à l'apparition de sociétés plus complexes, notamment avec la naissance des premières villes. La vie citadine a conduit à une division du travail beaucoup plus marquée, avec des individus se spécialisant dans des métiers spécifiques, dont certains étaient liés à la défense et à la guerre. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs ont souvent une division du travail basée sur le sexe et l'âge, mais la diversité des rôles est généralement limitée par rapport à ce que l'on voit dans les sociétés agricoles plus complexes. Avec le développement de l'agriculture et des premières villes, la division du travail s'est considérablement élargie, permettant la formation de classes de guerriers spécialisés. Cela a également coïncidé avec l'apparition des premiers États, qui avaient les ressources et l'organisation nécessaires pour mener des guerres à grande échelle. C'est à cette époque que nous voyons émerger des formes de violence organisée et prolongée que nous reconnaissons comme étant des guerres.

C’est une idée qui est assez fondamentale dans l’idée même de la construction de l’État et du développement de nos sociétés. La capacité d'organiser et de mener la guerre est devenue un élément clé dans la formation des États. Dans bien des cas, la menace de violence ou de guerre a contribué à l'unification de groupes divers sous une autorité centrale, conduisant à la création d'États-nations. Cela se reflète dans la théorie du contrat social de Hobbes, où il postule que les individus acceptent de renoncer à certaines libertés et d'accorder une autorité à une entité suprême (l'État) en échange de sécurité et d'ordre. Dans ce sens, la guerre (ou la menace de la guerre) peut servir de catalyseur pour la formation des États. Par ailleurs, la gestion de la guerre, à travers la levée d'armées, la défense du territoire, l'application du droit international et la diplomatie, est devenue une part essentielle des responsabilités des États modernes. Cela se traduit par le développement de bureaucraties dédiées, de systèmes d'impôts pour financer les efforts militaires, et de politiques internes et externes axées sur les questions militaires et de sécurité. Ainsi, la guerre et la formation de l'État sont profondément liées, chacune influençant et façonnant l'autre tout au long de l'histoire humaine.

La spécialisation professionnelle a effectivement été un facteur clé dans le développement des sociétés humaines. C'est ce qu'on appelle la division du travail, un concept qui a été largement exploré par des penseurs tels qu'Adam Smith et Emile Durkheim. La division du travail peut être décrite comme un processus par lequel les tâches nécessaires à la survie et au fonctionnement d'une société sont réparties entre ses membres. Par exemple, certaines personnes peuvent se spécialiser dans l'agriculture, tandis que d'autres se spécialisent dans la construction, le commerce, l'enseignement, ou, la sécurité. Cette spécialisation permet à chaque individu de développer des compétences et des connaissances spécifiques à son rôle, ce qui augmente généralement l'efficacité et la productivité de la société dans son ensemble. En retour, les individus dépendent les uns des autres pour répondre à leurs besoins, créant ainsi un réseau complexe d'interdépendance. En ce qui concerne la sécurité et l'application de la violence, la spécialisation a conduit à la création de forces de police et d'armées. Ces entités sont chargées de maintenir l'ordre, de protéger la société et d'appliquer les lois et les règlements. Cette spécialisation a également eu des implications significatives pour la conduite de la guerre et la structuration des sociétés modernes.

La guerre, comme nous la comprenons aujourd'hui, coïncide avec la Révolution néolithique, une période où les humains ont commencé à se sédentariser et à créer des structures sociales plus complexes. Avant cela, les conflits intergroupes existaient, mais ils n'avaient probablement pas la même échelle ou le même niveau d'organisation que ce que nous classons maintenant comme "guerre". La Révolution néolithique a vu les humains évoluer d'une vie de chasseurs-cueilleurs nomades à une vie d'agriculteurs sédentaires. Cela a mené à la création de la première densité de population significative - les villes - ainsi qu'à l'émergence de nouvelles formes de structure sociale et politique. Cette densité de population accrue et ces structures plus complexes ont probablement augmenté la compétition pour les ressources, ce qui a pu conduire à un conflit plus organisé. De plus, avec l'apparition des villes, la spécialisation des métiers a commencé à se développer, comme vous l'avez mentionné précédemment. Cette spécialisation incluait des rôles dédiés à la protection et à la défense de la communauté, tels que des guerriers ou des soldats, qui pouvaient se consacrer entièrement à ces tâches au lieu de devoir également se soucier de l'agriculture ou de la chasse. Cette spécialisation a permis l'émergence de forces militaires plus organisées et efficaces, contribuant à l'escalade de la guerre en tant que phénomène social.

Après la Révolution néolithique, nous assistons à une croissance rapide de la complexité sociale et politique. La sédentarisation et l'agriculture ont conduit à des sociétés plus stables et plus riches, capables de soutenir une population croissante. Avec cette augmentation de la population et de la richesse, la compétition pour les ressources s'est intensifiée, conduisant à une augmentation des conflits. Les premières cités-états, comme celles de Sumer en Mésopotamie autour de 5000 av. J.-C., sont un excellent exemple de cette augmentation de la complexité. Ces cités-états étaient des sociétés hiérarchiques très organisées avec une division claire du travail, y compris des rôles militaires. Elles avaient leurs propres gouvernements, systèmes juridiques, religions, et, très souvent, elles possédaient et contrôlaient leur propre territoire. Ces cités-états étaient en concurrence pour le contrôle des ressources et du territoire, et cette concurrence se traduisait souvent par la guerre. Les guerres de l'époque étaient souvent des affaires officielles, menées par des rois ou des dirigeants similaires, et elles étaient une part importante de la politique de l'époque. Avec le temps, ces cités-états ont évolué en royaumes et en empires plus grands et plus complexes, comme l'Empire égyptien, l'Empire assyrien, et plus tard, les empires perses, grecs et romains. Ces empires ont conduit à des guerres encore plus grandes et plus complexes, impliquant souvent des milliers, voire des dizaines de milliers de soldats.

La phalange : “père” des formes modernes de violence organisée ?

Pendant l'Antiquité classique, et surtout pendant l'époque de l'Empire romain, la guerre a fait un bond qualitatif en termes de complexité organisationnelle et technologique.

Sur le plan organisationnel, l'armée romaine est devenue une véritable machine de guerre, avec une hiérarchie claire, une discipline stricte, une formation rigoureuse et une logistique sophistiquée. Le modèle de l'armée romaine, basé sur la légion comme unité de base, a permis aux Romains de déployer des forces de manière rapide et efficace sur un vaste territoire. En termes de technologie, la période a également vu l'introduction et la diffusion de nouvelles armes et équipements de guerre. Les Romains, par exemple, ont développé le pilum, une sorte de javelot conçu pour pénétrer les boucliers et les armures. Ils ont également innové dans la construction de machines de siège, comme les catapultes et les béliers.

La dimension technologique de la guerre ne se limitait pas aux armes et à l'équipement. Les Romains ont été particulièrement efficaces dans l'utilisation de l'ingénierie pour soutenir leurs efforts militaires. Par exemple, ils ont construit un réseau étendu de routes et de ponts pour faciliter le déplacement rapide de leurs troupes. Ils ont également utilisé leur savoir-faire en matière d'ingénierie pour construire des forts et des fortifications, et pour mener des opérations de siège complexes. Ces innovations, tant sur le plan organisationnel que technologique, ont fait de la guerre une entreprise de plus en plus complexe et coûteuse. Cependant, elles ont également contribué à renforcer le pouvoir des empires comme Rome, leur permettant de conquérir et de contrôler de vastes territoires.

L'évolution de la guerre est étroitement liée à la complexité croissante des sociétés. La phalange est un exemple parfait de cela. La phalange était une formation de combat utilisée par les armées de la Grèce antique. C'était une unité d'infanterie lourde composée de soldats (hoplites) qui se tenaient côte à côte en rangs serrés. Chaque soldat portait un bouclier et était équipé d'une lance longue (sarisse) qu'il utilisait pour attaquer l'ennemi tout en restant protégé derrière le bouclier de son voisin. La phalange était une formation très organisée et disciplinée qui nécessitait un entraînement intensif et une coordination précise. Son objectif principal était d'écraser l'ennemi lors de l'impact initial, en utilisant la force collective des soldats pour percer les lignes adverses.

Cela représente une grande avancée par rapport aux méthodes de combat plus désordonnées utilisées auparavant. Cette organisation de combat plus complexe reflète la structure plus complexe de la société grecque à l'époque. Les armées de citoyens-soldats devaient être bien disciplinées et bien formées pour être en mesure d'utiliser efficacement la phalange. Alexandre le Grand, lors de ses campagnes militaires, a perfectionné l'utilisation de la phalange, ajoutant des éléments de cavalerie et d'infanterie légère pour créer une force militaire plus flexible et adaptable. Cela a contribué à ses succès militaires et à l'expansion de son empire.

L'évolution de la guerre a été grandement influencée par le progrès technologique. À mesure que les sociétés se sont développées et complexifiées, la technologie a joué un rôle de plus en plus important dans la manière dont les guerres étaient menées. Depuis les phalanges de la Grèce antique, jusqu'à l'usage des catapultes et autres engins de siège durant le Moyen Âge, en passant par l'emploi de la poudre à canon en Chine et en Europe, la technologie a toujours contribué à façonner les stratégies militaires. Cette tendance s'est poursuivie à l'ère moderne avec l'essor de l'artillerie, des navires de guerre à vapeur, des sous-marins, des avions, des chars d'assaut et finalement des armes nucléaires. Plus récemment, la guerre cybernétique et les drones armés sont devenus des éléments clés du champ de bataille contemporain. La technologie a non seulement influencé les tactiques et les stratégies de combat, mais a également transformé la logistique, les communications et le renseignement militaire. Elle a permis des actions militaires plus rapides, plus efficaces et à plus grande échelle.

Phalange macédonienne.

La période du Moyen-âge est marquée par un changement dans la façon de mener la guerre. La chute de l'Empire romain a entraîné une perte de l'organisation et de la technologie militaire avancée des Romains. Les conflits de cette époque étaient souvent de nature plus féodale, impliquant des chevaliers et des seigneurs locaux, et les batailles étaient souvent plus petites et plus dispersées. La guerre était plus centrée sur les sièges de châteaux et les raids que sur les grandes batailles rangées.

Au XVème siècle, avec le début de la Renaissance et la formation des premiers États-nations modernes, nous assistons à une nouvelle transformation de la guerre. L'innovation technologique, en particulier l'introduction de l'artillerie et des armes à feu, a changé la dynamique de la guerre. L'organisation militaire est devenue plus centralisée et structurée, avec des armées permanentes commandées par l'État.

L'État moderne a également joué un rôle majeur dans la transformation de la guerre. Les États-nations ont commencé à assumer la responsabilité de la défense et de la sécurité de leurs citoyens. Cela a entraîné la création de bureaucraties militaires, de systèmes de recrutement et d'entraînement, et d'une infrastructure logistique pour soutenir les armées permanentes. L'État moderne a également permis la mobilisation de ressources à une échelle beaucoup plus grande que ce qui était possible dans les systèmes féodaux précédents. Ces changements ont eu une influence profonde sur la nature de la guerre et ont posé les bases de la guerre telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Guerre et Modernité politique

En mettant en perspective la longue histoire de l'humanité, la guerre telle que nous la comprenons aujourd'hui est un phénomène relativement récent. Sa présence est étroitement liée à l'émergence et au développement de structures sociales et politiques plus complexes. En remontant à l'âge de pierre, nous trouvons peu de preuves d'une violence organisée à grande échelle. L'apparition de la guerre est généralement associée à l'avènement de la civilisation, qui a débuté avec la Révolution néolithique, quand les êtres humains ont commencé à se sédentariser et à créer des sociétés plus organisées. Avec l'apparition des premières cités-États vers 5000 avant J-C, la guerre devient un phénomène plus courant, à mesure que ces entités politiques se concurrencent pour le territoire et les ressources. La guerre prend une forme plus organisée et structurée, avec des armées permanentes et une stratégie militaire. Le développement de la guerre moderne à partir du XVIIème siècle coïncide avec l'émergence de l'État moderne. Avec des ressources plus importantes et une structure administrative centralisée, les États-nations ont été en mesure de mener des guerres à une échelle et avec une intensité sans précédent.

L’histoire de la guerre est aussi l’histoire de l’État. D'une part, la menace de la guerre peut encourager la création d'États. Face à des voisins hostiles, les communautés peuvent choisir de s'unir sous une seule autorité politique pour se défendre. L'État moderne est souvent né de ce processus, comme l'illustre la célèbre citation de Thomas Hobbes : "L'homme est un loup pour l'homme". D'autre part, la conduite de la guerre nécessite une organisation et une coordination à grande échelle. Les États ont fourni cette structure, en levant des armées, en imposant des taxes pour financer les campagnes militaires, et en établissant des stratégies et des politiques militaires. En temps de guerre, les États ont souvent augmenté leur pouvoir et leur portée, à la fois sur leurs propres citoyens et sur le territoire qu'ils contrôlent. Enfin, les guerres ont souvent changé la forme et la nature des États. Les conflits peuvent conduire à la dissolution ou à la création de nouveaux États, comme l'illustre l'histoire du XXe siècle, qui a vu la fin de nombreux empires coloniaux et la création de nouveaux États-nations. Il est difficile de comprendre l'histoire de l'État sans prendre en compte le rôle de la guerre, et vice versa.

La guerre et l'État moderne sont profondément liés dans l'histoire politique. Cette relation est centrale pour comprendre l'évolution des sociétés humaines et la forme que prennent les conflits armés. L'État moderne, tel qu'il s'est développé en Europe à partir du XVIIe siècle, est caractérisé par une centralisation du pouvoir et un monopole de l'usage légitime de la force. La formation des États-nations et l'émergence du système westphalien ont coïncidé avec une transformation majeure de la nature de la guerre. Premièrement, l'État moderne a institutionnalisé la guerre. L'État a le monopole de l'usage légitime de la force, et la guerre est devenue une affaire d'État. Ce développement a permis la mise en place de règles et de structures autour de la conduite de la guerre. Deuxièmement, l'État moderne a professionnalisé la guerre. Avec la centralisation du pouvoir, les États ont été en mesure de maintenir des armées permanentes. Cela a conduit à des guerres de plus en plus organisées et technologiquement avancées. Troisièmement, l'État moderne a nationalisé la guerre. Dans les sociétés prémodernes, les guerres étaient souvent menées par des seigneurs ou des chefs qui agissaient en leur propre nom. Avec l'État moderne, la guerre est devenue une affaire de la nation tout entière. La guerre, telle que nous la comprenons aujourd'hui, est une création de l'État moderne. Elle est le produit de l'évolution de l'organisation politique humaine et de la concentration du pouvoir entre les mains de l'État.

L'État, tel que nous le concevons aujourd'hui, est une forme spécifique d'organisation politique qui a émergé à une période particulière de l'histoire. Il existe de nombreuses autres formes d'organisation politique qui ont existé au cours de l'histoire et qui existent encore aujourd'hui dans certaines régions du monde. Les empires, par exemple, étaient une forme commune d'organisation politique dans l'Antiquité et jusqu'au début du XXe siècle. Ils étaient caractérisés par une autorité centrale (généralement un empereur ou un roi) qui dominait un certain nombre de territoires et de peuples différents. Les cités-États étaient une autre forme d'organisation politique, particulièrement répandue dans la Grèce antique et l'Italie de la Renaissance. Dans ce système, une ville et son territoire environnant formaient une entité politique indépendante. Les colonies sont également une forme d'organisation politique, bien que souvent sous la domination d'une autre entité politique (comme un empire ou un État). Les colonies ont été particulièrement courantes pendant l'ère de l'impérialisme européen des XVIe au XXe siècles. Cela étant dit, alors que l'État est une forme spécifique et relativement récente d'organisation politique, il a eu une influence profonde sur la nature de la guerre et sur la manière dont elle est menée. C'est pourquoi l'étude de l'État est si importante pour comprendre la guerre moderne.

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L'État est souvent perçu comme une structure nécessaire pour assurer la stabilité sociale, la sécurité, le respect des lois et la fourniture de services publics essentiels comme l'éducation, la santé, le transport, etc. Cependant, cette perception positive de l'État ne doit pas nous empêcher de comprendre les aspects plus complexes et parfois problématiques de l'existence de l'État. L'un des aspects est lié au monopole de la violence légitime que l'État possède, selon la théorie sociologique classique de Max Weber. Ce monopole permet à l'État de maintenir l'ordre et de faire respecter la loi, mais il permet aussi à l'État de mener la guerre. Le fait que la guerre soit généralement menée par des États, et qu'elle soit intrinsèquement liée à la naissance et au développement de l'État moderne, est un rappel que l'État n'est pas seulement une force de stabilité et de bien-être, mais peut aussi être une source de violence et de conflit. C'est un aspect que nous devons garder à l'esprit lorsque nous réfléchissons à l'État et à son rôle dans la société. La guerre, la violence et le conflit ne sont pas de simples aberrations, mais font partie intégrante de la nature de l'État. C'est pourquoi la compréhension de la guerre est si essentielle pour comprendre l'État.

L'une des principales fonctions de l'État est de maintenir la paix et l'ordre à l'intérieur de ses frontières. Cette tâche est accomplie grâce à un ensemble d'institutions, comme les forces de police et le système judiciaire, qui sont chargées de faire respecter la loi et de prévenir ou de résoudre les conflits entre les citoyens. L'État est souvent considéré comme le garant de la sécurité et de la stabilité, et c'est l'une des raisons pour lesquelles les citoyens acceptent de lui céder une partie de leur liberté et de leur pouvoir. Cependant, comme vous l'avez mentionné, la situation est très différente au-delà des frontières de l'État. Au niveau international, il n'existe pas d'entité comparable à un État qui serait capable de faire respecter la loi et l'ordre. Les relations entre États sont souvent décrites comme étant dans un état d'"anarchie" dans le sens où il n'y a pas d'autorité centrale supérieure. Cela peut entraîner des conflits et des guerres, car chaque État a la liberté d'agir comme il le juge bon pour défendre ses intérêts.

L'État joue un rôle majeur dans le maintien de la paix internationale. En tant que participant aux organisations internationales, comme l'ONU, l'OMC, l'OTAN et autres, l'État aide à formuler et à respecter des normes et des règles internationales, qui sont essentielles pour prévenir et gérer les conflits entre nations. De plus, en signant et en respectant les traités internationaux, les États participent activement à la création d'un ordre mondial basé sur des règles, ce qui contribue à la stabilité et à la sécurité au niveau international. En ce sens, l'État est perçu comme un acteur essentiel de la civilisation moderne, capable d'établir et de maintenir l'ordre, de promouvoir la coopération et d'éviter le chaos et l'anarchie. Cela est généralement perçu comme une évolution positive par rapport aux périodes historiques précédentes, où la violence et la guerre étaient des moyens plus courants de résolution des conflits.

Une des principales justifications pour l'existence de l'État réside dans sa capacité à maintenir l'ordre et à prévenir le chaos. Le concept de "monopole de la violence légitime" est fondamental ici. Selon ce concept, formulé par le sociologue allemand Max Weber, l'État a le droit exclusif d'utiliser, de menacer ou d'autoriser la force physique dans les limites de son territoire. Dans ce sens, l'État est souvent considéré comme un antidote à "l'état de nature" hobbesien, où, en l'absence de tout pouvoir centralisé, la vie serait "solitaire, pauvre, brutale et brève". Ainsi, l'État est souvent considéré comme l'acteur qui permet de faire régner l'ordre, de prévenir le chaos et l'anarchie, et d'assurer la sécurité de ses citoyens.

Un État efficace est généralement en mesure de maintenir l'ordre public, d'assurer la sécurité des citoyens et de fournir des services publics essentiels, contribuant ainsi à la stabilité et à la paix sociales. Cependant, dans les zones où l'État est faible, absent ou inefficace, des situations de chaos peuvent survenir. Les zones de conflit, par exemple, sont souvent caractérisées par l'absence d'un État fonctionnel capable de maintenir l'ordre et la loi. De même, dans les États en déliquescence ou en échec, l'incapacité à assurer la sécurité et à fournir des services de base peut mener à des niveaux élevés de violence, de criminalité et d'instabilité.

Les violences de masse, telles que les génocides, sont en effet des phénomènes qui ont été largement facilités par l'émergence de l'État moderne et de la technologie industrielle. L'efficacité bureaucratique, la capacité de mobilisation et le contrôle de ressources importantes, qui sont des caractéristiques typiques des États modernes, peuvent malheureusement être détournés à des fins destructrices. Prenons l'exemple de la Shoah pendant la Seconde Guerre mondiale. L'extermination systématique et à grande échelle des Juifs et d'autres groupes par les nazis a été rendue possible par l'État industriel moderne et son apparat bureaucratique. De même, le génocide rwandais en 1994, dans lequel environ 800 000 Tutsis ont été tués en l'espace de quelques mois, a été perpétré à grande échelle et avec une efficacité terrifiante en grande partie grâce à la mobilisation des structures et des ressources de l'État.

Les deux guerres mondiales sont des exemples typiques de la guerre totale, un concept qui décrit un conflit où les nations impliquées mobilisent toutes leurs ressources économiques, politiques et sociales pour mener la guerre, et où la distinction entre civils et combattants militaires s'efface, exposant toute la population aux horreurs de la guerre. La Première Guerre mondiale a introduit une industrialisation et une mécanisation de la guerre à une échelle sans précédent, avec l'utilisation massive de nouvelles technologies comme l'artillerie lourde, les avions, les chars et les gaz toxiques. La violence de cette guerre a été amplifiée par l'implication totale des nations belligérantes, avec une mobilisation complète de leur économie et de leur société pour l'effort de guerre. La Deuxième Guerre mondiale a encore intensifié le concept de guerre totale. Elle a été caractérisée par des bombardements massifs de villes entières, par l'extermination systématique de populations civiles et par l'utilisation de l'arme nucléaire. Cette guerre a également vu l'utilisation à grande échelle de la propagande, l'exploitation de l'économie de guerre, et une mobilisation massive de la main-d'œuvre. Ainsi, la guerre totale est une autre manifestation de la façon dont la modernité et l'État moderne ont permis l'émergence de nouvelles formes de violence à grande échelle.

Le XXe siècle a été marqué par une violence sans précédent en raison des deux guerres mondiales, des nombreux conflits régionaux, des génocides et des régimes totalitaires. Ce niveau de violence est souvent attribué à une combinaison de facteurs, y compris l'émergence d'États modernes puissants, la disponibilité d'armes de destruction massive et des idéologies extrêmes. Les guerres mondiales ont causé des dizaines de millions de morts. En outre, d'autres conflits tels que la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, le génocide arménien, l'Holocauste, le génocide rwandais et les purges staliniennes et maoïstes ont entraîné la mort de millions d'autres personnes. La violence politique interne, souvent exercée par des régimes totalitaires, a également été une source majeure de violence au XXe siècle. Des régimes tels que ceux de Staline en Union soviétique, de Mao en Chine, de Pol Pot au Cambodge et de nombreux autres ont utilisé la violence politique pour éliminer les opposants, réaliser des objectifs idéologiques ou maintenir leur pouvoir. En somme, la violence du XXe siècle montre à quel point la modernité et l'État moderne ont été à double tranchant : d'une part, ils ont permis un niveau de développement, de prospérité et de stabilité sans précédent dans de nombreuses régions du monde ; d'autre part, ils ont permis un niveau de violence et de destruction sans précédent.

L'État moderne, caractérisé par sa souveraineté, son territoire défini, sa population et son gouvernement, est censé offrir à ses citoyens une protection contre la violence. Il est censé garantir l'ordre et la stabilité grâce à la primauté du droit, à une administration efficace et à la protection des droits et des libertés de ses citoyens. Cependant, l'histoire du XXe siècle montre que l'État moderne peut également être une source majeure de violence. Les guerres mondiales, les conflits régionaux, les génocides et les purges politiques ont été largement perpétrés ou facilités par des États modernes. Ces formes de violence sont souvent liées à l'exercice du pouvoir étatique, à la défense de l'ordre établi, ou à l'application de certaines idéologies ou politiques. L'État moderne a donc une double face. D'une part, il peut garantir l'ordre, la sécurité et la stabilité, et fournir un cadre pour la prospérité et le développement. D'autre part, il peut être une source majeure de violence et d'oppression, en particulier lorsqu'il est utilisé à des fins de guerre, de répression politique ou de réalisation de certains objectifs idéologiques. Il est important de comprendre ce paradoxe pour saisir la complexité des défis politiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés dans le monde moderne.

La naissance de la guerre moderne

Une affaire d’État : War-Making/State-Making

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Pour étudier la guerre, il faut avant tout se focaliser sur les liens qu’elle entretien avec l’État moderne comme organisation politique. Nous allons voir comment la guerre est aujourd’hui au travers et par l’émergence de l’État moderne. Nous allons commencer par voir que la guerre est une affaire d’État. Afin d’introduire l’idée que la guerre est liée à la construction même de l’État et à l’émergence de l’État comme forme d’organisation politique en Europe à partir de la sortie du Moyen Âge, pour cela, le meilleur moyen et de le faire est comme amené par le sociohistorien Charles Tilly dans son article War Making and State Making as Organized Crime qui a développé l’idée de war making/state making : c’est en faisant la guerre que l’on a fait l’État, et vice-versa.

Dans "War Making and State Making as Organized Crime", Charles Tilly offre une analyse socio-historique provocante de la construction de l'État moderne en Europe occidentale. Il soutient que les processus de construction de l'État et de guerre sont intrinsèquement liés, et il compare même les États à des organisations criminelles pour souligner les aspects coercitifs et exploitatifs de leur formation. Selon Tilly, la formation des États modernes est largement motivée par les efforts des élites dirigeantes pour mobiliser les ressources nécessaires à la guerre. Pour cela, ces élites ont recours à des moyens tels que l'imposition, la conscription et l'expropriation, qui peuvent être assimilés à des formes de racket et d'extorsion. En outre, Tilly soutient que la construction de l'État a également été facilitée par la monopolisation du recours à la force légitime. En d'autres termes, les dirigeants ont cherché à éliminer ou à subordonner toutes les autres sources de pouvoir et d'autorité sur leur territoire, y compris les seigneurs féodaux, les corporations, les guildes et les bandes armées. Ce processus a souvent impliqué l'usage de la violence, de la coercition et de la manipulation politique. Enfin, Tilly souligne que la construction de l'État a également exigé la construction d'un consensus social, ou du moins l'acquiescement des populations, à travers le développement d'une identité nationale, la mise en place d'institutions sociales et politiques, et la fourniture de services et de protections. Cette analyse offre une perspective critique et décapante sur la construction des États modernes, mettant en lumière leurs racines violentes et coercitives, tout en soulignant leur rôle clé dans la structuration de nos sociétés contemporaines.

La conception de l'État moderne telle que nous la connaissons aujourd'hui est principalement basée sur le modèle européen, qui a émergé durant les périodes de la Renaissance et de l'Époque moderne, entre le 14ème et le 17ème siècle. Cette évolution a été marquée par la centralisation du pouvoir politique, la formation de frontières nationales définies, le développement d'une bureaucratie administrative et la monopolisation du recours à la force légitime par l'État. Cependant, il est important de noter que d'autres modèles politiques existent ailleurs dans le monde, basés sur des trajectoires historiques, culturelles, sociales et économiques différentes. Par exemple, dans certaines sociétés, la structure politique peut être plus décentralisée, ou basée sur des principes différents, comme la réciprocité, la hiérarchie ou l'égalité. En outre, le processus d'exportation du modèle étatique européen, notamment à travers la colonisation et plus récemment la construction d'État ou le nation-building, a souvent rencontré des résistances et a pu entraîner des conflits et des tensions. Cela est souvent dû au fait que ces processus peuvent ne pas tenir compte des réalités locales et peuvent parfois être perçus comme des formes d'imposition culturelle ou politique.

Charles Tilly, dans son article "War Making and State Making as Organized Crime", propose un cadre de pensée pour comprendre le processus de formation des États, en se concentrant en particulier sur l'Europe entre le 15ème et le 19ème siècle. Tilly voit le processus d'émergence de l'État comme un produit de deux dynamiques interconnectées : le war making (la guerre) et le state making (la formation de l'État).

  • War making : Tilly postule que les États ont été façonnés par une nécessité constante de se préparer à la guerre, de la mener et de la financer. Les guerres, particulièrement dans le contexte européen, ont été des facteurs clés dans le développement des structures étatiques, en particulier en raison des ressources nécessaires pour les mener.
  • State making : Il s'agit du processus par lequel le pouvoir central d'un État est consolidé. Pour Tilly, ceci implique de contrôler et neutraliser ses rivaux internes (notamment les seigneurs féodaux) et d'imposer son autorité sur l'ensemble du territoire qu'il contrôle.

Ces deux processus sont étroitement liés, car les guerres fournissent l'impulsion pour la consolidation de l'État, tout en étant elles-mêmes rendues possibles par cette consolidation. Par exemple, pour financer les guerres, les États ont dû mettre en place des systèmes fiscaux et administratifs plus efficaces, ce qui a renforcé leur autorité.

La guerre comme constituant de l'État moderne

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Le système féodal était une structure complexe de relations entre les seigneurs et le roi, basée sur la possession de terres (ou "fiefs") et la loyauté. Les seigneurs avaient une grande autonomie sur leurs terres et étaient généralement responsables de la sécurité et de la justice sur leurs terrains. En échange de leur fief, ils devaient prêter allégeance au roi et lui fournir un soutien militaire quand il en avait besoin. Ce système de vassalité constituait la base du pouvoir pendant le Moyen Âge. Cependant, avec l'avènement de l'État moderne, ce système a progressivement été remplacé. La consolidation de l'État s'est accompagnée d'un effort pour centraliser le pouvoir, ce qui a souvent impliqué la suppression ou la réduction du pouvoir des seigneurs féodaux. L'un des éléments clés de ce processus a été le besoin de financer et de soutenir la guerre. Les rois ont commencé à développer des structures administratives et fiscales pour lever des fonds et recruter des armées directement, plutôt que de dépendre des seigneurs féodaux. Cela a renforcé leur autorité et a permis la formation d'États plus centralisés et bureaucratiques.

Selon Charles Tilly, la guerre était un puissant moteur de la formation de l'État moderne. Au Moyen Âge, la compétition entre les seigneurs pour agrandir leur territoire et augmenter leur pouvoir a souvent conduit à des conflits. Les seigneurs étaient constamment en lutte les uns contre les autres, cherchant à prendre le contrôle des terres et des ressources des autres. De plus, ces conflits à l'échelle locale étaient souvent liés à des conflits plus larges entre les royaumes. Les rois avaient besoin d'une base de pouvoir solide pour soutenir leurs efforts de guerre, ce qui les a conduits à chercher à renforcer leur contrôle sur leurs seigneurs. Ces dynamiques ont créé une pression constante pour une centralisation accrue et une organisation plus efficace. Les rois ont développé des administrations plus sophistiquées et des systèmes fiscaux plus efficaces pour soutenir leurs efforts de guerre. En même temps, ils ont cherché à limiter le pouvoir des seigneurs féodaux et à affirmer leur propre autorité. Ces processus ont jeté les bases de l'État moderne.

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Norbert Elias, un sociologue allemand, a développé le concept de "lutte éliminatoire" dans son œuvre "The Civilizing Process". Dans ce contexte, il désigne une compétition dans laquelle les acteurs s'éliminent mutuellement jusqu'à ce qu'il ne reste que quelques-uns, voire un seul. Dans le contexte de la formation de l'État, cela peut être vu comme une métaphore de la manière dont les seigneurs féodaux se sont battus pour le pouvoir et le territoire pendant le Moyen Âge. Au fil du temps, certains seigneurs ont été éliminés, soit par la défaite militaire, soit par l'assimilation dans des entités plus grandes. Ce processus de lutte éliminatoire a contribué à la centralisation du pouvoir et à la formation de l'État moderne.

Au fil des siècles, de nombreux rois de France ont progressivement renforcé leur pouvoir, s'emparant des territoires de la noblesse féodale et consolidant l'autorité centrale. Ces efforts étaient souvent soutenus par des alliances matrimoniales stratégiques, des conquêtes militaires, des arrangements politiques et, dans certains cas, l'extinction naturelle ou forcée de certaines lignées nobles. Louis XI, en particulier, a joué un rôle crucial dans ce processus. Roi de 1461 à 1483, il a été surnommé "l'Universelle Aragne" ou "l'Araignée Universelle" en raison de sa politique astucieuse et manipulatrice. Louis XI a travaillé avec acharnement pour centraliser le pouvoir royal, réduisant l'influence des grands seigneurs féodaux et instaurant une administration plus efficace et plus directe sur l'ensemble du royaume. Cela a contribué à la formation de l'État moderne, avec un pouvoir centralisé et une administration organisée, qui sera renforcé au fil des siècles, notamment avec François Ier et Louis XIV, le "Roi Soleil".

La France et la Grande-Bretagne sont souvent citées comme des exemples typiques de l'émergence de l'État moderne. En France, les rois ont progressivement centralisé le pouvoir, instaurant une administration plus directe et plus efficace. L'apogée de cette centralisation a probablement été atteinte sous le règne de Louis XIV, qui a déclaré "L'État, c'est moi" et a gouverné directement depuis son palais de Versailles. Cependant, ce processus a été entrecoupé de périodes de conflit et de révolte, comme la Fronde et, plus tard, la Révolution française. La Grande-Bretagne, en revanche, a suivi un chemin légèrement différent vers la formation de l'État moderne. Le roi Henri VIII a consolidé le pouvoir royal en établissant l'Église d'Angleterre et en supprimant les monastères, mais la Grande-Bretagne a aussi vu un fort mouvement en faveur de la limitation du pouvoir royal. Ceci a culminé avec la Glorieuse Révolution de 1688 et l'établissement d'un système constitutionnel dans lequel le pouvoir est partagé entre le roi et le Parlement. Dans les deux cas, la guerre a joué un rôle majeur dans la formation de l'État. La nécessité de lever des armées, de lever des impôts pour financer les guerres et de maintenir l'ordre interne a grandement contribué à la centralisation du pouvoir et à la création de structures administratives efficaces.

La concurrence externe, en particulier à partir de la Renaissance et durant l'époque moderne, a été une force motrice importante dans la formation des États et la structuration du système international tel que nous le connaissons aujourd'hui. Cela peut être vu dans le développement de la diplomatie, des alliances et des traités, des guerres pour la conquête et le contrôle des territoires, et même de l'expansion coloniale. Cela a également conduit à la définition plus claire des frontières nationales et à la reconnaissance de la souveraineté des États. En particulier, l'implication de Louis XI et de ses successeurs dans les guerres en Italie et contre l'Angleterre a joué un rôle important dans la consolidation de la France en tant qu'État et dans la définition de ses frontières et de ses intérêts nationaux. De manière similaire, la compétition entre les puissances européennes pour les territoires à l'étranger pendant l'ère de la colonisation a également contribué à façonner le système international.

Les ambitions impériales des dirigeants tels que Louis XI étaient en partie motivées par le désir de consolider leur pouvoir et leur autorité, à la fois en interne et en externe. Ils avaient besoin de ressources pour mener des guerres, ce qui impliquait souvent d'exiger des impôts plus élevés de la part de leurs sujets. Ces guerres avaient aussi souvent une dimension religieuse, avec l'idée de réunifier le monde chrétien. Au fur et à mesure que ces royaumes se sont développés et ont commencé à se heurter les uns aux autres, un système international a commencé à se former. C'était un processus lent et souvent conflictuel, avec de nombreuses guerres et des conflits politiques. Mais au fil du temps, ces États ont commencé à reconnaître la souveraineté des autres, à établir des règles pour les interactions internationales et à développer des institutions pour faciliter ces interactions

Tout cela a conduit à la formation d'un système d'États-nations interconnectés, dans lequel chaque État a ses propres intérêts et objectifs, mais aussi une certaine obligation de respecter la souveraineté des autres États. C'est le fondement du système international que nous avons aujourd'hui, bien que les spécificités aient évolué avec le temps.

La guerre comme institution du « système interétatique »

Pour mener la guerre (war-making), un État doit mobiliser d'importantes ressources. Cela comprend des ressources matérielles, comme de l'argent pour financer l'armée et acheter des armes, de la nourriture pour nourrir l'armée, et des matériaux pour construire des fortifications et d'autres infrastructures militaires. Cela nécessite également des ressources humaines, comme des soldats pour combattre et des travailleurs pour produire les biens nécessaires. Pour obtenir ces ressources, l'État doit être capable d'exercer un contrôle efficace sur son territoire et ses habitants. C'est là qu'intervient la construction de l'État (state-making). L'État doit mettre en place des systèmes efficaces de taxation pour collecter l'argent nécessaire pour financer la guerre. Il doit également être capable de recruter ou de conscrire des soldats, ce qui peut nécessiter des efforts pour instaurer un sentiment de loyauté ou de devoir envers l'État. En outre, il doit être capable de maintenir l'ordre et de résoudre les conflits à l'intérieur de ses frontières, afin de pouvoir se concentrer sur la guerre à l'extérieur. Ainsi, la guerre et la construction de l'État sont intimement liées. L'un nécessite l'autre, et les deux se renforcent mutuellement. Comme l'a écrit Charles Tilly, "Les États font la guerre et les guerres font les États".

La nécessité de mener la guerre a poussé les États à développer une bureaucratie efficace capable de collecter des ressources et d'organiser une armée. Ce processus a renforcé la capacité de l'État à gouverner son territoire et ses habitants, c'est-à-dire sa souveraineté. Pour recenser la population, percevoir des impôts et recruter des soldats, l'État a dû mettre en place une administration capable de gérer ces tâches. Cela a impliqué le développement de systèmes pour enregistrer les informations sur les habitants, l'établissement de lois sur les taxes et la conscription, et la création d'organismes pour appliquer ces lois. Au fil du temps, ces systèmes bureaucratiques ont évolué pour devenir de plus en plus efficaces et sophistiqués. Ils ont également contribué à renforcer l'autorité de l'État, en faisant accepter sa légitimité par les habitants. Les gens étaient plus enclins à payer des impôts et à servir dans l'armée s'ils croyaient que l'État avait le droit de leur demander de le faire. La guerre a joué un rôle central dans le processus de construction de l'État, non seulement en encourageant le développement d'une bureaucratie efficace, mais aussi en renforçant l'autorité et la légitimité de l'État.

Selon Charles Tilly, l'État moderne s'est développé à partir d'un processus de longue durée appelé "war making" (guerre) et "state making" (construction de l'État). Cette théorie soutient que les guerres étaient les principaux moteurs de l'augmentation du pouvoir et de l'autorité de l'État dans la société. La théorie de Tilly suggère que l'État moderne s'est formé dans un contexte de conflit et de violence, où la capacité de mener la guerre et de contrôler efficacement un territoire étaient des facteurs clés de la survie et du succès de l'État.

Après la fin du Moyen Âge, l'Europe est entrée dans une période d'intense concurrence entre les États-nations émergents. Ces États cherchaient à étendre leur influence et à affirmer leur domination sur les autres, ce qui a souvent conduit à des guerres. L'un des exemples les plus emblématiques de cette époque est Napoléon Bonaparte. En tant qu'empereur de France, Napoléon a cherché à établir une domination française sur le continent européen, créant un empire qui s'étendait de l'Espagne à la Russie. Sa tentative de créer un empire sans frontières et inclusif était en réalité une tentative d'assujettir les autres nations à la volonté de la France. Cependant, cette période de rivalités et de guerres a aussi permis la consolidation de l'État-nation en tant que forme principale d'organisation politique. Les États ont renforcé leur contrôle sur leur territoire, centralisé leur autorité, et développé des institutions bureaucratiques pour administrer leurs affaires. L'émergence de l'État-nation moderne à l'époque post-médiévale est en grande partie le produit des ambitions impériales et des rivalités interétatiques. Ces facteurs ont conduit à l'établissement d'un système interétatique fondé sur la souveraineté et la guerre comme moyen de résolution des conflits. Et cette évolution a eu un impact profond sur notre monde actuel.

Après une période de guerres et de conflits intenses, un certain équilibre des forces s'est établi entre les États-nations européens. Cet équilibre, souvent appelé "équilibre des pouvoirs", est devenu un principe fondamental de la politique internationale. L'équilibre des pouvoirs suppose que la sécurité nationale est assurée lorsque les capacités militaires et économiques sont réparties de telle sorte qu'aucun État n'est en mesure de dominer les autres. Cela encourage la coopération, la concurrence pacifique et, en théorie, aide à prévenir les guerres en décourageant l'agression. En outre, ce processus a également conduit à la stabilisation des frontières. Les États ont finalement reconnu et respecté les frontières les uns des autres, ce qui a contribué à apaiser les tensions et à maintenir la paix.

À partir de là, émerge l’idée de souveraineté, c’est-à-dire que l’idée d’autorité sur le territoire est divisée entre des espaces sur lesquels s’exercent des souverainetés qui sont exclusives entre elles. La souveraineté est un principe fondamental du système international moderne, basé sur la notion que chaque État a une autorité suprême et exclusive sur son territoire et sa population. Cette autorité inclut le droit de faire des lois, d'appliquer ces lois et de punir ceux qui les enfreignent, de contrôler les frontières, de mener des relations diplomatiques avec d'autres États, et, le cas échéant, de déclarer la guerre. La souveraineté est intrinsèquement liée à la notion d'État-nation et est fondamentale pour comprendre la dynamique des relations internationales. Chaque État est considéré comme ayant le droit de gérer ses propres affaires internes sans interférence extérieure, ce qui est reconnu comme un droit par les autres États dans le système international.

À terme, se développe autour du principe de souveraineté un universalisme de l’État-national qui n’est pas celui de l’Empire puisque le principe de souveraineté est reconnu par tous comme le principe organisateur du système international. Le principe de la souveraineté et de l'égalité entre tous les États est un fondement du système international et de l'Organisation des Nations Unies. Cela signifie que, en théorie, chaque État, qu'il soit petit ou grand, riche ou pauvre, dispose d'un seul vote à l'Assemblée générale des Nations Unies, par exemple. Cela découle du principe de l'égalité souveraine, qui est inscrit dans la Charte des Nations Unies. L'article 2, paragraphe 1 de la Charte des Nations Unies déclare que l'Organisation est basée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres.

L’idée des Nations Unies découle de l’idée du principe de souveraineté comme organisateur du système international. Ce système interétatique qui se met en place est organisé autour de l’idée qu’il y a une logique de l’équilibre interne où l’État administre un territoire, à savoir la « police » ; et externes où se sont les États entre eux qui règlent leurs affaires. Cette distinction est un aspect central du concept de souveraineté étatique. C'est l'État qui a la prérogative et le devoir de gérer les affaires internes, y compris la mise en œuvre des lois, la garantie de l'ordre public, la prestation de services publics, et l'administration de la justice. C'est ce qu'on appelle la souveraineté interne. En ce qui concerne la souveraineté externe, c'est le droit et la capacité d'un État d'agir de manière autonome sur la scène internationale. Cela comprend le droit d'entrer en relation avec d'autres États, de signer des traités internationaux, de participer aux organisations internationales, et de conduire sa politique étrangère selon ses propres intérêts.

Du moment où il y a tous ces États qui sont formés, ils doivent communiquer entre eux. Puisque chacun doit survivre en tant qu’État et qu’il y a d’autres États qui sont là, comment va-t-on communiquer ? Si on part du principe que la guerre est une institution, elle sert exactement à faire cela. La guerre, en tant qu'institution, a été un moyen pour les États de communiquer entre eux. Cela ne signifie pas nécessairement que la guerre est souhaitable ou inévitable, mais elle a certainement joué un rôle dans la formation des États et dans la définition des relations entre eux. Dans l'histoire européenne, par exemple, les guerres ont souvent été utilisées pour résoudre des conflits sur des questions de territoire, de pouvoir, de ressources ou d'idéologie. Les résultats de ces guerres ont souvent conduit à des changements dans les frontières, les alliances et l'équilibre des pouvoirs entre les États.

Selon John Vasquez, la guerre est une modalité apprise de prise de décisions politiques par le biais de laquelle deux ou plusieurs unités politiques allouent des biens matériels ou de valeur symbolique sur la base d’une compétition violente. La définition de John Vasquez met en lumière l'aspect de compétition violente de la guerre. Selon cette vue, la guerre est un mécanisme par lequel des unités politiques, en général des États, résolvent leurs désaccords ou rivalités. Cela peut impliquer des enjeux de pouvoir, de territoire, de ressources ou d'idéologies. Cette définition souligne une vision de la guerre qui est bien ancrée dans une tradition de pensée réaliste en relations internationales, qui voit la politique internationale comme une lutte de tous contre tous, où le conflit est inévitable et la guerre est un outil naturel de politique.

Nous nous éloignons de l’idée de la guerre comme quelque chose d’anarchique ou de violent, la guerre est quelque chose qui a été développé dans sa conception moderne afin de régler des différends entre États, c’est un mécanisme de résolution de conflits. Cela parait contre-intuitif car la guerre est généralement associée à l'anarchie et à la violence. Cependant, dans le contexte des relations internationales et de la théorie politique, la guerre peut être comprise comme un mécanisme de résolution de conflits entre États, malgré ses conséquences tragiques. Cette perspective ne cherche pas à minimiser la violence et la destruction causées par la guerre, mais plutôt à comprendre comment et pourquoi les États choisissent de recourir à la force militaire pour résoudre leurs désaccords. Selon cette perspective, la guerre n'est pas un état de chaos, mais une forme de conduite politique qui est régie par certaines normes, règles et stratégies. C'est pour cela que la guerre est souvent décrite comme une "continuation de la politique par d'autres moyens" - une phrase célèbre du théoricien militaire Carl von Clausewitz. Cela signifie que la guerre est utilisée par les États comme un outil pour atteindre des objectifs politiques quand d'autres moyens échouent.

La guerre peut être comprise comme un mécanisme ultime de résolution de conflits, utilisé lorsque les désaccords ne peuvent être résolus par d'autres moyens. Ce processus nécessite la mobilisation de ressources significatives, telles que les forces armées, financées par les recettes fiscales des États belligérants. Le but final est d'aboutir à un accord, souvent déterminé par l'issue des combats. Cependant, la victoire ne se traduit pas nécessairement par un règlement définitif du conflit en faveur du vainqueur. L'issue de la guerre peut entraîner des compromis, des changements politiques et territoriaux et même parfois l'émergence de nouveaux différends.

Scène de bataille au Musée Fesch d'Ajaccio par Antonio Tempesta.

La guerre peut être appréhendée à travers plusieurs prismes, en fonction de la perspective adoptée. Vue sous un angle humanitaire, elle est souvent perçue en fonction des souffrances et des pertes en vies humaines qu'elle engendre. De cette perspective émergent des questions sur la protection des civils, les droits de l'homme, et les conséquences sur le développement socio-économique des zones affectées. D'un point de vue juridique, la guerre engage un ensemble complexe de régulations et de lois internationales, incluant le droit humanitaire international, le droit de la guerre et divers accords et traités internationaux. Ces régulations visent à limiter l'impact de la guerre, notamment en protégeant les civils et en interdisant certaines pratiques et armes. Cependant, malgré ces règlementations, les enjeux juridiques restent importants, surtout lorsqu'il s'agit de déterminer la légitimité d'une intervention armée, d'évaluer les responsabilités en cas de violation du droit international, ou encore de gérer les conséquences post-conflit, comme la justice transitionnelle et la reconstruction.

En somme, la guerre, en tant que mécanisme de résolution des conflits, est un phénomène complexe qui engage des questions à la fois humanitaires, politiques, économiques et juridiques. L’angle de ce cours est celui de la science politique pour voir d’où vient ce phénomène et à quoi cela sert. Nous ne nous intéressons pas ici à la dimension normative de la guerre.

Nous arrivons à l’idée que la guerre est un mécanisme de résolution de conflits et que donc, si la stratégie à une fin, la fin et le but de cette stratégie est la paix. La stratégie militaire a souvent pour but ultime d'établir ou de restaurer la paix, même si le chemin pour y parvenir implique l'emploi de la force. C'est une idée qui trouve son origine dans les écrits de plusieurs penseurs militaires, dont le plus célèbre est peut-être Carl von Clausewitz. Dans son ouvrage "De la guerre", Clausewitz a décrit la guerre comme la "continuation de la politique par d'autres moyens". Cette perspective suggère que la guerre n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'atteindre des objectifs politiques, qui peuvent inclure l'établissement de la paix. De plus, dans la tradition de la théorie des relations internationales, la guerre est souvent envisagée comme un instrument que les États peuvent utiliser pour résoudre les différends lorsqu'ils échouent à parvenir à un accord par des moyens pacifiques. Ainsi, même si la guerre est un acte violent et destructeur, elle peut être considérée comme faisant partie d'un processus plus large visant à rétablir la stabilité et la paix.

Les deux sont liés. Nous sommes dans une conception où la paix est intimement liée à la guerre et surtout que la définition de la paix est intimement liée à la guerre. La paix est comprise comme l’absence de guerre. Il est intéressant de voir comment le but de la stratégie est de gagner et de retourner à un état de paix. C’est vraiment la guerre qui détermine cet état. Il y a une très forte dialectique entre les deux. Nous nous intéressons à la relation entre guerre et État, mais aussi entre guerre et paix. C’est une relation qui est fondamentale à laquelle nous n’allons pas nous intéresser aujourd’hui. Dans de nombreux cadres théoriques, la paix est définie par opposition à la guerre. C'est-à-dire que la paix est souvent conceptualisée comme l'absence de conflit armé. Cette vision est appelée la "paix négative", dans le sens où la paix est définie par ce qu'elle n'est pas (c'est-à-dire la guerre) plutôt que par ce qu'elle est. La stratégie militaire vise souvent à restaurer cet état de "paix négative" en remportant la guerre ou en atteignant des conditions favorables pour la fin du conflit.

Nous parlons de paix, parce que ce qui est important est que dans la conception de la guerre qui se met en place avec l’émergence de ce système interétatique, c’est-à-dire avec des États qui se constituent à l’intérieur et qui entrent en compétition entre eux à l’extérieur, la guerre n’est pas un but en soit, le but n’est pas la conduite de la guerre elle-même, mais la paix ; on fait la guerre afin d’obtenir quelque chose. C’est la conception de Raymon Aron. Raymond Aron, philosophe et sociologue français, est célèbre pour ses travaux sur la sociologie des relations internationales et la théorie politique. Selon lui, la guerre n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'atteindre la paix. Cela signifie que la guerre est un instrument politique, un outil utilisé par les États pour parvenir à des objectifs spécifiques, généralement dans le but de résoudre des conflits et d'atteindre la paix. Selon cette perspective, la guerre est une forme extrême de diplomatie et de négociation entre les États. C'est une extension de la politique, menée lorsque les moyens pacifiques échouent à résoudre des différends. C'est pour cette raison qu'Aron a déclaré que "la paix est la fin, la guerre est le moyen".

La conception de la guerre comme mécanisme de résolution des conflits repose sur l'idée que la guerre est un outil de la politique, une forme de dialogue entre les États. Elle est utilisée lorsque les moyens pacifiques de résolution des conflits ont échoué ou lorsque les objectifs ne peuvent être atteints par d'autres moyens. Dans cette perspective, les États utilisent la guerre pour atteindre leurs objectifs stratégiques, qu'il s'agisse de la protection de leurs intérêts territoriaux, de l'extension de leur influence ou du renforcement de leur sécurité. Ces objectifs sont généralement guidés par une stratégie militaire clairement définie, qui vise à maximiser l'efficacité de l'utilisation de la force tout en minimisant les pertes et les coûts.

Carl von Clausewitz (1780 – 1832) : De la guerre

Carl von Clausewitz.

Si on parle de guerre, dans sa figure de la théorisation qui est la plus connue est Carl von Clausewitz qui est un officier prussien qui a exercé pendant les guerres napoléoniennes à écrit l’ouvrage De la Guerre. Clausewitz va, si ce n’est fixer, être considéré comme la référence dans la théorisation de la guerre. Il va poser une conception éminemment politique de la guerre qui encore aujourd’hui, reste une référence.

Elouan Berthelot Clausewitz définit la guerre comme un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. C’est un cadre très rationnel, ce n’est pas une logique de « fou de guerre ». La guerre est faite afin d’obtenir quelque chose. Selon Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Imaginons un État qui est un gouvernement avec un objectif qui est par exemple celui d’étendre les terres fertiles, alors les terres du voisin ont devenir un objectif. Étant donné qu’il ne va pas les donner, la guerre va lui être déclarée, si l’État belliqueux gagne, il ferra un traité de paix et obtiendra les terres. C’est une conception éminemment politique de la guerre dans le sens où la guerre est subordonnée au politique. C’est le politique qui détermine ce qu’on peut obtenir à travers la guerre parce qu’on ne peut pas l’obtenir par d’autres moyens ; les autres moyens étant la diplomatie ou encore le commerce par exemple. Il y a un moment où on ne peut pas l’obtenir autrement donc on fait la guerre afin de l’obtenir. Cela implique de revenir après à la normale qui est un état de paix.

Le système westphalien

À partir du XVIIème siècle et la fin de la guerre de Trente Ans, se met en place ce qu’on appelle le système westphalien. En accompagnement de la construction de l’État moderne, il y a toute une pensée en théorie politique afin de penser la guerre, mais aussi pour la codifier. Un juriste néerlandais, Hugo de Groot dit Grotius qui dès le XVIIème siècle va codifier la guerre, en termes de ce qu’on peut faire avant la guerre, pendant la guerre et après la guerre qui va mener à la codification du droit, mais aussi des conventions de Genève. L’émergence de la guerre dans le système interétatique s’accompagne d’une volonté d’introduire des règles bien spécifiques afin de mener la guerre : la guerre doit être déclarée, la guerre est un moment de violence intense et extrêmement, mais qui est extrêmement bien encadré. Il faut avoir à l’esprit tous les efforts qui ont été faits à partir de ce moment-là on l’a régulé et fixé des règles qui permettent de mener la guerre et de l’utiliser dans ce but politique. C’est-à-dire que la guerre fait vraiment partie de ce système interétatique.

Banquet de la garde civile d'Amsterdam fêtant la paix de Münster (1648), exposé au Rijksmuseum, par Bartholomeus van der Helst.

Le Traité de Westphalie de 1648 comprend le traité d’Osnabrück et le traité de Münster. Ils marquent la fin de la guerre de Trente Ans durant de 1618 à 1648, cela renvoi à la guerre de religion sur le continent européen entre catholiques et protestants et à la fin de ces guerres, on arrive à un traité qui va consacrer l’existence et l’émergence de l’État comme étant à la base du système d’organisation entre les entités et les unités politiques du continent européen donnant naissance au système westphalien. Les premières mentions dans les documents officiels de la Suisse sont au Traité de Westphalie même si la Suisse en tant qu’État a mis encore un certain temps à émerger dans sa forme moderne. C’est le moment où on fixe l’État comme base de ce système et surtout on reconnait la souveraineté qui est le fait que chaque État exerce sur son territoire le principe organisateur de ce système. Nous ne sommes pas dans une logique impériale, mais dans une logique où chaque entité exerce une souveraineté sur un territoire donné. Chacun reconnait que chacun fait ce qu’il veut chez lui, ce qui n’empêche pas que lorsqu’il y a un différend, la guerre reste un moyen de le régler.

C’est important de comprendre cette distinction de l’espace entre un espace intérieur où les règles sont claires, où c’est l’État en tant que tel qui à la souveraineté d’exercer le pouvoir, qui est reconnu ; et il y a l’extérieur de l’État où il n’y a pas d’autorité qui ait la forme de la souveraineté. Encore aujourd’hui, il n’y a pas de gouvernement mondial, nous ne sommes pas dans un empire des États, les territoires de la planète étant divisés entre États où s’exercent de manière exclusive à peu près deux cents souverainetés. C’est un principe, il y a des États plus forts que d’autres qui imposent leur volonté, mais comme principe de droit et d’organisation du système, c’est à partir de là que tout se met en place et encore aujourd’hui, ils occupent une place extrêmement importante même si de nos jours on parle des acteurs non étatiques comme les sociétés multinationales ou les organisations non gouvernementales qui occupent une certaine importance et ont un rôle assez important. L’État est quand même à la base de ce qu’on appelle le « système international ».

On ne parle pas d’« études mondiales » ou d’ « études globales ». Le terme qui s’est imposé est celui de « relations internationales », qui signifie que penser le monde est penser au-delà de la frontière de l’État pour montrer à quel point le moment de la structuration de l’espace entre États est important.

Le Traité de Westphalie consacre l’égalité souveraine comme principe organisateur du système international et il consacre ce principe que chacun fait ce qu’il veut chez lui et lorsqu’un différend survient, la guerre est pratiquée.

Vers la guerre totale

À partir du XVIIème siècle, il y a en place un système qui s’accompagne et est accompagné de la constitution du rôle de l’État ; au même moment ces deux processus sont concomitants, se déroulent en même temps et s’influencent l’un et l’autre. À partir de là, à travers la structuration de ce système, avec des États de plus en plus puissants, qui s’industrialisent et arrivent à extraire de plus en plus de ressources, à devenir de plus en plus efficace permettant d’aller vers la guerre totale.

On entre dans ce paradoxe où des États de plus en plus efficaces dans leur gestion interne font diminuer la violence interpersonnelle, mais paradoxalement, il y a des guerres qui sont extrêmement meurtrières si ce n’est de plus en plus meurtrières. C’est-à-dire que si on fait faire une distinction dans l’évolution de la guerre, nous sommes passés d’une guerre au Moyen Âge où les choses sont moins claires au niveau du système international, où il y a une absence de discrimination entre civils et combattants, c’est-à-dire que lorsque la guerre va être codifiée, elle va clarifier le rôle des combattants et tenter d’exclure les civiles des conflits. Cela va en effet marcher parce qu’à partir du XVIIème siècle, il y aura de moins en moins de civils impliqués dans les guerres et cela ferra de moins en moins de victimes civiles dans les guerres, la majorité étant militaire, et cela est un phénomène qui va durer jusqu’à la fin de la Guerre froide où on a de nouveau une inversion de ce chiffre.

Il est important de parler de guerre en relation avec l’émergence de l’État parce qu’au Moyen Âge, cela sont plus des états de violence que des guerres où il y a différents types d’unités politiques avec des cités-États, la papauté, des seigneurs de guerre qui changent d’affiliation en fonction de leurs intérêts du moment, cela est beaucoup plus fluide, il y a différentes forces qui combattent puisque la guerre moderne est liée à l’émergence de l’État puisque les gens qui combattent dans la guerre moderne sont des soldats qui ont des uniformes et qui sont donc des représentants de l’État, qu’ils soient payés ou que ce soit une armée de conscription. Alors qu’au Moyen Âge, il y a un mélange, les statuts sont beaucoup moins clairs, il y a différents types d’acteurs, il n’y a pas seulement des agents de l’État qui se font la guerre entre eux.

Les guerres limitées/ institutionalisées/ trinitaires (du « premier type » selon Holsti) : 1648 –1789

À partir de la paix de Westphalie, où la guerre s’instaure comme un moyen de régulation de la violence entre toutes les entités qui composent le système westphalien, les guerres s’institutionnalisent.

À partir du Traité de Westphalie, les guerres s’institutionnalisent. Dans The State, War and the State of War publié en 2001, Holsti fait une distinction assez connue entre les différents types de guerre parlant souvent de guerre de premier type à la sortie du Moyen Âge. Entre 1648 et 1789, on parle de guerres qui sont relativement courtes, durant de un à deux ans, avec des séquençages assez clairs, donc avec une déclaration de guerre, un cessez-le-feu, un traité de paix ; la guerre est de plus en plus codifiée et tout le monde joue le jeu de plus en plus avec des objectifs limités, des intérêts limités étant dans une conception clausewitzienne.

C’est aussi une époque de codification où on il n’y a plus de rôles qui ne sont pas bien établit, il y a des uniformes, des codes de conduites qui se mettent en place, mais aussi une tradition militaire autour de la « noblesse d’épée » qui se met également en place, c’est là que naisse les armées des États occidentaux tels qu’on les connait encore aujourd’hui. Ce sont des guerres qui sont limitées dans le temps et dans l’espace, il y a des objectifs clairs et c’est une guerre de manœuvre plutôt que n’annihilation.

L’armée est utilisée afin d’obtenir des choses décidées à l’avance. Cela n’empêche pas qu’il y a énormément de guerres à l’époque. Nous ne parlons pas de paix ou de mise hors-la-loi de la guerre, mais c’est un effort de codification de cette guerre où les civiles sont un peu plus épargné et où le nombre de victimes est relativement limité.

La guerre symptomatique de l’époque et la guerre de succession d’Espagne où il y a une série de conflits brutaux sur le moment, mais limités dans le temps entre différents États européens. C’est donc une époque où on codifie les armées, les uniformes émergent, on se distingue notamment à travers les uniformes. Cette distinction est importante parce que les États se crient aussi sur le fait qu’on se différencie les uns les autres aussi en fonction des uniformes.

La guerre du deuxième type ou guerre totale : 1789 – 1815 et 1914 – 1945

Napoleon in Berlin (Meynier). After defeating Prussian forces at Jena, the French Army entered Berlin on 27 October 1806.

En restant sur la typologie de Holsti, on entre dans les guerres de deuxième type. À partir de 1789 et de la Révolution française, on entre dans des guerres révolutionnaires et la nouveauté, restant extrêmement lié à la construction de l’État, on entre dans des levées en masse avec le concept de « Nation en armes ».

Avec la Révolution française, les princes européens se coalisent afin d’envahir la France, et se met en place la réaction révolutionnaire avec la levée de masse et la mise en place d’une armée de conscription. Au-delà du côté poétique de la révolution, cela implique que c’est avant tout un État relativement moderne qui peut se permettre la conscription menant au service militaire qui est le fait qu’on puisse mobiliser énormément de gens rapidement, les armer, les entrainer et les envoyer au combat. En tant que tel, il faut un État beaucoup moins développé développer pour engager quelques centaines de mercenaires et les envoyer combattre. Monter une armée en entier est beaucoup plus compliqué que d’acheter simplement un service. Le développement de ces armées de conscription a permis de lever des armées énormes en termes d’hommes, de taille et d’efficacité. Les guerres de deuxième type sont les guerres révolutionnaires et napoléoniennes après où ce sont des armées nationalistes signifiant que ce ne sont plus des armées de métier comme c’était souvent le cas avant reposant sur le mercenariat. Le paradoxe avec la beauté de la cause révolutionnaire où c’est un peuple qui se soulève contre un ennemi qui attaque nos idéaux, mais, lorsqu’on mène une guerre révolutionnaire, le but n’est pas juste de gagner quelques kilomètres carrés, le but est d’annihiler l’ennemi parce qu’il remet en cause notre existence. On entre dans des logiques beaucoup plus meurtrières avec les guerres de deuxième type qui sont liées justement aux guerres révolutionnaires de l’époque. Les objectifs deviennent illimités, flous et ne sont pas concrets comme les concepts de « libération », de « démocratie », la « lutte des classes » et impliquent une capitulation sans conditions.

La Deuxième guerre mondiale est symptomatique de ce phénomène parce qu’avec la lutte contre le nazisme, nous ne sommes pas dans une logique de capitulation où chacun reste chez soi après ; lorsqu’on entre dans ce type de guerre, on entre dans une logique de capitulation sans conditions, l’objectif est d’annihiler son ennemi. C’est une transformation de la guerre, mais qui est éminemment lié à une construction de l’État. Afin d’arriver à quelque chose comme la Deuxième guerre mondiale avec une lutte contre le nazisme, afin que le nazisme émerge, il a fallu un État pour qu’il puisse se développer sinon il n’y aurait jamais eu une capacité sans les idéologies s’il n’y avait pas eu un État derrière qui permettait de menacer l’équilibre européen et mondial après à partir de là.

Dans ces guerres de deuxième type, la discrimination entre civiles et militaires n’a plus lieu d’être. Avec la Deuxième guerre mondiale, le nombre de victimes civil a été beaucoup plus grand que dans les guerres précédentes. On revient à l’État bien sûr, les moyens industriels au service de la guerre doivent être importants. Pour organiser un génocide, il faut des moyens industriels. Afin de pouvoir monter des armées aussi puissantes qui vont s’affronter dans la Première guerre mondiale par exemple, il faut de grandes capacités industrielles. La guerre permet de développer ces capacités industrielles. Il y a toujours ce lien entre les deux.

Il y a cette période à partir de 1789 où vont se développer ces guerres du deuxième type qui sont des guerres totales où toute la population est impliquée et qui touche toute la société. Sur la périodisation, il faut faire attention, parce qu’entre 1815 et 1914, il y a ce qu’on a appelé la « paix de cent ans ». Il y a une centaine d’années où il n’y a pas eu de conflit majeur sur le territoire européen. Autant il y a eu le Traité de Westphalie en 1648 après la guerre de Trente Ans, après les guerres napoléoniennes, il y a eu le Congrès de Vienne créant le « Concert des Nations ». Tous les gagnants de la coalition contre Napoléon ont défini des nouvelles règles qui concernaient ce système international qu’on appelait à partir de là le Concert des Nations commençant à mettre en place, si ce n’est un système de sécurité collective, de concertation pour la gestion des différends entre les États qui a fonctionné relativement bien dans la mesure où il y a eu moins de guerres parce qu'étant dans le logique de Concert des Nations.

Après 1945

Autant, il y a eu une Paix de cent ans entre 1815 et 1914, autant après 1945, le continent européen a connu une période extrêmement pacifiée. C’est assez paradoxal parce qu’il y avait la Guerre froide, il y avait une menace constante d’Armageddon nucléaire, mais il n’y a pas eu de guerre. C’est une période relativement calme, surtout que l’Europe sortait d’une très longue période extrêmement violente. Nous assistons après 1945 à la fin de la guerre entre les grandes puissances. Il y a une diminution de la guerre et se met en place une longue paix.

United Nations General Assembly hall.

Même si c’est une conception eurocentrée de la guerre, parce qu’autant la Guerre froide en Europe n’a pas donné lieu à de violence en termes de guerre, mais il y a beaucoup de guerres qui furent menées par proxy menant à de la violence. Cette conception européenne de la guerre a mené à la fin de confrontations directes entre les grandes puissances alors qu’avant, le problème était que les grandes puissances de l’époque se faisaient la guerre. Les grandes puissances ne se battent plus entre elles.

De plus en plus, on en vient à l’idée d’une mise hors-la-loi de la guerre. C’est une idée qui existe depuis un certain temps parce que dans l’idée de régulation de la guerre, il y a aussi l’idée que la guerre doit à terme disparaitre. L’idée pacifiste existe depuis longtemps notamment incarnée par le projet de « paix perpétuelle » de Emmanuel Kant qui propose un certain nombre d’étapes pour arriver à une certaine fédération du système où on n’aura plus besoin d’arriver à la guerre parce que les États vont devenir des régimes démocratiques parlementaires qui par définition ne se font pas la guerre entre eux. Mais surtout, après 1945, se met enfin en place des mécanismes de sécurité collective ; c‘est-à-dire que pour gérer les relations entre États de manière efficace et d’éviter la guerre.

C’est ainsi qu’est notamment venu l’idée de l’émergence de l’ONU qui, dans sa charte, ne prévoit que deux façons de faire la guerre, à savoir qu’elle interdit la guerre sauf en cas de légitime défense ou à moins qu’un État ne mette en danger la paix et la stabilité internationale et que donc, le Conseil de Sécurité de l’ONU via son chapitre VII autorise cette guerre. Il y a une tentative de réguler la guerre, mais en la mettant hors-la-loi, il y a une tentative de la faire disparaitre. À partir de 1945, ces tendances deviennent de plus en plus importantes.

Les transformations contemporaines de la guerre

L’émergence de la guerre moderne nous mène à 1989 qui est la fin de la Guerre froide. Autant, nous avons vu que jusqu’à maintenant, que l’émergence et la constitution de la guerre moderne était en rapport avec l’émergence de la constitution de l’État moderne, que les deux sont intimement liés, autant à partir de 1989, beaucoup de chercheurs ont l’impression que nous sommes face à une rupture ; qu’un système qui fut construit pendant un certain temps est en train de changer avec la fin de la Guerre froide. La guerre se transforme, toutes les règles qui furent mises en place ne seraient plus valables, on arriverait vers de nouvelles guerres et même des guerres postmodernes. Nous serions depuis plus d’une vingtaine d’années dans une transformation de la guerre. Nous allons voir où nous nous situons par rapport au fait que la guerre serait en train de se transformer.

Le nouveau (dés)ordre mondial ?!

À partir de 1989, avec la Chute du mur de Berlin, la disparition de l’Empire soviétique et la fin du système bipolaire où les relations entre les blocs soviétique et américain étaient régulées par la peur d’une destruction mutuelle créant une certaine paix. Avec les années 1990, on entre dans une période intéressante où les cartes commencent à être redistribuées. Il y a à la fois l’idée qu’on entre dans un nouvel ordre mondial avec l’idée que les États-Unis sont la seule superpuissance, mais surtout qu’on arrive à une période pacifiée où l’ONU va enfin pouvoir jouer son rôle et permettre de mettre la guerre hors-la-loi puisque l’ONU visait à assurer la paix et la sécurité mondiale, donc, désormais cela va être possible de rentrer dans une période assez optimiste. C’est une époque où la plupart des problèmes pouvaient potentiellement être réglés par l’envoi de Casques bleus et à partir de là, on entrerait dans une aide positive récoltant les dividendes de la paix de la fin de la Guerre froide.

À la même époque, apparaissent aussi des éléments et un discours sur ce qui va être appelé le désordre mondial. La thèse la plus connue est celle de Samuel Huntington et son ouvrage le Choc des civilisations soutenant que nous ne serions plus dans une logique de blocs qui se battent entre eux, mais de civilisations. Ce fut extrêmement influant et beaucoup de personnes réfléchissent comme cela aujourd’hui ; mais c’est surtout que la fin de la bipolarité après 1989 donne une sensation qu’on entre dans un monde nouveau et notamment parce qu’il y a une démultiplication des guerres civiles. Jusque là, un des buts de la codification de la guerre et de la constitution des États est que la majorité des guerres étaient des guerres interétatiques entre États ; la guerre civile était un mode minoritaire de guerre parce que la violence organisée passait principalement par l’État.

À partir de 1989, la tendance s’est inversée avec les guerres civiles qui prennent le dessus. Il y a l’impression que les États ne sont plus les acteurs principaux de la guerre et qu’il y a un retour de la violence interétatique. Des acteurs tels que les terroristes, les milices les mafias ou encore les gangs reviennent sur le devant de la scène. Ces modes de violences avaient soi-disant était domestiqués par l’État. L’élément qui revient le plus est qu’autant la souveraineté a été importante afin de structurer le système interétatique, autant à partir de ce moment-là est remis en question la souveraineté et sa capacité à pouvoir réguler la violence. Toutes les guerres civiles qu’on voit principalement en Afrique à partir des années 1990 sont des guerres qui touchent à ce qu’on appelle des États faillis. Ce sont des États qui sont peut-être souverains, mais qui n’arrivent plus à exercer leur autorité sur leur territoire, et, étant donné que c’est le chaos sur leur territoire, cela devient des guerres et cela déstabilise tout.

À partir de ce moment-là, on regarde de plus en plus la souveraineté comme quelque chose de potentiellement négatif à travers la multiplication de ces conflits infraétatiques ou de guerres civiles.

Les nouvelles guerres

Une réflexion va se mettre en place sur la guerre et ses transformations, les nouvelles guerres selon Mary Kaldor dans son ouvrage New and Old Wars: Organised violence in a global era publié en 1999, se distinguent des anciennes guerres.

Kaldor soutient qu’à partir de 1989, on entre dans une nouvelle ère qu’il serait possible de définir de trois façons différentes. Selon elle, les identités ont remplacé les idées. Il y a avant tout beaucoup de conflits ethniques par exemple, on ne se bat plus pour des idées, mais pour une ethnie par exemple, ce qui à la différence nous place dans une position d’exclusion. Quand on se bat pour une finalité idéologique, on est dans une disposition beaucoup plus inclusive comme par exemple se battre pour le socialisme international, alors que désormais, se battre pour une identité ethnique signifie forcément exclure l’autre.

D’autre part, selon Kaldor, la guerre n’est plus pour le peuple, mais contre le peuple, c’est-à-dire que nous sommes de plus en plus face à des acteurs qui ne représentent pas l’État et qui n’aspirent même pas à être l’État. Il y a de plus en plus une guerre de bandits où l’objectif est d’extraire les ressources naturelles des pays pour l’enrichissement personnel de certains groupes. De plus, on entre dans une économie de guerre qui est soutenue par des réseaux transnationaux comme les mafias par exemple, signifiant qu’on entre dans des réseaux globaux qui alimentent ces guerres.

Members of Colonel Hugo Martínez's Search Bloc celebrate over Pablo Escobar's body on December 2, 1993. His death ended a fifteen-month search effort that cost hundreds of millions of dollars, and involved coordination between the U.S. Joint Special Operations Command, the Drug Enforcement Administration, Colombian Police, and the vigilante group Los Pepes.

Kaldor a une approche dépolitisante de la guerre. On a mis un certain temps à réfléchir à un système où la guerre était éminemment politique, à savoir au service du politique, dans la poursuite d’objectifs politiques, et, selon ce type d’approches ce n’est plus le cas. Nous sommes face à des États du sud issu de la décolonisation qui se sont mal construite, auxquels on n’a pas donné les outils pour bien se construire, et qui se délite, et qui en se délitant, libèrent une espèce de chaos général où des ethnies se battent entre elles, où des bandits profitent de tous et où rien ne va parce qu’il n’y a pas d’État afin de mettre de l’ordre.

Il y a des critères de cette approche proposée par Mary Kaldor disant qu’il n’y aurait plus de conflits politiques, mais c’est une thèse qui a eu un certain impacte parce qu’elle colle à l’idée de désordre global qui est une sensation qu’à partir du moment où il y a des États trop faibles, on perd tout contrôle. Du moment où l’État n’est pas là comme garant de la stabilité du territoire qu’il doit contrôler, cela libère toute une série de menaces et de choses dangereuses. Avec le désordre au Moyen-Orient, cela génère des angoisses typiquement liées au rapport à l’État. Comme on a l’impression qu’il plus personne ne contrôle plus rien, cela va libérer toute une série de menaces potentiellement dangereuses. Notre rapport au système international est clairement lié à l’État. Du moment où l’État s’effondre, on a peur qu’en ne contrôlant plus ce qui se passe à l’intérieur des États, cela pose un danger. Le fait qu’il y a un soutien à des dictatures dans certain pays, au-delà du fait que cela soit condamnable comme approche, cela veut surtout dire qu’on préfère un État qui contrôle ce qu’il y a dans un pays même s’il n’est pas démocratique alors qu’on se dit nous-mêmes être une démocratie. Il y a un attachement à l’État comme une structure qui nous permet de penser notre environnement même mondial.

Du moment où la guerre est dépolitisée, on entre dans une version postmoderne de la guerre. Nous avons parlé des nouvelles guerres dans les pays du Sud, même si les démocraties ne sont plus censées se faire la guerre entre elles, elles font quand même la guerre ; les pays du Nord continuent à faire la guerre.

La guerre postmoderne

MQ-9 Reaper taxiing.

Est-ce que ces guerres ont vraiment changé la façon dont elles sont menées par les pays occidentaux ? Nous serions entrés dans un « western way of war », il y a un retour à la technologie, des armées qui se professionnalisent de plus en plus parce que les populations occidentales sont de plus en plus allergiques au risque. Aujourd’hui, les populations sympathisent de moins en moins avec l’idée d’aller mourir à l’étranger. Il y a des moyens de mener de plus en plus une guerre technologique qui éloignent du terrain grâce aux développements technologiques liés à l’État en partie. C’est par exemple l’image du drone où l’on va donner la mort à distance, c’est-à-dire que la personne qui va donner la mort n’est plus dans un avion au-dessus du terrain, il se situe à plusieurs milliers de kilomètres. La question est de savoir si cette mise à distance change la nature de la guerre, est-ce que cela est une évolution, une révolution des affaires militaires avec le concept de guerre « zéro mort », doit-on dépasser Clausewitz lorsqu’on parle de Mary Kaldor par exemple. La guerre est-elle vraiment en train de se transformer, est-ce quelque chose qui se dépolitise de plus en plus dans les pays du Sud et qui est quelque chose en fin de compte d’éminemment technologique où il n’y a plus aucun rapport avec ce qui se passe sur le terrain, nous ne sommes plus touchés par la guerre et cela est quelque chose technique avec lequel on a pris une véritable distance. On parle de toutes ces guerres que nous voyons à travers les écrans avec par exemple la Guerre du Golf dans les années 1990 qui parait éloignées parce qu’on ne l’expérimente même plus au travers de nos familles ou de nos propres expériences.

Annexes

Références