Qu’est-ce que la théorie politique ? Enjeux méta-éthiques

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Nous allons mener une introduction concernant les grands cadrages métaéthiques qui sont la réflexion autour de l’éthique, à savoir les théories qui surplombent notre compréhension de l’éthique. L’idée est de commencer à préciser peu à peu le chemin qui nous amènera vers une théorie particulière qui sera celle de John Rawls. Nous allons retracer une longue discussion en abordant le déontologisme, le conséquentialisme et le contractualisme. Ces théories continuent à susciter de grands débats au sein de la discipline. Malgré le fait que ces théories sont situées historiquement, il n’en demeure pas moins qu’il y a aujourd’hui un débat qui continue sur le fait de repenser une certaine applicabilité de ces théories aux enjeux d’aujourd’hui.

Quels sont les principes et les approches qui peuvent nous guider dans l’évaluation des aspects moraux inhérents aux institutions, pratiques sociales ou actes politiques ?

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Le déontologisme[modifier | modifier le wikicode]

L’approche déontologique se situe plutôt au niveau de Kant.[8][9][10] L’idée générale est que le type d’action que nous accomplissons, pour qu’elle soit morale ou pas, doit réponde à un certain nombre de critères extérieurs à l’action en tant que telle. L’approche conséquentialiste, quant à elle, va déterminer la qualité morale de l’action en fonction des résultats qu’elle produit.[11][12] L’approche déontologiste est l’opposé, à savoir que quelque soit les résultats auxquels aboutissent une action, ce qui compte, afin de pouvoir la qualifier de morale, est la conformité avec un certain nombre de principes ou de devoirs moraux. Avec Kant, il faut traiter les gens avec respect indépendamment de ce que nous gagnons ou perdons à les traiter avec respect, mais il faut les traiter avec respect pour la simple et bonne raison que si nous voulons être moral, nous pouvons décider être moral, il faut que cette action ait une justification morale qui est externe à l’action en tant que telle.

Ce sont les types d’actions qui sont morales ou immorales, et non leurs conséquences particulières. Il en découle que nous devrions suivre nos règles morales, quelles qu’en soient les conséquences. La question qui se pose est la question des règles qui sont censées définir ces principes moraux qui vont quelque part donner un caractère intrinsèquement moral ou pas aux actes que nous accomplissons. Un certain nombre de personnes a été éduqué avec l’idée qu’il ne faut pas tuer parce que moralement, on part de l’idée qu’il y a quelque chose de moralement mauvais dans cet acte, quel que soit le type de conséquences que l’action produit. Pour Kant, c’est un exemple d’action morale que nous devons garantir même si la situation pour nous doit être moins bonne que si nous avions menti. Il y a quelque chose qui est propre à l’acte en tant que tel qui va déterminer le caractère moral ou pas. Certaines actions sont immorales par nature, car non conformes au(x) devoir(s) que l’action doit remplir alors que d’autres sont intrinsèquement bonnes.

La moralité d’une action est déterminée en vertu de principes qui sont indépendants de l’action elle-même ; les principes de justice sont déduits indépendamment d’une conception particulière du bien. Avec la question des principes de justice, à savoir quelles sont les règles de coopération sociale que nous devons à nous-mêmes afin d’essayer de vivre dans un monde organisé de manière équitable ; pour les approches déontoglistes, il faut absolument que ces critères de justice soient déduits indépendamment des différentes conceptions du bien, à savoir les conceptions éthiques que nous nous donnons de notre vie. Cette conception du bien ne doit pas participer d’une définition de la justice parce que si nous faisons remonter la conception du juste, à savoir des règles de coopération, en la déduisant d’une conception du bien particulière, et si nous partons de l’idée que le système pluraliste moderne dans lequel nous sommes offre une pluralité incommensurable de conceptions du bien, le fait de déduire la justice du bien impliquerait des formes de sectarisme qui fait que la conception du bien d’un tel qui ne sera pas partagé par un autre, s’il a le pouvoir de l’appliquer, prétéritera le droit d’autrui.

C’est pour cette raison que selon l’approche kantienne déontologiste, il est possible à ce que les gens aient une obligation de respecter le juste. Respecter le juste n’est pas juste une manière d’être poli ou charitable, mais une manière d’être moral. Être juste est être moral, pour être moral, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire même si peut-être, le fait de le faire augmenterait notre bonheur ou notre gain social. Ce qui est intéressant est tout un tas de discussions dans lequel on transpose dans un langage du bien ou de l’éthique. La justice implique, dans cette logique, un certain nombre de devoirs qui attribuent aux autres des droits. Si nous avons le devoir de ne pas mentir, cela veut dire que quelqu’un a le droit à ce que nous ne lui mentons pas. Si quelqu’un a le devoir de respecter quelqu’un par un comportement, cet autre a le droit d’attendre à ce qu’il soit respecté. Le devoir et le droit sont dans une relation symbiotique, en général à un devoir correspondra un droit. S’il est juste de penser que la liberté d’expression donne un droit fondamental, la logique voudrait que des États s’accordent à respecter ce principe et à veiller à ce que les gens dans leur action quotidienne le fassent.

Dans le cadre de la tradition déontologique, pour Veca dans Éthique et Politique publié en 1999, « l’évaluation morale se centre sur des considérations relatives aux règles et aux critères ou principes qui norment notre façon de nous traiter les uns aux autres et de nous conduire » (Veca, p. 19), donc sur ce qui est juste.[13] Ce qui en découle est que les principes et l’approche déontologique surtout avec l’approche contemporaine, est que la définition de ces quelques principes de base qui se justifient en tant que devoir que nous devons à autrui pour faire en sorte que la vie collective, de coopération dans laquelle nous sommes soit le plus juste possible. Juste aussi au sens, et ce sera la grande tentative de Rawls, de faire en sorte que la définition des critères de justice n’empiète en rien sur la liberté que nous avons de préserver notre conception du bien. L’idée qui est inhérente à cette tradition est de dire que le fait qu’on s’accorder sur le juste ne veut pas dire qu’on doit sacrifier le bien ou nos conceptions du bien. Il faudrait quelque part arriver à préserver notre liberté, à nous définir par rapport à une certaine conception du bien tout en faisant émerger des critères du juste qui vont présider à notre manière d’interagir.

Pour Veca, « l’accord portant sur ce que nous nous engageons à retenir comme juste nous crée une obligation tout en excluant les conceptions du bien qui se révèlent incohérentes ou incompatibles avec les critères ou les principes de la justice ». Il s’agit quelque part de l’idée d’arriver à cet accord que nous considérons comme étant fondamental à préserver afin que nous puissions se traiter justement. Pour y arriver, il est nécessaire de dégager un certain nombre de principes considérés comme étant plus justifiés que d’autres, à savoir un certain nombre de principes sans lesquels la question de la justice n’est pas possible. Le juste précède le bien. Nous devons nous entendre autour du juste, de quels sont les principes de base qui organisent notre coopération sociale, pour qu’ensuite, tout le monde ait une chance équitable de pouvoir vivre et poursuivre sa conception du bien. L’intuition contemporaine derrière cette idée est que si la répartition, par exemple, des fruits de la coopération est mal répartie ou répartie de manière injuste, soit inéquitable, on peut imaginer des situations où certaines catégories de la population auront plus de facilité à vivre conformément à leur conception du bien que d’autres qui seront marginalisées, davantage exclus parce qu’elles n’auront pas suffisamment de ressources pour se faire entendre. La tentative de Rawls est de réfléchir aux critères de justice afin de maximiser les chances de libertés. L’idée étant que nous ne pouvons pas être libres de choisir notre conception du bien si nous subissons une distribution inéquitable des ressources. Il y a donc des droits qui sont l’émanation de ces principes qui doivent être posés.

La question est de savoir si tous ces droits sont de même niveau ou s’il y a des droits qui sont plus fondamentaux pour la justice que d’autres. Si on compare ce qui se passe au niveau du système politique, on voit que dans la traduction constitutionnelle et politique d’un certain nombre de principes fondamentaux, les États se dotent de constitutions très différentes. Il y a différentes manières de transposer ces droits, parce que vraisemblablement, au niveau des espaces politiques, la détermination de ce qui est fondamental, de ce qui est impératif et de ce qui ne l’est pas n’est pas la même. Par exemple, le droit de vote n’a pas la même place en France et en Suisse. Les deux ont le droit d’élection, mais pas les deux ont le droit de vote. Il y a toute une réflexion qui reste ouverte afin d’essayer de comprendre les critères de légitimation de ces différences et pour les normativistes d’essayer d’amener à une évaluation normative de ces dispositifs.

Une des origines les plus classiques de cette approche déontologique vient de Kant.[14][15][16][17] Il faut mettre au clair deux déclinaisons de l’impératif catégorique.

Pour la première, il s’agit de la maxime : « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle ». L’intuition de Kant était de dire que nous sommes capables de déterminer ce qu’est une action morale. Nous sommes capables, parce que nous sommes des êtres autonomes et rationnels, de décider si l’action que nous voulons faire est défendable d’un point de vue moral ou pas. À savoir que du moment où l’action et la justification de l’action que nous nous apprêtons à faire est virtuellement capables d’être universalisable, au sens d’imaginer qu’elle soit déclinée dans un sens que tout le monde devrait pouvoir accepter, alors, à ce moment, nous avons à faire avec une norme a priori morale dans la mesure où elle toucherait tout le monde. Il est possible que dans le cadre d’une discussion portant sur le fait de ne pas tuer, il y aurait un accord universel sur l’idée de proscrire cette action ; ce qui veut dire que, quelque part, cette action est immorale et ce qui veut dire que nous avons le devoir de ne pas tuer parce que nous avons le droit à ne pas être tués.

Habermas propose l’idée délibérative comme la force du meilleur argument.[18] On retrouve avec Kant, l’idée que par la force du meilleur argument, on arrive à avoir une sorte de consensus universel permettant quelque part le meilleur parce qu’acceptable virtuellement par tout le monde.

La deuxième déclinaison est « Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ». Apparait l’une des idées fortes de l’approche kantienne. Nous ne pouvons pas utiliser l’autre comme un moyen. On ne peut pas utiliser quelqu’un comme un moyen pour l’assouvissement de son plaisir. On ne peut pas nier ses droits afin d’en faire quelque chose qui nie sa base de respect, car ceci n’est pas universalisable et ceci n’est pas conforme à l’exigence de respecter son autonomie et son caractère inviolable dû à sa co-humanité qui le caractérise. Cela n’est pas toujours évident, car si on part de l’idée que nous ne sommes pas tout le temps un peuple d’anges, il n’est pas toujours complètement évident d’être à la hauteur de ce critère. Conformément à la philosophie de Kant, il est nécessaire d’éviter que l’autonomie de l’autre, que le fait de ne pas traiter l’autre comme un moyen est primordial pour préserver son autonomie. C’est une maxime impérative dans le sens où elle devrait s’appliquer à toute forme de relation humaine moralement bonne et par ailleurs juste. Lorsqu’on parle de droit de l’homme ou de respect de soi, bien que Kant ne soit pas seulement le seul auteur à avoir thématisé ceci, nous avons affaire à un certain nombre de critères qui viennent de cette tradition, qui nous donnent des raisons de penser et de justifier pourquoi nous devons respect à autrui quoi qu’il ait fait. La différence entre des États qui permettent la peine de mort ou pas se retrouve aussi prise dans ces dilemmes. On trouve encore aujourd’hui beaucoup de nos intuitions morales, sur lesquels on base notre indignation concernant des choses qui se passent dans le monde et qui ne nous paraissent pas exactement à la hauteur ni de la justice ni de la morale.

Le conséquentialisme[modifier | modifier le wikicode]

Opposé à la position déontologique, il y a la position conséquentialiste qui dit que ce n’est pas ce que l’action contient comme valeur qui compte, ce sont les conséquences qu’elle produit.[19][20][21] Pour les conséquentialistes, ce qui attribue un caractère moral ou pas à une action est si les conséquences auxquelles elle aboutit sont bonnes ou mauvaises. Si nous tuons quelqu’un par la peine de mort et en tant qu’État, nous mettons cette politique en œuvre, et nous constatons que le fait d’avoir cette politique permet de réduire le crime, permet d’être suffisamment dissuasif, alors, à ce moment, on pourrait imaginer que cette politique donne lieu à des conséquences qui sont bonnes : le crime diminue. C’est quelque chose de radicalement différent de l’approche déontologique selon laquelle nous ne pouvons pas sacrifier le criminel comme un moyen pour le dissuader, on doit le respecter dans son intégrité. Pour les conséquentialistes, si l’action aboutie a de bonnes conséquences, c’est en vertu des conséquences qu’elle va produire qu’elle doit être évaluée et pas nécessairement en fonction des moyens par lesquels ces conséquences sont obtenues.

Pour les conséquentialistes, le point de vue moral fondamental est celui des conséquences et pas du tout de l’action. L’action est juste un moyen. Il est possible d’imaginer que si nous avons une idée précise et correcte selon laquelle l’immigration nous appauvrit, il est possible d’imaginer que le but étant d’être riche, toute action permettant de préserver cette richesse, sera moralement acceptable indépendamment des actions concrètes qu’il faudra faire sur les migrants potentiels pour éviter l’immigration.

La théorie la plus évidente en termes de conséquentialisme est celle qui rompt le plus avec la logique déontologique est la théorie utilitarisme. Selon Bentham dans Principes de la morale et de la législation publié en 1789, « la nature a placé l’humanité sous l’empire de deux maîtres, la peine et le plaisir. C’est à eux seuls qu’il appartient de nous indiquer ce que nous devons faire comme de déterminer ce que nous ferons. D’un côté, le critère du bien et du mal, de l’autre, la chaîne des effets et des causes sont attachées à leur trône. Ils nous gouvernent dans tous nos actes, dans toutes nos paroles, dans toutes nos pensées. […] Le principe d’utilité reconnaît cette sujétion et la prend pour fondement de ce système dont l’objet est de construire l’édifice de la félicité au moyen de la raison et du droit ».[22][23]

Quelle est l’intuition clef derrière la philosophie utilitariste ? Il y a plein de choses que nous ne savons pas, nous ne savons pas, si Dieu existe, ce qu’est la nature, ce qu’est le bien ou le mal, mais nous savons au moins que tout individu a une capacité à vivre le plaisir et à ne pas supporter la peine. Derrière la logique utilitariste qui remonte au siècle des Lumières, il y a l’idée d’avoir une théorie d’évaluation morale qui soit le plus centrée possible sur quelque chose que nous pouvons connaître. Derrière l’intuition utilitariste, il y a l’idée d’un critère très parcimonieux et direct afin d’essayer de trancher entre des actions. Intuitivement, nous avons l’idée qu’une action individuelle ou de la part d’un État qui augmente les plaisirs est meilleure qu’une action qui augmente les souffrances ou les peines. L’idée des utilitaristes est de faire en sorte de trouver un principe qui permet de faire sens de cette intuition dans le principe d’utilité. Le fondement ultime afin de déterminer si une action est préférable à une autre est de dire que l’action qui permet de maximiser l’utilité collective doit être choisie ou être plus justifiée et bonne par rapport à l’action qui ne permet pas de maximiser l’utilité collective. Quelque part, c’est par les effets d’utilité collective qu’elle va donner que nous jugerons de l’action. Les effets qui permettent d’augmenter l’utilité seront les effets moralement significatifs qui permettront de qualifier l’action qu’il a permise de les produire de moralement bonne. Cette dernière doit être adoptée au détriment d’une action qui ne serait pas à la hauteur en termes de bonheur collectif par rapport à la première. Pour Bentham, cela serait l’action qui augmente les plaisirs collectifs, qui rend les gens plus heureux que s’ils l’étaient sans l’action où qu’ils l’auraient été avec une autre action.

On distingue deux postulats principaux de l’utilitarisme qui sont :

  • un postulat ontologique – « Le bonheur de chaque homme est sa seule fin réelle » : les individus sont capable de ressentir le bonheur, mais plus que cela, la fin ultime d’un individu est de vivre du bonheur.
  • un postulat moral – « Le principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre est la seule fin universellement désirable » : c’est le plus grand bonheur pour le plus grand nombre qui va déterminer une fin ultime à poursuivre qui a une dimension universelle. C’est cela qui va rendre moral. L’action est bonne s’il en résulte un accroissement moral du bonheur.

Ainsi, pour l’utilitarisme classique de Bentham, une action est bonne s’il en résulte un accroissement global du bonheur au sens de la maximisation des plaisirs et minimisation des peines. Il y a une dimension sacrificielle inhérente à l’utilitarisme qui est précisément celle qui est combattue par la logique déontologique. Selon la logique déontologique, nous ne pouvons pas sacrifier une autre humanité et celle des autres au nom d’un bonheur. Il faut respecter l’autre comme une fin et non comme un moyen pour son propre bonheur.[24]

Lorsque l’utilitarisme a été présenté au XVIIIème, cette théorie avait une dimension révolutionnaire et radicale très forte parce qu’elle partait de l’idée que nous étions dépositaire de notre capacité à vivre le bonheur et vouloir éviter les souffrances que nous faisions partie de la métrique du calcul moral, que la morale ne venait pas de dieu et de la nature, mais aussi de ce qu’en tant qu’Homme, on pouvait déterminer comme limite à ce qu’on pouvait accepter ou pas collectivement de la part d’un État ou d’un autre individu.[25] Il y a quand même quelque chose de très fascinant dans cette théorie qui aboutit de l’égale considération. S’il est vrai qu’ontologiquement nous sommes tous capables de bonheur et nous voulons tous vivre d’un bonheur, ceci veut dire que dans ce calcul du bonheur utilitariste collectif, il y a un principe appelé d’égale considération, chacun de nous est considéré de la même manière. Il n’y aurait pas de raisons métaphysiques ou d’autres pour dire que certains vaudraient pour plus qu’un. Dans la logique utilitariste, il y a quelque chose de très intéressant parce qu’elle peut être vue comme une éthique rationnelle avec un calcul assez simple. Il vaut mieux éviter de subir des choses qui font du mal et il vaut mieux donner son accord à des choses qui font du bien. C’est une éthique qui se veut rationnelle avec l’idée d’avoir un critère ultime de détermination rationnelle qui permet de trancher entre l’action et la solution que l’on préconise ou qui est souhaitable. Si on le situe dans le contexte de l’époque, dans une société de classe, stratifiée et hiérarchisée qui a le mérite de proposer un critère relativement radical et qui a le mérite d’être un critère relativement simplement opérationnalisable par des politiques publiques et par la loi ; ce critère est peut être plus facile à être mis dans le monde, rendu effectif, on choisi l’option qui augmente le bonheur et diminue les peines que de mettre en place une législation qui soi conforme aux impératifs catégoriques de Descartes.

La théorie utilitariste a une théorie de l’injustice, à savoir que notre coopération est injuste si les décisions que nous prenons gaspillent notre bonheur, si nous choisissons par notre mode de coopération de défendre des principes, des lois, des décisions publiques ou encore des normes de vie commune qui au lieu de maximiser diminuent le bonheur, cela veut dire que nous sommes en train de gaspiller. Cela est immoral parce que « moral » veut dire augmenter le bonheur et non pas le gaspiller. Il y a une prémisse fondamentale qui est très problématique. La prémisse est celle que l’utilité peut être calculée (1) et comparée (2). D’une part, étant donné que chacun est amené à être compté dans la définition du bonheur collectif, il faut déjà que cette utilité soit calculable et il faut qu’elle soit comparable. Nous avons tous été confrontés a une situation où l’acceptation de certaine de A n’avait pas la même intensité que de la part de certaine de B. Il est possible d’imaginer que cette utilité s’exprime par des formes d’intensité. Le fait de dire que tout individu est capable de ressentir les plaisirs et les peines ne peut pas dire que dans notre corps et dans nos têtes, nous ressentons le plaisir de la même manière. Il ne faut pas oublier que derrière la logique majoritaire qui organise tout notre système politique, il y a une idée utilitariste que la volonté de la majorité est préférable à la volonté de la minorité. Il y a quelque chose dans la logique majoritaire qui raisonne avec une idée utilitariste qui fait que le bonheur des 50,1 % doit être reconnu par la loi davantage que le malheur des 49,9. Est-ce un simple calcul ou il y a quelque chose qui dit que la majorité est au fond une manière de rendre compte de l’utilité collective. Dans le cadre d’une règle majoritaire, on compare des voix, mais on ne sait pas très bien ce qu’il y a derrière ces voix. L’utilitarisme est très intuitif est informe beaucoup de non-pratiques.

Donc, pour Veca, « les institutions et les politiques sont justes si, et seulement dans la mesure où, elles maximalisent une certaine grandeur sociale interprétée de façon variable comme l’utilité globale, l’utilité moyenne ou l’utilité moyenne attendue suivant les divers développements et raffinements de l’utilitarisme ».

Il y a aussi différentes manières de faire de l’utilitarisme. La logique que nous avons présentée est une logique quelque part directe ; avant d’accomplir chaque action, nous devons décider si l’action que nous allons entreprendre va augmenter ou non le bonheur collectif, si ce n’est pas le cas, a priori, nous ne devons pas le faire. Il faut essayer de calculer si l’action que nous entreprenons augmente ou pas le bonheur collectif. L’utilitarisme de l’acte vise quelque part à déterminer avec tout un calcul que les individus sont amenés à faire si l’action entreprise fait sens ou pas par rapport à une augmentation de l’utilité collective.

Un autre type d’utilitarisme qui est une sorte d’utilitarisme indirect vise à dire que quelque part, ce qui est important, quand on décide de faire quelque chose, ce n’est pas seulement l’effet direct d’augmentation de l’utilité collective produite par ce phénomène, mais il faudrait calculer aussi à un temps moyen ou plus long les effets que faire quelque chose aurait sur la remise en question de certaines règles. L’utilitarisme de l’acte porte sur la considération des conséquences de l’acte particulier de l’individu. Les individus appliquent le principe de maximisation de l’utilité à chaque action particulière. Autrement dit, on juge acte après acte celui qui maximise le bonheur, mais on peut aussi imaginer des cas où même s’il serait bon de violer une règle pour des raisons utilitaires directes, il serait peut-être mauvais de le faire à un horizon un peu éloigné.

L’utilitarisme de la règle considère les conséquences découlant de l’adoption d’une règle d’action, le critère de maximisation devrait s’appliquer aux règles, donc les actions permises sont celles qui obéissent aux meilleures règles possibles. Une des implications plausibles est que si, dans un cas particulier, il serait bon de violer une règle, il ne faut cependant pas le faire, car ceci pourrait provoquer une diminution de l’utilité générale dans le futur. Le dilemme de l’action collective de Oslon avec l’idée du freerider retrace l’idée que la personne qui veut bénéficier du bien public à court terme parce qu’il trouve une utilité à resquiller risque en même temps de remettre en question la possibilité même à ce que ce bien public soit préservé. Quelque part, au niveau de l’utilitarisme de la règle, on complexifie le calcul en insérant une dimension « temps et société » qui n’est pas forcement compris lorsqu’on parle de l’utilitarisme de l’acte.

John Stuart Mill était le fils de James Mill qui était un ami de Jeremy Bentham et qui tente de concilier la dimension utilitariste de son père avec la dimension du libéralisme naissant au XIXème de la question de la liberté.[26][27] John Stuart Mill introduit des éléments intéressants qui dépassent la vision basique de Bentham. Dans un premier temps, la notion de liberté, pour Mill, signifie que nous sommes plus que de simples calculateurs de plaisir et de peine, il y a des choses auxquels nous donnons du sens, cela fait parti de notre plaisir et de notre peine ; c’est notre conception du bonheur en admettant notre liberté qui va faire notre différence. C’est pour cette raison que pour Mill et contrairement à des exemples qui témoigneraient du sacrifice de liberté de certains pour augmenter la liberté d’autres, pour Mill, la liberté reste un principe fondamental. Avec l’idée de démocratie et de développement, on part de l’idée que par la liberté, par la participation, l’individu était en mesure de s’éduquer, de s’élever, cette liberté permettait aux individus de déterminer à terme quelles étaient leurs préférences et leur conception du bonheur. Sans introduire la liberté dans le tableau comme le faisait Bentham, on passait à côté de quelque chose. Pour lui, si on était dans une société où l’utilité collective, à savoir les préférences collectives, vont dans le sens de défendre une conception inférieure de la musique ou de la littérature et que ceci va remettre en question les canons de la littérature, même du point de vue utilitariste, il faut être capable de déterminer une distinction entre les préférences nulles et trop basses qui avilissent la liberté de l’individu, son autonomie et sa conception du bien, et faire en sorte que ces individus soient capables d’adopter des préférences autres. Cette position a eu le mérite de décloisonner l’idée de comparabilité entre des préférences et des conceptions individuelles de l’utilité qui étaient complètement standardisées par des autres. Pour lui, c’est une aberration, il y a peut-être de bonnes raisons pour croire que certaines choses sont préférables à d’autres. Du moment où les gens sont libres, on peut se développer moralement grâce à leur participation, les gens seront à même par la liberté de distinguer effectivement ce que l’État devra faire ou ce que les autres devront faire à leur égard.

Ce qui est intéressant au niveau de l’utilitarisme est son point fort et son point faible. L’utilité de quoi ?

  • du plaisir – utilité comme hédonisme : le juge de paix qui devrait permettre de décider quelle est la bonne action est l’action qui devrait permettre de maximiser le plaisir. Pas toutes les expériences ne sont hédonistes, pas toutes relèvent d’une expérience, mais tous font état d’un sentiment de quelque chose qui est positif pour l’individu.
  • d’un état mental appréciable – utilité comme état mental non hédoniste : on élargit le type de caractéristiques sortant des sens pour aller vers d’autres expériences mentales positives pour l’individu, mais qui ne sont pas strictement hédonistes. Il y a quelque chose d’autre que la sensation qui joue. Il y a quelque chose de plus.
  • des préférences : Kymlicka critique ce point en s’interrogeant sur savoir comment les expériences que nous visons à l’instant sont celles qui vont maximiser notre bonheur demain.[28]
  • des préférences informées : il faut savoir quelle est la préférence du moment et disposer de toute l’information significative pour être sûr que c’est bien la bonne préférence et que le fait de l’assouvir permettra d’être mieux après. Pour Kymlicka, cette métrique devient tellement compliquée qu’à la fin, il est impossible d’avoir un véritable calcul utilitariste.
  • quid des préférences illégitimes : s’il n’y a pas de critère moral externe, alors il est possible de se demander comment critiquer cette différence.

Comment comparer les utilités ? Des calculs de préférences illégitimes peuvent remettre en question pas seulement la possibilité d’avoir une action morale, mais pervertissent quelque part la comparaison du calcul d’utilité, à savoir que le calcul d’utilité ne ferra plus de sens parce que ce que nous comparons ne ferra plus de sens.

Ces deux grandes traditions sont généralement mobilisées lorsqu’il s’agit de discuter des situations existantes. Le problème est qu’on ne peut avoir les deux en même temps ce qui nous confronte à des dilemmes moraux. Pour nous, la question est comment essayer de trancher, proposer des arguments qui permettraient de défendre plutôt certaines positions plutôt que d’autres.

Le contractualisme[modifier | modifier le wikicode]

Une des parades qui a été proposée afin d’éviter un certain nombre d’écueils auxquels était confronté l’utilitarisme tout en évitant aussi un caractère abstrait de la position kantienne a été celle du contractualisme. C’est l’idée que ce qui va permettre de fonder et de légitimer les institutions et une sorte de contrat social qui va permettre à une collectivité fictive de passer d’un état de nature qui est caractérisé différemment selon les auteurs. Chez Locke, les individus à l’état de nature sont relativement gentils et bienveillants alors que chez Hobbes, l’homme est un loup pour l’homme. En fonction de la théorisation, le mécanisme du contrat peut changer, mais dans tous les cas, l’idée est que les institutions sont le produit et reposent sur une justification qui est donnée par un contrat social qui va déléguer au souverain, quel qu’il soit, en général un monarque, la possibilité de pouvoir exercer un pouvoir politique qui est supposé légitime parce qu’il peut faire l’objet quelque part du consentement de tout le monde. Ce consentement est exemplifié par l’idée de contrat auquel toutes les personnes concernées adhéreraient. C’est sur cette fiction que l’on construit des modèles politiques qui sont censés être supérieurs en termes de validité morale et éthique à d’autres. Ainsi, pour Spitz dans Contractualisme et anticontractualisme dans la philosophie contemporaine : les enjeux d’un débat publié en 2006, le contractualisme se fonde sur le postulat selon lequel « la puissance publique devrait soumettre ses actions à des principes qui seraient choisis par des partenaires rationnels dans une situation de symétrie parfaite ».[29]

La base du contractualisme est quelque par un accord volontaire. Dire « accord volontaire » veut dire tout un tas de choses qui bien entendu peut devenir compliqué. Un « acteur volontaire » implique une liberté d’exprimer sa propre volonté et implique de choisir une argumentation que nous souhaitons proposer. Derrière le terme « volonté », il y a toute une complexité, mais l’idée est relativement claire. Ce qui ne peut pas être justifié aux autres, et donc ce qui ne peut pas faire l’objet d’un contrat entre les différentes personnes participant au contrat, veut dire qu’il est illégitime. En d’autres termes, si le contrat n’est pas permis, il y a quelqu’un qui n’accepte pas de l’appuyer en donnant sa volonté de pouvoir l’appuyer, cela veut dire que ce contrat présuppose quelque chose qui sera considéré comme étant inacceptable et illégitime aux yeux de cette partie. Donc, ce contrat n’est pas théoriquement possible ; à ce moment-là, il est possible de dire que nous ne sommes pas en présence de quelque chose qui peut être légitime d’un point de vue moral et donc susceptible de créer une obligation pour les individus dans le soutien de cette institution.

Un des élément de ce contrat est que si avec Kant, il y a une conception transcendante de la morale, et si pour les utilitaristes, ce qui est moralement bon est au fond la maximisation de l’utilité collective comme le souligne Audard dans l’ouvrage Qu’est-ce que le libéralisme, il y a une possibilité de penser à des normes qui découlent de l’exercice de la raison, d’une raison qui peut être située dans des contextes sociaux particuliers.[30] Quelque part, nous avons affaire à une tentative dans le cadre de l’esprit des Lumières avec l’idée que les individus sont en mesure de se déterminer, il faut trouver des modalités humaines de définir les règles qui gouvernent notre interaction ou qui justifient les systèmes politiques. Il n’y a pas d’option contractualiste, il y en a plusieurs comme chez Habermas ou encore Rawls. À partir de ces quelques notions, il y a un large panel de possibilités d’applications.

Si on s’intéresse par exemple aux politiques d’intégration en France, l’un des thèmes qui est souvent évoqués est le fait qu’il faut que tout monde participe au contrat social ; le contrat social qui permet de soutenir et de légitimer la République. Plus personne ne sait ce qu’est le contrat social, mais la puissance symbolique évocatrice raisonne avec une certaine manière de penser le modèle républicain français qui raisonne avec Rousseau notamment.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Page personnelle de Matteo Gianni sur le site de l'Université de Genève
  2. Concordia University, Faculty of Arts and Science - Department of Political Science. “Dr. Matteo Gianni.” Dr. Matteo Gianni, https://www.concordia.ca/artsci/polisci/wssr/all-guest-lecturers/matteogianni.html
  3. Profil de Matteo Gianni sur ResearchGate: https://www.researchgate.net/scientific-contributions/2010087511_Matteo_Gianni
  4. Profil Linkedin de Matteo Gianni - https://www.linkedin.com/in/matteo-gianni-2438b135/?originalSubdomain=ch
  5. Matteo Gianni - Citations Google Scholar
  6. “Matteo Gianni - Auteur - Ressources De La Bibliothèque Nationale De France.” Data.bnf.fr, https://data.bnf.fr/fr/16166342/matteo_gianni/.
  7. “Matteo Gianni: Università Degli Studi Di Udine / University of Udine.” Academia.edu, https://uniud.academia.edu/MatteoGianni.
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