La perspective multiculturaliste

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De la justice distributive à la culturalisation du politique ?[modifier | modifier le wikicode]

La remise en cause du modèle libéral par les théories de la reconnaissance et du multiculturalisme[modifier | modifier le wikicode]

Tous ces éléments ont permis de soulever un doute qui fut de savoir s’il était vrai que les questions liées à la culture, à l’identité et donc aussi à la différence n’ont aucune pertinence pour une théorie de la justice. Cela a suscité un débat. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, sous l’impulsion des communautariens, mais aussi de libéraux culturalistes, une réflexion a commencé concernant le rôle que la culture et les identités ont dans la justice démocratique. Il y a eu un mouvement que l’on peut appeler une culturisation du débat en théorie politique. Il s’agit d’une émanation entre libéraux et communautariens. Cela en partie et pas seulement parce qu’il ne faut pas oublier tous les chercheurs poststructuralistes. La théorie ne se résumait pas seulement entre libéraux et communautariens, il y a aussi des néomarxistes, tout un tas de positions. Au début, cela a commencé comme un prolongement de la discussion sur la justice redistributive et notamment par une critique fondamentale que Kymlicka a fait à John Rawls dans Liberalism, Community, and Culture publié en 1989 où il postule que Rawls se trompe parce qu’il ne considère pas l’appartenance culturelle parmi sa liste des biens sociaux premiers.[8][9] Pour Kymlicka, le fait que Rawls ne considère pas l’appartenance culturelle dans sa liste des biens sociaux premiers créé des formes d’injustices qui remettent en question la possibilité même de soutenir la justice libérale que Rawls vise.[10][11][12]

Ce débat a été pour beaucoup une querelle interne à des philosophes canadiens comme Kymlicka, Taylor, Sandel ou encore MacIntyre qui vit non loin de la frontière canadienne. C’est au Canada que ce débat a été suscité parce qu’il y a une condition propice notamment avec la question des minorités autochtones, la question de l’immigration et du nationalisme avec la problématique du Québec.[13] Le Canada est un laboratoire très intéressant afin de penser la justice et les critères métaéthiques. Kymlicka voulait montrer comment la théorie de John Rawls était incomplète, comme sa théorie ne considérait pas un élément fondamental qui était celui de l’appartenance culturelle avec l’argument qui est que Rawls se trompe parce que sans appartenance culturelle, les individus ne peuvent pas être libres. Pour lui, afin que les individus soient libres et autonomes, donc pour que le premier principe de justice soit effectif, l’appartenance culturelle est un bien social de base. Kymlicka constate qu’il y a des inégalités parce que certains individus ont accès à leur culture et d’autres non, ou ils sont brimés par l’État ou l’État ne les reconnaît pas ou ils sont déportés. Donc, il y a une inégalité de traitement par rapport à l’accès à la culture. Par ailleurs, dans le Libéralisme Politique publié en 1993, Rawls cite Kymlicka.[14] Cela veut dire qu’il reconnaît cette critique comme étant importante. Ceci peut justifier un peu cela, à savoir qu’en 1993, il arrive avec un modèle plus sociologique du libéralisme politique.

La question qui s’est posée est qu’on parlait d’égalité, alors est-ce qu’il est possible d’atteindre cette égalité ou des formes d’égalité sans se référer aux notions d’identité et son produit miroir qui est la différence. Selon les multiculturalistes ce n’est pas possible. C’est à partir de ce débat que la question de la reconnaissance, qui est l’un des thèmes dominants du débat actuel en théorie politique, est devenue très significative notamment par un ouvrage de Taylor intitulé Multiculturalism: Examining the Politics of Recognition publié en 1992 sur la politique de la reconnaissance où il a porté un cas dans lequel il est nécessaire de reconnaître certaines spécificités culturelles afin d’être à la hauteur de nos conceptions de la justice et notamment de la liberté.[15][16] Il a proposé une définition de la reconnaissance qui participe de prémisses communautariennes. D’autres auteurs l’ont fait à partir de prémisses libérales comme Kymlicka ou poststructuralistes.

L’entrée de l’identité dans le débat théorique[modifier | modifier le wikicode]

Ce qui est intéressant est que dans ce terrain, il y a aussi des conflits politiques parce que ce débat n’était pas qu’un débat de philosophe. Les années 1960 sont marquées par le mouvement des droits civils aux États-Unis, les mouvements de décolonisation qui ont commencé dans les années 1940 et 1950, le féminisme, l’éclosion de mouvements sociaux jusqu’à là rendu invisible avec les homosexuels. On assiste à l’arrivée sur la scène politique de tout un tas de mouvements qui ont posé des problèmes politiques assez inédits. Lors des Trente glorieuses, la question de la théorie politique était la justice distributive et notamment comment se démarquer de l’Union soviétique et du modèle planifié et comment gérer la reconstruction de pays détruits par la guerre, mais parallèlement il y a eu une nouvelle politique qui s’est créée à travers les nouveaux mouvements sociaux qui étaient postmatérialistes qui ne visaient pas nécessairement plus de richesses, mais qui visaient plus de qualité de vie, plus de justice et plus de reconnaissance et notamment de la spécificité pour certains, identitaires de certains. C’est à ce moment que beaucoup de mouvements ont commencés à vouloir être reconnus.

La tolérance, pour ces critiques, à implicitement, au cœur de l’approche, comme tolérée quelque chose qui indigne. Or, pour ces mouvements, les philosophes et les théoriciens qui travaillaient avec, cette construction sociale de l’indignité, de la non-norme, du fait d’être anormal était justement une construction symbolique qui ne permettait pas aux individus d’être égaux même dans un modèle de justice distributive libérale qui aurait fonctionné. Il y avait là quelque chose qu’on pourrait résumer comme le fait qu’on donne les biens sociaux premiers à tout le monde, mais si un individu, parce que membre supposé ou réel d’un groupe qui est stigmatisé ou dévalorisé socialement bénéficie de cette distribution, il risque fortement d’être discriminé malgré ce qu’il reçoit comme biens premiers sociaux, il risque d’être un citoyen de deuxième ordre. Il y a eu cette idée de dire qu’il y a eu quelque chose au niveau de l’identité qui doit être considérée afin que justice soit rendue.

Amy Gutmann a publié en 1994 Multiculturalism and "The Politics of Recognition" est posé deux questions[17][18] :

  • une démocratie exclue-t-elle ses citoyens, les discrimine de manière moralement inacceptable si ses principales institutions ne tiennent pas compte de leurs identités particulières ?
  • dans quelle mesure, et pourquoi, les identités culturelles devraient avoir un poids public, et donc constituer des éléments significatifs de la vie publique au sein des démocraties ?

Ces questions restent cruciales afin de comprendre d’où est venu et quel est le sens moral et normatif inhérent à la question du multiculturalisme ou des différences identitaires et culturelles. La deuxième question est pourquoi les identités culturelles devraient être philosophiquement et politiquement suffisamment importantes pour qu’on leur donne un droit de citer à la fois en théorie et dans la vie publique.

La première chose pour aborder ces questions est que ces questions nous donnent un sens et en même temps, il y a tout un tas de choses qui restent vagues comme savoir ce qu’est une identité, que veut dire « moralement inacceptable », « ne pas tenir compte », « avoir un poids public ». Il est possible d’imaginer que si on voit un peu le sens de ces questions qui relèvent au fond de la métaquestion qui est de savoir si les identités doivent ou pas jouer et joue-t-elle un rôle et elles ont un rôle moral dans notre théorie de la justice, il y a tout un tas de concepts qui, a priori, ne sont pas si évident sans une définition.

Quelle que soit la réponse que l’on va donner à ces questions, quelle que soit la manière dont nous allons définir ce qu’est une « identité particulière », savoir si cette identité particulière ou culturelle devrait avoir un poids public ou pas, chacune des réponses possibles aura un effet sur le sens de la citoyenneté, chacune de ces réponses donnera des droits, enlèvera des droits, créera des devoirs ou encore des statuts particuliers pour certaines identités et au contraire pas pour d’autres. C’est la citoyenneté en tant que statut de relation entre un individu et un État qui va prendre une forme différente selon la manière que nous avons de réponde à ces deux questions.

L’identité a au moins trois composantes. Il y a les droits politiques, les droits civils qui est ce qui relève des libertés comme la liberté d’expression et les droits que nous avons de fonctionner dans notre vie civile, et les droits sociaux qui sont distribués de manière différente en fonction de statuts particuliers. Le fait d’avoir un passeport ne veut pas dire que toute catégorie de la population est construite comme ayant les mêmes droits, et il y a aussi des droits particuliers ou plus spécifiques qui découlent de situations plus particulières. Le passeport ne dit pas exactement si nous avons tous les droits. Il y a une troisième notion importante qui est celle d’identité.

La citoyenneté exprime aussi une identité culturelle et c’est pour cette raison que très souvent on confond citoyenneté et nationalité. La citoyenneté est le résultat logique d’une assimilation dans la communauté nationale. Entre nationalité et citoyenneté, la relation morale et causale ne va pas toujours dans le même sens. Dans certains modèles, on image que le fait d’être citoyen donne accès à une nation. Derrière l’une des intuitions du modèle français, qui marche de moins en moins, mais qui est philosophiquement puissante, en tout cas pour la manière dont les Français se représentent eux-mêmes, qui est que la citoyenneté française et républicaine est essentiellement politique, nous sommes citoyens et donc nation française parce que nous adhérons aux mêmes valeurs de la république. C’est pour cette raison que tout comportement qui est considéré comme déviant par rapport aux valeurs de la république fait l’objet de débats infinis. Dans d’autres modèles, comme le modèle allemand ou encore le modèle suisse, l’idée est que la citoyenneté politique est la résultante d’une citoyenneté plus ethnique et culturelle qui fait qu’avant, on s’assimile et on s’intègre à la nation et après, grâce à cela, on est éligible, on obtient le droit de vote parce qu’on sait qu’on va représenter les intérêts de la nation. À un certain moment, si on prend la situation des Algériens en France et les Turcs en Allemagne, sur cent Algériens en France, nonante-neuf sont français, sur cent Turcs en Allemagne, un est allemand ; pourtant, ils sont plus ou moins là depuis la même époque, et pourtant, ils fonctionnent et agissent. Les modèles d’intégration et d’incorporation dans la citoyenneté sont différents.

La citoyenneté que le modèle libéral classique rawlsien nous a apprise est celle d’être un statut juridique basé sur une certaine conception des droits individuels.[19][20] Nous avons tous des droits analogues en vertu de notre humanité commune et d’un point de vue des droits nous devons tous être traités de la même manière ce qui veut dire avoir des libertés afin de faire des différences que les gens se créent. Cette conception d’une espèce de neutralité des lois, d’une espèce de lien non-culturel et non-identitaire entre les individus et l’État exprimé par la citoyenneté est radicalement remis en question par la critique multiculturaliste qui dit que la citoyenneté exprime une conception de l’identité très particulière et cette conception de l’identité particulière discrimine celles et ceux qui sont culturellement différents. Donc, il est nécessaire de déconstruire les rapports de domination culturelle afin de promouvoir un modèle de citoyenneté qui soit plus inclusif, plus démocratique et plus juste. Ainsi, la citoyenneté est devenue un terrain de lutte pas seulement politique, mais aussi philosophique. C’est pour cette raison, très probablement, que le mot « citoyenneté », au cours des vingt dernières années, est l’un des concepts les plus cités. Quelque part, on met tout dedans, de la discrimination des femmes jusqu’à la question de la justice globale ; tout cela touche d’une manière ou d’une autre la question de la citoyenneté, mais qui n’est pas ni qu’un statut ni qu’une simple appartenance. Il y a des droits, il y a un phénomène d’identité qui a une importance cruciale lorsqu’il s’agit de penser à la justice.

En 1989, Young publie Polity and group difference: A critique of the ideal of universal citizenship qui est une attaque à John Rawls, mais à partir de prémisses poststructuralistes.[21] Pour Young, « Dans une société où certains groupes sont privilégiés tandis que d’autres sont oppressés, le fait d’insister que, en tant que citoyen, tout individu devrait oublier ses appartenances et expériences particulières pour adopter un point de vue général sert uniquement à renforcer le privilège de certains ». Il y a l’idée que dans la sphère publique, nous devons tous agir de la même manière parce que nous devons être neutres.

Elle ajoute que « Le désir d’unité […] n’élimine pas les différences et tend ultimement à exclure certaines perspectives [minoritaires] de l’espace public ». Ce que Young conteste est la fiction d’une citoyenneté égalitaire, cela n’est pas vrai, ni vrai sociologiquement, ni vrai au sens philosophique, à savoir qu’est contesté le fait que le modèle libéral rawlsien permet de penser à une citoyenneté qui soit de cette nature. La question qu’elle pose est au fond la question de la justice dans la reconnaissance de la différence. Que signifie penser la justice dans un monde dans lequel certains sont plus égaux que d’autres ? C’est un principe qui se veut égalitaire, mais qui occulte un certain nombre de différences en termes de discrimination interne qui, quelque part, empêche les individus d’être égaux. C’est pour cette raison que ce type d’auteur va proposer des modèles de citoyenneté différenciée où il est nécessaire de penser à des formes de droits supplémentaires données à certaines catégories de la population afin de rééquilibrer leur discrimination.

Ainsi sont posés plusieurs questions dont savoir si l’imposition d’une citoyenneté soi-disant universelle n’implique pas des formes de citoyenneté de deuxième ordre ? Est-ce que pour pouvoir réaliser la justice, au lieu de penser la citoyenneté égalitaire et universaliste que nous avons les mêmes droits, selon eux, ne devrions-nous pas penser à certaines formes de citoyenneté différenciée ? Nous avons un certain nombre de droits aussi en fonction de nos particularités culturelles.

Que fait-on, comme le disent les théoriciens qui viennent de la tradition féministe entre autres de tous les cas d’humiliation, de mépris, vulnérabilité, de marginalisations ou encore de discrimination, tous ceux que Rawls exclus un peu vite parce qu’il se base sur une théorie très idéale qui se caractérise par l’idée que le principe général et la société sont en adéquation. Mais que fait-on dans une situation d’humiliation, d’insulte homophobe ou racistes, des choses qui sortent du catalogue des droits ? Le modèle du racisme américain explique pour beaucoup les limites de la conception rawlsienne, à savoir quoi faire avec les biens sociaux premiers et que fait-on avec la justice dans une société profondément raciste. Malgré tout, le discours égalitariste, les cadrages symboliques restent. Contrairement à ce que disaient les libéraux, ce genre d’approche qui donne une place prépondérante au phénomène d’identité et de différence culturelle, l’idée qu’une identité positive d’un groupe ne peut, par ricochet, que définir comme étant subordonné ou inférieur à une identité différente, la valorisation des attributs masculins par exemple, ne peut se faire que par la dévalorisation des attributs féminins. Pour les auteurs qui s’inscrivent dans ce courant. Le fait de dire qu’on ne vote pas pour des femmes parce qu’on a consciemment décidé qu’un candidat homme est préférable est une pure idiotie pour la simple et bonne raison qu’elle reviendrait à attribuer une pleine conscience de choix à des situations qui sont déjà cadrées très profondément par tout un tas de bagages culturels qui déterminent en partie ce choix. Pour que l’idée d’égalité fasse sens, il est nécessaire qu’il y ait une déconstruction non pas de la femme, mais de la construction sociale des rôles sociaux féminins. Ensuite, une fois que cette déconstruction s’est faite, des femmes décident de continuer à enseigner dans l’éducation, il n’y a pas de problème.

La discrimination n’est pas le produit d’une biologie homme et femme, mais d’un rapport de pouvoir.[22][23][24][25] Il faut donc attaquer la transformation du rapport de pouvoir, et une fois que ceci est fait, les gens devraient avoir les capacités de faire leur choix. Cela ne veut pas du tout dire, par ailleurs, que les femmes continuent à adhérer à des valeurs attachées à la féminité et les hommes à des valeurs attachées à la masculinité. Il est clair que nous avons à faire à toute une transformation des identités sexuelles et genrées. La discrimination est le produit du fait que le modèle de citoyenneté, qui est considéré comme étant universel et juste, intègre déjà dans son noyau dur des principes qui sont déjà discriminants de certaines catégories.

Le cas est, par exemple, le principe d’impartialité. Dans Justice as Impartiality publié en 1995, Brian Barry développe l’argument selon lequel la justice est de l’impartialité.[26] Pour Rawls, derrière des cas d’impartialité, il y a des formes de discrimination très fortes parce que l’accès à l’impartialité n’est pas équitablement distribué. Ces auteurs n’ont pas une idée exacte de ce qu’est l’égalité entre hommes et femmes. Ce qu’ils montrent est qu’en tout cas, ce qui nous parait être une idée égalitaire ne l’est pas tant que ces discriminations inhérentes se font. On connaît ces discriminations par du monitoring statistique par exemple. Si on réalise qu’il y a 60 % de filles pour 40 % de garçons, si on réalise statistiquement que ce 60 % de filles réussit mieux au niveau des moyennes que les 40 % des garçons et que l’onconstate qu’après dix années, dans le secteur professionnel en question, il y a 90 % de garçons pour 10 % de filles, on ne peut pas supposer que toutes les filles ont fait le choix d’être mère ou décidées de s’occuper de leur compagnon. Il est difficile de ne pas considérer cela par rapport à tout un tas de propriétés symboliques que les hommes sont censés avoir. Il y a un cadrage qu’il s’agit de déconstruire. L’accès à la discrimination est le levier que ces auteurs ont afin de démontrer un peu cette idée de citoyenneté. Est remplacé nécessairement un concept positif de ce qu’est la femme et de ce qu’est l’homme. Ce que à quoi pensent ces gens est surtout l’inclusion démocratique, l’inclusion dans une justice. Le multiculturalisme s’inscrit dans cette démarche.

La théorie du multiculturalisme : éléments introductifs[modifier | modifier le wikicode]

« Resolving [multicultural] disputes is perhaps the greatest challenge facing democracies today. »

— Kymlicka, Multicultural citizenship, Oxford University Press, 1995.[27]

Le multiculturalisme : un concept polysémique et essentiellement contesté[modifier | modifier le wikicode]

Le multiculturalisme est un sujet un peu large parce qu’il veut dire beaucoup de choses. Lorsqu’on parle de multiculturalisme, on parle de beaucoup de choses, de facto, il y a différentes identités, différentes représentations. Cela veut dire que politiquement, si on part de l’idée que nous sommes un groupe multiculturel, cela ne veut pas dire qu’un État met en place un système qui reconnaît cette diversité. Le modèle français est cela, c’est une société multiculturelle, mais au niveau politique, il n’y a rien pour reconnaître politiquement le multiculturalisme, c’est la position universaliste républicaine qui prédomine, tandis que le Canada, qui est un modèle sociologiquement très multiculturaliste, a mis en place toute une législation et des chartes afin de gérer ses différences culturelles.[28][29] Cela est juste l’état d’une société donnée. Il y a des choix d’options politiques. La Suisse est très multiculturaliste lorsqu’il s’agit de réfléchir aux minorités originaires comme territorialisées, il y a un multiculturalisme politique avec les procédures de consultation, la double majorité, la démocratie directe ou encore le fédéralisme, mais pas du tout lorsqu’on pense aux immigrés où il n’y a pas de système de reconnaissance politique. C’est un système où les institutions sont censées permettre la gestion et accommoder les groupes culturels. Le troisième sens qui est important est le sens normatif, à savoir que lorsqu’on parle de multiculturalisme, on parle aussi d’un projet philosophique moralement souhaitable pour les gens qui le défendent et qui visent quelque part à dire qu’il est moralement bon voire juste de promouvoir, de développer ou de laisser la possibilité aux individus et aux groupes de vivre et d’être à la hauteur de leurs différences culturelles.

Donc, un modèle normativement et philosophiquement multiculturaliste est un modèle qui ne se limite pas à reconnaître sociologiquement l’existence de différence, qui ne se limite pas à donner quelques droits politiques spécifiques, mais qui a aussi un discours de justification du bien fondé d’une société dans laquelle le libre cours aux différences est préférable aux sociétés qui ne le donnent pas. Cela veut dire qu’on peut, en tant que sociologue, décrire une société comme étant multiculturelle sans dire que c’est une bonne chose. Il est possible de dire que la Suisse est multiculturelle sans dire qu’il est souhaitable que la Suisse soit multiculturelle.

Beaucoup de fois, dans le débat public, ces trois sens sont mis ensemble ce qui ne rend pas lisible le débat. Il est possible d’imaginer qu’on utilise parfois le terme multiculturel sans se positionner sur le caractère souhaitable ou pas de cet État social. Par contre, d’un point de vue philosophique, les auteurs que nous allons aborder sont des personnes qui partent de l’idée que certaines formes de reconnaissances sont nécessaires pour réaliser la justice. Il y a, par contre, une énorme différence de raisons de reconnaître. Il n’y a pas une seule manière de reconnaître.

Définir la portée du multiculturalisme : qu’est-ce qu’une culture ? Trois exemples[modifier | modifier le wikicode]

Dire « multiculturalisme » veut dire « multiculture ».[30] La question est de savoir ce qu’est la culture. Quand on dit « culture » ou « multiculturalisme », le problème est que nous avons affaire à un concept qui est de facto contesté parce qu’il y a différentes manières de définir la culture, il n’y a pas un accord ultime sur ce qu’est une culture. Le fait d’être un groupe culturel ne veut pas nécessairement dire que l’on partage une conception forte de quelque chose que nous partageons, cela peut être aussi le résultat de l’imposition externe d’une culture. Il y a une palette énorme de ce que veut dire « culture » et « identité », mais, ce qui est certain, est que pas tous les auteurs sont d’accord.

Est-ce que la culture est une ressource ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui relève d’une appartenance spécifique de ce qu’on appelle la culture suisse ou est-ce que la culture est une relation ou est-ce que la culture, comme le dit Young, est une relation, la relation que nous constituons est ce qui crée la culture et l’appartenance culturelle.

Dans La citoyenneté multiculturelle publié en 2001, Kymlicka postule que c’est la « Culture qui offre à ses membres des modes de vie porteurs de sens, qui modulent l’ensemble des activités humaines, au niveau de la société, de l’éducation, de la religion […] ces cultures tendent à être territorialement concentrées et fondées sur une communauté linguistique […]. Ces cultures sont « sociétales » pour souligner le fait qu’elles ne renvoient pas simplement à une mémoire ou à des valeurs partagées, mais comprennent en outre des institutions et des pratiques communes ».[31] Kymlicka a une définition plutôt substantialiste de la culture, elle vient d’une histoire, d’une langue, d’une tradition, de quelque chose qui s’est cristallisé. En quelque sorte, il y aurait quelque chose qui est là tandis qu’avec des approches plus critiques, la culture devient une relation essentielle. Peu importe si cette culture existe ontologiquement ou pas.

Pour Young, dans Justice and the Politics of Difference publié en 1990, ce qui existe est la relation : « Group differences should be conceived as relational rather than defined by substantive categories and attributes […] Difference thus emerges not as a description of the attributes of the group, but as a function of the relations between groups and the interaction of groups with institutions ».[32] La relation se construit dans un discours qui aura tendance à valoriser les attributs du groupe X et cette valorisation comme le pense notamment Foucault, va aboutir à la dévalorisation du groupe Y. Si on ne met pas de frontières au groupe culturel quel qu’il soit, ce groupe culturel va se dissoudre. Donc, en général, la frontière va se justifier par une négation. La manière de dire « ils ne sont pas comme nous » se décline et est évidemment très variable : soit ce sont des sous-hommes et on les extermine ou alors cela peut être des relations formelles comme être étranger. Ces démarcations et ces frontières changent, elles ne sont pas toutes les mêmes. Évidemment, ce qui est intéressant dans ce genre de littérature est les frontières culturelles ce qui permet à un groupe de se définir.

Pour Steven Lukes dans Lukes, Liberals and Cannibals. The Implications of Diversity publié en 2003, « Cultures are always open systems, sites of contestation and heterogeneity, of hybridization and cross-fertilisation, whose boundaries are inevitably indeterminate ».[33] Il ne faut pas oublier qu’il n’y aurait pas eu le modèle de l’État-Nation sans culture. Qu’est-ce que l’État-Nation qui est encore un modèle qui structure notre condition si ce n’est pas la congruence entre une appartenance politique et une appartenance culturelle ? Quand on commence à être allergique aux histoires de cultures, à réfléchir critiquement a toutes les fois où implicitement on mobilise des catégories culturelles, mais auxquelles on ne donne pas d’importance, lorsqu’on parle de la culture suisse, de la morale suisse, quand on est en train de parler de la spécificité suisse ou encore de la tradition suisse, on est en train de parler d’une relation entre un système politique et une appartenance culturelle que l’on appelle nation ou culture commune. Chaque fois que l’on est à l’étranger, on se rend compte de la puissance de ces stéréotypes. Quand on parle de cela, on ne parle pas d’attributs étatiques, on essaie de désigner des caractéristiques relevant d’une appartenance ou d’une culture. Le modèle de l’État-Nation est basé là-dessus.

Ce qui est paradoxal est que le concept de nation fait de moins en moins de sens de manière analytique, mais quand on regarde la difficulté que l’Europe a de dépasser le concept de nation, on se rend compte que ce concept est prégnant ayant des implications dramatiques et fortes. Les gens y croient et s’y identifient, ils peuvent le critiquer, le remettre en question, mais il n’en demeure pas moins que des questions liées à l’altérité sont soulevées, soudainement, on découvre pour de bonnes ou mauvaises raisons un sens de ce qui nous différencie.

Avec la logique très pure du modèle de Rawls et des libéraux qui est que tout est dans la sphère privée et le reste est juste une question de nos droits communs, on perd cela. Ce que ces approches remettent dedans.

Le 4 février 2012, Claude Guéant, alors ministre français de l’Intérieur disait : « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. […] En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation ».[34] Ce que Claude Guéant est en train de dire est qu’il y a des civilisations qui sont à la hauteur de ces valeurs et des civilisations qui ne le sont pas. Claude Guéant peut mettre en œuvre tout un tas de politiques publiques qui vont donner un contenu à cette lutte civilisationnelle qu’il a à l’esprit pour faire en sorte, peut-être à juste titre, qu’il n’y ait pas d’effet pervers. Le problème est qu’il oublie que la France fut en Algérie où fut créée la notion de citoyen de deuxième ordre, la notion de citoyenneté inégale, où fut créé le fait que certains sont plus français que d’autres. Le problème ici est que Claude Guéant ne reconnaît pas très bien qu’en général, les cultures qui ont voulu exporter au nom de la civilisation ces valeurs en général se sont trompées. Il y a quelque chose dans ces appels idéaux qui ne veut pas dire grand-chose si ce n’est pas traduit dans une compréhension claire de quels sont les problèmes. Cette phrase prononcée en 2012 est exactement de la même nature que la fameuse phrase de Huntington du choc des civilisations, qui a fait l’objet de critiques anthropologiques, politiques, philosophiques ou encore sociologiques qui montrait que cette thèse ne reposait sur rien, que le concept même de civilisation ne veut rien dire. C’est un type de cadrage du débat.

Pour les libéraux, ces questions ne devraient pas être posées parce que pour les libéraux, le fait même qu’on pose cette question veut dire qu’on s’éloigne de la justice libérale. Cela est peut-être vrai, mais le problème est que dans les espaces publics, il y a cela. La question est de savoir ce qu’on en fait. Fait-on semblant de ne pas le voir et de dire que c’est une question de rapport entre majorité et minorité ou est-ce qu’alors, il est nécessaire de penser au fait que les actes politiques en termes de droits, devoirs, ressources, égalités réelles ou effectives soit redistribués. Selon John Stuart Mills, nous avons le devoir de suivre la loi, pas de croire qu’elle est juste. Tant qu’il y a ces représentations, les principes neutres et impartiaux ne marchent pas. Il y en aura toujours certains qui sont plus impartiaux que d’autres. Même au sein du libéralisme, il y a différentes positions. Le politiquement correct que l’on voit toujours comme une espèce d’émanation du puritanisme américain est en réalité une tentative de clarification du langage pour éviter ces effets performatifs. Cela devient ridicule à la fin, mais l’idée est que dans cette optique, les relations sociales ne changeront pas si le langage qui les définit ne change pas.

Les acteurs considérés dans le débat théorique sur le multiculturalisme (Kymlicka 1995)[modifier | modifier le wikicode]

Lorsqu’on parle de multiculturalisme, nous avons à l’esprit l’idée qu’il existe une pluralité de groupes culturels qui entretiennent d’un point de vue sociologique des relations. Généralement, le problème du multiculturalisme est soulevé par le fait qu’une minorité est moins minoritaire que les autres, à savoir qu’il y a des minorités, mais dans un contexte marqué par la présence d’une majorité culturelle. C’est la relation entre majorité et minorité qui pose problème.

Quand on parle de minorité culturelle, pour Kymlicka, on fait référence à trois grands ensembles d’acteurs possibles :

  • les minorités nationales (ethnolinguistiques) ;
  • les minorités d’origine immigrée ;
  • les groupes socialement désavantagés comme les porteurs de handicaps, les minorités de genre, les pauvres ou encore les classes populaires pour certains.

Dans Multicultural Citizenship: A Liberal Theory of Minority Rights publié en 1995, Kymlicka parle surtout des deux premières minorités, en partie parce qu’il a une conception de la culture tellement restrictive qu’elle ne permet pas de voir le troisième groupe.[35] Une autre raison est qu’en général, la conception libérale au sens large de la justice devrait être capable d’apporter une solution au groupe socialement désavantagé entendu comme des groupes qui ont une inégalité de distribution des ressources. Les deux premières catégories sont touchées par ce qu’est le marqueur de la différence culturelle.

Pourquoi la catégorie des groupes culturels a-t-elle acquis une telle relevance politique et normative ? Pour Kymlicka, les problèmes qui relèvent du culturalisme sont les défis fondamentaux pour les systèmes démocratiques.

La fonction de la démocratie a toujours été celle de gérer les différences. Quelque part, toute la question des systèmes démocratiques a été celle de penser à des systèmes politiques capables de gérer les différences, surtout religieuse et par la suite culturelle. Il n’y a pas grand-chose au niveau du multiculturalisme qui devrait faire peur, qui devrait être considéré comme un risque pour les systèmes démocratiques. Or, aujourd’hui, le multiculturalisme est vu comme un risque. En général, lorsqu’on utilise le terme « multiculturalisme » en Suisse et en Europe, sauf dans le contexte anglais et peut-être néerlandais, cela est rarement comme introduisant un argument positif à l’égard de quelque chose. Certains auteurs ont même proposé d’enlever du vocabulaire le terme « multiculturalisme » parce qu’il a un univers symbolique qui nous porte à croire que ce multiculturalisme est par définition conflictuel. Dans cette multiplicité de cultures, ne peut déboucher qu’un problème. Cette thèse a été largement corroborée au niveau linguistique et symbolique par la thèse du choc des civilisations de Huntington qui a représenté une restructuration assez forte du débat avec l’idée qu’il y a des civilisations indépendantes et surtout plutôt hégémoniques qui ne peuvent rentrer qu’en tension et en conflit. Le choc le plus important serait celui qui oppose la civilisation islamique et la civilisation chrétienne occidentale. Dans le cadre des débats post-Charlie, apparaît la réactivation de cette vision très binaire.

La question qui se pose de façon plus analytique est de se dire pourquoi un système démocratique qui a été rodé afin de gérer les différences devrait être soudainement menacé par la multiplicité des cultures. Ce qui est en jeu est des intérêts, mais aussi des identités qui sont considérées comme ayant une profondeur anthropologique et ontologique par rapport à la manière qu’elles ont de nous constituer, qui sont thématisées et empiriquement beaucoup plus épaisses qu’un intérêt. Le système démocratique a été un peu conçu afin de gérer des choses que l’on peut négocier et accepter par compromis. Le problème qui s’est posé pour certains multiculturalistes et l’arrivée sur la scène publique de groupes revendiquant des formes identitaires beaucoup plus épaisses qui participent d’une certaine compréhension du soi et du bien. En fonction de la manière de construire un cas, on va orienter notre jugement normatif sur l’enjeu.

La question qui se pose est que si les intérêts ont été en partie supplantés par les identités, la question est de se dire qu’il y a eu un pluralisme acceptable comme pour Rawls pour qui tout participe du fait que ce pluralisme qui est au fond la condition ontologique de base de nos sociétés. Nous sommes des sociétés pluralistes. L’absence de pluralisme voudrait dire l’absence de démocratie. Le pluralisme fait quelque part partie de toute la tradition libérale et démocratique. Ce pluralisme était considéré comme étant négociable, tandis que derrière le mot de « multiculturalisme », à cause du phénomène identitaire perçu comme étant épais et non négociable, la question qui se pose est de savoir comment composer avec des identités qui ne se prêtent pas à des négociations. Il est possible de trouver des solutions qui peuvent être rationnelles ou raisonnables, mais si deux groupes ont des positions complètement non-négociables et qui prendrait le choix d’un groupe comme une insulte pour leur groupe, à ce moment, certainement, le mode de résolution politique serait un peu plus compliqué. La question qui se pose est de savoir si la démocratie est faite pour cela. Pour certain « non », c’est pour cette raison que beaucoup de fois, dans le débat politique, il y a beaucoup de prises de position selon lesquelles il est nécessaire de diminuer le multiculturalisme et d’assimiler davantage les membres de la communauté afin de protéger la démocratie. Donc, il faut réduire la complexité culturelle et identitaire afin d’éviter que la présence de ces groupes identitaires considérées plus ou moins comme ayant des identités peu négociables remettent en question le système huilé du régime démocratique.

La question qui se pose pour les normativistes est de savoir si cette demande est légitimitée, si peut-on légitimement demander à des gens qui ont des identités qu’elles soient religieuses, identitaires ou autres, de diminuer l’emprise publique ou la manière que ces groupes ont de vivre leur conception du bien pour se conformer à des principes libéraux, qui pour les multiculturalistes, en général, ont été créés par une majorité culturelle différente. Le problème n’est pas seulement de diminuer l’emprise identitaire, mais aussi de se poser la question de l’égalité de traitement. Pour les multiculturalistes, il est possible de traiter autrui comme un autre, mais alors on nettoie toute affiliation culturelle ; ou alors, les groupes doivent faire l’objet de protections au même titre que les membres de minorités ce qui implique de repenser l’idée d’État neutre et arbitre.

Derrière ce débat, il y a beaucoup de complexité. L’idée, pour Kymlicka, est que derrière cette question, il y a de bonnes raisons de croire que le problème n’est pas tellement de savoir comment on doit redéfinir. Le multiculturalisme n’implique pas nécessairement une redéfinition des principes de base. Il s’agit d’interpréter les principes de manière différente pour que les particularités identitaires et les minorités aient un traitement équitable.

De la neutralité face aux identités à la reconnaissance des identités ?[modifier | modifier le wikicode]

La politique de la reconnaissance est la politique qui vise à ce que l’État reconnaisse un certain nombre de particularités identitaires. « Reconnaître » veut dire différentes choses ; dans le cadre du Québec, cela veut dire une reconnaissance par des droits. Il s’agirait de droits constitutionnels qui protègent des formes de minorités culturelles. L’idée est de reconnaître l’existence du multiculturalisme est d’intervenir politiquement afin d’accommoder et de ménager cette diversité. Ce qui est intéressant est que derrière la politique de reconnaissance, il y a des formes de reconnaissance qui sont nécessaires pour augmenter la qualité démocratique et pour réaliser la justice.

Ce qui est important est que les inégalités qui impliqueraient des formes de reconnaissances pourraient être le produit de trajectoires historiques, de colonisation, de guerre ou encore de violences variées. Ce qui est important est que pour certains auteurs, ce n’est pas qu’aujourd’hui, les gens sont plus culturellement différents qu’avant. Pour certains et surtout pour les sociologiques, à partir des années 1960, ils ont osé davantage s’exposer et contester leur position.

Il est possible de liste plusieurs exemples de modalités de reconnaissance :

  • empowerment : quotas de représentation, veto, affirmative action ;
  • reconnaissance symbolique : excuses officielles, chartes, présence publique, enseignement de l’histoire, etc. ;
  • redistribution : ressources permettant l’amélioration du statut socio-économique, etc. ;
  • protections externes : contre la vulnérabilité des groupes, etc. ;
  • exemption : différences de traitement pour éviter de pénaliser certaines pratiques culturelles ;
  • assistance : financements publics, promotion des langues minoritaires, affirmative action ; etc. ;
  • autonomie politique : autogouvernement, sécessions, fédéralisme, etc.

Théories pour ou contre le multiculturalisme[modifier | modifier le wikicode]

Quand on parle du multiculturalisme donc de l’existence de groupes revendiquant la prise en considération d’une identité, on ne fait pas suffisamment la distinction entre deux types de groupes. La première est ce qui concerne les groupes désavantagés avec l’idée d’avoir les mêmes droits que les autres. Il y a une forme de reconnaissance qui est demandée et qui viserait à faire en sorte que la minorité soit rehaussée par des droits aux mêmes traitements dont jouissent la majorité. Il y a une autre forme de demande de reconnaissance beaucoup plus problématique pour le libéralisme parce que pour le premier groupe, il est possible de facilement penser à une solution libérale parce que le libéralisme se base sur l’idée que tout le monde doit être traité en égal donc il n’y a pas de raisons d’avoir des droits différents. Il y a des groupes qui ne demandent pas la reconnaissance de l’égalité avec les autres, mais la reconnaissance de leur différence.

Très souvent, pour qu’un État ait ou soit conscient de la discrimination qui guette un groupe, ce groupe doit exprimer et rendre sa différence visible. Souvent, l’État et l’opinion publique prennent comme une demande de différenciation quelque chose qui en réalité est une forme de demande de traitement équitable. Exprimer une différence est pris comme un problème d’intégration. En exprimant une différence, on est en train de revendiquer une différence.

Souvent, derrière le multiculturalisme et les identités fortes, il y a l’idée d’un traitement différencié, mais généralement derrière le traitement différencié, pas toujours, parce qu’il y a des cas de volonté de différences explicitement reconnues, mais il y a aussi des demandes de plus grande prise en considération des différences afin d’avoir un traitement équitable. Le cas le plus évident est les femmes. Les féministes ont été en désaccord et elles le sont encore aujourd’hui sur la stratégie à suivre pour être traité davantage en égal dans l’espace politique. Pour certaines féministes, il faut déconstruire le genre. Pour d’autres, c’est justement le fait d’être différente qu’il faut mettre en exergue, cette différence afin de la rendre compatible au nom de l’égalité avec les autres. Dans une stratégie, il y a la négation de la différence et dans l’autre la prise en considération de la différence, mais en réalité le but est le même, mais par deux stratégies différentes qui soulèvent énormément de questions normatives et politiques.

Autant le libéralisme n’a pas beaucoup de peine à traiter les demandes d’intégration ou de réalisation de l’égalité, autant le libéralisme dans de nombreuses versions a de la peine afin de traiter les demandes de différenciation, à traiter les demandes que l’État devrait reconnaître l’égalité commune des citoyens, mais nos différences particulières.

La critique libérale égalitariste du multiculturalisme (B. Barry, Culture & Equality, 2001)[modifier | modifier le wikicode]

Brian Barry.[36]

L’ouvrage de Barry publié en 2001 intitulé Culture and Equality est un livre qui attaque les multiculturalistes.[37] Barry pose la cartographie des éléments principaux d’une position rawlsienne rigide à l’égard du multiculturalisme.

Les libéraux ne contestent pas du tout l’importance de la culture, mais attribuent à la culture un rôle instrumental. L’appartenance culturelle est importante comme instrument de liberté, mais ça n’a pas de valeur morale. Les libéraux tels que Barry ne nient pas la culture, mais on n’attribue aucune valeur morale à une entité collective, quelle qu’elle soit. Pour les libéraux, le seul sujet moral est l’individu et non pas une collectivité ou un groupe. Une culture n’a pas de droits ni d’obligations morales. La culture ne peut pas être une excuse ou une raison afin d’évoquer une différence de traitement. Si on considère que la justice, au sens de Rawls, par exemple, implique les principes de justice pour la redistribution, l’argument culturel ne peut pas remettre en question ceci, il faut laisser les questions de culture essentiellement à la sphère civile.

Le problème souvent évoqué et qui est le propre de la critique multiculturaliste est que le multiculturalisme est vu comme une forme d’essentialisation des cultures. Il est clair que du moment où les femmes jouissent d’un quota de représentation de trente sièges au parlement, il est possible de dire qui sont les femmes représentées, ceci va essentialiser l’identité féminine et ceci impliquera que quelqu’un qui ne rentre pas dans ces critères ne pourrait pas se reconnaître dans cette appartenance culturelle.

Il y a pire pour les libéraux et Barry en particulier qui est qu’en général, les demandes d’exemption ou de prise en considération par des formes de reconnaissances des pratiques culturelles, cache la volonté de protéger des pratiques qui vont contre les valeurs libérales. C’est l’idée selon laquelle le fait de reconnaître l’islam ou des groupes religieux comme étant des religions d’État impliquerait par la politique étatique des droits ou des ressources qui pourraient protéger des pratiques incompatibles avec la doctrine libérale. Par exemple, le fait de reconnaître publiquement et de protéger par des mesures institutionnelles la religion musulmane est que l’on va enchâsser les femmes musulmanes dans un statut d’hétéronomie ou de domination. C’est pour cette raison qu’au contraire, il faut lutter contre l’appartenance religieuse afin de garantir que la justice libérale s’applique à tout le monde.

La question est de savoir si des cultures ont des droits moraux et si des cultures qui ne sont pas libérales ont des droits moraux. Évidemment, dans ce cas, on se pose des questions fondamentales pour la justice démocratique qui est de savoir quoi faire. Est-ce qu’au nom d’appartenances et de valeurs culturelles, il est possible de remettre en question l’égalité de traitement que l’on doit à tout citoyen, est-ce que des gens de groupes différents ont plus de raisons d’accepter d’être dominés ou discriminés que les membres qui ne sont pas dans ces groupes au nom de la protection de leur culture. Un libéral, au sens rawlsien ne pourrait jamais acquiescer cela. Il n’y a rien que l’on puisse faire pour remettre en question les droits des individus donc toute forme culturelle qui ne respecte pas les droits des individus ne peut pas faire l’objet de reconnaissance publique et devrait se modifier.

L’approche libérale-nationaliste de Kymlicka (Liberalism, Community and Culture, 1989; Multicultural Citizenship, 1995 [2001])[modifier | modifier le wikicode]

Kymlicka à l’Universidad de Guadalajara en 2007.

Pour Kymlicka, l’appartenance culturelle est nécessaire à la réalisation de l’autonomie libérale, car la culture est un contexte de choix ayant une valeur instrumentale fondamentale pour pouvoir adopter une conception du bien : « La liberté implique la possibilité de choisir entre plusieurs options, et notre culture sociétale ne se contente pas simplement de nous offrir ces options, elle leur donne aussi un sens pour nous […] la disponibilité d’options significatives dépend de l’accès à une culture sociétale et de notre compréhension de la langue et de l’histoire de cette culture ».[38]

Donc, la culture sociétale nous permet de faire des choix, ce qui nous rend autonomes et donc libres. Pour Kymlicka, l’appartenance culturelle est importante parce qu’elle permet de donner un contenu anthropologique à sa thèse normative qui est qu’un État est libéral s’il protège la liberté, pour protéger la liberté, il faut protéger l’autonomie, on ne peut pas être autonome sans être dans une culture qui donne les options qui nous permettront de choisir. Ce qui donne les options est le fait de faire partie d’une culture sociétale. Pour Kymlicka, l’appartenance culturelle doit donc être considérée comme étant un bien premier.

Pourquoi l’appartenance culturelle doit faire partie d’une théorie de la justice au-delà de la thèse normative au creuset du lien empirique – normatif, à savoir que c’est en étant membre d’une culture sociétale que l’on peut être autonome ? Il constate que les individus sont inégalement traités dans les systèmes libéraux et démocratiques en vertu de ce principe. Il y a des gens qui peuvent choisir en fonction de leur appartenance culturelle, à savoir qu’ils vivent sous l’égide d’un État qui reconnaît leur appartenance, donc qui leur donnera des options, tandis qu’il y en a d’autres pour lesquels les options ne sont pas nécessairement disponibles ou traitées de manière égalitaire par rapport aux autres. Donc, la minorité pour Kymlicka, peut faire l’objet de reconnaissance par des droits qui visent quelque part à sécuriser un minimum le contexte des choix, qui vise la possibilité offerte aux individus de pouvoir faire des choix parce que cette possibilité n’est pas également distribuée à tout le monde.

Cette argumentation de Kymlicka est très libérale et égalitariste. Pour lui, si on part de l’idée que la culture est importante, et que l’on constate que l’appartenance n’est pas équitablement distribuée à tout le monde, alors il faut rectifier. Il ajoute qu’il faut arrêter que de penser que l’État est neutre, l’État n’est pas neutre par définition. L’État incarne des options culturelles particulières. Par exemple, si on ne travaille pas le dimanche, pour Kymlicka, c’est parce qu’il y a un certain nombre de valeurs qui, au nom d’une certaine neutralité, sont quand même là et nous permettent de donner un contenu culturel aux options de l’État. Le fait que les États ne sont pas neutres ajoute un grief à l’égalité de traitement. Du moment où les États ne sont pas neutres, ils ne peuvent pas dire qu’il faut se conformer aux pratiques de la majorité au nom de la majorité. Pour Kymlicka, la pratique de la majorité est non neutre, alors il faut compenser.

Kymlicka a un argument différent pour deux types de minorités.

Il y a les minorités nationales avec le cas du Québec. Il veut avoir un argument normatif afin de clore cette polémique historique de la place du Québec dans la fédération canadienne. Pour lui, les minorités ethnolinguistiques qui sont des nations institutionnalisées avec une culture, des traditions historiques, un système éducatif et des croyances plus ou moins partagées ainsi qu’un territoire donné doivent faire l’objet de droits politiques les plus étendus que sont le droit d’autogouvernement. L’idée est, pour lui, qu’il n’y a aucune raison qu’une minorité nationale, si elle respecte un certain nombre de critères, à un certain moment, si on continue à accepter le principe de l’État-Nation, n’ait pas le droit de se rendre autonome par sécession.

Un deuxième groupe qui est problématique pour lui est les immigrés qui ont une caractéristique intéressante. Ils ont quitté leur culture sociétale. L’immigré par définition a quitté sa culture sociétale. La question que Kymlicka se pose est de savoir si ces gens ont les mêmes droits que les minorités nationales. Pour lui « non », parce que ces gens ont volontairement quitté leur culture nationale, et donc, à ce moment-là, ils perdent la possibilité de recréer une culture nationale sur le territoire d’accueil. Quelque part, il dit que les États doivent mettre en place pour les immigrés la palette la plus étendue des droits polyethniques qui sont des droits qui visent à protéger au maximum les droits et les libertés des immigrés. Par exemple, pour Kymlicka, le fait d’interdire le voile est un non-sens absolu disant que tant que le voile ne pose pas de problèmes aux autres, il n’y a aucune raison de l’interdire, il faudrait que cela soit reconnu comme une question de droits fondamentaux.

Il pose toutefois une limite établissant une distinction claire entre les protections externes et les contraintes internes. Pour Kymlicka, il n’y a aucune possibilité si on veut être libéral de reconnaître par des droits constitutionnels, des lois ou autres, des formes culturelles qui vont impliquer des contraintes internes sur la minorité des minorités. En d’autres termes, pour Kymlicka, il est hors de question de donner des droits à des groupes qui discrimineraient les femmes, qui impliqueraient les punitions corporelles des enfants ou des formes de discrimination de minorités. Pour lui, ceci va à l’encontre du libéralisme. Par contre, si son argument est juste, il est nécessaire que l’État mette en place des protections externes qui sont des limites du périmètre de la communauté nationale qui permettent à cette communauté de survivre. Selon Kymlicka, on ne peut pas reproduire une culture en sacrifiant les droits des individus. Il est hors de question de faire exception à des groupes liberticides de garder leurs pratiques et en plus avec les subventions de l’État. Par contre, on doit être cohérent, autant que les Suisses ont le droit de déterminer qui fait partie du pays ou pas, les autres peuvent avoir des droits de protéger leur sphère de liberté, cela est juste une question d’équité.

L’approche communautarienne de Taylor (Multiculturalisme et démocratie, 1994)[modifier | modifier le wikicode]

Taylor en 2019.

Taylor dit quelque chose d’analogue. Dans son ouvrage publié en 1994 intitulé Multiculturalisme et démocratie, il ajoute que la reconnaissance est un besoin humain vital.[39][40][41] Le fait que nous soyons reconnus dans notre altérité, le fait que nous soyons reconnus dans notre spécificité et dans notre authenticité, est une condition d’estime sociale nécessaire afin de faire en sorte que les individus minoritaires puissent fonctionner dans un espace démocratique. On quitte la vision rawlsienne. Avec Taylor, on entre dans des considérations plus psychologiques, à savoir comment les gens peuvent se sentir dans une condition où ils se sont méprisés et reconnus par les membres d’une majorité.

Rawls avait déjà mis le respect de soi dans les biens premiers, mais il ne l’avait pas thématisé comme les communautariens au sens dialogique comme avec l’entité narrative et dialogique des communautariens. L’idée est qu’on ne peut pas décider de son identité et se respecter tout seul. Il est possible de se respecter en fonction des relations identitaires dialogiques que l’on constitue avec quelqu’un d’autre. Pour Taylor, si pour des raisons diverses, les individus sont confrontés à des formes d’indignation ou de mépris et de non pris en considération de sa spécificité identitaire, quelque part, il se peut que les possibilités de se reconnaître de manière harmonieuse disparaissent, cela peut faire imploser des sociétés multinationales. En Belgique, par exemple, on voit comment la construction de l’altérité entre Wallons et Flamands peut remettre en question les bases. C’est quelque chose qui reviendrait à se demander comment gérer des constructions de l’altérité qui ne sont pas gérées de manière convenable, et donc la question de trouver des mécanismes identitaires qui permettent de transcender quelque part ces valeurs.

Pour Taylor, la reconnaissance va au-delà de la tolérance. Les formes de reconnaissances présupposent des préconditions sociales, ce sont le produit de relations sociales qui sont orientées vers la reconnaissance impliquant tout un tas de politiques publiques. Ce qui est intéressant dans Multiculturalisme et démocratie est que l’idée de reconnaissance n’est pas antilibérale, mais c’est l’une des traditions libérales. Taylor a publié un ouvrage intitulé Les sources du moi où il essaie de reconstituer les différentes formes d’identités qui ont traversé nos époques historiques et la manière par laquelle on les pensait.[42][43][44][45][46] Taylor montre que le libéralisme que nous avons à l’esprit est très ancré dans la tradition kantienne qui est l’idée de la reconnaissance de l’égale dignité qui est que nous allons reconnaître entre nous ce que nous partageons de plus fondamental qui pourrait être quelque chose qui relèverait de notre humanité commune ou de notre potentiel humain. Pour Taylor, il y a une autre tradition aussi propre au libéralisme, mais qui vient des romantiques qui est l’idée d’authenticité. Le libéralisme était ce qui a permis aux individus de se penser authentiques, de ne pas se penser comme enchâssés dans des castes ou dans des ordres donnés, mais comme étant le royaume de l’autodéfinition, le royaume de notre possibilité de découvrir qui nous sommes. Or, les deux parcours sont les politiques de l’égale dignité qui nous demande de nous reconnaître par rapport au dénominateur commun que nous partageons. La politique de l’authenticité ou de la reconnaissance de la différence nous demande de reconnaître en l’autre sa spécificité ultime qui est son authenticité. Évidemment, ceci rentre en tension. Quand, dans l’un, il faut être universaliste et trouver des principes généraux applicables à tout le monde, de l’autre côté, il faut laisser de la place à la particularité, à l’authenticité et à la spécificité, il y a un moment où il faudra décider. On ne peut pas mener les deux politiques, on ne peut pas défendre les mêmes principes de la même manière. Pour lui, le Québec, en étant une forme de culture à défendre, qui a le droit de survivre, on peut, au nom de la survivance du Québec et sans prétériter à des droits fondamentaux, nuancer partiellement les droits individuels au nom de la protection de la culture.

La théorie de la reconnaissance de Axel Honneth[modifier | modifier le wikicode]

Axel Honneth.[47]

La reconnaissance est vue ici comme étant le mot qui structure une bonne partie du débat normatif sur la gestion des sociétés multiculturelles et plus généralement sur la justice, mais aussi que l’on retrouve dans les observations empiriques. Il existe de nombreuses recherches empiriques d’anthropologues et d’ethnologues qui étudient des phénomènes de groupe collectif que cela soit dans les banlieues françaises ou dans d’autres pays et lorsqu’on interroge les gens concernés, très souvent, ils font référence dans leur discours à la question de la reconnaissance qui très souvent va de pair avec le respect. Le respect est une catégorie discursive qui raisonne avec celle de la reconnaissance. Il est clair que dans le débat public, il y a de nombreuses situations sociales qui raisonnent avec cette compréhension.

Honneth fait partie de l’École de Frankfort qui a développé des outils théoriques pour faire sens de situations empiriques. De l’autre côté, leurs outils empiriques n’existent pas en dehors d’une analyse empirique des pratiques sociales très forte. L’École de Frankfort avait pendant longtemps comme critique celle du capitalisme avec une certaine inspiration néomarxiste que Habermas a corroboré avec sa critique de l’espace public et du capitalisme. Avec Honneth, il y a un changement assez important dans cette logique, à savoir que pour lui, la reconnaissance est une question morale. Il pose une théorie de la reconnaissance selon laquelle la reconnaissance est à la base de la grammaire morale des conflits sociaux.[48] Pour Honneth, si conflit social il y a, s’il y a des groupes qui se positionnent de façon conflictuelle à l’égard de l’État ou d’autres groupes, si des phénomènes de violence ou d’apathie politique existent, ceci est dû non pas à un problème de redistribution de ressources comme le disait les néomarxistes ou social-démocrate, mais à des formes de négation de reconnaissance qui se traduit dans des formes d’humiliation, de mépris ou de mésestime sociale qui blessent les gens et qui amènent les individus dans des luttes pour la reconnaissance.

Dans The struggle for recognition publiée en 1995, Honneth pose la reconnaissance comme étant une théorie morale.[49] Pour lui, une société sera moralement intégrée quand tout le monde bénéficiera d’une forme de reconnaissance. Pour lui, la reconnaissance est la base de toutes les autres injustices. Pour Honneth, la reconnaissance est la catégorie fondamentale. Pour lui, des formes d’injustices que l’on pourrait imaginer comme découlant de politiques injustes sont le produit de formes de reconnaissances du fait que certaines catégories de la population ne sont pas reconnues à leur juste valeur et c’est ainsi qu’on justifie le fait de distribuer moins de ressources socioéconomiques ou autres. Il pose véritablement la reconnaissance à la base.

Il y a l’idée de mépris social de groupes ce qui veut dire qu’il y a des individus ou des groupes qui ne jugent pas d’une base équitable d’estime sociale. Il y a un groupe qui est considéré pour différentes raisons comme n’étant pas à la hauteur d’une certaine conception du mérite social ou de la qualité morale. Pour Honneth, cette situation de subordination implique des conflits, que ces groupes s’activent afin de chercher une forme de reconnaissance. Il explique les confrontations sociales comme une forme hégélienne avec l’idée du maitre et de l’esclave avec l’un étant l’antithèse de l’autre qui va produire quelque chose d’autre où au fond l’esclave est partie du maitre parce qu’il n’y a pas de maitre sans esclave. C’est cette idée dialectique de Hegel qu’il y a un groupe qui nie reconnaissance à l’autre qui va rentrer dans une lutte afin de produire une nouvelle entité sociale qui va par la suite être un parcours de reconnaissance. En terme intuitif, c’est une idée qui est très puissante parce qu’on peut facilement imaginer tout un tas de cas.

Pour Honneth, le conflit est justement le moment dialectique qui permet de dépasser des situations qui sont bloquées par des structurations de non-reconnaissance. Ce conflit doit être réglé par du droit démocratique.

Honneth tente d’aborder la reconnaissance comme question morale en se demandant comment peut-on respecter la personne sans reconnaître ce que cette dernière a d’unique et d’irréductible dans son identité. C’est ce qu’elle est, ce qu’elle pense et ce qui explique que cette personne soit figée dans un rapport de domination. Il partage la conception dialogique de la reconnaissance avec Taylor et elle vient de Hegel. La dialectique du maitre et de l’esclave est dans la phénoménologie dialectiquement un peu une des clefs de voute pour penser le paradigme de la reconnaissance.

Dans cette théorie, la reconnaissance a une origine qui est le sentiment de vie et d’humiliation. Pour Honneth, cela ne sert à rien de donner des ressources si les causes qui sont à la base de ces phénomènes d’exclusion, à savoir l’humiliation, le mépris ou encore la non-reconnaissance de l’identité ne sont pas abordées au préalable. Le problème est que les gens qui sont confrontés à des situations de mépris n’ont pas accès à l’autonomie et sont donc des citoyens de deuxième ordre donc on n’est pas libre.

Où Honneth introduit une différence importante et qui n’est pas du tout appréciée par les libéraux est que pour lui, cette conception est une conception éthique. Pour lui, la morale de la reconnaissance est une conception éthique et une conception du bien. On ne peut pas reconnaître au sens d’éviter l’humiliation et la mésestime uniquement par des procédures. Il est nécessaire de reconnaître quelque chose de plus substantiel. Il a une conception téléologique en ce sens que ce qui compte est la promotion et la réalisation du progrès moral et ceci implique une conception éthique et une conception du bien qui passe très mal dans une optique libérale ou l’État doit tout faire sauf incarner une conception du bien pour devenir sectaire.

Ce qui est intéressant est les trois niveaux de reconnaissance évoqués par Honneth. Honneth n’est pas un penseur du multiculturalisme, c’est un penseur de la reconnaissance. Il va analyser toutes les relations qui ne sont pas dignes d’une considération morale donc toutes les relations qui sont basées sur des relations de non-reconnaissance. Ce qui l’intéresse est la non-reconnaissance de la caractérisation de la reconnaissance qui caractérise ces acteurs.

Les trois axes de la reconnaissance sont l’amour, les droits et la solidarité sociale. Pour Honneth, il y a trois sphères de reconnaissance qui sont toutes très importantes :

  • amour et amitié, permettant de développer la confiance en soi : par amour, il entend les constructions de socialisation que les enfants endurent et qui doivent être structurées sous une forme d’amour minimum pour que l’individu puisse se développer de manière moralement intègre. Le rôle des parents devrait être de permettre aux enfants de se constituer dans un réseau affectif qui fasse sens et qui reconnaisse le potentiel de l’enfant lui permettant de développer une confiance en soi.
  • droits et justice, permettant de développer le respect de soi : il y a des formes de non-reconnaissances qui ont des résultats importants sur le fait que nous n’avons pas les mêmes droits en fonction de comment se construit-on comme groupe social.
  • solidarité et appartenance à une communauté sociale et politique, permettant de développer l’estime de soi : la société plus large doit renvoyer une image d’estime de soi.

Dans l’idéal, il faudrait les trois pour faire en sorte que chacun ait des émotions et des besoins humains suffisamment assouvis pour qu’il puisse fonctionner comme être humain autonome donc fonctionner dans les sociétés modernes.

Tout un tas de questions reste en suspend autour de la question de Honneth. Ces trois axes permettent de définir une grammaire morale des émotions et des besoins humains qui complètent la conception libérale de la justice et de l’égalité : « […] In modern societies, […] the conditions of individual self-realization are only socially secured when subjects are able to experience intersubjective recognition not only of their personal autonomy, but also of their specific needs and their particular capabilities ».[50] La dimension psychologique est très contestée chez Honneth. Pour beaucoup d’auteurs, Honneth la porte de manière excessive à la psychologisation du sujet.

Pour beaucoup d’auteurs, Honneth ouvre la porte pour qu’on puisse dire que nous nous semblons méconnus et que nous avons besoin d’aide. La question qui se pose est de savoir comment mettre des critères, à partir de quel moment il y a des formes de méconnaissance qui engagent la responsabilité de l’État, à partir de quel moment il y a des formes de méconnaissance au niveau subjectif pour lesquels on risque de tomber dans une société de psy où chacun va thématiser et narrer ses blessures, mais à partir de quel moment l’État est engagé. Honneth a récusé cette critique, mais il n’en demeure pas moins que la critique est importante parce que la question qui se pose est celle de la finalité de la théorie de Honneth.

Toute théorie téléologique qui est une théorie qui vise un bien pose la question de savoir à quel moment la finalité supérieure sera atteinte. Honneth, en bon hégélien dialectique répond que cela ne sera probablement jamais atteint. Il n’en demeure pas moins que c’est le mécanisme par lequel on peut expliquer et faire sens des conflits sociaux qui nous opposent. Pour Honneth, il y a une blessure qui se fait dans l’espace public et dans la conscience des individus marquée par une forme d’altérité que le conflit permet de peut être dépassé, mais qui engage aussi l’attitude de la majorité. C’est un cycle qui ne s’arrête pas.

Honneth nous permet paradoxalement, en étant un penseur de l’harmonie morale, de penser que l’idée de l’harmonie sociale qui est un peu en filagramme derrière la position de Rawls qui est qu’une fois que l’on aura appliqué les bonnes règles que la paix sociale sera garantie. Cette idée n’est pas tenable parce qu’il y aura toujours un groupe qui pour des raisons diverses thématisera sa blessure en termes de reconnaissance qui impliquera un conflit politique qu’il s’agira de régler.

Il y a l’idée que la reconnaissance sociale et que l’imposition de normes blesse si elle est perçue comme allant à l’encontre de son identité profonde qui se justifie par ailleurs par rapport à des théories très classiques de la théorie politique, à savoir par rapport à des critères d’égalité, mais aussi de liberté. Les groupes du multiculturalisme vont tous argumenter les demandes de reconnaissance sans argumenter le vocabulaire de l’égalité, de la tolérance, de la liberté et de la justice. Tout simplement, ils l’interprètent de manière différente et donnent un contenu différent à ces catégories. C’est pour cela que pour Kymlicka, le problème n’est pas un problème de principe, mais un problème d’interprétation de ces principes. L’accord sur les principes ne veut pas dire qu’il n’y ait qu’une manière de les mettre en œuvre et de penser ces principes. Il y a cette descente en cascade qui fait que ces problèmes de méconnaissance peuvent se situer à différents niveaux.

Il y a des appels à l’universel, il y a des appels à ces principes et l’idée du cours était d’évoquer ces principes parce qu’on les considère trop comme étant de simples opinions. Le problème aujourd’hui est la dérive qui fait que toute position normative est une forme d’opinion qui se vaut. Il y a des opinions qui sont plus solides que d’autres au moins d’un point de vue de leur cohérence. Nous sommes dans une société pragmatique. Il y a une question de culture politique dans lequel certains discours sont plus ou moins facile à pousser.

Le dilemme « reconnaissance – redistribution » selon Nancy Fraser (Qu’est-ce que la justice sociale ?, 2005)[modifier | modifier le wikicode]

Nancy Fraser en 2008.[51][52][53]

Fraser essaie de concilier la justice distributive et la reconnaissance dans une théorie appelée bifocale. Pour elle, cela est frustrant que tout soit une question de multiculturalisme et de reconnaissance, il faut revenir à la justice distributive, mais en même temps, il est important de considérer à leur juste raison et dans leur juste importance les problèmes de reconnaissance.

L’attention portée à la reconnaissance tend à occulter les injustices distributives. Il faut donc avoir une théorie de la justice sociale susceptible d’articuler à la fois les injustices socio-économiques (exploitation, marginalisation ou exclusion économique) et les injustices relevant de la sphère culturelle (domination culturelle par imposition de modèles sociaux) : « nous nous trouvons ainsi devant un dilemme complexe, que j’intitulerai dilemme redistribution/reconnaissance : les personnes qui sont objets simultanément d’injustice culturelle et d’injustice économique ont besoin à la fois de reconnaissance et de redistribution ; elles ont besoin à la fois de revendiquer et de nier leur spécificité ».[54]

Contrairement à Honneth (qui a une théorie morale moniste de la reconnaissance), Fraser propose une théorie bifocale de la justice sociale, qui sache dépasser les impasses de la politique de la reconnaissance comprise comme politique de l’identité[55] :

La reconnaissance vise l’affirmation de la différenciation, tandis que la redistribution vise la disparition des différences sociales, donc tend vers l’égalité. Comment concilier ces deux postures, surtout quand elles déploient des effets en même temps, comme dans le cas du genre et de la race ?

L’évincement de la redistribution (car ce modèle appréhende, d’une part, la reconnaissance uniquement comme une réponse au problème de la dépréciation culturelle ou alors, comme Honneth, stipule que le fait de réévaluer les identités dépréciées est une manière de s’attaquer aux injustices distributives)[56] ;

La réification de l’identité (le fait de penser la politique de la reconnaissance comme une politique de l’identité porte à occulter les différences internes aux groupes culturels et les luttes de pouvoir en son sein).[57] Elle propose une logique axée autour du statut. Ainsi, ce n’est plus l’identité spécifique de l’individu ou d’un groupe qui nécessite une reconnaissance, mais plutôt le statut de partenaire à part entière de l’interaction sociale :

Le déni de reconnaissance se traduit dans une relation de subordination sociale ou subordination statutaire, au sens d’un empêchement à participer en tant que pair à la vie sociale qui résulte d’un ensemble institutionnalisé de codes et de valeurs culturelles.[58]

Pour Fraser, le déni de reconnaissance ne doit pas être considéré comme une atteinte / déformation psychique, ou un préjudice culturel autonome, mais comme une relation institutionnalisée de subordination sociale, produite par des institutions sociales et par des 'sens' / rapports de pouvoir inhérents à ces dernières[59][60] ;

Ainsi, le critère normatif auquel doit tendre la justice sociale est la parité de participation : « Un modèle institutionnalisé de valeurs culturelles constitue certains acteurs en quelque chose de moins que des membres à part entière de la société et est un obstacle à leur participation sur un plan d’égalité. […] Réparer le déni de reconnaissance signifie remplacer les modèles de valeurs institutionnalisés qui sont un obstacle à la parité de participation par des modèles qui la permettent ou la favorisent ».[61]

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

  • Barbara Ritz, « C. Taylor. Les Sources du moi-La formation de l’identité moderne », L’orientation scolaire et professionnelle [Online], 32/1 | 2003, Online since 06 May 2011, connection on 02 July 2015. URL : http://osp.revues.org/3223

Références[modifier | modifier le wikicode]

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  3. Profil de Matteo Gianni sur ResearchGate: https://www.researchgate.net/scientific-contributions/2010087511_Matteo_Gianni
  4. Profil Linkedin de Matteo Gianni - https://www.linkedin.com/in/matteo-gianni-2438b135/?originalSubdomain=ch
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