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== Les « rudiments » des structures politiques occidentales ==
== Les « rudiments » des structures politiques occidentales ==
Evans-Pritchard et Meyer Fortes mettent en avant quatre structures, mais il convient d’abord de rappeler que selon Lévi-Strauss, les structures de la parenté relèvent la société, car la société se structure par la logique de la parenté, d’autre part le pouvoir est la symbolique du pouvoir, la symbolique est un élément ordonnateur du pouvoir. Dans un système politique de pouvoir et du réel, c’est une décision, mais il va devoir également exister en tant que système symbolique. Cependant, on ne peut pas toujours séparer le pouvoir de la symbolique, car la symbolique est constitutive du pouvoir. De plus, la langue, c’est-à-dire la parole, qui est aussi de l’ordre du pouvoir politique n’est pas un simple échange, c’est communiquer l’ordre, les rationalités, les interdits, les façons de se déplacer, de discuter, de débattre, de contester. S’ajoutent les rituels d’inversion sociale.
E.E. Evans-Pritchard et Meyer Fortes, dans leur analyse anthropologique des sociétés africaines, ont identifié quatre structures clés au sein de ces sociétés. Il est important de noter que leur travail se situe dans le contexte de la théorie structurale de la parenté de Claude Lévi-Strauss. Selon Lévi-Strauss, les structures de parenté sont fondamentales pour la constitution de la société, car elles fournissent un cadre pour l'organisation sociale et la répartition des rôles et responsabilités.
 
* La parenté : La parenté est l'une des principales structures de toute société. Elle définit les relations entre les membres d'une communauté et régule leurs interactions. La parenté peut inclure des relations de sang, mais aussi des liens formés par le mariage ou l'adoption.
* Le pouvoir : Le pouvoir est une autre structure essentielle de toute société. Il se réfère à la capacité de contrôler ou d'influencer le comportement des autres. Le pouvoir peut être détenu par des individus, des groupes ou des institutions et peut être exercé de différentes manières, allant de la persuasion à la contrainte.
* Le symbolique : Le symbolique est un élément clé du pouvoir. Il se réfère aux symboles, rituels et croyances qui donnent du sens et de la légitimité au pouvoir. Les systèmes symboliques aident à maintenir l'ordre social en fournissant un cadre commun de compréhension et d'interprétation.
* Le réel : Le réel se réfère à l'action concrète et aux décisions prises dans le cadre du système politique. Il s'agit de l'application pratique du pouvoir et de la mise en œuvre des décisions politiques.
 
Ces quatre structures interagissent et se renforcent mutuellement pour maintenir l'ordre social et faciliter le fonctionnement de la société.
 
Le pouvoir et la symbolique sont étroitement liés et se renforcent mutuellement. Le pouvoir s'exprime souvent à travers des symboles, des rituels et des discours, qui contribuent à sa légitimité et à son acceptation. Dans ce sens, la symbolique est une partie intégrante du pouvoir, et non une entité séparée. La langue, en tant que moyen de communication, joue un rôle crucial dans l'exercice du pouvoir. Elle est utilisée pour transmettre les normes, les règles, les valeurs et les attentes de la société. Elle permet aux gens de partager des informations, de négocier des relations de pouvoir et de contester les normes existantes. La langue n'est pas seulement un moyen de communication, mais aussi un outil de pouvoir et de contrôle. Les rituels d'inversion sociale, comme les carnavals ou les fêtes de la Saint-Sylvestre, sont des exemples de la manière dont le pouvoir et la symbolique interagissent. Ces rituels permettent temporairement d'inverser les hiérarchies sociales et de transgresser les normes, ce qui peut servir à souligner et à renforcer ces mêmes hiérarchies et normes une fois le rituel terminé. En conclusion, pouvoir et symbolique sont inséparables dans l'analyse des structures sociales et politiques. Ils fonctionnent conjointement pour créer, maintenir et transformer l'ordre social.
   
   
Quelles sont les structures élémentaires qui fondent « les rudiments » des structures plus sophistiquées des sociétés occidentales ?
Quelles sont les structures élémentaires qui fondent « les rudiments » des structures plus sophistiquées des sociétés occidentales ?

Version du 17 mai 2023 à 08:56

L’Homme de Vitruve par Léonard de Vinci.

La science politique et l'anthropologie ont longtemps été intimement liées, partageant un intérêt commun pour l'étude des sociétés humaines et leurs organisations. Il est particulièrement intéressant d'étudier l'influence de l'anthropologie africaniste sur la science politique, car elle offre des perspectives uniques sur les dynamiques politiques.

L'anthropologie africaniste se réfère à l'étude des cultures africaines et des sociétés africaines. Elle a joué un rôle important dans l'évolution de la science politique en offrant une perspective nouvelle sur les processus politiques. Les anthropologues africanistes ont souvent mis l'accent sur l'importance des structures sociales et des systèmes de croyances dans la formation des systèmes politiques. Par exemple, ils ont étudié les formes de leadership, le rôle des anciens et des chefs, les pratiques rituelles, les normes de réciprocité et de coopération, et les systèmes de gouvernance locaux. Ces études ont permis d'apporter des éléments d'analyse et de réflexion autour de la politique dans chaque société africaine. Les anthropologues ont également contribué à réfuter certaines idées préconçues occidentales sur l'Afrique, en montrant par exemple que les sociétés africaines avaient leurs propres formes sophistiquées de gouvernance et de politique, qui étaient souvent très différentes de celles des sociétés occidentales.

Les leçons apprises de l'anthropologie africaniste peuvent être appliquées à l'analyse de nos sociétés actuelles. Elles nous rappellent l'importance de prendre en compte les structures sociales, les systèmes de croyances et les pratiques culturelles dans l'analyse politique. Elles mettent également en évidence l'importance de la diversité culturelle et politique. Les sociétés africaines, comme toutes les sociétés, sont diverses et dynamiques, et leurs systèmes politiques reflètent cette diversité. Ainsi, une approche qui prend en compte cette diversité peut enrichir notre compréhension de la politique. En outre, l'anthropologie africaniste nous rappelle que la politique ne se limite pas aux institutions formelles, mais qu'elle inclut également des processus informels, des relations de pouvoir et des pratiques quotidiennes. Enfin, l'anthropologie africaniste souligne l'importance du contexte local et des connaissances locales dans l'analyse politique. Les solutions politiques efficaces ne peuvent être imposées d'en haut ou importées d'ailleurs sans tenir compte du contexte local. L'anthropologie africaniste a beaucoup à offrir à la science politique, non seulement en termes de compréhension des sociétés africaines, mais aussi en termes d'approches et de perspectives qui peuvent être appliquées à l'analyse de toutes les sociétés.

L'anthropologie a d'abord été conceptualisée comme une discipline se concentrant sur l'étude des sociétés "premières", souvent situées hors de l'Occident. Ces sociétés, perçues comme moins complexes ou moins développées, étaient étudiées afin de comprendre des aspects essentiels de la nature humaine et de la société. Cependant, l'anthropologie a progressivement élargi son champ d'application pour inclure l'étude des sociétés modernes et industrialisées. Cette évolution est souvent décrite comme un mouvement vers une "anthropologie de la modernité". Dans ce processus, les outils, les connaissances et les analyses qui ont été développés pour l'étude des sociétés premières se sont avérés précieux pour l'analyse des sociétés modernes. Par exemple, les concepts anthropologiques de culture, de structure sociale, de rituel, et de symbolisme sont tout aussi pertinents pour l'analyse des sociétés modernes qu'ils l'ont été pour les sociétés premières. De même, les méthodes d'observation participante et d'étude ethnographique sont désormais couramment utilisées dans l'étude des sociétés modernes. De plus, le regard anthropologique sur la politique, qui met l'accent sur les processus sociaux, les relations de pouvoir et les pratiques quotidiennes, offre une perspective précieuse sur les sociétés modernes. Par exemple, il peut aider à comprendre comment les structures de pouvoir sont maintenues et contestées, comment les identités collectives sont construites et négociées, et comment les normes et les valeurs influencent la politique. Enfin, l'anthropologie nous rappelle l'importance de la diversité culturelle et de la complexité sociale, même au sein des sociétés modernes. Les sociétés modernes ne sont pas monolithiques, mais sont composées de multiples groupes et sous-cultures, chacun avec ses propres systèmes de croyances, de valeurs et de pratiques. Comprendre cette diversité est essentiel pour comprendre la politique dans les sociétés modernes.

Le structuralisme est un concept majeur en anthropologie, y compris en anthropologie politique. Il a été popularisé par des penseurs tels que Claude Lévi-Strauss et postule qu'il existe des structures sous-jacentes qui organisent la vie sociale, culturelle et politique. Ces structures sont généralement invisibles à l'œil nu, mais elles peuvent être décelées à travers une analyse minutieuse des mythes, des rituels, des coutumes et d'autres pratiques culturelles. L'anthropologie africaniste a largement adopté l'approche structuraliste pour analyser les sociétés africaines. Par exemple, elle a examiné les structures de parenté, les systèmes de croyances religieuses, les rituels et les formes de gouvernance pour comprendre comment elles organisent la vie politique. Cette approche a permis de mettre en évidence l'importance des structures sociales et culturelles dans la formation des systèmes politiques africains. Lorsqu'on applique le structuralisme à l'analyse de nos propres sociétés modernes, on suppose en effet qu'il y a un "effet de structure". Cela signifie que, malgré les changements apparents, certaines structures sous-jacentes restent constantes et continuent à influencer la politique. Par exemple, la structure de la famille, les normes de genre, la classe sociale, l'ethnicité, et d'autres structures sociales peuvent jouer un rôle majeur dans la politique. Ces structures peuvent influencer qui a le pouvoir, comment le pouvoir est exercé, et quels sont les enjeux politiques considérés comme importants. En outre, les structures idéologiques, comme les systèmes de croyances et les valeurs, peuvent également influencer la politique. Par exemple, les idées sur la démocratie, la liberté, l'égalité, et d'autres valeurs peuvent influencer la façon dont les gens pensent la politique et comment ils agissent politiquement.

Bien que nos sociétés modernes soient différentes des sociétés étudiées par les anthropologues africanistes, l'approche structuraliste offre toujours des outils précieux pour comprendre la politique. En mettant l'accent sur les structures sous-jacentes, elle nous permet de comprendre les continuités ainsi que les changements dans la vie politique.

Aux origines de la pensée anthropologique

Le passage à une anthropologie politique - ou à toute forme d'anthropologie, d'ailleurs - implique une reconnaissance de l'Autre en tant que sujet. Il s'agit de reconnaître que les individus et les groupes sociaux que nous étudions sont des agents à part entière, dotés de leur propre perspective, de leur propre expérience vécue et de leur propre capacité à agir et à influencer le monde qui les entoure.

Cette reconnaissance est enracinée dans l'éthique de l'anthropologie, qui souligne l'importance du respect de la dignité et de l'autonomie des personnes étudiées. Elle est également essentielle à la méthodologie anthropologique, qui implique souvent une immersion de longue durée dans la société étudiée, une observation participante et des entretiens approfondis. Reconnaître l'Autre en tant que sujet signifie également reconnaître la validité de ses perspectives, de ses croyances et de ses pratiques, même si elles diffèrent de celles de l'anthropologue. Cela signifie éviter l'ethnocentrisme, qui est la tendance à juger les autres cultures à l'aune de sa propre culture.

La reconnaissance de l'Autre en tant que sujet est effectivement un long processus. Il s'agit non seulement d'un processus intellectuel, mais aussi d'un processus émotionnel et éthique. Cela peut impliquer de remettre en question ses propres préjugés, de se confronter à des différences culturelles parfois déconcertantes, et d'apprendre à écouter et à comprendre les perspectives des autres.

Une fois cette reconnaissance établie, elle devient la base d'une anthropologie politique qui prend au sérieux les perspectives, les expériences et l'action des personnes dans le domaine politique. Elle permet d'analyser la politique non seulement en termes de structures et de processus, mais aussi en termes d'expériences vécues, de significations et de relations de pouvoir. En fin de compte, cette reconnaissance de l'Autre en tant que sujet enrichit notre compréhension de la politique et nous aide à développer une analyse plus nuancée et plus complète.

La naissance de l’altérité

Article détaillé : Altérité.

L'altérité est un concept clé en anthropologie et dans les sciences sociales en général. Il se réfère à la reconnaissance et à l'acceptation de l'Autre dans sa différence. Cette reconnaissance implique non seulement de tolérer la différence, mais aussi de la valoriser et de la respecter.

L'altérité est au cœur de nos démocraties. Elle est fondamentale pour le pluralisme, qui est l'idée que la diversité des opinions, des croyances, des cultures et des modes de vie est non seulement tolérée, mais aussi valorisée. Elle est également essentielle pour l'égalité, qui est le principe selon lequel tous les individus doivent être traités de manière équitable et avoir les mêmes droits, quelle que soit leur différence.

L'altérité est également une valeur essentielle de la laïcité. La laïcité est le principe de séparation de l'État et de la religion, qui permet à toutes les religions de coexister pacifiquement et garantit la liberté de conscience de tous les citoyens. La laïcité privilégie le métissage des cultures comme source d'enrichissement et de paix, et cela nécessite une reconnaissance et une acceptation de l'altérité.

Enfin, l'altérité est une valeur éthiquement fondamentale. Elle nous rappelle notre responsabilité envers l'Autre et nous incite à respecter et à valoriser la différence. Elle nous rappelle également l'importance de l'ouverture, de l'empathie et de la compréhension mutuelle dans nos relations avec les autres.

En somme, l'altérité est non seulement un concept clé en anthropologie et dans les sciences sociales, mais aussi une valeur fondamentale de nos sociétés démocratiques et laïques. Elle nous rappelle l'importance de la différence et de la diversité, et elle nous incite à valoriser et à respecter l'Autre dans sa différence.

Le concept d'altérité joue un rôle essentiel dans la promotion de l'égalité et de la diversité culturelle dans nos sociétés contemporaines. Il nous invite à reconnaître, à respecter et à célébrer les différences entre les cultures, ainsi qu'entre les hommes et les femmes, et à les considérer comme une source de richesse plutôt que comme un obstacle.

L'altérité nous encourage à considérer toutes les cultures comme étant sur un pied d'égalité, chacune ayant sa propre valeur et sa propre dignité. Plutôt que de hiérarchiser les cultures selon des critères ethnocentriques, l'altérité nous invite à apprécier la diversité culturelle et à la considérer comme une source d'enrichissement mutuel. Elle nous invite également à être ouverts et à apprendre des autres cultures, tout en respectant leur autonomie et leur intégrité. L'altérité s'applique également à la différence entre les sexes. Elle nous invite à reconnaître et à respecter la différence entre les hommes et les femmes, tout en promouvant l'égalité des sexes. Elle nous invite à valoriser la diversité des expériences de genre et à lutter contre les stéréotypes et les discriminations basés sur le sexe.

Dans cette perspective, la différence n'est pas vue comme une source de conflit ou de division, mais comme une source d'enrichissement et de créativité. Elle est vue comme une occasion d'apprendre, de grandir et de s'épanouir. Cette approche positive de la différence, fondée sur le respect de l'altérité, est essentielle pour construire des sociétés plus inclusives, égalitaires et pacifiques.

Le concept d'altérité ne s'est pas construit du jour au lendemain, mais est le fruit d'un long processus historique et socioculturel. Comme vous le suggérez, dans les sociétés premières, l'identité aurait pu être définie davantage par la ressemblance que par la différence. Au fil du temps, à mesure que les sociétés se sont diversifiées et que les interactions entre différents groupes se sont multipliées, le concept d'altérité a commencé à émerger. Les gens ont commencé à se définir non seulement par rapport à ceux qui leur ressemblent, mais aussi par rapport à ceux qui sont différents d'eux.

Dans les sociétés occidentales, l'acceptation de l'altérité a nécessité la déconstruction de nombreuses idées préconçues, notamment l'ethnocentrisme, qui est la tendance à voir le monde uniquement du point de vue de sa propre culture et à juger les autres cultures à l'aune de ses propres normes. Cette déconstruction a été un processus long et complexe, impliquant des débats intellectuels, des luttes politiques et des changements sociaux. La reconnaissance de l'altérité implique finalement de reconnaître l'Autre en tant qu'individu, avec sa propre identité, ses propres expériences et sa propre perspective. Cela implique de le voir non pas simplement comme un représentant d'une culture ou d'un groupe, mais comme une personne unique et irremplaçable. C'est un processus qui nécessite à la fois une ouverture d'esprit et une capacité à se mettre à la place de l'autre. En somme, la construction de l'altérité est un processus complexe qui nécessite à la fois une déconstruction des préjugés ethnocentriques et une reconnaissance de l'Autre en tant qu'individu. C'est un processus qui est toujours en cours et qui continue à évoluer dans nos sociétés contemporaines.

Les voyages savants et l’anthropologie évolutionniste

Voyages savants au XVIIIème siècle

Les voyages savants du XVIIIe siècle ont joué un rôle crucial dans la formation de la pensée européenne sur l'altérité. À cette époque, de nombreux explorateurs, naturalistes et philosophes ont voyagé à travers le monde, découvrant de nouvelles terres, de nouvelles cultures et de nouvelles formes de vie. Ces voyages ont ouvert de nouvelles perspectives et ont remis en question les idées préconçues de l'époque.

La découverte du Nouveau Monde et de ses peuples indigènes a été un moment clé dans cette évolution. Les Européens ont été confrontés à des cultures radicalement différentes des leurs, qui avaient leurs propres systèmes de croyances, leurs propres structures sociales et leurs propres modes de vie. Ces rencontres ont défié l'idée ethnocentrique selon laquelle la culture européenne était supérieure ou "normale". Cependant, ces rencontres n'étaient pas symétriques. Les Européens ont souvent imposé leur culture et leur système de valeurs aux peuples qu'ils ont rencontrés, parfois par la force. Les peuples indigènes d'Amérique, par exemple, ont subi des violences massives, des déplacements forcés et des maladies apportées par les Européens, ce qui a entraîné une perte tragique de vies et de cultures. Il est donc important de noter que la rencontre avec l'altérité au cours des voyages savants du XVIIIe siècle a eu lieu dans le contexte du colonialisme européen. Même si ces voyages ont contribué à remettre en question l'ethnocentrisme et à ouvrir la voie à une reconnaissance de l'altérité, ils ont également été associés à la violence et à l'oppression coloniales.

Les voyages savants du XVIIIe siècle ont joué un rôle complexe dans la formation de la pensée européenne sur l'altérité. Ils ont ouvert de nouvelles perspectives et ont remis en question les idées préconçues, mais ils ont également été associés à la violence et à l'oppression coloniales.

L’anthropologie évolutionniste

Les voyages de découverte et d'exploration du XVIIIe siècle ont soulevé des questions fondamentales sur l'humanité et l'altérité. Confrontés à des cultures et à des peuples radicalement différents, les Européens se sont interrogés sur la nature de ces "Autres" et sur leur place dans le monde.

Une question centrale était celle de savoir si les peuples indigènes rencontrés étaient véritablement humains au sens où les Européens l'entendaient. Les Européens se demandaient si ces individus possédaient une âme, s'ils étaient capables de raisonner, s'ils avaient une moralité, etc. Certains ont même avancé l'idée que leur état "primitif" pourrait être une punition divine. La réponse à ces questions a souvent été négative. De nombreux Européens ont considéré que ces peuples étaient inférieurs, qu'ils étaient incapables de civilisation ou de moralité, et donc qu'ils ne pouvaient pas être considérés comme pleinement humains. Cette dénégation de l'altérité a servi à justifier la domination et l'exploitation coloniales.

Ces idées ont eu un impact profond sur la manière dont les Européens percevaient l'Autre et sur la manière dont ils se percevaient eux-mêmes. Elles ont renforcé l'idée d'une hiérarchie raciale et culturelle, avec les Européens au sommet et les "sauvages" au bas. Elles ont également contribué à une vision du monde fondamentalement ethnocentrique, dans laquelle la différence était considérée comme une menace ou une aberration plutôt que comme une source de diversité et de richesse. Il est donc crucial de reconnaître que, bien que les voyages de découverte aient ouvert de nouvelles perspectives et remis en question certaines idées préconçues, ils ont également contribué à renforcer des idées préjudiciables sur l'altérité et l'humanité.

La perception de l'altérité durant l'ère des découvertes et de la colonisation a été fortement influencée par une vision ethnocentrique du monde. Les Européens ont souvent catégorisé les cultures non-européennes comme "sauvages" ou "primitives", les rapprochant plus de l'animalité que de ce qu'ils considéraient comme l'humanité civilisée. Cette déshumanisation a servi à justifier la domination et la colonisation des peuples autochtones. En les considérant comme inférieurs, moins évolués ou moins humains, les Européens se sont donné le droit de les gouverner, de les convertir à leurs propres croyances religieuses et culturelles, de les exploiter pour leur travail et de s'approprier leurs terres. Cette perception de l'altérité comme animalité a eu des conséquences durables et néfastes, contribuant à des siècles de discrimination, d'exploitation et de violence envers les peuples autochtones. Cela a également renforcé une vision du monde centrée sur l'Europe, dans laquelle les autres cultures sont jugées en fonction de critères européens et souvent considérées comme inférieures ou déviantes.

La controverse de Valladolid en 1550-1551, où Bartolomé de Las Casas et Juan Ginés de Sepúlveda ont débattu du statut des indigènes du Nouveau Monde, illustre parfaitement le conflit de perspectives sur l'altérité à cette époque. Bartolomé de Las Casas, un prêtre dominicain, a plaidé en faveur de la reconnaissance de l'humanité et des droits des indigènes. Pour lui, ces peuples, bien qu'ils vivent dans un état de nature, ont une âme et sont capables de moralité et de rationalité. Ils sont "bons" dans le sens où ils vivent en harmonie avec la nature et sont restés fidèles à leur état originel de pureté. Juan Ginés de Sepúlveda, en revanche, a soutenu que les indigènes étaient inférieurs et qu'ils étaient plus proches des animaux que des êtres humains. Selon lui, ils étaient "mauvais" car ils étaient incapables de s'élever au-dessus de leur condition primitive et avaient besoin d'être civilisés par les Européens. Ce débat reflète une tension fondamentale dans la philosophie européenne de l'époque, entre une vision de l'état de nature comme état de pureté et de sagesse et une vision de celui-ci comme état de barbarie et d'ignorance. Cette tension a façonné les perceptions européennes de l'altérité et a eu un impact significatif sur les politiques coloniales européennes. Il est important de noter que, bien que Las Casas ait plaidé pour la reconnaissance des droits des indigènes, sa vision était encore très paternaliste. Il voyait les indigènes comme des enfants innocents qui avaient besoin de la protection et de l'éducation des Européens. Ainsi, même dans cette perspective plus "bienveillante", l'altérité était encore perçue comme une forme d'infériorité qui justifiait une certaine forme de domination.

La question de l'état de nature, et notamment de l'interprétation de cet état, a été un point central dans la philosophie politique occidentale classique. Cette interprétation a souvent été caractérisée par une vision dualiste, opposant deux conceptions de l'état de nature : d'un côté la sagesse et de l'autre la barbarie. D'une part, certains penseurs, comme Jean-Jacques Rousseau, ont soutenu que l'état de nature était un état de pureté et d'innocence, où l'homme vivait en harmonie avec son environnement. Selon cette perspective, la civilisation, avec ses institutions sociales et politiques, corrompt l'homme et l'éloigne de son état naturel de liberté et d'égalité. D'autre part, d'autres philosophes, comme Thomas Hobbes, ont soutenu que l'état de nature était un état de "guerre de tous contre tous", où la vie était "solitaire, pauvre, désagréable, brutale et courte". Pour Hobbes, la civilisation, par le biais du contrat social et de l'établissement d'un souverain, était une réponse nécessaire à cette condition brutale et chaotique. Ces deux visions ont eu une grande influence sur la manière dont la société et la politique ont été conceptualisées. Elles reflètent des idées profondément enracinées sur la nature humaine et sur les conditions optimales pour l'organisation sociale et politique. Ces idées continuent d'influencer nos réflexions contemporaines sur la politique, la société et l'individualité.

Dans leurs œuvres respectives, Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes offrent deux visions très différentes de l'homme à l'état de nature, qui ont eu une influence profonde sur la pensée politique. Thomas Hobbes, dans son œuvre "Leviathan", décrit l'homme à l'état de nature comme vivant dans un état de peur et de violence constantes, "la guerre de tous contre tous". Pour Hobbes, l'homme est fondamentalement égoïste et motivé par ses propres intérêts. C'est cette vision qui l'a amené à proposer l'idée d'un contrat social, où les individus consentent à renoncer à une partie de leur liberté en échange de la protection et de la sécurité offertes par un souverain absolu. Jean-Jacques Rousseau, en revanche, offre une vision plus optimiste de l'homme à l'état de nature. Selon lui, l'homme est fondamentalement bon et vit en harmonie avec son environnement. C'est la société, avec ses inégalités et ses institutions corrompues, qui corrompt l'homme. Pour Rousseau, le contrat social doit servir à préserver autant que possible la liberté et l'égalité naturelles de l'homme, tout en permettant une coexistence pacifique.

Ces visions contrastées de l'homme à l'état de nature ont également influencé la façon dont les philosophes et les penseurs politiques ont perçu et interprété l'altérité. Par exemple, dans la vision hobbesienne, les peuples "sauvages" ou "primitifs" pourraient être vus comme vivant dans un état de nature violent et chaotique, justifiant ainsi leur domination et leur "civilisation" par des sociétés plus "avancées". En revanche, dans la perspective rousseauiste, ces mêmes peuples pourraient être vus comme vivant en harmonie avec leur environnement et comme étant corrompus par l'influence de la civilisation. Ces visions opposées ont eu une influence importante sur la façon dont les sociétés occidentales ont interagi avec les autres cultures et ont contribué à façonner des attitudes durables envers l'altérité.

La distinction entre l'homme et l'animal a été un sujet central dans la philosophie depuis l'Antiquité. Aristote, par exemple, a défini l'homme comme un "animal rationnel", suggérant que la capacité de penser, de raisonner et d'utiliser le langage est ce qui distingue fondamentalement les humains des autres animaux. Dans le contexte de la colonisation et de l'exploration du "Nouveau Monde", cette définition a été utilisée pour justifier le traitement des peuples indigènes comme "inférieurs". En les catégorisant comme plus proches de l'animalité que de l'humanité, les colonisateurs ont pu justifier leur domination et leur exploitation. Si ces peuples "sauvages" étaient perçus comme incapables de penser ou de raisonner de la même manière que les Européens, alors il était "nécessaire", selon cette logique, que les Européens pensent et agissent pour eux. Ceci est un exemple de la manière dont les idées philosophiques peuvent être utilisées pour justifier des actions politiques et sociales, même lorsqu'elles sont basées sur des préjugés ou des malentendus. C'est aussi un rappel de l'importance de défier ces idées et de reconnaître la richesse et la complexité des différentes cultures et sociétés humaines.

Le XVIII siècle : l’invention du concept d’homme

L'arrivée de Christophe Colomb en Amérique avec deux bannières blanches blasonnées d'une croix verte et une bannière jaune frappée des initiales F et Y des souverains Ferdinand II d'Aragon et Ysabelle de Castille.

Le XVIIIe siècle, souvent appelé l'Âge des Lumières, a été une période de remise en question profonde de la vision traditionnelle du monde et de la place de l'homme dans cet univers. Durant cette période, de nombreux philosophes et penseurs ont commencé à développer des conceptions plus éclairées et humanistes de l'homme et de la société.

Cependant, même pendant l'Âge des Lumières, la vision des peuples non-européens était souvent biaisée et teintée de préjugés. Ces préjugés étaient en partie basés sur des idées sur la civilisation et la barbarie, la rationalité et l'irrationalité, qui étaient courantes à l'époque.

Christophe Colomb rapportait « Parce que je vois et connais que ces gens ne sont d'aucune secte, ni idolâtre, mais très doux et ignorants de ce qu'est le mal, qu'ils ne savent se tuer les uns les autres, ni s'emprisonner, qu'ils sont sans armes et si craintifs que l'un des nôtres suffit à en faire fuir cent, même en jouant avec eux […] je ne crois pas qu’il y ait au monde de meilleur homme qu’il n’y ait pas plus de meilleure terre »[1]. Cette citation de Christophe Colomb illustre bien ce point. Dans cette citation, Colomb décrit les peuples indigènes qu'il a rencontrés comme étant "doux et ignorants du mal". Cette description, bien que potentiellement bien intentionnée, est néanmoins condescendante et paternaliste. Elle suggère que les peuples indigènes sont naïfs et incapables de se défendre eux-mêmes, et donc qu'ils ont besoin de la "protection" des Européens. Cette vision biaisée des peuples non-européens a servi de justification à de nombreuses injustices, y compris la colonisation et l'exploitation. C'est pourquoi il est important de remettre en question ces idées préconçues et de reconnaître la richesse et la complexité des différentes cultures et sociétés humaines.

Le XVIIIe siècle a été une période cruciale pour l'émergence de ce que nous considérons aujourd'hui comme la conscience de soi et la notion d'individualité. C'est pendant cette période, souvent appelée l'Âge des Lumières, que des philosophes comme René Descartes ont commencé à s'interroger sur la nature de l'identité et de la conscience. Descartes, par exemple, a formulé sa célèbre phrase "Cogito, ergo sum" (Je pense, donc je suis), qui est devenue un pilier fondamental de la philosophie occidentale. Cette phrase exprime l'idée que le fait même de penser prouve l'existence de l'individu. L'Âge des Lumières a également vu l'émergence de nouvelles idées sur les droits individuels et la liberté. Les philosophes comme John Locke et Jean-Jacques Rousseau ont développé des théories sur le contrat social et les droits naturels de l'homme, qui ont eu une influence majeure sur la formation des sociétés démocratiques modernes. Cependant, il est important de noter que ces nouvelles idées sur l'individualité et les droits de l'homme n'étaient souvent pas étendues aux peuples non-européens. Comme vous l'avez mentionné, le concept d'altérité était souvent mal compris ou ignoré, ce qui a conduit à la marginalisation et à l'exploitation de ces populations. C'est un aspect de l'histoire de la pensée occidentale qui doit être reconnu et critiqué.

Cette prise de conscience conteste l'influence divine sur l'homme, et l'individu commence à se manifester en tant qu'entité propre. L'existence de l'individu est alors définie par sa capacité à penser et par sa conscience - par conséquent, l'individu est un être pensant.

À partir du XVIIIème siècle, cette conception nouvelle de l'homme commence à libérer l'intelligence des individus et leur permet de voir l'altérité sous un nouvel angle. L'autre n'est plus nécessairement perçu comme un "sauvage", mais plutôt comme un être inscrit dans une situation historique spécifique. Cependant, des connotations négatives persistent, notamment l'idée que cet autre n'a pas été capable de se développer par lui-même. Ces interrogations témoignent d'un changement dans notre façon de penser : l'homme existe non seulement par sa capacité à réfléchir, mais aussi par son apprentissage et sa connaissance cognitive du monde. L'expérience acquise est accumulée et transmise, ce qui contribue à façonner notre compréhension de nous-mêmes et des autres. Nous commençons à nous éloigner de l'image du "sauvage". L'autre est vu comme un être différent, et la notion de "sauvage" commence à être externalisée. Par conséquent, la question de la différence commence à être posée, mais il s'agit d'un jugement de valeur qui n'est pas nécessairement de l'ordre moral.

Au XVIIIème siècle, le grand objectif de la société est de construire une connaissance positive de l'homme. L'homme est alors étudié en tant que tel, potentiellement en tant qu'être pensant, et comme un élément intégral de l'histoire de l'humanité. Cette analyse s'effectue notamment à travers les voyages, qui offrent de nouvelles perspectives et opportunités pour observer et comprendre l'humanité dans toute sa diversité.

L’anthropologie évolutionniste du XIXème

Au XIXème siècle, nous assistons à une nouvelle phase de désir de mieux comprendre l'autre, avec une approche plus positive. Cela se fait à travers divers voyages et missions d'études, qui vont donner naissance à une première forme d'anthropologie moderne axée sur les sociétés primitives, qui possèdent leurs propres structures sociales. Cependant, certains éléments fortement réactionnaires persistent, nous renvoyant à une science positiviste. Cette approche considère que nous sommes dans des sociétés en évolution, qui doivent faire preuve de créativité pour rester compétitives. Cela suggère une vision linéaire du développement social et culturel, où certaines sociétés sont considérées comme "en retard" par rapport à d'autres, basé sur des critères occidentaux.

Au XIXème siècle, bien que nous commencions à nous éloigner de certaines représentations caricaturales, des idées dangereuses persistent, dont notamment des principes racistes et racialistes. Par exemple, il est impossible de comprendre pleinement l'existence des camps d'extermination nazis sans tenir compte du fait que cette époque était fortement influencée par une idéologie suprémaciste de la "race blanche", au détriment des autres groupes ethniques. Ces idées, ancrées dans la pensée de l'époque, ont contribué à des actes d'une extrême violence et d'une grande inhumanité.

L'anthropologie évolutionniste, qui prévalait au XIXe siècle, conservait des traces de ces préjugés. Selon cette perspective, l'évolution des sociétés est envisagée de manière hiérarchisée, avec une supériorité implicite accordée aux sociétés occidentales blanches. Cette vision a contribué à justifier la colonisation et l'exploitation d'autres peuples et cultures, considérés comme "inférieurs" ou "moins avancés". Il est essentiel de comprendre ces anciennes perspectives pour mieux appréhender les défis contemporains liés à la discrimination, au racisme et à l'inégalité.

Même si l'anthropologie évolutionniste du XIXe siècle était encore marquée par des conceptions hiérarchiques et ethnocentriques, elle représentait néanmoins un pas important vers la reconnaissance de l'altérité. Pour la première fois, on s'intéressait aux autres sociétés non seulement en tant qu'objets d'observation, mais aussi en tant que sujets dignes d'étude et de compréhension. C'est durant cette période que les anthropologues ont commencé à recueillir de manière systématique des informations sur les différentes cultures à travers le monde, et à analyser ces données dans le but de comprendre les divers modes de vie, systèmes de croyances, structures sociales et pratiques culturelles. Bien que cette approche était encore loin d'être exempte de préjugés, elle a ouvert la voie à des études plus approfondies et plus respectueuses des cultures non occidentales au XXe siècle. Elle a posé les bases pour une véritable reconnaissance de l'altérité, où la différence est vue non pas comme une infériorité, mais comme une richesse et une source d'apprentissage mutuel.

La Conférence de Berlin en 1885, aussi appelée le "partage de l'Afrique", a marqué un tournant significatif dans le mouvement de colonisation. Les grandes puissances européennes, en délimitant leurs zones d'influence sur le continent africain, ont instauré des régimes coloniaux qui ont eu des conséquences profondes et durables sur les sociétés africaines. C'est dans ce contexte que de nombreuses missions scientifiques et archéologiques ont été lancées, avec l'objectif d'étudier les cultures, les langues, les systèmes sociaux et les traditions des peuples colonisés. Il est important de noter que ces efforts étaient souvent motivés par une volonté de justifier et de consolider le pouvoir colonial, mais ils ont aussi abouti à la collecte d'informations précieuses sur les sociétés africaines. En dépit de leur contexte colonialiste, ces missions ont joué un rôle essentiel dans la mise en lumière de la complexité et de la richesse des cultures africaines. Elles ont permis d'étudier ces sociétés en profondeur, de comprendre leurs structures sociales et politiques, et d'apprécier la diversité des modes de vie et des pratiques culturelles sur le continent africain. Cela a contribué à une meilleure reconnaissance de l'altérité et a ouvert la voie à une anthropologie plus respectueuse et plus équilibrée, qui cherche à comprendre les autres cultures en leurs propres termes, plutôt qu'à les juger selon les normes et les valeurs occidentales.

Même si l'anthropologie de cette époque était encore fortement influencée par l'idée de hiérarchies de développement entre les sociétés - une idée qui a souvent servi à justifier la domination coloniale - elle a commencé à ouvrir la voie à une reconnaissance plus authentique et respectueuse de l'altérité. Cela signifie que les chercheurs ont commencé à accepter et à valoriser les autres cultures non pas en fonction de leur ressemblance ou de leur conformité avec les normes occidentales, mais pour ce qu'elles sont en elles-mêmes. Cette approche a mis en lumière la diversité et la richesse des cultures humaines, et a montré que chaque société a sa propre logique, ses propres valeurs et ses propres façons de structurer la vie sociale et politique. Ainsi, malgré ses limitations et ses biais, l'anthropologie du XIXe siècle a posé les bases pour une approche plus équilibrée et respectueuse de l'altérité, qui est devenue un principe central de l'anthropologie contemporaine. Cependant, il est important de noter que ce processus a été long et difficile, et que la lutte contre les préjugés et les stéréotypes est toujours d'actualité dans la recherche anthropologique et dans les relations interculturelles plus largement.

Les apports de l’anthropologie amérindienne et africaniste

L’anthropologie africaniste et la découverte des systèmes d’organisation politique

E. E. Evans-Pritchard.

L'ouvrage "African Political Systems" publié par Evans-Pritchard et Meyer Fortes en 1940 a été une contribution importante à l'anthropologie politique. C'est un des premiers ouvrages qui ont vraiment mis l'accent sur l'importance de comprendre les systèmes politiques des sociétés non occidentales en leurs propres termes, plutôt que de les juger selon des critères occidentaux. Le livre a réuni huit études de cas portant sur différentes sociétés africaines, allant des systèmes de chefferie centralisée aux sociétés sans état organisées autour de systèmes complexes de parenté et de relations de réciprocité. Ces études ont mis en évidence la diversité et la complexité des formes d'organisation politique en Afrique, et ont défié les idées reçues sur la "primitivité" ou la "simplicité" de ces sociétés. Evans-Pritchard et Meyer Fortes étaient tous deux des anthropologues britanniques qui ont travaillé principalement en Afrique, et ils ont été des figures clés dans l'évolution de l'anthropologie sociale au XXe siècle. Leur travail a contribué à établir l'anthropologie comme une discipline qui valorise la diversité culturelle et qui cherche à comprendre les sociétés non occidentales en leurs propres termes, plutôt que de les juger selon des critères occidentaux.

L'ouvrage "African Political Systems" d'Evans-Pritchard et Meyer Fortes a été une percée majeure dans la compréhension des structures politiques des sociétés africaines. Ils ont souligné que même les sociétés traditionnelles africaines sont fondées sur des systèmes politiques complexes qui assurent leur fonctionnement et leur développement. Cette approche a remis en question les hypothèses prédominantes de l'époque, qui tendaient à considérer les sociétés africaines comme étant dépourvues de structures politiques sophistiquées. En se concentrant sur la manière dont ces sociétés se régulent elles-mêmes, Evans-Pritchard et Fortes ont démontré que le politique est un élément intrinsèque et nécessaire à toute société, indépendamment de sa complexité ou de son niveau de technologie. Leur travail a contribué à changer la façon dont les anthropologues abordent l'étude des sociétés non occidentales, en les encourageant à reconnaître et à apprécier la complexité et la diversité de ces sociétés, plutôt que de les évaluer selon des normes et des critères occidentaux.

Evans-Pritchard et Meyer Fortes ont entrepris d'analyser les systèmes politiques des sociétés traditionnelles tout en contextualisant le concept de "primitif". Leur travail a souligné l'importance de comprendre le rôle du politique dans ces sociétés, plutôt que de les juger à travers le prisme de nos propres normes culturelles et historiques. Ils ont affirmé que pour comprendre pleinement ces sociétés, il faut prendre en compte leur complexité et leur spécificité. Cela implique de reconnaître les systèmes politiques qu'elles ont mis en place et comment ces systèmes influencent et sont influencés par d'autres aspects de leur culture et de leur histoire. En somme, leur travail a cherché à repenser le concept de "primitif" et à mettre en évidence le rôle crucial du politique dans la formation et le maintien des sociétés traditionnelles.

Evans-Pritchard et Meyer Fortes ont souligné l'importance de contextualiser le concept de "primitif" lors de l'analyse des systèmes politiques des sociétés traditionnelles. Ils ont avancé l'idée qu'au-delà des particularités spécifiques à chaque société, il existe des universalités dans la manière dont le politique façonne ces sociétés. Leur travail a mis en lumière le rôle des structures sociales dans la construction de l'ordre social, et a soutenu que ces structures sont une caractéristique universelle des sociétés humaines. En se concentrant sur des sociétés spécifiques, comme les tribus africaines, ils ont pu examiner de près les formes que ces structures peuvent prendre. Cela a impliqué l'étude des familles, des fratries, de l'organisation des tribus et des systèmes de propriété, entre autres aspects de la vie sociale. En explorant ces éléments, ils ont pu démontrer que ces sociétés sont loin d'être "primitives", mais qu'elles sont au contraire organisées selon des structures sociales et politiques complexes.

Evans-Pritchard et Meyer Fortes ont argumenté que les sociétés traditionnelles sont loin d'être dépourvues de structures, de rites et de règles. Au contraire, elles sont constituées de systèmes politiques, sociaux et économiques complexes qui sont essentiels à leur fonctionnement et à leur développement. Ils ont insisté sur le fait que ces systèmes ne sont pas inférieurs ou supérieurs à ceux des sociétés occidentales, mais simplement différents. Ces différences sont dues à des contextes historiques, culturels et géographiques spécifiques. Ainsi, ils ont tenté de démontrer que tous les systèmes politiques, qu'ils soient traditionnels ou modernes, doivent posséder certains éléments essentiels pour fonctionner efficacement. Ces éléments peuvent inclure une forme de gouvernance, des mécanismes de résolution des conflits, des rites sociaux, des lois et des règles, et des moyens d'assurer le bien-être économique de la société.

La politique, quelle que soit la société, englobe un ensemble de fonctions clés qui sont indispensables à la bonne organisation et au fonctionnement de celle-ci. Ces fonctions peuvent inclure :

  • La prise de décision : Dans toute société, des décisions doivent être prises pour établir des lois, définir des politiques, gérer les ressources, etc. La manière dont ces décisions sont prises peut varier d'une société à l'autre, mais le processus de prise de décision est un élément fondamental de la politique.
  • L'action : La politique implique également l'action, c'est-à-dire la mise en œuvre des décisions prises. Cela peut impliquer de nombreux processus, tels que la mise en œuvre de politiques, l'exécution de lois, la prestation de services publics, etc.
  • Le renforcement : La politique a également un rôle de renforcement, en consolidant les structures existantes de pouvoir et d'autorité, et en assurant la stabilité de la société.
  • La création de valeur : La politique peut aussi être vue comme un moyen de créer de la valeur pour la société, que ce soit par le biais de politiques économiques, de programmes sociaux, d'initiatives culturelles, etc.

Ainsi, bien que les sociétés diffèrent dans leurs formes spécifiques de gouvernance et leurs pratiques politiques, il est possible de postuler que certaines structures et fonctions politiques sont universelles, car elles sont essentielles à la survie et au développement de toute société.

Les « rudiments » des structures politiques occidentales

E.E. Evans-Pritchard et Meyer Fortes, dans leur analyse anthropologique des sociétés africaines, ont identifié quatre structures clés au sein de ces sociétés. Il est important de noter que leur travail se situe dans le contexte de la théorie structurale de la parenté de Claude Lévi-Strauss. Selon Lévi-Strauss, les structures de parenté sont fondamentales pour la constitution de la société, car elles fournissent un cadre pour l'organisation sociale et la répartition des rôles et responsabilités.

  • La parenté : La parenté est l'une des principales structures de toute société. Elle définit les relations entre les membres d'une communauté et régule leurs interactions. La parenté peut inclure des relations de sang, mais aussi des liens formés par le mariage ou l'adoption.
  • Le pouvoir : Le pouvoir est une autre structure essentielle de toute société. Il se réfère à la capacité de contrôler ou d'influencer le comportement des autres. Le pouvoir peut être détenu par des individus, des groupes ou des institutions et peut être exercé de différentes manières, allant de la persuasion à la contrainte.
  • Le symbolique : Le symbolique est un élément clé du pouvoir. Il se réfère aux symboles, rituels et croyances qui donnent du sens et de la légitimité au pouvoir. Les systèmes symboliques aident à maintenir l'ordre social en fournissant un cadre commun de compréhension et d'interprétation.
  • Le réel : Le réel se réfère à l'action concrète et aux décisions prises dans le cadre du système politique. Il s'agit de l'application pratique du pouvoir et de la mise en œuvre des décisions politiques.

Ces quatre structures interagissent et se renforcent mutuellement pour maintenir l'ordre social et faciliter le fonctionnement de la société.

Le pouvoir et la symbolique sont étroitement liés et se renforcent mutuellement. Le pouvoir s'exprime souvent à travers des symboles, des rituels et des discours, qui contribuent à sa légitimité et à son acceptation. Dans ce sens, la symbolique est une partie intégrante du pouvoir, et non une entité séparée. La langue, en tant que moyen de communication, joue un rôle crucial dans l'exercice du pouvoir. Elle est utilisée pour transmettre les normes, les règles, les valeurs et les attentes de la société. Elle permet aux gens de partager des informations, de négocier des relations de pouvoir et de contester les normes existantes. La langue n'est pas seulement un moyen de communication, mais aussi un outil de pouvoir et de contrôle. Les rituels d'inversion sociale, comme les carnavals ou les fêtes de la Saint-Sylvestre, sont des exemples de la manière dont le pouvoir et la symbolique interagissent. Ces rituels permettent temporairement d'inverser les hiérarchies sociales et de transgresser les normes, ce qui peut servir à souligner et à renforcer ces mêmes hiérarchies et normes une fois le rituel terminé. En conclusion, pouvoir et symbolique sont inséparables dans l'analyse des structures sociales et politiques. Ils fonctionnent conjointement pour créer, maintenir et transformer l'ordre social.

Quelles sont les structures élémentaires qui fondent « les rudiments » des structures plus sophistiquées des sociétés occidentales ?

La parenté dans la politique

La première explication va être de dire que dans les sociétés africaines on voit que la parenté joue un rôle important. C’est-à-dire qu’on appartient à une famille qui est un ordre et une structure, elle engage des possibilités de naissance et d’insertion dans une dynastie. Le passé est une aide à la construction.

D’autre part, dans toutes les sociétés traditionnelles, la parenté définit le statut social dans la communauté. Il n’y a pas de pouvoir politique sans réflexion sur la parenté, et au fond l’autorité politique est fonction du système de filiation et de résidence. Le pouvoir peut être héréditaire, mais à travers la construction de la famille se construit des relations sociales et des rapports de force qui définissent les relations sociales et le politique. C’est un patrimoine actif, c’est une sorte de capital qui aide chacun à se construire et à se définir dans l’espace social.

À partir de là, on s‘aperçoit que ces systèmes de clans vont jouer le pouvoir soit pour le conserver soit pour l’acquérir dans une logique clanique c’est-à-dire dans un ensemble de cohésion de l’ensemble de la famille.

Pour conserver le pouvoir, il faut former des alliances qui renvoient à des stratégies familiales qui peuvent être le mariage. Evans-Pritchard et Meyer Fortes vont dire qu’au-delà de la question de parenté c’est le réseau de parenté qui est en jeu, c’est le fait que se dégage de ces structures de politiques un système organisé sur la parenté et la famille au sens très large.

Pour faire une comparaison à la société moderne, on peut penser à la famille Kennedy qui est un clan. On est dans l’hypothèse très provocatrice que même si on change de système, au fond, on reste malgré tout dans un système qui fonctionne aussi par le clanique qui est le premier niveau de cohésion.

La provocation de l’anthropologie politique est de dire que, même dans la démocratie, cela fonctionne. Avec l’exemple de Nicolas Sarkozy et la tentative de son fils de 23 ans de prendre la tête de l’EPAD.

Le pouvoir comme symbolique

Le pouvoir ne peut se dessaisir du symbolique, il doit avoir du symbolique, s’il n’y a pas de symbolique, il y a un problème d’identité et de reconnaissance. Le foisonnement symbolique provoque le pouvoir et le canalise, c’est une forme de reconnaissance ; dans toute l’histoire des sociétés, la souveraineté s’affiche par rapport à une question du symbolique. Le devenir du dirigeant passe aussi par des rituels qui sont un évènement complètement contrôlé qui sert le pouvoir.

Cavaliers mossi (gravure de 1890).

Au XVème siècle et XVIème siècle, dans le royaume Mossi en Haute-Volta, quand le roi meurt dans le système de transmission du pouvoir il ne faut pas un temps mort. Dans ce cas, le premier signe symbolique est celui de la mort même du roi où l’on crève un tambour et on éteint le feu royal, on montre qu’il y a une disparition qui est un objet d’émotion.

On place tout de suite les rituels funéraires sous la responsabilité de la fille ainée ou du fils ainé.

S’ouvre ensuite la phase du napoco, c’est le fait qu’on va transférer les vêtements du roi à la fille ainée. C’est un système patrilinéaire ou la succession est assurée par un mâle, mais en termes de symbolique on a besoin d’une femme qui va assurer la transition. La fille prend les abribus de son père et devient la reine des disparus que l’on va promener afin de montre qu’il n’y a pas de vacance du pouvoir ce qui est le rite symbolique. Quand cette phase est terminée, on choisit le souverain qui remonte sur le cheval de l’ancien roi et va parcourir les terres. C’est un phénomène de réappropriation du pouvoir, la fille n’a qu’une foncions transitionnelle, on l’a promène sur le cheval du roi est un moment donné dans un village on la fait descendre et on tu le cheval de roi. C’est un acte symbolique qui fait que l’on doit passer par le meurtre du cheval pour ritualiser que le nouveau roi va monter en scène lui aussi dans un espace de transition. Vient une cérémonie d’intronisation nommée la qurita.

Cela montre qu’il ne peut pas y avoir de vacance, les rituels ont une fonction sociale très précise qui est d’assurer la transition qui est nécessaire, mais qui est fondamentale pour assurer la sécurité et la paix du royaume. Les cérémoniels sont là pour rationaliser le champ du politique.

Le langage comme un élément du pouvoir politique

Il n’y a pas de pouvoir sans communication et du coup celui qui détient la parole et la communication détient le pouvoir. D’autre part celui qui peut parler peut manipuler les forces en créant l’ordre, la violence ou au contraire la sécurité. Il y a une continuité entre la question du pouvoir et la parole.

Pour cela ils prennent la figure de cas du Legba, dieu de la communication.C’est une figure mythique qui est un dieu de la communication, car il maitrise toutes les langues, il est capable d’interpréter ce que disent toutes les autres divinités, il a été envoyé par dieu pour communiquer auprès des hommes. Un culte de ce développé autour de la figure du Legba à la fois dans les lieux de cultes et qui est rentré dans les foyers. Par son omniprésence il est censé posséder les moyens de contrôler toute la société, d’aider les gens et de sanctionner éventuellement.Il est interprété comme portant la parole du roi, il peut se mettre en colère, il peut sanctionner, chaque individu doit vivre sa vie ne présence de ce dieu.

Cela permet aux auteurs de dire que le dieu possède la langue, par sa parole il est pouvoir. Dès lors, le langage est un savoir qui est structurant. On retrouve la langue comme chez Lévi-Strauss comme capacité à définir les règles de la vie sociale et de pouvoir exprimer une vérité qui me peut être contestée.

Le langage n’est pas seulement un moyen de pouvoir, c’est la substance du pouvoir, c‘est un mode du pouvoir qui exprime des rationalités, mais c’est bien plus, c’est la substance même du pouvoir c’est-à-dire que si le pouvoir perd le langage elle n’a plus la capacité d’exister. Dans les théories modernes, le poids du langage et des mots et particulièrement important pour décrire des réalités sociales parce qu’ils permettent la mise en scène du pouvoir c’est-à-dire que c’est le langage qui va pouvoir construire la relation au pouvoir et de la mettre en scène ce pouvoir. Dès lors, dans les théories de l’anthropologie politique moderne, apparaissent plusieurs idées :

  • il ne peut pas y avoir de pouvoir sans langage,
  • il ne peut pas y avoir de pouvoir sans communication,
  • il ne peut pas y avoir de pouvoir sans rituel.

Cela veut dire que le pouvoir se met en scène, il n’y a pas de pouvoir sans mise en scène parce que c’est la mise en scène des mots et du pouvoir physique par la théâtralisation.

Le pouvoir se donne à voir par les mots, mais aussi par leur mise en scène et par la mise en scène sociale. Rappelons que Goffman concevait l’espace public comme un théâtre, le pouvoir a une dimension de pouvoir, de mise en scène et de construction.

La théâtralisation fait partie de notre démocratie moderne, c’est une réalité sociale.

Les rituels d’inversion sociale

Le pouvoir est construit et il doit fonctionner dans un double mouvement qui est un mouvement d’adhésion, le pouvoir doit construire cette logique de fabriquer de la tension afin de faire adhérer les individus à son système ce qui est valable dans les tribus africaines et dans nos réalités sociales et politiques modernes. En même temps, il y a un problème qui apparait dans le pouvoir qui est que toute société ne peut fonctionner avec de la tension « centrifuge » c’est-à-dire une tension de nervosité qui cherche à construire l’harmonie et la légitimité du pouvoir.

Cela crée des formes de violence, le pourvoir doit avoir des moments où il autorise le relâchement. C’est le fait que, non seulement il y a des pratiques de tensions sociales, en même temps il doit y avoir des pratiques de relâchement des tensions sociales qui se retrouvent dans toutes les sociétés. Toute société a des rituels qui sont des rituels d’inversion sociale.

C’est le fait que le pouvoir d’accepter qu’on se moque de lui, car dans ce temps il crée de la moquerie qui est une distance qui est un relâchement collectif. Le pouvoir doit d’un côté contraindre et de l’autre offrir un mouvement des tensions sociétales pour permettre de continuer à gérer le social. Le carnaval est un rite d’inversion qui a pour objectif d’inverser les valeurs.

Pour fabriquer de l’inversion, il faut contrôler l’inversion. Le carnaval est un véritable système d’inversion, car c’est le seul moment de l’année où on peut se moquer du pouvoir. Dès lors, le rituel fait partie du dispositif sociétal qui s’inscrit dans un temps.

En d’autres termes, le rituel d’inversion social est un dispositif de régulation qui est accepté dans un dispositif plus global dans un système de société.

La question est de trouver la limite entre ce qui est du rituel d’inversement et ce qui ne l’est pas. Alors le rituel d’inversion social est le fait qu’a un moment donné on va inverser les rôles dans la logique au-delà que ‘l’inversion est totalement maitrisée pour revenir au réel. Le paradoxe est qu’il a pour fonction de favoriser le réel.

Quelques principes de l’inversion sociale :

  • le pouvoir doit accepter qu’on se moque de lui, c’est un temps de a moquerie et de la distance, c’est la capacité d’un relâchement d’un étau par l’ironie et le dérisoire ;
  • le relâchement offre la capacité du renforcement des liens, c’est parce que nous allons relâcher que la société va être plus construite.

Pour une anthropologie politique de la modernité

George Balandier

Georges Balandier au Salon du livre de Paris en mars 2010.

Le politique sont des fonctions, des systèmes de permanences et des structures. La grande hypothèse de George Balandier qui était un anthropologue et sociologue a travaillé en Afrique noire durant la décolonisation. À partir de 1946 il va être en Afrique et publie Changement sociaux au Gabon et au Congo et Sociologie des Brazzavilles noires en 1954. Il va travailler sur les sociétés africanistes et va être confronté lui-même à la décolonisation.

Il va s’interroger sur ce qui se joue dans l’évolution des systèmes politiques africains traditionnels avec la modernisation. Il va reprendre les questions de sociétés et de pouvoir en le faisant à partir d’une sociologie de l’indépendance.Il va surtout s’interroger sur des phénomènes d’indépendance sachant que c’est une question fondamentale de la sociologie moderne.

Il distingue trois champs ou les sociétés africaines expriment le mieux leur nature propre et leurs réactions les plus significatives :

  1. Les ensembles et les espaces culturels : permet d’identifier les critères selon lesquels s’expriment les parentés et les exclusions culturelles
  2. Les religions et les innovations religieuses : révèlent les transformations de l’univers social et culturel africain, et surtout les nouvelles configurations du politique.
  3. Les systèmes politiques traditionnels : sont menacés par l’ensemble des processus de modernisation

Les mouvements de décolonisation en faveur de l’État-nation, le modèle de la décolonisation par les pays qui se décolonisent et le modèle occidental. Balandier va noter que le passage à des systèmes politiques locaux applique toujours la continuité d’une modernisation selon le modèle occidental et colonial.Les pays vont se décoloniser, mais le modèle qu’ils vont porter est celui de l’État moderne. La modernisation qui s’effectue par les premières puissances de la colonisation fonctionne sur un modèle de la modernisation occidentale. Les processus de désintégration culturels et sociaux qu’avaient engagés les Occidentaux pour exploiter les colonies ne s’arrêtent pas à la fin de la décolonisation.

Les notions de dépendance, de domination et de soumission

Article détaillé : Dominations.

La dépendance est propre aux situations coloniales

Ce qui est important de comprendre est que pour analyser ces sociétés il faut comprendre la situation de dépendance et de domination, c’est-à-dire que la dépendance est la situation qui est créée dans les systèmes coloniaux survie dans la décolonisation. C’est pour cela qu’a été développé le concept de néocolonialisme. C’est l’idée que ce n’est pas parce qu’il y a décolonisation qu’il y a changement des rapports au sein même des systèmes de relations entre pays.

La domination produit de la dépendance (matérielle et spirituelle)

La domination produit de la dépendance qu’elle soit matérielle ou spirituelle. Du point de vue spirituel on est dans des modifications de cultures, car la modernité la modifie :

  • Par le processus de déculturation (perte de toutes ses valeurs et ses références par la mise en contact brutal avec une autre culture). En d’autres termes, c’est un phénomène de métissage ;
  • Par un phénomène d’acculturation (construction plus dynamique entre les deux cultures) : l’acculturation est l'ensemble des phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entraînent des modifications dans les modèles culturels initiaux de l'un ou des deux groupes ;
  • Contre-acculturation : réaction d’une société acculturée qui se mobilise pour protéger et revendiquer son identité.

Balandier va développer le concept d’aliénation qui est le concept d’émancipation et de dépendance. Ce qui caractérise le champ politique et sociétal de la décolonisation est le phénomène d’aliénation qui un processus complexe dans lequel les individus sont dans un processus de déculturation qui se construit dans une logique d’acculturation c’est-à-dire de mélanger entre des éléments anciens et la culture moderne.

Au fond, tout le processus de constitution du champ politique dans les États modernes africains dépend de ce double processus à savoir de la mobilisation de population, de la recherche de création d’une nouvelle identité et de la souffrance dans ce passage de société traditionnelle à société moderne. Cela signifie que le politique moderne, du point de vue africaniste dans les années 1950 – 1960, période de mutation, est de dire que ce processus politique est à la conjonction de ces deux réalités c’est-à-dire que les comportements politiques ou les systèmes politiques vont procéder à la fois de l’acculturation et de la déculturation.

Balandier va soutenir que dans ce processus on va retrouver à la fois des éléments de rationalité propre à la politique occidentale et des éléments traditionnels constitutifs de cette gouvernementalité primitive. Au fond, le politique est intéressent parce qu’elle fait la part entre une vision rationnelle et une vision classique d’anthropologie africaniste avec des rites, des rituels de l’imaginaire et peut-être même magique.

C’est un système composite. Les systèmes politiques africains modernisés porteraient l’ensemble de ces contradictions et expliqueraient à travers ces contradictions les difficultés même de construire leur territoire ou leur identité nationale.

Les domaines de l’anthropologie politique de la modernité

La ritualisation du politique

Dans les sociétés primitives, pour préserver l’ordre et la cohésion, il existe des rituels qui ont pour but de :

  • lutter contre l’usure : c’est un rituel qui réactive ;
  • introniser un nouveau chef ;
  • expulser la maladie et les catastrophes naturelles ;
  • réinstaller le pouvoir mystique : dimension irrationnelle conséquence qui fait partie constitutive du pouvoir ;
  • intégrer la communauté par un lien mémoriel : permet de construire une identité commune.

Le rite prend son sens dans la répétition et fonde des valeurs communes.

Les rites politiques

La structure du rituel fonctionne selon les mêmes principes dans les sociétés modernes. Nos rituels modernes ont la même fonction et les mêmes usages. Ils répondent à quatre fonctions :

  • l’intégration : intégrer les individus pour fabriquer de la cohérence, du consensus visant à une adhésion à la communauté ;
  • la légitimation : légitimation de l’organisation structurelle du pouvoir ;
  • la hiérarchisation : rappelle des hiérarchies sociétales d’organisation de la société ;
  • la moralisation : action ou réunion de masse, émotion, séduction, valorisation) ;
  • exaltation : exaltation de l’émotion.

Le rituel politique renvoie à des célébrations civiles qui sont de grandes manifestations civiles dans lesquels on doit se reconnaitre. Dans la démocratie moderne, la question fondamentale est la mise en scène du politique. Les manifestations publiques doivent construire une imagerie populaire.

Le discours politique

Le discours fait partie du pourvoir c’est donc un élément du rituel politique. Le discours est un construit, le discours relève du rite politique, c’est une construction sociale qui stocke des informations et une restitution dans un ordre et une rationalité qui permet sa présence au monde et de construire sa mise en scène.

On voit que le discours participe de la construction, c’est une fonction d’intégration, de cohérence, de consensus de mobilisation. Il faut interroger le discours et l’interpréter comme une catégorie, c’est-à-dire d’analyser le discours.

Le discours du politique n’est jamais préparé par celui qui le produit. Le travail de rédaction nécessite de penser le discours comme structure. La difficulté qui réside dans l’analyse du discours c’est l’écart qui existe entre la prononciation du discours et la fabrication du discours.

Annexes

Références

  1. COLOMB, C. La découverte de l’Amérique, Vol. I Le journal de bord 1492-1493 ; Vol. II Relations de voyage 1493-1504, Paris, La Découverte, 1989.