Les fondements du modèle romain

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L’Empire romain n’est pas le premier empire chronologiquement parlant, mais c’est peut être l’empire qui a le plus marqué et influencé la pensée politique et juridique occidentale. Rome a hanté toute la pensée occidentale sur l’empire justifiant que l’on commence avec Rome plutôt qu’avec l’Égypte, la Chine ou l’Empire perse.

Le régime impérial romain n’a pas créé l’empire à proprement dit. Si le régime impérial romain né officiellement en 27 avant Jésus Christ, le modèle impérial romain existe territorialement et géographiquement déjà avant la création de l’Empire romain. Rome devient un empire constitutionnellement parlant en 27 avant Jésus Christ, mais Rome se comporte déjà comme un empire disposant d’un vaste territoire bien avant la création formelle de l’Empire romain. Généralement, les historiens s’accordent à dire que le modèle impérial romain débute en 300 avant Jésus Christ où Rome tente d’établir un glacis protecteur d’avec les barbares. La République romaine s’étend territorialement au point d’avoir besoin de créer des zones sécuritaires afin de se protéger. On date l’établissement de ces avant-postes sécuritaires à cette époque.

Au IIème siècle avant Jésus Christ, la République romaine n’est plus dans une logique sécuritaire, mais dans une logique expansionniste : Rome décide de conquérir le monde. La conquête romaine s’est accompagnée d’une hellénisation des Romains parce que la Grèce était LA civilisation de l’antiquité. Il est intéressant de voir que lorsque les Romains conquièrent la Grèce, cette grande civilisation de l’antiquité, ils ont très vite développé un complexe de supériorité politique et militaire vis-à-vis des Grecques, mais d’infériorité culturelle. Cela montre la dimension syncrétiste de l’Empire romain, la dimension empreinte à la culture grecque. Les Grecs ont toujours été méprisés par les Romains tout en les admirant secrètement.

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Les fondements juridiques du modèle impérial romain[modifier | modifier le wikicode]

L’aigle, symbole de nombreux empires occidentaux, mais aussi orientaux (ici celui de l’Empire byzantin).

Quels sont les fondements juridiques du modèle impérial romain ?

L’Empire romain, à partir de 27 avant Jésus-Christ, est un ensemble de territoires immenses autour de la méditerranée réunie sous le suprême pouvoir de l’Empereur. Cet empire est territorialement extrêmement étendu. Aux avant-postes des camps de légionnaires gardent les frontières de l’empire. Le pouvoir de l’empire est incarné par l’Empereur qui est au fond le premier magistrat de Rome appelé César ou Auguste. On l’appelle sinon « Imperator », « Dominus » ou « Pater ».

L’Empire romain n’a jamais eu une constitution au sens formel, l’absolutisme des empereurs est allé de manière croissante, il n’y a pas de constitution qui définit les prérogatives ou bien les limites du pouvoir. Un certain nombre de textes officiels permettent de comprendre quels étaient l’idéologie et les fondements juridiques de l’empereur. Les pouvoirs de l’empereur reposent au fond sur un certain nombre de critères et l’empereur détient quatre attributs.

Potestas[modifier | modifier le wikicode]

De manière générale, à l’époque romaine, la « potestas » désigne l’autorité reconnue par le droit d’une personne sur une autre. C’est le pouvoir que détient le premier magistrat de la République, c’est-à-dire l’Empereur. À l’origine c’était les magistrats de la République qui détenaient la potestas. La naissance du régime impérial a permis à l’empereur de récupérer le pouvoir pour lui. On voit l’influence du droit privé sur le droit public avec la récupération par l’empereur de ce droit.

L’empereur a le moyen d’exercer un pouvoir de contrainte et d’assurer l’observation des lois :

  • l’ « edictum » [1] qui est l’équivalent d’une directive,
  • le « decretum » [2] qui est la compétence de rendre un jugement,
  • la « lettre impériale » [3] donnant la possibilité à l’empereur de donner des instructions écrites qui font de l’empereur le centre du pouvoir.

Imperium[modifier | modifier le wikicode]

L’« imperium » renvoie à la possibilité de gouverner les territoires conquis. Le pouvoir de l’imperium contient au moins quatre compétences. Le détenteur de l’imperium est :

  • le commandant en chef des troupes [1]
  • celui qui signe ou révoque les traités [2],
  • il convoque le Sénat ou le pouvoir législatif [3],
  • il est le seul à posséder la compétence pour étendre la juridiction romaine [4], c’est-à-dire de décider où le droit romain s’applique et ne s’applique pas.

L’Empire romain a su combiner les règles de Rome avec les coutumes locales, réussissant à « gérer la diversité » des cultures et des peuples soumis.

Puissance tribunicienne - potestas tribunicia[modifier | modifier le wikicode]

Portrait de l’empereur Auguste

L’empereur est détenteur de la puissance tribunitienne. Elle fut créée par Auguste qui fut le premier empereur qui récupère le pouvoir des tribuns. C’est un pouvoir intéressant parce qu’il donnait aux tribuns la compétence de « proibicio », c’est-à-dire de bloquer des lois du Sénat qui contrevenaient soit à l’intérêt de l’armée, soit à l’intérêt de Rome.

Auguste va récupérer ce pouvoir en abolissant cette compétence aux tribuns et la récupérer, c’est désormais l’empereur qui a la compétence et le droit de « proibicio ».

Auctoritas[modifier | modifier le wikicode]

Auctoritas est une notion rattachée à une notion de prestige personnel. Celui qui en bénéfice à l’époque de l’Empire romain est une personne qui a une autorité morale. La personne qui doit avant toute chose en être le dépositaire est l’empereur. On ne sait pas comment le Sénat décide que l’empereur ait l’auctoritas ou pas, toutefois, c’est un attribut essentiel. On pense aujourd’hui que l’autorité morale des empereurs était votée symboliquement par le Sénat. Il y a une procédure à laquelle l’empereur doit se conformer qui est l’acte de refus de pouvoir. L’empereur est obligé de remettre chaque année son pouvoir en jeu et on pense que l’auctoritas était votée à ce moment-là.

Les attributs de l’empereur constitutif du modèle impérial romain[modifier | modifier le wikicode]

Ces quatre attributs fondamentaux sont les attributs de l’empereur et sont constitutifs du modèle impérial romain. Il est possible d’imaginer que l’empereur avait des pouvoirs exceptionnellement étendus. Si cela est vrai que l’empereur est le premier magistrat de l’Empire et il est vrai que l’empereur a un pouvoir important, il a des obligations :

  • l’empereur à l’obligation de chercher le consensus c’est-à-dire la « concordia » qui est l’unité ou l’adhésion. Certes, il a le droit de « proibicio », mais il ne peut pas passer outre et imposer une mesure. C’est une obligation impériale respectée par tous les empereurs.
  • l’empereur doit se conformer à l’acte de refus du pouvoir : chaque année, le Sénat vote la réélection de l’empereur.
  • l’empereur a l’obligation de garantir, de protéger et de respecter la « libertas » qui est une valeur centrale de la philosophie du droit romain. Les citoyens romains peuvent jouir de leurs biens en toute sureté et de leurs droits en toute liberté. Être citoyens de Rome est le passeport de la liberté dans l’Empire.
  • l’empereur a l’obligation de consulter le « concilium principis » qui comprend exclusivement des juristes, c’est le conseil juridique de l’empereur. À partir du IIIème siècle avant Jésus Christ, l’empereur a le pouvoir suprême de demander un avis de droit au concilium principis.

Se dessine un modèle impérial qui donne des pouvoirs importants à l’empereur, mais ces pouvoirs sont contrebalancés par des obligations marquantes.

Vercingétorix dépose les armes aux pieds de Jules César à l’issue du siège d’Alésia. Tableau de Lionel Royer, 1899.

Au-delà des attributions juridiques, politiques ou morales, l’empereur dans le modèle romain jouit d’une authentique mystique impériale. Le pouvoir de l’empereur est augmenté par une mythologie. Lorsque Auguste devient empereur, il comprend bien la dimension symbolique du pouvoir. Le modèle d’empire romain est constitué sur l’idée que la symbolique et tout aussi importante que le pouvoir. Le pouvoir a une dimension objective avec la loi, mais également une dimension subjective qui est la symbolique impériale. Il y a deux moyens :

  • l’utilisation de la victoire militaire dans l’idéologie impériale : il est très important pour l’empereur romain d’être perçu par le peuple comme le militaire victorieux. Rome n’aime ni les faibles ni les perdants, la victoire est cruciale, mais il faut l’exploiter. Le premier moyen constituant la mythologie impériale est l’utilisation de la victoire militaire sur les peuples conquis. Le raisonnement de tous les empereurs est de dire que c’est parce que les dieux l’ont voulu donnant une dimension sacrée au pouvoir. Est sous-entendu que le magistrat suprême détient son pouvoir de la divinité. L’empereur repose son pouvoir sur une théologie de la victoire.
  • La sacralisation de sa propre personne par le culte impérial : le Sénat vote l’instauration d’un culte la « consecratio » au nom d’un empereur qui vient de mourir. Tout empereur qui vient de mourir est soumis à un débat au Sénat qui va décréter par la loi si, quel jour, quelle semaine doit être dédié au culte de l’empereur. Tous les empereurs ont eu à cœur d’avoir un nom qui génère un culte.

Le territoire de l’Empire romain est immense, organisé en provinces et il est limité par ce qu’on appelle le « limes » qui est la bordure de territoire. La frontière romaine de l’Empire romain s’appelle le « lime » et la fonction de frontière est extrêmement importante afin de comprendre le modèle impérial romain. L’Empire romain s’est construit sur un mode inclusif et exclusif. Soit on était dans l’empire ou hors de l’empire, membre d’un empire ou de l’autre côté de la frontière où se trouvent les barbares. Cette idéologie presque binaire romain – barbare, inclusive – exclusive va beaucoup marquer les conceptions impériales qui vont naitre plus tard. Ce « nous » va faire la distinction entre les « hommes civilisés » et les « hommes non civilisés ».

L’idée d’empire romain reposait sur un empereur, mais surtout sur l’idée d’un pouvoir central fort incarné dans la personne de l’empereur. L’empereur a un certain nombre de compétences et de prérogatives entourées d’un culte impérial avec une forme de sacralisation de sa personne. La notion de frontière était extrêmement importante dans l’Empire romain à la fois géographiquement, politiquement, militairement, mais aussi idéologiquement, car cela permettait de définir ceux qui sont dans l’empire et ceux qui sont en dehors de l’empire. La notion binaire homme libre – homme esclave est une idée ancienne que l’on doit aux Romains irriguant l’idée d’empire occidental.

Les caractéristiques de l’Empire romain[modifier | modifier le wikicode]

L’Empire romain repose sur quatre caractéristiques :

  1. l’idée romaine d’empire est conservatrice parce qu’il s’agit pour les Romains de conserver le passé et de ce point de vue, l’Empire romain n’a jamais proclamé sa rupture avec la République romaine. Il y a une obsession de rester en lien et en symbiose avec le passé. Il y a d’une certaine manière un culte presque sacré pour les Romains. C’est une société polythéiste ou les dieux ont une fonction sociale importante. Il s’agit de conserver les rites, les coutumes du passé et l’idée d’un territoire uni autour d’une ville qui est Rome.
  2. c’est un empire autoritaire : l’empereur possède des pouvoirs juridiques, politiques et moraux extrêmement importants. De surcroit, il gouverne par la volonté des dieux.
  3. c’est un empire progressiste : il y a les deux tendances, progressistes parce que sur le plan juridique, l’Empire romain consacre le droit romain comme droit de l’Empire romain, c’est un droit progressiste et abouti. Le droit romain est le droit de l’Empire et la langue de l’empire est également le latin qui est la langue officielle de l’empire. L’unification par la langue et par le droit en fait un empire aussi de progressiste regardant vers l’avenir. La grande force des Romains est de l’Empire romain est d’avoir romanisé toutes les élites romaines. Tous les peuples périphériques vont se romaniser dans les us et coutumes. À l’heure actuelle, on parle d’américanisation de certaines sociétés, à l’époque on peut parler de romanisation de l’Empire romain.
  4. c’est un empire libéral : l’Empire romain a toujours cherché à respecter la liberté et les croyances des peuples conquis. Il n’y a pas du tout chez les Romains une quelconque volonté et/ou une quelconque forme de prosélytisme. L’Empire romain n’a jamais cherché a convertir les peuples conquis, ce n’est pas une logique de prosélytisme des deux grandes relions monothéistes. Fondamentalement, l’Empire romain n’a pas cherché à convertir et à changer les croyances. De ce point de vue, les Romains on fait preuve d’une immense tolérance acceptant les rites religieux de tous les peuples conquis. Autrement dit, l’Empire romain a été tolérant et a consacré le principe de diversité dans l’idéologie impériale. L’empire à son apogée est un empire « multiethnique » englobant des populations, des langues et des us et coutumes variés. Les Romains, extrêmement violents dans la guerre, n’ont jamais cherché à convertir ni à annihiler et détruire les cultures de peuples qu’ils avaient sous leur domination militaire.
Buste de Vespasien.

Dans la « loi sur l’imperium de Vespasien », sont signifiées la notion d’« imperium » et de « potestas ». Le détenteur de l’imperium a notamment la possibilité de conclure des traités.

« Qu’il lui soit permis de conclure des traités avec qui il voudra, comme cela fut permis au divin Auguste, à Tibère Jules César Auguste, et à Tibère Claude César Auguste Germanicus.

Qu’il lui soit permis d’assembler le sénat, d’y faire ou faire faire des propositions, de faire rendre des sénatus-consultes par votes individuels, ou en ordonnant le partage, comme cela a été permis au divin Auguste, à Tibère Jules César Auguste, à Tibère Claude César Auguste Germanicus

Toutes les fois que le sénat sera assemblé en vertu de sa volonté, de son autorisation, de son ordre, de son mandat, ou en sa présence, que tous ses actes aient leur force, et soient observés, aussi bien que s’il était convoqué ou tenu d’après une loi ;

Toutes les fois que les aspirants à une magistrature, pouvoir, commandement, ou charge quelconque, seront le romain, et qu’il leur aura donné ou promis son appui, que dans tous les comices leur candidature soit comptée extraordinairement ; »

L’empereur a le pouvoir d’élire les magistrats. Ces quatre lignes sont fondamentales parce qu’elles décrivent les prérogatives de l’empereur qui sont étendues.

« Qu’il lui soit permis, toutes les fois qu’il le trouvera utile à la République, d’étendre et reculer les limites du Pomoerium, comme cela a été permis à Tibère Claude César Auguste Germanicus ;

Qu’il ait le droit et le plein pouvoir de faire tout ce qu’il croira convenable à l’intérêt de la République, à la majesté des choses divines « et humaines, au bien public et particulier, ainsi que l’eurent le divin Auguste, Tibère Jules César Auguste, et Tibère Claude César Auguste Germanicus ; »

Un fragment des “Res Gestae”.

Dans “'Res Gestae Divi Augusti”, l’empereur a la potestas et l’autoritas mais il est l’égal des magistrats. Auguste qui fut le premier empereur se considérait comme un citoyen romain égal des autres.

« 31.1.-3 – Dans mes sixième et septième consultats, après que j’eus éteint les flammes des guerres civiles, alors que je détenais de l’assentiment de tout le contrôle absolu des affaires, je transférai la res publica de ma potestat à la volonté du sénat et du peuple romain… après cette époque, je l’ai emporté sur tous par l’ “autoritas”, mais de potestas, je n’en eux en rien plus que les autres qui ont été, à moi aussi, mes collègues dans la magistrature »

Le pouvoir impérial va se concentrer et dériver de manière autoritaire après Auguste.

« 8.5 – Par de nouvelles lois prises sur mon initiatives, j’ai restauré beaucoup de traditions de nos ancêtres qui tombaient à notre époque en désuétude, et moi-même, sur de nombreux points, j’ai fourni des exemples à imiter par la postérité. »

On voit deux choses ici, la dimension conservatrice, par ailleurs, il a voulu imiter pour la postérité. Il y a l’idée de restaurer le passé pour l’assurer et le conserver pour la postérité. La conception conservatrice de l’empire est défendue ici par Auguste.

Cet empire romain, bien évidemment, ne va pas s’éteindre avec sa chute. Autrement dit, la chute de Rome en 476 après Jésus-Christ ne signifie nullement la fin de l’idée d’Empire romain et surtout la fin d’Empire en général. Au contraire, l’idée d’empire va survivre à Rome et dans toute l’Europe médiévale comme en témoigne deux grands empires que sont l’Empire carolingien, mais surtout la fondation du Saint Empire romain germanique en 962 se présentant comme l’hériter de la notion d’Empire. La chute institutionnelle de Rome ne signifie pas la fin de l’idée d’empire fondé sur un certain nombre de caractéristiques. Durant tout le Moyen Âge, cette idée d’empire va au fond survivre, être reprise dans deux institutions. Tout d’abord chez les peuples germains et enfin dans l’Église romaine. Après la chute de Rome, l’idée romaine d’empire prend deux directions. Quelque part, elle va être reprise par le Saint Empire romain germanique puis par l’Église catholique romaine.

Comment les peuples germains ont transformé l’idée d’empire pour en faire le Saint Empire romain germanique ?

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

  • Lesuisse Léon. La clause transitoire de la “Lex de imperio Vespasiani”. In: Revue belge de philologie et d’histoire. Tome 40 fasc. 1, 1962. pp. 51-75.
  • Merlin A.. À propos de l’extension du Pomerium par Vespasien. In: Mélanges d’archéologie et d’histoire T. 21, 1901. pp. 97-115.
  •  » Res Gestae Divi Augusti (Trad. Française). <http://droitromain.upmf-grenoble.fr/Francogallica/resgest_fran.htm>.

Références[modifier | modifier le wikicode]