Le globalisme d'inspiration marxiste
Le marxisme s'inscrit dans une opposition dialectique au libéralisme, qu'il considère comme la structure idéologique centrale du capitalisme moderne. Le libéralisme, en défendant l'État bourgeois, les droits de propriété et l'individualisme, garantit la pérennité du capitalisme tout en masquant ses contradictions internes. Marx dénonce cette façade idéologique en révélant les inégalités fondamentales qu'elle dissimule, notamment entre dominants et dominés, riches et pauvres, exploiteurs et exploités.
L’analyse marxiste de la réalité sociale repose sur une lecture des dynamiques de classe. Pour les marxistes, l’histoire humaine est une succession de luttes, façonnée par les changements dans les modes de production et les relations économiques. Ce récit historique met en lumière non seulement les mécanismes d’oppression, mais aussi les possibilités d’émancipation collective. En ce sens, le marxisme ne se limite pas à une critique de l’ordre existant : il aspire à son dépassement.
Dans cette lignée, Immanuel Wallerstein décrit la crise actuelle du capitalisme comme une crise structurelle. Selon lui, « le système [capitaliste mondial moderne] est en réalité incapable de survivre », marquant la fin inéluctable du capitalisme et l'émergence d'un système post-capitaliste. Ce diagnostic soulève une question essentielle : quelles forces façonneront ce nouvel ordre mondial, et quelles en seront les implications pour les sociétés humaines ?
Dans un contexte de mondialisation accélérée, où les inégalités sociales et économiques se creusent à l’échelle globale, le globalisme d’inspiration marxiste offre une critique puissante et nécessaire de l’ordre établi. Ce cours explore les fondements théoriques de cette perspective, ses implications pratiques et les débats qu’elle continue de susciter, en invitant à une réflexion sur l’avenir du système mondial.
La réflexion sur l'inégalité et le marxisme[modifier | modifier le wikicode]
Rousseau : L’État comme origine des guerres[modifier | modifier le wikicode]
Jean-Jacques Rousseau, dans sa critique des théories de Thomas Hobbes, propose une vision profondément différente de la nature humaine et de l’origine des conflits. Là où Hobbes voit l’état de nature comme une condition de guerre perpétuelle, un « chacun contre tous », Rousseau défend l’idée que la guerre n’est pas une condition inhérente à l’humanité, mais une création des institutions étatiques. Pour lui, « il n'y a point de guerre entre les hommes : il n'y en a qu'entre les États », soulignant ainsi que le conflit armé est indissociable de la construction politique.
Dans la conception rousseauiste, l’état de nature correspond à celui du « bon sauvage », où les individus vivent dans une relative harmonie, guidés par leurs besoins simples et leur instinct de préservation. Ce n’est qu’avec l’émergence de la société organisée et des États que la guerre devient un outil institutionnalisé. Les États, en cherchant à affirmer leur pouvoir et à protéger leurs intérêts, transforment la violence en un mécanisme collectif et systémique, dépassant les volontés individuelles et les besoins naturels des hommes.
Ainsi, pour Rousseau, la guerre est intimement liée à la consolidation des structures étatiques. Elle n’est pas le produit des relations humaines, mais le résultat d’un système politique conçu pour dominer et rivaliser. Cette critique du rôle de l’État ouvre une réflexion sur la nature artificielle de nombreux conflits et sur les liens entre pouvoir politique, inégalités et violence organisée.
Marx et Engels : La lutte des classes au cœur des relations internationales[modifier | modifier le wikicode]
Karl Marx et Friedrich Engels proposent une vision révolutionnaire des relations humaines et internationales, fondée sur l’idée que l’histoire est avant tout déterminée par les conflits de classe. Ils affirment que « le jour où tombe l'antagonisme des classes au sein d'une même nation, tombe également l'hostilité entre les nations », liant la dynamique des conflits nationaux à celle des antagonismes de classe.
Contrairement aux libéraux classiques, qui attribuent la paix à la généralisation des systèmes républicains et démocratiques, Marx et Engels soutiennent que seule l’abolition des classes et le dépassement du capitalisme permettront d’éliminer les conflits entre nations. Pour eux, les divisions nationales et internationales sont une extension des rapports de domination inhérents au système capitaliste. Tant que la lutte des classes persiste au sein des nations, les rivalités internationales, alimentées par les intérêts économiques des élites, continueront à générer des tensions et des guerres.
Les marxistes rejettent donc l'idée que les relations internationales soient simplement des relations entre États souverains. Ils les interprètent comme des relations interclasses, où les mécanismes de domination et d’exploitation économique se transposent à l’échelle mondiale. Ainsi, les nations riches et industrialisées représentent les classes dominantes globales, tandis que les nations pauvres ou en développement incarnent les classes exploitées et dominées. Ce schéma reflète à l’échelle internationale la dynamique des centres et des périphéries, dans laquelle les pays capitalistes avancés exploitent les ressources humaines et naturelles des périphéries pour maintenir leur hégémonie.
Cette transposition de la lutte des classes sur la scène internationale met en lumière les inégalités structurelles du système économique mondial. Elle offre également une critique radicale des institutions internationales, souvent perçues par les marxistes comme des outils au service des intérêts des classes dominantes. En cela, Marx et Engels appellent à une transformation systémique, non seulement au niveau national, mais aussi global, afin d’éradiquer les sources mêmes des conflits et de l’exploitation.
Les contradictions internes du capitalisme[modifier | modifier le wikicode]
Pour Marx, l’infrastructure économique d’une société est composée de deux éléments interdépendants : les forces productives et les rapports de production. Les forces productives englobent l’ensemble des moyens matériels et humains nécessaires à la production : les technologies, les outils, les machines, mais également la force de travail des individus, qu’il s’agisse de sa quantité ou de ses qualités (compétences, savoir-faire). Ces forces productives définissent le niveau de développement économique et technologique d’une société. Cependant, elles ne fonctionnent pas indépendamment, car elles sont encadrées par les rapports de production, qui déterminent la manière dont la production est organisée et contrôlée. Ces rapports incluent les relations sociales établies entre les individus au sein du processus productif, ainsi que les structures de propriété qui régissent l’accès aux moyens de production.
Dans le capitalisme, ces rapports de production sont caractérisés par une division fondamentale entre deux classes sociales principales : les capitalistes, qui possèdent les moyens de production (usines, machines, capitaux), et les travailleurs, qui n’ont que leur force de travail à offrir en échange d’un salaire. Cette structure repose sur une logique d’exploitation où les capitalistes s’approprient la plus-value générée par le travail des ouvriers. Cette appropriation ne fait qu’amplifier les inégalités, car la richesse produite se concentre entre les mains d’une minorité, tandis que la majorité reste soumise à des conditions précaires.
Cependant, le capitalisme contient en lui-même une contradiction fondamentale entre les forces productives et les rapports de production. Les forces productives, en évoluant, tendent à dépasser les cadres imposés par les rapports de production. Par exemple, les avancées technologiques permettent une productivité accrue, mais elles réduisent simultanément le besoin de main-d’œuvre, entraînant chômage et insécurité économique pour une partie croissante de la population. De plus, la propriété privée des moyens de production, pilier du capitalisme, devient une entrave au développement matériel global. Les biens produits ne sont pas distribués en fonction des besoins, mais selon des logiques de profit, ce qui engendre des crises périodiques de surproduction : les produits s’accumulent sans trouver preneur, faute de pouvoir d’achat suffisant chez les masses laborieuses.
À mesure que ces contradictions s’intensifient, les rapports de production deviennent obsolètes, incapables de soutenir le potentiel des forces productives. Marx décrit ce processus comme un frein au développement matériel. Dans un système capitaliste avancé, les innovations technologiques, au lieu de profiter à l’ensemble de la société, servent à maximiser les profits d’une minorité, exacerbant ainsi les inégalités sociales. Cette incompatibilité croissante entre forces productives et rapports de production atteint un point critique lorsque le capitalisme lui-même devient incapable de maintenir sa propre dynamique de croissance.
Selon Marx, cette situation mène inévitablement à une révolution sociale. Lorsque les rapports de production deviennent insoutenables, un changement radical du système économique et social s’impose. Ce changement affecte également la superstructure, c’est-à-dire les institutions politiques, juridiques, idéologiques et culturelles, qui doivent s’adapter aux nouvelles conditions matérielles. La révolution, en abolissant la propriété privée des moyens de production, permet de libérer les forces productives et de les réorienter vers une satisfaction collective des besoins humains. Ce processus ouvre la voie à une transition vers le socialisme, marquant la fin de l’exploitation de classe et l’établissement d’une société plus équitable.
Marx considère le capitalisme comme un système dynamique mais fondamentalement instable. Ses contradictions internes, entre innovation technologique et organisation économique, conduisent à son propre dépassement. Cette analyse scientifique des dynamiques sociales fait du matérialisme historique une méthode puissante pour comprendre les mécanismes qui régissent l’évolution des sociétés humaines et les conditions nécessaires à leur transformation.
La superstructure : Les rapports de propriété en question[modifier | modifier le wikicode]
Dans la pensée marxiste, la superstructure désigne l’ensemble des institutions et des formes idéologiques qui s’élèvent au-dessus de l’infrastructure économique. Elle inclut les systèmes juridiques, politiques, religieux, culturels et philosophiques qui structurent la société. Ces éléments ne sont pas indépendants mais déterminés par l’infrastructure, c’est-à-dire par les forces productives et les rapports de production. Marx affirme que ce ne sont pas les idées ou les valeurs abstraites qui façonnent la société, mais bien les conditions matérielles qui influencent la manière dont les individus pensent et agissent. Comme il l’écrit en 1859 : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être : c’est leur être social qui détermine leur conscience. »
La superstructure joue un rôle crucial en légitimant et en perpétuant les rapports de production dominants. Dans le capitalisme, par exemple, les institutions juridiques et politiques protègent la propriété privée et les droits des capitalistes, tandis que les systèmes religieux ou philosophiques contribuent souvent à naturaliser ou à justifier les inégalités sociales. Ces mécanismes permettent de maintenir l’ordre établi et de préserver les intérêts de la classe dominante en présentant les rapports de production comme normaux ou immuables.
Cependant, cette relation entre infrastructure et superstructure n’est pas figée. Lorsque les rapports de production deviennent un frein au développement des forces productives, l’ensemble du système entre en crise. Les rapports de propriété, qui sont la traduction juridique des rapports de production, illustrent cette contradiction. Dans le capitalisme, la propriété privée des moyens de production est essentielle à l’accumulation de richesse, mais elle finit par limiter la capacité des forces productives à répondre aux besoins de la société. Par exemple, les avancées technologiques pourraient théoriquement produire une abondance de biens, mais elles sont entravées par la logique du profit et par la concentration des ressources entre les mains d’une minorité.
Lorsque les forces productives atteignent un niveau où elles ne peuvent plus se développer à cause des contraintes imposées par la propriété privée, le système capitaliste entre dans une phase de déclin. Cette contradiction fondamentale, entre le potentiel des forces productives et les limites des rapports de production, entraîne une transformation radicale non seulement de l’infrastructure, mais aussi de la superstructure. Les institutions juridiques et politiques, qui reflètent et renforcent l’ordre économique, doivent alors s’adapter ou être remplacées pour correspondre à un nouveau mode de production. Ce processus de transformation est ce que Marx décrit comme une révolution sociale, où les bases économiques de la société sont redéfinies, entraînant une refonte complète des structures idéologiques.
La superstructure n’est pas un simple reflet passif de l’infrastructure, mais elle joue un rôle actif dans la perpétuation du système et dans sa crise éventuelle. En légitimant les rapports de production dominants, elle contribue à la stabilité du système jusqu’à ce que les contradictions internes le rendent insoutenable. À ce moment, la superstructure elle-même devient un champ de bataille idéologique où se dessinent les contours d’un nouvel ordre social.
La théorie marxiste est-elle toujours valide ?[modifier | modifier le wikicode]
L’une des interrogations majeures concernant la théorie marxiste réside dans sa prétention à dépasser le système capitaliste à partir d’une analyse élaborée depuis l’intérieur de ce même système. Comment Marx, lui-même immergé dans une société capitaliste, a-t-il pu développer une théorie qui se projette au-delà du capitalisme et prédit son dépassement ? Cette question soulève des enjeux épistémologiques et méthodologiques qui interrogent la validité et la portée de la pensée marxiste.
Pour Marx, la clé réside dans l’analyse scientifique des contradictions internes du capitalisme. Contrairement aux approches idéalistes ou spéculatives, il fonde sa réflexion sur une observation systématique des conditions matérielles de production et des rapports sociaux qu’elles engendrent. En identifiant les tensions entre les forces productives et les rapports de production, Marx montre que ces contradictions ne sont pas des accidents ou des anomalies, mais des mécanismes inhérents au fonctionnement du système capitaliste. Ces contradictions, selon lui, mènent inéluctablement à des crises périodiques qui affaiblissent les fondements du capitalisme et rendent son dépassement non seulement possible, mais nécessaire.
Cette capacité à théoriser un avenir post-capitaliste repose sur la conception marxiste de l’histoire comme un processus dialectique. Pour Marx, chaque mode de production porte en lui les germes de sa propre transformation. Les avancées technologiques et les forces productives, en atteignant un certain degré de développement, entrent inévitablement en conflit avec les rapports de production existants, créant les conditions d’un changement systémique. Ainsi, le capitalisme lui-même, par son dynamisme et sa capacité d’innovation, prépare sa propre obsolescence. Marx ne prétend donc pas s’extraire totalement de son époque, mais se situe dans un cadre d’analyse où les dynamiques internes du système fournissent les outils pour envisager son dépassement.
Le marxisme se présente alors comme une science totalisante, c’est-à-dire une méthode permettant non seulement de comprendre les dynamiques historiques, mais aussi d’identifier les conditions de leur transformation. Cette approche dépasse la simple description des phénomènes sociaux pour en révéler les lois sous-jacentes. En ce sens, Marx ne se contente pas d’analyser le capitalisme en tant que système économique : il cherche à mettre en lumière les processus qui permettent d’envisager un monde post-capitaliste. Toutefois, cette ambition totalisante soulève des critiques, notamment quant à sa prétention à prédire l’évolution historique et à universaliser ses conclusions.
La validité de la théorie marxiste repose sur sa capacité à démontrer la logique interne des transformations sociales. En identifiant les contradictions inhérentes au capitalisme, Marx propose une grille d’analyse qui demeure pertinente pour comprendre les dynamiques économiques et sociales contemporaines. Cependant, la question de savoir si ces contradictions mènent inéluctablement à un dépassement du capitalisme ou si elles peuvent être contenues par des ajustements internes reste un sujet de débat. Cette tension entre déterminisme et contingence continue de nourrir les discussions sur la portée et les limites du marxisme dans un monde en constante évolution.
Les bases ontologiques du globalisme marxiste[modifier | modifier le wikicode]
L’ontologie, en tant que science de l’être, questionne la nature de la réalité. Dans le cadre des approches néomarxistes, cette interrogation se concentre sur la structure et les dynamiques du système international, tout en mettant en évidence les interactions entre économie, politique, et société. Ces postulats fournissent une base théorique pour comprendre le globalisme d’inspiration marxiste.
D’abord, le système international est conçu comme anarchique et fondamentalement inégalitaire. Contrairement à l’idée d’un ordre mondial homogène ou équilibré, les néomarxistes voient dans les relations internationales une hiérarchie dominée par des structures économiques qui reproduisent les inégalités entre le Nord et le Sud. Ce schéma reflète une division fondamentale entre les centres, où se concentrent les pouvoirs économiques et politiques, et les périphéries, qui subissent une exploitation systématique de leurs ressources et de leur main-d’œuvre.
Un autre postulat essentiel est que les phénomènes économiques jouent un rôle central dans la structuration de la réalité sociale et politique. Dans cette perspective, la superstructure (les institutions politiques, juridiques, et culturelles) est dominée par l’infrastructure (les modes de production et les relations économiques). Les néomarxistes insistent sur l’interdépendance entre ces deux niveaux, affirmant que les dynamiques économiques déterminent les configurations idéologiques et institutionnelles qui légitiment et perpétuent le capitalisme à l’échelle mondiale.
L’analyse néomarxiste met également en avant une perspective historique, s’appuyant sur une lecture critique des étapes du capitalisme et des économies-monde. Cette démarche explore les processus de domination et d’exploitation, notamment l’histoire du colonialisme et du néocolonialisme, pour expliquer comment les relations économiques globales ont consolidé une dépendance structurelle des pays du Sud vis-à-vis du Nord. Les relations internationales sont ainsi interprétées comme une extension des conflits de classe internes, transposés à une échelle mondiale.
Pour expliquer ces dynamiques, les néomarxistes adoptent une approche basée sur les intérêts des classes économiques, divisées entre capitalistes et travailleurs. Ces classes sont définies par leur position dans les processus de production, tant au niveau national qu’international. L’analyse politique commence donc au niveau économique, en examinant comment les structures capitalistes façonnent les relations sociales et internationales. Le mode de production capitaliste est intrinsèquement lié à l’idéologie du libéralisme économique, qui masque les inégalités et justifie l’exploitation au nom de la liberté des marchés et de la concurrence.
Enfin, les néomarxistes s’opposent à la vision réductionniste de l’homo economicus, cet individu rationnel et utilitariste guidé uniquement par son intérêt personnel. Ils proposent de dépasser cette conception en introduisant la notion d’un homo sociologicus, un individu dont les actions sont influencées par des normes et des valeurs sociales. Ces normes définissent des attentes intersubjectives et des comportements jugés appropriés dans un contexte donné. Cette perspective souligne que les choix humains ne sont pas seulement économiques, mais aussi sociaux, et qu’ils sont façonnés par les structures idéologiques et culturelles dans lesquelles les individus évoluent.
En somme, les postulats ontologiques du globalisme néomarxiste offrent une grille de lecture systémique qui met en lumière l’interaction entre économie, politique et société. En insistant sur la centralité des classes économiques, la domination des périphéries par les centres, et le rôle structurant des normes sociales, cette approche propose une critique radicale des inégalités inhérentes au système mondial capitaliste et invite à repenser les bases de l’organisation internationale.
Wallerstein : La théorie des économies-monde[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein, dans son analyse du système-monde capitaliste, propose une approche holistique pour comprendre les dynamiques économiques et sociales globales. Sa théorie des économies-monde repose sur une lecture néomarxiste des relations internationales et des structures économiques, mettant en lumière les mécanismes d’exploitation et d’accumulation du capital à l’échelle mondiale.
Analyse du système-monde capitaliste[modifier | modifier le wikicode]
L’accumulation du capital comme moteur du système-monde[modifier | modifier le wikicode]
Au cœur de la théorie d’Immanuel Wallerstein réside l’idée centrale que le système-monde capitaliste est fondé sur l’accumulation du capital. Ce processus constitue la dynamique essentielle du capitalisme, agissant comme le moteur du développement des forces productives. L’accumulation du capital n’est pas simplement une tendance économique : elle définit l’organisation et l’expansion du système capitaliste à l’échelle mondiale.
Pour Karl Marx, ce mécanisme repose largement sur le rôle de la science et de la technologie, qui permettent d’accroître la productivité du travail tout en intensifiant l’exploitation des travailleurs. En introduisant des innovations techniques, le capitalisme cherche à réduire les coûts de production, à maximiser les profits et à maintenir son cycle d’expansion continue. Cependant, cette intensification s’accompagne également de l’extraction de la plus-value, c’est-à-dire la part du travail produite mais non rétribuée aux travailleurs. Ce processus d’exploitation constitue le fondement des inégalités systémiques propres au capitalisme.
Wallerstein prolonge cette analyse en insistant sur la dimension globale de l’accumulation du capital. Dans le cadre du système-monde capitaliste, l’expansion économique dépasse les frontières des États individuels. Les chaînes de production s’étendent à travers plusieurs pays, reliant les économies nationales dans un réseau globalisé de flux économiques. Cette configuration permet le transfert de la richesse et de la plus-value des périphéries vers les centres. Les pays situés à la périphérie fournissent des matières premières, de la main-d’œuvre bon marché et des produits à faible coût, tandis que les centres accumulent les profits, concentrant ainsi les bénéfices de la production mondiale. Cette exploitation asymétrique structure les relations économiques internationales et renforce les inégalités entre le Nord et le Sud.
En outre, Wallerstein souligne que ce modèle d’accumulation ne peut fonctionner sans le maintien de mécanismes économiques et politiques qui garantissent sa pérennité. Le libre-échange, par exemple, n’est jamais totalement libre : les marchés sont partiellement régulés pour protéger les intérêts des grandes puissances et des entreprises multinationales. Les monopoles temporaires et relatifs, soutenus par les États et leurs capacités politiques, militaires ou économiques, permettent d’assurer la rentabilité des centres tout en consolidant leur domination sur les périphéries.
L’accumulation du capital, à la fois moteur et objectif du capitalisme, s’articule dans le système-monde autour d’un réseau globalisé de production et d’échanges. Ce processus, tout en favorisant l’innovation et le développement des forces productives, repose sur des inégalités structurelles qui rendent l’exploitation et la domination inhérentes au capitalisme mondial.
Le rôle des chaînes de production et des flux de plus-value[modifier | modifier le wikicode]
Le capitalisme moderne, selon Wallerstein, repose sur des chaînes de production multinationales qui facilitent le transfert de la plus-value des régions périphériques vers les centres. La plus-value, définie comme tout ce que le travailleur produit mais ne reçoit pas sous forme de salaire, est extraite par le capitalisme pour alimenter l’accumulation du capital. Ce processus illustre l’exploitation structurelle des pays du Sud par les pays du Nord, où les centres capitalistes concentrent la richesse produite dans les périphéries. Cette dynamique asymétrique constitue l’un des piliers du système-monde capitaliste.
Les deux visages du capitalisme : marchés et monopoles[modifier | modifier le wikicode]
Dans l’analyse d’Immanuel Wallerstein, les chaînes de production multinationales occupent une place centrale dans le fonctionnement du système-monde capitaliste. Ces chaînes, qui s’étendent à travers plusieurs États, permettent une organisation mondiale de la production où les différentes étapes — extraction, fabrication, assemblage et distribution — sont réparties géographiquement en fonction des coûts et des avantages offerts par chaque région. Ce modèle globalisé n’est pas neutre : il reflète et perpétue des rapports d’exploitation entre les centres capitalistes (situés principalement dans les pays du Nord) et les périphéries (les pays du Sud).
L’un des mécanismes clés de cette exploitation est le transfert de plus-value des périphéries vers les centres. La plus-value, concept central dans la pensée marxiste, désigne la richesse créée par le travailleur au-delà de son salaire, qui est captée par le capitaliste sous forme de profit. Dans une perspective mondiale, Wallerstein montre comment ce surplus de richesse est systématiquement extrait des périphéries pour alimenter l’accumulation du capital dans les centres. Les périphéries, caractérisées par une main-d’œuvre bon marché, des ressources naturelles abondantes et une réglementation laxiste, sont intégrées dans les chaînes de production comme des zones d’extraction et de fabrication à bas coût. Les centres, en revanche, concentrent les activités à forte valeur ajoutée, notamment le design, la finance, et la gestion des chaînes de distribution.
Cette dynamique asymétrique reflète une exploitation structurelle des pays du Sud par les pays du Nord. Les périphéries subissent les coûts sociaux et environnementaux de la production (travail précaire, dégradation écologique, faible protection sociale) tandis que les centres accumulent les profits. Cette organisation globale de la production et de la distribution n’est pas seulement économique, mais elle est soutenue par des mécanismes politiques et institutionnels qui favorisent les intérêts des centres. Les accords commerciaux, les institutions financières internationales et les politiques protectionnistes des pays développés renforcent cette inégalité structurelle, verrouillant les périphéries dans un rôle de dépendance et de subordination.
Le transfert de plus-value des périphéries vers les centres constitue l’un des piliers fondamentaux du système-monde capitaliste décrit par Wallerstein. Ce processus ne se limite pas à une simple inégalité économique : il façonne les relations internationales, les dynamiques sociales et les hiérarchies géopolitiques. L’organisation des chaînes de production multinationales illustre comment le capitalisme mondial repose sur des mécanismes d’exploitation intégrés à la fois au niveau local et global, consolidant une hégémonie économique et idéologique des centres sur les périphéries.
Unification géo-culturelle et contrôle social[modifier | modifier le wikicode]
Pour Wallerstein, le système-monde capitaliste, bien qu’hégémonique, est marqué par des tendances centrifuges susceptibles de le fragiliser. Afin de maintenir sa cohésion et de contenir les forces de fragmentation, le capitalisme s’appuie sur un processus d’homogénéisation géo-culturelle. Ce processus vise à unifier les cadres idéologiques, scientifiques et sociaux tout en incorporant, voire en neutralisant, les mouvements opposés à l’ordre établi. Wallerstein identifie trois axes principaux dans ce mécanisme de stabilisation et de contrôle social.
L’idéologie libérale et son triomphe apparent[modifier | modifier le wikicode]
Le libéralisme, en tant qu’idéologie dominante du capitalisme mondial, joue un rôle central dans l’unification géo-culturelle. Il se positionne comme une alternative modérée face aux conservateurs, qui défendent les hiérarchies traditionnelles, et aux radicaux-socialistes, qui remettent en cause les fondements mêmes du système. En promouvant la liberté individuelle et le libre marché, le libéralisme crée une illusion d’égalité et d’autonomie tout en consolidant les bases du capitalisme.
Cette idéologie fournit un cadre normatif qui légitime les structures économiques et politiques existantes. En insistant sur des principes tels que la propriété privée, la concurrence et la liberté de choix, le libéralisme masque les inégalités structurelles du système-monde et naturalise les mécanismes d’exploitation. Il devient ainsi un outil puissant d’uniformisation culturelle, façonnant les attentes sociales et économiques à l’échelle mondiale.
La science comme instrument de légitimité[modifier | modifier le wikicode]
La science, dans les systèmes modernes, remplace progressivement la philosophie comme principal outil de compréhension et de gestion de la société. Wallerstein met en lumière le rôle des disciplines scientifiques qui émergent au service de l’État et de l’organisation capitaliste. Par exemple, la Staatistik (science de la mesure des forces et faiblesses des États) et la Polizeiwissenschaft (science politique axée sur le maintien de l’ordre) jouent un rôle clé dans le renforcement de l’efficacité et de la légitimité des gouvernements.
Ces disciplines ne se contentent pas de décrire la réalité : elles fournissent les outils nécessaires pour contrôler et stabiliser les sociétés. En institutionnalisant des approches scientifiques de la gestion sociale et économique, le capitalisme parvient à standardiser les pratiques administratives et politiques, tout en neutralisant les discours critiques qui pourraient émerger d’autres cadres intellectuels, comme la philosophie ou la théologie. La science devient ainsi un vecteur d’homogénéisation, légitimant les structures du pouvoir et consolidant leur hégémonie.
Comment le capitalisme intègre ses opposants : mouvements nationalistes et socialistes[modifier | modifier le wikicode]
Le capitalisme ne se contente pas de neutraliser ses opposants : il les incorpore au sein de son système grâce à des mécanismes institutionnels et culturels qui transforment les revendications en outils de stabilité.
- Le suffrage universel, bien qu’initialement limité aux hommes, donne l’impression d’une participation politique généralisée tout en préservant les bases du système. Cette inclusion relative des masses détourne les aspirations révolutionnaires vers des formes institutionnalisées de contestation.
- Le patriotisme populaire, cultivé par l’éducation nationale et le service militaire, consolide l’unité nationale en focalisant l’attention sur des enjeux extérieurs ou symboliques, plutôt que sur les conflits internes de classe.
- L’État social, qui offre un filet de sécurité aux populations défavorisées, agit comme un instrument de pacification. En répondant partiellement aux besoins fondamentaux des plus pauvres, il neutralise les mouvements contestataires tout en renforçant la légitimité du système. Loin de remettre en question les inégalités structurelles, ces politiques sociales participent à la perpétuation du capitalisme en achetant littéralement la tranquillité sociale.
La Révolution française : Une illustration du changement systémique[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein utilise la Révolution française comme une illustration majeure des dynamiques qu’il associe au système-monde capitaliste. Bien qu’elle apparaisse comme une rupture politique radicale, la Révolution reflète avant tout les transformations économiques et sociales profondes qui caractérisaient le capitalisme naissant à la fin du XVIIIe siècle. Loin d’être une simple révolte contre l’Ancien Régime, elle marque une réorganisation systémique, où le triomphe des idées libérales accompagne la consolidation des structures nécessaires à l’accumulation du capital.
La Révolution française peut être vue comme une victoire idéologique du libéralisme sur les formes traditionnelles de pouvoir. L’Ancien Régime, fondé sur des hiérarchies féodales et monarchiques, cède la place à une organisation sociale et politique qui met en avant la propriété privée, l’égalité juridique et les libertés individuelles. Ces principes, bien qu’émancipateurs sur le plan symbolique, servent également les intérêts du capitalisme naissant. En abolissant les privilèges féodaux et en libérant les forces productives, la Révolution ouvre la voie à une expansion économique basée sur le libre marché, la concurrence et l’intégration des périphéries dans le système-monde.
Cependant, ce triomphe du libéralisme ne se limite pas à la métropole française. La Révolution s’inscrit dans une dynamique globale, où les bouleversements politiques en Europe sont intimement liés aux transformations économiques internationales. L’instauration de nouveaux mécanismes institutionnels — comme la généralisation des droits de propriété ou l’émergence de l’État-nation moderne — répond à la nécessité de structurer les flux de capital et de main-d’œuvre à une échelle mondiale. Par exemple, les changements politiques en France permettent une meilleure intégration des colonies dans le système économique global, renforçant l’exploitation des périphéries au bénéfice des centres capitalistes européens.
La Révolution française est également emblématique de la manière dont le capitalisme absorbe et incorpore les forces contestataires. Bien qu’animée par des idéaux d’égalité et de justice, elle finit par consolider un système où les inégalités économiques persistent, voire s’accentuent. Les institutions issues de la Révolution, comme la centralisation étatique et la promotion du suffrage (limité aux hommes propriétaires à l’origine), servent autant à canaliser les aspirations populaires qu’à stabiliser l’ordre capitaliste émergent. En ce sens, la Révolution française illustre l’une des grandes forces du capitalisme mondial : sa capacité à intégrer les mouvements opposés tout en réaffirmant ses propres structures.
Enfin, la Révolution met en lumière le rôle des idées et de la culture dans le processus d’unification géo-culturelle décrit par Wallerstein. Les principes libéraux n’ont pas seulement redéfini les institutions françaises, mais se sont diffusés à travers l’Europe et au-delà, contribuant à homogénéiser les cadres politiques et idéologiques. Cette diffusion accompagne et légitime l’expansion du système-monde capitaliste, en alignant les attentes sociales et les normes économiques sur un modèle global.
La Révolution française, bien qu’elle soit perçue comme une rupture historique majeure, s’inscrit dans les dynamiques du système-monde capitaliste décrit par Wallerstein. Elle marque une transition entre l’ancien système féodal et une organisation plus conforme aux besoins du capitalisme en expansion. En intégrant les idéaux de liberté et d’égalité dans un cadre qui perpétue l’exploitation économique, elle incarne la manière dont le capitalisme mondial parvient à associer rupture et continuité, légitimant ses structures tout en consolidant son hégémonie.
L’analyse du système inter-étatique[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein propose une analyse dynamique du système inter-étatique en le décrivant comme un système structuré par des cycles économiques et politiques interconnectés. Ces cycles, qui se renforcent mutuellement, forment le cadre de l’organisation mondiale sous le mode de production capitaliste. Cette interaction entre économie et politique permet de comprendre la succession des puissances hégémoniques et l’évolution des structures internationales.
Les cycles économiques et politiques dans l’histoire mondiale[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein adopte le concept des vagues de Kondratieff pour expliquer les cycles longs qui caractérisent l’économie mondiale capitaliste. Ces cycles, d’une durée moyenne de 50 à 60 ans, alternent entre des phases d’expansion et de déclin, reflétant les transformations profondes des structures économiques. L’analyse de ces vagues économiques est essentielle pour comprendre les dynamiques du système-monde et leur interaction avec les cycles politiques.
La phase d’expansion : croissance et innovation[modifier | modifier le wikicode]
Chaque cycle de Kondratieff débute par une phase d’expansion, marquée par une croissance économique soutenue. Cette expansion repose sur la création de marchés partiellement libres, où des monopoles relatifs garantissent des niveaux élevés de rentabilité pour les acteurs dominants. Ces monopoles, qu’ils soient liés à des innovations technologiques ou organisationnelles, offrent un avantage compétitif temporaire à certaines entreprises ou nations.
L’innovation joue un rôle central dans cette phase : elle permet d’accroître la productivité, d’ouvrir de nouveaux marchés et de maximiser les profits. Par exemple, l’industrialisation au XIXe siècle, la mécanisation agricole ou encore les révolutions numériques plus récentes ont toutes entraîné des vagues d’expansion en augmentant la capacité des systèmes économiques à produire et distribuer des biens à grande échelle. Ces innovations, souvent soutenues par des politiques favorisant l’ouverture des marchés, créent une dynamique de croissance qui consolide la domination des centres sur les périphéries.
La phase de déclin : saturation et instabilité[modifier | modifier le wikicode]
Cependant, cette croissance n’est pas infinie. Avec le temps, les monopoles relatifs sont érodés par la concurrence. D’autres acteurs, qu’ils soient des entreprises ou des nations, adoptent les innovations précédentes, rattrapant les leaders initiaux. Ce processus réduit les marges de profit et entraîne une saturation des marchés. Par ailleurs, les inégalités économiques et sociales qui se creusent durant la phase d’expansion finissent par générer des tensions qui ralentissent l’activité économique.
Cette phase de déclin est souvent marquée par des crises économiques et une instabilité politique accrue. Les structures existantes ne parviennent plus à soutenir une croissance soutenue, et les institutions doivent s’adapter pour répondre aux nouvelles réalités économiques. Ce déclin prépare la transition vers un nouveau cycle de Kondratieff, souvent initié par une période de bouleversements majeurs. Ces crises créent l’espace nécessaire pour l’émergence de nouvelles innovations, de nouveaux monopoles relatifs et d’une réorganisation du système économique.
Une interaction dynamique avec les cycles politiques[modifier | modifier le wikicode]
Wallerstein souligne que ces cycles économiques ne fonctionnent pas isolément, mais interagissent étroitement avec les cycles politiques et hégémoniques. Les périodes de déclin économique sont souvent associées à des transformations politiques, telles que l’effondrement des anciennes puissances hégémoniques et l’émergence de nouvelles configurations internationales. Cette interaction renforce l’idée que le système-monde capitaliste est un processus dynamique, où les crises et les transitions sont inhérentes à son fonctionnement.
Les vagues de Kondratieff illustrent la manière dont le capitalisme mondial, malgré ses crises récurrentes, parvient à se renouveler en intégrant de nouvelles innovations et en réorganisant ses structures. Toutefois, cette capacité d’adaptation a ses limites, et Wallerstein argue que les crises actuelles du système-monde pourraient marquer la fin d’un cycle plus large, voire du capitalisme lui-même.
Les cycles politiques et l’hégémonie successive des puissances mondiales[modifier | modifier le wikicode]
En complément des cycles économiques, Wallerstein propose une analyse des cycles hégémoniques, qui décrivent la succession de puissances dominantes dans le système international. Ces hégémonies se caractérisent par leur capacité à imposer temporairement un ordre économique et politique favorable à leurs intérêts. Contrairement à une domination purement militaire, ces cycles reposent avant tout sur une primauté dans l’efficacité de la production économique, combinée à une capacité à structurer les institutions internationales selon les besoins de l’hégémonie.
Chaque cycle hégémonique est précédé par une période de bouleversement majeur, souvent décrite comme une « guerre de trente ans ». Ces conflits redistribuent les rapports de force internationaux, permettant à une nouvelle puissance dominante de s’imposer en restructurant l’ordre mondial. Wallerstein identifie trois grandes périodes hégémoniques dans l’histoire du système-monde capitaliste, chacune associée à une puissance spécifique et à des transformations globales significatives.
1618-1648 : Les Provinces-Unies et la domination commerciale[modifier | modifier le wikicode]
Le premier cycle hégémonique débute avec la Guerre de Trente Ans (1618-1648), qui s’achève par le Traité de Westphalie. Ce traité marque la fin des guerres religieuses européennes et l’émergence des Provinces-Unies (Pays-Bas) comme première puissance hégémonique.
Cette hégémonie repose sur une domination commerciale et financière. Les Provinces-Unies s’imposent grâce à leur maîtrise des réseaux de commerce maritime et à leur capacité à développer des institutions financières innovantes, telles que la Banque d’Amsterdam et la première bourse moderne. En structurant un ordre mondial basé sur le commerce et la finance, elles posent les bases d’un capitalisme mondial en expansion. Cependant, cette domination reste fragile, car leur territoire limité et leur dépendance aux ressources extérieures les exposent à la concurrence des puissances émergentes.
1792-1815 : Le Royaume-Uni et la révolution industrielle[modifier | modifier le wikicode]
Le second cycle hégémonique est initié par les révolutions françaises et les guerres napoléoniennes, qui s’achèvent avec le Congrès de Vienne en 1815. Cette période marque le passage à l’hégémonie du Royaume-Uni, portée par la révolution industrielle et sa capacité à dominer les marchés mondiaux.
La puissance britannique repose sur un mélange d’innovation technologique, de maîtrise des routes maritimes et de domination coloniale. Les avancées dans des secteurs clés comme le textile, le charbon et le fer permettent au Royaume-Uni de devenir l’atelier du monde. Parallèlement, son contrôle sur des colonies stratégiques, telles que l’Inde, lui assure un accès privilégié aux matières premières et aux marchés pour ses produits manufacturés. L’ordre mondial façonné par le Royaume-Uni s’articule autour du libre-échange, favorisant l’expansion du commerce international tout en consolidant sa propre domination économique et politique.
1914-1945 : Les États-Unis et l’ère technologique[modifier | modifier le wikicode]
Le troisième cycle hégémonique émerge des bouleversements des deux Guerres mondiales, qui culminent avec les accords de Bretton Woods en 1944 et la création de l’ONU en 1945. Ces événements consacrent l’hégémonie des États-Unis, portée par une supériorité technologique, économique et culturelle.
Les États-Unis s’imposent comme la puissance hégémonique grâce à leur capacité à produire massivement et à financer la reconstruction mondiale après la Seconde Guerre mondiale. Leur monnaie, le dollar, devient la référence mondiale pour les transactions économiques, renforçant leur centralité financière. Par ailleurs, leur leadership technologique, dans des domaines tels que l’automobile, l’aéronautique et plus tard l’informatique, consolide leur position.
L’hégémonie américaine s’appuie également sur un soft power culturel, diffusant les idéaux de la démocratie libérale et du capitalisme à travers le monde. Cette domination culturelle légitime leur rôle de leader mondial, même si des contradictions internes et des rivalités émergent progressivement, annonçant le déclin de leur hégémonie.
La dynamique cyclique du pouvoir mondial[modifier | modifier le wikicode]
Les cycles hégémoniques décrits par Wallerstein illustrent la manière dont les puissances dominantes restructurent le système international selon leurs besoins économiques et politiques. Cependant, ces cycles ne sont pas éternels : chaque hégémonie est progressivement érodée par la montée en puissance de nouvelles nations et par les contradictions internes au système. Wallerstein argumente que nous sommes actuellement à la fin du cycle hégémonique des États-Unis et du système-monde capitaliste lui-même. La transition vers un nouveau système reste incertaine, mais il souligne la nécessité d’une réflexion collective pour éviter la reproduction des inégalités structurelles.
L’ordre institutionnel hégémonique[modifier | modifier le wikicode]
Dans l’analyse de Wallerstein, chaque puissance hégémonique ne se contente pas de dominer par sa supériorité économique ou technologique ; elle établit également un ordre institutionnel international qui consolide et légitime sa domination. Cet ordre favorise ses intérêts tout en structurant les relations économiques, politiques et sociales à l’échelle mondiale. Loin d’être neutre, il reflète les priorités et les stratégies de la puissance dominante, qui façonne les institutions internationales et les règles du jeu global pour maintenir son avantage. Wallerstein identifie trois principaux mécanismes par lesquels une hégémonie exerce son pouvoir et structure cet ordre institutionnel.
L’ouverture sélective des marchés[modifier | modifier le wikicode]
Une puissance hégémonique contrôle l’ouverture et la fermeture des marchés mondiaux en fonction de ses intérêts stratégiques. Dans les domaines où elle est compétitive, elle favorise l’ouverture des marchés sous le prétexte de promouvoir le libre-échange. Cette ouverture permet aux entreprises et aux produits de l’hégémonie de dominer les marchés étrangers, maximisant ainsi les profits et renforçant son avantage économique. En revanche, lorsque la concurrence extérieure menace ses industries nationales ou stratégiques, la puissance hégémonique n’hésite pas à imposer des barrières protectionnistes, fermant temporairement ou partiellement ses marchés pour préserver sa supériorité.
Par exemple, pendant l’hégémonie britannique au XIXe siècle, le Royaume-Uni a promu le libre-échange pour exporter ses produits manufacturés tout en imposant des barrières tarifaires sur les importations susceptibles de concurrencer son industrie. De même, l’hégémonie américaine au XXe siècle a utilisé des accords commerciaux comme des outils stratégiques, ouvrant certains marchés tout en fermant d’autres, pour maintenir son avantage.
Le contrôle des flux financiers mondiaux[modifier | modifier le wikicode]
Un autre mécanisme essentiel de l’ordre institutionnel hégémonique est le contrôle des flux économiques et financiers mondiaux. Les puissances hégémoniques imposent leur monnaie comme référence pour les transactions internationales, renforçant leur centralité économique et facilitant le développement du capitalisme financier. Cela leur permet de tirer des avantages structurels : les échanges mondiaux se font dans leur monnaie, ce qui leur offre une flexibilité financière et des revenus supplémentaires via la demande mondiale de leur devise.
Par exemple, les Provinces-Unies ont imposé le gulden comme monnaie dominante au XVIIe siècle, suivies par la livre sterling sous l’hégémonie britannique au XIXe siècle, puis par le dollar américain au XXe siècle. Ce contrôle monétaire permet aux puissances hégémoniques de financer leurs propres ambitions économiques et politiques tout en consolidant leur rôle central dans l’économie mondiale. Les institutions financières internationales, telles que le FMI ou la Banque mondiale sous l’hégémonie américaine, deviennent des instruments pour perpétuer cet avantage.
L’implication asymétrique dans la politique internationale[modifier | modifier le wikicode]
Les puissances hégémoniques s’impliquent activement dans les affaires politiques des autres États pour protéger leurs intérêts, tout en limitant leur propre vulnérabilité aux influences extérieures. Cette implication asymétrique leur permet de maintenir un contrôle indirect sur les autres nations, souvent sous couvert de stabilisation ou de promotion de valeurs universelles comme la démocratie ou les droits de l’homme.
Ce mécanisme s’appuie sur des interventions économiques, politiques et parfois militaires pour préserver leur hégémonie. Par exemple, les États-Unis, durant leur période hégémonique, ont régulièrement intervenu en Amérique latine, en Asie ou au Moyen-Orient pour protéger leurs intérêts économiques et stratégiques, tout en minimisant l’influence étrangère sur leur propre territoire. Cette asymétrie garantit que les décisions politiques et économiques globales restent alignées avec les priorités de l’hégémonie. Une hégémonie façonnant l’ordre mondial En combinant ces trois mécanismes, une puissance hégémonique ne se limite pas à une domination économique ou militaire : elle restructure le système international pour garantir sa centralité. Cet ordre institutionnel n’est cependant pas immuable. Avec le temps, les contradictions internes de l’hégémonie et l’émergence de concurrents affaiblissent cet ordre, préparant la transition vers un nouveau cycle hégémonique. Wallerstein souligne que cette dynamique cyclique est inhérente au système-monde capitaliste et qu’elle reflète les tensions entre les forces économiques, politiques et sociales.
Les moyens de l’hégémonie et leurs contradictions internes[modifier | modifier le wikicode]
Pour exercer son contrôle et maintenir son rôle dominant, une puissance hégémonique mobilise trois moyens principaux : la force, les alliances et la persuasion idéologique. Ces instruments, bien qu’efficaces à court terme, contiennent des contradictions internes qui finissent par affaiblir l’hégémonie. Ces tensions internes, combinées à l’érosion des avantages économiques, précipitent le déclin des cycles hégémoniques et amorcent la transition vers de nouvelles configurations politico-économiques.
L’usage de la force : un outil coûteux et limité[modifier | modifier le wikicode]
L’usage de la force, qu’elle soit militaire ou économique, est un outil direct pour imposer la domination d’une puissance hégémonique. Cette coercition permet de neutraliser les opposants et de protéger les intérêts stratégiques. Par exemple, les interventions militaires des États-Unis au XXe siècle (Vietnam, Irak) ou l’utilisation de sanctions économiques contre des nations rivales illustrent cette stratégie.
Cependant, l’usage excessif de la force comporte des coûts élevés, tant sur le plan matériel que symbolique. Les interventions militaires drainent les ressources financières et humaines, tandis que leur répétition délégitime la puissance hégémonique aux yeux de la communauté internationale et de ses propres citoyens. Ce processus d’usure fragilise l’hégémonie, d’autant plus que les nations visées par la coercition développent souvent des stratégies de contournement ou de résistance, accentuant encore la pression sur la puissance dominante.
Les alliances : des partenaires devenant concurrents[modifier | modifier le wikicode]
Les alliances sont un moyen crucial pour consolider une hégémonie. Elles permettent de répartir les responsabilités, de renforcer les réseaux d’influence et de garantir un soutien international aux initiatives de la puissance dominante. Par exemple, les États-Unis ont utilisé des alliances comme l’OTAN pour projeter leur influence en Europe et contenir l’Union soviétique pendant la guerre froide.
Toutefois, ces alliances ne sont pas exemptes de contradictions. En renforçant leurs partenaires, les puissances hégémoniques contribuent souvent à autonomiser leurs alliés, qui peuvent alors remettre en question l’ordre établi ou chercher à rivaliser avec l’hégémonie. Ce phénomène est particulièrement visible dans l’évolution de l’Union européenne, qui, bien qu’initialement soutenue par les États-Unis, a progressivement affirmé son indépendance économique et politique. À terme, ces alliances finissent par diluer la puissance relative de l’hégémonie, affaiblissant sa position dominante.
La persuasion idéologique et le déclin des idées dominantes[modifier | modifier le wikicode]
La persuasion idéologique joue un rôle central dans la légitimation de l’hégémonie. En diffusant des idéaux et des valeurs universels, comme la liberté, la démocratie ou le libre-échange, la puissance hégémonique cherche à présenter son ordre comme naturel et bénéfique pour tous. Les États-Unis, par exemple, ont largement utilisé les idéaux de démocratie libérale et de capitalisme pour consolider leur hégémonie au XXe siècle.
Cependant, les idéologies dominantes perdent progressivement leur pouvoir mobilisateur, notamment lorsqu’elles ne parviennent plus à masquer les contradictions internes du système. Lorsque les promesses d’égalité ou de prospérité universelle ne se concrétisent pas, les populations et les nations subordonnées remettent en question la légitimité de l’ordre établi. Ce déclin idéologique affaiblit la capacité de l’hégémonie à maintenir son contrôle sans recourir à des moyens coercitifs ou économiques, accentuant ainsi son déclin.
Un processus inévitable de déclin hégémonique[modifier | modifier le wikicode]
Les contradictions inhérentes aux moyens d’hégémonie s’intensifient à mesure que les ressources économiques et politiques de la puissance dominante s’épuisent. L’usage excessif de la force, l’autonomisation des alliés et l’érosion des idéologies affaiblissent la capacité de l’hégémonie à maintenir son ordre. Combinées à l’érosion des monopoles économiques et à la montée en puissance de nouveaux concurrents, ces tensions marquent la fin d’un cycle hégémonique et le début d’un nouveau cycle politico-économique.
Wallerstein soutient que ces transitions ne sont pas simplement des crises passagères, mais des manifestations structurelles de la dynamique cyclique du système-monde capitaliste. Chaque hégémonie porte en elle les germes de son propre déclin, préparant l’émergence d’un nouvel ordre mondial qui, à son tour, sera soumis aux mêmes tensions et contradictions.
À l’aube de la fin du système-monde capitaliste[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein soutient que le système-monde capitaliste est entré dans une phase terminale, marquée par des crises économiques récurrentes, des tensions politiques croissantes et des inégalités globales toujours plus profondes. Ces symptômes, loin d’être des perturbations temporaires, reflètent selon lui l’épuisement structurel de ce mode de production. Après plusieurs siècles de domination, le capitalisme mondial semble incapable de surmonter les contradictions internes qui ont permis son expansion mais qui menacent désormais son existence.
Les crises économiques récurrentes, telles que les crises financières de 2008 ou les déséquilibres systémiques liés à la mondialisation, illustrent l’incapacité du capitalisme à maintenir une croissance soutenue sans générer d’importantes inégalités. Les mécanismes d’accumulation du capital, fondés sur l’exploitation des travailleurs et des périphéries, se heurtent aux limites environnementales, sociales et économiques du système. Ces tensions s’accompagnent de bouleversements politiques, tels que la montée des populismes ou le recul des institutions internationales, qui témoignent d’un affaiblissement de l’ordre libéral établi.
Contrairement à Karl Marx, qui prévoyait le remplacement inévitable du capitalisme par le socialisme, Wallerstein n’offre pas une vision claire de ce qui émergera après la fin du système-monde capitaliste. Il rejette les prédictions déterministes et insiste sur la complexité et l’imprévisibilité des transitions historiques. Pour lui, la période actuelle est une bifurcation, où de multiples scénarios sont possibles. Le nouvel ordre mondial qui émergera dépendra des choix collectifs et des forces sociales qui influenceront cette transition.
Wallerstein souligne que la situation actuelle est sans précédent dans l’histoire du système-monde. Si la fin de chaque cycle hégémonique a été accompagnée de bouleversements majeurs, la crise actuelle diffère par son échelle mondiale et la profondeur des tensions qu’elle engendre. Les précédentes transitions hégémoniques — des Provinces-Unies au Royaume-Uni, puis aux États-Unis — ont toujours permis au capitalisme de se réorganiser et de poursuivre son expansion. Cependant, la phase terminale actuelle du système semble remettre en question les fondements mêmes du capitalisme, notamment en raison des limites environnementales, des déséquilibres démographiques et des défis technologiques.
Historiquement, le capitalisme a démontré une capacité remarquable à absorber les forces contestataires et à intégrer les opposants dans ses structures. Les mouvements sociaux, les revendications nationalistes ou les crises idéologiques ont souvent été neutralisés par des concessions partielles ou par la création de nouvelles institutions compatibles avec le système. Mais cette capacité d’adaptation semble désormais atteinte, car les contradictions structurelles du capitalisme touchent l’ensemble de ses dimensions : économique, sociale, politique et environnementale.
Wallerstein appelle à une réflexion collective pour influencer cette transition. Contrairement à une évolution naturelle ou déterminée, il insiste sur le rôle des choix humains dans la création d’un nouvel ordre mondial. La fin du capitalisme ne garantit pas l’émergence d’un système plus juste ; elle pourrait également donner lieu à un ordre encore plus inégalitaire ou autoritaire si les forces progressistes ne parviennent pas à imposer leurs visions. Il s’agit, selon lui, d’une opportunité historique pour construire un système plus démocratique et égalitaire, capable de dépasser les injustices structurelles héritées du capitalisme.
Wallerstein ne propose pas de modèle unique ou d’idéologie spécifique pour guider cette transition. Au lieu de cela, il encourage une pluralité de perspectives et une mobilisation mondiale pour repenser les fondements des relations économiques et sociales. Ce processus, bien qu’incertain et conflictuel, offre une chance unique de transformer le système-monde dans une direction plus inclusive et durable.
La fin du système-monde capitaliste, telle que décrite par Wallerstein, n’est pas une simple conclusion, mais un tournant historique. Elle ouvre un espace pour l’innovation sociale et politique, mais également pour de nouvelles formes de domination et d’exclusion. Ce moment de crise constitue un appel à l’action, une invitation à imaginer et à construire un avenir qui ne reproduise pas les inégalités du passé. Si la fin du capitalisme semble inévitable, l’avenir reste à écrire, et le défi est de taille : créer un système qui réponde aux besoins humains tout en respectant les limites écologiques et en assurant une justice sociale à l’échelle mondial
Les raisons d’un changement systémique[modifier | modifier le wikicode]
Trois piliers du système actuel et leurs contradictions[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein analyse le fonctionnement du système-monde capitaliste comme dépendant de trois piliers fondamentaux, chacun étant essentiel à la stabilité et à la reproduction du système. Ces phénomènes internationaux forment la base sur laquelle repose l’ordre capitaliste mondial, mais ils sont aujourd’hui confrontés à des contradictions structurelles qui menacent sa pérennité.
Un système inter-étatique : stabilité et cycles hégémoniques[modifier | modifier le wikicode]
Le système-monde capitaliste repose en grande partie sur l’existence d’un système inter-étatique stable, organisé autour de cycles hégémoniques. Ces cycles, qui se succèdent dans le temps, sont définis par la domination temporaire de puissances économiques et politiques capables d’imposer leur vision et leurs règles au système international. Ces hégémonies successives — des Provinces-Unies au XVIIe siècle au Royaume-Uni au XIXe siècle, puis aux États-Unis au XXe siècle — assurent une certaine cohérence au niveau international, en structurant les relations économiques et politiques dans un cadre favorable à la reproduction du capitalisme.
Les puissances hégémoniques jouent un rôle crucial dans la régulation des conflits internationaux et dans l’imposition de normes et de pratiques économiques qui favorisent leur propre domination tout en stabilisant le système dans son ensemble. Par exemple, le Royaume-Uni, lors de son hégémonie au XIXe siècle, a promu le libre-échange comme principe économique universel, facilitant l’intégration des marchés mondiaux sous son contrôle. De manière similaire, les États-Unis, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont structuré l’économie mondiale autour du dollar et d’institutions telles que le FMI et la Banque mondiale, consolidant ainsi leur centralité dans le système international.
Cette régulation par les puissances hégémoniques ne se limite pas à l’économie. Elle inclut également des aspects politiques et militaires, tels que la prévention des conflits majeurs entre puissances rivales. Par exemple, les alliances comme l’OTAN, créées sous l’hégémonie américaine, ont contribué à limiter les tensions entre les puissances occidentales tout en garantissant l’ordre établi.
Cependant, cette stabilité, bien qu’apparente, est intrinsèquement cyclique et temporaire. Chaque hégémonie finit par décliner, un processus inévitable en raison des contradictions internes du système et de la montée en puissance de nouveaux acteurs. Par exemple :
- Les Provinces-Unies ont vu leur influence diminuer au XVIIIe siècle face à la montée du Royaume-Uni et de la France.
- Le Royaume-Uni, bien qu’hégémonique au XIXe siècle, a progressivement perdu son rôle de leader mondial face à la montée économique et industrielle des États-Unis et de l’Allemagne.
- Aujourd’hui, l’hégémonie des États-Unis, qui a structuré l’ordre mondial depuis 1945, montre des signes de déclin. La concurrence économique de la Chine, les tensions géopolitiques croissantes et les crises internes américaines affaiblissent leur capacité à maintenir leur rôle central dans le système international.
Le déclin de l’hégémonie américaine laisse présager une période d’instabilité accrue, caractéristique des transitions entre cycles hégémoniques. Historiquement, ces périodes de transition ont souvent été marquées par des conflits majeurs ou des bouleversements institutionnels. Par exemple, la fin de l’hégémonie britannique au début du XXe siècle a coïncidé avec deux guerres mondiales et une crise économique majeure.
Aujourd’hui, cette instabilité est exacerbée par la mondialisation, qui a complexifié les interdépendances entre nations, et par des défis globaux tels que le changement climatique, les inégalités croissantes et les crises migratoires. L’incapacité des États-Unis à maintenir un leadership clair dans ces domaines pourrait ouvrir la voie à une fragmentation accrue du système inter-étatique, ou à l’émergence d’un nouvel acteur hégémonique, tel que la Chine, ou d’une configuration multipolaire.
L’instabilité actuelle du système inter-étatique révèle les limites d’un modèle basé sur des cycles hégémoniques successifs. Alors que ces cycles ont historiquement permis de stabiliser et de prolonger le capitalisme mondial, les contradictions internes et les tensions externes semblent aujourd’hui atteindre un seuil critique. Pour Wallerstein, cette situation est le signe que le système-monde capitaliste approche de sa phase terminale, et que la transition qui s’annonce pourrait redéfinir profondément les relations internationales et les structures économiques mondiales.
Un système de production mondial basé sur les cycles de monopoles[modifier | modifier le wikicode]
Le deuxième pilier fondamental du système-monde capitaliste repose sur un système mondial de production structuré autour des cycles de monopoles, décrits par les vagues de Kondratieff. Ces cycles économiques, d’une durée moyenne de 50 à 60 ans, alternent entre des phases d’expansion et des phases de déclin, reflétant les dynamiques inhérentes au capitalisme mondial.
Pendant les phases d’expansion, le capitalisme mondial est marqué par l’émergence de monopoles relatifs, généralement dus à des innovations technologiques, organisationnelles ou infrastructurelles. Ces monopoles permettent à certaines entreprises, industries ou nations de dominer temporairement les marchés globaux, générant ainsi des profits considérables.
Ces monopoles, soutenus par l’ouverture sélective des marchés et par des cadres institutionnels favorables, assurent la dynamique d’accumulation du capital. Les innovations technologiques, telles que la révolution industrielle au XIXe siècle, l’émergence de l’automobile ou l’essor des technologies numériques, illustrent ces phases d’expansion. Ces innovations renforcent également la domination des centres sur les périphéries, où les ressources et la main-d’œuvre sont exploitées pour maximiser les bénéfices des grandes puissances économiques.
Cependant, les monopoles relatifs sont par nature temporaires, car ils attirent la concurrence d’autres acteurs économiques, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Au fil du temps, cette concurrence érode les avantages initiaux des monopoles, provoquant une saturation des marchés et une diminution des profits. Cette transition marque le début d’une phase de déclin, souvent caractérisée par des crises économiques, une instabilité financière et un ralentissement de la croissance.
Ces phases de déclin ne se limitent pas aux entreprises : elles affectent l’ensemble du système mondial. Les inégalités économiques croissantes, la montée des tensions sociales et les déséquilibres commerciaux exacerbent les contradictions internes du capitalisme, rendant nécessaires des ajustements majeurs ou des transformations systémiques.
Aujourd’hui, les limites de ce modèle basé sur les cycles de monopoles deviennent de plus en plus visibles. Plusieurs facteurs structurels remettent en cause la viabilité des cycles d’expansion économique :
- Épuisement des ressources naturelles : L’exploitation intensive des ressources, particulièrement dans les périphéries, atteint des niveaux insoutenables, menaçant à la fois les écosystèmes et la stabilité économique.
- Tensions liées à la mondialisation : La délocalisation de la production vers les périphéries a accru les disparités entre le Nord et le Sud, tout en créant des dépendances économiques qui fragilisent l’ensemble du système.
- Inégalités croissantes : Les bénéfices des phases d’expansion se concentrent principalement dans les centres capitalistes, creusant les écarts de richesse au sein des nations et entre elles. Ces inégalités alimentent des tensions sociales et politiques, limitant la cohésion nécessaire au fonctionnement du système.
Ces crises économiques récurrentes, associées à une instabilité politique croissante, mettent en lumière les contradictions structurelles du système-monde capitaliste. Si les cycles de Kondratieff ont permis au capitalisme de se renouveler par le passé, la convergence des crises environnementales, économiques et sociales laisse entrevoir une crise terminale, où le système semble incapable de surmonter ses contradictions.
Le système mondial de production fondé sur les cycles de monopoles a historiquement assuré la dynamique d’expansion du capitalisme en permettant une accumulation continue du capital. Cependant, les contradictions internes de ce modèle atteignent aujourd’hui un point critique, menaçant sa viabilité à long terme. Wallerstein voit dans ces limites contemporaines un signal que le système-monde capitaliste est entré dans une phase de transition, marquée par l’incertitude et les bouleversements, et nécessitant une réflexion sur les alternatives possibles.
La cohésion interne des États souverains : suprématie nationale et raciale[modifier | modifier le wikicode]
Le troisième pilier du système-monde capitaliste repose sur la cohésion interne des États souverains, assurée par des idéologies de supériorité nationale et raciale. Ces idéologies jouent un rôle central dans la légitimation des structures étatiques et dans leur capacité à mobiliser les populations en faveur de l’ordre capitaliste. Elles créent un sentiment d’unité nationale et un cadre idéologique qui justifient les inégalités économiques et sociales, tout en orientant les frustrations populaires vers des ennemis extérieurs ou des groupes marginalisés, plutôt que vers les élites économiques.
Wallerstein identifie trois grandes formes de capitalisme, adaptées aux contextes culturels, historiques et géopolitiques des États, mais partageant un objectif commun : assurer la stabilité interne tout en préservant l’accumulation du capital.
- Le capitalisme social en Europe: En Europe, la cohésion interne repose sur l’instauration d’un État-providence, conçu pour garantir un filet de sécurité sociale. Ce modèle, qui s’est développé après la Seconde Guerre mondiale, vise à neutraliser les forces contestataires en répondant aux besoins essentiels des citoyens (santé, éducation, retraites). Tout en offrant un certain niveau de redistribution, il maintient la logique capitaliste en protégeant les mécanismes d’accumulation du capital. Cette approche combine prospérité relative pour les classes moyennes et légitimité idéologique des élites.
- Le capitalisme libertaire dans le monde anglo-saxon: Dans les pays anglo-saxons, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, le capitalisme est marqué par un accent sur les libertés individuelles et un rôle minimal de l’État dans l’économie. Ce modèle repose sur une faible régulation et une responsabilité individuelle accrue, souvent au détriment des filets de sécurité sociale. Il valorise la réussite individuelle, tout en masquant les inégalités structurelles par un discours idéologique centré sur le mérite et l’entrepreneuriat. Ce modèle est particulièrement efficace pour légitimer les disparités économiques, bien qu’il accentue les tensions sociales dans les périodes de crise.
- Le capitalisme autoritaire en Chine: En Chine, le capitalisme prend la forme d’un système autoritaire, où un contrôle étatique fort coexiste avec des mécanismes de marché. Ce modèle permet une croissance rapide et centralisée, tout en limitant la contestation politique. L’État chinois joue un rôle actif dans la gestion des ressources, des infrastructures et de l’innovation technologique, garantissant ainsi une stabilité interne tout en participant à l’expansion du capitalisme mondial. Cependant, ce modèle repose sur une surveillance accrue et une répression des mouvements sociaux, renforçant une légitimité basée sur la performance économique plutôt que sur des idéaux démocratiques.
Indépendamment de leur forme spécifique, ces systèmes internes neutralisent les forces contestataires en légitimant les inégalités par des idéologies nationalistes et raciales. Ces idéologies encouragent les populations à s’identifier à des constructions culturelles ou ethniques, détournant leur attention des injustices économiques. Par exemple, le patriotisme populaire ou les discours sur la supériorité culturelle sont souvent mobilisés pour justifier des politiques économiques ou des interventions militaires favorisant les intérêts des élites.
De plus, ces idéologies sont utilisées pour justifier l’exploitation des périphéries par les centres. Les populations des périphéries sont souvent présentées comme inférieures ou incapables de se développer sans l’aide des centres, renforçant ainsi les logiques coloniales ou néocoloniales sous des formes modernisées.
Cependant, cette cohésion interne est aujourd’hui confrontée à des tensions croissantes. Les contestations sociales, alimentées par les inégalités économiques et les crises environnementales, fragilisent la légitimité des États. Les promesses de stabilité et de prospérité, qui ont permis de contenir les oppositions par le passé, apparaissent de moins en moins crédibles face aux défis globaux tels que :
- La montée des inégalités au sein des nations et entre elles.
- Les effets du changement climatique, qui exacerbent les tensions sociales et migratoires.
- Les crises politiques, souvent marquées par une polarisation accrue et une perte de confiance dans les institutions.
Ces fragilités rendent les systèmes internes des États souverains de plus en plus vulnérables, limitant leur capacité à maintenir la cohésion nécessaire au fonctionnement de l’ordre capitaliste mondial.
Contradictions actuelles : un système au bord de l’effondrement[modifier | modifier le wikicode]
Immanuel Wallerstein identifie une contradiction fondamentale au sein du système-monde capitaliste, découlant de tendances séculaires qui contredisent les principes mêmes de son fonctionnement. Contrairement aux crises cycliques passées, ces contradictions actuelles sont structurelles et globales, remettant en question la viabilité de l’ordre économique, social et politique sur lequel repose le capitalisme mondial. Ces tensions, amplifiées par des crises interconnectées, suggèrent que le système est entré dans une phase terminale, marquée par des incertitudes profondes sur l’avenir.
L’une des manifestations les plus évidentes de ces contradictions est la récurrence des crises économiques, qui témoignent de l’épuisement des mécanismes traditionnels d’accumulation du capital. La saturation des marchés, l’érosion des monopoles relatifs et la montée des inégalités limitent la capacité du système à générer une croissance soutenue. Les crises financières de 2008, par exemple, ont révélé les faiblesses systémiques d’un modèle économique basé sur la dérégulation, la spéculation et l’endettement. Ces crises, loin d’être des anomalies, sont devenues des caractéristiques structurelles du capitalisme tardif.
Le capitalisme mondial repose sur une exploitation intensive des ressources naturelles, souvent concentrées dans les périphéries. Cependant, cette logique extractiviste atteint aujourd’hui ses limites. L’épuisement des ressources naturelles essentielles, telles que l’eau, les minerais ou les énergies fossiles, remet en question la durabilité des cycles de production.
Parallèlement, le changement climatique exacerbe ces tensions en créant des pressions supplémentaires sur les écosystèmes et les populations. Les catastrophes environnementales, les migrations climatiques et la destruction des infrastructures vitales illustrent l’incapacité du système à intégrer les limites planétaires dans ses mécanismes de fonctionnement. Cette crise écologique, indissociable de la crise économique, représente une menace existentielle pour le système-monde capitaliste.
La cohésion interne des États, autrefois assurée par des idéologies nationalistes ou raciales, s’affaiblit face à la montée des contestations sociales, des inégalités croissantes et des divisions politiques. Les promesses de stabilité et de prospérité, qui ont légitimé l’ordre capitaliste pendant des décennies, apparaissent de moins en moins crédibles pour de larges segments de la population.
Cette érosion de la cohésion nationale est aggravée par des phénomènes comme la polarisation politique, la montée des populismes et le recul des institutions démocratiques. Dans ce contexte, les États peinent à maintenir leur légitimité tout en naviguant dans un environnement mondial marqué par des crises interconnectées. Les tensions sociales, combinées à une fragmentation politique, augmentent le risque de désordres internes et d’instabilité internationale.
Wallerstein insiste sur le caractère unique de cette transition historique, où les contradictions du système atteignent un point critique. Contrairement aux crises cycliques passées, qui ont permis au capitalisme de se renouveler, les tensions actuelles touchent à ses fondements mêmes. La saturation des marchés, l’épuisement des ressources, l’instabilité sociale et la crise environnementale convergent pour créer une situation où le système ne semble plus capable de se reproduire.
Cependant, cette période de crise offre également des opportunités pour repenser les bases de l’ordre mondial. Wallerstein souligne que l’avenir n’est pas déterminé : le système qui succédera au capitalisme dépendra des choix collectifs faits durant cette transition. Si aucune action concertée n’est entreprise, le système pourrait évoluer vers une forme encore plus inégalitaire et autoritaire, où les élites renforceraient leur contrôle sur des populations de plus en plus marginalisées.
En revanche, une mobilisation collective, portée par des mouvements sociaux, des acteurs politiques et des organisations internationales, pourrait orienter cette transition vers un système plus juste, démocratique et durable. Cette transformation nécessitera de remettre en question les logiques de profit, d’exploitation et de domination qui ont structuré le capitalisme mondial, tout en inventant de nouvelles formes de coopération et de solidarité à l’échelle planétaire.
Les contradictions actuelles du système-monde capitaliste ne sont pas simplement des crises à surmonter, mais des symptômes d’un ordre en déclin. Wallerstein voit dans cette phase terminale une opportunité unique pour redéfinir les relations économiques, sociales et environnementales à l’échelle mondiale. Cependant, il avertit que cette transition est incertaine et périlleuse : elle pourrait aussi bien conduire à une nouvelle ère de progrès qu’à un renforcement des inégalités et des tensions globales. L’avenir du système, selon lui, reste ouvert, mais il dépendra largement des actions entreprises dans les décennies à venir.
Un système à bout de souffle[modifier | modifier le wikicode]
Depuis plusieurs siècles, le capitalisme mondial a réussi à se maintenir grâce à une combinaison de trois piliers fondamentaux : un ordre inter-étatique cyclique, un système mondial de production fondé sur des monopoles et une cohésion nationale basée sur des idéologies exclusives. Ces trois phénomènes ont permis au capitalisme de surmonter ses crises, de s’adapter et de se renouveler. Cependant, les contradictions inhérentes à ces dynamiques convergent aujourd’hui pour produire une crise systémique d’une ampleur sans précédent.
Historiquement, les cycles hégémoniques ont fourni une certaine stabilité au système-monde capitaliste, en permettant à des puissances dominantes d’imposer des cadres institutionnels et économiques favorables à la reproduction du capitalisme. Cependant, le déclin de l’hégémonie américaine, combiné à l’absence d’un successeur clair, plonge le système inter-étatique dans une phase d’instabilité croissante. Cette transition expose les fragilités du système mondial, où les rivalités géopolitiques et les déséquilibres de pouvoir risquent de mener à des conflits prolongés.
Le capitalisme mondial a été porté par des cycles d’innovation et de monopoles relatifs, décrits par les vagues de Kondratieff. Ces cycles, bien qu’efficaces pour générer des périodes d’expansion, atteignent aujourd’hui leurs limites. La saturation des marchés, l’épuisement des ressources naturelles et la montée des inégalités remettent en question la capacité du système à renouveler ses mécanismes d’accumulation. Les crises économiques et financières répétées témoignent de la difficulté croissante du capitalisme à maintenir une croissance soutenue sans aggraver les déséquilibres globaux.
Les idéologies nationales et raciales, qui ont servi à légitimer les États souverains et à détourner les tensions sociales, montrent leurs limites face à des sociétés de plus en plus fragmentées. Les inégalités croissantes, les tensions sociales et les défis globaux, tels que le changement climatique et les crises migratoires, affaiblissent la capacité des États à maintenir une cohésion interne. Ces tensions internes limitent leur efficacité dans un contexte mondial déjà marqué par une instabilité croissante.
La convergence de ces contradictions crée une situation où le système-monde capitaliste semble à bout de souffle. Les mécanismes qui ont permis au capitalisme de se reproduire par le passé sont aujourd’hui inopérants face à des défis d’une complexité et d’une ampleur inédites. Wallerstein soutient que cette crise systémique ne peut être surmontée par de simples ajustements ou réformes : elle marque une transition historique vers un nouvel ordre mondial.
Contrairement aux transitions précédentes, où le capitalisme a réussi à se réinventer tout en perpétuant ses structures fondamentales, la crise actuelle remet en cause les fondements mêmes du système. La question n’est plus de savoir "si" le capitalisme prendra fin, mais "quand" et surtout "comment". La transition en cours n’est pas un processus automatique : elle dépendra des forces sociales et politiques qui façonneront l’après-capitalisme.
Wallerstein avertit que cette transition offre à la fois des risques et des opportunités. Si rien n’est fait, le système qui émergera pourrait être encore plus inégalitaire et autoritaire, où les élites renforceraient leur contrôle sur des populations marginalisées. En revanche, une mobilisation collective pourrait orienter cette transition vers un ordre plus juste, démocratique et durable.
Cette période de crise systémique est donc un moment décisif pour l’humanité, où les choix collectifs détermineront non seulement la nature du système qui succédera au capitalisme, mais également la direction globale que prendra la civilisation mondiale.
Le capitalisme mondial, autrefois capable de surmonter ses crises et de se renouveler, est aujourd’hui confronté à une convergence de contradictions structurelles qui mettent en lumière son épuisement. Selon Wallerstein, la transition actuelle n’est pas une fin en soi, mais un tournant historique où les enjeux sont considérables. Plus qu’une simple question de temporalité, c’est une interrogation sur la direction que prendra le futur système : reproduira-t-il les inégalités du passé ou ouvrira-t-il la voie à un ordre plus équitable et solidaire ?
Une structure inter-étatique menacée par sept tendances[modifier | modifier le wikicode]
Wallerstein met en lumière sept tendances majeures qui affaiblissent la structure inter-étatique du système-monde capitaliste, rendant improbable sa survie à long terme. Ces dynamiques, profondément enracinées dans les contradictions du capitalisme mondial, remettent en question non seulement l’ordre économique, mais aussi les bases politiques et sociales qui ont soutenu ce système pendant des siècles.
La polarisation économique et les pressions migratoires[modifier | modifier le wikicode]
Le développement capitaliste repose sur une polarisation structurelle entre les centres et les périphéries, une dynamique qui génère des inégalités économiques et sociales croissantes. Cette polarisation, inhérente au système-monde capitaliste, se manifeste par une concentration des richesses, des ressources et du pouvoir dans les centres (principalement les pays développés) au détriment des périphéries (les pays en développement ou appauvris).
Avec la mondialisation, cette dynamique s’est intensifiée. Les centres profitent des flux commerciaux et financiers mondiaux pour consolider leur domination économique, tandis que les périphéries sont souvent réduites à des rôles subordonnés, comme l’exportation de matières premières ou la fourniture de main-d’œuvre bon marché. Ces disparités internationales se reflètent également à l’échelle nationale, où la concentration de la richesse dans les mains d’une élite économique accentue les inégalités internes.
Les inégalités économiques s’accompagnent de fractures sociales, qui se manifestent par des disparités d’accès à l’éducation, à la santé, et à d’autres services essentiels. Ces fractures ne sont pas seulement économiques : elles nourrissent des tensions ethniques, culturelles et politiques, exacerbant les divisions au sein des sociétés.
Ces inégalités alimentent des pressions migratoires croissantes, en particulier de la périphérie vers les centres. Les populations des régions appauvries, confrontées à la pauvreté, à des conflits armés ou à des catastrophes environnementales, cherchent à rejoindre les centres où elles espèrent trouver de meilleures opportunités économiques, une sécurité accrue et un accès aux services de base.
Cependant, ces flux migratoires déclenchent des réactions hostiles dans les pays d’accueil. Les migrants sont souvent perçus comme une menace pour les emplois, les ressources publiques et la culture nationale, alimentant ainsi la montée des nationalismes et des discours anti-immigration. Ces tensions politiques fragilisent la cohésion des États, accentuant les divisions internes et limitant leur capacité à gérer ces flux de manière constructive.
La polarisation économique et sociale n’est pas simplement une conséquence de la mondialisation, mais une caractéristique structurelle du capitalisme mondial. Ce modèle repose sur une exploitation des périphéries qui ne peut être maintenue sans exacerber les inégalités et les tensions associées. Les migrations, loin d’être un phénomène isolé, sont une réponse directe aux déséquilibres globaux créés par le système capitaliste.
En fin de compte, cette dynamique menace non seulement la stabilité des États, mais aussi la viabilité du système-monde lui-même. Les tensions entre centres et périphéries, ainsi que les divisions internes au sein des nations, illustrent les contradictions fondamentales du capitalisme mondial, qui atteint ses limites à la fois économiques et sociales.
La polarisation économique et sociale, exacerbée par les migrations, souligne les failles profondes du capitalisme mondial. Wallerstein voit dans cette dynamique un exemple clair des contradictions structurelles du système : un modèle qui produit simultanément richesse et exclusion, prospérité pour certains et marginalisation pour d’autres. À mesure que les inégalités s’accentuent et que les tensions migratoires s’intensifient, le système-monde capitaliste est confronté à des défis de plus en plus difficiles à surmonter.
L’urbanisation et la marginalisation croissante[modifier | modifier le wikicode]
L’urbanisation croissante, conséquence directe du développement économique et de la modernisation, a transformé les centres urbains en moteurs du capitalisme mondial. Cependant, ce processus s’accompagne de l’émergence de vastes populations marginalisées, piégées dans des zones urbaines surpeuplées où les opportunités économiques et sociales leur restent inaccessibles. Cette marginalisation met en lumière les contradictions structurelles du système-monde capitaliste et constitue une source croissante de tensions et de conflits sociaux.
Les grandes métropoles attirent chaque année des millions de personnes issues des zones rurales ou des périphéries économiques, dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie. Cependant, cette migration interne et internationale entraîne une croissance désordonnée des villes, avec l’apparition de bidonvilles, de logements insalubres et de zones marginalisées. Ces espaces urbains, souvent caractérisés par une densité extrême et un manque d’infrastructures de base (eau potable, électricité, éducation, santé), reflètent les inégalités profondes qui structurent l’urbanisation sous le capitalisme.
Les populations marginalisées, exclues des mécanismes économiques dominants, sont souvent cantonnées à des emplois précaires ou informels, sans sécurité sociale ni protection juridique. Cette exclusion limite leur intégration dans les circuits de consommation et de production, réduisant leur rôle au sein du système économique et alimentant un cycle de pauvreté urbaine.
La marginalisation urbaine constitue une source majeure de tensions sociales. Dans les centres urbains, la juxtaposition de quartiers riches et pauvres crée un contraste saisissant entre opulence et misère, alimentant le ressentiment et les frustrations. Cette situation est exacerbée par le manque d’accès aux services publics essentiels et par l’absence de politiques inclusives pour répondre aux besoins des populations marginalisées.
Ces tensions urbaines se manifestent par :
- L’augmentation de la criminalité : Le désespoir économique et social pousse certains individus vers des activités illégales, contribuant à l’insécurité dans les grandes villes.
- Les mouvements sociaux et les révoltes urbaines : Les populations marginalisées s’organisent parfois pour protester contre les inégalités et les conditions de vie insoutenables, menaçant la stabilité des États.
- La polarisation politique : La marginalisation urbaine alimente des discours populistes et nationalistes, qui exploitent ces tensions pour justifier des politiques répressives ou discriminatoires.
Cette marginalisation urbaine révèle une limite fondamentale du capitalisme mondial : son incapacité à intégrer de manière inclusive les populations les plus vulnérables dans ses mécanismes de production et de consommation. Alors que le capitalisme repose sur l’expansion constante des marchés, il échoue à fournir les opportunités nécessaires pour que ces populations participent pleinement au système.
Cette exclusion structurelle n’est pas seulement un échec économique, mais un défi politique pour les États. Les gouvernements, souvent incapables de répondre aux besoins croissants des populations urbaines marginalisées, voient leur légitimité s’éroder face à l’incapacité de maintenir un ordre social équitable.
La marginalisation urbaine constitue ainsi un facteur clé de fragilisation des États, particulièrement dans les pays en développement. Ces tensions, lorsqu’elles ne sont pas gérées, peuvent aboutir à des crises politiques et sociales majeures. La croissance désordonnée des villes, combinée à des politiques inadéquates, crée des environnements où la méfiance envers les institutions étatiques s’accroît, renforçant les divisions sociales et réduisant la capacité des gouvernements à maintenir un contrôle effectif.
L’urbanisation croissante et la marginalisation qui l’accompagne mettent en évidence les contradictions structurelles du capitalisme mondial. Ce système, conçu pour maximiser les profits, échoue à intégrer les populations urbaines les plus pauvres, contribuant ainsi à l’instabilité sociale et politique. Pour Wallerstein, cette dynamique n’est pas seulement un échec ponctuel, mais une manifestation systémique des limites du capitalisme, qui exacerbe les inégalités tout en sapant les bases de sa propre légitimité.
La désillusion face à l’illusion développementaliste[modifier | modifier le wikicode]
L’illusion développementaliste, véhiculée par le libéralisme économique, reposait sur la promesse d’une convergence économique entre les nations. Ce modèle supposait que l’intégration dans l’économie mondiale et l’application de politiques de libre-échange permettraient aux pays en développement de rattraper les pays développés, réduisant ainsi les inégalités globales. Cependant, cette vision s’est révélée largement illusoire. Loin d’apporter une prospérité partagée, le libéralisme économique a conduit à une aggravation des inégalités, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Au lieu de favoriser une convergence économique, les politiques libérales ont consolidé la domination des centres sur les périphéries. Les pays développés, grâce à leur contrôle des technologies, des institutions financières et des marchés mondiaux, ont continué à accumuler la majorité des richesses, laissant les pays en développement dépendants et marginalisés.
Cette dynamique est visible à plusieurs niveaux :
- Au niveau international : Les accords commerciaux, souvent imposés par les puissances économiques, ont favorisé les exportations de matières premières et les industries à faible valeur ajoutée dans les pays en développement, tout en réservant les secteurs les plus lucratifs aux économies avancées.
- Au niveau national : La dérégulation et les privatisations, encouragées par les institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale, ont souvent bénéficié à une élite économique locale, creusant les disparités de richesse au sein des nations.
Ces politiques, au lieu de réduire la pauvreté, ont exacerbé les tensions sociales en créant des écarts de richesse croissants et en détruisant les systèmes de protection sociale dans de nombreux pays.
Cette situation a généré une désillusion croissante parmi les populations, particulièrement dans les périphéries. Les promesses d’un développement inclusif et équitable, portées par les discours libéraux, se heurtent à la réalité des inégalités et de la pauvreté persistantes.
Dans les pays en développement, cette désillusion se traduit par une méfiance croissante envers les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC), perçues comme des instruments de domination des puissances occidentales. Les élites économiques nationales, souvent alignées sur les intérêts étrangers, sont également critiquées pour leur incapacité à défendre les besoins des populations locales.
Cette perte de confiance alimente des mouvements de contestation, souvent radicalisés, qui rejettent non seulement les institutions internationales, mais aussi les fondements mêmes du libéralisme économique. Ces mouvements prennent diverses formes :
- Protestations sociales contre les politiques d’austérité et les privatisations.
- Mouvements nationalistes et populistes, qui exploitent le mécontentement pour promouvoir des agendas protectionnistes ou isolationnistes.
- Appels à des alternatives systémiques, comme des modèles économiques basés sur la solidarité, la démondialisation ou la souveraineté économique.
L’effondrement de l’illusion développementaliste représente un défi majeur pour la légitimité du système mondial. En promettant un développement inclusif qu’il n’a pas pu réaliser, le libéralisme économique a sapé sa propre crédibilité. Cette crise de légitimité ne se limite pas aux institutions économiques : elle touche également les fondements idéologiques du capitalisme mondial, remettant en question son aptitude à répondre aux besoins des populations.
Les tensions créées par cette désillusion ne se limitent pas aux périphéries. Dans les centres, les classes populaires, confrontées à des inégalités croissantes et à une stagnation économique, partagent de plus en plus le sentiment d’un système injuste et exclusif. Cela élargit la base des contestations, rendant la crise systémique encore plus profonde.
L’effondrement de l’illusion développementaliste libérale révèle l’incapacité du libéralisme économique à tenir ses promesses de prospérité partagée. Cette désillusion, alimentée par les inégalités croissantes et les tensions sociales, fragilise les fondements idéologiques et institutionnels du système-monde capitaliste. Pour Wallerstein, cette dynamique illustre l’une des contradictions structurelles majeures du capitalisme : sa capacité à produire des richesses sans parvenir à les distribuer de manière équitable, alimentant ainsi sa propre contestation.
La crise des mouvements anti-capitalistes classiques[modifier | modifier le wikicode]
Les mouvements anti-capitalistes classiques, incarnés par les organisations socialistes et communistes, ont longtemps été les principales forces de résistance face au capitalisme mondial. Cependant, leur capacité à mobiliser et à proposer des alternatives crédibles est aujourd’hui sérieusement affaiblie. Les divisions idéologiques, les échecs historiques et les dynamiques nationales et culturelles de plus en plus fragmentées ont érodé leur influence et leur attractivité auprès des populations.
Les échecs historiques des régimes communistes, marqués par des abus de pouvoir, des inefficacités économiques et des répressions politiques, ont durablement entamé la légitimité des idéologies socialistes et communistes. Ces échecs ont nourri une méfiance généralisée envers les promesses d’alternatives radicales, poussant de nombreux citoyens à se tourner vers des solutions perçues comme plus pragmatiques ou immédiates.
Par ailleurs, les dynamiques globales de fragmentation culturelle et identitaire ont affaibli la base traditionnelle de ces mouvements. Alors que le socialisme et le communisme s’appuyaient historiquement sur la solidarité de classe, la montée des revendications identitaires et des nationalismes ethniques ou culturels a éclipsé les luttes économiques au profit de conflits communautaires ou locaux.
Les institutions traditionnelles de la gauche, comme les syndicats, peinent également à mobiliser dans un monde marqué par la précarisation du travail, la fragmentation des travailleurs et l’essor de l’économie informelle. Ces transformations du marché du travail ont rendu plus difficile la construction d’une solidarité collective au sein des classes laborieuses.
En parallèle, les mouvements nationalistes ont capitalisé sur les frustrations économiques et sociales pour proposer des récits alternatifs qui détournent l’attention des véritables causes structurelles des inégalités. Ces mouvements, souvent populistes et protectionnistes, exploitent les peurs et les insécurités des populations, en les orientant contre des cibles spécifiques comme les migrants, les élites cosmopolites ou les institutions internationales.
Les nationalismes contemporains se nourrissent de plusieurs dynamiques :
- Un rejet des élites économiques et politiques : Ces mouvements s’opposent aux politiques libérales perçues comme favorisant les élites au détriment des populations locales.
- Un repli identitaire : En valorisant des récits de supériorité nationale, ethnique ou culturelle, ces mouvements détournent l’attention des inégalités économiques vers des questions identitaires.
- Un protectionnisme économique : Les nationalistes prônent souvent des politiques isolationnistes ou protectionnistes, promettant de protéger les industries locales et les emplois nationaux.
L’essor des mouvements nationalistes affaiblit la résistance collective face au capitalisme mondial. En détournant l’attention des causes structurelles des inégalités, comme l’exploitation des travailleurs ou les déséquilibres systémiques entre centres et périphéries, ces mouvements empêchent la construction d’une solidarité internationale contre le capitalisme.
De plus, les divisions internes qu’ils engendrent au sein des nations, et les rivalités internationales qu’ils exacerbent, contribuent à fragmenter davantage les forces progressistes. Ces divisions profitent aux élites économiques et aux structures capitalistes, qui tirent avantage de l’incapacité des mouvements de contestation à s’unir autour d’une vision commune.
La désillusion envers les mouvements anti-capitalistes classiques, combinée à la montée des nationalismes, reflète une impasse stratégique pour les forces progressistes. Les luttes de classe, autrefois au centre des résistances au capitalisme, sont marginalisées par des préoccupations identitaires ou nationales. Cela limite la capacité des mouvements sociaux à construire des coalitions transnationales capables de s’attaquer aux causes structurelles des inégalités dans le système-monde.
La désillusion envers les mouvements anti-capitalistes classiques et la montée des nationalismes illustrent une crise profonde des résistances au capitalisme mondial. Pour Wallerstein, cette fragmentation des forces progressistes est une manifestation des contradictions du système lui-même : en encourageant les divisions internes et en capitalisant sur les frustrations populaires, le capitalisme mondial parvient à désamorcer les contestations qui pourraient menacer sa domination.
Les demandes démocratiques et sociales en conflit avec le libéralisme[modifier | modifier le wikicode]
Le libéralisme, en tant qu’idéologie dominante, a toujours encouragé des aspirations démocratiques et sociales, valorisant les notions de liberté individuelle, de droits humains et de participation politique. Ces idéaux ont nourri des attentes croissantes parmi les populations, en particulier en matière de justice sociale, d’accès à une éducation de qualité, à des soins de santé universels et à une protection environnementale. Cependant, ces revendications se heurtent aux réalités économiques du système capitaliste, dans lequel le libéralisme est profondément enraciné. Ce système limite les ressources disponibles pour répondre à ces exigences, créant ainsi des tensions budgétaires et fiscales récurrentes.
Les attentes démocratiques et sociales ont entraîné une augmentation des dépenses publiques, particulièrement dans les domaines sociaux. Les citoyens, soutenus par les idéaux libéraux, exigent une amélioration constante des infrastructures, des systèmes de sécurité sociale et des services publics. Pourtant, les gouvernements, confrontés à des contraintes budgétaires toujours plus importantes, peinent à financer ces ambitions. Ces limites financières sont exacerbées par la mondialisation, qui réduit considérablement la marge de manœuvre des États. Les grandes entreprises multinationales, grâce à des mécanismes d’évasion fiscale sophistiqués et à la concurrence entre juridictions, privent les gouvernements de recettes fiscales cruciales. Par ailleurs, les marchés financiers pénalisent les États jugés non compétitifs ou trop endettés, les obligeant à adopter des politiques d’austérité souvent impopulaires.
Ces tensions budgétaires ont des conséquences profondes sur la légitimité des institutions libérales. Incapables de répondre aux attentes des citoyens, les États voient leur autorité remise en question. Les coupes dans les budgets sociaux, imposées pour répondre aux exigences des créanciers ou pour maintenir des politiques fiscales compétitives, suscitent un mécontentement croissant, notamment parmi les classes moyennes et populaires. Ce mécontentement se traduit par une érosion de la confiance dans les institutions démocratiques, perçues comme inefficaces ou corrompues, et par la montée de mouvements populistes et autoritaires qui exploitent ces frustrations.
Cette situation illustre une contradiction structurelle du libéralisme. En promouvant des idéaux de justice sociale et d’égalité, il génère des aspirations légitimes parmi les populations, mais le système capitaliste qui le soutient ne fournit pas les moyens économiques nécessaires pour les satisfaire. Les principes du libre marché, de la dérégulation et de la compétitivité internationale entrent en conflit avec les objectifs d’équité et de redistribution, limitant la capacité des gouvernements à agir en faveur des citoyens les plus vulnérables. Ce paradoxe est particulièrement visible dans les pays développés, où les filets de sécurité sociale sont fragilisés, et dans les pays en développement, où les ambitions de progrès social sont souvent freinées par des contraintes budgétaires imposées de l’extérieur.
L’incapacité des institutions libérales à répondre à ces contradictions fragilise leur légitimité et leur survie à long terme. Les mouvements de protestation, qu’ils soient locaux ou globaux, mettent en lumière cette incapacité et exigent des changements structurels. En même temps, le désengagement démocratique, marqué par une faible participation électorale et une méfiance accrue envers les élites, affaiblit davantage les systèmes libéraux. Wallerstein considère cette dynamique comme un symptôme des limites du système-monde capitaliste : un modèle qui ne peut concilier les aspirations qu’il encourage avec les contraintes qu’il impose, alimentant ainsi une crise profonde de gouvernance et de légitimité.
Les défis écologiques croissants[modifier | modifier le wikicode]
Les problèmes écologiques représentent une menace majeure et systémique pour le système-monde capitaliste. Des phénomènes tels que le changement climatique, la perte de biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation des écosystèmes mettent en lumière les limites structurelles d’un modèle économique fondé sur la croissance infinie. Ce système repose sur une exploitation intensive des ressources, à la fois humaines et naturelles, incompatible avec les limites planétaires. Cette contradiction entre les besoins croissants d’un capitalisme en quête d’expansion constante et la finitude des ressources disponibles remet en question la viabilité de ce modèle à long terme.
Le changement climatique, avec ses effets dévastateurs comme les catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, les vagues de chaleur extrêmes, la montée du niveau des mers et les sécheresses prolongées, illustre de manière flagrante cette crise écologique. Ces phénomènes, exacerbés par l’industrialisation rapide et les émissions massives de gaz à effet de serre, ont des impacts directs sur les populations les plus vulnérables, aggravant les inégalités économiques et sociales. De plus, la perte de biodiversité, conséquence de la déforestation, de la pollution et de l’exploitation agricole intensive, compromet la stabilité des écosystèmes, affectant les systèmes alimentaires et la sécurité hydrique à l’échelle mondiale.
Ces crises environnementales ne sont pas seulement des défis écologiques, mais également des sources de conflits sociaux et internationaux. L’accès aux ressources naturelles, telles que l’eau, les terres arables et les énergies fossiles, devient une cause croissante de tensions géopolitiques, notamment dans les régions les plus affectées par le changement climatique. Par ailleurs, les migrations climatiques, provoquées par des conditions environnementales devenues insoutenables, alimentent des conflits sociaux dans les pays d’accueil, exacerbant les divisions internes et les tendances nationalistes.
Face à ces défis globaux, le capitalisme montre son incapacité structurelle à proposer des solutions durables. La logique du profit à court terme, moteur central du système, entre en contradiction avec les investissements à long terme nécessaires pour atténuer les crises environnementales. Les industries, en particulier celles des énergies fossiles et de l’agriculture intensive, continuent de bénéficier de subventions massives et de protections légales qui ralentissent la transition vers des modèles durables. Cette inertie, souvent soutenue par des lobbies économiques puissants, empêche les gouvernements de prendre des mesures décisives pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, protéger les écosystèmes ou promouvoir des sources d’énergie renouvelables.
Les États, paralysés par des intérêts économiques divergents et des contraintes budgétaires, peinent à coordonner une réponse efficace à ces défis globaux. Les accords internationaux, tels que l’Accord de Paris, bien qu’ambitieux dans leurs intentions, restent souvent limités par des compromis politiques qui reflètent les priorités économiques nationales plutôt que les urgences environnementales. Cette absence de coopération véritable et de gouvernance mondiale efficace illustre une faiblesse fondamentale du système inter-étatique dans le contexte de crises écologiques globalisées.
Les problèmes écologiques croissants révèlent ainsi les contradictions profondes du système-monde capitaliste. Ce modèle, incapable d’intégrer les limites planétaires dans sa logique de croissance, s’avère non seulement insoutenable, mais également destructeur pour les équilibres sociaux, économiques et environnementaux. Pour Wallerstein, ces crises ne sont pas des dysfonctionnements isolés, mais des manifestations structurelles d’un système en déclin, où les mécanismes mêmes qui ont permis son expansion contribuent désormais à précipiter sa désintégration.
Le recul de la science et l’essor des idéologies alternatives[modifier | modifier le wikicode]
La science, historiquement perçue comme un pilier de la modernité capitaliste, a joué un rôle central dans le développement des sociétés industrielles et dans la légitimité du système-monde capitaliste. Elle a été valorisée comme un moteur de progrès technique, économique et social, permettant des avancées significatives dans des domaines aussi variés que la médecine, l’agriculture ou l’énergie. Cependant, cette confiance dans la science connaît aujourd’hui un déclin significatif, accompagné de la montée d’idéologies alternatives qui remettent en question la rationalité scientifique et les discours d’expertise.
Cette perte de confiance trouve ses origines dans plusieurs facteurs. Tout d’abord, les crises sanitaires et environnementales contemporaines, telles que la pandémie de COVID-19 ou le changement climatique, ont mis en lumière les limites de la science en tant qu’outil pour prévenir ou résoudre des problèmes globaux complexes. Bien que la science ait permis d’apporter des solutions partielles, comme le développement rapide de vaccins, elle a également montré sa dépendance aux décisions politiques, économiques et institutionnelles, ce qui a renforcé la méfiance à son égard. De plus, les discours contradictoires émanant des communautés scientifiques ou la lenteur apparente des progrès face à des crises urgentes ont amplifié ce scepticisme.
Ce phénomène est exacerbé par la montée des idéologies alternatives, qui exploitent cette méfiance croissante. Les intégrismes religieux, souvent critiques à l’égard des explications scientifiques qui contredisent des dogmes établis, gagnent du terrain dans de nombreuses régions du monde. Parallèlement, le relativisme culturel et les mouvements déconstructionnistes, bien qu’émergés dans des contextes académiques critiques, alimentent parfois un rejet des vérités universelles ou objectives au profit de perspectives subjectives ou communautaires. Cette remise en question des fondements mêmes de la science mine sa position en tant qu’autorité légitime sur des sujets clés.
La conséquence immédiate de cette perte de confiance est une fragilisation des efforts pour répondre aux défis globaux, notamment les crises environnementales et sanitaires. La science, en tant qu’outil principal pour comprendre et atténuer ces problèmes, perd de son influence face à des opinions populaires qui privilégient des explications simplistes, émotionnelles ou idéologiques. Cela freine l’adoption de politiques fondées sur des données probantes et encourage des réponses fragmentées ou incohérentes à des problèmes nécessitant une coopération mondiale.
Cette dynamique alimente également des discours anti-systèmes, qui exploitent le scepticisme à l’égard des élites scientifiques et politiques. Les mouvements populistes, par exemple, s’appuient sur cette méfiance pour délégitimer les experts et promouvoir des agendas alternatifs souvent déconnectés des réalités factuelles. Cette polarisation accrue entre science et société fragilise non seulement la capacité des États et des institutions internationales à agir efficacement, mais elle érode également le contrat social fondé sur la confiance dans les institutions et les processus rationnels.
En somme, la perte de confiance dans la science et la montée des idéologies alternatives illustrent une crise de légitimité au cœur du système-monde capitaliste. Alors que la science a historiquement servi de moteur au progrès économique et social, elle est aujourd’hui contestée par des courants qui reflètent les tensions et les contradictions de ce système. Pour Wallerstein, cette dynamique ne peut être comprise isolément, mais doit être envisagée comme un symptôme d’un système en crise, où les fondations idéologiques et institutionnelles de la modernité vacillent face à des défis globaux et des fractures sociétales croissantes.
Une structure inter-étatique en péril : quel avenir ?[modifier | modifier le wikicode]
Les dynamiques convergentes qui caractérisent les crises économiques, sociales et écologiques révèlent les limites profondes du modèle inter-étatique qui a soutenu le capitalisme mondial pendant plusieurs siècles. Ce système, basé sur un équilibre fragile entre les puissances hégémoniques, les mécanismes de production mondialisée et la cohésion nationale des États souverains, semble aujourd’hui atteindre un point de rupture. Les contradictions qui le traversent deviennent si profondes qu’elles rendent de plus en plus difficile la reproduction du système tel qu’il existe.
Les crises économiques répétées, exacerbées par l’épuisement des ressources naturelles et l’érosion des monopoles relatifs, fragilisent les piliers de l’accumulation du capital. Ces tensions économiques s’entrelacent avec des inégalités sociales croissantes, nourries par des politiques libérales qui concentrent les richesses entre les mains d’une élite restreinte tout en marginalisant les populations vulnérables. Ces mêmes inégalités génèrent des pressions migratoires, des revendications sociales insatisfaites et des tensions au sein des sociétés, mettant en péril la légitimité des États et leur capacité à maintenir un ordre social stable.
Sur le plan écologique, le modèle inter-étatique est également confronté à des défis sans précédent. Le changement climatique, la perte de biodiversité et les déséquilibres environnementaux exacerbent les tensions internationales et les rivalités pour l’accès aux ressources. Les États, en concurrence permanente dans un système anarchique, peinent à coordonner des réponses collectives efficaces à ces problèmes globaux. Les accords internationaux, bien qu’ambitieux dans leur rhétorique, restent souvent insuffisants face à l’ampleur des défis, en grande partie à cause des intérêts divergents des nations impliquées.
Ces contradictions culminent dans une crise systémique qui affecte non seulement les structures économiques et politiques, mais aussi les fondements idéologiques du capitalisme mondial. Le libéralisme, en tant que cadre dominant de gouvernance, montre ses limites dans sa capacité à concilier les aspirations démocratiques et sociales avec les exigences économiques du système. De même, la montée des mouvements nationalistes et populistes fragmente davantage l’ordre mondial, affaiblissant la possibilité d’une gouvernance collective face aux défis transnationaux.
Pour Wallerstein, ces dynamiques convergentes indiquent que le système inter-étatique est en péril profond. Il ne s’agit pas d’un simple dysfonctionnement, mais d’une transition historique inévitable, marquant la fin d’un cycle de domination capitaliste. L’avenir du système dépendra des forces sociales, politiques et idéologiques qui émergeront pour façonner ce qui viendra après. Cette transition, bien que inévitable, est marquée par une incertitude fondamentale : elle pourrait mener à un ordre plus juste et équitable, ou au contraire à une nouvelle configuration encore plus inégalitaire et autoritaire. Le défi réside dans la capacité des acteurs mondiaux, qu’ils soient des États, des mouvements sociaux ou des organisations internationales, à saisir cette opportunité pour redéfinir les bases du système-monde.