Les sources du droit des conflits armés

De Baripedia

Nous n’allons pas discuter les sources du droit général, nous l’avons vue dans le cours de droit international public, mais plutôt de dire certaines spécificités des sources du droit des conflits armés.

Les traités

La coutume

Après avoir examiné le droit conventionnel, on pourrait se dire que la coutume ne joue aucun rôle en matière des conflits armés et la discussion est donc superflue. Ce serait une conclusion erronée. La coutume joue un rôle et dans certains cas même un rôle très important. Hélas, elle joue parfois un rôle miroitant.

En quoi est-ce que la coutume peut-elle être utile en matière de DIH ?

Il y a certaines situations qui « crèves les yeux ». La première et la plus évidente est celle où telle ou telle règle est contenue dans une convention qui n’est pas universellement ratifié où il y a certains États parties et d’autres qui ne le sont pas. Dans ce cas, on ne peut appliquer la règle conventionnelle qu’aux États parties : pac tertiis nec nocent nec prosunt, à savoir la relativité des traités en d’autres termes comme à l’article 34 de la convention de Vienne sur le droit des traités.

Ce qui veut dire que dans un conflit armé, nous pourrions avoir un État qui serait tenu par une certaine règle mais un autre cobelligérant qui ne serait pas. Le droit coutumier permet d’unifier cela parce que si une règle relève du droit coutumier, elle est également applicable à tous les belligérants, à tous les États si c’est une règle de droit coutumier universelle. La coutume a donc ici une valeur unifiant et harmonisatrice. Il faudra vérifier si dans des conventions qui ne sont pas universellement ratifiées si telle ou telle disposition relève du droit coutumier. Cela est intéressant surtout pour le protocole additionnel premier et pour le deuxième puisque dans ces protocoles, il y a des dispositions. Donc, le statut n’est pas évident du point de vue coutumier d’ailleurs, mais ce sont en tout cas des textes qui ne sont pas universellement ratifiés contrairement aux conventions de Genève. Il y a toujours une trentaine d’États qui ne sont pas parties.

Il ne faudrait pas conclure que si une convention est universellement ratifiée comme les conventions de Genève où tout le monde est partie, que la question du droit coutumier ne se poserait pas parce que de toute façon, tout le monde est partie et par conséquent on applique la convention.

Ce n’est pas tout à fait vrai, parce que les conflits armés sont perfides dans un certain sens, ils s’insinuent surtout là où des États nouveaux sont en chantier, là où il y a des sécessions qui sont souvent violentes et tant qu’un État nouveau n’est pas encore entièrement formé ou même s’il est formé, même s’il est déjà de fait indépendant mais que la guerre continue, il n’aura peut-être pas encore ratifié les conventions de Genève car il arrive assez souvent que lorsqu’un État vient de se former et dans une situation de conflit armé, la première chose à laquelle pense ces dirigeants n’est pas nécessairement de soumettre au dépositaire suisse un déclaration de ratification des conventions de Genève. C’est ainsi que dans la guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée qui a eu lieue entre 1998 et août 2000, le tribunal arbitral qui a eu à appliquer le DIH entre ces deux États afin de liquider les torts causés, n’a pas pu appliquer les conventions de Genève pour la simple mais très bonne raison que l’Érythrée n’était pas partie aux conventions de Genève jusqu’un mois avant la fin du conflit armé. C’est-à-dire que le plus clair du conflit armé s’est déroulé pendant la phase où l’Éthiopie était liée par les conventions de Genève mais l’Érythrée ne l’était pas. Si on applique le droit des traités élémentaires, il n’est pas possible d’appliquer les conventions de Genève entre ces deux États là puisque l’un des deux ne pouvait pas le ratifier. Le tribunal arbitral, dans un paragraphe initial, dans chaque sentence arbitrale qu’il a rendu sur le droit des conflits armés, il a considéré brièvement dans quelle mesure les conventions de Genève relèvent du droit coutumier, a conclu que c’était le cas pour les dispositions qu’il avait à appliquer et a donc appliqué le droit coutumier à l’espèce.

Dans la littérature, le droit coutumier peut avoir encore d’autres utilités. Il y a certaines matières du DIH où il y a énormément de lacune. La meilleure du point de vue d’un exemple est le droit des conflits armés non internationaux. Sur les conflits armés non internationaux, il y a très peu de droit écrit. Il y a l’article 3 commun des conventions de Genève, il y a le protocole additionnel II pour ceux qui l’ont ratifié, et quelques autres textes surtout dans le droit des armes qui prévoit une application aux deux types de conflit (« CAI » pour « conflit armé international » et « CANIC » pour « conflit armé non international »).

Come il y a donc peu de dispositions et beaucoup de lacunes en recours au droit coutumier pour déterminer certaines des obligations de belligérant en droit des conflits armés non internationaux, ce qui signifie en réalité, en termes juridiques, que le droit des conflits armés non internationaux n’est pas figé à l’état de sa codification de 1977 mais qu’il développe cette branche du droit par des normes subséquentes qui naissent dans la coutume. La détermination ce cette coutume se trouve dans l’étude du CICR sur le droit coutumier, à comment procède-t-on qui est de manière assez habituelle de considérer la pratique des manuels militaires notamment et aussi l’opinion juridique des États lorsqu’ils font des prises de position dans l’Assemblée générale des Nations Unies, dans des meetings de tel ou tel forum sur les armes, sur un tribunal pénal international ou encore autre chose.

Le droit coutumier permet donc de développer aussi le droit des conflits armés et de combler des lacunes. Ce droit reste quand même aujourd’hui dans un état de souffrance chaotique et le droit coutumier n’a plus que très partiellement levé le voile des incertitudes. Toujours est-il que le tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie a constamment fait référence au droit coutumier pour développer des obligations en matière de conflit armé non international ce qui est d’autant plus remarquable qu’il l’a fait sous l’angle du droit pénal, c’est-à-dire des crimes de guerre.

Afin de déterminer le droit coutumier, la première chose est que nous avons une série de prises de positions, de tribunaux internationaux non contestés qui nous apprennent le caractère coutumier de tel ou tel texte comme le règlement de la Haye de 1907, depuis 1946, tribunal militaire international de Nuremberg, nous savons que ce règlement représente de bout en bout du droit coutumier. Le tribunal militaire international de Nuremberg l’ayant dit ainsi. Depuis lors, la jurisprudence a confirmé cette orientation. Par exemple, à la Cour internationale de justice, dans l’affaire, l’avis consultatif donc, sur les armes nucléaires de 1996, l’avis rendu à l’Assemblée générale.

Pour ce qui est des conventions de Genève, la même chose est vrai sauf pour ce qui est des dispositions procédurales, donc droit des traités qui sont à la fin de la convention. Les dispositions matérielles, semble-t-il, sont toute de droit coutumier, c’est ce qu’affirme en tout cas dans chacune de ses sentences arbitrales, le tribunal arbitrale, Cour permanente arbitrale, Érythrée et Éthiopie.

Pour ce qui est des protocole additionnel I et II, en revanche, on ne peut pas procéder de la même manière. Il y a du droit coutumier et il y a aussi des dispositions qui ne relèvent pas du droit coutumier. Il faut donc analyser cas par cas, norme par norme et ce à quoi s’est attelé le CICR dans son étude de droit coutumier. La tendance générale de la jurisprudence et de la pratique est de considérer que dans ces grandes conventions de codification, comme par exemple les deux protocoles additionnels, les dispositions matérielles, pour le moins celles qui ont le minimum d’importance, constitue du droit coutumier. C’est assez logique d’ailleurs parce que le DIH vie surtout à codifier le droit qui s’applique en pratique entre les militaires et il serait tout de même cocasse que les conventions contiennent un droit qui diffère de la pratique effective des États, elle aurait peu de chance de se voir appliquée. Néanmoins, il y a bien entendu certaines dispositions qui développent le droit dans un sens plus humanitaire ou autre, et pour celles là, il faut voir. Il y en a une, l’article 54 du protocole additionnel I sur les moyens de subsistance de la population civile, donc nous savons qu’il n’était pas de droit coutumier en 1977, parce qu’il constituait à l’époque un développement progressif du droit, cela ressort clairement des travaux préparatoires. Entre temps, cette disposition semble assez généralement acceptée, si bien que, la commission arbitrale Érythrée – Éthiopie a pu estimer que cette disposition relevait du droit coutumier. En revanche, d’autres dispositions ont été extrêmement controversées à la conférence et le sont restée de puis et notamment l’article 44 du protocole additionnel I, et dans ce cas, voyant le degré de controverse lors de l’adoption et depuis lors, le degré de discussion, le fait aussi que certaines États ne ratifient pas à cause de l’article 44 surtout, ne permet certainement pas de considérer cette disposition comme relevant du droit coutumier. Donc, il faut voir dans ce cas là, mais la règle générale est une certaine tendance à égaliser le droit conventionnel dans ses dispositions matérielles importantes et le droit coutumier, parce que de manière pratique, ce serait stupide de procéder autrement. Ce principe d’égalisation relative se trouve dans l’approche de la Cour internationale de justice, avis consultatif arme nucléaire, rendu à l’Assemblée générale des Nations Unies au paragraphe 79 et 82.

Les principes généraux de droit

Dans chaque branche du droit où il y a un amas de règles de détail, les principes généraux, paradoxalement peut être, jouent un certain rôle. Il en est ainsi tout simplement parce que la multitude de règles de détail, la poussière de règle de détail est elle que la branche du droit en cause finie par ne plus être visible. Les principes généraux de droit permettent, à ce moment là, de restructurer de manière un peu plus visible les différents contenus de cette branche du droit et de leur donner une colonne vertébrale. C’est la raison pour laquelle, le DIH qui a beaucoup de règles de détail, connaît aussi des principes généraux d’une certaine importance. C’est donc une branche du droit où les principes généraux, eux aussi, ont de l’importance, peut être plus que dans d’autres branches du droit.

Principe d’humanité

En tout premier lieu, il y a le principe d’humanité. C’est un cas relativement rare que le droit international contienne un principe à connotation aussi morale que le principe d’humanité. Ce principe, que certains préfèrent appeler le « principe du traitement humain », ce principe informe l’ensemble du droit de Genève. C’est le principe cardinal des conventions de Genève que l’on retrouve dans cette teneur général, traitement humain, dans les articles 12, 12, 13 et 27 des conventions de Genève I à IV.

Variante particulière du principe d’humanité ou du traitement humain se trouve dans la clause de Martens.

Principe de nécessité militaire

Dans le passé, c’est-à-dire avant 1949 et plus précisément, avant 1945, donc avant la fin de la Guerre ; le principe de nécessité militaire avait une valeur et une portée différente de celle qu’il a aujourd’hui. À l’époque, le principe était pour le moins miroitant car il signifiait que parfois, le belligérant pouvait mettre de côté une règle de droit des conflits armés en plaidant tout simplement la nécessité. C’est un peu le principe « nécessité n’a pas de loi » , lorsqu’on lutte pour sa survie dans un conflit armé, il faut al possibilité d’invoquer la nécessité pour se libérer d’obligation qu’on ne peut respecte sous peine d’éventuellement sur un dommage disproportionné, qui sait, peut être même perdre la guerre.

En d’autres termes, le principe de nécessité militaire était parfois, dans certains cercles, considérés comme une espèce d’État de nécessité qu’on pouvait invoquer généralement. L’État de nécessité est au sens de l’article 25 du projet responsabilité des États, sauf qu’on lui donnait une ampleur bien plus grande que l’état de nécessité de la Commission du droit international.

Les tribunaux d’après guerre, dès la jurisprudence de Nuremberg ont emphatiquement rejeté cette conception de la nécessité militaire et il est vrai qu’elle est juridiquement redoutable. Si un belligérant peut estimer subjectivement à n’importe quel moment qu’il ne veut pas appliquer telle ou telle règle parce qu’il est dans une situation de nécessité, à ce moment là, cela revient juridiquement à dire que le droit des conflits armés n’est pas véritablement contraignant, que c’est purement un ordre potestatif : on peut ne pas l’appliquer, et si on veut l’appliquer, il suffit d’invoquer la nécessité.

Dès lors, aujourd’hui, ce volet de la nécessité a changé considérablement de mouture. On considère aujourd’hui que la nécessité militaire permet encore et toujours d’écarter certaines règles du droit des conflits armés en cas précisément de nécessité, mais uniquement lorsque la norme du droit des conflits armés applicable le prévoit.

On ne peut donc plus invoquer cet état de nécessité généralement pour ne pas appliquer des règles sur le traitement des prisonniers de guerre par exemple. On peut l’invoquer seulement spécialement lorsque la règle en cause le prévoit. Il y a une série de règle du droit des conflits armés qui prévoit une exception pour la nécessité militaire. Par exemple, l’article 23, lettre « g » du règlement de la Haye de 1907, il est notamment interdit de détruire ou de saisir des propriétés ennemies, notamment la propriété privée, sauf les cas où ces destructions ou ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre. Les propriétés privées ne font pas une contribution directe à la guerre, elles ne soutiennent pas l’effort de guerre d’une partie au conflit, dès lors, il ne faut pas les détruire, mais il peut arriver qu’une situation se présente dans laquelle il faille détruire une propriété privée. Si une maison qui barre l’accès à des chars vers un théâtre où ces chars doivent se rendre pour des raisons militaires, à ce moment là, il n’est pas interdit de plastiquer cette maison, de l’abattre afin de faire passer les chars : c’est une impérieuse nécessité de la guerre et c’est permis parce que c’est prévu dans la norme. Ainsi, il y a d’autres normes qui permettent cette mise de côté lorsqu’il y a des nécessités, c’est-à-dire lorsque les opérations militaires le demandent impérativement. C’est au belligérant de juger mais il peut s’exposer à une responsabilité pénale.

Cela est le volet libératoire de la nécessité militaire. Elle permet donc d’écarter certaines règles pour la nécessité militaire. Mais il y a un autre volet qu’on ne perçoit pas toujours dans la nécessité militaire et qui est très ancien également. On considère en effet que toute destruction, toute action militaire qui a un impact sur l’ennemi et sur l’adversaire doit pouvoir être justifié par un motif militaire valable car une destruction qui serait inutile du point de vue militaire, fait uniquement par vengeance, par plaisir de détruire ou par volonté de terroriser serait interdite déjà du point de vue de la nécessité militaire car justement non nécessaire pour le seul but de la guerre reconnue qui est de briser la résistance ennemie.

Cela montre que le principe de la nécessité militaire a deux visages, c’est véritablement un janus. D’un côté, il libère de l’application de règles du droit du conflit armé lorsque ces règles le prévoient. Ici, il sert les militaires dont il délie les mains. D’un autre côté, il une balance restrictive. Toute destruction ou autre action militaire ayant un impact sur l’ennemi qui ne serait pas militairement nécessaire est interdite parce que le but reconnu de la guerre est uniquement de briser la résistance ennemie et non pas de faire des choses qui n’ont aucun lien avec cela.

Au XIXème siècle, ce principe était, dans ses deux aspects, cela libère lorsqu’on en a besoin, cela contraint lorsqu’on doit toujours mesurer ses actions aux buts de brises la résistance ennemie ; cela était le grand principe pivotale du droit des conflits armés au XIXème siècle. Aujourd’hui, il a été résorbé, il a été réduit mais il est toujours là dans ses deux aspects, redimensionnés. Redimensionné parce que ce n’est pas un motif général que l’on peut invoquer vis-à-vis de toute règle de droit des conflits armés mais seulement vis-à-vis de quelques règles qui prévoient la nécessité militaire comme exception, et le deuxième aspect est destructions inutiles interdites. C’est donc un principe important que la nécessité militaire.

Principe de limitation

Le principe de limitation ressort déjà de l’article 22 du règlement de la Haye de 1907. L’article 22 stipule que « Les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi ». C’est évidemment une règle tout à fait fondamentale du DIH et c’est pourquoi on dit à juste titre que c’est un principe, elle signifie que la guerre totale n’est jamais licite. Les moyens de nuire à l’ennemi et de viser sa résistance ne sont pas tous licites. La guerre totale n’est donc pas permise, ce serait la négation de toute limitation dans la guerre, c’est-à-dire un DIH. Cela, en même temps, montre aussi la structure fondamentale du DIH qui n’est pas d’autoriser des actions de guerre mais plutôt de limiter les libertés du belligérant pour faire en sorte que certains actes trop destructifs ne soient pas permis. Le principe de limitation opère donc comme une limite vis-à-vis de la guerre totale qui serait une destruction beaucoup trop généralisée et d’un autre côté indique la structure même du droit qui est plutôt basée sur des prohibitions, en tout cas dans le droit de la Haye.

Principe de distinction

Le principe de distinction se retrouve notamment dans l’article 48 du protocole additionnel I. La distinction veut dire que chaque belligérant doit à tout moment faire une distinction entre les personnes civiles et les objets civils d’un côté, et les objectifs militaires, c’est-à-dire le personnel militaire et les objets militaires de l’autre côté, et n’attaquer que les seconds et non pas les premiers. En termes plus simple, il faut distinguer le civil et le militaire et n’attaquer que le militaire pendant le conflit armé. C’est évidemment un principe tout à fait cardinal sur lequel est basé l’ensemble du droit de la Haye, car sans ce principe, la guerre deviendrait tout de suite totale d’ailleurs. Si on pouvait attaquer aussi tout ce qui est civil, il n’y a plus de limite, on attaque tout parce qu’il y a le militaire et le civil, il n’y a rien d’autre.

C’est un principe, nous sommes à la base du système juridique et ce sont des clefs de lecture fondamentales que ces principes généraux.

Principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité a un sens particulier en DIH, un sens qui ne se confond pas avec le sens qu’il peut avoir dans le droit des droits de l’homme ou ailleurs comme dans le droit administratif par exemple.

En DIH, la proportionnalité veut dire qu’il faut un rapport d’un certain type entre d’un côté l’avantage militaire poursuivie à travers une action et les dommages civils dit « collatéraux » infligés.

Il arrive en effet, que lorsqu’on attaque un objectif militaire, cela est la seule chose que l’on soit autorisé à attaquer, on ne peut faire en sorte que cette attaque n’ait pas un certain impact sur du civil autour de l’objectif militaire, que cela soit des personnes ou des biens. En termes encore plus simple, en attaquant l’objectif militaire, on doit calculer avec un certain nombre de civils mort et de bâtiments ou d’autres installations civiles endommagées. Cela est permis en DIH, mais il faut un certain rapport entre l’avantage militaire poursuivi et ses dommages civils collatéraux. Si les dommages civils collatéraux excédent de manière manifeste l’avantage miliaire, alors il y aurait un principe de proportionnalité qui empêcherait de mener cette attaque à ce moment là, de cette manière là en causant ce genre de dommage collatéral.

Ce qui est commun à ces principes généraux est qu’ils sont à la base du système juridique du DIH et qu’ils en expliquent les grandes articulations. Le reste sont des règles de détail. Si nous prenons le principe d’humanité, il informe l’ensemble des conventions de Genève. Chaque disposition que l’on trouve dans les conventions de Genève est une disposition dont le but est de servir d’une manière ou d’une autre l’exigence du traitement humain des personnes protégées.

La clause de Martens

La clause de Martens est une concrétisation de ce principe d’humanité. Elle est séparée à cause de sa particularité. C’est une clause qui a été insérée dans la convention de la Haye II de 1899 et IV de 1907. Entre temps, la clause de Martens a été reprise dans les textes, dans les conventions de Genève, dans les dispositions qui traient de la dénonciation de ces conventions, on la trouve aussi dans la convention de 1980 sur les armes dans le préambule mais on la trouve aussi notamment dans l’article 1§2 du protocole additionnel I.

Frédéric de Martens était professeur de droit international à Saint Pétersbourg ayant écrit un manuel important d’époque sur le DIP. Martens était délégué du gouvernement tsariste russe à la conférence de la Haye, et il a proposé cette clause avec le but de palier les insuffisances, les lacunes dans le droit de l’occupation de guerre.

Cette clause se lit comme suit : « En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique ». C’est une formulation bien ancienne ; cela sent et suinte de tous les ports au XIXème siècle.

Une version légèrement modernisée par encore différente, l’honneur est continué à être fait au créateur, une version un peu modernisée se trouve dans l’article 1§2.

Cette clause n’avait pas de valeur de droit positif avant la Deuxième guerre mondiale et avant les conventions de Genève. C’était une clause d’un préambule, belle, généreuse, gentille, honorée dans les mots et méconnue dans les faits. C’est donc de manière révisionniste, courageuse sans doute mais révisionniste que le tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg dans l’affaire Krupp, dans cette affaire de 1948, ce tribunal américain a pu estimer que la clause de Martens était plus qu’un vœux pieu et qu’elle faisait partie du droit positif. En 1948, cela était franchement pas vrai, depuis lors, cela est certainement vrai, ne fusse que part le fait que cette clause a été insérée dans des dispositions opérationnelles des conventions de Genève mais aussi du protocole et autre.

Quel sens a cette clause juridiquement aujourd’hui ? Elle a un sens originaire que visait Martens déjà à l’époque en 1899 et elle a des sens supplémentaires qu’on peut lui donner aujourd’hui bien que Martens n’eu certainement pu même les rêver à l’époque où il a vécu.

Le sens originaire de la clause de Martens est toujours valable, et celui de faire en sorte que lorsqu’une matière n’est pas réglée, lorsqu’il y a une lacune en d’autres termes dans le droit des conflits armé, matière non réglée alors qu’il devrait y avoir des règles, ne puisse pas s’appliquer la règle de liberté résiduelle qui autrement s’appliquerait normalement. Le terme « règle de liberté résiduelle » veut dire « ce qui n’est pas interdit est permis ».

Lorsqu’il y a un DIH qui est assez peu codifié comme c’était le cas en 1899 et 1907, il y avait plus de lacunes que de réglementations, cela peut être un tout petit peu fâcheux de suggérer aux États que pour tout ce qui n’est pas réglé expressément dans la convention, ils restent libres de faire ce qu’ils veulent parce que ce n’est pas interdit donc permis. Avec la clause de Martes, on a essayé de limité ce principe et de dire que si ce n’est pas expressément interdit, cela ne veut pas encore dire que ce soit permis ; il faut encore considérer si l’attitude ou la conduite en cause est compatible avec les lois de l’humanité et de la conscience publique, avec la règle morale au fond. C’est assez spécifique véritablement.

Nous procédons surtout, dans le droit de la Haye, avec un principe de limitation, nous limitons certaines activités, nous interdisons certaines activités, nous ne sommes pas là pour autoriser les États à faire ce qu’ils veulent pendant la guerre. Les États ont déjà l’autorisation générale qui est issue de leur souveraineté. On n’a pas besoin de leur dire qu’ils peuvent faire ceci ou cela, ils sont souverains donc ils peuvent le faire automatiquement, ils ont une compétence générale.

Le DIH poursuit plutôt le but de limiter certaines actions. On arrive à se mettre d’accord dans le règlement de la Haye, dans les conventions de Genève, on extrait certaines questions de la liberté des États. Cette approche généralement limitative, on essaie, à son tour de la tempérer avec la clause de Martens, en faisant en sorte de dire aux États que si quelque chose n’a pas encore été interdit dans cette approche, les États ne peuvent pas penser qu’automatiquement, cela doit être considéré comme étant permis.

Après la guerre, cette clause a été prise un tout petit peu plus au sérieux mais elle est loin de jouer le rôle qu’elle pourrait jouer encore jusqu’à aujourd’hui.

Bien entendu, il est possible d’utiliser la clause de Martens à d’autres fins qu’à celles énoncées, étant la finalité originaire. Il est possible d’utiliser la clause de Martens en matière d’interprétation du DIH pour faire en sorte que des aspirations humanitaires influent davantage sur telle ou telle interprétation en rattachant ces aspirations humanitaires à la clause de Martens, en invoquant la clause de Martens dans l’argumentation qui sera présentée. C’est tout à fait possible. Il faut simplement être subtile sur la matière parce que le DIH est toujours un équilibre entre l’humanitaire et le militaire. Si on tire trop la couverture d’un côté, cela devient mal applicable. Il faut bien pondérer l’humanitaire contre le militaire. La guerre est une abomination mais c’est ainsi et par conséquent il faut mettre en balance les choses et c’est la raison pour laquelle d’ailleurs, dans des codifications humanitaires, il y a toujours des militaires présents et c’est très important parce que cela doit être une équation qui va des deux côtés. Si on interprète en donnant un tout petit peu plus de force au côté humanitaire en invoquant la clause de Martens, cela est bien, mais il faut le faire avec pondération.

La même chose peut être faite dans la fonction législative, si on est dans une conférence internationale où il s’agit de codifier du nouveau droit des conflits armés, il est possible en tant que délégué de passer à la tribune et de dire que cette disposition devrait être revue dans un sens un tout petit peu plus humanitaire et invoquer la clause de Martens dans le processus législatif avec la même limite pour l’interprétation.

Une autre fonction qu’il est possible d’octroyer à la clause de Martens est de dire que la clause de Martens est un renvoie juridique vers le droit des droits de l’homme et que donc, on demande aux belligérants de tenir compte, non seulement du DIH mais aussi du droit des droits de l’homme avant de décider de la licéité d’une certaine conduite parce que la formule même reste sous la sauvegarde et l’empire des principes du droit des gens. Bien entendu, cela n’était pas ce que Martens avait en tête en 1899, mais nous pouvons interpréter cette clause ainsi aujourd’hui, rien n’empêche de donner à une clause dans un traité multilatéral de codification un sens contemporain, on n’est pas lié à lui donner une sens historique uniquement.

Le droit des droits de l’homme

Annexes

Références