La notion de « concept » en sciences-sociales

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En sciences sociales, un « concept » est une idée ou une catégorie abstraite qui permet aux chercheurs de classer et de comprendre le monde social. Les concepts sont des outils essentiels pour penser, analyser et expliquer les phénomènes sociaux. Ils nous aident à simplifier la complexité du monde social en regroupant et en organisant diverses observations, idées et phénomènes dans des catégories analytiques.

Les concepts peuvent prendre diverses formes en fonction de la discipline. Par exemple, en sociologie, des concepts comme "l'anomie", "la bureaucratie" ou "le capital social" sont utilisés pour caractériser et analyser des phénomènes sociaux spécifiques. En économie, des concepts tels que "l'équilibre du marché", "l'offre et la demande" ou "le capital humain" sont utilisés. En science politique, des concepts tels que "la démocratie", "le pouvoir" ou "la gouvernance" sont couramment utilisés.

La construction d'un concept est une étape importante dans la recherche en sciences sociales. Cela implique généralement une définition claire du concept, ainsi que l'identification de ses différentes dimensions ou caractéristiques. Parfois, les chercheurs peuvent également opérationnaliser les concepts, c'est-à-dire les traduire en variables mesurables qui peuvent être utilisées dans la recherche empirique.

La science sociale et la pertinence de la théorie

En science sociale, la théorie joue un rôle central, mais elle n’est pas toujours claire :

  • La théorie comme une abstraction: La théorie est en effet un outil pour nous aider à comprendre le monde de manière plus abstraite. Cependant, contrairement à ce que certains pourraient penser, elle n'est pas réservée uniquement aux philosophes ou aux intellectuels. Chacun de nous utilise constamment des théories pour interpréter et comprendre le monde qui nous entoure. Par exemple, si vous pensez que la récompense motive les gens à travailler plus dur, vous appliquez en réalité une version simplifiée de la théorie de l'incitation. Les théories sont simplement des cadres de réflexion qui nous aident à structurer nos observations et nos pensées sur le monde.
  • La théorie comme étant déconnectée de la réalité: Il est également courant de penser que la théorie est déconnectée de la réalité ou qu'elle est subjective. Cependant, une bonne théorie en sciences sociales est basée sur l'observation empirique et est constamment testée contre celle-ci. La théorie peut commencer par des idées abstraites, mais ces idées sont ensuite liées à des hypothèses spécifiques qui peuvent être testées par l'observation ou l'expérimentation. Ainsi, loin d'être déconnectée de la réalité, une bonne théorie est constamment en dialogue avec elle.

L'approche inductive et déductive sont deux méthodes centrales dans le raisonnement scientifique, y compris en sciences sociales, et décrivent comment les faits et les théories interagissent.

  • Approche inductive : La méthode inductive part des observations spécifiques pour arriver à des généralisations ou à des théories plus larges. Par exemple, un chercheur pourrait commencer par des entretiens détaillés avec des personnes sans abri, puis utiliser ces entretiens pour développer une théorie plus générale sur les causes de l'itinérance. Cette approche est souvent utilisée en recherche qualitative.
  • Approche déductive : La méthode déductive, en revanche, commence par une théorie ou une hypothèse générale, puis cherche à trouver des observations spécifiques qui la soutiennent. Par exemple, un économiste pourrait commencer par l'hypothèse que l'augmentation du salaire minimum entraînera une augmentation du chômage, puis chercher des données pour tester cette hypothèse. Cette approche est souvent utilisée en recherche quantitative.

Dans la pratique, de nombreux chercheurs utilisent une combinaison d'approches inductives et déductives dans leur travail. Ils peuvent commencer par une théorie générale (approche déductive), puis utiliser des observations pour affiner ou modifier cette théorie (approche inductive). Ou ils peuvent commencer par des observations spécifiques (approche inductive), puis utiliser ces observations pour développer une nouvelle théorie ou hypothèse qu'ils testeront ensuite avec d'autres données (approche déductive). La complémentarité de ces deux approches aide à enrichir et à renforcer la recherche en sciences sociales, en assurant un dialogue constant entre la théorie et les observations.

Dans le contexte des sciences sociales, une théorie est une explication systématique des phénomènes observés. Elle fournit un cadre de compréhension et d'interprétation de la réalité, en reliant différents faits et observations pour expliquer des relations de cause à effet, des motifs, des comportements et des tendances dans la société. Une théorie n'est pas simplement une hypothèse ou une supposition. Elle est basée sur un ensemble d'hypothèses clairement définies et vérifiables, et elle est soutenue par des preuves empiriques. En outre, une bonne théorie devrait être capable de faire des prédictions précises sur les résultats futurs. Il existe souvent plusieurs théories différentes qui peuvent expliquer un même phénomène social. Par exemple, en sociologie, l'inégalité économique peut être expliquée par des théories marxistes (qui se concentrent sur les structures de classe et le capitalisme), des théories de l'échange social (qui se concentrent sur les interactions et les transactions individuelles), ou des théories institutionnelles (qui se concentrent sur les lois, les politiques et les structures sociales). Cependant, malgré leurs différences, toutes ces théories partagent le même objectif fondamental : aider à expliquer comment fonctionne la réalité sociale.

Une bonne théorie en sciences sociales a pour but d'identifier les facteurs et les processus qui structurent une partie de la réalité sociale. Elle sert à expliquer comment et pourquoi les choses se passent, et à anticiper comment les choses pourraient se passer dans différentes conditions. Voici quelques points importants concernant une bonne théorie :

  1. Identifie les facteurs importants : Une théorie devrait clairement identifier les variables ou facteurs qui sont importants pour le phénomène ou la question de recherche à l'étude. Ces facteurs peuvent inclure des caractéristiques individuelles, des comportements, des processus sociaux, des institutions, des structures sociales, et plus encore.
  2. Explique les relations entre ces facteurs : Une théorie devrait également expliquer comment ces facteurs sont liés les uns aux autres. Par exemple, elle pourrait expliquer comment les changements dans une variable (par exemple, le niveau d'éducation) affectent une autre variable (par exemple, le revenu).
  3. Propose des lois ou des principes généraux : Une théorie devrait proposer des principes généraux ou des "lois" qui expliquent le comportement des facteurs étudiés. Par exemple, une théorie économique pourrait proposer une loi selon laquelle, toutes choses étant égales par ailleurs, une augmentation de la demande pour un produit entraînera une augmentation de son prix.
  4. Est vérifiable : Une théorie devrait être formulée de manière à pouvoir être testée par l'observation et l'expérience. Cela signifie qu'elle devrait faire des prédictions spécifiques qui peuvent être confirmées ou infirmées par des données.
  5. Est applicable à une variété de contextes : Une bonne théorie devrait être assez générale pour s'appliquer à une variété de contextes et de situations, bien que certaines théories puissent être spécifiques à certains contextes culturels ou historiques.

Dans "Doing Comparative Politics: An Introduction to Approaches and Issues", Lim met en lumière la fonction d'une théorie comme un moyen de filtrer et d'organiser notre compréhension de la réalité.[1] Il définit la théorie comme une représentation simplifiée de la réalité, c’est un prisme par lequel les faits sont sélectionnés, interprétés, organisés et reliés entre eux de sorte qu’ils forment une totalité cohérente. Les points clés de cette définition sont :

  1. Simplification de la réalité : La réalité est incroyablement complexe. Une théorie fournit une représentation simplifiée qui permet de comprendre plus facilement des phénomènes spécifiques. Elle permet de concentrer l'attention sur les aspects les plus pertinents de la réalité pour une question de recherche donnée.
  2. Prisme : Une théorie agit comme un prisme, aidant à sélectionner et à mettre en lumière certains faits tout en mettant d'autres faits dans l'ombre. Cette sélection est cruciale car il est impossible de considérer tous les faits à la fois.
  3. Interprétation et organisation : Une théorie fournit un cadre pour interpréter et organiser les faits. Elle aide à donner du sens aux observations et à les regrouper de manière significative.
  4. Cohérence : Une bonne théorie présente un ensemble cohérent de faits et d'arguments. Elle relie divers éléments de manière logique et systématique.

Les théories jouent un rôle crucial dans la structuration de notre compréhension de la réalité. Elles aident à organiser et à relier les faits, à identifier les relations de cause à effet, et à mettre en lumière les structures et les processus sous-jacents qui peuvent ne pas être immédiatement évidents. Par exemple, dans le domaine de la sociologie, la théorie du conflit aide à organiser les faits autour de l'idée que la société est structurée par des conflits de classe et d'autres formes de lutte pour le pouvoir. Elle relie divers faits - comme l'inégalité économique, la discrimination raciale, et le sexisme - à une analyse plus large de la manière dont le pouvoir est distribué et contesté dans la société. De même, en économie, la théorie de l'offre et de la demande aide à organiser les faits en suggérant que les prix sont déterminés par l'interaction entre ce que les gens sont prêts à payer pour un bien ou un service (la demande) et la quantité de ce bien ou de ce service qui est disponible (l'offre). Ces théories ne réduisent pas seulement la complexité de la réalité en fournissant des simplifications utiles, elles aident également à ordonner la réalité en structurant notre compréhension des faits. Elles fournissent un cadre cohérent pour l'interprétation et l'explication des phénomènes que nous observons, ce qui permet aux chercheurs de formuler des hypothèses, de conduire des recherches, et de développer une compréhension plus profonde de la réalité sociale.

Une théorie, dans son essence, est une argumentation cohérente qui repose sur une logique interne solide. Elle décrit et explique les mécanismes qui sous-tendent une relation causale et fournit un cadre qui lie les concepts, les variables et les faits d'une manière qui donne du sens. En sciences sociales, une théorie bien construite doit identifier les relations entre les concepts ou les variables, préciser la nature de ces relations (par exemple, si une augmentation d'une variable entraîne une augmentation ou une diminution d'une autre), et expliquer pourquoi ces relations existent. La théorie doit également être suffisamment précise pour permettre de faire des prédictions qui peuvent être testées empiriquement. Par exemple, dans la théorie du capital humain en économie, l'éducation est considérée comme un investissement qui augmente la productivité et le potentiel de gains d'un individu. Cette théorie suggère une relation causale : une augmentation de l'éducation entraîne une augmentation des revenus. Les mécanismes qui soutiennent cette relation incluent l'acquisition de compétences et de connaissances qui augmentent la productivité de l'individu. Cependant, une théorie n'est pas seulement une description de la réalité, c'est aussi un outil pour changer cette réalité. En identifiant les mécanismes qui sous-tendent les relations causales, une théorie peut aider à identifier les leviers d'action possibles pour influencer les résultats. Par exemple, si l'on accepte la théorie du capital humain, alors une politique possible pour augmenter les revenus serait d'investir dans l'éducation.

On peut penser à deux analogies pour saisir la notion de théorie :

  • La théorie comme paire de lunettes : Cette analogie illustre bien la manière dont une théorie nous aide à filtrer et à interpréter les informations que nous percevons. Tout comme une paire de lunettes peut aider à améliorer notre vision en mettant certaines choses au point ou en filtrant certaines longueurs d'onde de lumière, une théorie aide à mettre en évidence certains aspects de la réalité sociale tout en en minimisant d'autres. Chaque théorie offre une perspective unique qui nous permet de voir certains aspects de la réalité plus clairement, tout en occultant potentiellement d'autres aspects.
  • La théorie comme carte : De la même manière qu'une carte est une représentation simplifiée de la réalité géographique qui met l'accent sur certains détails (comme les routes, les frontières ou les reliefs) tout en en omettant d'autres, une théorie est une représentation simplifiée de la réalité sociale qui met l'accent sur certains aspects de celle-ci. Les cartes peuvent varier en fonction des informations que l'on souhaite mettre en évidence, de même, les théories peuvent différer en fonction des aspects de la réalité sociale que l'on souhaite mettre en avant.

Tout comme il est utile d'avoir plusieurs types de cartes (par exemple, une carte routière, une carte topographique, une carte politique), il est également utile d'avoir plusieurs théories pour comprendre pleinement la complexité de la réalité sociale. Chaque théorie offre un éclairage unique, et ces éclairages peuvent souvent se compléter pour donner une image plus complète et nuancée.

La distinction entre les perspectives de Karl Marx et de Max Weber illustre deux approches fondamentales de la théorie en sciences sociales.

  • L'approche de Karl Marx: Marx considérait la théorie non seulement comme un moyen de comprendre la réalité sociale, mais aussi comme un outil pour la transformer. Pour lui, le but de la théorie était d'identifier les structures de pouvoir et d'exploitation dans la société (en particulier dans le contexte du capitalisme) et de fournir une base pour l'action politique et sociale visant à créer une société plus équitable. Sa célèbre déclaration, "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, il s'agit maintenant de le transformer," met en lumière cette conviction que la théorie doit être appliquée de manière pratique pour améliorer la condition humaine.
  • L'approche de Max Weber: D'un autre côté, Weber voyait la théorie plus comme un outil de compréhension objective de la réalité sociale. Pour lui, le but de la théorie était de décrire et d'expliquer la réalité sociale de manière aussi précise et neutre que possible, sans nécessairement chercher à la transformer. Cette approche est souvent associée à l'idée de "valeur-neutralité" en sciences sociales, qui soutient que les chercheurs doivent s'efforcer de rester objectifs et de ne pas laisser leurs propres valeurs ou idéologies influencer leurs recherches.

Ces deux approches ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives. De nombreux chercheurs en sciences sociales estiment qu'il est important de comprendre la réalité sociale de manière objective (à la manière de Weber), mais reconnaissent également que cette compréhension peut et doit être utilisée pour informer l'action sociale et politique (à la manière de Marx). En fin de compte, la manière dont un chercheur envisage le rôle de la théorie dépendra de ses propres perspectives philosophiques et éthiques.

La perspective de Karl Marx sur la théorie souligne le potentiel qu'elle a de servir de levier pour le changement social et politique. Pour Marx, la théorie n'est pas simplement un outil pour comprendre le monde, mais un moyen de le transformer activement. Dans cette vision, la théorie n'est pas une activité purement académique ou intellectuelle, mais elle a une pertinence et une utilité directes pour le monde réel. Dans l'œuvre de Marx, cette idée est étroitement liée à sa théorie de la lutte des classes. Selon Marx, la théorie peut aider à éclairer les structures de pouvoir et d'exploitation dans la société, en particulier en ce qui concerne les relations entre les classes sociales dans le système capitaliste. En conscientisant les classes ouvrières de leur exploitation, Marx pensait que la théorie pourrait servir d'outil pour inciter à la révolution et à l'établissement d'une société communiste. Cela dit, il est important de noter que bien que l'approche de Marx mette l'accent sur le rôle actif de la théorie dans le changement social, cette perspective n'est pas nécessairement partagée par tous les chercheurs en sciences sociales. Certains peuvent voir la théorie davantage comme un outil pour comprendre le monde plutôt que pour le changer. Néanmoins, la perspective de Marx met en évidence l'une des façons dont la théorie peut être considérée comme ayant une pertinence et une utilité directes pour la société.

Robert Cox, un éminent théoricien des relations internationales, a bien articulé cette perspective dans son travail dans son ouvrage Social Forces, States and World Orders: Beyond International Relations Theory[2]. Selon lui, toute théorie a une perspective — elle est "toujours pour quelqu'un et pour certains objectifs". Cette affirmation repose sur l'idée que la théorie n'est jamais totalement neutre ou objective, car elle est toujours influencée par les valeurs, les croyances et les objectifs des individus qui la développent et l'utilisent. Cox a fait une distinction entre ce qu'il appelait les théories "problème-résolution" et les théories "critiques". Les théories de résolution de problèmes acceptent le monde tel qu'il est et cherchent à rendre les systèmes et structures existants plus efficaces. Elles sont généralement favorables au statu quo et à l'ordre existant. D'autre part, les théories critiques remettent en question l'ordre existant et cherchent à comprendre comment et pourquoi il a été créé. Elles visent à exposer les forces et les structures de pouvoir qui sous-tendent la réalité sociale et, souvent, à envisager des moyens de changer ces structures. Cela souligne une fois de plus que les théories ne sont pas simplement des descriptions neutres de la réalité. Elles sont influencées par les perspectives et les objectifs des théoriciens, et elles peuvent à leur tour influencer notre compréhension de la réalité et notre action sur le monde.

Max Weber, un des fondateurs de la sociologie moderne, a en effet fortement soutenu l'idée de la neutralité axiologique, c'est-à-dire la séparation des faits et des valeurs dans la recherche scientifique. Selon Weber, alors que les valeurs peuvent guider le choix des sujets de recherche, les chercheurs devraient s'efforcer d'être aussi objectifs et impartiaux que possible lorsqu'ils analysent et interprètent les données. Weber soutenait que, bien que la recherche en sciences sociales puisse éclairer les conséquences possibles de différentes actions ou politiques, elle ne peut pas nous dire quelle action ou politique nous devrions choisir. C'est parce que le choix entre différentes valeurs ou fins est en fin de compte une question de jugement personnel ou moral, et non de fait scientifique. En termes pratiques, cela signifie que les chercheurs devraient présenter les faits tels qu'ils sont, sans les juger selon leurs propres critères de bien et de mal, de juste et d'injuste, de meilleur ou de pire. Par exemple, un sociologue qui étudie une certaine pratique culturelle devrait s'efforcer de la décrire et de l'expliquer aussi objectivement que possible, sans exprimer son approbation ou sa désapprobation personnelle. La neutralité axiologique ne signifie pas que les chercheurs ne doivent pas avoir de valeurs personnelles ou qu'ils doivent éviter des sujets de recherche qui ont des implications éthiques ou politiques. Plutôt, cela signifie que lorsqu'ils effectuent leur recherche, ils devraient s'efforcer de séparer leurs analyses et leurs conclusions de leurs propres jugements de valeur.

La perspective de Weber sur la neutralité axiologique a été très influente et continue d'être une norme importante dans de nombreux domaines des sciences sociales. Cependant, elle a aussi été critiquée. Certains suggèrent qu'il est impossible pour les chercheurs d'éviter totalement que leurs valeurs influencent leur travail. D'autres argumentent que la recherche en sciences sociales devrait avoir pour but non seulement de comprendre le monde, mais aussi de le changer, une position qui s'oppose à l'idée de neutralité axiologique. C'est un débat qui continue dans les sciences sociales aujourd'hui, et différentes perspectives peuvent être plus ou moins pertinentes selon le sujet de recherche et la méthodologie utilisée.

Max Weber, dans son essai "Politik als Beruf" (La Politique comme Vocation), a élaboré sa vision de la neutralité axiologique. Cet essai, écrit en 1919, est souvent considéré comme une définition classique de la neutralité axiologique en sciences sociales. Dans "La Politique comme Vocation", Weber a soutenu que bien que la science (y compris les sciences sociales) puisse aider à clarifier les moyens par lesquels un certain objectif politique peut être atteint, elle ne peut pas déterminer quelle fin ou quel objectif devrait être poursuivi. Selon lui, cela relevait de la sphère de la politique et du jugement personnel, et non de la science. La neutralité axiologique, dans la perspective de Weber, est une tentative de maintenir une séparation entre ces sphères - pour éviter que la science ne devienne trop politisée, ou que la politique ne devienne trop scientifisée. Il s'agit d'un idéal selon lequel les chercheurs s'efforcent de rendre compte de la réalité aussi objectivement et impartialement que possible, sans laisser leurs propres valeurs ou jugements politiques influencer leur travail.

L’extrait suivant est issu d’une série de conférences prononcées en 1919 à l’Université de Munich. Weber développe une réflexion sur la nature du travail scientifique : "Arrêtons-nous maintenant un instant aux disciplines qui me sont familières, à savoir, la sociologie, l'histoire, l'économie politique, la science politique et toutes les sortes de philosophie de la culture qui ont pour objet l'interprétation des diverses sortes de connaissances précédentes. On dit, et j'y souscris, que la politique n'a pas sa place dans la salle de cours d'une université. Elle n'y a pas sa place, tout d'abord du côté des étudiants. Je déplore par exemple tout autant le fait que dans l'amphithéâtre de mon ancien collègue Dietrich Schäfer de Berlin un certain nombre d'étudiants pacifistes se soient un jour massés autour de sa chaire pour faire du vacarme, que le comportement des étudiants anti-pacifistes qui ont, semble-t-il, organisé une manifestation contre le professeur Foerster dont je suis pourtant, par mes propres conceptions, aussi éloigné que possible pour de multiples raisons. Mais la politique n'a pas non plus sa place du côté des enseignants. Et tout particulièrement lorsqu'ils traitent scientifiquement les problèmes politiques. Moins que jamais alors, elle n'y a sa place. En effet, prendre une position politique pratique est une chose, analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis en est une autre. Lorsqu'au cours d'une réunion publique,on parle de démocratie, on ne fait pas un secret de la position personnelle que l'on prend, et même la nécessité de prendre parti de façon claire s'impose alors comme un devoir maudit. Les mots qu'on utilise en cette occasion ne sont plus les moyens d'une analyse scientifique, mais ils constituent un appel politique en vue de solliciter des prises de position chez les autres. Ils ne sont plus des socs de charrue pour ameublir l'immense champ de la pensée contemplative,mais des glaives pour attaquer des adversaires, bref des moyens de combat. Ce serait une vilenie que d'employer ainsi les mots dans une salle de cours.Lorsqu'au cours d'un exposé universitaire on se propose d'étudier par exemple la « démocratie », on procède à l'examen de ses diverses formes, on analyse le fonctionnement propre à chacune d'elles et on examine les conséquences qui résultent de l'une et de l'autre dans la vie; on leur oppose ensuite les formes non démocratiques de l'ordre politique et l'on essayera de pousser son analyse jusqu'au moment où l'auditeur sera lui-même en mesure de trouver le point à partir duquel il pourra prendre position en fonction de ses propres idéaux fondamentaux. Mais le véritable professeur se gardera bien d'imposer à son auditoire, du haut de la chaire, une quelconque prise de position, que ce soit ouvertement ou par suggestion - car la manière la plus déloyale est évidemment celle qui consiste à laisser parler les faits. Pour quelles raisons, au fond, devons-nous nous en abstenir ? Je présume qu'un certain nombre de mes honorables collègues seront d'avis qu'il est en général impossible de mettre en pratique cette réserve personnelle, et que même si la chose était possible, ce serait une marotte que de prendre pareilles précautions. Dame ! On ne peut démontrer scientifiquement à personne en quoi consiste son devoir de professeur d'université. On ne peut jamais exiger de lui que la probité intellectuelle, ce qui veut dire l'obligation clé reconnaître que d'une part l'établissement des faits, la détermination des réalités mathématiques et logiques ou la constatation des structures intrinsèques des valeurs culturelles, et d'autre part la réponse aux questions concernant la valeur de la culture et de ses contenus particuliers ou encore celles concernant la manière dont il faudrait agir dans la cité et au sein des groupements politiques, constituent deux sortes de problèmes totalement hétérogènes. Si l'on me demandait maintenant pourquoi cette dernière série clé questions doit être exclue d'un amphithéâtre, je répondrai que le prophète et le démagogue n'ont pas leur place dans une chaire universitaire […] je suis prêt à vous fournir la preuve au moyen des œuvres des historiens que chaque fois qu’un homme de science fit intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a pas plus de compréhension intégrale des faits"

Cet extrait met en lumière la perspective de Max Weber sur la distinction entre jugement de valeur et jugement de fait, et l'idée de neutralité axiologique. Pour Weber, la salle de cours universitaire (et, par extension, le domaine de la recherche académique) devrait être exempte de politique, dans le sens où ni les étudiants ni les enseignants ne devraient laisser leurs convictions politiques personnelles influencer leur approche de l'étude. Il est particulièrement critique à l'égard des enseignants qui chercheraient à imposer leurs propres prises de position à leurs élèves, que ce soit de manière ouverte ou subtile. Weber met en avant la distinction entre "prendre une position politique pratique" et "analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis". Alors que la première implique un engagement personnel et l'utilisation du langage comme "moyen de combat", la seconde implique une analyse objective et désintéressée, visant à permettre aux étudiants de comprendre les faits de manière à pouvoir formuler leurs propres jugements. C'est ce que Weber entend par neutralité axiologique : la nécessité pour le chercheur de se tenir à l'écart de la politique, en veillant à séparer soigneusement le jugement de fait du jugement de valeur. C'est une vision qui a eu une influence considérable sur les sciences sociales, même si elle a aussi été l'objet de critiques et de débats.

Weber a fait valoir que les chercheurs devraient s'efforcer d'atteindre l'objectivité en séparant leurs propres jugements de valeur de leur analyse des faits. C'est le principe de "neutralité axiologique". Cependant, cela ne signifie pas que les questions normatives - c'est-à-dire les questions de ce qui devrait être, plutôt que de ce qui est - n'ont pas leur place en science politique. Il existe de nombreux domaines de la science politique qui s'occupent de questions normatives, tels que la théorie politique, l'éthique politique, et certains aspects de la politique publique et de l'administration. La "révolution du choix rationnel" a conduit à une approche plus formalisée et plus quantitative de l'analyse politique, basée sur l'hypothèse que les individus agissent de manière à maximiser leur utilité personnelle. Cependant, bien que cette approche puisse offrir des aperçus précieux sur le comportement humain, elle a aussi été critiquée pour sa tendance à négliger d'autres facteurs importants, tels que les normes sociales, les valeurs culturelles, et la complexité et l'incertitude inhérentes à de nombreuses situations politiques. En fin de compte, l'équilibre entre l'analyse objective des faits et l'engagement avec les questions normatives est un sujet de débat continu en science politique, et différentes approches peuvent être appropriées dans différents contextes.

La théorie politique normative se distingue en ce sens qu'elle cherche à évaluer comment les choses devraient être, plutôt qu'à décrire comment elles sont. Ce champ d'études se penche sur des questions d'éthique et de philosophie morale et politique, en s'interrogeant par exemple sur ce qui rend un gouvernement juste ou injuste, ou sur ce qui constitue une société bonne ou mauvaise. Dans le contexte de la démocratie parlementaire, une étude normative pourrait évaluer la valeur intrinsèque de la démocratie parlementaire en tant que système de gouvernement. Cela pourrait impliquer l'examen des principes philosophiques sous-jacents à la démocratie parlementaire, tels que l'égalité, la liberté d'expression et le droit de participer à la gouvernance politique, ainsi que des questions d'éthique politique plus larges. La théorie politique normative ne prétend pas à la même objectivité que d'autres domaines de la science politique. Au lieu de cela, elle implique souvent l'articulation et la défense de positions éthiques spécifiques. Cela ne signifie pas pour autant que ce travail est dépourvu de rigueur intellectuelle. Bien au contraire, la théorie politique normative implique souvent des arguments rigoureux et détaillés qui s'appuient sur des principes philosophiques bien établis.

En science sociale, l'analyse empirique est souvent basée sur des postulats normatifs, qui sont les croyances ou les suppositions fondamentales sur le monde qui sous-tendent une approche particulière de la recherche. Ces postulats peuvent concerner la nature de la réalité sociale, les types de connaissances qui sont possibles ou valables, ou les méthodes appropriées pour obtenir ces connaissances. Cependant, dans l'analyse empirique, l'objectif principal est de tester et d'évaluer ces postulats à travers l'observation et l'expérience. Cela signifie que, bien que les postulats normatifs puissent influencer la façon dont un chercheur aborde une question de recherche particulière, l'analyse empirique se concentre principalement sur l'examen systématique et objectif des données disponibles. Dans ce processus, les théories ou les hypothèses sont constamment révisées et affinées à la lumière des preuves empiriques, dans un effort pour obtenir une compréhension plus précise et plus complète de la réalité sociale. Par conséquent, bien que les considérations normatives puissent jouer un rôle dans l'orientation de la recherche en science sociale, elles ne sont généralement pas au premier plan de l'analyse empirique. L'objectif de cette dernière est d'offrir une compréhension basée sur des preuves de la manière dont le monde fonctionne réellement, plutôt que de prescrire comment il devrait fonctionner.

L'approche explicative est dominante dans de nombreuses disciplines des sciences sociales. Cette approche vise à expliquer pourquoi les phénomènes sociaux se produisent, généralement en identifiant les causes ou les mécanismes qui les génèrent. L'objectif est de produire des connaissances qui permettent de prédire et, éventuellement, de contrôler ces phénomènes. Les chercheurs qui adoptent cette approche utilisent souvent des méthodes quantitatives, telles que les statistiques et les modèles économétriques, bien que des méthodes qualitatives puissent également être utilisées. L'approche phénoménologique, quant à elle, se concentre sur la compréhension des expériences subjectives des individus. Elle cherche à décrire et à interpréter la façon dont les individus perçoivent, vivent et donnent un sens à leur monde. Les chercheurs qui adoptent cette approche utilisent généralement des méthodes qualitatives, telles que les interviews en profondeur, l'observation participante et l'analyse de discours. Ces deux approches sont complémentaires et peuvent souvent être utilisées conjointement dans une étude. Par exemple, un chercheur peut utiliser une approche explicative pour identifier les facteurs qui influencent un certain phénomène social, puis utiliser une approche phénoménologique pour comprendre comment ces facteurs sont vécus et interprétés par les individus concernés.

Max Weber à propos de la délimitation du champ de la science politique et de son objet dit "ce ne sont pas les rapports entre les « choses » qui constituent le principe de la délimitation des différents domaines scientifiques, mais les rapports conceptuels entre problèmes"[3]. La citation de Max Weber souligne l'importance des relations conceptuelles entre les problèmes dans la définition des domaines de recherche en sciences sociales. Dans cette perspective, les disciplines ne sont pas définies par des objets d'étude distincts (ou des "choses") mais plutôt par les questions spécifiques qu'elles cherchent à répondre et les cadres conceptuels qu'elles utilisent pour aborder ces questions. Par exemple, l'économie, la sociologie et la science politique peuvent toutes s'intéresser au même phénomène - disons, l'inégalité économique - mais elles poseront différentes questions à ce sujet et l'aborderont à travers des cadres conceptuels différents. La vision de Weber nous incite à reconnaître que les sciences sociales sont moins définies par leurs "objets" d'étude que par les problématiques et les questions qu'elles posent. Dans cette optique, il n'existe pas une démarcation stricte entre les différentes sciences sociales, mais plutôt une multiplicité de perspectives qui se chevauchent et se complètent. C'est pourquoi le même phénomène peut être étudié sous différents angles par différentes disciplines. Par exemple, un sociologue, un économiste et un politologue pourraient tous s'intéresser à la pauvreté, mais ils poseraient des questions différentes et utiliseraient des méthodes différentes pour y répondre. Cette perspective encourage la recherche interdisciplinaire et la collaboration entre chercheurs de différentes disciplines pour aborder des problèmes complexes sous plusieurs angles différents.

Les concepts jouent un rôle central dans la science politique (et les sciences sociales en général) en aidant à définir les problèmes de recherche et à structurer les explications des phénomènes sociaux et politiques. Les concepts sont les outils de base que les chercheurs utilisent pour penser le monde politique, pour formuler des questions de recherche, et pour construire des théories. Les concepts en sciences sociales et politiques sont souvent des abstractions de réalités plus complexes. Par exemple, des concepts tels que "démocratie", "État", "idéologie", "pouvoir", ou "classe sociale" représentent tous des aspects de la réalité sociale et politique qui sont trop complexes pour être saisis directement. Ces concepts fournissent un moyen de simplifier cette complexité en se concentrant sur certaines caractéristiques ou dimensions spécifiques des phénomènes qu'ils représentent. La mise en relation de ces concepts permet de construire des théories, qui à leur tour permettent de mieux comprendre et d'expliquer le monde social et politique. Par exemple, en science politique, nous pourrions utiliser le concept de "démocratie" pour poser des questions sur la manière dont différents types de régimes politiques (une autre notion conceptuelle) affectent les résultats politiques et économiques. Nous pourrions utiliser le concept de "pouvoir" pour explorer comment les différents acteurs sociaux et politiques sont en mesure d'influencer les processus de décision et les politiques publiques. Ou encore, nous pourrions utiliser le concept de "classe sociale" pour comprendre comment les inégalités socio-économiques affectent la participation politique et les préférences en matière de politique publique. Ces concepts ne sont pas figés ; ils évoluent en fonction des développements théoriques et méthodologiques dans le domaine, ainsi que des changements dans le monde politique lui-même. Les chercheurs débattent souvent de la meilleure façon de définir et de mesurer ces concepts, et ces débats sont une partie importante du développement de la discipline. Ainsi, les concepts en science politique sont à la fois des outils de recherche et des sujets de débat académique. Ils sont indispensables pour structurer notre pensée et notre compréhension du monde politique, et pour conduire des recherches qui produisent de nouvelles connaissances sur ce monde.

Le modèle classique en science politique

Conceptualisation : Définir le coeur des concepts

En préambule, il est utile de s’intéresser à son étymologie. En latin, le mot « concept » provient de « concipere » qui est formé de « corp » et de « capare » qui signifie « saisir pleinement ». Le concept va dès lors être un outil, une aide à la compréhension.

Cependant, il y a une polysémie du terme. Différents utilisateurs vont le définir et proposer des affirmations variées :

Robert Adcock dans The History of Political Science[4] publié en 2005 propose une définition selon le modèle classique aussi appelé « paradigme objectiviste » du concept. Il définit le concept comme des représentations mentales de catégories du monde elles représentent la réalité externe.

Les concepts fonctionnent comme des symboles mentaux (« mental symbols »; « mental representations »; « mental images »), représentant la réalité externe. Ce modèle classique traite les objets comme des entités cognitives représentant une série de classe d’objets dans le réel via les traits communs de ces entités dans la réalité.

Sartori publie en 1984 Social Science Concepts: A systematic analysis[5] pour qui le concept consiste en un ensemble de caractéristiques nécessaires qui le défini.Cela permet de distinguer A de non-A. L’analyse conceptuelle est la tâche méthodologique cruciale à laquelle tout chercheur est confronté. Il oppose le discours scientifique au discours du sens commun très peu précis ; Sartori exige de la science de définir les termes clairement. Il faut dégager des définitions de concepts claires et intersubjectives partagées par l’ensemble de la communauté. Le travail conceptuel peut aussi générer de nouveaux concepts.

Taylor distingue des catégories en terme nécessaires et suffisantes. Les éléments sont de type binaire, c’est-à-dire que l’on a soit la présence ou l’absence d’une caractéristique. C’est une variable dichotomique. Tous les membres d’une catégorie ont le même statut.

L'importance de la mesure en science politique

Article détaillé : De la théorie aux données.

Les théories sont en fait des constructions intellectuelles qui nous aident à comprendre les relations entre différents concepts et à expliquer les phénomènes du monde réel. Mais bien que les concepts eux-mêmes soient des abstractions, ils sont souvent opérationnalisés de manière à pouvoir être mesurés et observés.

L'opérationnalisation est le processus par lequel les chercheurs définissent comment un concept spécifique sera mesuré dans le cadre d'une étude particulière. C'est une étape essentielle de la recherche en sciences sociales, car elle permet de passer d'un concept abstrait à des indicateurs concrets et mesurables. Par exemple, le concept de "démocratie" est une abstraction qui englobe de nombreuses idées différentes sur ce que signifie un gouvernement "du peuple, par le peuple, pour le peuple". Mais pour étudier la démocratie de manière empirique, les chercheurs doivent définir comment ils vont la mesurer. Ils peuvent décider d'opérationnaliser la démocratie en termes de libertés civiles et politiques, de pluralisme politique, de participation électorale, de transparence gouvernementale, etc. Ces indicateurs sont ensuite utilisés pour recueillir des données qui peuvent être analysées pour tester les hypothèses de la théorie.

Il est important de noter que l'opérationnalisation d'un concept peut varier en fonction du contexte de l'étude et des questions de recherche spécifiques. Les chercheurs doivent donc être clairs sur la façon dont ils opérationnalisent leurs concepts et justifier leurs choix méthodologiques. Il est également crucial de comprendre que même si les concepts sont abstraits et les théories sont inobservables, ils sont essentiels pour structurer notre compréhension du monde et guider notre recherche. Sans eux, nous ne saurions pas quoi chercher, ni comment interpréter ce que nous trouvons.

L'opérationnalisation est un processus crucial dans la recherche en sciences sociales. C'est le processus par lequel un concept abstrait (comme la démocratie, la pauvreté, l'éducation, etc.) est transformé en une variable mesurable, souvent grâce à l'utilisation d'indicateurs. Par exemple, si nous prenons le concept de "démocratie", nous devons décider comment nous allons mesurer ce concept dans une étude particulière. C'est là qu'intervient l'opérationnalisation. Nous pourrions décider que la démocratie sera mesurée par des indicateurs tels que des élections libres et équitables, la protection des droits de l'homme, l'indépendance de la justice, etc. L'opérationnalisation est donc une étape essentielle pour passer d'une idée théorique à une recherche empirique. Cela permet de rendre les concepts abstraits "réels" de manière à ce qu'ils puissent être mesurés et analysés. C'est également une étape qui nécessite une réflexion et une justification rigoureuses, car le choix des indicateurs peut avoir un impact significatif sur les résultats de la recherche.

Une mesure est une quantification ou une qualification d'un concept qui le rend utilisable dans le cadre d'une étude empirique. La mesure implique de transformer le concept en une variable mesurable qui peut être utilisée pour la collecte de données.

Considérons le concept de "démocratisation". Pour l'opérationnaliser, il faut définir les indicateurs de la démocratisation. On peut décider que la démocratisation peut être mesurée par des facteurs tels que l'existence d'élections libres et équitables, la liberté de la presse, le respect des droits de l'homme, l'existence de plusieurs partis politiques, la séparation des pouvoirs, etc. On peut ensuite développer une méthode pour collecter des données sur ces différents facteurs dans un certain nombre de pays. Par exemple, utiliser des bases de données existantes qui évaluent la liberté de la presse, le respect des droits de l'homme, etc., dans différents pays. Alternativement, il est possible de développer votre propre enquête ou méthode d'observation pour collecter ces informations. Dans ce cas, les données sur ces divers indicateurs seraient les mesures du concept de démocratisation. Cependant, tout comme dans l'exemple du bonheur, il est important de se rappeler que ces mesures sont des représentations du concept de démocratisation, et non le concept lui-même. De plus, toutes les mesures ont une certaine marge d'erreur et ne sont jamais parfaites, c'est pourquoi il est essentiel de réfléchir soigneusement à la manière dont d'opérationnaliser et mesurer les concepts dans votre recherche.

Il est important de noter que la mesure est une représentation du concept et non le concept lui-même. De plus, aucune mesure n'est parfaite et toutes comportent une certaine marge d'erreur. C'est pourquoi il est essentiel de réfléchir soigneusement à la façon dont vous opérationnalisez et mesurez vos concepts dans votre recherche.

L'opérationnalisation est une étape essentielle dans tout processus de recherche empirique. Sans elle, les concepts restent trop abstraits pour être analysés de manière systématique et rigoureuse. L'opérationnalisation transforme les concepts théoriques en variables mesurables qui peuvent être observées et analysées. C'est un processus qui permet de traduire des concepts abstraits en termes concrets et observables, ce qui permet aux chercheurs de les mesurer et de les analyser. C'est en opérationnalisant les concepts que les chercheurs peuvent tester les hypothèses et les théories en utilisant des méthodes empiriques. Par exemple, si un chercheur a une théorie selon laquelle la démocratisation conduit à une diminution de la violence, il doit d'abord opérationnaliser les concepts de "démocratisation" et de "violence". Ce n'est qu'après avoir défini ces concepts en termes mesurables qu'il peut collecter des données et analyser la relation entre eux. Sans l'opérationnalisation, il serait impossible de tester empiriquement les théories et les hypothèses en sciences sociales et politiques.

L'évolution de la discipline : De l'art à la science

Les cinq transformations clés qui éclairent notre compréhension de l'état actuel de la science politique, qui nous aident à définir les objets de cette discipline et qui nous invitent à réfléchir profondément sur la nature intrinsèque des sciences politiques, sont les suivantes:

  1. Passage de la description/jugement à l'explication/analyse : Cette transition a marqué un changement d'orientation fondamental, de l'expression des opinions personnelles ou du jugement normatif à l'analyse rigoureuse des phénomènes politiques. Cela signifie que les chercheurs en science politique cherchent à expliquer pourquoi les choses se passent comme elles le font, plutôt qu'à dire comment elles devraient se passer.
  2. Montée en puissance de la méthode : L'importance croissante accordée à la méthode a contribué à renforcer le caractère scientifique de la science politique. Cela signifie que les chercheurs en science politique utilisent des méthodes de recherche rigoureuses pour tester leurs hypothèses et théories.
  3. Spécialisation : Avec le développement de la science politique, les chercheurs ont commencé à se spécialiser dans des domaines spécifiques, tels que la politique comparée, les relations internationales, la théorie politique, la politique publique, etc. Cette spécialisation a permis de développer des connaissances plus approfondies dans ces domaines spécifiques.
  4. Passage des approches métathéoriques aux théories de moyenne portée : Les théories de moyenne portée sont des théories qui cherchent à expliquer un phénomène spécifique ou un ensemble de phénomènes liés, contrairement aux théories métathéoriques qui cherchent à expliquer un large éventail de phénomènes. Cette transition a permis d'obtenir des explications plus précises et plus nuancées des phénomènes politiques.
  5. Révolution au niveau des données disponibles : L'augmentation de la disponibilité et de l'accessibilité des données a profondément changé la manière dont les recherches en science politique sont menées. Cela a permis aux chercheurs d'analyser des phénomènes politiques à une échelle et avec une précision sans précédent.

Ces changements ont contribué à façonner la science politique en une discipline rigoureuse et dynamique qui continue d'évoluer en fonction des nouvelles données, théories et méthodes disponibles.

Du descriptif à l'explicatif : Un tournant majeur

Depuis la Seconde Guerre mondiale et particulièrement à partir des années 1960, nous observons un double mouvement dans l'étude des phénomènes politiques.

Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les travaux de science politique étaient principalement descriptifs et normatifs. Les chercheurs se concentraient sur la description des structures politiques, des comportements et des idéologies, souvent avec un souci de réforme ou d'amélioration de l'ordre politique existant. D'une part, l'objet de recherche s'est déplacé de la simple description vers une explication plus approfondie des phénomènes politiques. En d'autres termes, les chercheurs se sont moins intéressés à la description des faits politiques qu'à la compréhension des causes et des effets sous-jacents de ces faits. Cependant, cette approche ne posait pas suffisamment la question "pourquoi?" - une question qui nécessite une explication plus profonde des phénomènes politiques. Pour répondre à cette question, les chercheurs doivent élaborer un raisonnement basé sur des hypothèses, des preuves et des déductions logiques, en d'autres termes, une analyse.

Ce n'est que plus tard, particulièrement à partir des années 1960, que les chercheurs en science politique ont commencé à se concentrer davantage sur la question du "pourquoi?". Ils ont cherché à expliquer les causes et les effets des phénomènes politiques, en utilisant des méthodes analytiques et en se basant sur des preuves empiriques. Cela a permis à la science politique de devenir une discipline plus rigoureuse et plus scientifique. Ainsi, nous avons également observé un mouvement du jugement normatif et descriptif vers une approche plus analytique et rationnelle. Au lieu de porter des jugements de valeur sur les phénomènes politiques ou de simplement les décrire, les chercheurs se sont efforcés de les comprendre de manière plus objective, en utilisant des méthodes analytiques et des raisonnements basés sur des preuves empiriques. Ce changement a permis d'améliorer la rigueur scientifique de la discipline et de mieux comprendre la complexité des phénomènes politiques.

Dans le cadre de la science politique, les chercheurs s'intéressent souvent à des schémas ou des régularités empiriques qui se produisent dans différentes sociétés et à travers le temps. Ces régularités peuvent concerner divers phénomènes, tels que le comportement électoral, l'émergence de mouvements sociaux, le développement de systèmes politiques, le déroulement des conflits, etc. En identifiant ces régularités, les chercheurs peuvent commencer à formuler des théories ou des hypothèses sur les mécanismes sous-jacents qui expliquent ces phénomènes. Ces mécanismes peuvent impliquer divers facteurs, tels que des institutions politiques, des processus sociaux, des motivations individuelles, des facteurs économiques, etc. L'objectif de cette approche est de produire des connaissances qui peuvent nous aider à mieux comprendre le monde politique. En identifiant les mécanismes qui produisent certaines régularités empiriques, nous pouvons également être en mesure de faire des prédictions sur la manière dont les choses pourraient évoluer dans le futur, ou sur la manière dont des interventions spécifiques pourraient influencer les résultats politiques.

La science politique, dans sa quête d'explication et d'analyse, a adopté des méthodologies empruntées aux sciences naturelles et physiques, tout en adaptant ces méthodes à la complexité et à la spécificité des phénomènes sociaux et politiques. L'une de ces méthodes est l'approche comparative, qui implique l'étude de plusieurs cas pour identifier les similitudes et les différences entre eux. Cette méthode peut permettre aux chercheurs de mieux comprendre les causes et les conséquences des phénomènes politiques en observant comment ils se manifestent dans différents contextes. Par exemple, un chercheur en science politique pourrait utiliser une approche comparative pour étudier la démocratisation. Il pourrait examiner un certain nombre de pays qui ont récemment transitionné vers la démocratie, en comparant les processus par lesquels ces transitions ont eu lieu, les défis rencontrés, et les facteurs qui ont contribué à la réussite ou à l'échec de la démocratisation. Cependant bien que la science politique emprunte des méthodes aux sciences naturelles et physiques, elle reste une science sociale. Les phénomènes qu'elle étudie sont profondément enracinés dans le contexte social et culturel, et sont souvent influencés par des facteurs subjectifs et intangibles qui peuvent être difficiles à mesurer ou à quantifier.

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Ce tableau présente la quantité d'articles qui emploient des termes renvoyant à la causalité, tels que « analyses causales », non seulement dans le cadre de la revue américaine de science politique, mais également à travers une gamme plus large de revues scientifiques.

La nette augmentation de l'usage de termes liés à la causalité dans ces publications met en évidence le rôle croissant accordé à l'explication dans le travail des politologues depuis les années 1960. Cela implique que le champ de la science politique a évolué pour devenir plus axé sur l'analyse causale. En d'autres termes, les chercheurs en science politique sont de plus en plus intéressés par la compréhension des causes et des effets dans les phénomènes politiques. Ils cherchent à identifier les mécanismes qui expliquent pourquoi certaines choses se produisent dans le domaine politique. L'augmentation de l'utilisation du langage causal reflète également l'influence croissante des approches quantitatives et méthodologiques rigoureuses en science politique. Ces approches sont souvent utilisées pour établir des relations causales entre différents facteurs politiques. Enfin, cela pourrait aussi refléter une tendance plus large dans les sciences sociales à se tourner vers des méthodes plus empiriques et axées sur les données. Les chercheurs sont de plus en plus capables de recueillir et d'analyser de grands ensembles de données, ce qui leur permet d'examiner les relations causales de manière plus détaillée et rigoureuse. Cela dit, il est important de noter que l'augmentation de l'accent sur l'analyse causale ne signifie pas nécessairement que d'autres approches sont moins importantes ou moins valables. Il existe de nombreux aspects de la politique qui peuvent nécessiter des approches plus qualitatives, interprétatives ou théoriques.

Renforcement méthodologique : Vers une recherche plus scientifique

En science politique comme dans d'autres sciences sociales, l'accent mis sur l'explication a entraîné une plus grande rigueur méthodologique et un renforcement du caractère scientifique de la recherche. Cela signifie que les chercheurs adoptent une approche plus systématique et disciplinée pour tester leurs hypothèses et interpréter leurs données. Ils s'appuient sur des méthodes de recherche bien établies et rigoureuses pour recueillir des données, qu'il s'agisse de sondages, d'entretiens, d'études de cas ou d'analyses de documents. Ces méthodes sont utilisées pour assurer la fiabilité et la validité des résultats de la recherche. En outre, la recherche en science politique a également été marquée par une utilisation accrue des méthodes quantitatives et des analyses statistiques. Cela permet aux chercheurs de traiter de grands ensembles de données et d'établir des liens causaux plus forts entre différentes variables politiques. En fin de compte, cette tendance vers une plus grande rigueur méthodologique et un renforcement du caractère scientifique de la recherche en science politique vise à produire des connaissances plus fiables et plus précises sur le monde politique. Cependant, il est important de noter que cette approche ne remplace pas, mais complète d'autres approches plus qualitatives ou théoriques de la science politique.

La méthode comparative est une approche couramment utilisée en science politique qui se base sur l'analyse et la comparaison d'un petit nombre de cas, généralement entre deux et une vingtaine. L'idée est de tirer des conclusions à partir des similitudes et des différences entre les cas étudiés. Cette approche est particulièrement utile pour étudier la diversité des institutions politiques. Par exemple, on peut utiliser la méthode comparative pour analyser comment différentes démocraties fonctionnent, en comparant des aspects spécifiques tels que les systèmes électoraux, les structures gouvernementales ou les politiques publiques. De même, on peut comparer des régimes autoritaires pour comprendre les facteurs qui contribuent à leur stabilité ou à leur chute. L'un des principaux avantages de la méthode comparative est qu'elle permet de contrôler un certain nombre de variables et de se concentrer sur les facteurs spécifiques que l'on cherche à étudier. Cela peut aider à identifier des relations causales et à développer des théories plus robustes. Cependant, il est également important de reconnaître les limites de cette méthode, notamment le fait qu'elle dépend de la qualité des cas sélectionnés et de la pertinence des comparaisons effectuées.

L'observation de variations institutionnelles et politiques dans différents pays constitue une base pour l'utilisation de la méthode comparative en science politique. Par exemple, la Suisse est caractérisée par un système fédéraliste, ce qui signifie que le pouvoir est réparti entre le gouvernement central et les gouvernements des cantons. En revanche, la France est un État unitaire très centralisé, où le pouvoir est concentré au niveau du gouvernement central, bien qu'il y ait des niveaux de gouvernement local. De même, la Suisse a un système parlementaire où le pouvoir exécutif est détenu par le Conseil fédéral, qui est responsable devant le Parlement. En revanche, la France a un régime semi-présidentiel, où le Président a des pouvoirs importants, indépendants du Parlement. Ces différences peuvent avoir des implications significatives pour le fonctionnement de la politique dans ces pays, par exemple en termes de processus décisionnels, de responsabilité politique, de protection des minorités, de gestion des conflits, etc. L'étude comparative de ces systèmes peut donc aider à comprendre comment différentes configurations institutionnelles et politiques affectent les résultats politiques..

La comparaison entre différentes institutions politiques offre non seulement une perspective plus large sur la diversité des systèmes politiques, mais elle fournit également une base solide pour l'analyse causale en science politique.

En premier lieu, la comparaison élargit notre vision de ce qui est possible en termes de structures politiques. Elle met en évidence la diversité des arrangements institutionnels existant à travers le monde et nous fait prendre conscience des options disponibles pour structurer notre propre société. C'est un rappel que nous avons une certaine marge de manœuvre pour façonner nos institutions en fonction de notre contexte historique, culturel et social. De plus, elle permet de comprendre que des solutions efficaces existent déjà ailleurs et pourraient être adaptées à notre propre contexte.

Ensuite, les différences entre les institutions politiques fournissent un point de départ précieux pour tester des hypothèses causales. L'analyse causale nécessite une certaine variation (qu'elle soit institutionnelle, politique ou économique) entre les entités que l'on compare. Ces différences constituent la base analytique permettant d'expliquer les relations causales. Par exemple, pourquoi certains systèmes politiques sont-ils plus stables que d'autres ? Pourquoi certains systèmes politiques favorisent-ils plus l'égalité que d'autres ? La comparaison institutionnelle peut aider à répondre à ces questions.

Le "most similar systems design" (ou conception des systèmes les plus similaires) est une approche méthodologique en politique comparée où l'on sélectionne des cas (généralement des pays) qui sont similaires sur un grand nombre de variables, mais qui diffèrent sur la variable d'intérêt ou le phénomène que l'on cherche à expliquer. Par exemple, supposons que l'on cherche à comprendre pourquoi certains pays ont des taux de criminalité plus élevés que d'autres. On peut choisir de comparer deux pays qui sont similaires en termes de taille de la population, de niveau de développement économique, d'histoire culturelle, de structure politique, etc., mais qui ont des taux de criminalité très différents. En isolant autant que possible la variable d'intérêt (dans ce cas, le taux de criminalité), il est possible d'obtenir des aperçus plus précis de ce qui pourrait causer cette différence.

L'idée sous-jacente de cette approche est que si les systèmes sont très similaires, toute différence dans la variable d'intérêt est susceptible d'être due à la variable que l'on cherche à expliquer, et non à d'autres facteurs de confusion. C'est une façon de contrôler les variables de confusion dans le cadre d'une étude comparative. Cette méthodologie permet de contrôler un certain nombre de variables qui pourraient avoir une incidence sur la variable dépendante. En choisissant des cas (par exemple, des pays ou des individus) qui sont similaires en termes de ces autres variables, on peut être plus sûr que la variable indépendante est la cause de la variation dans la variable dépendante.

L’idée est d’identifier une variable indépendante explicative comme une institution ou une pratique politique voir une caractéristique individuelle de l’électeur si on s’intéresse aux comportements électoraux ; identifier une telle variable indépendante, une variable explicative absente dans un des deux cas, mais présente dans l’autre et qu’elle soit associée à des résultats différents au niveau de la variable expliquée. L'idée derrière l'approche "most similar systems design" est d'identifier une variable indépendante qui pourrait être la cause de la variation dans la variable dépendante (la variable que l'on souhaite expliquer).

Bo Rothstein, dans son article "Labor-market institutions and working-class strength" publié en 1992, a choisi un ensemble de pays européens de l'OCDE pour son étude.[6] Ces pays présentent une grande similarité sur plusieurs fronts : géographiquement, ils sont tous situés en Europe ; historiquement, ils partagent un certain nombre d'expériences communes, comme l'impact de la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Froide ; économiquement, ils sont tous des économies de marché développées et membres de l'OCDE. En utilisant ces pays comme unités d'analyse, Rothstein cherche à identifier les variables institutionnelles qui pourraient expliquer les différences dans la force de la classe ouvrière, telles que mesurées par des indicateurs tels que le taux de syndicalisation ou la capacité à influencer la politique économique et sociale. Dans ce contexte, l'utilisation du "most similar systems design" permet à Rothstein de se concentrer sur les variations institutionnelles entre ces pays tout en contrôlant, autant que possible, les autres facteurs qui pourraient influencer la force de la classe ouvrière. C'est une application typique de cette méthode de recherche comparative.

Bo Rothstein, dans son étude, cherche à comprendre pourquoi la puissance des mouvements syndicaux varie tant d'un pays européen à l'autre. Il constate des variations significatives dans l'organisation et la force des syndicats à travers ces pays, et cherche à identifier les facteurs pouvant expliquer ces variations. Une des variables institutionnelles qu'il étudie est le système de Ghent. Ce système, présent dans certains pays mais pas dans d'autres, est caractérisé par la gestion des prestations de chômage par les syndicats. Rothstein postule que cette institution du marché du travail pourrait être une explication majeure de la variation dans la puissance syndicale à travers les pays européens. En particulier, il constate que les pays scandinaves, où le système de Ghent est présent, ont des taux de syndicalisation élevés. Par conséquent, il propose que le système de Ghent pourrait être un facteur déterminant dans l'explication de ces taux élevés de syndicalisation dans ces pays.

L'hypothèse de Bo Rothstein est que bien que ces pays présentent de nombreuses similitudes - par exemple, géographiquement, historiquement et économiquement - il y a une variable importante qui diffère entre eux : la présence ou l'absence du système de Ghent. Selon Rothstein, cette seule différence pourrait expliquer les variations observées dans les taux de syndicalisation d'un pays à l'autre. Ce raisonnement s'inscrit dans une démarche comparative qui cherche à isoler l'effet d'une variable spécifique en contrôlant les autres variables qui pourraient aussi influencer le phénomène étudié.

Dans The Social Construction of an Imperative: Why Welfare Reform Happened in Denmark and the Netherlands but Not in Germany[7], Robert Cox se penche sur la question de la réforme de l'État-providence dans trois pays européens : les Pays-Bas, l'Allemagne et le Danemark. Ces trois pays ont un certain nombre de similarités, ce qui les rend aptes à être comparés dans un cadre de recherche "most similar". Cox est intéressé par le fait que deux de ces pays, les Pays-Bas et le Danemark, ont pu mettre en œuvre des réformes significatives de leur État-providence, tandis que l'Allemagne n'a pas réussi à le faire. Il propose que la capacité à mener à bien ces réformes ne peut pas être expliquée simplement par les conditions économiques ou les pressions politiques externes, mais doit être comprise en termes de "construction sociale d'une impératif". En d'autres termes, il s'agit de comprendre comment le besoin de réforme est perçu et interprété au sein de chaque société, et comment cette interprétation façonne les réponses politiques. En utilisant le modèle de recherche "most similar", Cox peut se concentrer sur cette variable - la construction sociale de la nécessité de réforme - et examiner comment elle varie entre les trois pays. Cela lui permet d'expliquer pourquoi deux d'entre eux ont pu réformer leur État-providence tandis que l'autre n'a pas réussi.

L'analyse de régression est une technique statistique qui est largement utilisée dans de nombreuses disciplines des sciences sociales, y compris la science politique. Elle provient effectivement de l'économétrie, où elle est utilisée pour modéliser et analyser les relations entre des variables. Dans le contexte de la science politique, l'analyse de régression peut être utilisée pour examiner les relations entre différents facteurs politiques, économiques et sociaux. Par exemple, elle pourrait être utilisée pour analyser l'impact de l'éducation et du revenu sur le comportement électoral, ou pour examiner les effets des politiques économiques sur les niveaux de chômage. L'usage croissant de l'analyse de régression et d'autres techniques statistiques avancées en science politique reflète une tendance générale vers une plus grande rigueur méthodologique et une approche plus quantitative de la recherche. Cela fait partie du mouvement plus large vers le renforcement de la méthode et de la scientificité de la recherche en science politique.

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Ce graphique illustre clairement l'augmentation progressive de l'usage de l'analyse de régression en science politique, un outil statistique précieux pour démontrer des relations causales. Il est à noter que l'utilisation de cet outil s'est considérablement accrue à partir de la moitié du 20ème siècle, reflétant l'accent de plus en plus fort mis sur la méthodologie rigoureuse dans la discipline. Henry Brady a bien montré dans son travail comment l'usage de l'analyse de régression, et plus généralement de méthodes quantitatives rigoureuses, a augmenté au fil du temps en science politique.[8] Cela illustre comment la discipline s'est progressivement éloignée de ses origines plus qualitatives et descriptives pour adopter des méthodes plus proches des sciences naturelles, avec une attention particulière portée à l'établissement de relations causales. L'analyse de régression est particulièrement utile pour cette tâche, car elle permet aux chercheurs d'isoler l'effet d'une variable sur une autre tout en contrôlant pour l'effet d'autres variables. Cette capacité à contrôler pour les effets de variables confondantes est cruciale pour l'établissement de relations causales. La montée de ces méthodes quantitatives ne signifie pas que les approches qualitatives ont perdu leur valeur. Au contraire, les approches qualitatives restent essentielles pour comprendre les mécanismes et les processus sociaux et politiques, et elles sont souvent utilisées en combinaison avec des méthodes quantitatives dans une approche dite mixte.

L'analyse de régression permet d'établir le degré d'influence d'une variable indépendante sur une variable dépendante tout en ajustant, ou en "contrôlant", pour les effets potentiels d'autres variables. Ce contrôle permet de réduire le risque que les relations observées entre la variable indépendante et la variable dépendante soient en réalité le résultat de l'influence d'une troisième variable. En d'autres termes, cela permet aux chercheurs d'avoir plus de confiance dans le fait que les relations observées sont causales et non simplement corrélées.

L'analyse de régression est un outil précieux pour isoler l'effet d'une variable particulière tout en contrôlant les effets d'autres variables. Pour illustrer cela avec l'exemple de la chute de la République de Weimar, on pourrait poser comme hypothèse que le système proportionnel (une variable indépendante) a joué un rôle significatif dans cette chute (la variable dépendante). Pour tester cette hypothèse, on pourrait recueillir des données sur divers pays et moments historiques où des circonstances similaires se sont présentées. Ces données pourraient inclure d'autres variables pertinentes, comme la situation économique, la stabilité politique, les conflits internationaux, etc. L'analyse de régression permettrait alors de mesurer l'effet du système proportionnel sur la stabilité de la république tout en contrôlant les effets de ces autres variables. Si le système proportionnel s'avère avoir un effet significatif, on pourrait alors soutenir avec plus de confiance que ce facteur a contribué à la chute de la République de Weimar.

Spécialisation : La clé d'une meilleure compréhension

Des figures intellectuelles comme Marx, Weber, Darwin, Tolstoï, Dickens et Dostoïevski se distinguent par leur maîtrise remarquable de multiples domaines du savoir. Leur œuvre, souvent caractérisée par un chevauchement des disciplines, a bénéficié de leur capacité à penser de manière holistique et à intégrer des idées provenant de différentes sphères d'expertise. Cependant, une comparaison avec une liste de penseurs contemporains influents, tels que Bill Gates, Warren Buffet, Maria Vargas, Joe Stiglitz et Martin Wolf, révélée par le magazine Foreign Policy, pourrait laisser l'impression que cette dernière est moins impressionnante.

La question se pose alors : pourquoi la liste contemporaine semble-t-elle moins éclatante ? Il existe plusieurs facteurs qui pourraient expliquer pourquoi la liste des penseurs contemporains peut sembler moins impressionnante.

  • La nécessité d'une perspective historique : Il est parfois nécessaire d'avoir une certaine distance temporelle pour véritablement évaluer l'impact et l'influence d'une personne. Ce qui est considéré comme révolutionnaire ou de grande valeur peut ne pas être reconnu comme tel immédiatement, et la valeur d'une contribution intellectuelle peut devenir plus évidente avec le recul.
  • La familiarité engendre la banalisation : La proximité temporelle des penseurs contemporains peut nous rendre plus familiers avec leurs idées et donc nous amener à sous-estimer leur génie ou leur influence. Nous sommes souvent plus impressionnés par les figures historiques en raison de leur stature mythique et de la longévité de leur influence.
  • Le changement dans la gestion de la connaissance : Au cours des dernières décennies, il y a eu un changement structurel vers une spécialisation accrue des connaissances. Les universités encouragent cette spécialisation, et la progression de la connaissance se fait de plus en plus par la coopération et les interactions entre spécialistes dans des domaines de plus en plus spécifiques. Cette spécialisation est facilitée par les nouvelles technologies, comme Internet, qui permettent une collaboration mondiale. Par exemple, à l'Université de Genève, les professeurs occupent des chaires qui couvrent des domaines spécifiques de la science politique, et un chercheur particulier a tendance à contribuer à un seul sous-domaine de la science politique.

Ainsi, alors que les figures intellectuelles historiques étaient souvent des polymathes, maîtrisant de nombreux domaines du savoir, les penseurs contemporains sont généralement des spécialistes dans des domaines particuliers.

L'importance des théories de moyenne portée (mid-range theories)

Les théories de moyenne portée, ou "mid-range theories", sont des concepts issus de la sociologie et de la science politique. Elles sont une réponse au défi de construire des "grandes théories" universelles qui expliquent toutes les facettes d'un domaine donné. Ces "grandes théories" sont souvent critiquées pour leur manque de précision et leur incapacité à fournir des explications spécifiques et testables pour des phénomènes particuliers. En revanche, les théories de moyenne portée se concentrent sur des explications spécifiques de certains aspects de la réalité sociale ou politique. Elles visent à expliquer des phénomènes spécifiques en utilisant un ensemble limité de variables.

Le concept de "théorie de moyenne portée" a été introduit pour la première fois par le sociologue Robert K. Merton dans les années 1950. Merton soutenait que les sciences sociales devraient viser à développer des théories de ce type qui sont suffisamment générales pour être applicables à diverses situations, mais suffisamment spécifiques pour fournir des prédictions précises et vérifiables.

Les théories de moyenne portée sont très répandues en science politique, où elles sont souvent utilisées pour expliquer des phénomènes spécifiques tels que le comportement électoral, les mouvements sociaux, la formation des politiques, la prise de décision des gouvernements, etc. Par exemple, la théorie du choix rationnel, qui postule que les individus agissent de manière à maximiser leur utilité personnelle, est une théorie de moyenne portée utilisée dans de nombreux domaines des sciences sociales, y compris la science politique. Les avantages des théories de moyenne portée comprennent leur applicabilité à une grande variété de situations, leur capacité à fournir des prédictions précises et testables, et leur flexibilité en termes d'adaptation à de nouvelles données et de nouveaux contextes.

À l'ère contemporaine, nous constatons une tendance à délaisser les grands "ismes" tels que le marxisme, le libéralisme, le constructivisme, le réalisme, en faveur de débats et de théories de moyenne portée plus spécifiques et liés à un contexte particulier. Ces débats et théories ont généralement pour objet des problématiques particulières, susceptibles d'être résolues par une analyse empirique approfondie. Ce changement d'orientation vers des théories de moyenne portée témoigne d'un désir d'une meilleure compréhension des dynamiques spécifiques qui sous-tendent divers phénomènes sociaux et politiques. Au lieu de se fier à des cadres théoriques larges et souvent abstraits, les chercheurs se concentrent désormais sur l'élaboration et le test de théories plus concrètes, qui peuvent être directement liées à des données empiriques spécifiques et qui sont capables de fournir des explications précises et vérifiables pour des phénomènes spécifiques. C'est une évolution qui reflète l'aspiration à un travail de recherche plus précis, plus nuancé et plus directement pertinent pour l'analyse des problèmes du monde réel.

Métathéorie : Au-delà de la théorie

Une métathéorie est un cadre ou une structure qui sert à interconnecter et à réunifier logiquement plusieurs théories partielles. Elle joue un rôle crucial dans la construction d'une théorie plus générale ou globale. En d'autres termes, une métathéorie agit comme un pont ou un lien entre des théories distinctes, permettant leur intégration dans un système de compréhension plus large. La métathéorie va souvent au-delà de la simple somme de ses composantes théoriques individuelles, offrant de nouvelles perspectives et approfondissant la compréhension du phénomène ou du domaine qu'elle couvre. Elle permet d'organiser et de structurer les connaissances existantes, et peut également guider la recherche future en identifiant des domaines qui nécessitent une investigation plus poussée.

Une métathéorie dans le domaine de la science politique est une théorie générale qui cherche à démontrer comment diverses théories spécifiques s'articulent et se connectent. Elle vise à créer un cadre cohérent qui intègre différentes perspectives et hypothèses sur les phénomènes politiques. Cette approche permet d'obtenir une vision plus large et plus complète des processus politiques. Elle cherche à saisir la complexité de la politique en reliant diverses théories qui, autrement, pourraient sembler disjointes ou incompatibles. Par exemple, une métathéorie pourrait chercher à établir des liens entre les théories du comportement électoral, de l'action collective, et de la gouvernance institutionnelle. L'objectif ultime de la métathéorie est de fournir une compréhension plus profonde et plus nuancée du politique en tant que domaine d'étude. Cette approche peut également aider à identifier de nouvelles directions pour la recherche et à élaborer des stratégies plus efficaces pour l'analyse et l'interprétation des phénomènes politiques.

Des métathéories comme le structuralisme, le marxisme, l'institutionnalisme historique, ou la théorie des choix rationnels sont utilisées pour fournir un cadre général qui englobe un large éventail de théories spécifiques dans le domaine de la science politique. Le structuralisme, par exemple, cherche à expliquer les phénomènes politiques en termes de structures sociales sous-jacentes et de leur influence sur les comportements et les attitudes individuelles. Le marxisme, d'autre part, propose une analyse de la politique centrée sur les relations de classe et la lutte pour le pouvoir économique. L'institutionnalisme historique se concentre sur le rôle des institutions dans le façonnement des trajectoires politiques et économiques des sociétés, en mettant l'accent sur l'importance du contexte historique. Enfin, la théorie des choix rationnels suppose que les acteurs politiques, comme tous les individus, agissent de manière à maximiser leur utilité ou leur bénéfice personnel. Cette théorie est souvent utilisée pour analyser des phénomènes tels que le comportement électoral ou la prise de décision politique. Ces métathéories offrent des perspectives différentes et parfois complémentaires sur la politique, aidant les chercheurs à comprendre et à expliquer un large éventail de phénomènes.

Les théories de moyenne portée : Des solutions spécifiques

Le concept de théories de moyenne portée (ou mid-range theories) a été introduit par le sociologue Robert Merton. Ces théories se situent entre les théories hautement abstraites et universelles (ou grands "ismes") et les descriptions purement factuelles et spécifiques de phénomènes individuels.

Les théories de moyenne portée sont conçues pour être suffisamment générales pour couvrir un large éventail de situations, mais suffisamment spécifiques pour être testables et utiles dans la pratique. Elles sont généralement axées sur un domaine particulier ou un aspect limité de la réalité sociale ou politique, comme un certain type d'institutions, de comportements ou de processus. Par exemple, une théorie de moyenne portée dans le domaine de la science politique pourrait s'intéresser à la façon dont les systèmes électoraux influencent le comportement des partis politiques, ou à la façon dont les institutions de contrôle de la corruption affectent la qualité de la gouvernance. Ces théories ont pour but de fournir des explications précises et vérifiables des phénomènes qu'elles couvrent, tout en restant suffisamment souples pour s'adapter à différentes circonstances. Elles sont souvent utilisées comme outils d'analyse dans la recherche empirique.

Certains chercheurs se consacrent entièrement à l'étude des processus de théorisation. Cela peut couvrir une variété de sujets, des mécanismes qui sous-tendent la formation de théories et leur validation, jusqu'à l'impact de ces théories sur le monde réel. En science politique, par exemple, un chercheur peut se spécialiser dans l'étude des processus de théorisation relatifs à un domaine spécifique, comme les relations internationales, les politiques publiques, ou les systèmes de gouvernance. Ces chercheurs peuvent examiner comment les théories sont élaborées, testées, modifiées et finalement acceptées ou rejetées par la communauté scientifique. Ils peuvent également étudier comment ces théories sont utilisées pour informer les politiques publiques et pour comprendre et expliquer les phénomènes politiques. La théorisation elle-même peut être vue comme un processus dynamique et en constante évolution, qui implique à la fois des contributions individuelles et collectives, et qui est influencé par une variété de facteurs contextuels, tels que les événements historiques, les développements technologiques, et les changements sociaux et politiques. Ainsi, l'étude des processus de théorisation est un domaine de recherche riche et complexe, qui peut offrir des perspectives précieuses sur la façon dont nous comprenons et interagissons avec le monde politique.

Les théories de moyenne portée (ou "mid-range theories") sont effectivement des théories qui cherchent à expliquer des phénomènes spécifiques, plutôt que de viser à fournir un cadre d'explication universel. Elles se concentrent sur un domaine particulier ou un aspect spécifique de la réalité sociale et politique, offrant ainsi une analyse plus détaillée et spécifique. Par exemple, les spécialistes des conflits civils peuvent développer des théories de moyenne portée qui cherchent à expliquer les causes et les conséquences de ces conflits, se concentrant sur des facteurs spécifiques tels que les inégalités socio-économiques, les clivages ethniques, le rôle des ressources naturelles, etc. De même, la théorie des comportements électoraux est une autre forme de théorie de moyenne portée, qui se concentre sur l'explication des motivations et des comportements des électeurs lors des élections. Elle peut examiner des facteurs tels que l'influence des médias, l'idéologie politique, les questions socio-économiques et d'autres facteurs qui influencent le comportement électoral. L'approche des "variétés du capitalisme", quant à elle, est une théorie qui cherche à expliquer les différences dans la manière dont les économies de marché sont organisées entre différents pays. Elle examine des facteurs tels que les relations entre l'État et l'économie, la régulation du marché du travail, le rôle des institutions financières, etc. Ces théories de moyenne portée sont précieuses car elles permettent d'explorer des aspects spécifiques de la réalité sociale et politique de manière plus détaillée, tout en offrant des cadres d'analyse qui peuvent être testés empiriquement.

L'ère de l'information en science politique : Révolution au niveau des données disponibles

Ces dernières années, nous avons assisté à une véritable révolution dans la disponibilité des données pour la recherche en sciences sociales, y compris en science politique. Grâce à l'avènement du numérique, de l'Internet et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les chercheurs ont désormais accès à une quantité sans précédent de données quantitatives, allant des résultats électoraux aux enquêtes d'opinion, des données économiques aux données sur les conflits, et bien plus encore.

De plus, le développement de bases de données centralisées et accessibles au public facilite la recherche comparée à l'échelle internationale. Ces bases de données compilent souvent des informations provenant de diverses sources et offrent des outils de recherche et d'analyse sophistiqués qui peuvent aider les chercheurs à traiter et à analyser les données de manière plus efficace. Parmi les exemples de ces bases de données, on peut citer la Banque mondiale, l'OCDE, Eurostat, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en France, le Bureau du recensement aux États-Unis, ainsi que de nombreux instituts de sondage et de recherche qui publient régulièrement des données sur divers aspects de la politique et de la société. Cette explosion des données disponibles a non seulement transformé la manière dont la recherche en science politique est menée, mais elle a aussi ouvert de nouvelles possibilités pour la découverte et l'analyse de tendances et de phénomènes politiques.

La disponibilité accrue de données quantitatives a largement favorisé le recours à des méthodes d'analyse statistique en science politique. Les bases de données permettent aujourd'hui d'accéder à une multitude d'informations concernant le comportement des électeurs, le fonctionnement des institutions, les politiques publiques, les conflits, l'économie, et bien plus encore. Ces données, couplées à des outils statistiques de plus en plus sophistiqués, permettent aux chercheurs de réaliser des analyses approfondies et rigoureuses de phénomènes politiques. Les modèles de régression, l'analyse de séries chronologiques, les tests d'hypothèses, l'analyse factorielle, ou encore les modèles multi-niveaux sont autant d'outils qui peuvent être utilisés pour interpréter les données et répondre à des questions de recherche.

Ainsi, l'analyse quantitative s'est imposée comme une méthode incontournable en science politique, contribuant à renforcer la rigueur et la précision de cette discipline. Il est toutefois important de noter que l'analyse quantitative ne remplace pas les autres méthodes de recherche, mais vient plutôt les compléter. L'interprétation des résultats statistiques et leur mise en contexte nécessitent en effet une compréhension approfondie des réalités politiques et sociales étudiées, qui peut être apportée par des méthodes qualitatives telles que l'analyse de discours, les entretiens, ou l'observation participante.

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Histoire de la discipline : théories et conceptions

La science politique, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est en effet une discipline relativement jeune. Son développement en tant que champ d'étude académique distinct remonte à environ un siècle. Cependant, les fondements de la pensée politique peuvent être retrouvés dans des œuvres philosophiques et littéraires bien plus anciennes.

La tradition de la pensée politique occidentale trouve en effet ses racines dans la Grèce antique, avec des penseurs tels que Platon et Aristote. Leurs écrits sur des sujets tels que la justice, le pouvoir, l'autorité, le rôle de l'État, la citoyenneté et la gouvernance ont jeté les bases de la réflexion sur la politique. Ces idées ont ensuite été développées et enrichies au fil des siècles par des penseurs tels que Machiavel, Hobbes, Locke, Rousseau, Montesquieu, Marx, et bien d'autres. Cependant, ce n'est qu'au cours du 20ème siècle que la science politique a émergé comme un champ académique à part entière, avec ses propres institutions, revues académiques, et méthodes de recherche. Cela a coïncidé avec un mouvement vers une approche plus empirique et scientifique de l'étude de la politique, caractérisée par l'utilisation de méthodes quantitatives et une attention particulière portée à la systématisation et à la vérification des théories.

Aujourd'hui, la science politique est une discipline diversifiée qui englobe une variété de sous-champs, tels que la théorie politique, la politique comparée, les relations internationales, la politique publique, l'administration publique, et la politique de genre, pour n'en nommer que quelques-uns. Cependant, malgré cette diversité, tous les chercheurs en science politique partagent un intérêt commun pour la compréhension des phénomènes politiques.

Des origines antiques aux théories modernes

The School of Athens by Raffaello Sanzio, 1509, showing Plato (left) and Aristotle (right)

La Grèce antique, et en particulier le 5ème siècle avant notre ère, est souvent considérée comme le berceau de la pensée politique occidentale. Pendant cette période, connue sous le nom d'Âge d'or d'Athènes, de nombreux concepts politiques fondamentaux ont été développés et débattus.

Dans la Grèce antique, la politique était une préoccupation centrale de la philosophie. Les penseurs de cette époque se sont concentrés sur l'analyse des idées et des idéaux politiques, explorant les propriétés des différents systèmes politiques, s'interrogeant sur l'essence de la citoyenneté, le rôle et l'action des gouvernements, ainsi que l'intervention de l'État dans les affaires publiques et la politique étrangère.

Deux figures emblématiques de cette époque sont Platon et Aristote. Platon, dans son ouvrage "La République", a exploré les questions de justice, d'égalité et de la meilleure forme de gouvernement. Son élève Aristote, dans sa "Politique", a examiné les différentes formes de gouvernement, la citoyenneté, et la nature de la communauté politique. Ces écrits ont jeté les bases de la pensée politique occidentale et ont eu une influence considérable sur le développement ultérieur de la science politique.

Platon, philosophe grec de l'Antiquité (427-347 avant JC), est souvent considéré comme l'un des pères fondateurs de la science politique. Sa célèbre œuvre, "La République", est un texte majeur non seulement pour la philosophie, mais aussi pour la pensée politique. Dans "La République", Platon propose une typologie des différents régimes politiques. Il distingue notamment la monarchie (qu'il appelle "royauté"), l'aristocratie, la timocratie (gouvernement fondé sur l'honneur), l'oligarchie, la démocratie et la tyrannie. Chaque régime est évalué en fonction de sa justice et de son efficacité. En plus de cette typologie, Platon offre aussi une vision de ce qu'il considère comme l'État idéal. Pour lui, une société juste est celle dans laquelle chaque individu remplit la fonction qui lui convient le mieux. Selon sa célèbre théorie des trois classes, la société doit être divisée en gouvernants (les "gardiens"), auxiliaires (les "guerriers") et producteurs (les artisans et agriculteurs). La contribution de Platon à la science politique ne se limite pas à la République. Dans d'autres œuvres, comme "Les Lois", il continue d'explorer les questions relatives à l'organisation politique et sociale. Ses idées ont eu une profonde influence sur la pensée politique occidentale et continuent d'être étudiées et débattues par les politologues contemporains.

Aristote (384-322 avant JC) est un autre penseur majeur de la Grèce antique et un contributeur essentiel à la science politique. Son ouvrage "La Politique" est un texte fondamental de la pensée politique, dans lequel il aborde de nombreuses questions qui restent centrales dans la discipline à ce jour. A la différence de Platon, Aristote adopte une approche empirique et inductive dans l'étude des affaires politiques. Au lieu de commencer par des idées abstraites et de déduire des conclusions à partir de celles-ci, Aristote préfère observer les sociétés existantes et en tirer des leçons. Il est connu pour avoir étudié 158 constitutions de cités grecques pour comprendre la nature et les avantages de différents systèmes politiques. Dans "La Politique", Aristote propose également sa propre typologie des régimes politiques, qu'il divise en six formes: la monarchie, l'aristocratie, la polity (un mélange d'aristocratie et de démocratie), la tyrannie, l'oligarchie et la démocratie. Chacune de ces formes est analysée en termes de ses avantages et de ses inconvénients, et Aristote argumente en faveur de la polity comme étant la meilleure forme de gouvernement. En outre, Aristote est célèbre pour sa conception de la politique comme étant fondamentalement liée à la question du bien-être humain. Selon lui, le but de la cité (polis) est de permettre à ses citoyens de mener une bonne vie. Cette vision de la politique a eu une influence durable sur la pensée politique occidentale.

Durant la période de la Grèce antique, deux thèmes majeurs se sont cristallisés qui continuent à occuper une place centrale dans le domaine de la science politique :

  1. Les Formes Institutionnelles du Politique : Cette question examine les différents types d'arrangements institutionnels qui structurent le domaine politique. Cela comprend les différentes formes de gouvernement, les systèmes électoraux, la division des pouvoirs, les relations entre le gouvernement et les citoyens, etc. Dans la Grèce antique, les penseurs politiques tels qu'Aristote ont analysé une variété de constitutions de cités-états pour comprendre leurs caractéristiques et leurs fonctionnements.
  2. L'Évaluation des Formes Institutionnelles : Ce thème est lié à la question normative de savoir quelles sont les meilleures formes de gouvernement ou d'organisation politique. Cela implique souvent une réflexion sur les valeurs politiques et éthiques, comme la justice, la liberté, l'égalité, etc. Par exemple, Platon dans sa République a proposé une vision idéale de la cité-état, tandis qu'Aristote a argumenté en faveur de la polity (un mélange d'aristocratie et de démocratie) comme étant la meilleure forme de gouvernement.

Ces deux thèmes se retrouvent de façon récurrente dans les débats et les recherches en science politique contemporaine, bien qu'avec de nouvelles nuances et des approches méthodologiques différentes.

Le renouveau des idées pendant la Renaissance

La période médiévale était fortement influencée par la pensée chrétienne et la théorie de la loi naturelle. Cette dernière suppose l'existence d'une loi universelle, découlant de la transcendance divine, qui dicterait la conduite humaine et les principes de justice. Selon cette perspective, l'État ou la cité devrait structurer ses institutions et sa gouvernance en conformité avec cette loi naturelle.

Cependant, les changements philosophiques et intellectuels associés à la Renaissance marquèrent une rupture avec cette tradition. À partir de cette époque, la pensée politique commença à se tourner vers une vision plus humaniste et plus séculaire, centrée sur l'homme plutôt que sur la divinité. Les penseurs politiques se mirent à explorer de nouvelles conceptions du pouvoir, de la souveraineté et de l'État, marquant une nouvelle phase dans l'évolution de la science politique.

Machiavel (1469 - 1527) est connu pour son traité politique "Le Prince", qui explore les questions de la légitimité des régimes politiques et des dirigeants. Il est souvent considéré comme un précurseur de l'école réaliste, qui a donné lieu à la théorie réaliste des relations internationales au XXe siècle. En rupture avec la pensée chrétienne dominante de l'époque, qui voyait la morale comme une fin en soi, Machiavel envisage la morale également comme un moyen pour atteindre des fins politiques. Selon lui, la morale peut être utilisée comme un instrument pour réaliser certaines finalités politiques. Cette vision instrumentaliste de la morale marque une rupture significative avec les conceptions précédentes, et a eu une influence profonde sur la pensée politique ultérieure.

Jean Bodin (1529 - 1596) est principalement connu pour être un théoricien de la souveraineté étatique. Dans son œuvre majeure "Les six livres de la République", il expose la nature de l'État, qui selon lui se définit par la notion de souveraineté. Pour Bodin, la souveraineté est l'attribut fondamental de l'État, qui détient le pouvoir ultime et indépendant sur son territoire et sa population. Cette conception de la souveraineté a profondément influencé la théorie politique et est à la base de notre compréhension moderne de l'État-nation.

L'époque des Lumières a marqué une période d'effervescence intellectuelle et de contributions majeures à la théorie politique. D'éminents philosophes et penseurs tels que Hobbes, Locke, Hume et Smith ont jeté les bases de nombreuses notions fondamentales dans la tradition anglo-saxonne de la science politique. Thomas Hobbes (1588 - 1679), dans son ouvrage "Le Léviathan", a développé une théorie sur l'absolutisme et le contrat social, proposant que les individus acceptent de céder une partie de leur liberté à un souverain en échange de la sécurité. John Locke (1632 - 1704), souvent considéré comme le père du libéralisme, a développé dans ses "Deux traités du gouvernement" une théorie du gouvernement fondée sur le consentement des gouvernés, et a posé les bases de la théorie des droits naturels. David Hume (1711 - 1776) a, quant à lui, contribué à la théorie politique en examinant les fondements de la société et de la gouvernance, en particulier dans ses "Essais sur le commerce". Adam Smith (1723 - 1790) est surtout connu pour son œuvre "La Richesse des nations", dans laquelle il a formulé la théorie de l'économie de marché et le concept de la "main invisible". Enfin, Alexander Hamilton (1755 - 1804) est l'un des Pères fondateurs des États-Unis et a joué un rôle déterminant dans l'élaboration de la Constitution américaine et la définition du système de gouvernement américain. Ces penseurs ont apporté des perspectives diverses et complémentaires sur des sujets tels que le rôle de l'État, la nature des droits individuels, l'organisation de l'économie et la structure du gouvernement, qui continuent d'influencer la science politique contemporaine.

Charles-Louis de Secondat, Baron de La Brède et de Montesquieu (1689 - 1755), généralement connu sous le nom de Montesquieu, est l'un des philosophes français les plus influents dans le domaine de la science politique. Dans son ouvrage "De l'Esprit des Lois", publié en 1748, il a formulé des idées essentielles sur la structuration du pouvoir politique dans une société. Montesquieu a proposé une division du pouvoir politique en trois branches distinctes : le pouvoir législatif (qui fait les lois), le pouvoir exécutif (qui exécute les lois) et le pouvoir judiciaire (qui interprète et applique les lois). Cette idée, connue sous le nom de théorie de la séparation des pouvoirs, a eu un impact considérable sur la conception des institutions politiques modernes, en particulier dans les systèmes démocratiques. Selon Montesquieu, la séparation des pouvoirs vise à prévenir les abus de pouvoir et à garantir les libertés individuelles, en établissant un système de contrôle et d'équilibre ("checks and balances") entre les différents pouvoirs. La théorie de la séparation des pouvoirs a notamment influencé la rédaction de la Constitution des États-Unis et reste aujourd'hui un principe fondamental du droit constitutionnel dans de nombreux pays.

Fin du XVIIIème - XIXème : Une période de transition

La fin du XVIIIe siècle et le XIXe siècle ont vu l'émergence de plusieurs penseurs importants qui ont grandement influencé la théorie sociale et la science politique. Ils ont élaboré des théories complexes sur la structure de la société, la nature du pouvoir, les relations entre individus et groupes, et d'autres aspects du fonctionnement de la société.

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La période de la fin du XVIIIe siècle au XIXe siècle a vu la naissance de plusieurs penseurs influents au Royaume-Uni, en France, en Allemagne ou encore en Italie. Ces penseurs ont joué des rôles importants dans le développement de la philosophie politique, économique et sociale. Leur travail a influencé divers domaines, y compris la sociologie, la philosophie et la science politique.

  • Adam Smith (1723-1790) : Connu comme le père de l'économie moderne, Smith a établi les bases de l'économie de marché et de la division du travail. Dans son ouvrage "La Richesse des Nations", il a établi le principe de "la main invisible" qui guide les marchés libres.
  • David Ricardo (1772-1823) : Ricardo est un économiste influent, surtout connu pour sa théorie de la valeur-travail et sa théorie des avantages comparatifs, qui est toujours la base de la plupart des arguments en faveur du libre-échange. Son œuvre la plus connue est "Des principes de l'économie politique et de l'impôt".
  • John Stuart Mill (1806-1873) : Mill est l'un des plus grands penseurs du libéralisme. Il a défendu la liberté individuelle contre l'interférence de l'État dans son ouvrage "De la liberté". Il a également contribué à la théorie utilitariste, affirmant que les actions doivent être jugées en fonction de leur utilité ou de leur capacité à produire le bonheur.
  • Auguste Comte (1798-1857) : Considéré comme le père de la sociologie, Comte a introduit le concept de positivisme, qui préconise l'utilisation de la méthode scientifique pour comprendre et expliquer le monde social.
  • Alexis de Tocqueville (1805-1859) : Tocqueville est surtout connu pour son analyse de la démocratie américaine dans son ouvrage "De la démocratie en Amérique". Il a également été un observateur perspicace des tendances sociales et politiques de son époque, y compris la montée de l'égalité et du despotisme démocratique.
  • Herbert Spencer (1820-1903) : Spencer a eu une influence significative a défendu une philosophie de "laissez-faire" sociale et économique et est connu pour avoir appliqué la théorie de l'évolution de Darwin à la société humaine, concept souvent résumé par la phrase "la survie du plus apte".
  • Émile Durkheim (1858-1917) : Durkheim est un autre père fondateur de la sociologie. Il a insisté sur l'importance des institutions sociales et a introduit des concepts tels que le fait social, l'anomie et la solidarité sociale. Son travail a jeté les bases de la sociologie fonctionnaliste.
  • Karl Marx (1818-1883) : Marx est l'un des penseurs les plus influents de l'histoire moderne. En collaboration avec Friedrich Engels, il a développé le marxisme, une théorie critique du capitalisme et de la société de classe. Ses travaux, dont "Le Manifeste du parti communiste" et "Le Capital", ont posé les bases du socialisme et du communisme, et ont influencé une grande variété de disciplines, y compris la science politique, la sociologie et l'économie.
  • Max Weber (1864-1920) : Weber est considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie moderne. Ses travaux ont abordé un large éventail de sujets, y compris la bureaucratie, l'autorité, la religion et le capitalisme. Son concept d'"éthique de conviction" et d'"éthique de responsabilité" est encore largement utilisé dans l'analyse politique. Son ouvrage "L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme" est souvent cité comme une étude de référence sur l'influence de la religion sur le développement économique.
  • Vilfredo Pareto (1848-1923) : Économiste et sociologue italien, Pareto est surtout connu pour ses travaux sur la distribution des richesses et sa théorie des élites. Il a introduit le concept de "l'optimum de Pareto" en économie, qui stipule qu'un état est optimal si aucune amélioration ne peut être réalisée sans aggraver la situation d'un individu.
  • Gaetano Mosca (1858-1941) : Également un théoricien des élites, Mosca a souligné l'idée que, dans toute société, une minorité organisée gouvernera toujours une majorité désorganisée. Son ouvrage le plus célèbre, "La Classe Politique", détaille cette théorie.
  • Robert Michels (1876-1936) : Sociologue italien d'origine allemande, Michels est connu pour sa "théorie de l'oligarchie de fer". Dans son livre "Les partis politiques", il soutient que toutes les formes d'organisation, démocratiques ou non, aboutissent inévitablement à l'oligarchie, en raison des tendances bureaucratiques inhérentes à toute organisation.

XIXème : Période classique de la théorie sociale

La période classique de la théorie sociale au XIXe siècle a vu émerger un certain nombre de nouvelles perspectives sur la société et l'histoire humaine. Parmi les plus influentes, on peut citer le matérialisme historique de Karl Marx et Friedrich Engels, qui proposait une vision déterministe de l'histoire fondée sur la lutte des classes et le développement des forces productives. Selon Marx et Engels, l'histoire humaine est essentiellement une histoire de conflit de classes, dans laquelle les structures économiques déterminent en grande partie les structures politiques et idéologiques de la société. Dans cette perspective, l'histoire se développe de manière linéaire et progressive, chaque mode de production (esclavage, féodalisme, capitalisme) étant remplacé par le suivant à la suite de contradictions internes et de conflits de classes. Cette conception déterministe et progressiste de l'histoire a joué un rôle clé dans la philosophie politique de Marx et Engels, qui envisageaient la fin du capitalisme et l'avènement du socialisme et du communisme comme des étapes inévitables de l'histoire humaine. Ces idées ont eu une influence profonde et durable sur la théorie sociale et politique, bien que leurs implications et leur validité continuent d'être débattues aujourd'hui.

Face à ces visions déterministes et souvent très théoriques de la société, une série de travaux empiriques a commencé à émerger dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ces travaux ont cherché à examiner les réalités sociales de manière plus concrète et détaillée, en se basant sur l'observation directe et l'analyse de données empiriques. Cela a conduit à l'émergence de nouvelles disciplines telles que la sociologie, initiée par des figures comme Émile Durkheim en France, qui a insisté sur l'importance de l'étude systématique des faits sociaux. En parallèle, en Allemagne, Max Weber a développé une approche compréhensive de la sociologie, cherchant à comprendre les actions individuelles et les processus sociaux du point de vue des acteurs eux-mêmes. Ces travaux empiriques ont souvent remis en question les grands récits déterministes de l'histoire et de la société, en montrant la complexité et la variabilité des phénomènes sociaux. Ils ont souligné l'importance des contextes historiques et culturels spécifiques, ainsi que la possibilité de multiples trajectoires de développement social et politique. Cela a marqué une rupture importante avec les approches antérieures et a jeté les bases de nombreuses branches contemporaines des sciences sociales, y compris la science politique. Il a également ouvert la voie à une variété de nouvelles méthodologies, de l'ethnographie à l'analyse statistique, qui sont maintenant des outils standard dans la recherche sociale et politique.

En réaction à la tendance déterministe, de nombreux chercheurs ont commencé à entreprendre des études descriptives détaillées des institutions politiques. C'est durant cette période que Woodrow Wilson, qui allait devenir le 28e président des États-Unis, a écrit "The State: Elements of Historical and Practical Politics". Dans cet ouvrage, Wilson a offert une étude profonde des institutions politiques, construisant une typologie des régimes politiques basée sur leur structure et leurs pratiques institutionnelles. Cela reflète une approche empirique et comparative de la science politique, cherchant à comprendre les systèmes politiques en fonction de leurs caractéristiques spécifiques et de leur contexte historique. Cette démarche peut être vue comme une reprise moderne des typologies classiques élaborées par Platon et Aristote, mais avec un accent plus prononcé sur l'observation directe et l'analyse détaillée. Cela a représenté une contribution importante à l'évolution de la science politique en tant que discipline autonome, soulignant la valeur de l'étude systématique des institutions politiques pour comprendre le fonctionnement des systèmes politiques.

Woodrow Wilson était non seulement le 28ème président des États-Unis, mais aussi un éminent universitaire et politologue. Avant d'entrer en politique, Wilson a enseigné à l'Université de Princeton, où il a été reconnu pour ses travaux importants en science politique. L'une des contributions les plus notables de Wilson à la discipline a été son approche institutionnelle de l'étude de la politique. Il a plaidé pour une attention particulière à l'analyse des institutions politiques en tant qu'éléments clés de tout système politique. De plus, il a souligné l'importance de la politique pratique, soulignant la nécessité pour les chercheurs de comprendre comment les institutions politiques fonctionnent réellement dans la pratique, et pas seulement en théorie. Durant son mandat en tant que président, durant la période de la Première Guerre mondiale, Wilson a été en mesure de mettre en pratique certaines de ses idées politiques. Sa présidence a été marquée par de nombreuses réformes progressistes, et il est notamment connu pour son rôle dans la création de la Ligue des Nations après la Première Guerre mondiale, une institution conçue pour promouvoir la paix et la coopération internationale..

Max Weber et Émile Durkheim ont tous deux apporté d'importantes contributions à la théorie sociologique, abordant des thèmes de modernisation, de développement économique et social, et de démocratisation. Max Weber est surtout connu pour son concept d'éthique protestante et de l'esprit du capitalisme, qui fait valoir que la rationalisation, ou le processus d'adoption de modes de pensée et de comportement rationnels et efficaces, a été un facteur clé du développement du capitalisme moderne. Il a également exploré la bureaucratie et le concept d'autorité rationnelle-légale, qui sont au cœur de la gouvernance moderne. Émile Durkheim, quant à lui, est considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie moderne. Il est célèbre pour sa théorie du fait social, qui fait valoir que les phénomènes sociaux existent indépendamment des individus et influencent leur comportement. Durkheim a également exploré les thèmes de la modernisation et du changement social, notamment à travers son étude du suicide et de la religion. En bref, Weber et Durkheim ont tous deux contribué à notre compréhension des processus de modernisation et de changement social, y compris le développement économique et politique.

Le processus de modernisation, par exemple, reste un sujet clé de recherche et de débat, en particulier en ce qui concerne les questions de développement et de démocratisation. Les chercheurs continuent d'examiner comment les sociétés changent à mesure qu'elles deviennent plus "modernes", comment ces changements affectent la gouvernance et la politique, et quels sont les meilleurs moyens de faciliter un développement économique et politique positif. De même, le développement social et économique reste une préoccupation majeure pour les politologues. Les chercheurs étudient des questions telles que la manière dont la croissance économique affecte les inégalités sociales, comment les politiques gouvernementales peuvent soutenir le développement, et comment les changements sociaux, tels que ceux liés à la migration ou au changement climatique, affectent la politique. Enfin, la démocratisation est également un domaine d'étude important en science politique. Les chercheurs examinent comment et pourquoi les démocraties émergent, se stabilisent ou échouent, et quelles stratégies peuvent soutenir la transition vers la démocratie et son maintien. Ces questions sont particulièrement pertinentes dans le contexte actuel, où de nombreux pays à travers le monde sont confrontés à des défis liés à la gouvernance démocratique.

L'approche scientifique de la science politique s'est considérablement développée au fil du temps. Elle se caractérise par une rigueur accrue dans l'analyse des phénomènes politiques, une logique plus cohérente dans les arguments présentés, et une prédominance de l'approche inductive par rapport aux suppositions préalables sur la nature humaine, comme c'était le cas pendant le Moyen Âge. Cette approche inductive repose sur l'observation empirique et l'analyse de données pour formuler des hypothèses et des théories. Au lieu de partir de théories préétablies sur la nature humaine ou la structure de la société, les chercheurs observent les comportements et les événements politiques, recueillent des données et utilisent ces informations pour élaborer des théories qui expliquent les phénomènes observés. Cela ne signifie pas que la science politique est dénuée de débats théoriques ou philosophiques. Au contraire, ces débats sont cruciaux pour orienter la recherche empirique et pour interpréter les résultats. Cependant, l'accent mis sur l'approche empirique et inductive a contribué à renforcer le caractère scientifique de la discipline. De plus, l'utilisation de méthodes quantitatives, telles que les statistiques et les modèles économétriques, ainsi que l'accessibilité croissante des données, ont également contribué à l'avancement de la science politique en tant que discipline scientifique. Ces outils permettent aux chercheurs de tester leurs hypothèses de manière rigoureuse et de fournir des preuves empiriques pour soutenir leurs arguments.

L'utilisation de la méthode comparative en science politique a commencé à prendre de l'ampleur au cours du XXe siècle. Cette méthode permet aux chercheurs d'analyser et de comparer les systèmes politiques, les régimes, les politiques et les processus dans différents contextes nationaux et internationaux. Cependant, pendant une grande partie de ce siècle, l'utilisation de cette méthode était encore à ses débuts et n'était pas toujours systématique. L'approche comparative vise à identifier des ressemblances et des différences entre les cas étudiés pour tenter d'expliquer pourquoi certains phénomènes politiques se produisent. Par exemple, elle peut aider à comprendre pourquoi certains pays réussissent à instaurer une démocratie stable, tandis que d'autres n'y parviennent pas. Au fil du temps, la méthode comparative s'est développée et a gagné en sophistication. Elle est devenue plus systématique, notamment avec le développement de techniques statistiques qui permettent de comparer un grand nombre de cas en même temps. Malgré cette évolution, il est important de noter que la méthode comparative présente des défis. Elle nécessite une connaissance approfondie des contextes spécifiques de chaque cas étudié, et il peut être difficile de contrôler toutes les variables qui pourraient influencer les résultats. De plus, les chercheurs doivent faire attention à ne pas tirer des conclusions trop générales à partir d'un nombre limité de cas.

Une grande partie de la science politique traditionnelle s'est concentrée sur l'étude des institutions formelles du gouvernement, telles que les parlements, les tribunaux, les constitutions et les administrations publiques. Ces études ont souvent adopté une approche descriptives, légale et formelle, se concentrant sur la structure, la fonction et l'organisation de ces institutions. Cependant, il est important de noter que le champ de la science politique a évolué et s'est élargi de manière significative au cours des dernières décennies. Aujourd'hui, les chercheurs en science politique ne se limitent pas à l'étude des institutions formelles du gouvernement. Ils s'intéressent également à une variété d'autres phénomènes politiques, tels que le comportement électoral, les mouvements sociaux, la politique de l'identité, la gouvernance mondiale, la politique comparative, les conflits internationaux, et bien plus encore. De plus, les méthodologies utilisées en science politique ont également évolué. Au lieu de se concentrer uniquement sur une approche descriptive, de nombreux chercheurs en science politique utilisent aujourd'hui des méthodes de recherche plus diversifiées, y compris des approches quantitatives, qualitatives, mixtes et de modélisation formelle. En somme, bien que l'étude des institutions formelles du gouvernement reste une partie importante de la science politique, le champ s'est considérablement élargi et diversifié, reflétant une gamme beaucoup plus large de sujets d'intérêt et de méthodologies de recherche.

Fin du XIXème début du XXème : Une ère de changements

C'est au début du XXe siècle que la science politique s'est véritablement professionnalisée et est devenue une discipline autonome. Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution. Premièrement, la fondation d'organisations professionnelles, comme l'American Political Science Association (APSA) en 1903, a joué un rôle crucial. Ces organisations ont contribué à standardiser la pratique de la science politique, à établir des normes éthiques pour la recherche et à promouvoir la diffusion des travaux de recherche à travers des conférences et des publications. Deuxièmement, le développement des programmes de doctorat en science politique dans les universités a contribué à former une nouvelle génération de chercheurs professionnels. Ces programmes ont fourni un cadre pour une formation systématique en théorie politique, méthodes de recherche, et dans les divers sous-domaines de la discipline. Troisièmement, l'évolution de la science politique a été stimulée par l'introduction de nouvelles méthodes de recherche, notamment des approches quantitatives basées sur les statistiques. Ces méthodes ont permis aux chercheurs d'examiner des questions politiques avec un degré de rigueur et de précision sans précédent. Enfin, la science politique a également bénéficié du soutien de diverses fondations et agences de financement, qui ont contribué à financer la recherche et à promouvoir le développement de la discipline. C'est grâce à ces développements que la science politique est devenue une discipline universitaire distincte, dotée de son propre corps de connaissances, de méthodes de recherche et de normes professionnelles.

La science politique en tant que discipline académique distincte a pris racine principalement aux États-Unis au début du 20e siècle. La création en 1880 de la première école doctorale à la Columbia University de New York marque le début de l'institutionnalisation de la science politique en tant que champ d'étude autonome aux États-Unis. Cette étape a été cruciale pour établir la science politique en tant que domaine d'étude universitaire distinct. L'American Political Science Association (APSA) a ensuite été fondée en 1903. L'APSA est devenue une organisation clé pour les politologues, en fournissant une plateforme pour le partage et la diffusion des recherches, ainsi qu'un espace pour le développement professionnel et la collaboration entre chercheurs. Ces étapes ont non seulement permis à la science politique de se distinguer des autres disciplines, mais ont également jeté les bases pour le développement ultérieur de la discipline, tant en termes de recherche théorique que d'application pratique. Aujourd'hui, la science politique est un domaine dynamique et diversifié qui aborde une vaste gamme de questions liées au pouvoir, à la gouvernance et aux relations internationales

Selon l'historien britannique Edward Augustus Freeman, "History is past politics, and politics is present history"[9] Cette citation souligne l'étroite relation entre la science politique et l'histoire. En effet, la science politique peut être considérée comme une branche de l'histoire qui se concentre sur l'analyse des systèmes politiques, des institutions et des processus politiques, tandis que l'histoire peut fournir un contexte précieux pour comprendre les origines et l'évolution de ces systèmes et processus. Cependant, une différence clé entre les deux disciplines réside dans leur orientation temporelle. Alors que l'histoire se concentre sur l'étude du passé, la science politique se concentre principalement sur le présent et le futur. Elle examine les tendances et les modèles contemporains dans la politique et essaie de faire des prévisions ou de fournir des recommandations politiques pour l'avenir. C'est pourquoi on dit souvent que "la politique est l'histoire présente". Néanmoins, bien que les deux disciplines aient des orientations temporelles différentes, elles sont intimement liées et se renforcent mutuellement. Une compréhension approfondie de l'histoire peut enrichir notre compréhension de la politique contemporaine, tandis que l'étude de la politique contemporaine peut nous aider à interpréter et à comprendre l'histoire.

L'approche de la science politique diffère de celle de l'histoire en termes de généralisation. Tandis que l'histoire se concentre sur l'unicité de chaque événement et de ses circonstances spécifiques, la science politique vise à établir des théories et des modèles qui peuvent être appliqués à divers contextes et moments. Cela ne signifie pas que la science politique néglige les détails spécifiques ou le contexte d'un événement ou d'un phénomène. Au contraire, elle utilise ces détails pour identifier des tendances, des modèles ou des facteurs qui peuvent expliquer une variété de phénomènes politiques. L'un des principaux objectifs de la science politique est de créer des théories qui peuvent être généralisées, testées et validées dans différentes conditions. Cela permet de comprendre les mécanismes qui sous-tendent les phénomènes politiques et de prédire comment ces phénomènes peuvent évoluer dans le futur. Par exemple, les théories de la science politique peuvent nous aider à comprendre pourquoi certains pays sont plus démocratiques que d'autres, comment les institutions politiques influencent le comportement des citoyens et des dirigeants, ou quels sont les facteurs qui peuvent mener à la guerre ou à la paix entre les nations. De cette manière, la science politique complète l'histoire en fournissant des cadres conceptuels pour comprendre les processus politiques à grande échelle, tout en bénéficiant des insights historiques pour éclairer ces cadres.

Les approches formelles, légales et descriptives dans la science politique ont certaines limites :

  • Description sur explication : Les approches descriptives fournissent souvent une vue détaillée des événements, des institutions ou des processus politiques, mais elles peuvent manquer d'explications approfondies sur pourquoi et comment ces phénomènes se produisent.
  • Dépendance de la loi et des institutions formelles : L'analyse juridique et institutionnelle est cruciale pour comprendre le fonctionnement des systèmes politiques. Cependant, elles peuvent négliger les influences non institutionnelles ou non légales sur le comportement politique, comme les normes sociales, les pressions économiques, les dynamiques de pouvoir informelles, etc.
  • Faible utilisation de l'analyse comparative : L'analyse comparative est un outil puissant pour la recherche en science politique car elle permet d'identifier les tendances, les modèles et les facteurs qui sont constants à travers différents contextes politiques. Cependant, dans les premiers stades de la discipline, cette approche était moins utilisée, limitant ainsi la capacité à généraliser les résultats de la recherche.
  • Manque d'approches empiriques : Bien que la science politique se soit de plus en plus tournée vers les méthodes empiriques, elles n'étaient pas aussi répandues dans les premières étapes de la discipline. Cela signifie que certaines théories ou hypothèses n'ont pas été rigoureusement testées par des données empiriques, ce qui peut limiter leur validité et leur fiabilité.

Cependant, la science politique a beaucoup évolué depuis ses débuts et a intégré de nouvelles méthodologies, y compris des approches empiriques plus sophistiquées, l'analyse comparative systématique et l'attention portée aux facteurs non institutionnels dans le comportement politique.roche empirique. L’analyse comparée demeure à un état embryonnaire, peu développée encore.

Selon la devise de l’époque : la science politique se concentre sur la période contemporaine et l’histoire sur le passé. cette devise illustre bien la distinction classique entre la science politique et l'histoire. L'histoire, en général, s'intéresse à la compréhension exhaustive et détaillée des événements, des personnes, des idées et des contextes passés. Elle cherche à décrire et à expliquer le passé dans toute sa complexité et sa spécificité. Les historiens se concentrent souvent sur les événements uniques et les contextes spécifiques, en s'efforçant de comprendre le passé pour lui-même, plutôt que de chercher à tirer des généralisations ou des théories. La science politique, en revanche, s'intéresse principalement à l'étude du pouvoir et des systèmes politiques dans le présent et l'avenir. Elle se concentre sur des concepts tels que l'État, le gouvernement, la politique, le pouvoir, l'idéologie, etc. Au lieu de s'intéresser uniquement à l'étude détaillée de cas spécifiques, la science politique cherche à développer des théories et des modèles qui peuvent être généralement applicables à divers contextes et périodes. Cela dit, il est important de noter que la science politique et l'histoire ne sont pas mutuellement exclusives. Les politologues peuvent tirer des leçons précieuses de l'histoire pour comprendre les tendances et les modèles dans les phénomènes politiques, tandis que les historiens peuvent utiliser des outils et des concepts de la science politique pour analyser le passé. Les deux disciplines se complètent et s'enrichissent mutuellement.

L'École de Chicago : Vers une approche comportementale

L'école de Chicago est célèbre pour avoir fait progresser la sociologie avec l'adoption d'une méthodologie empirique et quantitative pour étudier les comportements humains dans leur environnement urbain. C'est cette tradition qui a inspiré la révolution comportementale en science politique dans les années 1950 et 1960. La révolution comportementale a marqué un tournant majeur dans la science politique. Au lieu de se concentrer principalement sur les institutions et les structures formelles du gouvernement, les chercheurs ont commencé à s'intéresser davantage à l'étude des comportements individuels et des processus politiques informels. Ils ont commencé à recueillir des données empiriques par le biais de sondages, d'entretiens et d'autres méthodes de recherche pour comprendre comment les gens participent à la politique, comment ils prennent leurs décisions politiques, comment ils interagissent avec le système politique, etc. Cette nouvelle approche a permis d'enrichir considérablement notre compréhension de la politique. Elle a également introduit de nouvelles méthodes et techniques de recherche dans la discipline, comme l'analyse statistique, l'utilisation de modèles formels et de théories du choix rationnel, et l'adoption de cadres comparatifs plus systématiques.

L'École de Chicago a été une force majeure pour promouvoir une nouvelle approche de la science politique. Charles Merriam, qui a joué un rôle clé dans la création de l'École de Chicago, a fait valoir que la science politique devait s'éloigner de son orientation historique et juridique traditionnelle pour se concentrer davantage sur l'analyse empirique des comportements politiques. Dans son manifeste de 1929, Merriam a plaidé en faveur d'une approche "scientifique" de la science politique qui serait axée sur la collecte et l'analyse de données empiriques. Il a également soutenu que les chercheurs en science politique devaient adopter une approche interdisciplinaire, en incorporant des idées et des méthodes d'autres disciplines, comme la psychologie, la sociologie et l'économie.

L'École de Chicago est devenue connue pour son application des méthodes empiriques et quantitatives à l'étude des comportements politiques. Par exemple, ses chercheurs ont utilisé des enquêtes et des sondages pour étudier les attitudes politiques et les comportements de vote, et ils ont adopté une approche comparative pour analyser les systèmes politiques de différents pays. L'influence de l'École de Chicago a été profonde et durable. Elle a jeté les bases de la "révolution comportementale" qui a transformé la science politique dans les années 1950 et 1960. Et bien que l'approche comportementale ait elle-même été critiquée et modifiée depuis lors, de nombreux principes de l'École de Chicago continuent d'influencer la manière dont la science politique est pratiquée aujourd'hui.

Harold Lasswell, Leonard White et Quincy Wright ont été des figures clés de l'École de Chicago, apportant chacun une contribution significative à l'évolution comportementaliste de la science politique. Harold Lasswell, connu pour son travail sur les modèles de communication, a analysé le rôle des médias et de la propagande dans la société, développant notamment le modèle "Qui dit quoi, à qui, par quel canal, avec quel effet". Cette contribution a eu un impact significatif sur les études de communication et de politique. Leonard White, pionnier de l'étude de l'administration publique, a contribué à transformer ce domaine en une discipline universitaire à part entière, son travail historique sur l'administration publique aux États-Unis restant une référence essentielle. Enfin, Quincy Wright, spécialisé en relations internationales, a réalisé des travaux comme "A Study of War", où il a tenté de comprendre scientifiquement les causes de la guerre et les conditions de la paix. Ce travail a influencé la manière dont les relations internationales sont étudiées, mettant en avant l'importance de l'analyse empirique et comparative. Ensemble, ces chercheurs ont façonné la science politique, en se concentrant particulièrement sur l'étude empirique et comportementale des processus politiques.

L'École de Chicago s'est particulièrement intéressée à l'étude des comportements politiques. Dans cette perspective, deux objets d'étude ont été particulièrement mis en avant : les comportements de vote et la mobilisation sociale en politique. L'étude des comportements de vote cherche à comprendre les facteurs qui influencent la façon dont les individus votent lors des élections. Cette recherche s'intéresse à un large éventail de facteurs, notamment les attitudes politiques, les affiliations partisanes, les préférences en matière de politiques, l'influence des médias, ainsi que des facteurs sociodémographiques tels que l'âge, le genre, la race, la classe sociale et l'éducation. L'étude de la mobilisation sociale en politique, quant à elle, se concentre sur les processus par lesquels les individus et les groupes s'engagent dans l'action politique. Cette recherche explore les motivations des individus à participer à la politique, les tactiques et stratégies utilisées par les groupes pour mobiliser leurs membres et soutenir leurs causes, et les structures sociales et institutionnelles qui facilitent ou entravent la mobilisation politique. Ces deux domaines d'étude ont permis de mieux comprendre le comportement politique des individus et des groupes, et ont contribué à façonner la science politique telle que nous la connaissons aujourd'hui.

En 1939, Harold Lasswell a co-publié une étude intitulée "World Revolutionary Propaganda: A Chicago Study", qui examinait l'impact de la Grande Dépression de 1929 sur les capacités de mobilisation politique des chômeurs dans la ville de Chicago.[10] La Grande Dépression, qui a commencé avec le krach boursier de 1929, a eu un impact économique dévastateur aux États-Unis et ailleurs, entraînant un chômage massif et des difficultés financières pour de nombreuses personnes. Cette étude de Lasswell visait à comprendre comment ces circonstances économiques difficiles avaient influencé la capacité des personnes au chômage à s'engager dans des activités politiques. L'étude a utilisé une approche innovante pour son époque, combinant des méthodes quantitatives et qualitatives pour comprendre les comportements politiques. Elle a également contribué à établir l'École de Chicago comme un centre important pour l'étude des comportements politiques, et a contribué à jeter les bases de la révolution comportementale en science politique qui a suivi.

L'École de Chicago a marqué un tournant important dans l'histoire de la science politique en introduisant une approche plus empirique et rigoureuse de l'étude des comportements politiques. Plutôt que de se concentrer uniquement sur les institutions politiques ou les grands événements historiques, cette approche met l'accent sur l'importance des attitudes et des comportements individuels dans le processus politique. En utilisant des méthodes de recherche plus sophistiquées et rigoureuses, notamment des enquêtes et des analyses statistiques, l'École de Chicago a été capable de produire des connaissances plus précises et nuancées sur le comportement politique. Cela a permis d'améliorer la compréhension de divers phénomènes politiques, allant de la mobilisation politique des chômeurs pendant la Grande Dépression à la dynamique du vote dans les élections modernes. Ainsi, l'École de Chicago a joué un rôle essentiel dans la professionnalisation et l'autonomisation de la science politique en tant que discipline académique, en prouvant qu'une véritable avancée dans la connaissance politique est possible grâce à des études empiriques rigoureuses.

La période post-comportementale (1950 - 1960) : Nouveaux défis et orientations

La révolution comportementale (behavioral revolution) des années 1950 et 1960 marque un changement significatif dans la manière dont la science politique est étudiée et comprise. Cette révolution est caractérisée par une attention accrue portée au comportement des individus et des groupes dans le contexte politique, plutôt que sur les structures et les institutions formelles. Les chercheurs en science politique ont commencé à utiliser des méthodes empiriques pour étudier comment les individus perçoivent, interprètent et réagissent aux stimuli politiques. Cela comprenait des enquêtes d'opinion, des analyses de contenu des médias, et des études sur les comportements de vote, entre autres. Une des conséquences de cette révolution a été le développement de la théorie du choix rationnel, qui part du principe que les individus agissent de manière à maximiser leur propre bénéfice. Cette théorie est devenue un outil majeur pour l'analyse des comportements politiques. Cette période a également vu l'émergence de nouvelles approches de la politique comparée et des relations internationales, qui ont également bénéficié de l'utilisation de méthodes empiriques et quantitatives pour étudier les comportements politiques.

La révolution comportementale a marqué une transformation majeure dans l'étude de la science politique. Elle a été caractérisée par deux idées principales :

  • L'élargissement des objets de la science politique : Les tenants de cette révolution ont contesté la vision traditionnelle qui limitait la science politique à l'étude des institutions formelles de gouvernement. Ils ont cherché à dépasser cette limitation en intégrant l'étude des procédures informelles et des comportements politiques des individus et des groupes, tels que les partis politiques. Ces procédures informelles peuvent inclure des processus de formulation de nouvelles politiques publiques, qui impliquent souvent la consultation de groupes d'intérêt organisés tels que les syndicats et d'autres associations de la société civile. Ces processus, bien que non institutionnalisés, jouent un rôle clé dans la politique et peuvent être décrits comme des institutions informelles.
  • La volonté de rendre la science politique plus scientifique : Les tenants de la révolution comportementale ont remis en question l'approche empirique qui n'est pas éclairée par la théorie. Ils ont prôné un raisonnement théorique rigoureux et systématique, qui peut être testé par des études empiriques. Cette approche a conduit à l'établissement et au test d'hypothèses théoriques, en utilisant des méthodes quantitatives et qualitatives.

La révolution comportementale a eu un impact majeur sur la science politique, en élargissant son champ d'étude et en insistant sur une approche plus rigoureuse et scientifique.

La période d'après-guerre a été marquée par une expansion significative et une diversification de la recherche en science politique. Les relations internationales, par exemple, sont devenues une sous-discipline majeure, se concentrant sur les phénomènes de guerre, de paix et de coopération à l'échelle mondiale. Simultanément, la politique comparée a émergé comme un champ d'étude essentiel, offrant une perspective comparative sur les systèmes politiques et les institutions du monde entier. L'attention portée aux institutions politiques spécifiques aux États-Unis a également augmenté, ce qui a permis une analyse plus approfondie de ce système particulier. De nouvelles sous-disciplines sont apparues, élargissant encore le spectre de la science politique. Les études de sécurité, par exemple, ont commencé à se concentrer sur les défis et les stratégies liés à la sécurité nationale et internationale. Par ailleurs, les relations économiques internationales ont été identifiées comme un domaine d'étude crucial, jetant un pont entre la politique et l'économie à une échelle globale. Enfin, l'étude du comportement politique a pris une importance croissante, avec un accent mis sur la compréhension des actions et des comportements des individus et des groupes dans le contexte politique. En somme, cette période d'après-guerre a marqué un tournant dans la science politique, approfondissant sa nature multidisciplinaire et élargissant sa portée pour comprendre les complexités de la politique.

L'Université du Michigan a joué un rôle majeur dans la promotion de l'approche comportementale en science politique pendant la période d'après-guerre. Son département de science politique a mis l'accent sur les études empiriques et a favorisé une culture scientifique dans l'étude de la politique. En particulier, le Center for Political Studies de l'Université du Michigan a été un pionnier dans la recherche sur le comportement politique. Le centre est célèbre pour avoir lancé l'American National Election Studies (ANES), une étude longitudinale qui recueille des données sur les comportements de vote, les opinions politiques et les attitudes des citoyens américains depuis 1948. Cette étude a fourni des données précieuses pour comprendre comment et pourquoi les individus participent à la vie politique. L'accent mis par l'Université du Michigan sur l'étude empirique du comportement politique a contribué à déplacer le champ de la science politique au-delà de l'analyse purement institutionnelle et juridique pour inclure une compréhension plus profonde de la façon dont les acteurs individuels et les groupes se comportent dans le contexte politique.

Deux publications majeures de cette période, qui symbolisent pleinement cette révolution comportementale, sont "Political Man: The Social Bases of Politics" par Seymour Martin Lipset, sorti en 1960[11], et "The Civic Culture: Political Attitudes and Democracy in Five Nations" par Gabriel Almond et Sidney Verba, publié en 1963.[12] Ces deux ouvrages ont été très influents et ont marqué la période de la révolution comportementale dans la science politique. "Political Man: The Social Bases of Politics" de Seymour Martin Lipset a été publié en 1960 et est devenu un classique dans le domaine de la sociologie politique. Lipset utilise une approche empirique pour examiner les conditions sociales et économiques qui contribuent à la stabilité démocratique. Il s'intéresse notamment aux facteurs tels que le niveau de développement économique, le système d'éducation, la religion, le statut social et d'autres facteurs sociaux pour comprendre les modèles de comportement politique. "The Civic Culture: Political Attitudes and Democracy in Five Nations" est un ouvrage publié en 1963 par Gabriel Almond et Sidney Verba. Ce livre présente une analyse comparative des cultures politiques dans cinq pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Mexique) et propose le concept de "culture civique" pour expliquer la stabilité démocratique. Almond et Verba soutiennent que la culture politique d'un pays, qui se reflète dans les attitudes et les croyances des citoyens envers le système politique, joue un rôle crucial dans le fonctionnement et la stabilité de la démocratie. Ces deux ouvrages reflètent l'accent mis par la révolution comportementale sur l'étude des attitudes, des croyances et des comportements des individus pour comprendre la politique.

La révolution comportementale a marqué un tournant significatif dans la discipline de la science politique en accentuant l'importance des théories dans l'analyse et la compréhension des phénomènes politiques. Cette réorientation vers une approche plus théorique a permis d'introduire de nouveaux concepts et outils d'analyse, enrichissant ainsi le champ de la discipline. L'un des principaux impacts de cette révolution a été le renforcement des arguments théoriques dans l'analyse politique. Au lieu de se baser uniquement sur des observations descriptives et des suppositions, les chercheurs ont commencé à formuler des hypothèses et des théories plus solides pour expliquer les comportements politiques. Cela a conduit à des débats plus nuancés et à une compréhension plus profonde des processus politiques. En outre, la révolution comportementale a également introduit une sophistication accrue de la théorie politique. Avec l'adoption d'une approche plus scientifique, les chercheurs ont pu développer des modèles théoriques plus complexes et précis pour expliquer une grande variété de comportements et de phénomènes politiques. Enfin, et peut-être surtout, la révolution comportementale a promu une prise en compte plus rigoureuse de la méthode scientifique dans l'étude de la politique. Cela signifie que les chercheurs ont commencé à adopter des méthodes de recherche plus rigoureuses et systématiques, y compris l'utilisation de statistiques et d'autres outils quantitatifs. Cela a conduit à une plus grande fiabilité et validité des résultats de recherche, renforçant ainsi la crédibilité de la discipline de la science politique dans son ensemble.

La troisième révolution scientifique (1989 - présent) : Le nouveau visage de la science politique

La troisième révolution scientifique de la science politique, qui a commencé dans les années 1970, a eu un impact majeur sur la façon dont la recherche politique est menée aujourd'hui. Cette révolution a introduit des méthodes de recherche plus rigoureuses et systématiques, y compris l'utilisation de statistiques et de modèles mathématiques pour tester des hypothèses et mesurer l'impact de différents facteurs sur les phénomènes politiques. Elle a également encouragé les chercheurs à adopter une approche plus empirique, basée sur l'observation et l'expérience plutôt que sur la théorie pure. La troisième révolution scientifique a également vu une expansion des domaines d'étude de la science politique. Les chercheurs ont commencé à explorer de nouveaux domaines tels que le comportement électoral, la politique comparative, la politique de l'identité, la politique environnementale, et d'autres. Ces nouveaux domaines d'étude ont permis d'élargir considérablement notre compréhension du fonctionnement de la politique et du rôle des facteurs politiques dans la société. Cette révolution a également introduit une plus grande diversité dans la recherche en science politique. Les chercheurs ont commencé à étudier une gamme plus large de contextes politiques et à prendre en compte des perspectives plus diverses. En outre, cette révolution a également encouragé une plus grande collaboration interdisciplinaire, avec des chercheurs en science politique travaillant avec des experts d'autres disciplines pour résoudre des problèmes politiques complexes.

La Théorie du choix rationnel (TCR) est une approche importante et influente dans la science politique qui est principalement inspirée de la théorie économique. Cette théorie suppose que les individus sont des acteurs rationnels qui prennent des décisions en fonction de leurs intérêts personnels, en cherchant à maximiser leur utilité, c'est-à-dire le bénéfice ou le plaisir qu'ils tirent d'une certaine action. Les individus, selon la TCR, pèsent les coûts et les bénéfices de différentes options avant de prendre une décision. Cette évaluation des coûts et des bénéfices peut prendre en compte de nombreux facteurs différents, y compris les conséquences matérielles, le temps, l'effort, les risques et les récompenses émotionnelles et sociales. La TCR sert souvent de "métathéorie" dans la recherche en science politique. Cela signifie qu'elle fournit un cadre général pour comprendre comment et pourquoi les individus prennent certaines décisions politiques. Par exemple, elle peut être utilisée pour analyser des questions telles que le comportement électoral (pourquoi les gens votent-ils comme ils le font?), la formation de coalitions (pourquoi certains partis politiques s'allient-ils avec d'autres?), ou la prise de décision en politique étrangère (pourquoi les pays choisissent-ils de déclarer la guerre ou de signer des traités de paix?).

La troisième révolution scientifique en science politique a mis l'accent sur l'utilisation de raisonnements logiques rigoureux et de méthodes formelles. Dans ce contexte, la théorie du choix rationnel (TCR) est un exemple majeur de cette approche. La TCR, et d'autres approches similaires, commencent souvent par établir un ensemble de postulats ou d'hypothèses de base. Ces postulats sont censés représenter certains aspects fondamentaux du comportement humain ou du système politique. Par exemple, la TCR postule généralement que les individus sont des acteurs rationnels qui cherchent à maximiser leur utilité. À partir de ces postulats de base, les chercheurs déduisent ensuite logiquement un certain nombre de propositions ou d'hypothèses. Par exemple, si on suppose que les individus sont rationnels et qu'ils cherchent à maximiser leur utilité, on pourrait en déduire que les individus seront plus susceptibles de voter s'ils pensent que leur vote aura un impact sur le résultat de l'élection. Ces propositions ou hypothèses sont ensuite testées empiriquement, souvent à l'aide de données quantitatives. Par exemple, un chercheur pourrait recueillir des données sur le comportement électoral et utiliser des techniques statistiques pour tester l'hypothèse que les individus sont plus susceptibles de voter s'ils pensent que leur vote a un impact. Cette approche a l'avantage de fournir des prédictions claires et testables, et elle a contribué à améliorer la rigueur et la précision de la recherche en science politique. Cependant, comme mentionné précédemment, elle a également fait l'objet de critiques, notamment en raison de ses hypothèses simplistes sur le comportement humain.

La théorie des jeux, une branche de la mathématique qui étudie les situations de décision où plusieurs acteurs interagissent, a été intégrée à la science politique dans le cadre de la troisième révolution scientifique. Elle offre un cadre formel pour analyser des situations où le résultat pour un individu dépend non seulement de ses propres choix, mais aussi de ceux des autres. Elle est souvent utilisée dans des contextes politiques pour modéliser des situations de conflit et de coopération, telles que les négociations, les élections, la formation de coalitions et la prise de décisions en politique étrangère. La théorie des jeux se prête bien à la théorie du choix rationnel, car elle part du principe que les acteurs sont rationnels et cherchent à maximiser leur utilité. Cependant, elle va au-delà de la simple maximisation de l'utilité individuelle pour considérer la manière dont les choix des autres acteurs peuvent influencer les résultats. Quant à l'analyse statistique, elle est devenue une méthode de recherche standard en science politique à partir de la troisième révolution scientifique. Les chercheurs utilisent des méthodes statistiques pour analyser des ensembles de données de grande taille et pour tester des hypothèses sur les relations entre différentes variables. L'analyse statistique peut aider à identifier des tendances, à établir des corrélations, à prédire des résultats futurs et à vérifier l'efficacité de différentes politiques. En utilisant ces outils - la théorie des jeux et l'analyse statistique - la science politique a gagné en rigueur, en précision et en capacité à tester et à valider ses théories. Cependant, comme toujours, ces méthodes ont leurs limites et leurs défis, et les chercheurs continuent à débattre de la meilleure façon de les utiliser dans la pratique.

La troisième révolution scientifique en science politique a eu un impact majeur sur toutes les facettes de la discipline, y compris les méthodes de recherche qualitatives. En réponse à la rigueur et à la précision apportées par les méthodes quantitatives, les chercheurs utilisant des méthodes qualitatives ont cherché à renforcer leurs propres approches. Par exemple, ils ont travaillé à développer des cadres plus systématiques pour la collecte et l'analyse de données qualitatives, et à améliorer la transparence et la reproductibilité de leurs recherches. Ils ont également cherché à intégrer des éléments de rigueur statistique dans leur travail, par exemple en utilisant des méthodes de codage pour analyser systématiquement des textes ou des entretiens. De plus, les chercheurs qualitatifs ont également mis l'accent sur les avantages uniques de leurs méthodes. Par exemple, ils soulignent que la recherche qualitative peut fournir une compréhension plus profonde et plus nuancée des phénomènes politiques, en se concentrant sur le contexte, l'interprétation et le sens. Ils ont également défendu le rôle de la recherche qualitative dans la génération de nouvelles théories et dans l'étude de phénomènes qui sont difficiles à mesurer ou à quantifier. De cette manière, la pression des méthodes quantitatives et de la théorie du choix rationnel a effectivement conduit à un renforcement de la recherche qualitative en science politique. Cela a contribué à un équilibre plus sain entre les méthodes qualitatives et quantitatives dans la discipline, et a encouragé une approche plus intégrative qui valorise la contribution de chaque méthode à la compréhension du politique.

L'influence de la troisième révolution scientifique a eu un impact étendu sur tous les domaines de la science politique, y compris la recherche qualitative. De nombreux ouvrages majeurs ont été écrits pour répondre à ces changements, illustrant comment les chercheurs ont cherché à renforcer la rigueur et la systématicité de la recherche qualitative. Par exemple, "Designing Social Inquiry: Scientific Inference in Qualitative Research" de King, Keohane et Verba en 1994, est un ouvrage clé qui a mis en avant une approche de la recherche qualitative axée sur des principes de rigueur scientifique similaires à ceux de la recherche quantitative.[13] Brady et Collier ont pris le relais en 2004 avec "Rethinking Social Inquiry: Diverse Tools, Shared Standards", qui plaide pour une complémentarité entre les méthodes quantitatives et qualitatives afin d'approfondir la compréhension des phénomènes sociaux. Ils ont également présenté divers outils et techniques pour améliorer la qualité de la recherche qualitative.[14] Poursuivant dans la même veine, George et Bennett ont publié en 2005 "Case Studies and Theory Development", un ouvrage qui fournit des stratégies pour utiliser les études de cas pour développer et tester des théories en science politique.[15] Enfin, en 2007, Gerring a ajouté à ce corpus avec "Case Study Research: Principles and Practices", qui offre un guide complet pour la recherche basée sur les études de cas.[16] Ces travaux montrent comment la recherche qualitative en science politique a répondu et évolué face à la troisième révolution scientifique. Ils soulignent l'importance d'une approche rigoureuse et systématique de la recherche qualitative tout en reconnaissant les forces uniques de cette méthode.

Pour conclure cette revue générale, nous pouvons simplifier certains de ces paradigmes importants en une seule idée. En effet, chaque approche peut être résumée par un adage qui capture bien les contributions de la théorie du behavioralisme et du choix rationnel :

  • Le béhaviorisme, ou behavioralisme, s'intéresse aux actions et au comportement des individus plutôt qu'à la simple structure institutionnelle. En suivant le principe de "ne vous contentez pas de regarder les règles formelles, regardez ce que les gens font réellement", le behavioralisme met l'accent sur l'observation et l'étude des actions réelles des individus et des groupes, en tenant compte à la fois des règles formelles et informelles qui guident ces actions. Il a joué un rôle majeur dans le déplacement de l'analyse politique vers une compréhension plus profonde des comportements individuels et de groupes.
  • La théorie du choix rationnel, quant à elle, se fonde sur le principe que "les individus sont motivés par le pouvoir et l'intérêt". Elle soutient que les individus prennent des décisions en fonction de leurs intérêts personnels et cherchent à maximiser leur utilité. En suivant cette ligne de pensée, la théorie du choix rationnel a permis de formaliser l'analyse des actions politiques et de prédire les comportements en se basant sur le postulat de la rationalité.

Ces deux paradigmes ont apporté des contributions significatives à la science politique et continuent de façonner notre compréhension du comportement politique. Cependant, il est également important de noter que chaque paradigme a ses limites et qu'une compréhension complète des phénomènes politiques nécessite souvent une combinaison de différentes approches et méthodes. En plus du behavioralisme et de la théorie du choix rationnel, deux autres grandes écoles de pensée en science politique sont le systémisme et le structuralisme-fonctionnalisme. Le systémisme opère selon le principe que "tout est connecté, les rétroactions sont essentielles". Cette philosophie souligne l'interdépendance de tous les éléments d'un système politique. Il met l'accent sur l'importance des rétroactions qui, en créant des résultats, sont réintégrées dans les nouvelles demandes adressées au système politique, influençant ainsi sa dynamique et son évolution. D'autre part, le structuralisme-fonctionnalisme est guidé par l'idée que "la forme s'adapte à la fonction". Cette perspective postule que les fonctions des institutions politiques déterminent leurs formes. C'est un cadre utile pour comprendre comment les institutions politiques se développent et changent pour répondre aux besoins et aux demandes de la société.

Enfin, l'institutionnalisme est une autre école de pensée importante en science politique, qui opère selon le principe que "les institutions comptent". En effet, une branche entière de cette école, connue sous le nom d'institutionnalisme historique, s'est développée autour de cette idée. L'institutionnalisme historique se concentre sur l'importance des institutions dans la détermination des résultats politiques, en mettant l'accent sur leur rôle en tant que règles du jeu qui façonnent les comportements politiques, et sur la manière dont elles évoluent et changent avec le temps.

Le récit que nous venons de parcourir correspond à ce que Almond a défini comme la "perspective progressiste-éclectique" de l'histoire de la science politique.[17] Cette perspective, qui peut être considérée comme le courant dominant de la science politique, reconnaît la valeur de plusieurs approches différentes dans la discipline. Elle met l'accent sur le progrès scientifique réalisé à travers l'intégration d'éléments provenant de différentes écoles de pensée, y compris le behavioralisme, la théorie du choix rationnel, le systémisme, le structuralisme-fonctionnalisme et l'institutionnalisme. Selon cette perspective, chaque approche apporte des outils et des perspectives uniques qui, ensemble, contribuent à une compréhension plus complète des phénomènes politiques.

Cette "perspective progressiste-éclectique" n'est pas universellement acceptée, mais elle est largement acceptée par ceux qui adhèrent à sa définition de la connaissance et de l'objectivité, qui est basée sur la séparation des faits et des valeurs, et l'adhésion à des normes de preuve empirique.

L'idée de "progressiste" se réfère à l'engagement envers l'idée de progrès scientifique, qui se manifeste à la fois par une accumulation quantitative de connaissances - en termes du volume de connaissances accumulées au fil du temps - et par une amélioration qualitative de la rigueur et de la précision de ces connaissances.

L'aspect "éclectique" de la perspective décrit une approche non hiérarchique et intégrative du pluralisme. Cela signifie qu'aucune approche ou école de pensée n'est considérée comme supérieure aux autres. Toutes les perspectives et méthodologies sont accueillies et peuvent contribuer à la somme totale de la connaissance dans cette vision dominante de la science politique. Par conséquent, des approches telles que la théorie du choix rationnel et l'institutionnalisme peuvent produire des travaux qui s'intègrent bien dans cette perspective progressiste-éclectique.

Ces résumés représentent l'évolution de la discipline en décrivant les différentes révolutions et classifications. Ils illustrent également le développement des méthodes au fil du temps :

Histoires alternatives de la discipline

Bien que la "perspective progressiste-éclectique" soit largement acceptée, il est important de noter qu'il existe d'autres écoles de pensée qui offrent des histoires alternatives de la science politique. Ces perspectives peuvent différer sur des questions clés, comme l'importance relative des différentes approches ou l'évolution de la discipline au fil du temps. Elles peuvent également mettre l'accent sur différents aspects de la science politique, ou interpréter différemment les mêmes événements ou tendances. Ces histoires alternatives contribuent à la richesse et à la diversité de la science politique en tant que discipline.

Les courants contestataires : Antiscience et post-science

Il existe des courants de pensée en science politique qui rejettent l'idée que la discipline est intrinsèquement scientifique et progressiste. Certains courants postmodernistes et post-structuralistes, par exemple, peuvent remettre en question l'idée que la science politique peut être une entreprise purement objective ou neutre. Ils suggèrent que toutes les connaissances sont enracinées dans des contextes culturels, sociaux et historiques spécifiques, et que la soi-disant "objectivité" peut souvent masquer des formes de pouvoir et de domination. D'autres courants, comme le féminisme ou la théorie critique, peuvent également rejeter l'idée du progrès linéaire en science politique. Ils pourraient souligner que les avancées dans la connaissance ne profitent pas toujours également à tous, et que certaines voix ou perspectives peuvent être marginalisées dans le processus. Ces courants offrent une critique importante de l'orthodoxie dominante en science politique, et ils ont contribué à stimuler un débat et une réflexion importants sur la nature de la connaissance et de la recherche en science politique.

L'antiscience : Une critique du scientisme

La position "antiscience" en science politique est généralement associée à des penseurs comme Claude Lévi-Strauss. Cette perspective critique la division weberienne entre faits et valeurs et remet en question l'idée que nous pouvons objectiver la réalité sociale. De plus, elle rejette le behavioralisme et, plus généralement, le positivisme, qui cherche à étudier les phénomènes politiques de manière causale et empirique.

Pour ceux qui adoptent une perspective antiscience, l'introduction de méthodes scientifiques en science politique est non seulement illusoire, mais elle peut aussi nuire à notre compréhension de la dynamique sociale. Ils suggèrent que l'accent mis sur la rigueur empirique et l'objectivité peut obscurcir les complexités et les nuances de la vie sociale et politique, et réduire ces phénomènes à des éléments triviaux ou simplistes.

Il est important de noter que bien que cette position soit critique à l'égard des méthodes scientifiques traditionnelles, elle n'est pas nécessairement contre toute forme de recherche ou d'analyse. Au contraire, beaucoup de ceux qui adoptent une position antiscience soutiennent des formes alternatives de recherche, qui mettent l'accent sur l'interprétation, le contexte et la signification.

Claude Lévi-Strauss défend une approche de la science sociale qui soit à la fois humaniste et engagée. Cette approche envisage une collaboration intime et passionnée avec les grands philosophes et les grandes philosophies pour discuter et comprendre le sens des idées centrales de la science politique. Pour Lévi-Strauss, la science sociale doit viser à interpréter les phénomènes sociaux plutôt qu'à simplement les expliquer de manière mécanique ou causale.

Selon lui, la méthode scientifique, lorsqu'elle est appliquée aux sciences sociales, peut créer une illusion de précision et d'objectivité qui masque la complexité et la subjectivité des phénomènes sociaux. Au lieu de cela, il soutient une approche qui valorise le contexte, le sens et la perspective humaine. Cette vision rejette l'idée que la science politique doit nécessairement suivre le modèle des sciences naturelles, et elle propose une vision alternative de ce que pourrait être une science sociale authentiquement humaniste et engagée.

La post-science : Vers une nouvelle compréhension de la réalité

La position "post-science" est souvent associée à certains courants de pensée constructivistes et postmodernistes. Elle se situe dans une perspective post-behavioriste et post-positiviste.

Parmi les figures emblématiques de ce courant, on trouve le philosophe Jacques Derrida, qui a introduit l'idée de "déconstruction". Cette approche critique et analytique remet en question les structures de pensée et les catégories conceptuelles traditionnellement acceptées. Pour Derrida, la déconstruction vise à révéler les sous-entendus, les suppositions et les contradictions souvent ignorées qui sous-tendent nos discours et nos compréhensions habituelles.

Dans le contexte de la science politique, une approche post-scientifique pourrait remettre en question les hypothèses et les méthodes de la recherche conventionnelle. Elle pourrait suggérer, par exemple, que les catégories et concepts traditionnels de la science politique sont culturellement spécifiques et historiquement contingents, plutôt que universels ou objectifs. Elle pourrait également remettre en question l'idée que la recherche politique peut être menée de manière neutre ou objective, en soulignant comment les chercheurs sont toujours situés dans des contextes politiques, culturels et historiques spécifiques.

La position post-scientifique, tout comme la position anti-scientifique, rejette la dichotomie classique entre les jugements de faits et les jugements de valeurs. Cette approche adopte une posture critique, affirmant que toute analyse ou interprétation est inévitablement teintée par les valeurs et les présupposés de celui qui l'entreprend. Les adeptes de cette école de pensée appellent à la fin du positivisme, c'est-à-dire de l'idée que les affirmations doivent être soutenues par des preuves empiriques pour être considérées comme valides. Ils contestent l'idée que la vérification empirique doit être l'unique critère de validité dans les sciences humaines. Plutôt que de chercher à établir des vérités objectives incontestables, les tenants de cette approche cherchent à révéler les différentes perspectives et interprétations possibles d'un phénomène. Ils soutiennent que la recherche en sciences humaines doit nécessairement tenir compte du contexte social, culturel et historique, ainsi que des valeurs et des présupposés du chercheur. Cette position invite à une réflexion plus approfondie sur la manière dont la connaissance est produite et utilisée en science politique.

Chaque perspective théorique est inextricablement liée à des choix fondamentaux qui structurent la manière dont nous appréhendons et étudions le monde. Ces choix concernent l'ontologie, l'épistémologie et la méthodologie:

  • L'ontologie se rapporte à notre compréhension de la nature du monde social et politique, à ce qui "est". Elle englobe un ensemble de postulats et d'affirmations qu'une approche théorique spécifique fait sur la nature de la réalité sociale. Cela inclut des questions sur ce qui existe réellement et sur l'entité ou l'unité de base qui constitue le politique ou l'objet d'analyse en science politique.
  • L'épistémologie concerne ce que nous pouvons connaître du monde social et politique. Elle explore les limites et les possibilités de notre connaissance, en se posant des questions sur la nature et la validité de la connaissance que nous pouvons acquérir.
  • Enfin, la méthodologie fait référence aux procédures que nous utilisons pour acquérir cette connaissance. Elle détermine les outils, techniques et approches que nous employons dans notre recherche, et guide la manière dont nous collectons, analysons et interprétons nos données.

En somme, ces trois dimensions sont intimement liées et façonnent la manière dont nous concevons et menons notre recherche en science politique. Chaque approche théorique fait des choix distincts dans ces trois domaines, ce qui donne lieu à une diversité d'approches et de perspectives en science politique.

En ce qui concerne la nature de la réalité, ou ce qui "est", il existe en effet une distinction majeure entre les postmodernes et le courant dominant progressiste-éclectique. Le courant progressiste-éclectique adopte généralement une ontologie objective. Cela signifie qu'ils considèrent que la réalité existe indépendamment de nos perceptions ou de nos interprétations. Ils soutiennent que nous pouvons observer et étudier cette réalité à travers une recherche empirique rigoureuse, et qu'elle existe en dehors de nos constructions mentales ou sociales. Les postmodernes, en revanche, adoptent souvent une ontologie plus subjective ou constructiviste. Ils soutiennent que la réalité est socialement construite, et qu'elle est façonnée par nos perceptions, nos interprétations et nos discours. Pour eux, la réalité n'existe pas indépendamment de nos conceptions ou de notre langue, et ne peut donc pas être étudiée de manière objective ou indépendante. Cela conduit à une approche très différente de la recherche, qui met l'accent sur l'interprétation, la critique et la déconstruction des discours sociaux et politiques.

Pour les postmodernistes, la réalité et sa représentation sont intimement liées. Selon eux, notre compréhension du monde est intrinsèquement façonnée par la façon dont nous le représentons, que ce soit à travers le langage, la culture, l'art ou d'autres formes de discours social. Ils soutiennent que ces représentations ne sont pas simplement des reflets passifs de la réalité, mais qu'elles jouent un rôle actif dans la construction de notre réalité. Pour les postmodernistes, il n'y a pas de distinction claire entre la réalité objective et notre représentation subjective de celle-ci. Au lieu de cela, notre compréhension de la réalité est constamment construite et re-construite à travers nos interactions sociales et nos discours culturels. Ils s'intéressent donc à la façon dont les représentations et les discours façonnent notre compréhension du monde politique, et à la manière dont ces constructions peuvent être déconstruites et critiquées.

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Ce tableau résume la position ontologique, épistémologique et méthodologique caractéristique de l’école postmoderne.

En ce qui concerne l'épistémologie, la perspective postmoderne souligne l'incertitude et le scepticisme. Plutôt que de chercher à établir des vérités absolues ou des faits indiscutables, les postmodernistes soutiennent que notre connaissance est toujours conditionnée par notre perspective et nos cadres de référence culturels et sociaux. Ils contestent donc l'idée que nous puissions atteindre une connaissance objective ou universelle. Cela signifie que, pour les postmodernistes, le savoir n'est jamais "fixe" ou "définitif". Au lieu de cela, notre compréhension du monde est constamment en évolution, à mesure que nous interagissons avec d'autres et que nous nous engageons dans de nouveaux discours et pratiques culturelles. Cette perspective défie l'idée que le savoir peut être défini uniquement par des preuves empiriques ou des tests scientifiques, et soutient que notre compréhension de la réalité est toujours façonnée par notre contexte social et culturel.

Selon la perspective postmoderne, toutes les connaissances sont intrinsèquement subjectives, dépendant du point de vue individuel de chaque chercheur ou observateur. Cette subjectivité entraîne nécessairement une diversité d'interprétations et de compréhensions du monde social et politique. De plus, le postmodernisme met l'accent sur l'importance de déconstruire les discours dominants. L'objectif n'est pas simplement d'accepter ces discours comme des vérités établies, mais de les examiner de manière critique et de remettre en question leurs hypothèses sous-jacentes et leurs effets de pouvoir. En particulier, les postmodernistes cherchent à faire entendre les voix dissonantes ou marginalisées qui sont souvent exclues ou négligées par les discours dominants. Ils soutiennent que ces voix ont une valeur et une légitimité égales dans l'analyse politique et doivent être intégrées dans la conversation académique. En somme, le postmodernisme met en avant une approche critique de la science politique, qui valorise la diversité des perspectives et s'engage activement à contester et à remettre en question les discours et les structures de pouvoir établis.

Les opposants à l'éclectisme : Néomarxistes et théoriciens du choix rationnel

Certains courants de la science politique rejettent l'éclectisme, c'est-à-dire le pluralisme dans le choix des théories et des méthodes. Ces courants, souvent plus dogmatiques, estiment qu'il y a une ou quelques approches théoriques ou méthodologiques qui sont supérieures aux autres et qui devraient être prédominantes dans la discipline. Par exemple, certains défenseurs de la théorie du choix rationnel soutiennent que cette approche, qui utilise des modèles économiques pour expliquer le comportement politique, est la plus précise et la plus utile pour comprendre la politique. Ils critiquent l'éclectisme pour son manque de rigueur et de cohérence théorique. De même, certains chercheurs qualitatifs critiquent l'éclectisme pour son accent sur les méthodes quantitatives et sa négligence des méthodes qualitatives. Ils estiment que l'analyse qualitative, qui se concentre sur l'interprétation et le contexte, offre une compréhension plus profonde et plus nuancée de la politique que ne le permettent les méthodes quantitatives. Ainsi, bien que l'éclectisme soit une caractéristique clé de la perspective progressiste-éclectique, il est loin d'être universellement accepté en science politique. Certaines écoles de pensée préfèrent une approche plus unifiée et plus spécifique à la discipline.

Les néomarxistes : Une perspective radicalement différente

Les néomarxistes sont un courant de la science politique qui s'appuie sur les idées de Karl Marx, mais qui cherche à les moderniser et à les adapter au monde contemporain. Leur objectif est d'utiliser les concepts et les théories marxistes pour comprendre et critiquer la politique contemporaine.

Selon les néomarxistes, la vérité de la science sociale a été découverte et élaborée par Karl Marx au XIXème siècle. Ils estiment que Marx a découvert les lois fondamentales du capitalisme et de la lutte des classes, qui sont toujours pertinentes pour comprendre la politique aujourd'hui. Cependant, les néomarxistes ne sont pas des marxistes orthodoxes. Ils ne se contentent pas de répéter les idées de Marx, mais cherchent à les développer et à les étendre. Par exemple, des auteurs néomarxistes comme Nico Poulantzas et Robert Cox ont cherché à incorporer des idées de la sociologie, de la théorie politique et des études internationales dans leur analyse marxiste. Ainsi, tout en restant fidèles à l'engagement de Marx envers une analyse critique du capitalisme, les néomarxistes cherchent à développer une interprétation plus riche et plus nuancée de la politique, qui tient compte des changements dans la structure du capitalisme et dans la nature de la lutte des classes depuis l'époque de Marx.

Les néomarxistes adhèrent à l'idée que les lois sociétales dévoilées par Marx représentent une vision intégrée des processus historiques, économiques, sociaux et politiques, ainsi que du comportement humain au sein de ces structures. Ils croient que ces éléments forment un tout indivisible, et que l'histoire suit une trajectoire évolutive unidirectionnelle. Cette vision se fonde sur la conviction que les structures économiques, notamment le système capitaliste, déterminent en grande partie les dynamiques sociales et politiques. De plus, elle présuppose que le cours de l'histoire est largement déterminé par des conflits de classe et des forces matérielles, qui poussent la société vers une certaine direction. C'est en ce sens que l'interprétation néomarxiste de la politique et de l'histoire est à la fois holistique et orientée vers le futur : elle considère que tous les aspects de la société sont interconnectés, et qu'ils évoluent ensemble vers une certaine destination historique, souvent conçue comme l'avènement d'une société post-capitaliste plus égalitaire.

La perspective néomarxiste est déterministe dans le sens où elle fait écho à la conception marxiste d'un antagonisme de classe inhérent au mode de production capitaliste. Selon cette perspective, cette tension de classe est destinée à entraîner l'effondrement du système de classe et à déclencher une révolution communiste. De ce fait, il y a un rejet de l'éclectisme, car l'idéologie néomarxiste suggère qu'il est difficile, voire impossible, d'intégrer de nouvelles idées ou perspectives qui ne correspondent pas à ce cadre théorique prédéterminé. En d'autres termes, cette approche donne peu de place à l'innovation ou à l'apport de nouvelles idées qui ne sont pas en phase avec les principes marxistes fondamentaux.

La perspective néomarxiste, en se concentrant principalement sur les conflits de classe et les forces économiques, peut négliger d'autres facteurs explicatifs importants en science politique. Par exemple, elle peut ne pas prendre suffisamment en compte le rôle des institutions politiques, qui peuvent structurer le comportement politique de manière indépendante des forces économiques. De plus, elle peut minimiser l'importance de facteurs identitaires comme l'ethnicité et le nationalisme, qui peuvent avoir une influence profonde sur la politique même en l'absence de conflits de classe clairs. Enfin, cette perspective peut aussi négliger le rôle du système international, en se concentrant plutôt sur les dynamiques internes des pays. Cela peut limiter sa capacité à expliquer les politiques étrangères et les relations internationales.

Les théories néomarxistes peuvent avoir du mal à expliquer des phénomènes comme le soutien du Parti social-démocrate allemand (SPD) pour les crédits de guerre en 1914. Selon la théorie de Marx, la classe ouvrière internationale devrait s'unir contre le système capitaliste plutôt que de se diviser sur des lignes nationales. Pourtant, dans cet exemple historique, nous voyons que le SPD, qui représentait la classe ouvrière en Allemagne, a choisi de soutenir l'effort de guerre de son propre pays plutôt que de s'opposer à la guerre au nom de la solidarité internationale de la classe ouvrière. Cela met en évidence certaines limites des théories néomarxistes. Il peut y avoir de nombreux facteurs, comme le nationalisme, qui peuvent pousser les travailleurs à agir de manière contraire aux prédictions de la théorie de Marx. Cela suggère qu'une compréhension complète de la politique nécessite d'examiner un large éventail de facteurs et de forces, et pas seulement les conflits de classe et les dynamiques économiques.

Les théoriciens du choix rationnel : Une approche axée sur l'individu

Les théoriciens du choix rationnel sont un groupe important dans le domaine de la science politique, et ils tirent leurs origines et leurs méthodes de l'économie. La théorie du choix rationnel est basée sur l'idée que les individus agissent toujours de manière à maximiser leur propre avantage ou leur propre utilité. Dans le contexte politique, cela signifie que les acteurs politiques - qu'il s'agisse de votants, de législateurs, de partis politiques, etc. - prennent leurs décisions en fonction de leurs intérêts personnels et de la façon dont ils perçoivent que différentes options pourraient les aider à atteindre leurs objectifs. Cette approche est souvent utilisée pour modéliser le comportement politique et pour expliquer un large éventail de phénomènes politiques, allant du vote à la formation des coalitions gouvernementales. Les théoriciens du choix rationnel utilisent souvent des outils mathématiques et statistiques sophistiqués, comme la théorie des jeux, pour élaborer et tester leurs modèles.

Les pionniers de la théorie du choix rationnel dans le domaine de la science politique, tels que Kenneth Arrow, Anthony Downs et Mancur Olson, ont été parmi les premiers à appliquer les méthodes et les modèles économiques à l'analyse des phénomènes politiques après la Seconde Guerre mondiale. Kenneth Arrow, un économiste de renom, a développé le fameux "théorème d'impossibilité" qui démontre les limites inhérentes à toute procédure de vote collective. Anthony Downs, dans son livre influent "An Economic Theory of Democracy", a établi un cadre pour comprendre le comportement des électeurs et des partis politiques comme étant guidé par l'auto-intérêt. De son côté, Mancur Olson, dans "La logique de l'action collective", a analysé pourquoi et quand les gens choisissent de participer à des actions collectives, telles que les syndicats ou les mouvements sociaux. Ces chercheurs ont jeté les bases de l'application de la théorie du choix rationnel à la science politique, et leur travail continue d'influencer la discipline à ce jour.

L'approche de la théorie du choix rationnel cherche à développer une théorie unifiée de la science politique. Elle procède par déduction à partir d'axiomes ou de postulats dérivés de l'économie. Parmi ces postulats fondamentaux, l'individu est considéré comme un homo economicus : un être rationnel qui est principalement motivé par l'intérêt personnel. Cet individu effectue constamment des calculs de coûts et de bénéfices dans le but de maximiser sa satisfaction. Ces postulats donnent naissance à des hypothèses qui sont ensuite soumises à des tests empiriques pour vérifier leur validité. Ainsi, la théorie du choix rationnel offre un cadre théorique strict et cohérent pour expliquer et prédire le comportement humain dans le domaine politique.

La théorie du choix rationnel est également reconnue pour sa parcimonie, car elle vise à expliquer la politique avec un nombre minimal d'axiomes et de postulats. Elle affiche une ambition universelle, cherchant à expliquer tous les phénomènes politiques. De plus, elle soutient que les théories spécifiques qu'elle génère pour des domaines précis peuvent être intégrées dans une théorie plus globale de la politique. En d'autres termes, elle aspire à créer un cadre théorique complet et englobant, capable de couvrir l'ensemble des phénomènes politiques à travers des principes simples et universels.

Dans cette optique, on peut constater que la théorie du choix rationnel rejette le pluralisme (ou l'éclectisme) en faveur d'une structure hiérarchique, en insistant sur la prééminence de son modèle. En d'autres termes, les théoriciens du choix rationnel tendent à voir leur approche comme supérieure, en affirmant qu'elle peut fournir une explication unifiée et universelle des phénomènes politiques. C'est donc dans cette perspective qu'ils contredisent le principe de l'éclectisme, qui valorise la coexistence et l'interaction de diverses théories et approches. En outre, la théorie du choix rationnel se présente comme une rupture majeure, considérant que tout ce qui l'a précédée est de l'ordre du préscientifique. En d'autres termes, elle propose une vision qui remet en question les approches antérieures, les qualifiant de moins rigoureuses ou moins systématiques dans leur méthodologie, et donc moins "scientifiques" en comparaison.

Définir la science politique : Un défi intellectuel

Selon Harold Lasswell, dans son ouvrage de 1936 intitulé "Politics: Who Gets What, When, How", la science politique se définit par qui obtient quoi, quand et comment.[18] En d'autres termes, il s'agit de l'éternelle lutte au sein de la société pour le contrôle des ressources rares. Ces conflits, entre individus et entre groupes sociaux, sont engendrés par la volonté de se répartir les ressources d'une société inévitablement limitées. Cette perspective met l'accent sur les conflits relatifs à la redistribution des ressources rares dans une société.

Robert E. Goodin, dans "The State of the Discipline, The Discipline of the State" publié en 2009, voit la politique comme l'utilisation limitée du pouvoir social, présentée comme l'essence du politique.[19] Le concept central ici est la notion de pouvoir, un sujet largement exploré en sciences sociales. Selon Max Weber, le pouvoir de A sur B est la capacité de A à faire faire à B quelque chose que B n'aurait pas fait sans l'intervention de A. Cette définition générale renvoie à la capacité d'influencer d'autres individus, groupes ou États en contraignant leur comportement. Un des intérêts de cette définition est de montrer que le pouvoir est relationnel. Selon Goodin, le pouvoir peut prendre de nombreuses formes, mais il est toujours limité, car même les plus puissants ne peuvent pas imposer leur volonté aux dominés par la contrainte. Le pouvoir est donc multidimensionnel, mais toujours contraint, et la science politique a pour tâche de rendre compte de ces relations de pouvoir à différents niveaux.

Goodin propose également une autre définition selon laquelle la science politique est la discipline de l'État. Ici, l'État est compris comme un ensemble de normes, d'institutions et de relations de pouvoir. En termes de normes, l'histoire de l'État moderne est étroitement liée à la démocratie libérale, avec des normes spécifiques telles que la séparation des pouvoirs, la compétition politique, la participation politique individuelle et la responsabilité politique des élus envers les électeurs. L'État est aussi un ensemble d'institutions, qui incarnent différentes formes du politique. L'État serait ainsi le lieu privilégié des rapports de pouvoir entre individus, entre groupes.

Au cours du XXe siècle, la science politique a connu un processus d'autonomisation significatif, se distinguant ainsi de disciplines connexes, en particulier l'histoire. Historiquement, la science politique était largement considérée comme une sous-discipline de l'histoire, puisqu'elle se basait largement sur l'étude de l'histoire des institutions, des idées politiques et des mouvements sociaux. Cependant, au fur et à mesure de l'évolution de la discipline au XXe siècle, la science politique a commencé à développer ses propres approches méthodologiques, ses cadres théoriques et ses domaines d'application. L'un des facteurs clés de cette autonomisation a été le développement de méthodologies quantitatives et l'application de la théorie des jeux, de la théorie de la rationalité et d'autres concepts issus de la psychologie et de l'économie pour analyser le comportement politique. Ces avancées méthodologiques ont permis à la science politique de s'éloigner des méthodes d'étude narrative de l'histoire, pour devenir une discipline plus analytique et orientée vers les données. De plus, la science politique a progressivement élargi son champ d'étude pour inclure une gamme plus large de phénomènes politiques, y compris l'analyse du comportement électoral, l'étude des processus de décision au sein des institutions politiques et la compréhension des dynamiques de pouvoir internationales. Enfin, la création de départements de science politique indépendants dans les universités et la publication de revues spécialisées ont renforcé l'identité de la discipline en tant que domaine distinct de la recherche académique.

James Duesenberry, économiste de renom, souligne les différentes perspectives que l'économie et la sociologie adoptent lorsqu'elles étudient les comportements humains : « l’économie ne parle que de la façon dont les individus font des choix, la sociologie ne parle que du fait qu’ils n’ont aucun choix à faire ».[20] En économie, l'accent est mis sur l'idée que les individus sont des agents rationnels qui font des choix en fonction de leurs préférences et des contraintes qui leur sont imposées, comme le revenu ou le temps. Cela s'appuie sur le concept de l'homme économique ou "homo economicus", un individu hypothétique qui cherche toujours à maximiser son utilité ou son bien-être en faisant des choix rationnels en fonction des informations disponibles. D'autre part, la sociologie se penche davantage sur le contexte social et culturel dans lequel les individus sont placés, et comment ces environnements façonnent leurs comportements et leurs options de vie. En d'autres termes, la sociologie met souvent en lumière comment les structures sociales limitent ou déterminent les choix individuels. Par exemple, une personne née dans une certaine classe sociale peut avoir des opportunités différentes de celles d'une personne née dans une autre classe sociale, ce qui peut limiter ses choix en matière d'éducation, d'emploi ou même de mode de vie. Ainsi, Duesenberry illustre la tension entre l'individualisme méthodologique, qui est typique de l'économie, et le holisme méthodologique, qui est plus caractéristique de la sociologie. Il est important de noter que ce sont deux approches complémentaires pour comprendre les comportements humains et les sociétés, et qu'elles offrent chacune des insights uniques et précieux.

Ce que dit Duesenberry met en évidence deux conceptions contrastées de l'humain dans la sociologie et l'économie néoclassique. D'une part, la sociologie tend à avoir une conception de l'homme "sursocialisé", où le comportement des individus est largement déterminé par les forces sociales externes. En d'autres termes, dans ce modèle, l'individu est largement influencé par la structure sociale dans laquelle il vit. Cela peut inclure des facteurs comme les normes culturelles, les rôles sociaux, les attentes sociales et les institutions sociales. Dans cette optique, l'individu a une marge de manœuvre limitée pour agir en dehors des attentes et des contraintes sociales. D'autre part, l'économie néoclassique tend à avoir une conception de l'homme "sous-socialisé", où l'individu est vu comme opérant de manière relativement indépendante des influences sociales. Dans ce modèle, l'individu est principalement considéré comme un agent économique rationnel qui cherche à maximiser son bien-être personnel en faisant des choix rationnels en fonction de l'information disponible. Les interactions sociales sont souvent vues comme des transactions économiques, où les individus échangent des biens et des services pour maximiser leur utilité. Ces deux conceptions contrastées de l'homme mettent en lumière la tension entre l'individualisme et le collectivisme dans l'analyse des comportements humains. Elles soulignent également l'importance de considérer à la fois les facteurs individuels et sociaux dans la compréhension des comportements et des sociétés humaines.

Marx met en évidence la tension entre la capacité des individus à façonner leur propre histoire et les contraintes imposées par les conditions sociales et historiques existantes : « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement dans les conditions choisies par eux, mais dans les conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et quand même il semble occupé à se transformer, eux et les choses à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaires qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur emprunte leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes pour apparaitre sur la nouvelle scène de histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté ».[21]

Marx reconnaît que les individus jouent un rôle actif dans la création de leur propre histoire. Cependant, il soutient que ce processus n'est pas arbitraire, mais est fortement influencé par les conditions sociales et historiques données et héritées du passé. La deuxième partie de la citation met en évidence la manière dont les individus se tournent souvent vers le passé pendant les périodes de changement et de révolution. Même lorsqu'ils cherchent à créer quelque chose de nouveau, ils ont souvent recours à des références historiques, empruntant des noms, des mots d'ordre et des costumes du passé. Cela, selon Marx, montre à quel point le passé pèse lourdement sur le présent, même dans les moments de transformation radicale. En somme, Marx voit l'histoire non pas comme un simple produit des actions humaines, mais comme une interaction complexe entre l'agence individuelle et les structures sociales et historiques. Il souligne la manière dont le passé informe et limite les possibilités de changement dans le présent.

La citation de Marx illustre l'interaction complexe entre l'agence individuelle - c'est-à-dire la capacité des individus à agir de manière autonome et à prendre des décisions - et les structures sociales et institutionnelles dans lesquelles ils se trouvent. Ces structures peuvent inclure des institutions politiques et économiques, des normes culturelles, des structures de classe, des contraintes environnementales, et plus encore. La tension décrite par Marx est celle entre la liberté et la détermination : d'une part, les individus sont libres de prendre des décisions et d'agir ; d'autre part, les possibilités d'action qui s'offrent à eux sont façonnées et limitées par des structures qui sont souvent hors de leur contrôle et qui sont en grande partie le produit de l'histoire. Par exemple, un individu peut choisir de travailler dur pour réussir économiquement, mais son succès dépendra également de facteurs structurels tels que l'éducation et les opportunités économiques disponibles, l'origine sociale et économique, le contexte politique et économique plus large, et d'autres facteurs qui sont en grande partie déterminés par l'histoire et la société dans laquelle il vit. De plus, ces structures ne sont pas seulement des contraintes, elles façonnent également la manière dont les individus perçoivent et interprètent le monde, influençant ainsi leurs aspirations, leurs motivations et leur conception de ce qui est possible ou souhaitable. Marx nous rappelle que si les individus font l'histoire, ils le font dans des conditions qui ne sont pas de leur propre choix, mais qui sont héritées du passé.

Annexes

Références

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