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Pourquoi l'autogouvernement suscite-t-il une telle fascination ? Pour certains, c'est une utopie, pour d'autres, c'est une illusion de croire que nous pouvons nous autogérer en tant que collectif, que c'est attrayant de chercher à influencer la politique. Pour aborder ces interrogations, il est essentiel de plonger dans la philosophie de l'individu, de la façon dont nous percevons nos possibilités en tant qu'êtres humains : nos capacités à réfléchir, à délibérer sur nos actions, à évaluer nos pensées, nos désirs et nos réalisations. Nous ressentons l'importance de la liberté, la possibilité de développer nos capacités d'action et de réflexion, de faire des choix non seulement à titre individuel, mais aussi en tant que groupe. C'est à cela que fait référence l'idéal d'autogouvernement. Nous sommes intéressés par la politique même si nous nous accordons sur l'idéal de l'individu autonome, maître de ses émotions, de ses désirs, cette image de l'idéal stoïcien que nous avons héritée des Grecs. Nous pouvons valoriser la politique et la possibilité d'avoir une voix qui compte autant que celle des autres pour des raisons purement instrumentales.L'importance de ces raisons instrumentales pour désirer la démocratie est mise en évidence lorsque l'on considère les formes de gouvernement du passé. Des systèmes féodaux aux monarchies, en passant par des gouvernements représentatifs mais non démocratiques, tels que ceux qui prévalaient aux États-Unis et en Europe au XIXe siècle, nous avons de nombreuses raisons de préférer une démocratie.
Pourquoi l'autogouvernement suscite-t-il une telle fascination ? Pour certains, c'est une utopie, pour d'autres, c'est une illusion de croire que nous pouvons nous autogérer en tant que collectif, que c'est attrayant de chercher à influencer la politique. Pour aborder ces interrogations, il est essentiel de plonger dans la philosophie de l'individu, de la façon dont nous percevons nos possibilités en tant qu'êtres humains : nos capacités à réfléchir, à délibérer sur nos actions, à évaluer nos pensées, nos désirs et nos réalisations. Nous ressentons l'importance de la liberté, la possibilité de développer nos capacités d'action et de réflexion, de faire des choix non seulement à titre individuel, mais aussi en tant que groupe. C'est à cela que fait référence l'idéal d'autogouvernement. Nous sommes intéressés par la politique même si nous nous accordons sur l'idéal de l'individu autonome, maître de ses émotions, de ses désirs, cette image de l'idéal stoïcien que nous avons héritée des Grecs. Nous pouvons valoriser la politique et la possibilité d'avoir une voix qui compte autant que celle des autres pour des raisons purement instrumentales.L'importance de ces raisons instrumentales pour désirer la démocratie est mise en évidence lorsque l'on considère les formes de gouvernement du passé. Des systèmes féodaux aux monarchies, en passant par des gouvernements représentatifs mais non démocratiques, tels que ceux qui prévalaient aux États-Unis et en Europe au XIXe siècle, nous avons de nombreuses raisons de préférer une démocratie.


//Dans ces autres formes de gouvernements, ce qui arrivait à la grande partie des gens n’importait plus. Si on était un serf, on était tel un animal, une bête pour les nobles, les intérêts des serfs n’avaient aucune importance en soi, ils étaient peut-être les corps à jeter à la guerre, pour travailler dans les champs, pour avoir des enfants, mais leurs sentiments, ce qu’ils voulaient et sentaient ne comptait pour absolument rien. En effet, même dans les gouvernements représentatifs, mais pas démocratiques, les gouvernements tels qu’en Angleterre au XIXème siècle, cela est clair que les intérêts de ceux qui n’avaient pas le vote, les intérêts des femmes ou encore des hommes de classe ouvrière ne comptaient pas pour grand-chose parce qu’ils n’avaient pas de voie, parce que leur statut était beaucoup moins que celui des autres. Si nous pensions que pouvoir se gouverner est quelque chose de valable, si nous pensions qu’il est important de pouvoir participer dans les affaires internationales, il faut pouvoir justifier la capacité politique des autres. La justification était de dire que la grande partie des gens n’était pas assez intelligente afin de participer dans les affaires compliquées telles que la politique. Comme suggérait Platon, la politique a un aspect technique, il y a les choses qui demandent l’expertise, du savoir de comment gérer les gens, comparer les possibilités, il y a les aspects techniques en politique comme en économie et dans la médecine. Dans la mesure où nous croyons que la politique a cet aspect technique, et en plus, en nous rendant compte que la plupart des gens ont très peu de temps afin d’apprendre ces techniques, alors, il est naturel de croire que c’est une mauvaise idée de donner le suffrage à la majorité des gens parce qu’ils ne sauront pas comment l’utiliser. Si on peut le dire, une raison de vouloir un vote démocratique, de vouloir être membre d’un pays démocratique n’est pas parce que nous acceptons peut-être, mais c’est parce que nous craignons ce qui va nous arriver si les autres que nous ne pensons pas être assez intelligent de participer dans les affaires communes, pas assez intelligent de mériter une voie dans les affaires qui nous concernent, alors, les raisons instrumentales de vouloir un vote démocratique, de vouloir participer dans le gouvernement, donne, même de nos jours, un attrait important à l’idéal de l’autogouvernement grec même si nous rejetons une grande partie de la philosophie de l’homme et de la conception du monde qui rendait cette vision de la démocratie attirante pour les Grecs eux-mêmes.
Dans ces autres formes de gouvernement, le sort de la majorité des personnes était souvent négligé. Si vous étiez un serf, vous étiez considéré comme un simple animal de travail aux yeux des nobles ; les intérêts des serfs n'avaient en eux-mêmes aucune importance. Ils étaient peut-être utilisés comme chair à canon lors des guerres, comme travailleurs dans les champs, ou simplement pour la procréation, mais leurs sentiments, leurs désirs et leurs ressentis n'avaient absolument aucune valeur. En effet, même dans les gouvernements représentatifs mais non démocratiques, comme ceux de l'Angleterre au XIXe siècle, il est clair que les intérêts de ceux qui n'avaient pas le droit de vote, comme les femmes ou les hommes de la classe ouvrière, n'avaient pas beaucoup d'importance. Leur absence de voix et leur statut inférieur les rendaient invisibles aux yeux des autres.
 
=== La question de la compétence politique ===
Si nous considérons que l'autogouvernance est une valeur à défendre, que la participation aux affaires publiques est importante, alors nous devons être capables de justifier la compétence politique d'autrui. Historiquement, une justification couramment employée était que la majorité des gens n'étaient pas suffisamment intelligents pour participer à des affaires aussi complexes que la politique. Platon soutenait que la politique a une dimension technique et que le gouvernement devrait être aux mains des "philosophes-rois", ceux qui ont une compréhension profonde de la justice et du bien commun. Selon lui, ces individus sont les mieux à même de guider la cité vers la vérité et le bien-être général.  Comment équilibrer le besoin d'une expertise spécialisée dans la prise de décisions politiques avec le principe de base de la démocratie, qui est que chaque citoyen a un droit égal à la prise de décision ? Il est vrai que la politique, comme toute autre discipline, possède une dimension technique qui nécessite une certaine expertise. Les politiques économiques, environnementales ou de santé publique, par exemple, peuvent être extrêmement complexes et requièrent une compréhension approfondie des sujets pour être correctement mises en œuvre. Cependant, cela ne signifie pas que la démocratie est inapplicable ou qu'elle devrait être limitée aux experts.
 
//Platon a développé cette idée dans sa célèbre œuvre "La République", où il argumente que, tout comme un charpentier est le mieux placé pour construire une maison grâce à sa connaissance de l'architecture, un dirigeant qualifié est celui qui a une profonde compréhension de la philosophie, de la justice et de l'éthique.
 
Il suggère que l'aspect technique de la politique n'est pas simplement une affaire de gestion administrative ou de négociation de compromis politiques, mais qu'il s'agit aussi de comprendre les principes philosophiques et éthiques qui sous-tendent la société.
 
Pour Platon, cette expertise en philosophie et en éthique est nécessaire pour guider la société vers la justice et le bien-être.
 
 
Si on peut le dire, une raison de vouloir un vote démocratique, de vouloir être membre d’un pays démocratique n’est pas parce que nous acceptons peut-être, mais c’est parce que nous craignons ce qui va nous arriver si les autres que nous ne pensons pas être assez intelligent de participer dans les affaires communes, pas assez intelligent de mériter une voie dans les affaires qui nous concernent, alors, les raisons instrumentales de vouloir un vote démocratique, de vouloir participer dans le gouvernement, donne, même de nos jours, un attrait important à l’idéal de l’autogouvernement grec même si nous rejetons une grande partie de la philosophie de l’homme et de la conception du monde qui rendait cette vision de la démocratie attirante pour les Grecs eux-mêmes.


À travers les difficultés, à travers les différences, nous croyons, soit qu’il y a quelque chose d’attirant dans l’idée que les hommes, les gens tels que nous, sans capacités vraiment spéciales, sans vraiment de savoirs spéciaux, sans atouts spéciaux, peuvent participer dans leur gouvernement. C’est idéal est attirant en soit et pour les raisons instrumentales, nous croyons qu’à la fin que l‘histoire enseigne que la seule façon vraiment de se protéger contre le dédain, l’indifférence, le paternalisme mal placé des autres, est de donner à tout le monde le vote.  
À travers les difficultés, à travers les différences, nous croyons, soit qu’il y a quelque chose d’attirant dans l’idée que les hommes, les gens tels que nous, sans capacités vraiment spéciales, sans vraiment de savoirs spéciaux, sans atouts spéciaux, peuvent participer dans leur gouvernement. C’est idéal est attirant en soit et pour les raisons instrumentales, nous croyons qu’à la fin que l‘histoire enseigne que la seule façon vraiment de se protéger contre le dédain, l’indifférence, le paternalisme mal placé des autres, est de donner à tout le monde le vote.  

Version du 19 juin 2023 à 20:52

Introduction à la théorie politique
Faculté Faculté des sciences de la société
Département Département de science politique et relations internationales
Professeur(s) Annabelle Lever
Enregistrement partie 1 (2015) partie 2 (2015)
Cours Introduction à la science politique

Lectures


/Le défi de la démocratie moderne vient de ce que l’on apprend de la démocratie grecque. Le sujet de ce cours est la théorie politique de la démocratie. Pour cela, il faut appréhender les problèmes politiques de la démocratie moderne à travers ce que nous avons appris de la démocratie grecque.

Qu’est-ce que la théorie politique normative

Le modèle pluraliste de la démocratie est un concept important dans la théorie politique. Le pluralisme fait référence à la diversité des opinions et des intérêts présents dans une société démocratique et postule que la démocratie est mieux réalisée lorsque ces divers groupes ont la possibilité de faire entendre leur voix dans le processus politique. En termes plus simples, le pluralisme démocratique suggère qu'il n'y a pas un seul intérêt général ou commun, mais plutôt une multitude d'intérêts particuliers représentés par différents groupes de citoyens. La politique est alors vue comme un champ de bataille pour ces différents groupes, qui cherchent à influencer les décisions politiques en leur faveur.

Du point de vue de la science politique empirique, le modèle pluraliste est utile pour analyser comment les décisions politiques sont prises dans les démocraties réelles. Il permet d'explorer la dynamique des groupes de pression, des partis politiques, des syndicats, des entreprises, et d'autres groupes d'intérêt. Il peut aussi aider à expliquer pourquoi certaines politiques sont adoptées tandis que d'autres ne le sont pas, en fonction de la force et de l'influence relative de différents groupes d'intérêt. Du point de vue de la théorie politique normative, qui se concentre sur comment les choses devraient être plutôt que sur comment elles sont, le modèle pluraliste peut être à la fois une source d'optimisme et de critique. D'une part, il peut être vu comme une affirmation de la diversité et de la liberté d'expression, où chaque groupe a la possibilité d'influencer la politique. D'autre part, il peut être critiqué pour sa tendance à favoriser les groupes qui ont déjà du pouvoir et des ressources, au détriment de ceux qui sont marginalisés ou moins bien organisés.

Le modèle pluraliste est une base fondamentale dans la science politique, tant dans son aspect empirique que normatif. Sur le plan empirique, le modèle pluraliste offre un cadre pour comprendre comment fonctionne une démocratie dans la pratique. Il reconnaît que la société est composée de divers groupes d'intérêt qui cherchent à influencer les politiques publiques. En observant ces interactions, nous pouvons analyser comment ces diverses forces contribuent à façonner le paysage politique. De plus, le modèle pluraliste nous permet de poser des questions clés sur la distribution du pouvoir et de l'influence dans une société. Par exemple, quels groupes sont les plus influents ? Quels groupes sont marginalisés ou exclus du processus politique ? Comment ces dynamiques affectent-elles les résultats politiques ? Sur le plan normatif, le modèle pluraliste nous aide à réfléchir à ce que devrait être une démocratie. Il valorise la diversité des opinions et la compétition entre différents groupes d'intérêt comme moyen de réaliser la démocratie. Cependant, il souligne également les défauts potentiels de ce modèle, tels que la possibilité que certains groupes soient disproportionnellement puissants et d'autres marginalisés. Enfin, le modèle pluraliste peut aussi nous aider à formuler des recommandations sur la manière d'améliorer le fonctionnement de la démocratie. Par exemple, si nous constatons que certains groupes sont régulièrement exclus du processus politique, nous pourrions proposer des réformes pour augmenter leur inclusion et leur influence.

Le modèle pluraliste a pris de l'ampleur dans la science politique occidentale pendant les années 1950, 1960 et 1970. Plusieurs chercheurs ont développé et formalisé ce concept pendant cette période. Les travaux de Robert Dahl sont particulièrement notables. Dans son livre "Who Governs?" (1961), Dahl examine le fonctionnement du pouvoir dans une ville américaine et conclut que le pouvoir est distribué entre plusieurs groupes d'intérêts plutôt que concentré entre les mains d'une élite. David Truman, dans "The Governmental Process" (1951), a également développé l'idée que la politique est largement déterminée par l'interaction de divers groupes d'intérêts. Selon lui, ces groupes sont formés en réponse à des pressions sociales partagées et sont essentiels pour la stabilisation de la société. Dans "The Semi-Sovereign People" (1960), E.E. Schattschneider a soutenu que le modèle pluraliste a ses limites, en particulier lorsqu'il s'agit d'assurer une représentation équitable de tous les intérêts de la société. Il a notamment souligné que certains groupes d'intérêts ont un avantage disproportionné dans le processus politique. Ces théories ont été fondamentales pour comprendre le fonctionnement de la démocratie et sont encore largement utilisées aujourd'hui, bien qu'elles aient été complétées et critiquées par des approches ultérieures, notamment celles qui mettent l'accent sur le rôle de l'élite, les inégalités de pouvoir, et l'importance des institutions politiques.

Comprendre le modèle pluraliste peut servir de base pour explorer d'autres modèles de démocratie, y compris le modèle élitiste. Le modèle élitiste, aussi connu sous le nom de modèle de démocratie compétitive ou de démocratie schumpétérienne (du nom du théoricien politique Joseph Schumpeter), offre une perspective différente sur la façon dont la démocratie fonctionne. Selon Schumpeter dans son ouvrage "Capitalisme, socialisme et démocratie" (1942), la démocratie est définie par la compétition pour le leadership politique entre une élite. Plutôt que de mettre l'accent sur la participation directe du citoyen, comme le fait la démocratie directe, ou sur la compétition entre groupes d'intérêts divers, comme le fait le modèle pluraliste, Schumpeter voit la démocratie principalement comme un mécanisme par lequel les citoyens élisent leurs dirigeants. Pour Schumpeter, le rôle principal du citoyen est de participer aux élections pour choisir entre différents candidats de l'élite. Il a soutenu que ce modèle est plus réaliste et fonctionnel que le modèle de démocratie directe, en particulier dans les sociétés complexes et largement peuplées d'aujourd'hui. Le modèle élitiste de Schumpeter a été critiqué pour son approche minimaliste de la démocratie. Certains soutiennent qu'il donne trop de pouvoir à l'élite et ne fait pas assez pour encourager la participation des citoyens ou pour assurer la représentation des intérêts divers de la société. Cependant, il offre une perspective utile pour analyser la réalité du fonctionnement de nombreuses démocraties modernes. En fin de compte, les modèles pluraliste et élitiste offrent des perspectives différentes mais complémentaires sur la démocratie. Ils soulignent tous deux l'importance de la compétition dans le processus démocratique, mais ils diffèrent quant à qui participe à cette compétition (groupes d'intérêts divers dans le modèle pluraliste, élite politique dans le modèle élitiste) et comment elle se déroule.

La démocratie moderne, en particulier le modèle élitiste, est généralement considérée comme la forme de gouvernement la plus légitime dans de nombreuses parties du monde aujourd'hui. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas et il existe de nombreux défis et critiques associés à ce modèle. Tout d'abord, le modèle élitiste repose sur l'idée que l'élite politique est la mieux placée pour gouverner. Cela découle de la croyance que l'élite a les connaissances, l'expertise et les ressources nécessaires pour prendre des décisions éclairées au nom de la population. Cependant, cela a été critiqué pour le fait que cela peut mener à une concentration du pouvoir entre les mains d'un petit nombre d'individus, potentiellement à l'abri de la volonté du peuple. De plus, bien que la démocratie élitiste implique des élections, certains soutiennent qu'elle n'encourage pas suffisamment la participation citoyenne au-delà du vote. Les citoyens peuvent se sentir déconnectés du processus politique et penser que leurs voix ne sont pas vraiment entendues, ce qui peut conduire à l'apathie et au cynisme. Ensuite, le modèle élitiste peut également être critiqué pour ne pas tenir suffisamment compte des inégalités de pouvoir et de ressources dans la société. Certains groupes peuvent avoir plus de moyens pour influencer les politiques publiques que d'autres, ce qui peut conduire à des résultats qui ne sont pas équitables pour tous. Enfin, la démocratie moderne est confrontée à de nombreux défis qui ne sont pas spécifiques au modèle élitiste, mais qui sont toujours pertinents. Ces défis incluent la désinformation, la polarisation politique, la corruption et la menace du populisme.

La démocratie telle qu'elle a été pratiquée dans les cités-états grecques antiques d'Athènes et de Sparte était très différente de la démocratie telle que nous la connaissons aujourd'hui. Dans la démocratie athénienne, par exemple, tous les citoyens - définis alors comme des hommes libres nés de parents athéniens - avaient le droit de participer directement à l'assemblée politique et de voter sur toutes les questions. C'était une forme de démocratie directe, où les citoyens eux-mêmes faisaient les lois et prenaient les décisions politiques. Dans le modèle spartiate, bien que le système ne soit pas aussi démocratique que celui d'Athènes, il y avait encore un certain degré de participation des citoyens, notamment au sein de l'assemblée des citoyens, où des lois étaient proposées par les éphores (dirigeants) et votées par les citoyens. Cependant, ces modèles anciens avaient des limites importantes. Ils excluaient une grande partie de la population - les femmes, les esclaves, les étrangers - de la participation politique. De plus, ils étaient possibles en grande partie grâce à la petite taille des cités-états, qui permettait à tous les citoyens de se rassembler en un seul lieu pour prendre des décisions.

Lorsque nous nous tournons vers la période moderne, surtout après la Seconde Guerre mondiale, la démocratie telle qu'elle était pratiquée dans l'Antiquité semblait peu applicable. Les nations modernes sont beaucoup plus grandes et plus diversifiées, avec des populations bien plus nombreuses. Une démocratie directe à la manière athénienne serait logistiquement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre à grande échelle. De plus, le traumatisme de la guerre a fait naître un désir de stabilité, de sécurité et de restauration de l'ordre, qui a parfois été mieux servi par des formes non démocratiques de gouvernement, comme les monarchies constitutionnelles ou même les régimes totalitaires. C'est donc pour ces raisons que le modèle de démocratie qui a prévalu après la Seconde Guerre mondiale est généralement une forme de démocratie représentative, où les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions en leur nom, plutôt qu'une démocratie directe. Cela est vu comme un compromis entre le besoin d'une participation citoyenne et les contraintes pratiques de la gouvernance à grande échelle.

Alors, pourquoi avons-nous vraiment même de nos jours un vrai défi, à savoir ce que peut être la démocratie dans le monde moderne  ?

La théorie politique normative est effectivement l'une des plus anciennes branches de la science politique et est étroitement liée à la philosophie morale. Elle se préoccupe de questions telles que "Qu'est-ce qu'une bonne société?" ou "Quels devraient être les objectifs du gouvernement?" Il s'agit de questions sur ce qui devrait être, plutôt que sur ce qui est - d'où le terme "normatif". La théorie politique normative peut être retracée jusqu'aux philosophes grecs anciens comme Platon et Aristote, qui ont réfléchi à la nature de la justice, de la vertu et du meilleur type de gouvernement. Ces idées ont continué à être développées tout au long de l'histoire par des penseurs tels que Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Immanuel Kant, John Stuart Mill et bien d'autres. La théorie politique normative continue d'être une partie importante de la science politique aujourd'hui, même si elle est parfois moins mise en avant que d'autres aspects plus empiriques de la discipline. Elle joue un rôle clé dans notre compréhension des idéaux démocratiques, des droits de l'homme, de l'égalité, de la liberté et de la justice sociale. Cependant, il est également vrai que la science politique contemporaine a largement évolué pour inclure une variété de méthodes quantitatives et qualitatives qui cherchent à comprendre le comportement politique, les institutions, les politiques publiques et d'autres aspects du fonctionnement des gouvernements. Ces approches empiriques et analytiques sont souvent considérées comme plus "scientifiques" en raison de leur objectivité et de leur reproductibilité, mais cela ne diminue en rien la valeur de la théorie politique normative. En fait, la théorie politique normative et la science politique empirique sont souvent complémentaires. Les théories normatives peuvent fournir des cadres pour interpréter et évaluer les données empiriques, tandis que la recherche empirique peut aider à tester et affiner les théories normatives. Ensemble, elles contribuent à une compréhension plus complète et nuancée de la politique.

La théorie politique normative, et donc la science politique dans son ensemble, a en effet ses racines dans la philosophie de l'Antiquité grecque. Socrate, par exemple, était connu pour sa méthode d'interrogation critique, souvent appelée "maïeutique" ou "méthode socratique", dans laquelle il posait des questions pour amener ses interlocuteurs à réfléchir de manière plus profonde et plus critique sur leurs convictions et présuppositions. Bien que Socrate lui-même n'ait pas écrit d'ouvrages, ses dialogues avec ses disciples, tels que rapportés par Platon, touchent souvent à des questions de justice, d'éthique et de la meilleure façon de vivre, des thèmes qui sont au cœur de la théorie politique normative. Platon, l'un des élèves de Socrate, a ensuite formalisé ces idées dans ses écrits, notamment dans "La République", où il examine la question de la justice et propose une vision de la société idéale. Aristote, un autre philosophe grec ancien, a également apporté d'importantes contributions à la théorie politique normative, en examinant la nature et le but de l'État et en classifiant différentes formes de gouvernement. Ces idées ont été développées et débattues tout au long de l'histoire de la philosophie et de la science politique, et continuent de façonner notre compréhension de la politique aujourd'hui. Bien que la science politique ait évolué pour inclure de nombreuses autres méthodes et approches, la théorie politique normative reste une partie fondamentale de la discipline.

La théorie politique normative se préoccupe de la manière dont le monde devrait être, en se concentrant sur les questions de justice, de droits, de devoirs, de bon gouvernement et de bonnes institutions. Elle va au-delà de la description du monde tel qu'il est et cherche à établir comment il devrait être sur la base de principes éthiques et moraux. Par exemple, la question du vote obligatoire soulève de nombreux problèmes dans le domaine de la théorie politique normative. Les défenseurs du vote obligatoire peuvent avancer que tous les citoyens ont le devoir de participer au processus démocratique, car c'est ainsi que nous assurons la représentativité et la légitimité du gouvernement. Ils peuvent également argumenter que le vote obligatoire favorise l'égalité en veillant à ce que tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale, leur éducation ou leur niveau de revenu, aient leur mot à dire dans le processus politique. D'un autre côté, les critiques du vote obligatoire pourraient argumenter que forcer les citoyens à voter enfreint leur liberté individuelle, un principe également valorisé dans de nombreux systèmes démocratiques. Ils pourraient également soutenir que le vote devrait être un droit, mais pas nécessairement un devoir, et que la responsabilité d'inciter les citoyens à voter devrait incomber aux politiciens, qui devraient proposer des politiques convaincantes et engageantes. Dans ce débat, la théorie politique normative offre un cadre pour évaluer les arguments des deux côtés, en s'appuyant sur des principes tels que la liberté, l'égalité, le devoir et la justice. C'est un exemple de la manière dont la théorie politique normative peut aider à éclairer les discussions sur les questions politiques contemporaines.

La théorie politique normative s'attache à établir des idéaux pour la société et le comportement individuel sur la base de principes moraux et éthiques. Elle pose des questions fondamentales sur ce que signifient la liberté, l'égalité, la justice, et comment ces concepts devraient être incarnés dans nos institutions et nos actions. Par exemple, la théorie politique normative peut aider à définir ce que signifie véritablement la "liberté". S'agit-il simplement de l'absence de contraintes (liberté "négative"), ou implique-t-elle également la capacité réelle d'agir selon ses propres objectifs (liberté "positive")? Et comment ces différentes conceptions de la liberté peuvent-elles se traduire dans la pratique, en termes de lois, de politiques et d'institutions? De même, la théorie politique normative peut aider à définir et à équilibrer les idéaux d'égalité et de solidarité. Par exemple, quelle égalité devrait être visée - égalité des opportunités, égalité des résultats, ou quelque chose entre les deux? Et comment ces objectifs peuvent-ils être réconciliés avec la liberté individuelle et l'efficacité économique? En outre, la théorie politique normative peut aider à guider nos préférences politiques et nos actions. Par exemple, elle peut nous aider à réfléchir à nos responsabilités en tant que citoyens, à la nature de la justice sociale, ou à la manière dont nous devrions traiter les questions d'environnement, de migration, de genre et de race. Dans tous ces cas, la théorie politique normative fournit des outils pour réfléchir de manière critique à ces questions, pour débattre de différentes perspectives et pour guider nos efforts pour créer un monde meilleur.

Bien que la théorie politique normative et la science politique empirique soient différentes dans leurs approches et leurs objectifs, elles ne sont pas mutuellement exclusives. Au contraire, elles sont souvent complémentaires et s'informent mutuellement. La théorie politique normative se préoccupe des questions de ce qui devrait être et peut donc être guidée par des principes moraux, éthiques et philosophiques. Cependant, pour formuler des propositions normatives pertinentes et efficaces, il est nécessaire de comprendre le monde tel qu'il est. C'est là qu'intervient la science politique empirique. La science politique empirique utilise des méthodes de recherche scientifiques pour comprendre comment le monde politique fonctionne. Cela peut impliquer l'étude de tout, depuis le comportement des électeurs et le fonctionnement des institutions politiques, jusqu'à l'impact des politiques publiques et la dynamique des relations internationales. Elle cherche non seulement à décrire ces phénomènes, mais aussi à expliquer pourquoi ils sont comme ils sont. Ces connaissances empiriques peuvent à leur tour éclairer la théorie politique normative. Par exemple, si nous voulons soutenir que les démocraties devraient adopter certaines pratiques pour être plus justes ou plus efficaces, il est utile de savoir comment ces pratiques fonctionnent dans le monde réel. Ou si nous voulons promouvoir certaines politiques publiques, il est utile de comprendre comment ces politiques ont fonctionné dans le passé et quelles pourraient être leurs conséquences probables. En somme, bien que la théorie politique normative et la science politique empirique aient des approches différentes, elles sont toutes deux essentielles pour une compréhension complète de la politique et peuvent travailler ensemble pour nous aider à comprendre non seulement comment le monde est, mais aussi comment il devrait être.

Bien que les questions posées par la théorie politique normative soient souvent "ce que nous devrions faire" plutôt que "ce qui est", elle utilise également des explications et des preuves pour soutenir ses conclusions, tout comme les branches plus empiriques de la science politique. Les théoriciens politiques normatifs utilisent la logique, la philosophie morale et politique, l'histoire, et parfois même des données empiriques pour construire leurs arguments. Par exemple, un théoricien pourrait utiliser des données historiques pour démontrer les conséquences néfastes de certaines politiques ou institutions, puis argumenter sur la base de ces preuves que nous devrions changer notre approche. Ou encore, un théoricien pourrait examiner une série de principes moraux ou politiques (comme l'égalité, la liberté ou la justice), puis utiliser la logique et le raisonnement pour déterminer quels types de comportements ou d'institutions seraient les plus cohérents avec ces principes. Dans tous les cas, la théorie politique normative ne se contente pas de faire des affirmations sur ce que nous devrions faire ; elle cherche à soutenir ces affirmations avec des arguments rationnels et des preuves. C'est donc, à sa manière, une forme de recherche qui cherche à expliquer non pas le monde tel qu'il est, mais le monde tel qu'il devrait être.

Il est important de noter que la philosophie morale et politique n'est pas relativiste par nature. Bien que différentes personnes et cultures puissent avoir des idées différentes sur ce qui est moralement ou politiquement correct, cela ne signifie pas que toutes les opinions sont également valides dans une discussion philosophique. La philosophie morale et politique, comme toutes les disciplines académiques, est guidée par des méthodes rigoureuses de raisonnement, de preuve et de débat. Les philosophes ne se contentent pas de déclarer leurs opinions ; ils construisent des arguments logiques pour les soutenir, s'appuient sur des preuves (qu'elles soient empiriques, logiques, historiques ou autre), et soumettent leurs idées à l'examen critique de leurs pairs. De plus, la philosophie morale et politique n'est pas simplement une question d'opinions subjectives. Elle s'appuie sur des principes universels tels que la logique et l'éthique, et elle vise à découvrir des vérités sur des questions comme la justice, la liberté, l'égalité et le bien-être. Même si les gens peuvent être en désaccord sur ces questions, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de réponses correctes ou meilleures à découvrir. Ainsi, bien que la philosophie morale et politique puisse parfois sembler relativiste en raison de la diversité des opinions qu'elle examine, elle est en réalité une discipline rigoureuse qui vise à établir des normes et des vérités sur la façon dont nous devrions agir et organiser notre vie en société.

La théorie politique normative, comme toute autre discipline académique, repose sur des outils méthodologiques rigoureux pour structurer et guider son étude. Vous avez bien détaillé ces outils :

  • Logique : C'est la structure de base qui permet d'établir des arguments cohérents et valides. Elle facilite le passage d'une affirmation ou d'un ensemble d'affirmations à une conclusion.
  • Analyse conceptuelle : Cette méthode implique de clarifier et d'analyser les concepts fondamentaux utilisés en théorie politique, comme la justice, l'égalité, la liberté, etc. Cela permet d'établir des bases solides pour le débat et la réflexion.
  • Critiques internes : Il s'agit d'examiner les arguments d'une théorie de l'intérieur, en vérifiant leur cohérence interne, en identifiant les éventuelles contradictions et en explorant les implications de la théorie.
  • Évidence normative : Les théories normatives doivent être étayées par des preuves, que ce soit sous forme de raisonnements logiques, de références à des principes moraux ou éthiques généralement acceptés, ou de preuves empiriques sur les conséquences de différentes actions ou politiques.
  • Jugement moral et éthique : Les théoriciens politiques normatifs utilisent leur jugement moral et éthique pour évaluer différentes situations, politiques, institutions, etc. Cela implique souvent de peser des valeurs et des intérêts concurrents, et de tenter de résoudre les dilemmes moraux et politiques.

La clé pour utiliser ces outils efficacement est de le faire de manière rigoureuse, disciplinée et critique. Il ne s'agit pas simplement d'exprimer des opinions personnelles, mais d'engager un raisonnement approfondi, de rechercher des preuves, de tester des hypothèses et de soumettre les idées à l'examen critique des pairs. De cette façon, la théorie politique normative peut contribuer à une compréhension plus profonde et plus nuancée de la politique et de la morale.

Les théories politiques à l’Université de Genève

La théorie politique normative et l'histoire des idées sont toutes deux des domaines importants de la science politique, mais elles ont des approches et des objectifs différents. L'histoire des idées implique l'étude de la façon dont les idées et les philosophies ont changé au fil du temps. Elle examine l'évolution des idées politiques, la façon dont elles ont influencé la société et la politique, et comment elles ont été influencées par leur contexte historique. L'histoire des idées peut donc être considérée comme une approche plus descriptive ou empirique de la science politique. En revanche, la théorie politique normative est une discipline qui se penche sur les questions de ce qui devrait être. Elle s'interroge sur les valeurs, les principes et les objectifs qui devraient guider la politique et la société. C'est donc une approche plus prescriptive ou normative de la science politique. Il est important de noter que ces deux approches peuvent se compléter et s'informer mutuellement. L'étude de l'histoire des idées peut éclairer les débats normatifs en montrant comment certaines idées ont fonctionné dans le passé, tandis que la théorie politique normative peut éclairer l'histoire des idées en fournissant un cadre pour évaluer et interpréter les idées du passé. Le département de sciences politiques de l’Université de Genève est à l’heure actuelle le seul département de science politique en Suisse qui enseigne la théorie politique normative du baccalauréat au doctorat, la plupart du temps, en Suisse, on étudie l’histoire des idées.

La théorie politique positive se concentre sur la description, l'explication et la prédiction du comportement politique et des processus politiques. Elle est basée sur des faits observables et cherche à utiliser des méthodes empiriques, y compris quantitatives et mathématiques, pour formuler des théories qui peuvent prédire les comportements futurs. Un exemple de ceci pourrait être l'étude des comportements de vote ou l'analyse des systèmes électoraux. D'autre part, la théorie politique normative se concentre sur les questions de ce qui devrait être, plutôt que sur ce qui est. Elle utilise des outils comme la logique, l'analyse des concepts et l'éthique pour explorer les valeurs, les principes et les normes qui devraient guider le comportement et les institutions politiques. Cela pourrait impliquer, par exemple, une discussion sur la justice sociale, l'égalité, la démocratie, la liberté, les droits de l'homme, et ainsi de suite. Les deux types de théories sont importants et se complètent mutuellement. La théorie politique positive peut nous aider à comprendre comment le monde fonctionne et à prédire ce qui pourrait se passer à l'avenir. La théorie politique normative, quant à elle, peut nous aider à comprendre comment le monde devrait fonctionner et à formuler des objectifs pour l'amélioration de la société et des institutions politiques.

La théorie politique normative diffère des autres formes d'histoire des idées par sa concentration sur les problèmes contemporains et sa préoccupation pour les valeurs et principes qui devraient guider notre réflexion et notre action politiques. En se concentrant sur les problèmes actuels, la théorie politique normative cherche à clarifier les enjeux moraux et politiques en jeu, à identifier et à évaluer les arguments de différentes parties, et à formuler des recommandations sur la manière dont ces problèmes devraient être résolus. L'objectif n'est pas seulement de comprendre les problèmes, mais aussi de contribuer à leur résolution en proposant des principes et des valeurs qui peuvent guider les actions et les politiques. Parfois, comme vous le mentionnez, cela peut aider à résoudre les conflits en clarifiant les enjeux et en dissolvant les malentendus. Cela ne signifie pas que la théorie politique normative peut résoudre tous les conflits politiques - après tout, de nombreux conflits sont basés sur des désaccords profonds sur les valeurs fondamentales ou les intérêts matériels. Cependant, elle peut aider à rendre ces désaccords plus clairs et plus explicites, et peut-être à identifier des compromis ou des solutions qui respectent autant que possible les valeurs et les intérêts de toutes les parties concernées.

La clarification des différents points de vue est une partie centrale de la théorie politique normative. Cela implique d'examiner et d'expliquer les avantages et les inconvénients des différentes positions politiques et de fournir une analyse équilibrée et nuancée des problèmes. Cette analyse peut ensuite être utilisée pour informer les décisions politiques et pour aider à résoudre les conflits. L'idée est de faire la lumière sur les valeurs, les principes et les objectifs qui sont en jeu dans différents problèmes politiques, et d'expliquer les conséquences de différentes politiques ou actions. Par exemple, si l'on considère un débat sur la fiscalité, une analyse de la théorie politique normative pourrait clarifier les principes de justice, d'égalité et d'efficacité économique qui pourraient être en jeu, et expliquer les implications de différentes politiques fiscales en termes de ces principes. La théorie politique normative ne prétend pas nécessairement résoudre tous les conflits politiques, mais elle vise à rendre ces conflits plus compréhensibles et à fournir des outils pour une réflexion et un débat éclairés. En fin de compte, le but est de contribuer à des décisions politiques plus réfléchies et éthiquement responsables.

Introduction à la théorie politique démocratique moderne

Importance de pluralisme démocratique

Pourquoi devrions-nous étudier les théories pluralistes de la démocratie, dont celle de Robert Dahl est un exemple emblématique ? Quelle est la pertinence de ces théories, élaborées il y a cinquante ans et dont les défauts sont bien connus ? La réponse réside dans le fait que ces théories, et notamment celle de Dahl, nous offrent une représentation du monde démocratique qui semble refléter de manière précise les aspects fondamentaux de nos sociétés contemporaines.

Malgré les différences culturelles et historiques entre des pays tels que les États-Unis, la Suisse, la France, l'Inde, l'Angleterre et les pays scandinaves, on observe des caractéristiques communes qui définissent leurs démocraties modernes. Ces caractéristiques comprennent les gouvernements représentatifs, le suffrage universel, la prise de décision par la majorité à travers des votes, et les "libertés des modernes" pour reprendre l'expression de Benjamin Constant. Ces libertés comprennent la liberté d'expression, de pensée, de religion, d'association, de mouvement et, bien entendu, la liberté de choix politique. Ces valeurs sont essentielles à une démocratie saine et fonctionnelle, en permettant à chaque citoyen d'avoir son mot à dire dans le processus politique et de jouir de ses droits fondamentaux sans crainte de répression ou de discrimination. Ces aspects, mis en évidence par les théories pluralistes, sont cruciaux pour comprendre et appréhender le fonctionnement des démocraties modernes.

Ce qui fait l'importance des théories pluralistes est l'effort qu'elles consacrent à nous proposer un modèle des démocraties modernes, un modèle qui transcende leurs différences. Ce modèle sert non seulement à l'analyse empirique et à la théorisation sociale, mais aussi, et surtout, à établir des jugements normatifs. Il ne se contente pas de dépeindre les caractéristiques de nos sociétés et de notre démocratie moderne. Il offre également une manière de penser la légitimité de nos gouvernements, et de notre manière de nous gouverner. Ce faisant, il nous invite à remettre en question l'idée, parfois répandue, que la démocratie n'est pas, en fin de compte, une forme très efficace de gouvernement. En nous offrant un cadre pour analyser et évaluer nos démocraties, ces théories pluralistes contribuent donc à renforcer notre compréhension des fondements et des défis de nos systèmes politiques modernes.

L'intérêt des théories pluralistes réside dans leur double utilité. D'une part, elles offrent un modèle empiriquement précieux pour l'analyse de la réalité politique. D'autre part, elles se révèlent particulièrement pertinentes d'un point de vue normatif. Ces théories tentent d'expliquer pourquoi, en dépit de leurs défauts notoires, les gouvernements démocratiques de nos sociétés bénéficient d'une légitimité que d'autres formes de gouvernement n'ont pas. Ces modèles pluralistes articulent ainsi une justification de la démocratie, non pas comme une forme parfaite de gouvernement, mais comme la moins imparfaite parmi celles existantes. En soulignant les mécanismes de contrôle, de représentation, et de respect des libertés individuelles propres à la démocratie, les théories pluralistes aident à comprendre pourquoi, malgré ses défauts, la démocratie demeure un mode de gouvernance légitime et préférable à ses alternatives.

Le pluralisme nous propose une vision du gouvernement comme un espace de compétition équitable. Dans ce modèle, les partis politiques organisés, ainsi que d'autres associations secondaires tels que les syndicats, les associations patronales ou encore les groupes religieux, s'affrontent pour influencer les lois et les orientations politiques. Dans un système politique où les citoyens sont divisés et ne peuvent se mettre d'accord sur la manière de légiférer ou de gouverner, le pluralisme soutient que la seule forme de légitimité réside dans l'opportunité équitable pour toutes ces entités de concourir pour le pouvoir. Cette approche reconnaît l'existence d'une pluralité d'opinions et d'intérêts dans la société, et la nécessité d'une compétition équitable pour assurer la représentation de cette diversité au sein du gouvernement. Ainsi, malgré les désaccords et les conflits, la légitimité du système est maintenue par le mécanisme de compétition équitable et l'alternance au pouvoir.

Le modèle pluraliste met en évidence le fait que pour une concurrence politique équitable, il faut garantir à la fois l'égalité des citoyens et leur liberté, à la fois personnelle et politique. En garantissant l'égalité, on s'assure que chaque citoyen dispose des mêmes droits et opportunités pour participer à la vie politique. Cela inclut l'accès à l'information, le droit de vote, et la possibilité de se présenter à des postes politiques. En garantissant la liberté, on permet à chaque citoyen d'exprimer librement ses opinions et ses préférences politiques, sans crainte de représailles ou de discrimination. Par conséquent, le modèle pluraliste nous donne un cadre pour comprendre ce qui est nécessaire pour garantir la légitimité politique. Il nous montre que la légitimité ne se limite pas à la simple majorité numérique, mais nécessite également le respect de l'égalité et de la liberté des citoyens. C'est pourquoi le modèle pluraliste est si important pour notre compréhension de la démocratie moderne.

Le défi posé par la démocratie grecque

Questionner la démocratie

Pourquoi est-il essentiel d'apporter des réponses à ces questions ? Qu'est-ce qui rend si crucial de démontrer que nos gouvernements fonctionnent sur le principe démocratique et qu'en vertu de cette démocratie, ils détiennent une légitimité considérable ? La nécessité de répondre à ces questions vient du fait que la légitimité d'un gouvernement est essentielle à sa stabilité, à son efficacité et à son acceptabilité par les citoyens. Les gouvernements démocratiques tirent leur légitimité du consentement des gouvernés : ce sont les citoyens qui, par leur vote, confèrent au gouvernement le pouvoir de régir. Sans cette légitimité, un gouvernement risque de rencontrer de l'opposition, du mécontentement et de la résistance de la part de ses citoyens. Le fait de démontrer que nos gouvernements sont démocratiques n'est pas seulement une question d'exactitude factuelle, mais aussi une question de justice et de respect des droits des citoyens. Dans une démocratie, chaque citoyen a le droit de participer à la prise de décision, que ce soit directement ou par le biais de représentants élus. Si un gouvernement prétend être démocratique mais ne respecte pas ces droits, il est essentiel de le dénoncer et de le remettre en question. L'importance de comprendre les défis que nous pose la démocratie grecque est que, en tant que première démocratie documentée, elle représente une sorte de "modèle original" de la démocratie. En étudiant la démocratie grecque, nous pouvons comprendre comment la démocratie est née et comment elle a évolué au fil du temps. Nous pouvons également comprendre les défis et les problèmes auxquels la démocratie a été confrontée dès le début, et voir comment ces problèmes ont été traités, ou pas, dans les démocraties modernes. Cela peut nous aider à éviter de répéter les erreurs du passé et à améliorer la manière dont la démocratie est pratiquée aujourd'hui.

La démocratie, dans sa forme originelle, était principalement présente dans de petites cités-états comme Athènes ou Sparte durant l'Antiquité. Ces cités n'accueillaient qu'un nombre limité d'habitants, en l'occurrence, quelques milliers, et parmi eux, seuls un nombre restreint était considéré comme citoyens. Ces citoyens étaient typiquement des hommes libres, alors que les esclaves, les femmes et les étrangers étaient exclus de la citoyenneté. L'esclavage jouait un rôle central dans ces cités-états. Il était considéré comme une condition nécessaire pour l'existence de la démocratie dans ces sociétés. En effet, le travail des esclaves permettait aux citoyens de disposer de suffisamment de temps libre pour participer activement à la vie politique et aux affaires de la cité. Ainsi, les esclaves assuraient l'essentiel du travail manuel et domestique, laissant aux citoyens le loisir de se consacrer aux affaires publiques. Cependant, il est important de noter que cette forme de démocratie était radicalement différente de nos conceptions modernes de la démocratie. A l'époque, la démocratie était directe : tous les citoyens participaient personnellement à la prise de décisions concernant les lois et les politiques. De nos jours, la plupart des démocraties sont représentatives : les citoyens élisent des représentants qui prennent des décisions en leur nom. En somme, la démocratie dans les cités-états grecques était une affaire de petite échelle, très exclusive, basée sur l'esclavage, et avec une participation directe des citoyens dans le gouvernement. Ainsi, comprendre ces origines et ces caractéristiques de la démocratie antique aide à mieux saisir la transformation de cette idée et son application dans nos sociétés modernes.

Dans nos sociétés modernes, vastes et complexes, l'esclavage n'existe plus. La plupart des citoyens doivent travailler pour subvenir à leurs besoins, puis rentrer chez eux pour s'occuper de leurs tâches domestiques et respecter leurs obligations familiales. Par conséquent, ils disposent de peu de temps pour s'engager dans la politique ou pour l'éducation politique. Cela pose une question fondamentale : est-il réellement possible d'avoir une démocratie véritable dans le monde moderne, compte tenu de ces différences par rapport à la démocratie grecque ancienne ? Le contexte de la démocratie a radicalement changé : nous ne sommes plus dans des cités-états de petite taille, mais dans de vastes nations. De plus, la démocratie directe, telle qu'elle était pratiquée à Athènes, semble impossible à l'échelle d'un pays moderne. C'est la raison pour laquelle la plupart des démocraties contemporaines sont des démocraties représentatives : les citoyens élisent des représentants qui votent les lois et prennent des décisions en leur nom. Cependant, cela ne signifie pas que l'essence de la démocratie, à savoir la règle du peuple, ne peut pas être préservée. Il faut simplement adapter le concept à notre réalité contemporaine. Par exemple, les avancées technologiques, comme l'internet, peuvent faciliter la participation citoyenne et la diffusion de l'information, rendant ainsi la démocratie plus accessible et vivante. La démocratie dans le monde moderne est donc certainement différente de la démocratie grecque, mais elle n'en est pas moins valide ou réalisable. Il faut cependant être conscient de ces différences et être prêt à continuer à adapter et à faire évoluer nos systèmes démocratiques pour qu'ils répondent aux besoins et aux réalités changeantes de nos sociétés.

Les défis du modèle pluraliste

Le premier défi, qui est essentiel, a été particulièrement préoccupant pour les philosophes tels qu'Arendt. Suite à la Seconde Guerre mondiale, ils ont cherché à comprendre quelles étaient les perspectives de la démocratie dans un monde marqué par deux conflits mondiaux. L'un de ces conflits a vu l'Allemagne, à l'époque la nation la plus avancée, sombrer dans la barbarie. Par conséquent, nous qui considérons nos sociétés comme démocratiques, nous devons nous interroger sur la nature de cette démocratie. En effet, la plupart d'entre nous possèdent une connaissance limitée de la politique publique, même dans notre propre pays, sans parler des affaires internationales.

De plus, nous avons très peu de temps pour participer, nous organiser et débattre des questions politiques avec les autres. Pour aggraver les choses, non seulement nous ne disposons pas d'esclaves, mais même si nous pouvons employer des domestiques, l'émancipation des femmes a également supprimé la disponibilité du travail domestique non rémunéré. L'une des questions soulevées par l'émancipation des femmes était précisément celle de savoir comment nous pourrions maintenir la démocratie dans un monde sans esclaves, dans un monde où nous n'avons plus d'esclaves pour éduquer les enfants et organiser le foyer. Ainsi, si des citoyens ordinaires, avec une intelligence moyenne et des énergies moyennes, doivent à la fois gagner leur vie, s'occuper des enfants, prendre soin de leurs parents et grands-parents, tout en s'éduquant et en s'intéressant à une politique qui nous semble souvent très abstraite, difficile à comprendre et, bien sûr, très difficile à influencer, alors nous pouvons sérieusement nous demander en quoi cela ressemble à la démocratie telle qu'elle était pratiquée en Grèce. En Grèce ancienne, après tout, ce sont les citoyens qui se gouvernaient eux-mêmes, qui étaient choisis par tirage au sort. C'étaient des gens qui pouvaient se consacrer pleinement à la politique de leur pays.

La première chose à saisir, lorsque l'on tente de comprendre l'influence du modèle pluraliste, est le défi majeur de déterminer comment nous pouvons maintenir une démocratie aujourd'hui, malgré ce que nous appelons nos gouvernements actuels.

Deuxièmement, contrairement aux démocraties grecques antiques qui ne garantissaient pas la liberté de religion - comme en témoigne le sort de Socrate qui ne jouissait pas de la liberté de pensée et d'expression - les citoyens de l'époque étaient généralement d'accord sur ce qui constituait une bonne vie et sur les objectifs à atteindre pour leur État. Par contre, dans nos sociétés modernes, nous sommes profondément divisés sur des questions morales et religieuses, y compris sur la nécessité d'une religion, le nombre de divinités à reconnaître, et le rôle de la religion en politique. Nous sommes également divisés sur des questions économiques, comme la façon d'organiser une économie socialiste ou la nécessité d'accepter un revenu de base. Ces divisions ne portent pas seulement sur nos préférences personnelles, mais également sur nos convictions les plus profondes et les plus intimes.

Face à cette réalité, on pourrait se demander si il est encore possible, dans le contexte moderne marqué par des divergences fondamentales sur les questions de bien et de moralité, de partager le pouvoir en tant que citoyens égaux. Est-il vraiment possible de nous considérer comme égaux lorsque nous avons des idées que nous considérons comme déplorables, mal conçues, voire dangereuses ? Ce défi contemporain nous confronte à la question suivante : est-il possible de nous traiter en tant qu'égaux lorsque, en fin de compte, nous partageons très peu de valeurs communes ?

En définitive, dans un monde moderne et cosmopolite où les économies surpassent largement notre cité et notre pays, et où nos gouvernements ne peuvent contrôler qu'une petite part, on peut se demander s'il est possible de maintenir une démocratie. Dans l'ancienne Grèce, les décisions économiques n'occupaient pas une place très importante dans la vie politique, se réduisant essentiellement à des questions de taxation et de revenus pour financer le gouvernement, soutenir les citoyens pauvres, et financer les guerres, notamment à Athènes et Sparte. Cependant, de nos jours, les questions économiques constituent une part importante de la politique publique. Il est évident que ces enjeux surpassent largement notre compréhension en tant qu'individus, et notre capacité à agir est limitée. Par conséquent, nous devons nous interroger sur la possibilité et la manière d'avoir des gouvernements démocratiques dans le contexte de notre monde actuel.

L’attrait de la démocratie grecque : la promesse d'autogouvernance

Pourquoi prêter attention à ce que faisaient les Grecs ? Il y a certains aspects de leur démocratie qui continuent de nous interpeller, de nous attirer, malgré les siècles de différences culturelles et malgré nos divergences de valeurs sur des questions telles que l'égalité des sexes, l'égalité raciale et, bien sûr, l'esclavage.

Malgré les différences considérables de contexte et de valeurs, il est essentiel d'examiner le modèle de démocratie grecque pour plusieurs raisons. D'abord, c'est la démocratie athénienne qui est souvent considérée comme le berceau de la démocratie, c'est-à-dire la forme de gouvernance que de nombreuses sociétés modernes aspirent à imiter ou à perfectionner. Ensuite, la démocratie grecque offre une perspective unique sur la manière dont un gouvernement peut fonctionner avec une participation directe et active des citoyens. Même si ce modèle n'est pas totalement transférable à nos sociétés contemporaines en raison de leur taille, de leur diversité et de leur complexité, il offre néanmoins des leçons importantes sur l'engagement citoyen et la responsabilité politique. De plus, en dépit de leurs défauts manifestes, tels que l'exclusion des femmes, des esclaves et des étrangers de la citoyenneté, les cités-états grecques ont démontré une capacité d'adaptation et une résilience notables face aux défis politiques et sociaux. Leur expérience sert d'éclairage pour comprendre comment les sociétés modernes peuvent naviguer dans leurs propres défis. Enfin, malgré nos différences évidentes avec les Grecs en termes d'égalité de genre, de race et d'opinions sur l'esclavage, le fait que nous puissions encore trouver de la valeur et de la pertinence dans leur système politique témoigne de l'universalité de certaines idées politiques et de la nature humaine. C'est un puissant rappel que, malgré nos différences culturelles, temporelles et sociétales, il existe des principes fondamentaux d'équité, de justice et de gouvernance qui transcendent les époques et les cultures.

L'attrait de la démocratie grecque réside dans la promesse d'autogouvernance - la capacité d'exercer une influence significative sur les conditions et la qualité de notre propre existence. C'est la possibilité pour chaque citoyen d'avoir une voix qui compte, qui a du poids dans la prise de décisions affectant leur vie quotidienne.

Il est souvent difficile pour nous d'exercer une influence significative sur les événements de notre vie, même dans des domaines très personnels. Il y a une multitude de facteurs et de circonstances hors de notre contrôle qui affectent notre vie. Mais l'absence de pouvoir ou d'influence dans des domaines qui nous concernent, en particulier dans des domaines politiques qui impliquent des lois coercitives, des conventions sociales et le potentiel de violence, est profondément troublante. La perte de notre capacité à nous autogérer - pas seulement individuellement, mais en concert avec les autres - serait véritablement préoccupante. C'est parce que nous voyons en nous une réflexion de l'idéal grec d'autogouvernance que l'idéal démocratique nous attire. Pour nous, la question cruciale est de savoir si nous pouvons réaliser l'autogouvernement, la démocratie, dans des conditions radicalement différentes de celles qui ont engendré cette idée et cette forme de gouvernement.

Pourquoi l'autogouvernement suscite-t-il une telle fascination ? Pour certains, c'est une utopie, pour d'autres, c'est une illusion de croire que nous pouvons nous autogérer en tant que collectif, que c'est attrayant de chercher à influencer la politique. Pour aborder ces interrogations, il est essentiel de plonger dans la philosophie de l'individu, de la façon dont nous percevons nos possibilités en tant qu'êtres humains : nos capacités à réfléchir, à délibérer sur nos actions, à évaluer nos pensées, nos désirs et nos réalisations. Nous ressentons l'importance de la liberté, la possibilité de développer nos capacités d'action et de réflexion, de faire des choix non seulement à titre individuel, mais aussi en tant que groupe. C'est à cela que fait référence l'idéal d'autogouvernement. Nous sommes intéressés par la politique même si nous nous accordons sur l'idéal de l'individu autonome, maître de ses émotions, de ses désirs, cette image de l'idéal stoïcien que nous avons héritée des Grecs. Nous pouvons valoriser la politique et la possibilité d'avoir une voix qui compte autant que celle des autres pour des raisons purement instrumentales.L'importance de ces raisons instrumentales pour désirer la démocratie est mise en évidence lorsque l'on considère les formes de gouvernement du passé. Des systèmes féodaux aux monarchies, en passant par des gouvernements représentatifs mais non démocratiques, tels que ceux qui prévalaient aux États-Unis et en Europe au XIXe siècle, nous avons de nombreuses raisons de préférer une démocratie.

Dans ces autres formes de gouvernement, le sort de la majorité des personnes était souvent négligé. Si vous étiez un serf, vous étiez considéré comme un simple animal de travail aux yeux des nobles ; les intérêts des serfs n'avaient en eux-mêmes aucune importance. Ils étaient peut-être utilisés comme chair à canon lors des guerres, comme travailleurs dans les champs, ou simplement pour la procréation, mais leurs sentiments, leurs désirs et leurs ressentis n'avaient absolument aucune valeur. En effet, même dans les gouvernements représentatifs mais non démocratiques, comme ceux de l'Angleterre au XIXe siècle, il est clair que les intérêts de ceux qui n'avaient pas le droit de vote, comme les femmes ou les hommes de la classe ouvrière, n'avaient pas beaucoup d'importance. Leur absence de voix et leur statut inférieur les rendaient invisibles aux yeux des autres.

La question de la compétence politique

Si nous considérons que l'autogouvernance est une valeur à défendre, que la participation aux affaires publiques est importante, alors nous devons être capables de justifier la compétence politique d'autrui. Historiquement, une justification couramment employée était que la majorité des gens n'étaient pas suffisamment intelligents pour participer à des affaires aussi complexes que la politique. Platon soutenait que la politique a une dimension technique et que le gouvernement devrait être aux mains des "philosophes-rois", ceux qui ont une compréhension profonde de la justice et du bien commun. Selon lui, ces individus sont les mieux à même de guider la cité vers la vérité et le bien-être général. Comment équilibrer le besoin d'une expertise spécialisée dans la prise de décisions politiques avec le principe de base de la démocratie, qui est que chaque citoyen a un droit égal à la prise de décision ? Il est vrai que la politique, comme toute autre discipline, possède une dimension technique qui nécessite une certaine expertise. Les politiques économiques, environnementales ou de santé publique, par exemple, peuvent être extrêmement complexes et requièrent une compréhension approfondie des sujets pour être correctement mises en œuvre. Cependant, cela ne signifie pas que la démocratie est inapplicable ou qu'elle devrait être limitée aux experts.

//Platon a développé cette idée dans sa célèbre œuvre "La République", où il argumente que, tout comme un charpentier est le mieux placé pour construire une maison grâce à sa connaissance de l'architecture, un dirigeant qualifié est celui qui a une profonde compréhension de la philosophie, de la justice et de l'éthique.

Il suggère que l'aspect technique de la politique n'est pas simplement une affaire de gestion administrative ou de négociation de compromis politiques, mais qu'il s'agit aussi de comprendre les principes philosophiques et éthiques qui sous-tendent la société.

Pour Platon, cette expertise en philosophie et en éthique est nécessaire pour guider la société vers la justice et le bien-être.


Si on peut le dire, une raison de vouloir un vote démocratique, de vouloir être membre d’un pays démocratique n’est pas parce que nous acceptons peut-être, mais c’est parce que nous craignons ce qui va nous arriver si les autres que nous ne pensons pas être assez intelligent de participer dans les affaires communes, pas assez intelligent de mériter une voie dans les affaires qui nous concernent, alors, les raisons instrumentales de vouloir un vote démocratique, de vouloir participer dans le gouvernement, donne, même de nos jours, un attrait important à l’idéal de l’autogouvernement grec même si nous rejetons une grande partie de la philosophie de l’homme et de la conception du monde qui rendait cette vision de la démocratie attirante pour les Grecs eux-mêmes.

À travers les difficultés, à travers les différences, nous croyons, soit qu’il y a quelque chose d’attirant dans l’idée que les hommes, les gens tels que nous, sans capacités vraiment spéciales, sans vraiment de savoirs spéciaux, sans atouts spéciaux, peuvent participer dans leur gouvernement. C’est idéal est attirant en soit et pour les raisons instrumentales, nous croyons qu’à la fin que l‘histoire enseigne que la seule façon vraiment de se protéger contre le dédain, l’indifférence, le paternalisme mal placé des autres, est de donner à tout le monde le vote.

L'idée moderne de démocratie

À quoi devrions-nous songer ? Nous pouvons voir une justification pour la démocratie à travers les idées et les idées distinctement modernes de la liberté, de la liberté et même de la solidarité. Indépendamment de l’attrait de l’idée que même les gens sans atouts vraiment spéciaux peuvent participer et faire les choses difficiles dans la vie comme se gouverner. Cela peut se faire dans des petits groupes, alors pourquoi pas essayer dans des groupes plus larges. En dépit de ceci, cela est clair que la démocratie dans ses aspects intrinsèques et instrumentaux répond à des idées distinctement modernes de la liberté et de l’égalité. Ils répondent aux idées modernes de la liberté parce que la démocratie évite le paternalisme. L’idée moderne de la liberté est que les gens adultes, rationnels et éduqués, sans défaut intellectuel, en dépit de leur capacité d’erreur, ont intérêt à faire leur choix eux-mêmes, de s’informer à comment gérer leur vie, d’apprendre de ces erreurs, de pouvoir les corriger, mais aussi de pouvoir vivre avec ses erreurs. Nous savons tous que parfois les autres connaissent beaucoup mieux que nous ce que nous devrions faire. Le cas paradigmatique est nos parents, cela est toujours quand nos parents ont raison que cela est le plus difficile de l’admettre. Néanmoins, nous savons aussi que notre sentiment de liberté, de l’importance de la liberté est la possibilité de faire ses erreurs soi-même et de vivre avec les conséquences même si elles sont malheureuses et de pouvoir apprendre de ses erreurs en discutant avec les autres, en réfléchissant à ce qu’on a fait de mauvais et de bien et à continuer d’agir.

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850).

Un aspect important de la démocratie du point de vue moderne est que c’est la forme de gouvernement qui semble répondre au plus direct à la valeur de la liberté individuelle et à nos capacités de protéger ces libertés individuelles en tant que collective. C’est l’une des choses les plus importantes et on trouve un peu de sa justification dans l’idée de Tocqueville dans ses études sur la démocratie en Amérique où il se dit qu’il est clair qu’en Amérique, il y a des politologues de beaucoup moins de qualité qu’en France aristocratique, parfois les gens qui veulent faire une carrière en politique sont mauvais, mais, le plus important de la démocratie n’est pas que les politiciens sont les plus intelligents et la plupart ne le seront pas, mais que nous pouvons corriger leur erreur, que les démocraties ont les possibilités de se corriger parce que ce sont des gouvernements avec la liberté d’expression, pas seulement pour les nobles, mais pour tout le monde, avec la liberté d’association, la liberté de mouvement et naturellement avec les libertés de choix politiques ainsi que personnels. C’est la même idée qui anime le prix Nobel d’économie Amartya Sen.

Dans ses études sur les famines en Inde, Sen a remarqué qu’après la démocratie, il n’y a plus jamais eu de famine en Inde. Bien sûr, ce n’est pas parce que d’un coup les politiciens en Inde sont devenus beaucoup plus intelligents, ce n’est pas le cas ayant fait un tas d’erreurs y inclus des erreurs économiques assez graves, mais l’importance de la démocratie et les libertés qui la compose, est que si dans un petit quartier, on voit qu’il y a des manques alimentaires, la liberté de mouvement permet que l’on puisse aller dans un autre village dire qu’on manque de blé. Auparavant, sans la possibilité de quitter son village, cela était impossible de distribuer ce savoir. Avec la liberté de se mouvoir, on peut dénoncer une politique ou un changement environnemental à l’origine d’un manque.

Si nous valorisons la liberté des modernes, la liberté de mouvement impensable historiquement et dans quelques pays tristement de nos jours, les libertés de mouvement, d’association et d’expression ainsi que de choix, nous savons la raison tout à fait moderne de valoriser la démocratie même si cela est une forme de gouvernement qui ne nous donne pas les formes d’autogouvernement qui faisait l’idéal grec. Si nous pensons ainsi, nous pouvons aussi voir que nous avons les raisons basées sur les idées modernes de l’égalité de valoriser la démocratie. La démocratie est une forme de politique égalitaire qui donne à tout le monde indépendamment de ses ressources, de ses statuts, une voie et une voie égale dans les prises de décision politique. Dans notre monde, la valeur d’égalité est d’une importance, mais aussi d’une controverse importante. Basés sur les idées modernes de l’égalité, nous avons les raisons de valoriser la démocratie même si c’est une forme d’autogouvernement assez restreinte dans le monde moderne.

C’est un idéal ancien qui est né dans les sociétés très différentes de nous. Cela est clair qu’en partie, l’idéal d’autogouvernement qui nous attire vers la démocratie comme forme de gouvernement est un idéal difficile à réaliser dans les conditions modernes. Dans les grands pays tels que les nôtres, comment parler d’autogouvernement ? Dans les pays dans un monde tel que le nôtre où les décisions politiques ne sont pas seulement sous le doigt de notre gouvernement, nous vivons dans un monde global, comment parler d’autogouvernement ? À la fin, même si c’est l’idéal d’autogouvernement, la possibilité de guider la vie qui nous attire vers la démocratie, cela est basé sur les idées modernes de la liberté, de l’égalité et peut être de la solidarité que nous allons trouver plus de fondements, plus de justification pour cette forme de gouvernement que nous valorisons.

Avant de décider que nous pouvons appeler nos gouvernements démocratiques, il faut se demander comment les gouvernements représentatifs peuvent être démocraties ; qu’est-ce dans l’idéal de la représentation qui peut donner vie à l’idéal de la démocratie. Bernard Manin montre que l’idéal de gouvernement représentatif était historiquement une façon d’écarter le gouvernement démocratique. Le gouvernement représentatif, à sa naissance au XVIIIème siècle était une théorie du gouvernement explicitement antidémocratique basée sur le fait que dans le monde moderne, la majorité de nous n’ont pas les capacités de se gouverner, du moins il semble que la majorité des nôtres n’a pas de temps à consacrer à se gouverner. Alors, l’idéal de gouvernement représentatif était de minimiser la participation politique de la grande partie des gens dans la politique. Si cela était l’idéal de gouvernement représentatif, cela était une forme idéale de représentation qui essayait de prendre les intérêts que nous avions, de les donner à voir sans que nous soyons là pour les défendre, sans que nous ayons la possibilité de participer aux questions qui nous concernent. Comment était-il possible de concilier l’attrait de la démocratie comme forme de liberté et d’égalité moderne avec une forme de gouvernement représentatif.

Nous vivons dans le monde du XXème siècle, mais après la Deuxième guerre mondiale, mais surtout dans l’ère avant la Première guerre mondiale, c’était des questions vives. On vivait dans les pays les plus riches, stables et puissants du monde tel que l’Angleterre du XIXème siècle. Mais, la grande majorité des gens n’avaient pas le droit de vote dans la politique et leur gouvernement qui se disait représentatif et on se demandait si cela était possible d’avoir à la fois un gouvernement qui essayait de représenter des idéals différents du peuple, et surtout les intérêts différents du peuple.

La démocratie « élitiste » de Schumpeter

Joseph Schumpeter.

Avec le suffrage universel, pourquoi il semblait avoir un tel problème ? Imaginons, à l’ère de Schumpeter, qu’il y a les gouvernements représentatifs, en tant que membre du gouvernement on sait très bien qu’en face, il y avait des milliers d’ouvriers pas éduqués, nombreux et qui voulait participer dans le gouvernement et on se demandait si on leur donnait le vote, une voie égale, dans les décisions collectives, la question était de savoir ce qui va se passer. La grande peur était que la démocratie, le suffrage universel allait détruire le gouvernement représentatif parce que l’idée était que les ouvriers vont voter en bloc et en bloc aurait été une tyrannie de la majorité au lieu d’un gouvernement libre et représentatif. C’est ce genre de peur qui semblait se réaliser entre les deux guerres et après la révolution russe surtout avec l’exemple des États socialistes. Il semblait que la possibilité de concilier le gouvernement représentatif nécessaire pour les grands pays où on ne peut pas participer tous directement dans la politique ; avec le suffrage démocratique, c’était de détruire le gouvernement représentatif. L’importance de Schumpeter et sa conception élitiste de la démocratie, est qu’il semblait ouvrir le champ à la possibilité de concilier à la fois les libertés modernes et les formes d’égalité moderne avec le gouvernement représentatif.

L’idée de Schumpeter est qu’en effet, dans une société moderne, même avec le vote, les ouvriers ne vont pas s’intéresser énormément à la politique, ils ont trop peu de temps. La grande majorité de gens, croyait-il, n’a ni l’éducation ni le désir vraiment de participer dans la politique. En effet, comme l’a remarqué Tocqueville, l’effet de la liberté des modernes de nos possibilités d’avoir une vie privée, une vie familiale, de participer aux sports, aux associations personnelles, de pratiquer sa religion, de former des associations caritatives, de voyager, etc., toutes ces parties du monde moderne inconnu dans le monde ancien ; Schumpeter a remarqué que tout ceci donné à nous, les gens comme nous, les ouvriers, n’a pas vraiment le désir de participer en politique. Nous voulons bien sûr avoir la possibilité de le faire, nous ne voulons pas être prohibés de la participation, alors le vote universel est très important de ce point de vue : on ne veut pas que les autres nous dédaignent et nous contraignent. Mais, pour la plupart, nous n’avons pas les capacités ni vraiment les envies, pensait Schumpeter, de participer vraiment pleinement à la politique. Alors, il croyait que cela était possible de concilier un gouvernement représentatif moderne avec le suffrage universel à travers ce qu’il appelle la « division du travail ». Pour la plupart, les gens ordinaires voulaient voter pour leurs représentants, mais ils n’avaient pas vraiment le désir d’être représentants et de participer directement en politique. On croyait que cela était bien, important de ne pas avoir ces désirs parce que pour la plupart des ouvriers, ils considéraient ne pas savoir assez, ne pas avoir assez de temps pour gérer la politique.

L’idée élitiste de la démocratie selon Schumpeter n’était pas que nous avons une noblesse héritée et menée à nous gouverner. L’élite était une élite élue par le suffrage universel, une élite de ceux qui veulent faire une carrière dans la politique, qui veulent maitriser les questions techniques de la politique du monde. La division du travail restait sur cette distinction entre une élite spécialisée dans la politique et les gens ordinaires qui vont choisir entre les membres de cette élite. La question était de savoir qui préférons-nous voir nous représenter. C’est un modèle de la démocratie qui n’a pas énormément à voir avec l’idée d’autogouvernement. La grande majorité des gens dans les démocraties modernes, mais surtout dans les démocraties modernes telles que Schumpeter les voulait, n’ont pas les moyens de prendre les décisions eux-mêmes.

Selon Schumpeter, cela était parfait, il n’y avait de problèmes. Après tout, si l’importance de la démocratie, en partie qui protégeait nos libertés personnelles, nous pouvons bien le faire sans participer directement dans le gouvernement de notre société, peut être allons nous protéger nos libertés personnelles mieux en laissant la politique aux spécialistes que nous avons choisis que d’essayer de le faire nous-mêmes. Pour Schumpeter, l’égalité moderne était mieux protégée par une forme de démocratie même élitiste, même avec une élite des gens éduqués pour la politique, spécialisés dans la politique qui concourraient pour le pouvoir entre eux. Si nous essayons nous même par exemple de prendre des décisions sur la politique internationale, la politique de l’énergie, les questions financières ; selon Schumpeter et pas seulement, si nous valorisons l’égalité moderne, nous devrions prendre en compte le fait que c’est peu de gens qui vont et veulent se réaliser dans la politique. Comparé aux idéaux républicains historiques, les idées républicains tel que Rousseau au XVIIème siècle qui pensait que nous devrions forcer les citoyens à être libre, forcer les gens à s’intéresser à la politique, forcer les gens à participer politiquement pour être libre, Schumpeter a cru que la meilleure façon de protéger à la fois nos libertés et notre égalité, est de reconnaitre qu’avec les libertés des modernes, avec les possibilités de choisir son plan de vie, la plupart des gens ne vont pas choisir une carrière en politique que nous n’aimerons pas nous donner, à l’éducation, aux heures de participations, aux difficultés qu’une carrière politique demande. À la place, Schumpeter a suggéré que nous pouvons réaliser à la fois les valeurs démocratiques et les avantages d’un gouvernement représentatif des spécialistes en acceptant que la démocratie moderne soit une démocratie de division de travail entre les élites qui vont concourir pour nos votes et nous les citoyens qui, en dehors des élections, ne va pas s’intéresser et selon lui, ne devrions pas s’intéresser trop à la politique.

Avec le modèle élitiste de la démocratie, selon Schumpeter et pas seulement lui, de nos jours il y a Samuel Huntington aux États-Unis qui pense qu’à la fin, ce modèle, est le seul modèle de la démocratie valable, possible, stable et légitime dans les sociétés modernes. Pourquoi ? Parce que c’est clair que si beaucoup de gens voulaient vraiment participer, voulaient vraiment que leurs idées politiques soient reconnues dans les décisions collectives, nous aurons vraiment des luttes graves des uns contres les autres, des ouvriers contre les autres classes, des religions contre les autres. Si on peut le dire, la démocratie moderne dépend de la possibilité de faire des compromis demandant d’accepter que seulement une partie de nos demandes seront réalisées dans nos politiques communes, que seulement une partie de nos idées, seulement une partie de nos efforts seront réalisés dans la politique.

C’est une vision de la démocratie que l’on peut appeler « cynique », mais qu’on peut aussi appeler « réaliste ». l’idée est que dans un monde moderne, l’idéal d’autogouvernement doit être au mieux un idéal personnel et pas un idéal politique, que c’est impossible que des milliers de gens puissent vraiment se gouverner ensemble, que si néanmoins nous voulons garder l’idée que le gouvernement doit se faire pour le bonheur des citoyens, qu’ils doivent traiter ces citoyens en tant que gens libres et égaux, selon Schumpeter et plusieurs politologues, la seule façon de réaliser la démocratie dans ces conditions moderne et ce qu’on appelle la démocratie élitiste. Cela est démocratique dans la mesure où ceux qu’ils veulent avoir, le pouvoir politique, doivent concourir pour leur vote, alors la noblesse de sang n’a rien à voir avec la démocratie élitiste. La bonne famille, la richesse n’ont rien à voir avec la démocratie élitiste, ce qui compte peut être pour le plus est le charisme, la possibilité de bien parler, de promouvoir les gens, de leur parler, des les entrainer et de faire des compromis afin que les gouvernent arrivent à des décisions difficiles telles qu’on a pu le voir avec Laurent Fabius à la COP21 à Paris. Cela est l’idéal de la démocratie élitiste.

On peut voir ses attraits. Cela semble réaliste, cela semble bien protégé, la liberté des gens qui pour la plupart n’ont pas d’intérêt dans la politique, cela évite les dangers d’une politique autoritaire qui insiste que nous, en tant que citoyen, nous devrions vouloir participer en politique, nous devrions mettre l’intérêt de nos autres citoyens à une échelle plus haute que l’intérêt des étrangers, des gens que nous ne connaissons pas, de l’intérêt de l’environnement, etc.

Alors, l’importance de ce modèle est que c’est à la fois antiautoritaire, anti-paternaliste et anti-moraliste. On peut aussi se demander si cela ne frôle pas le cynisme de parler de la démocratie, de parler de la politique libre et égale dans une situation ou peut être, la vaste majorité des gens ne connaitront jamais l’expérience de faire une décision politique importance. C’est ce Dahl qui va proposer une réponse à la démocratie moderne qui répond à la fois aux attraits du modèle élitiste, mais aussi assez gravement du point de vue empirique et du point de vue empirique.

Le modèle dit élitiste de Joseph Schumpeter est élitiste dans une forme assez spécifique. Surtout, cela est est élitiste non pas parce que cela prône l’importance d’une aristocratie héréditaire pour le gouvernement. Au contraire, il cherchait une élite qui ferait les spécialistes du gouvernement, ne choisit pas un peuple basé sur un vote démocratique. Alors, comparée à l’idéal d’une noblesse et ‘une aristocratie héréditaire, l’idée de Schumpeter est que la concurrence liée avec les institutions de la démocratie représentative donnait les moyens aux citoyens de choisir parmi eux les gens qui étaient plus intéressés et plus formés pour gouverner. L’élite, si on peut dire, était les gens qui avaient plus de vocations pour la politique, plus de talent et de désir pour la politique et qui pouvait convaincre les autres. Comparé aux façons de choisir son gouvernement par l’héritage ou pas la loterie, Schumpeter croyait que les élections nous donnaient la plus grande opportunité d’un gouvernement compétent, un gouvernement des gens qui savaient ou qui pouvaient maitriser au moins les techniques de la politique, de la persuasion, du jugement politique, et du savoir faire de la politique. Comparé à la noblesse héréditaire qui d’une part avec un tas de problèmes en termes de capacités, selon Schumpeter, l’idéal était que nous, nous pouvons choisir les politiciens qui nous semblent être les mieux. Cela est selon lui la meilleure façon de trouver les politiciens compétents, fiables avec le savoir et les techniques afin de gouverner dans le monde moderne.

En plus, il croyait que les élections démocratiques comparées à la loterie et comparés au principe d’hérédité nous donnait une plus grande chance d’avoir un gouvernement qui nous valorisait, qui voulait notre bien. Si nous pouvons rester sur l’idéal de la démocratie comme gouvernement pour le peuple, l’idée de Schumpeter était la meilleure façon de trouver un gouvernement pour le peuple qui était de lier un gouvernement représentatif avec le suffrage universel pour choisir parmi ceux qui voulaient gouverner celui qui nous plait le plus.

Naturellement, et c’est cela qui rend élitiste l’idéal de Schumpeter, l’idéal d’autogouvernement, l’idée de la démocratie d’un gouvernement par le peuple, avait très peu d’intérêt pour Schumpeter. À vrai dire, il croyait que dans le monde moderne, l’idéal d’autogouvernement n’avait pas de sens ; comment cela serait possible que chacun de nous puisse nous gouverner puisque nous sommes nombreux. Même dans les républiques classiques, la démocratie participative avait des limites assez strictes. Il croyait qu’à la fin, même dans les républiques grecques, l’idéal d’autogouvernement était plutôt la potence que quelque chose d’attirant. La solution était l’idéal que le gouvernement constitutionnel avec des élections régulières nous donnait les moyens de réaliser ce qui était réalisable dans le monde moderne des idéaux de la liberté, de l’égalité et de la démocratie du monde classique. Nous aurons la liberté parce que nul ne va être forcé de participer dans le gouvernement s’il ne le veut pas. Selon Schumpeter, on ne doit pas s’intéresser à la politique si on ne veut pas. Alors, pour lui, une démocratie représentative où les citoyens peuvent s’intéresser à leurs propres affaires ou autres affaires que la politique était l’expression simple de la liberté des modernes. Le fait que si nous voulons et pouvons élire nos représentants et nous présenter comme représentant pour les autres, cela nos donnait toute la liberté politique qui était souhaitable et réalisable dans le monde moderne.

Cela est d’autant plus important si nous songeons que dans l’histoire des années après la Première guerre mondiale était l’époque de la révolution soviétique, de l’ère du fascisme et du nazisme où les gens étaient forcés à participer en politique et à participer dans les moyens acceptés. L’importance de la liberté de ne pas s’intéresser à la politique était quelque chose de vraiment essentiel selon Schumpeter à une idée démocratique. Si on n’a pas la possibilité de refuser la participation, le choix de s’abstenir, l’idée d’une politique libre était née. Qui a-t-il de libre dans la politique si on est forcé de participer. En plus, il se demandait où est l’égalité politique si on est forcé de participer selon les idées des autres. Alors, l’essentiel pour lui de la démocratie moderne ne pouvait qu’être que la possibilité de participer aux élections, de se présenter comme candidat si on le voulait, mais d’avoir aussi la possibilité de ne plus s’intéresser à la politique.

On croyait que c’était à cause du gouvernement représentatif, démocratique qu’on pouvait lier à la fois l’efficacité, la liberté, l’égalité, mais aussi la stabilité ainsi que la compétence qui manquait à la démocratie grecque. Les républiques anciennes grecques, mais aussi les républiques comme Florence du Moyen-Âge étaient très instables. L’exil était chose courante parce qu’il y avait tellement de combats, tellement de difficultés à concilier les intérêts différents dans une même république. Selon Schumpeter, ce qui rendait la démocratie attirante dans le monde moderne était le fait que cela était représentatif au lieu de participatif. C’était précisément parce que nous participons pour la plupart que nous avons la possibilité d’avoir des formes de démocratie stable parce que puisque nous devrions participer en choisissant nos représentants, les représentants doivent chercher à nous unir, à trouver les plateformes, les idéaux qui nous intéressent, qui vont nous faire voter et les soutenir. Pour lui, ce qui était important avec le gouvernement représentatif était que cela était à nos représentants de se faire élire, de nous unifier de nous offrir une plateforme qui nous mobilise. Mais après les avoir choisis, nous ne devrions plus faire les vraies demandes politiques. L’idée de Schumpeter était précisément en se fiant à nos représentants de nous représenter que nous pouvons avoir une démocratie stable. L’instabilité selon lui venait avec l’idée que les gens doivent continuer à agir, continuer à présenter leurs demandes, continuer à manifester ; cela, selon lui était de mal comprendre ce qui était valable et important pour la démocratie dans l’innovation du gouvernement représentatif.

Si on peut dire, le modèle élitiste de la démocratie était que nous allons élire nos représentas, en tant que libre et égaux, nous avons le choix de qui nous allons accepter, nous ne devrions pas voter si on ne veut pas, mais après nous devrions nous taire et laisser les experts faire leurs décisions. Pour la plupart, il croyait que c’était exactement ce que nous allons vouloir faire parce qu’après tout, la majorité d’entre nous ne s’intéresse pas particulièrement à la politique. Cela est un peu la division du travail de laisser à ceux qui s’intéressent vraiment à la politique la tâche de nous gouverner et nous pouvons les autres choses qui nous intéressent.

Même s’il y a les attraits importants dans l’effort de Schumpeter de lier à la fois l’idée de la représentation et une forme de démocratie élitiste, cela est clair qu’il y a un tas de problèmes empiriques ainsi que normatifs. Empiriquement, la théorie de Schumpeter est que le gouvernement représentatif constitutionnel avec le suffrage universel va générer tant de concurrence parmi les gens qui veulent participer dans la politique que nous n’aurons pas de problèmes à trouver un gouvernement stable, plein de gens compétents qui s’intéressent à notre bonheur. L’idée était que la concurrence entre les partis organisés va donner aux représentants les motivations de chercher parmi toutes les couches de la société les autres individus qui ont les talents politiques pour les amener dans leur parti. Il semblait qu’on avait un modèle avec un cercle vertueux où à cause de la concurrence, les élites vont ne se reproduire pas par le principe d’hérédité, mais parce qu’ils vont chercher parmi les élites les gens qui ont la vocation pour la politique. Empiriquement, nous savons que ce n’est pas vraiment le cas, que dans un système où la majorité des gens ne participe pas dans la politique, les politiciens deviennent des castes parfois héréditaires comme aux États-Unis ou encore en Amérique latine. On sait qu’en devenant plutôt héréditaire, la qualité de ces politiques devient de pire en pire et il faut seulement comparer la famille Bush. La théorie qui lie la concurrence avec une élite spécialisée non héréditaire n’a vraiment pas marché empiriquement. En plus, au lieu de vraiment s’intéresser au bonheur des citoyens qui ne s’intéressent pas à la politique, l’effet inévitable d’avoir une élite qui sait comment gérer les rênes du pouvoir est de donner à nos représentants les moyens de s’entretenir pour le futur et ainsi le pouvoir politique devient le moyen de s’enrichir et de se maintenir à un statut social peut être qu’ils n’avaient pas de naissance.

Traditionnellement, les gens riches ou les aristocraties de bonne naissance venaient au pouvoir, mais leur base politique était leur terre, leur sang bleu, etc. Par contre, le problème des élites démocratiques et surtout sur le modèle présenté par Schumpeter était que la prise de pouvoir politique devient le moyen de se sécuriser économiquement et de sécuriser sa position sociale. On voit beaucoup de gens qui entrent en politique précisément pour s’enrichir et pas parce qu’ils avaient déjà les moyens de s’intéresser à la politique.

Voilà les problèmes empiriques modernes. Normativement, on a un tas de problèmes parce qu’après tout, si a une forme de gouvernement avec une partie assez restreinte qui ont une connaissance spéciale des rênes du pouvoir et une majorité qui sait très peu sur la politique comment cela s’organise, comment cela se fait, il est clair que la liberté et l’égalité de ce deuxième groupe beaucoup plus grand est mis en danger. Si on peut dire, un modèle de la démocratie qui devient assez vite cynique au lieu d’idéal.

Il semble qu’on peut modifier ce modèle élitiste de la démocratie pour le rendre moins élitiste, pour le rendre plus participatif, égalitaire. On peut imaginer par exemple un système où on garde l’idée d’une concurrence de pouvoir parmi un groupe restreint, mais avec peut être une forme d’action positive pour vraiment élargir le cercle du gouverneur, ou on peut imaginer une forme de corporatisme à la Durkheim et ses successeurs, une forme de corporatisme où on essaie de faire participer et de représenter en politique les intérêts divers des parties différentes de la population. Dans le modèle corporatiste de la démocratie, on essaie de faire représenter les gens pas en tant que citoyens seulement à travers les élections, mais on essaie aussi de les représenter en tant qu’ouvrier ou en tant que religieux ou en tant qu’employeur dans les associations qui vont participer directement dans la prise de décision politique. On peut imaginer un moyen de rendre moins élitiste, plus égalitaire au moins ou plus participatif le modèle de la démocratie formulé par Schumpeter peut-être en utilisant les idées plutôt corporatistes. Là, il faut se rendre que dans le modèle où les gens doivent pour la plupart s’associer en tant que membre d’un syndicat, ils doivent rejoindre un syndicat pour être représentés et les gens doivent se faire représenter en tant qu’agriculteur par exemple afin que les intérêts agricoles soient représentés en politique. On a un modèle de la politique qui dépasse Schumpeter qui perd l’attrait que nous ne devrions pas participer à la politique si cela ne nous intéresse pas et il n’y a pas de forme spécifique de participation.

David Held n’essaie pas assez de voir comment peut-on modifier ces modèles dans la mesure où cela ne nous plait pas parce que cela est toujours intéressant de voir comment peut-on améliorer un modèle qui a ses attraits et ses désavantages. La théorie du corporatisme, à la fois de Durkheim dans la Divion du travail et du suicide, mais aussi de la pratique du corporatisme. Ces modèles peuvent peut-être améliorer la forme de démocratie prônée par Schumpeter, mais le risque est qu’à la fin nous allons dépasser aussi les attraits de ce modèle en essayant de corriger ces défauts. Cela nous donne la clef à l’intérêt vraiment du pluralisme et de Dahl parce qu’il essaie de montrer comment nous pouvons garantir ou construire sur l’aspect le plus attirant des idées de Schumpeter sans ses défauts à la fois empirique et normatif.

La démocratie pluraliste de Dahl

Robert A. Dahl.

Nous allons voir comment Dahl essaie de construire sur l’aspect attirant et peut être même innovateur de Schumpeter, mais essaie d’éviter les difficultés empiriques et normatives de cette conception élitiste de la démocratie. Nous allons voir pourquoi Dahl croit qu’une vision pluraliste basée sur les formes différentes de pouvoir semblait à la fois plus empiriquement correcte et même plus idéale, normativement attirante que la vision élitiste de Schumpeter.

Qu’est-ce que la clef du pluralisme ? La clef est la liberté d’association, c’est l’importance d’une société démocratique faite d’associations multiples, d’individus qui se cherchent, qui se joignent pour le plaisir de se joindre, mais aussi pour des raisons instrumentales. L’idée de Dahl est de dire que Schumpeter a une idée pauvre de la démocratie parce qu’il ne s’intéresse pas à la démocratie sociétale, la base nécessaire pour un gouvernement démocratique dans le monde moderne et cette base pour Dahl ainsi que pour Tocqueville est l’association libre des individus qui peuvent former des associations parce que cela leur plait et ont des intérêts en commun.

L’idée à la fois de Tocqueville et reprise de façon importante par Dahl est qu’une démocratie moderne, un gouvernement démocratique moderne doit avoir une société, des citoyens qui s’organisent, qui s’associent de multiples façons selon leurs goûts individuels, selon leurs besoins et selon leurs croyances. L’idée est que si nous avons une société où les gens peuvent entrer, quitter, laisser les associations comme ils veulent, nous aurons ce qu’on appelle les clivages enchevêtrés. L’idée est que si voulons et quand nous pouvons nous associer avec les autres pour une raison personnelle, si nous pouvons associer de multiple façon les différences de classe, les différences de race, de croyances politiques, religieuses ou encore morales, va s’estomper d’une façon importante parce que nous allons découvrir à travers nos associations diverses qu’il y a des intérêts multiples, divers qui se traduisent dans la politique, des façons complètement différentes. Comparé à la peur qui hantait Schumpeter, mais aussi un tas de politologues depuis l’avènement du suffrage universel, la peur que la classe ouvrière aille voter purement en tant que classe ouvrière et que la classe propriétaire va voter purement en tant que propriétaire pour leurs intérêts, l’importance des associations, comme Dahl l’a reconnu, est que nous pouvons voir que nous avons un tas d’autres intérêts même en tant qu’ouvrier, que propriétaire, un tas d’intérêts divers qui peut aussi se représenter dans la politique et parfois doit se faire représenter. L’idée alors est que dès qu’on voit que la démocratie ne demande pas seulement une forme de gouvernement représentatif avec le suffrage universel et majoritaire, mais elle demande aussi une société vivante où les individus discutent, une société où les individus cherchent les autres avec qui ils peuvent s’associer pour prôner leurs demandes, avec qui ils peuvent identifier ce qui les intéresse et leur signification pour la politique. Dès qu’on voit cette société pleine de groupes, vivantes, combative couvrant tous nos intérêts, nous aurons un modèle de la démocratie vraiment libre parce que cela va refléter la différence et la liberté des citoyens et d’une façon vraiment importants égaux parce que comme cela la naissance ne serait pas la destinée politique. On peut naitre pauvre, mais le fait d’être pauvre n’implique pas qu’on ne peut pas être membre d’un tas d’associations avec les autres qui ne sont pas pauvres et qui auront alors tant d’intérêts. L’idée est que si les gens décident aussi de s’engager en politique sur la base de leur religion, nous aurons aussi les moyens d’estomper les différences raciales, entre les immigrés et les gens de souche parce qu’à la fin, si on peut représenter ces intérêts en tant que membre d’une même association, nous aurons les raisons de vouloir le bien de tous les autres qui prônent notre religion indentant de la couleur, de leur statut d’immigré ou de souche. C’est un idéal d’un monde où les gens vont estomper les différences héréditaires, les différences qui les divisent pour arriver à une politique concurrentielle, mais où les clivages vont changer d’un moment à l’autre, une politique créative, réactive, comptable qui répond directement aux intérêts des individus tels que les individus eux-mêmes les conçoivent.

Pour Dahl ainsi que peut être pour Tocqueville dans La Démocratie en Amérique, l’idée était que dans une société vraiment démocratique avec des associations multiples, changeantes, la technique et le savoir politique sont quelque chose à la main de tout le monde parce que les associations doivent se gérer, doivent s’unifier, doivent savoir comment coopérer entre elles, et alors, on peut apprendre la politique comme comptable d’une association ,et petit à petit, c’est l’idée que la politique devient quelque chose liée à nos intérêts personnels qui nos formes et donne les atouts pour participer au niveau national. Cela est loin de l’idée de Schumpeter que la politique est une profession spéciale différente qui n’a rien à voir avec les capacités de la grande majorité des gens. Dans la vision pluraliste de Dahl, la politique n’est pas quelque chose de spécial, c’est quelque chose à la portée de tout le monde.

C’est une vision assez attirante, une vision où on peut voir, donner peut-être un sens dans le monde moderne de l’idéal de l’autogouvernement, l’idéal d’une démocratie, des associations démocratiques. Cependant, en dépit des attraits de Dahl, en dépit de cette vision vivante, changeante et fluide la politique qu’il prônait, on a une réalité beaucoup plus complète. Robert Putman a publié en 2000 Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community qui est un livre pleurant pour la perte de cette vision, mais aussi de ce monde pluraliste que prônait Dahl. Il y avait une vision peut-être idéaliste de l’Amérique des années 1950, une vision où tout le monde était associé avec les autres. Ce qui est triste pour la politique est que la politique ne se fasse plus comme elle se faisait avant. Maintenant, la politique s’est professionnalisée à tous les niveaux. Des partis cherchent à acheter les capacités d’experts politiques afin de prône un agenda. La difficulté, à la fin, empiriquement, du modèle de Dahl, que cela tourne très vite dans la réalité élitiste et il faut dire capitaliste de Schumpeter, cela arrive pour plusieurs raisons.

La première est l’idée est que l’idéal du pluralisme où les gens peuvent concourir de manière multiple ignore que dans notre société il y a des groupes qui sont des minorités distinctives des petits. Il y a un tas de petits groupes dans nos sociétés qui sont trop petits pour vraiment se trouver lié avec les autres. Alors, pour la plupart, nous, la majorité, nous ne savons rien d’eux, nous ne portons que très peu d’intérêt sur eux. La conséquence est que la politique qui nous plait ne prend pas en compte leurs intérêts spécifiques. Par contre, la logique du pluralisme était qui puisque nous avons un tas d’intérêts qui se chevauchent, il est très facile de protéger par la politique publique nos intérêts divers. Le problème est pour les groupes isolés, petits et distincts qui ne seront pas inclus dans ce mélange d’association et ne vont pas se retrouver représenté dans la politique.

Le deuxième problème est que ce modèle attirant du pluraliste où on entre et on quitte les associations ne prend pas vraiment en compte ce que Mancur Olsen appelait la logique de l’action collective. Dans la logique de l’action collective, on se montre combien les ressources, l’argent est nécessaire pour l’organisation des groupes. Le problème sous-jacent de la politique pluraliste est que si les ressources sont très inégales, les associations mêmes les plus volontaires n’auront pas le même pouvoir de représenter les intérêts de ses membres. C’est par exemple le problème de beaucoup d’associations de consommateurs. En tant que consommateur nous sommes très nombreux, on aurait cru qu’en tant que consommateur, nous aurions un pouvoir politique énorme, après tout, en tant que consommateur, nous avons un pouvoir d’achat, mais aussi de voie sans pareil, mais le problème est que le plus grand groupe, le plus cher à organiser, le groupe le plus divisé, alors le plus de difficulté, plus de temps et d’argent il va nous falloir afin d’identifier nos intérêts en commun et de nous organiser pour les avancer. C’est pour cette raison que les intérêts des consommateurs sont beaucoup moins protégés dans les démocraties que les intérêts de producteurs.

Finalement, la théorie pluraliste ne prend pas en compte les préjugés arbitraires et la lègue dans nos institutions et nos politiques comme, par exemple, contre les femmes, les gens de couleur ou ceux qui ont une opinion différente que celle de la majorité. Le problème c’est qu’avec la liberté d’association, il est très difficile pour les gens victimes de préjugé de vraiment s’associer avec les autres. Même si formellement, cela est quelque chose d’important dans nos démocraties que nous pouvons entrer, quitter également des associations différentes ; dans le monde actuel, nous savons très bien que ces possibilités sont distribuées d’une façon très inégalitaire à cause des différences de la richesse, mais aussi à cause des effets structurels, des préjugés de nos gouvernements.

Les problèmes empiriques du pluralisme se reflètent dans la difficulté aux États-Unis, mais aussi ailleurs de vraiment estomper les différences de classe, de race et même de religion de nos sociétés. La théorie pluraliste avait promis que sans changer les libertés, nous pouvons estomper ces différences tellement problématiques et parfois tellement injustes. En réalité, pour la plupart, nos associations volontaires, au moins de les estomper, peuvent les approfondir. C’est l’une des tragédies de l’association libre que l’on va peut-être au lieu d’estomper nos différences, les approfondir.

Nous avons regardé deux efforts de lier l’idée de la démocratie d’une politique de la liberté et de l’égalité, un idéal de l’autonomie pour le monde moderne, mais nous avons vu aussi que ces deux modèles en dépit de leurs attraits réels ont des difficultés très profondes. Les enjeux maintenant dans la théorie politique normative ainsi que dans la science politique plus empirique est de savoir si nous pouvons envisager un modèle, un modèle de la démocratie qui peut à la fois récupérer ce qui était fort et attirant dans le modèle pluraliste de Dahl, dans le modèle de démocratie plutôt tocquevilien, mais en acceptant que sans les efforts intentionnels d’estomper les inégalités héritées du passé, sans les efforts intentionnels de promouvoir le bien commun, il n’y a pas de possibilité vraiment d’arriver à une politique libre et égale basée sur l’intérêt propre des individus.

Annexes

Références