« Analyse des Politiques Publiques : mise à l'agenda et formulation » : différence entre les versions

De Baripedia
Ligne 268 : Ligne 268 :
Dans leur recherche, Baumgartner et ses collègues ont démontré que l'argument de la "découverte de l'innocence", c'est-à-dire le risque d'exécuter des innocents, est non seulement le plus puissant, mais aussi le plus récent dans le débat sur la peine de mort. Plus encore, ils suggèrent que c'est probablement l'argument qui a eu le plus grand impact sur les décisions concrètes concernant les exécutions. Cette notion a amené une réflexion renouvelée sur l'application de la peine de mort et a alimenté un débat public et politique intense. L'idée qu'il pourrait y avoir des erreurs dans le système judiciaire, conduisant à l'exécution de personnes innocentes, a bouleversé la façon dont de nombreuses personnes perçoivent la peine de mort. La force de cet argument souligne le pouvoir des cadres de problèmes pour influencer les attitudes et les politiques publiques. En redéfinissant la question de la peine de mort en termes de risques d'injustice, ils ont réussi à avoir un impact considérable sur la façon dont cette question est perçue et traitée.  
Dans leur recherche, Baumgartner et ses collègues ont démontré que l'argument de la "découverte de l'innocence", c'est-à-dire le risque d'exécuter des innocents, est non seulement le plus puissant, mais aussi le plus récent dans le débat sur la peine de mort. Plus encore, ils suggèrent que c'est probablement l'argument qui a eu le plus grand impact sur les décisions concrètes concernant les exécutions. Cette notion a amené une réflexion renouvelée sur l'application de la peine de mort et a alimenté un débat public et politique intense. L'idée qu'il pourrait y avoir des erreurs dans le système judiciaire, conduisant à l'exécution de personnes innocentes, a bouleversé la façon dont de nombreuses personnes perçoivent la peine de mort. La force de cet argument souligne le pouvoir des cadres de problèmes pour influencer les attitudes et les politiques publiques. En redéfinissant la question de la peine de mort en termes de risques d'injustice, ils ont réussi à avoir un impact considérable sur la façon dont cette question est perçue et traitée.  


=== Analyse de contenu ===
Dans leur étude, Baumgartner et ses collègues ont mené une analyse de contenu approfondie des articles de presse relatifs à la peine de mort. Ils ont examiné les articles du New York Times, ainsi que d'autres sources de presse à l'échelle nationale et au niveau des États, depuis 1960. En tout, ils ont identifié et analysé environ 4000 articles sur la peine de mort. Pour chaque article, ils ont déterminé si l'auteur était plutôt pour ou contre la peine de mort, et sur quelle base ou quels arguments ils se fondaient pour prendre cette position. Cette méthode, connue sous le nom d'approche inductive, a permis d'éviter l'imposition de catégories prédéfinies et d'explorer plus ouvertement les arguments utilisés dans le débat. Après avoir recueilli et examiné les arguments invoqués par les auteurs, ils ont regroupé ces arguments en 65 grandes catégories. Cette méthode leur a permis de mieux comprendre la diversité des perspectives sur la peine de mort et d'identifier les arguments les plus fréquemment utilisés pour ou contre son application.  
Dans leur étude, Baumgartner et ses collègues ont mené une analyse de contenu approfondie des articles de presse relatifs à la peine de mort. Ils ont examiné les articles du New York Times, ainsi que d'autres sources de presse à l'échelle nationale et au niveau des États, depuis 1960. En tout, ils ont identifié et analysé environ 4000 articles sur la peine de mort. Pour chaque article, ils ont déterminé si l'auteur était plutôt pour ou contre la peine de mort, et sur quelle base ou quels arguments ils se fondaient pour prendre cette position. Cette méthode, connue sous le nom d'approche inductive, a permis d'éviter l'imposition de catégories prédéfinies et d'explorer plus ouvertement les arguments utilisés dans le débat. Après avoir recueilli et examiné les arguments invoqués par les auteurs, ils ont regroupé ces arguments en 65 grandes catégories. Cette méthode leur a permis de mieux comprendre la diversité des perspectives sur la peine de mort et d'identifier les arguments les plus fréquemment utilisés pour ou contre son application.  


Ligne 278 : Ligne 279 :
En analysant les articles de presse, Baumgartner et ses collègues ont pu déterminer l'importance relative de ces arguments dans le discours public sur la peine de mort.
En analysant les articles de presse, Baumgartner et ses collègues ont pu déterminer l'importance relative de ces arguments dans le discours public sur la peine de mort.


//Il y a un débat qui soulève l’argument en termes de coûts, à savoir si cela coûte plus cher d’exécuter les gens que de les maintenir dans des prisons centralisées voire même de faire de l’argent si on privatise les prisons. C’est un débat loin de toute morale en termes d’efficacité, savoir si la peine de mort coûte trop cher.
Une autre série d'argument ajoute d'autres dimensions au débat sur la peine de mort :


Un débat relève des modes d’exécution qui fut hautement thématisé.
# Les coûts - L'argument financier met en évidence le coût élevé lié à la mise en œuvre de la peine de mort, y compris les frais juridiques et d'incarcération associés. Certains peuvent argumenter que l'argent dépensé pour la peine de mort pourrait être mieux utilisé ailleurs, tandis que d'autres peuvent suggérer des alternatives économiques comme la privatisation des prisons.
# Les méthodes d'exécution - Les méthodes d'exécution ont fait l'objet de débats animés, en particulier en ce qui concerne leur humanité. Certaines personnes sont préoccupées par les méthodes d'exécution potentiellement cruelles ou inhumaines.
# La pression internationale - Avec de nombreux pays abandonnant la peine de mort, les États-Unis se trouvent sous une pression internationale croissante pour faire de même. L'image des États-Unis en tant que démocratie est également mise en question en raison de leur maintien de la peine de mort.


Un autre argument était celui de la pression internationale ou de l’image des États-Unis comme une démocratie par rapport à cette thématique. Depuis 1960, un nombre important de pays abandonnent la peine de mort et la question est de savoir s’il faut se préoccuper du fait que de plus en plus de pression internationale sont mises sur les États-Unis pour qu’ils abandonnent la pratique de la peine de mort.  
Après avoir analysé 4000 articles sur la peine de mort, parus depuis 1960, et identifié 65 arguments distincts dans ces textes, Baumgartner et son équipe ont conclu qu'il y a eu une croissance marquée de l'attention portée à cette question, en particulier autour des années 2000. Cette année-là, le nombre d'articles consacrés à la peine de mort a dépassé 200, ce qui représente un pic d'attention relative à ce sujet dans la presse.  


Il y a en tout 65 arguments que l’on retrouve dans la presse et en codant les 4000 articles depuis 1960, en identifiant les arguments qui sont dans chacun de ces articles, Baumgartner arrive à la conclusion qu’il y a une croissance dans l’attention qui est accordée à l’enjeu et particulièrement aux alentours des années 2000. Donc il y a pour une année plus de 200 articles qui sont consacrés à la peine de mort, c’est un pic d’attention relative.  
[[Fichier:Nbre articles dans le NYT saillance enjeu.png|400px|vignette|centré|Nombre d'articles dans le New York Times : saillance de l’enjeu.]]


[[Fichier:Nbre articles dans le NYT saillance enjeu.png|400px|vignette|centré|Nombre d'articles dans le New York Times : saillance de l’enjeu.]]
Il est évident qu'il y a eu une augmentation notable de la "saillance" de ce sujet, c'est-à-dire de son importance, de sa visibilité et de la priorité qui lui est accordée dans les débats médiatiques. C'est particulièrement frappant lorsque l'on réalise que l'on atteint près de 250 articles en une seule année, ce qui signifie que deux jours sur trois, ce sujet est discuté. Cette croissance de l'attention est la plus importante et se situe principalement autour des années 2000. Il y avait un autre pic notable durant les années 1970 lors des débats sur la constitutionnalité de la peine de mort. Par conséquent, jamais la peine de mort n'a été autant discutée depuis le début des années 1960 qu'au cours de cette période des années 2000.  


On voit clairement ce qui s’apparente à une « issue salliance » qui est la saillance, la visibilité et la priorité accordée à cet enjeu dans les débats médiatiques. C’est assez impressionnant si on pense qu’on est à près de 250 articles sur une année, donc deux jours sur trois on parle de ce sujet. , il y a véritablement une croissance est la croissance la plus importante de l’attention qui se porte aux alentours des années 2000 sur cette thématique. Il y avait un autre pic lorsqu’on discutait de la constitutionnalité dans les années 1970. Donc, on n’a jamais autant parlé de la peine de mort depuis le début des années 1960 que pendant cette période des années 2000.  
Cette forte augmentation de l'attention médiatique autour de la peine de mort dans les années 2000 est très révélatrice des dynamiques sociales et politiques de cette époque. Cela indique non seulement une prise de conscience croissante des problèmes inhérents à la peine de mort, mais aussi un débat public enflammé sur la question. Les années 2000 ont été marquées par des avancées technologiques significatives, comme le développement de l'ADN pour prouver l'innocence des condamnés à mort, ce qui a pu contribuer à ce pic d'attention. De plus, les problèmes systémiques dans le système judiciaire - tels que la discrimination raciale et socio-économique - sont devenus de plus en plus visibles, suscitant une critique accrue de la peine de mort. En outre, le nombre élevé d'articles suggère une tentative de la part des médias de sensibiliser le public à ces problèmes, ce qui pourrait avoir un impact sur l'opinion publique et, par conséquent, sur la politique. Cela met en évidence le rôle puissant que les médias peuvent jouer dans le façonnement de l'opinion publique et du débat politique. Enfin, le fait que l'attention portée à la peine de mort n'a pas été aussi élevée depuis les années 1970 indique que le débat sur la peine de mort aux États-Unis est cyclique, avec des périodes d'attention intense suivies de périodes de relatif silence. Cela peut refléter les changements dans les priorités politiques et sociales au fil du temps.  


[[Fichier:Croissance du concept l'innocence nouveau cadrage.png|400px|vignette|centré|Croissance du concept de “ l'innocence ” : nouveau cadrage.]]
[[Fichier:Croissance du concept l'innocence nouveau cadrage.png|400px|vignette|centré|Croissance du concept de “ l'innocence ” : nouveau cadrage.]]


Si on regarde ces articles en particulier et comment est-ce qu’ils parlent de la peine de mort, en fonction de quelle définition, de quel cadrage, on retrouve dans ce graphique le terme de l’innocence qui apparaît comme étant le thème clairement dominant dans ce pic d’attention, dans cette ponctuation, soit près de 120 sur les 250, donc un article sur deux aborde la peine de mort sous l’angle de l’innocence potentielle des gens qui ont été exécutés ou des gens qui ont été condamnés. Auparavant, cela été quelque chose qui n’était pas dominant, on se souciait très peu de savoir si on avait exécuté des innocents ou pas ; tout d’un coup, tout le monde, en tout cas une histoire sur deux racontée dans la presse aborde la thématique sous cet angle. Donc, il y a un cadrage cognitif de la manière dont les gens réfléchissent. Les journaux disent non seulement ce à quoi on doit penser, mais ils disent aussi comment l’on pense cette thématique. Cela semble marcher, par effet d’entrainement, parce que les gens restent dans le registre de l’innocence.  
Cette analyse des articles de presse démontre le pouvoir de ce que l'on appelle le "framing" ou le "cadrage" dans la communication. Le cadrage, dans ce contexte, se réfère à la manière dont un sujet ou une question est présentée dans les médias, ce qui peut influencer la façon dont le public perçoit et comprend cette question. Dans le cas de la peine de mort aux États-Unis, la question de l'innocence est devenue le cadrage dominant au début des années 2000. Cela signifie que les médias ont commencé à présenter la peine de mort non pas simplement comme une question de justice ou de dissuasion, mais comme une question d'innocence ou de culpabilité potentielle. L'accent mis sur l'innocence souligne l'idée que le système judiciaire peut faire des erreurs, et que ces erreurs peuvent avoir des conséquences mortelles. Cette approche de cadrage a eu un impact significatif sur la façon dont le public perçoit la peine de mort. En présentant la peine de mort sous l'angle de l'innocence, les médias ont contribué à sensibiliser le public à la possibilité d'erreurs judiciaires et à l'injustice potentielle de la peine de mort. Il est important de noter que ce changement de cadrage n'est pas nécessairement le résultat d'une stratégie délibérée de la part des médias. Il peut également être le produit de changements dans la société, tels que l'introduction de nouvelles technologies (comme les tests ADN) ou la montée en puissance de mouvements sociaux (comme le mouvement pour l'abolition de la peine de mort). Cependant, une fois qu'un certain cadrage devient dominant, il peut avoir un effet d'entraînement, comme le suggère le fait que la question de l'innocence est restée le thème dominant dans la couverture médiatique de la peine de mort.  


Le troisième élément au-delà de dire qu’il y a une saillance très élevée qu’il y a une dominance évidente de ce thème de l’innocence est de savoir quelle est la tonalité de l’article, c’est-à-dire savoir s’il est « pro » peine de mort ou s’il est « anti » peine de mort ou bien « neutre ».  
=== Analyse de ton ===
En analysant le ton ou la tonalité d'un article, les chercheurs peuvent déterminer si l'article est plutôt en faveur de la peine de mort (ton positif), contre la peine de mort (ton négatif), ou neutre (ni positif, ni négatif). Cette analyse du ton peut donner un aperçu précieux des attitudes et des opinions exprimées dans les médias concernant la peine de mort. Par exemple, une prédominance d'articles avec un ton négatif pourrait indiquer une tendance générale à critiquer la peine de mort. Inversement, une majorité d'articles avec un ton positif pourrait refléter un soutien général pour la peine de mort. L'analyse du ton peut également révéler comment les attitudes et les opinions peuvent changer au fil du temps. Par exemple, si la tonalité des articles sur la peine de mort devient de plus en plus négative au fil du temps, cela pourrait indiquer un changement d'opinion publique contre la peine de mort. Il est à noter que le ton d'un article peut être influencé par divers facteurs, tels que le cadrage du sujet (par exemple, si l'article se concentre sur l'innocence), les attitudes et les opinions de l'auteur, et le public cible de l'article.  


[[Fichier:Tonalité de la couverture médiatique opposition croissante.png|400px|vignette|centré|“Tonalité” de la couverture médiatique : opposition croissante.]]
[[Fichier:Tonalité de la couverture médiatique opposition croissante.png|400px|vignette|centré|“Tonalité” de la couverture médiatique : opposition croissante.]]

Version du 15 juin 2023 à 23:06

Languages

L'élaboration d'une politique publique suit un processus structuré en quatre étapes essentielles. Une politique publique comprend une série d'actions et de décisions prises par les autorités gouvernementales dans le but de répondre à un problème spécifique. La première étape est l'identification et l'intégration du problème à l'agenda politique. Cette phase, appelée mise à l'agenda, permet de définir le problème qui nécessite l'intervention de l'État, et de justifier pourquoi cette intervention est nécessaire. La deuxième étape du processus consiste en la formulation de la politique publique. Cette phase de formulation donne une réponse à la question : quelle est la solution envisagée pour répondre à ce problème ? Il s'agit ici d'identifier une solution qui soit à la fois légitime et acceptable dans le contexte politique actuel. Chacune de ces étapes joue un rôle crucial dans le développement d'une politique efficace, en guidant le processus depuis l'identification initiale du problème jusqu'à l'établissement d'un plan d'action concret pour le résoudre.

L'analyse de la mise à l'agenda cherche à comprendre comment et pourquoi certains problèmes sont construits et reconnus comme dignes d'attention publique et d'intervention de l'État. C'est dans cette phase que le processus de "construction sociale" des problèmes publics prend place. Cela signifie que les problèmes publics ne sont pas seulement des faits objectifs qui existent en soi, mais ils sont façonnés et définis par des acteurs sociaux et politiques qui interprètent et attribuent de l'importance à certaines situations ou conditions. Cette construction est un processus complexe, qui implique souvent des débats et des luttes entre différents acteurs avec des intérêts et des perspectives variés. Des facteurs tels que le pouvoir politique, les valeurs culturelles, l'opinion publique et les médias peuvent tous jouer un rôle dans la définition de ce qui est considéré comme un problème public.

Cependant, il est important de noter qu'il est souvent difficile d'initier une nouvelle politique publique. Le simple fait de définir un problème comme un problème public ne garantit pas automatiquement que ce problème sera inscrit à l'agenda politique. Des obstacles tels que le manque de ressources, les résistances politiques, ou le manque d'intérêt public peuvent empêcher un problème de gagner une place sur l'agenda. Par conséquent, l'analyse de la mise à l'agenda nécessite également une compréhension des processus et des dynamiques politiques qui influencent quels problèmes sont reconnus et prioritaires, et lesquels sont ignorés ou marginalisés.

Mise à l’agenda politique : « construction » des problèmes publics

Définition d'un problème public

L'agenda politique

L'agenda politique représente les questions que les autorités politiques et administratives considèrent comme prioritaires et sur lesquelles elles ont l'intention d'agir. Ces questions peuvent inclure divers problèmes sociaux, économiques ou environnementaux qui exigent une réponse politique. D'un autre côté, l'agenda médiatique est constitué des histoires et des questions qui sont présentées comme importantes par les médias, que ce soit dans les journaux, les bulletins de nouvelles télévisées, la radio ou sur les sites web d'information. Ces sujets sont ceux qui, selon les médias, méritent l'attention du public et peuvent ou non se recouper avec l'agenda politique.

Ces deux agendas peuvent interagir et s'influencer mutuellement. Par exemple, les médias peuvent mettre en lumière un problème particulier, ce qui pousse les politiques à y prêter attention et à le placer sur leur agenda. Inversement, les décisions politiques peuvent façonner l'agenda médiatique, surtout lorsqu'elles concernent des questions d'intérêt public. Cependant, il peut aussi y avoir des divergences entre ces deux agendas, en fonction des priorités, des valeurs et des contraintes de chaque domaine.

L'agenda politique, notamment celui du Parlement, se manifeste concrètement à travers les sujets et les questions abordées par les parlementaires. Ceux-ci peuvent porter sur une multitude de problématiques sociales, économiques, environnementales, de sécurité, etc. Les motions, les initiatives parlementaires, les postulats, les questions et les interpellations sont autant d'outils dont disposent les parlementaires pour mettre en avant certains sujets. Ils reflètent les préoccupations des élus et, par extension, de leurs électeurs. L'analyse de cet agenda parlementaire peut révéler quelles sont les priorités des autorités politiques à un moment donné, quels problèmes sont jugés suffisamment importants pour nécessiter une intervention politique, et comment ces priorités peuvent évoluer au fil du temps. Il convient cependant de souligner que l'agenda politique ne se limite pas à ce qui est discuté au Parlement. D'autres acteurs, tels que le gouvernement, les partis politiques, les groupes de pression ou les citoyens, peuvent également influencer cet agenda, à travers leurs propres actions et initiatives.

Dans le système suisse, l'agenda du gouvernement, à savoir celui du Conseil fédéral, reste effectivement moins transparent en raison du secret des délibérations. Il s'agit d'une règle qui garantit que les discussions au sein du Conseil fédéral restent confidentielles. Cette règle a pour but de préserver la collégialité du gouvernement, en permettant à ses membres de débattre librement et de prendre des décisions de manière collégiale. Néanmoins, même si les détails des discussions du Conseil fédéral ne sont pas accessibles au public, le gouvernement communique sur ses décisions à travers des communiqués de presse. Ces communiqués peuvent donner une indication sur les priorités du gouvernement, bien qu'ils ne reflètent que les décisions finales et non les débats qui ont conduit à ces décisions. L'agenda du Conseil fédéral peut être influencé par d'autres éléments, tels que les initiatives parlementaires, les votes populaires, les demandes des cantons, ou les développements internationaux. L'analyse de ces facteurs peut donc également donner des indications sur l'agenda politique du gouvernement, même si le processus décisionnel interne reste confidentiel.

Le terme "agenda" dans ce contexte désigne la série de sujets qui sont jugés importants et dignes d'attention par un groupe spécifique. Ces sujets sont généralement des questions ou problèmes publics qui requièrent une action ou une intervention. Lorsque nous parlons de l'agenda des médias, nous nous référons aux sujets que les médias décident de couvrir et de mettre en avant. Cet agenda peut être influencé par divers facteurs, comme l'actualité, l'intérêt du public, les valeurs journalistiques, et parfois même les intérêts commerciaux des entreprises médiatiques. De même, l'agenda des partis politiques est déterminé par les questions sur lesquelles ces partis choisissent de se concentrer, souvent dans le cadre de leurs campagnes électorales. Cet agenda peut refléter les valeurs et les priorités du parti, les préoccupations de leurs électeurs, ainsi que les stratégies électorales. Dans chaque cas, l'agenda est un moyen pour les acteurs de définir ce qui est important et de concentrer l'attention sur ces sujets. Il joue donc un rôle crucial dans le façonnement du débat public et dans l'orientation des politiques publiques.

Mise à l'agenda

Le nombre de problèmes et de questions qui peuvent être abordées à un moment donné, que ce soit dans les médias, au Parlement, ou au sein du gouvernement, est nécessairement limité. Cette limitation est due à des contraintes de temps, de ressources, et de capacité d'attention. Face à ces contraintes, les acteurs doivent faire des choix sur les problèmes à mettre en avant et ceux à laisser de côté. Ces choix peuvent être influencés par une variété de facteurs, tels que l'urgence perçue d'un problème, son importance pour l'opinion publique, sa pertinence par rapport aux priorités politiques existantes, ou sa capacité à générer du soutien ou de l'intérêt. Cela signifie que le lancement d'une nouvelle politique publique peut être un processus difficile et compétitif. Pour attirer l'attention sur un problème et le mettre à l'agenda, il peut être nécessaire de faire appel à des stratégies de communication efficaces, de mobiliser des soutiens, ou de convaincre les acteurs clés de l'importance du problème.

Les médias, tout comme les partis politiques, ont une capacité d'attention limitée et ils sont contraints de sélectionner soigneusement les sujets qu'ils traitent. Dans le cas d'un journal, l'espace est effectivement limité. Les éditeurs doivent décider quelles histoires méritent d'être en première page, qui est l'endroit le plus visible et le plus influent. Ces décisions sont prises en fonction de la ligne éditoriale du journal, de l'actualité, de l'intérêt présumé du public et d'autres facteurs. De même, les partis politiques, lorsqu'ils lancent une campagne électorale, doivent définir leurs priorités et choisir sur quels sujets ils vont se concentrer. Ces choix sont généralement faits en fonction des valeurs et des objectifs du parti, des préoccupations de leurs électeurs, et de la stratégie électorale. Cela souligne la nature sélective de l'agenda-setting, qui est le processus par lequel certains sujets sont choisis comme étant importants et d'autres sont ignorés. Ce processus peut avoir un impact significatif sur l'opinion publique, la politique et la société en général, car il façonne ce dont les gens parlent et à quoi ils prêtent attention.

Dans le cadre d'une campagne électorale ou même de leur communication régulière, les partis politiques ont tendance à se concentrer sur un nombre limité de thèmes clés. Cette concentration permet aux partis de créer une image de marque claire et reconnaissable, de mobiliser leur base électorale et de se distinguer des autres partis. Les thèmes choisis reflètent généralement les valeurs fondamentales du parti, les préoccupations de leurs électeurs et les sujets sur lesquels ils pensent pouvoir faire une différence. Ils peuvent également être influencés par l'actualité et le climat politique général. Le gouvernement fonctionne de manière similaire. Malgré un champ d'action plus large, il doit également définir ses priorités et se concentrer sur certains domaines politiques clés. Ces priorités sont généralement définies dans le programme gouvernemental et sont guidées par les engagements électoraux, les demandes de la société et les contraintes pratiques.

L'agenda des décideurs politiques, comme le Conseil fédéral en Suisse, est effectivement limité en raison des contraintes de temps et de ressources. Ces décideurs sont souvent amenés à prendre des décisions sur des questions complexes et variées, mais ils ne peuvent aborder qu'un nombre limité de problèmes lors de leurs réunions régulières. Cela signifie qu'ils doivent prioriser certains sujets et en laisser d'autres de côté, du moins temporairement. Cela crée effectivement une concurrence entre les différents sujets. Si un sujet est ajouté à l'agenda, un autre peut être laissé de côté. Il s'agit d'un processus dynamique et souvent complexe, qui peut être influencé par de nombreux facteurs, tels que l'urgence des problèmes, leur pertinence pour l'opinion publique, les priorités politiques existantes et les pressions externes. Il en va de même pour l'agenda des médias et des commissions parlementaires. Tous ces agendas sont limités et ne peuvent s'étendre indéfiniment pour accueillir un nombre illimité de sujets. Cela rend l'accès à l'agenda difficile et souvent compétitif, car différents acteurs cherchent à faire valoir leurs propres priorités et problèmes. Cela souligne l'importance de la mise à l'agenda dans le processus politique. L'obtention d'une place sur l'agenda est souvent une étape cruciale pour obtenir une action politique sur un problème donné. Cela nécessite souvent des efforts de plaidoyer, de communication et de mobilisation pour attirer l'attention sur un problème et convaincre les décideurs de sa pertinence.

La mise à l'agenda d'un problème est un processus stratégique qui implique généralement de travailler pour rendre le problème suffisamment intéressant, pertinent ou urgent pour attirer l'attention des acteurs clés, y compris les décideurs politiques, les médias et le public. Ce processus peut impliquer plusieurs étapes. Par exemple, il peut commencer par identifier et définir le problème de manière à le rendre compréhensible et pertinent pour un public plus large. Cela peut impliquer de recueillir des preuves, d'encadrer le problème d'une certaine manière, et de développer des messages clairs et convaincants. Ensuite, les acteurs peuvent travailler à attirer l'attention sur le problème. Cela peut se faire par le biais de diverses stratégies de communication et de plaidoyer, comme le lobbying auprès des décideurs politiques, la mobilisation du public, la sensibilisation des médias, la participation à des débats publics, etc. Enfin, une fois que le problème a été inscrit à l'agenda, les acteurs doivent généralement travailler à maintenir l'attention sur celui-ci et à influencer la manière dont il est abordé et résolu. Cela peut impliquer de participer à l'élaboration de politiques, de faire pression pour des solutions spécifiques, de surveiller la mise en œuvre et de faire pression pour des modifications si nécessaire.

La codification systématique de ces agendas

L'agenda représente l'ensemble des problèmes publics qui sont perçus comme prioritaires par les acteurs politiques, les médias, et par extension, le public. La première page d'un journal est souvent une représentation précise de ce qui est considéré comme important ou urgent à un moment donné. Les décisions sur ce qui apparaît en première page sont généralement basées sur une variété de facteurs, y compris l'actualité, l'intérêt du public, et la ligne éditoriale du journal. La codification systématique de ces agendas - médiatiques, politiques, gouvernementaux, parlementaires, ou budgétaires - permet de suivre l'évolution de l'attention publique et des priorités politiques au fil du temps. Cela peut aider à identifier les tendances, les influences et les dynamiques au sein du paysage politique et médiatique. Cette méthode de codification et d'analyse des agendas est une technique commune en sciences sociales, notamment en science politique et en communication. Elle permet d'analyser non seulement ce dont on parle, mais aussi comment on en parle, en mettant en évidence les cadres et les narratives utilisés pour définir et comprendre les problèmes publics. En somme, l'analyse de l'agenda est un outil précieux pour comprendre le processus politique et la façon dont les problèmes publics sont définis et traités.

En utilisant une grille de codage avec 200 catégories différentes de politiques publiques, on peut avoir un aperçu très précis des priorités et des préoccupations spécifiques abordées dans différents agendas. Cette grille inclus une large gamme de domaines, comme l'économie, l'environnement, la politique monétaire, l'éducation, la santé, le logement, la sécurité, les droits de l'homme, etc. Chacune de ces catégories pourrait être subdivisée en des problèmes ou des sujets plus spécifiques. En appliquant cette grille de codage à différents agendas, que ce soit dans les médias, au sein des partis politiques, dans les gouvernements, les parlements, ou même dans les budgets, on peut obtenir des données quantitatives précises sur l'attention relative accordée à chaque domaine. Cela permet de comparer les priorités entre différents acteurs, de suivre les changements au fil du temps, et de déceler des tendances ou des modèles dans l'attention publique et politique. Une telle analyse aide à comprendre les processus de mise à l'agenda, en montrant quels problèmes réussissent à attirer l'attention et quels autres problèmes sont laissés de côté. Cela fournis des informations précieuses sur le fonctionnement du processus politique et sur les facteurs qui influencent les décisions politiques.

L'analyse de données pluriannuelles offre une perspective précieuse sur les tendances à long terme et les évolutions des priorités politiques et médiatiques. Cela peut révéler quels sont les sujets qui ont été perçus comme les plus urgents ou importants au fil du temps. En codant plus de 22 000 interventions parlementaires en Suisse, on obtient un aperçu détaillé des questions qui ont été soulevées et des problèmes qui ont été priorisés par les législateurs. Les questions, interpellations, postulats et initiatives parlementaires révèle les préoccupations des parlementaires, leurs réponses aux problèmes publics, et leur engagement à agir sur des questions spécifiques. Cette analyse montrer comment l'attention politique se répartit entre différents domaines, comment les priorités ont changé au fil du temps, et quels problèmes ont réussi à se maintenir à l'agenda ou ont été éclipsés par d'autres préoccupations. Ces informations sont précieuses pour comprendre non seulement les priorités politiques actuelles, mais aussi la dynamique politique et les facteurs qui influencent les décisions politiques. En outre, ces données aident à éclairer les discussions sur l'efficacité des politiques publiques, et à évaluer si les efforts politiques sont alignés sur les problèmes et les préoccupations les plus pressants.

L'analyse des communiqués de presse du gouvernement et des accords de coalition peut offrir des informations précieuses sur les priorités et les engagements du gouvernement. C'est une autre facette de l'analyse de l'agenda qui peut enrichir notre compréhension du paysage politique. Les communiqués de presse du gouvernement reflètent souvent les priorités immédiates du gouvernement et la façon dont il communique sur ses actions et ses politiques. En analysant ces communiqués de presse sur plusieurs années, vous pouvez suivre les changements dans l'agenda du gouvernement et observer comment différents problèmes et domaines de politiques publiques ont été prioritaires à différents moments. D'un autre côté, les accords de coalition qui sont négociés au début de la législature peuvent donner un aperçu des objectifs et des priorités à long terme du gouvernement. Ces accords sont souvent le résultat de négociations complexes entre différents partis, et ils reflètent les compromis et les engagements qui guideront l'action gouvernementale au cours des années à venir. Ces deux types de documents - les communiqués de presse et les accords de coalition - peuvent être codés en utilisant la même grille de codage que celle que vous avez utilisée pour les médias et le parlement. Cela permettrait une comparaison directe des priorités et de l'attention accordée à différents domaines à travers les différentes institutions.

Dans un système parlementaire de style "Westminster" comme celui du Royaume-Uni, le "Discours du Trône" (ou "Speech from the Throne" ou "Queen's Speech") est un élément clé à analyser. Traditionnellement, c'est un discours prononcé par le monarque (ou son représentant) à l'ouverture de chaque nouvelle session du parlement. Bien que prononcé par le monarque, il est rédigé par le gouvernement en place et énonce les principales politiques et lois législatives que le gouvernement entend mettre en œuvre pendant la session parlementaire à venir. L'analyse de ce discours peut fournir un éclairage précieux sur les intentions et les priorités du gouvernement. Comme il contient une énumération des principales mesures législatives que le gouvernement prévoit d'introduire, le Discours du Trône peut être vu comme un "plan de route" pour la session parlementaire. Dans le cadre d'une analyse de l'agenda, on peut coder ce discours pour identifier les principaux domaines de politiques publiques qui sont mis en avant, et voir comment ceux-ci se comparent à l'attention accordée à ces mêmes domaines dans les médias, le parlement et d'autres sources que vous analysez. On peut également suivre l'évolution de ces priorités au fil du temps en analysant les Discours du Trône d'années successives.

L'analyse budgétaire est une autre méthode très efficace pour comprendre les priorités d'un gouvernement. Le budget est une déclaration claire des intentions politiques car il montre où le gouvernement choisit d'allouer ses ressources. En analysant les postes budgétaires, on peut voir quels domaines de politique publique le gouvernement privilégie en termes de dépenses. En utilisant la grille de codage de 200 catégories de politiques publiques, on peut attribuer chaque poste budgétaire à une catégorie spécifique. Cela permet de voir combien d'argent est alloué à chaque domaine, de comparer les allocations entre différentes catégories, et de suivre les changements dans les dépenses au fil du temps. Cela peut également être utile pour évaluer si les dépenses budgétaires correspondent aux priorités déclarées dans d'autres sources, comme les discours du trône, les accords de coalition ou les communiqués de presse du gouvernement. Par exemple, si un gouvernement déclare que l'éducation est une priorité, mais que les dépenses pour l'éducation ne représentent qu'une petite part du budget, cela pourrait indiquer un écart entre les discours et les actions.

La grande question qui se pose une fois que tous ces agendas ont été codés sur une longue période dans différents pays est de savoir comment expliquer que certains thèmes sont prioritaires dans tel agenda et dans tel autre. C'est un domaine clé de la recherche en sciences politiques et en études des médias. Si les médias et les acteurs politiques se concentrent sur les mêmes problèmes, il peut être difficile de déterminer qui influence qui. Les médias peuvent mettre en évidence certains problèmes parce qu'ils sont importants pour l'opinion publique, ou parce qu'ils sont discutés par les acteurs politiques. De même, les acteurs politiques peuvent se concentrer sur certains problèmes parce qu'ils sont mis en évidence par les médias, ou parce qu'ils estiment qu'ils sont importants pour leurs électeurs. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'effectuer une analyse détaillée des relations entre les médias et les acteurs politiques, et de tenir compte de nombreux facteurs, tels que le contexte politique et social, les préférences des électeurs, l'influence des groupes de pression, et bien d'autres. En termes de démocratie, il est important que les médias et les acteurs politiques ne se concentrent pas uniquement sur les mêmes problèmes, afin d'assurer une pluralité de voix et de perspectives. Si les médias et les acteurs politiques se concentrent tous deux sur les mêmes problèmes, cela peut limiter le débat public et empêcher l'examen de certains problèmes importants. En outre, si les acteurs politiques se concentrent principalement sur les problèmes qui sont populaires dans les médias, cela peut conduire à une forme de populisme médiatique, où les politiques publiques sont dictées par les préférences des médias plutôt que par les besoins de la société. Cela peut également réduire la capacité des acteurs politiques à aborder des problèmes complexes ou controversés qui peuvent ne pas être populaires dans les médias.

La question de savoir qui contrôle l'agenda est essentielle pour comprendre les dynamiques de pouvoir dans une société et, par conséquent, a de profondes implications pour la démocratie. En définissant l'agenda - c'est-à-dire en décidant quels problèmes sont dignes d'attention et comment ils sont formulés - un acteur peut exercer un grand pouvoir. Cette capacité à définir l'agenda peut influencer les politiques publiques, l'opinion publique et même l'issue des élections. De plus, la question de qui a le pouvoir de définir l'agenda peut révéler qui a le pouvoir dans une société plus largement, et peut soulever des questions importantes sur la représentation, l'équité et la démocratie. Par exemple, si l'agenda est principalement contrôlé par une élite politique ou médiatique, cela peut signifier que certaines voix sont marginalisées ou ignorées, ce qui peut entraver la participation démocratique et l'égalité. D'autre part, si l'agenda est défini de manière plus démocratique, par exemple par une combinaison d'acteurs politiques, de médias et de citoyens ordinaires, cela peut faciliter un débat plus large et plus équilibré. En somme, l'analyse de qui contrôle l'agenda est une tâche complexe qui nécessite une étude approfondie des dynamiques de pouvoir, des structures sociales et politiques, et du rôle des médias.

Analyser les agendas : la construction des problèmes de politique publique

L'analyse des agendas peut se faire de manière quantitative, en mesurant l'importance relative qu'un agenda accorde à une politique publique spécifique. Cette approche peut révéler des tendances et des motifs dans la façon dont les problèmes sont hiérarchisés, et peut aider à comprendre comment les priorités politiques évoluent avec le temps. Toutefois, une telle approche quantitative ne peut pas à elle seule expliquer pourquoi certains problèmes parviennent à l'agenda et d'autres non. Pour comprendre ces dynamiques, une analyse qualitative est nécessaire. Cela implique de regarder comment les acteurs qui cherchent à mettre un problème à l'agenda le construisent et le présentent de manière à attirer l'attention des décideurs politiques. Cette construction du problème peut impliquer plusieurs stratégies, telles que l'encadrement du problème de manière à le rendre pertinent pour les priorités politiques actuelles, la mobilisation d'alliés pour soutenir la cause, ou la recherche de moyens d'attirer l'attention des médias. Comprendre comment ces stratégies sont employées et dans quelle mesure elles réussissent peut offrir un aperçu précieux des processus politiques et de la façon dont les décisions sont prises.

Les problèmes ne sont pas intrinsèquement politiques ou dignes d'attention en eux-mêmes. Ils deviennent des problèmes politiques par l'intermédiaire des acteurs qui les mettent en lumière, les définissent et les présentent comme nécessitant l'attention et l'intervention du gouvernement ou des organismes publics. Cette idée s'inscrit dans un cadre de constructivisme modéré, qui reconnaît à la fois l'existence d'événements objectifs dans le monde réel et le rôle actif des acteurs sociaux dans l'interprétation, la définition et la construction de ces événements en tant que problèmes politiques. Ce processus de construction est influencé par de nombreux facteurs, tels que les intérêts des acteurs, les valeurs culturelles, les idéologies politiques, les contraintes institutionnelles et les relations de pouvoir.

Prenons l'exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM) en agriculture. Ce sujet complexe est perçu et défini de différentes manières selon les acteurs et les contextes. Pour certains, les OGM sont principalement un enjeu agricole : ils se demandent si cette technologie permettra ou non d'accroître la productivité agricole. D'autres voient les OGM sous un angle environnemental. Pour certains, ils s'inquiètent du risque de pollution génétique dû à des croisements non intentionnels avec des plantes non modifiées. Par contre, d'autres mettent en avant les bénéfices potentiels des OGM sur l'environnement, comme la réduction de l'utilisation d'herbicides. Il y a également ceux qui voient les OGM à travers le prisme de la santé publique. Pour eux, le débat n'est pas centré sur la productivité agricole ou sur les questions environnementales, mais sur la façon dont notre organisme réagit aux OGM. Ils s'interrogent sur le risque de développer des allergies à certains OGM, une fois qu'ils sont intégrés à notre alimentation, que ce soit directement ou par le biais de l'alimentation du bétail. Enfin, certains acteurs définissent le problème des OGM principalement en termes économiques et de puissance. Pour eux, le cœur du débat concerne les grandes entreprises de biotechnologie, comme Monsanto. Ils estiment que ces entreprises, majoritairement nord-américaines, risquent de créer une dépendance économique en contrôlant le marché des semences, provoquant ainsi une asymétrie entre le marché nord-américain et ceux d'autres régions comme l'Amérique latine, l'Inde ou l'Europe.

Ainsi, dans ce cas les OGM (organismes génétiquement modifiés), peut être perçu et construit de manière très différente en fonction des acteurs impliqués, de leurs intérêts spécifiques et de leurs cadres de référence.

  • Pour certains, le débat sur les OGM est principalement agricole, axé sur l'impact de la technologie sur la productivité agricole.
  • Pour d'autres, c'est un enjeu environnemental, axé sur les risques de pollution génétique ou sur la possibilité de réduire l'usage d'herbicides.
  • Certains le voient sous l'angle de la santé publique, se concentrant sur les effets potentiels des OGM sur la santé humaine, notamment le risque d'allergies.
  • Enfin, il y a ceux qui abordent la question sous l'angle économique et politique, se concentrant sur l'influence des grandes entreprises de biotechnologie et le risque de déséquilibres économiques mondiaux.

Cette multiplicité de perspectives illustre bien le concept du constructivisme en politique : la signification et l'importance d'un problème sont construites socialement, et non pas données objectivement. Cela démontre également à quel point le processus de mise à l'agenda et de définition d'un problème est complexe et sujet à des luttes et négociations constantes entre différents acteurs avec des intérêts et des perspectives variés.

La façon dont un problème est perçu et défini peut grandement influencer sa présence sur l'agenda politique. En ce qui concerne les OGM agroalimentaires, différentes dimensions de la question sont susceptibles de capter l'attention des décideurs politiques. Cependant, la perception de la gravité du problème varie considérablement en fonction des dimensions considérées. Par exemple, si la question des OGM est principalement envisagée sous l'angle de l'environnement, elle peut gagner en visibilité, notamment en raison de l'importance croissante de la protection environnementale dans l'opinion publique et les priorités politiques. D'un autre côté, si le débat se centre sur les inégalités économiques potentiellement causées par la domination de certaines grandes entreprises, la problématique peut être perçue comme plus complexe ou conflictuelle et, par conséquent, pourrait rencontrer plus de résistance à son entrée sur l'agenda politique.

La notion de « framing » ou de cadrage est un aspect clé dans l'analyse des politiques publiques. Ce concept désigne la manière dont un problème est présenté ou interprété. Le cadrage d'un problème peut influencer fortement comment il est perçu, compris et priorisé par les décideurs politiques, les médias et le public. Dans le contexte des politiques publiques, le cadrage peut être une stratégie utilisée par divers acteurs (par exemple, des groupes d'intérêt, des chercheurs, des politiciens, des journalistes) pour mettre en lumière certains aspects d'un problème, tout en en minimisant ou en omettant d'autres. En choisissant soigneusement le cadrage d'un problème, ces acteurs peuvent contribuer à déterminer si et comment un problème est abordé dans l'élaboration des politiques. Par conséquent, comprendre les mécanismes de cadrage et être capable de les utiliser efficacement est une compétence essentielle pour ceux qui souhaitent influencer l'agenda politique.

Reconnaissance d'un problème de politique publique

L'acheminement d'un problème vers l'agenda politique est un processus complexe et multifacettes, et il n'est pas garanti qu'un problème donné franchira toutes les étapes nécessaires. Pour qu'un problème soit reconnu et abordé dans l'élaboration des politiques, il doit surmonter plusieurs obstacles. La première étape consiste généralement à attirer l'attention du public et des décideurs politiques sur le problème. Cela peut impliquer de sensibiliser les gens à la question, de mobiliser l'appui des parties prenantes pertinentes et de présenter des arguments convaincants sur l'urgence et l'importance du problème. La deuxième étape consiste souvent à définir clairement le problème et à proposer des solutions viables. Cela peut nécessiter de la recherche, de la consultation et parfois de la négociation pour surmonter les divergences de vues et les intérêts conflictuels. Même une fois ces étapes franchies, le problème doit encore être inscrit à l'agenda politique, ce qui nécessite souvent d'obtenir l'appui des décideurs politiques. Parfois, malgré les efforts des défenseurs d'une cause, un problème peut être écarté de l'agenda politique en raison de contraintes politiques, de ressources limitées ou d'autres priorités concurrentes. Enfin, une fois qu'un problème est inscrit à l'agenda politique, il faut encore développer, adopter et mettre en œuvre des politiques pour le résoudre. Chaque étape de ce processus présente ses propres défis et obstacles potentiels. Ainsi, même si un problème est identifié et qu'il y a un consensus sur la nécessité d'y répondre, il n'est pas garanti qu'il arrivera au stade de la politique publique. C'est pourquoi il est important de comprendre comment fonctionne le processus d'élaboration des politiques et de s'engager activement à chaque étape pour maximiser les chances de succès.

Varone 2015 app mise à agenda et formulation 1.png

Ce schéma représente le long chemin que doivent suivre les promoteurs d’un problème public afin de la construire.

Le passage de la sphère privée à la sphère publique

Le passage de la sphère privée à la sphère publique est souvent le résultat d'une prise de conscience collective, d'une mobilisation d'acteurs ou d'un événement déclencheur. C'est cette étape qui permet de transformer une question privée ou individuelle en problème de société qui nécessite une réponse politique ou collective. Par exemple, une maladie qui affecte un grand nombre d'individus de manière privée peut être reconnue comme un problème de santé publique qui nécessite une action collective, une recherche médicale plus intense ou des politiques publiques spécifiques. De même, une situation d'inégalité sociale peut être perçue initialement comme une situation individuelle ou privée, mais une fois que cette situation est reconnue comme étant systémique ou structurelle, elle peut alors être transformée en un problème public qui nécessite une réponse politique. Cette transition du privé au public est souvent facilitée par des acteurs sociaux, tels que les associations, les groupes de pression ou les militants, qui travaillent à rendre visible le problème, à sensibiliser le public et les décideurs politiques, et à mobiliser le soutien nécessaire pour que le problème soit reconnu comme un problème public nécessitant une action collective. C'est ce que l'on appelle souvent la "mise à l'agenda" d'un problème.

La première étape de la transformation d'un problème privé en un problème public est souvent la plus difficile. La non-reconnaissance sociale du problème est un obstacle majeur à cette étape. La mobilisation individuelle est souvent difficile, car les individus peuvent ne pas se rendre compte que leur problème est partagé par d'autres, ou ils peuvent se sentir isolés ou impuissants. De plus, il peut y avoir une stigmatisation sociale ou un manque de compréhension qui empêche les gens de parler ouvertement de leur problème. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à la non-reconnaissance sociale d'un problème. Par exemple, le manque de visibilité peut empêcher la prise de conscience de l'ampleur du problème. Il se peut aussi que le problème soit ignoré ou minimisé, soit par manque d'information, soit en raison de préjugés ou d'attitudes défavorables envers les personnes affectées. L'absence de mobilisation individuelle ou collective peut également jouer un rôle majeur. Sans voix pour articuler le problème et le porter à l'attention du public, il peut facilement rester dans l'ombre. Les organisations non gouvernementales, les groupes de défense des droits et les militants jouent souvent un rôle crucial à ce stade en donnant de la visibilité au problème, en mobilisant le soutien et en plaidant pour la reconnaissance du problème comme un enjeu public. Le but est de faire passer le problème de la sphère privée à la sphère publique, de le faire reconnaître comme un problème social qui nécessite une réponse collective ou politique.

La transformation d'une situation privée en un problème public nécessite souvent l'intervention d'un ou plusieurs acteurs influents pour que le problème soit reconnu à une échelle plus large. Dans le cas des violences domestiques, de l'inceste ou du dopage sportif, bien que ces problèmes soient statistiquement significatifs, ils sont souvent cachés dans la sphère privée, ce qui rend difficile leur reconnaissance comme problèmes sociaux. Cependant, l'intervention d'une personnalité publique - par exemple, un politicien qui révèle avoir été victime de violence domestique - peut catalyser l'attention sur le problème. Cette révélation peut être le déclencheur qui amène les médias, les partis politiques et l'opinion publique à reconnaître le problème. Le phénomène de prise de conscience soudaine et collective de l'ampleur d'un problème est parfois appelé "l'effet de révélation". Cet effet peut être déclenché par un événement marquant, une révélation, un scandale, ou la prise de parole d'une personnalité publique. Une fois qu'un problème a été porté à l'attention du public de cette manière, il a plus de chances d'être pris en compte par les décideurs politiques et de devenir un sujet d'action publique. Cette dynamique met en évidence l'importance du rôle des médias, des acteurs politiques et des militants dans la construction des problèmes publics.

Mise à l'agenda par les autorités politiques

Une fois qu'une question est reconnue comme un problème social ou collectif, elle doit franchir un autre cap pour être considérée comme un problème public. Cela signifie qu'elle est perçue comme nécessitant une solution gouvernementale ou politique, plutôt qu'une simple réponse de la société civile ou des organisations non gouvernementales. Dans ce processus, la question doit être suffisamment sérieuse, urgente ou répandue pour justifier l'intervention des autorités publiques. Il est essentiel de souligner que tous les problèmes sociaux ne deviennent pas des problèmes publics. Ce passage nécessite souvent une mobilisation continue des acteurs concernés, une médiatisation de la question, et une volonté politique d'y répondre. Il s'agit donc d'une étape délicate dans le processus de construction du problème, car elle implique de convaincre un public plus large et les décideurs politiques de l'importance et de la nécessité d'aborder la question à un niveau politique et institutionnel. Les acteurs impliqués dans cette phase peuvent être divers, allant des groupes d'intérêt, des médias, des experts, aux politiciens eux-mêmes.

Il est important de comprendre que le fait qu'une question soit identifiée comme un problème social ou public ne garantit pas automatiquement qu'elle devienne une priorité politique ou figure à l'agenda politique. La construction de l'agenda politique est un processus complexe qui dépend de nombreux facteurs. Cela peut inclure l'environnement politique actuel, les priorités existantes du gouvernement, les ressources disponibles, l'opinion publique, les campagnes de plaidoyer, les événements récents, entre autres. Dans certains cas, bien que la question soit reconnue comme un problème nécessitant une intervention politique, elle peut être éclipsée par d'autres questions jugées plus urgentes ou plus pertinentes. Par ailleurs, certains problèmes peuvent être politiquement sensibles et susciter une résistance ou une controverse, ce qui peut également retarder ou empêcher leur inscription à l'agenda politique. Il est également important de noter que l'agenda politique est dynamique et sujet à des changements. Par conséquent, un problème qui n'est pas actuellement considéré comme une priorité politique peut le devenir ultérieurement en raison de changements dans le contexte politique, social ou économique.

Certains sujets sensibles, comme les réseaux de pédophilie et le travail des enfants, bien qu'ils soient largement reconnus comme des problèmes sociétaux graves, peuvent avoir du mal à figurer sur l'agenda politique pour diverses raisons. Cela peut être dû à la nature délicate de ces questions, qui peut rendre leur traitement politique complexe et potentiellement controversé. Les politiciens peuvent hésiter à aborder ces problèmes de front en raison des conséquences potentielles sur leur image publique et leur soutien électoral. Par ailleurs, il peut y avoir un manque de volonté politique pour traiter ces problèmes, surtout si leur résolution nécessite des ressources importantes ou des changements structurels profonds dans la société ou l'économie.

Le concept de "non-mise à l'agenda" ou de "non-décision" est très important en analyse des politiques publiques. Il fait référence à la situation où, bien que la gravité d'un problème soit reconnue, il n'est pas traité comme une priorité ou n'est pas abordé du tout par les autorités politiques.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles un problème peut être omis de l'agenda politique :

  • Les solutions possibles sont controversées ou politiquement risquées : Si le fait de résoudre un problème nécessite de prendre des mesures qui sont susceptibles d'être impopulaires ou controversées, les politiciens peuvent choisir de ne pas le placer à l'agenda pour éviter un coût politique.
  • Manque de ressources : La résolution d'un problème peut nécessiter un investissement substantiel de temps, d'argent et d'autres ressources. Si ces ressources ne sont pas disponibles ou pourraient être mieux utilisées ailleurs, le problème peut être omis de l'agenda.
  • Les solutions sont complexes ou incertaines : Si un problème est particulièrement complexe ou si les solutions ne sont pas claires, les politiciens peuvent choisir de ne pas le placer à l'agenda jusqu'à ce qu'une solution plus claire soit trouvée.
  • Manque de soutien public : Pour qu'un problème soit placé à l'agenda, il doit généralement y avoir un certain niveau de soutien public. Si le public ne perçoit pas le problème comme une priorité, il peut être difficile pour les politiciens de justifier de le placer à l'agenda.
  • Influence de groupes de pression ou d'intérêts particuliers : Dans certains cas, des groupes de pression ou d'intérêts particuliers peuvent exercer leur influence pour empêcher un problème d'être placé à l'agenda.

Ces "non-décisions" ont des implications importantes pour la démocratie et la gouvernance, car elles peuvent permettre à des problèmes graves de perdurer sans être résolus.

Un des articles les plus cités en science politique est l'article de Peter Bachrach et Morton Baratz, intitulé "Two Faces of Power" (Les deux visages du pouvoir) et publié en 1962, met en avant l'idée que le pouvoir ne se manifeste pas seulement dans les décisions prises, mais aussi dans l'art de contrôler l'ordre du jour politique.[1] Selon Bachrach et Baratz, il existe deux faces du pouvoir. La première est la capacité d'influencer les décisions qui sont prises, c'est-à-dire de faire en sorte que certaines actions soient entreprises par les institutions politiques. C'est la forme la plus visible et la plus souvent analysée du pouvoir. Cependant, ils soutiennent qu'il existe une deuxième face du pouvoir, peut-être encore plus importante : la capacité de contrôler l'ordre du jour et de déterminer quels problèmes et quels sujets seront discutés ou non dans l'espace public. Cette deuxième face du pouvoir est beaucoup plus subtile et difficile à détecter, car elle concerne les "non-décisions", c'est-à-dire les questions qui sont intentionnellement ou systématiquement évitées ou exclues de l'ordre du jour politique. Par exemple, un groupe d'intérêt puissant peut exercer son pouvoir non seulement en influençant les décisions politiques en sa faveur, mais aussi en s'assurant que certaines questions qui pourraient menacer ses intérêts ne sont pas abordées ou débattues publiquement. Cette approche a été extrêmement influente dans l'étude du pouvoir et de l'influence en science politique et en sociologie, et elle reste centrale dans l'analyse contemporaine des politiques publiques.

L'acte de "non-décision", ou le choix délibéré de ne pas mettre un sujet spécifique à l'ordre du jour politique, est en soi une forme d'action politique. C'est ce qu'on appelle souvent une "politique de l'inaction". C'est une décision passive qui a des conséquences tout aussi importantes que la prise de décision active. En d'autres termes, lorsque les responsables politiques choisissent de ne pas aborder un problème, ils prennent une décision par défaut sur la manière dont ce problème sera traité : il restera sans réponse ou sera laissé à d'autres acteurs, qu'il s'agisse de particuliers, d'organisations non gouvernementales ou du marché. En n'agissant pas, les autorités politiques décident en fait de maintenir le statu quo ou de laisser le problème se résoudre de lui-même, ce qui peut avoir des conséquences très réelles. Par exemple, une "non-décision" concernant la régulation des émissions de gaz à effet de serre contribue implicitement au problème du changement climatique. C'est pourquoi l'analyse des "non-décisions" est un aspect important de l'étude des politiques publiques et du pouvoir politique. Elle permet de comprendre non seulement ce que font les gouvernements, mais aussi ce qu'ils ne font pas, et pourquoi.

Même si un problème social parvient à être thématisé et à atteindre l'agenda politique, cela ne garantit pas que des mesures concrètes seront prises pour le résoudre. Le passage à la phase de formulation d'une politique publique implique souvent une série de négociations et de compromis entre différents acteurs politiques, et nécessite généralement un certain niveau de consensus. Si ce consensus fait défaut, ou si les opinions divergent trop sur la meilleure façon de traiter le problème, le processus peut stagner. Dans ce cas, bien que le problème soit reconnu comme relevant de l'action publique, aucune politique spécifique n'est adoptée pour y faire face. C'est un scénario courant dans de nombreux domaines de politique publique, où les débats et les controverses peuvent empêcher l'avancement de solutions potentielles. Le thème peut rester sur l'agenda politique pendant une longue période, sans qu'aucune action concrète ne soit prise. Cela peut entraîner des frustrations chez les parties prenantes et le public, et contribuer à un sentiment d'immobilisme politique.

L'exemple de l'assurance maternité illustre parfaitement à quel point le processus de mise en place d'une politique publique peut être long et complexe. En dépit d'une reconnaissance constitutionnelle, il a fallu plusieurs décennies pour que la maternité soit effectivement reconnue comme une condition méritant une couverture d'assurance. Quant à la taxe Tobin sur les transactions financières, c'est un autre exemple de la difficulté de transformer un concept en une politique mise en œuvre. Proposée pour la première fois en 1972 par l'économiste James Tobin, cette taxe viserait à réduire la spéculation sur les marchés financiers en taxant les transactions internationales. Malgré l'appui de certaines personnalités politiques et organismes, elle n'a jamais été mise en œuvre à l'échelle mondiale, démontrant une fois de plus la complexité des processus politiques.

La définition d'un problème public est un processus complexe qui nécessite de surmonter diverses étapes. Les chercheurs dans le domaine des politiques publiques qui s'intéressent à la construction des problèmes et à leur mise à l'agenda cherchent à comprendre quelles sont les dimensions que les acteurs manipulent pour construire un problème et comment ils réussissent à inscrire un problème à l'agenda. Il s'agit notamment d'identifier les éléments clés qui déterminent comment un problème est perçu et compris, et quels sont les facteurs qui facilitent ou entravent son inscription à l'agenda politique. Cela pourrait inclure des facteurs tels que la présence ou l'absence de consensus public ou politique, la gravité perçue du problème, la disponibilité de solutions réalisables, et les intérêts politiques, économiques ou sociaux en jeu. Ces dimensions peuvent varier considérablement selon le contexte et le problème spécifique, et la compréhension de ces dynamiques est essentielle pour ceux qui cherchent à influencer l'agenda politique.

Construction (stratégique) des problèmes

Les recherches empiriques suggèrent que les problèmes qui réussissent à se hisser sur l'agenda politique possèdent souvent certaines caractéristiques. Ce ne sont pas forcément des caractéristiques objectives, mais des caractéristiques qui peuvent être construites.

Labéliser le problème

Une caractéristique commune des problèmes qui parviennent à l'agenda politique est qu'ils sont souvent présentés comme étant d'une sévérité particulière. Ceux qui cherchent à promouvoir le problème tentent de persuader les décideurs politiques de la gravité de la situation et des conséquences potentiellement dramatiques de l'inaction. Cela sert à instiller un sentiment d'urgence et à inciter les décideurs à agir pour prévenir ou atténuer ces conséquences négatives.

Le choix des termes utilisés pour décrire un problème peut grandement influencer la perception de sa gravité. En utilisant des labels forts ou alarmants, les acteurs qui cherchent à mettre un problème à l'agenda politique renforcent l'idée de la sévérité de la situation et des conséquences potentiellement désastreuses de l'inaction. L'emploi d'une terminologie adéquate est donc crucial pour attirer l'attention des décideurs et du public, et susciter une prise de conscience collective autour du problème.

La question du périmètre

La deuxième dimension, celle du périmètre, complète en effet la première. Elle pose la question de l'étendue de l'impact du problème : combien de personnes sont concernées et dans quelle mesure ? En théorie, plus le problème touche de personnes, plus il est susceptible d'attirer l'attention des décideurs politiques. Cependant, l'audience d'un problème ne se mesure pas uniquement en nombre de personnes affectées. La nature même des personnes concernées, c'est-à-dire leur statut, leur rôle dans la société ou leur vulnérabilité, peut également jouer un rôle déterminant dans l'attribution d'une importance politique au problème.

Une analyse particulièrement intéressante a été réalisée à propos de l'attention accordée au SIDA par les décideurs politiques du Congrès américain. Aujourd'hui, bien que le SIDA ne soit pas un sujet dominant dans nos débats publics, il est intéressant de noter qu'il n'y a pas toujours une corrélation directe entre l'ampleur objective d'un problème de santé publique et l'attention qu'il reçoit de la part des politiciens.

Ces chercheurs ont constaté que l'attention accordée au problème du SIDA par le Congrès américain et le budget alloué à sa lutte ont connu des variations significatives au fil du temps. Ils se sont donc interrogés sur les facteurs expliquant ces variations. Leur analyse a révélé que ces changements étaient largement influencés par la perception de qui était affecté par le problème du SIDA. En d'autres termes, la façon dont le problème était "encadré" ou "présenté" politiquement, ainsi que la manière dont les groupes d'intérêt et les associations définissaient les victimes du SIDA, jouaient un rôle crucial dans la détermination de l'attention accordée au problème par les politiciens.

Au début de l'épidémie de SIDA, le problème était souvent perçu comme affectant principalement certains groupes marginalisés, tels que les hommes homosexuels ou les utilisateurs de drogues intraveineuses. Cependant, au fur et à mesure que l'épidémie progressait, il est devenu clair que le virus affectait une population beaucoup plus large. Lorsque le SIDA a commencé à être perçu comme un problème touchant un public plus large, y compris les personnes hétérosexuelles et les enfants, l'attention accordée au problème par les politiciens et le financement alloué à sa lutte ont augmenté. Cet exemple illustre comment la perception de l'audience d'un problème - qui est affecté par ce problème - peut influencer l'attention politique accordée à ce problème. Cette perception de l'audience peut être influencée par la façon dont le problème est "encadré" ou "présenté" dans les discours politiques et par les groupes d'intérêt.

Lorsque le SIDA était principalement associé à des groupes socialement marginalisés ou stigmatisés, comme les homosexuels et les consommateurs de drogues intraveineuses, il y avait moins de volonté politique d'aborder le problème sérieusement. Certains discours de l'époque étaient extrêmement préjudiciables et suggéraient que le SIDA pourrait être une forme d'"auto-élimination" pour ces groupes marginalisés. Ces attitudes ont contribué à un manque d'attention et de ressources consacrées à la lutte contre le SIDA.

La révélation de Magic Johnson en 1991 qu'il avait été diagnostiqué séropositif a radicalement modifié la perception du VIH/SIDA. Jusqu'à ce moment, le VIH/SIDA était largement considéré comme une maladie affectant principalement la communauté gay et les utilisateurs de drogues. Mais lorsque Magic Johnson, un sportif très respecté et connu pour son comportement hétérosexuel, a révélé qu'il était atteint du VIH, cela a changé la façon dont la maladie était perçue et comprise par le grand public. Cette annonce a aidé à élargir le périmètre du problème, à montrer que le VIH/SIDA n'était pas limité à certains groupes marginalisés, mais qu'il pouvait toucher n'importe qui, y compris les athlètes de renommée mondiale. Cela a entraîné une prise de conscience et une augmentation significative de l'attention portée au VIH/SIDA, non seulement aux États-Unis mais aussi dans le monde entier. Cela a conduit à une augmentation des fonds pour la recherche et le développement de traitements, ainsi que pour les programmes de prévention et d'éducation. C'est un exemple frappant de la façon dont les perceptions de qui est affecté par un problème peuvent influencer l'attention politique et les ressources consacrées à sa résolution.

La révélation que le virus du VIH/SIDA avait infecté la communauté hémophile à la suite de transfusions de sang contaminé a marqué une nouvelle étape dans la perception publique et politique de la maladie. Les personnes atteintes d'hémophilie sont généralement considérées comme des patients innocents qui contractent la maladie sans aucune faute de leur part, contrairement aux préjugés souvent associés aux communautés homosexuelles et aux utilisateurs de drogues. Cette nouvelle audience a attiré l'attention sur les problèmes systémiques du système de santé et sur les questions de sécurité du sang. Cela a également mis en évidence la nécessité d'une politique de santé publique plus robuste pour prévenir la propagation du virus, y compris un meilleur dépistage du sang et des protocoles de traitement plus sûrs. Ainsi, l'élargissement de l'audience du VIH/SIDA à des groupes plus larges et plus diversifiés de la société a joué un rôle clé dans l'augmentation de l'attention politique accordée à la maladie et dans la formulation de politiques plus efficaces pour la combattre.

L'identification d'une audience concernée par un problème est une étape cruciale pour attirer l'attention politique sur une question donnée. Plus le périmètre de personnes touchées est large et diversifié, plus il est probable que le problème soit reconnu comme une question d'intérêt public nécessitant une intervention de l'État. La stratégie d'élargissement du périmètre peut inclure divers groupes sociaux. Les groupes touchés peuvent être définis par des caractéristiques communes, comme une maladie, une profession, une orientation sexuelle, un âge, ou même un lieu de résidence. De plus, ce périmètre peut évoluer avec le temps, en fonction des nouvelles informations disponibles, des évolutions sociétales, ou des actions de différents acteurs, qu'ils soient des victimes, des groupes de soutien, des chercheurs, des journalistes, ou des politiciens. Ces acteurs peuvent utiliser divers moyens pour sensibiliser l'opinion publique et les décideurs politiques à un problème, comme des campagnes de sensibilisation, des témoignages, des études scientifiques, des reportages, des actions de lobbying ou des manifestations. Au fur et à mesure que le périmètre s'élargit et que l'attention portée au problème augmente, les chances de voir ce problème inscrit à l'agenda politique et de voir des mesures prises pour le résoudre augmentent.

nouveauté du problème

La nouveauté d'un problème peut en effet attirer davantage l'attention des décideurs politiques et du public. L'intérêt pour des problèmes nouveaux peut être lié à plusieurs facteurs.

Tout d'abord, les problèmes nouveaux peuvent sembler plus urgents ou plus importants car ils sont perçus comme des menaces émergentes qui nécessitent une réponse rapide. De plus, ils peuvent être moins chargés de controverses ou de débats politiques passés, ce qui peut faciliter la prise de décision. Ensuite, les politiciens peuvent être intéressés par des problèmes nouveaux car ils offrent des opportunités de se distinguer et de faire preuve de leadership. Ils peuvent présenter des solutions à ces problèmes comme des innovations politiques et les utiliser pour renforcer leur image publique. Enfin, les problèmes nouveaux peuvent capter l'attention des médias et du public, qui sont souvent attirés par des sujets nouveaux et actuels. Cela peut créer une pression publique pour que les décideurs politiques agissent. Cependant, le fait qu'un problème soit nouveau ne garantit pas qu'il sera abordé. De nombreux autres facteurs, tels que la gravité du problème, le nombre de personnes touchées et la disponibilité de solutions possibles, peuvent également influencer la manière dont les problèmes sont abordés dans l'agenda politique.

Les questions d'environnement et de pollution ont suivi cette trajectoire, se réinventant constamment pour rester pertinentes dans l'agenda public et politique. La pollution atmosphérique a d'abord été considérée comme un problème localisé (le smog urbain), mais a ensuite été reconfigurée comme une menace pour les forêts et enfin comme un contributeur au changement climatique global. De manière similaire, le débat actuel sur les particules fines et la pollution de l'air dans les zones urbaines constitue une nouvelle itération de ce problème persistant. En reformulant le problème de la pollution atmosphérique en termes de santé publique, les défenseurs de l'environnement ont réussi à maintenir l'attention du public et des responsables politiques sur cette question. Cela illustre une tactique clé utilisée par ceux qui cherchent à influencer l'agenda politique : re-cadrer et re-définir constamment un problème pour le garder à l'ordre du jour. Ce processus peut impliquer l'identification de nouvelles dimensions du problème, la connexion du problème à d'autres problèmes perçus comme plus urgents, ou la mise en avant des impacts du problème sur de nouveaux groupes de personnes. La capacité à re-cadrer efficacement un problème est souvent cruciale pour attirer l'attention des médias, du public et des responsables politiques. C'est une compétence clé pour les militants, les lobbyistes et autres acteurs cherchant à influencer l'agenda politique.

La représentation d'une situation

L'urgence d'un problème est une autre dimension critique qui peut influencer sa priorisation dans l'agenda politique. En représentant une situation comme une crise, les acteurs peuvent créer une pression supplémentaire pour une intervention politique rapide. Cela peut aider à surmonter l'inertie politique et à favoriser des mesures immédiates. La représentation d'une situation comme une crise peut être alimentée par divers facteurs, tels que l'ampleur apparente du problème, l'ampleur de son impact, la vitesse à laquelle elle s'aggrave, ou la perception que des conséquences néfastes importantes peuvent résulter de l'inaction. Cette représentation peut être renforcée par des messages alarmistes dans les médias, par l'attention du public, par des preuves ou des études scientifiques, ou par des événements dramatiques liés au problème. Toutefois, il convient de noter que l'utilisation de la rhétorique de la crise peut avoir des effets néfastes. Si elle est utilisée à l'excès ou de manière injustifiée, elle peut contribuer à un cynisme général et à une fatigue de la crise parmi le public et les responsables politiques, ce qui peut en fin de compte nuire à l'efficacité de cette stratégie.

La nature de certains problèmes se prête plus facilement à la construction de l'urgence. Des événements dramatiques tels que les attentats terroristes ou les épidémies entraînent généralement une réponse politique immédiate en raison de leur impact soudain et potentiellement dévastateur. Par contre, les problèmes qui se développent plus lentement ou de manière moins visible peuvent être plus difficiles à représenter comme urgents. Par exemple, la dégradation progressive du paysage peut ne pas sembler immédiatement menaçante pour de nombreux citoyens ou responsables politiques. Pourtant, si elle n'est pas traitée, elle pourrait avoir des conséquences à long terme sur l'environnement, le bien-être humain et l'économie. Dans de tels cas, les acteurs doivent souvent recourir à des stratégies créatives pour souligner l'urgence de la situation. Cela peut impliquer l'utilisation de preuves scientifiques, la mise en évidence des conséquences potentiellement graves à long terme de l'inaction, ou le rattachement du problème à d'autres problèmes plus visibles ou pressants. Par exemple, la Fondation suisse pour la protection du paysage pourrait relier la dégradation du paysage à des problèmes plus immédiats tels que la perte de biodiversité, l'augmentation des inondations dues à l'érosion du sol, ou l'impact sur le tourisme et l'économie locale.

Dans le monde complexe des politiques publiques, la concurrence pour l'attention et les ressources est souvent féroce. De nombreux problèmes importants doivent être traités, mais les ressources (qu'il s'agisse de temps, d'argent ou de volonté politique) sont limitées. C'est particulièrement vrai en période de crise ou lorsque d'autres problèmes plus urgents ou plus visibles se présentent. Pour éviter d'être éclipsé par d'autres problèmes, les défenseurs d'un enjeu peuvent devoir se battre continuellement pour maintenir leur problème à l'agenda public. Cela peut impliquer diverses stratégies, telles que la construction d'alliances avec d'autres groupes, la recherche d'un soutien populaire ou médiatique, ou le lobbying auprès des responsables politiques. Toutefois, même avec ces efforts, il peut être difficile pour certains problèmes de gagner l'attention et les ressources nécessaires pour être efficacement abordés, en particulier s'ils sont perçus comme moins urgents ou moins directement liés aux intérêts immédiats de la population ou des responsables politiques.

Déterminer les causes du problème

Lors de la construction d'un problème public, deux aspects essentiels sont définis : les causes du problème et ceux qui en subissent les conséquences. En précisant les causes, nous identifions et pointons du doigt des acteurs qui peuvent être vus, dans le discours politique, comme les responsables voire les coupables du problème. La question qui se pose est de déterminer quelles causes nous sommes en mesure de mettre en avant pour expliquer la nature du problème que nous cherchons à résoudre.

L'identification des causes d'un problème est une étape cruciale dans l'élaboration de politiques publiques. La manière dont ces causes sont définies a un impact direct sur le type de solutions qui seront proposées et les acteurs qui seront impliqués dans leur mise en œuvre. Les responsabilités attribuées dans cette étape peuvent également avoir des implications politiques significatives. Prenons l'exemple du débat suite à l'effondrement de maisons après un tremblement de terre au Maroc. Les interprétations de la cause de cet événement peuvent varier considérablement et mènent à des propositions de solutions différentes. Si on considère le tremblement de terre comme un accident naturel imprévisible et irrépressible, cela conduit à une approche résiliente de la politique publique. Dans ce scénario, l'accent serait mis sur des mesures telles que l'amélioration de la préparation aux urgences, la formation des habitants à la réaction en cas de tremblement de terre, et l'élaboration de plans d'intervention post-catastrophe. Si, en revanche, on considère que l'effondrement des maisons est dû à la négligence de l'État ou d'autres acteurs locaux, cela ouvre la voie à une approche préventive et réglementaire. Les solutions envisagées pourraient comprendre l'élaboration de normes de construction antisismiques plus strictes, la désignation de zones non constructibles sur des terrains particulièrement sismiques et l'application de sanctions aux acteurs qui ne respectent pas ces réglementations. En conclusion, la façon dont on définit la cause d'un problème public influence directement les types de solutions qui seront proposées, ainsi que les acteurs qui seront impliqués dans la mise en œuvre de ces solutions. Par conséquent, il est essentiel de bien comprendre et d'analyser les causes d'un problème avant de formuler des politiques publiques pour y faire face.

Il est vrai que l'attribution de la cause d'un problème à une action intentionnelle peut grandement influencer la nature des politiques publiques envisagées et la responsabilité des acteurs impliqués. Si, dans le cas des effondrements de maisons après un tremblement de terre, l'État avait en effet délimité des zones sismiques et adopté des normes de construction plus sévères pour ces zones, mais que ces mesures ont été délibérément ignorées ou contournées, cela pourrait donner lieu à des mesures punitives et à une réglementation plus stricte. Par exemple, si les promoteurs immobiliers ou les constructeurs ont intentionnellement ignoré ces règlements pour maximiser leurs profits, ils pourraient être tenus pour responsables et faire l'objet de sanctions légales. De plus, l'État pourrait renforcer sa réglementation et son contrôle des constructions dans les zones sismiques pour prévenir de futurs effondrements de maisons. De même, si l'État lui-même est jugé responsable pour ne pas avoir correctement appliqué ou fait respecter ses propres réglementations, cela pourrait entraîner des changements au niveau de la gouvernance, tels que l'introduction de nouveaux mécanismes de responsabilité ou la modification des processus d'approbation de la construction. Cependant, quelle que soit la cause attribuée au problème, il est essentiel d'aborder la situation de manière holistique, en tenant compte non seulement des causes, mais aussi des effets et des facteurs sous-jacents. Cela permettra de créer des solutions plus efficaces et durables pour résoudre le problème à long terme.

Les problèmes qui peuvent être attribués à une cause intentionnelle sont en effet souvent plus facilement reconnus et traités car ils présentent des coupables clairement identifiés. Cela donne aux décideurs politiques un levier d'action pour répondre au problème, que ce soit par des sanctions légales, une réglementation accrue ou des incitations à modifier le comportement. L'attribution d'une cause intentionnelle peut également susciter une réaction émotionnelle plus forte chez le public, ce qui peut augmenter la pression sur les décideurs politiques pour qu'ils agissent. La colère, l'indignation et le désir de justice peuvent être de puissants moteurs pour mettre un problème à l'ordre du jour et motiver l'action. Toutefois, il est important de noter que l'attribution d'une cause intentionnelle peut aussi avoir des conséquences négatives. Par exemple, elle peut contribuer à la stigmatisation de certains groupes, créer des divisions au sein de la société et rendre plus difficile la recherche de solutions constructives. De plus, elle peut détourner l'attention de causes plus complexes ou structurelles qui nécessitent également d'être abordées. Enfin, il est important de s'assurer que l'attribution d'une cause intentionnelle est basée sur des preuves solides. Accuser à tort des individus ou des groupes peut conduire à l'injustice et à la méfiance envers les institutions qui sont censées résoudre le problème.

En lisant la presse et en s'informant sur les problèmes publics, il est important d'analyser et de comprendre les causes présentées. Il s'agit non seulement de discerner si la cause attribuée est accidentelle, négligente ou intentionnelle, mais aussi d'examiner de manière critique les preuves présentées à l'appui de cette attribution. En gardant à l'esprit que les problèmes attribués à une cause intentionnelle peuvent être plus susceptibles d'attirer l'attention, nous devons faire preuve de vigilance pour nous assurer que cette attribution n'est pas utilisée à des fins sensationnelles ou pour stigmatiser indûment certains groupes. Il est également essentiel de reconnaître que de nombreux problèmes publics sont complexes et peuvent être influencés par une combinaison de causes accidentelles, négligentes et intentionnelles. En fin de compte, une lecture critique des informations est nécessaire pour comprendre les nuances des problèmes publics et pour être un citoyen informé et engagé.

Niveau de complexité du problème

Les problèmes qui sont simples et faciles à comprendre ont tendance à capter plus facilement l'attention du public et à s'inscrire à l'agenda politique. Cela peut être dû à plusieurs facteurs. D'abord, les humains ont naturellement tendance à préférer les explications simples et claires. Nous sommes plus enclins à comprendre et à retenir des informations présentées de manière concise et directe. C'est pourquoi les messages politiques ou les campagnes de sensibilisation qui s'appuient sur des explications simples et directes ont tendance à être plus efficaces. Deuxièmement, les problèmes complexes impliquent souvent de nombreuses parties prenantes, chacune ayant ses propres intérêts et perspectives. Cela peut rendre difficile la prise de décision et l'élaboration d'un plan d'action clair. Troisièmement, les problèmes complexes peuvent également nécessiter des solutions tout aussi complexes, qui peuvent nécessiter du temps, des ressources et des efforts importants pour être mises en œuvre. Cela peut dissuader les décideurs politiques de s'attaquer à ces problèmes. Cependant, il est important de noter que la simplification excessive des problèmes peut également être préjudiciable. Elle peut conduire à des solutions inefficaces ou inadéquates, ou encore à la négligence de certains aspects importants du problème. Il est donc crucial d'équilibrer la simplicité et la complexité lors de l'élaboration des politiques et de l'information du public.

L'identification de boucs émissaires ou la stigmatisation de certains groupes peut être une stratégie politique utilisée pour simplifier des problèmes plus complexes et capter l'attention du public. C'est une pratique qui peut mener à une polarisation, une division et parfois à des discriminations. Prenons votre exemple sur la régulation des bonus des top-managers comme solution à la crise financière. Certes, ces bonus peuvent inciter à des comportements à risque et contribuer à la création de bulles financières, mais ils ne sont pas la seule cause des crises financières. D'autres facteurs tels que la supervision financière insuffisante, le manque de transparence sur les marchés financiers, les problèmes structurels du système financier, entre autres, jouent également un rôle. Dans ce cas, la simplification du problème et la focalisation sur les bonus des dirigeants peuvent détourner l'attention de ces autres facteurs importants et donc empêcher l'adoption de solutions plus globales et efficaces. C'est pourquoi il est important pour les décideurs, les médias et le public en général de comprendre la complexité des problèmes politiques et économiques et de résister à la tentation de chercher des solutions simples ou de blâmer des groupes spécifiques pour des problèmes complexes. Une approche plus nuancée et globale est généralement nécessaire pour résoudre ces problèmes de manière efficace et équitable..

quantification du problème

La quantification est un aspect essentiel de la définition de problème en politique. Elle offre une mesure objective de l'ampleur ou de l'importance d'un problème, et peut aider à identifier les zones prioritaires d'intervention. Par exemple, en matière de santé publique, le nombre de décès ou de maladies peut indiquer l'urgence de s'attaquer à une maladie ou à une condition particulière. Dans le domaine de l'économie, les indicateurs comme le taux de chômage, le PIB ou l'inflation sont utilisés pour évaluer l'état de l'économie et déterminer les politiques nécessaires.

La quantification peut aussi rendre un problème plus concret et plus compréhensible pour le grand public et les décideurs. Cela peut en outre faciliter le suivi et l'évaluation des politiques mises en place pour résoudre le problème. Dans certains cas, le problème peut être monétarisé, c'est-à-dire qu'on lui attribue une valeur monétaire. Cela peut aider à évaluer les coûts et les avantages des différentes solutions proposées. Par exemple, dans le cas des problèmes environnementaux, la monétarisation des coûts des dommages environnementaux peut aider à justifier des politiques de protection de l'environnement. Cependant, il est important de noter que tous les problèmes ne peuvent pas être facilement quantifiés ou monétarisés, et que certains aspects importants peuvent être négligés dans ce processus. De plus, la quantification et la monétarisation peuvent parfois simplifier excessivement un problème complexe, ce qui peut conduire à des politiques inefficaces ou injustes.

La pollution de l'air est un exemple parfait de la manière dont la quantification peut aider à faire émerger un problème à l'agenda politique. Les effets nocifs de la pollution de l'air sur la santé humaine sont bien documentés. Les scientifiques ont établi des liens directs entre l'exposition à certaines particules fines ou substances radioactives et divers problèmes de santé, y compris les maladies respiratoires et cardiovasculaires, et même certains types de cancer. Cependant, ces effets ne sont généralement perceptibles que lorsque des études épidémiologiques ont été menées pour quantifier l'impact de la pollution de l'air sur la santé humaine. Ces études permettent de recueillir des données sur le nombre de personnes touchées, la gravité des effets sur la santé, etc. Elles rendent donc le problème plus concret et peuvent servir de base à des appels à l'action. De même, la mesure de la qualité de l'air, par exemple en termes de concentration de particules fines ou de niveau de radioactivité, permet d'identifier les zones à problèmes et peut servir de base pour l'élaboration de politiques environnementales. Cependant, il est également important de noter que la quantification ne donne qu'une partie de l'image. Elle ne capture pas nécessairement tous les impacts de la pollution de l'air, comme les effets sur l'écosystème ou la qualité de vie, et elle peut parfois masquer les inégalités dans la manière dont la pollution de l'air affecte différentes populations.

La construction d'un problème requiert une certaine capacité de la part des acteurs impliqués. C'est particulièrement le cas lorsqu'il est nécessaire de recueillir, d'analyser et de présenter des données pour quantifier un problème. La quantification d'un problème peut nécessiter des compétences spécifiques, comme la capacité à mener des recherches scientifiques ou des analyses statistiques. De plus, il peut être nécessaire de disposer de ressources pour recueillir des données ou pour faire appel à des experts pour effectuer ce travail. La mise en valeur de la nature du problème est une autre compétence importante. Cela peut impliquer la capacité de raconter des histoires qui attirent l'attention sur le problème, de mener des campagnes de sensibilisation, de mobiliser des soutiens ou d'exercer une influence politique. En fin de compte, la capacité à faire reconnaître un problème dépend en grande partie de la capacité des acteurs à naviguer dans le paysage politique et social, à mobiliser les ressources nécessaires et à articuler efficacement la nature et l'importance du problème.

Quels acteurs jouent un rôle important ?

Pourquoi un problème suit-il ce parcours causal jusqu'à sa conclusion ? C'est peut-être dû à certaines caractéristiques intrinsèques du problème qui reflètent la façon dont il est structuré par les différents acteurs. Cela pourrait inclure la gravité du problème, son ampleur, sa quantification ou son objectivation, ou encore l'identification d'une cause intentionnelle. En outre, un questionnement essentiel est de déterminer qui sont les acteurs impliqués dans la construction de ces problèmes. Qui a la capacité d'influencer les décisions concernant la définition du problème ? En somme, nous devons nous demander qui est responsable de la construction des problèmes publics qui figurent à l'agenda.

Il y a différentes approches et différentes hypothèses théoriques qui ont été proposées dans la littérature. Cinq sont assez dominantes et on trouve pour ces hypothèses des démonstrations empiriques tout à fait probantes.

Modèle de la médiatisation

Selon ce modèle de médiatisation, les médias jouent un rôle essentiel dans la formation de l'agenda politique. Leur capacité à concentrer l'attention du public sur des problèmes spécifiques peut influencer les priorités des décideurs politiques qui cherchent à répondre aux préoccupations de leurs électeurs. Ce modèle peut être observé dans des situations où les politiciens donnent la priorité à des questions largement couvertes par les médias, même si elles ne sont pas nécessairement les plus urgentes ou les plus importantes sur le plan stratégique. Par exemple, un sujet tel que le changement climatique peut rester en marge de l'agenda politique jusqu'à ce qu'il soit largement couvert par les médias, suscitant une prise de conscience et une préoccupation du public. Cela peut inciter les politiciens à agir, soit en élaborant une législation pour lutter contre le changement climatique, soit en s'engageant à adopter des pratiques plus écologiques. Il est également important de noter que le rôle des médias sociaux dans la formation de l'agenda politique est de plus en plus significatif. Les plates-formes de médias sociaux permettent à des campagnes ou des mouvements de prendre de l'ampleur rapidement, parfois entraînant une réaction politique. C'est le cas par exemple du mouvement "Black Lives Matter" ou de campagnes de sensibilisation à des problèmes de santé spécifiques. Toutefois, ce modèle présente aussi des risques. Les médias peuvent parfois accentuer ou déformer certains problèmes, ce qui peut conduire à une représentation déformée de leur importance ou de leur urgence. Par ailleurs, le cycle de l'actualité médiatique est souvent beaucoup plus rapide que le processus politique, ce qui peut conduire à une pression pour des réponses rapides plutôt que des solutions réfléchies et durables. En somme, le modèle de médiatisation suggère que l'agenda politique est fortement influencé par les médias, mais cette influence doit être équilibrée par une prise en compte critique et réfléchie des problèmes qui méritent une attention politique.

Les médias jouent un rôle crucial dans la mise en lumière de problèmes qui peuvent ne pas être immédiatement visibles pour le public ou les responsables politiques. Le journalisme d'investigation en est un parfait exemple, où le travail rigoureux et détaillé des journalistes peut dévoiler des scandales financiers, politiques ou environnementaux. Ces révélations, une fois diffusées par les médias, peuvent susciter une vive réaction de l'opinion publique et devenir une priorité sur l'agenda politique. Un exemple flagrant est le scandale du Watergate aux États-Unis dans les années 1970. Le journalisme d'investigation du Washington Post a révélé des pratiques illégales au plus haut niveau du gouvernement, ce qui a conduit à la démission du président Nixon. C'est un cas où les médias ont directement influencé l'agenda politique. Le cas des chiens dangereux est également un exemple intéressant. Ce sujet, bien que peut-être considéré comme mineur par certains, peut soudainement gagner en visibilité et en urgence si les médias commencent à couvrir des incidents impliquant des chiens dangereux. Cela peut entraîner un appel à l'action pour des réglementations plus strictes sur la possession de certaines races de chiens.

Cependant, tout en reconnaissant le rôle crucial des médias dans la formation de l'agenda politique, il est également important de se rappeler que la couverture médiatique peut parfois être sélective et influencée par divers facteurs, tels que l'audience cible, l'orientation politique du média ou les intérêts commerciaux. Cela signifie que certaines questions peuvent être surexposées tandis que d'autres sont ignorées, ce qui peut à son tour avoir un impact sur l'équilibre de l'agenda politique.

L’hypothèse de l'offre politique

L'idée que l'offre politique (c'est-à-dire les thèmes et les problèmes que les politiciens mettent en avant lors des campagnes électorales) façonne l'agenda gouvernemental et parlementaire est une hypothèse largement reconnue. Les thèmes prioritaires d'une campagne électorale sont souvent le reflet des promesses faites par les candidats aux électeurs, et une fois élus, ces candidats sont généralement tenus de mettre en œuvre ces promesses. Ainsi, pendant la campagne, les candidats mettent en avant des problèmes spécifiques (comme l'économie, l'éducation, la santé, la sécurité, etc.) et proposent des solutions ou des politiques pour les résoudre. Ces problèmes et ces solutions constituent alors l'offre politique du candidat. Si le candidat est élu, ces problèmes deviennent une priorité pour le gouvernement et le parlement. Le nouvel élu est attendu au tournant sur ces questions et il est donc probable qu'il tente de les mettre à l'agenda politique.

Cette hypothèse repose sur l'idée que les partis politiques façonnent activement l'agenda gouvernemental et parlementaire en mettant en avant certaines questions lors des campagnes électorales. Une fois élus, ils s'efforcent de tenir leurs promesses électorales, ce qui entraîne l'intégration de ces problèmes dans l'agenda politique. Prenons l'exemple des partis de la droite radicale et les questions d'immigration. Ces partis accordent souvent une importance majeure à l'immigration lors de leurs campagnes, avec des propositions de politiques strictes sur le sujet. Les études montrent une correspondance forte entre la priorité accordée à l'immigration par ces partis durant la campagne électorale, leurs interventions parlementaires sur le sujet une fois élus, et l'importance de l'immigration dans le débat public et politique. Cela suggère que le discours des partis politiques durant la campagne électorale peut être un indicateur prédictif des problèmes qui seront prioritaires lors de la législature suivante. Il est donc important, selon cette hypothèse, d'examiner attentivement les promesses électorales des partis politiques pour comprendre quels problèmes seront à l'agenda du gouvernement et du parlement une fois l'élection passée.

Ces deux premières hypothèses - celle de la médiatisation et celle de l'offre politique - ont tendance à minimiser l'influence que les acteurs privés ou associatifs peuvent avoir dans la construction des problèmes publics. Cependant, il est évident que ces groupes, y compris les groupes d'intérêts, les lobbies et les groupes de pression, jouent souvent un rôle crucial dans ce processus. Un exemple de cette influence est le modèle de l'action corporatiste silencieuse. Selon ce modèle, les groupes d'intérêt ou les lobbies peuvent formuler des demandes spécifiques qui concernent uniquement leur propre champ d'activité, mais qui réussissent néanmoins à attirer l'attention des décideurs politiques. Ces groupes peuvent influencer discrètement l'agenda politique en faisant valoir leurs intérêts spécifiques, en proposant des solutions à des problèmes spécifiques ou en mettant en lumière des questions qui auraient autrement été négligées. Il est donc essentiel de prendre en compte l'influence de ces acteurs lors de l'analyse de la construction des problèmes publics. Bien que leur influence puisse être plus discrète ou spécifique que celle des médias ou des partis politiques, elle n'en est pas moins significative.

Il est courant que des groupes professionnels spécifiques, comme les agriculteurs ou les banquiers, utilisent cette stratégie de mise à l'agenda. À travers leurs associations professionnelles - par exemple, l'Union suisse des paysans, l'Association suisse des banquiers ou l'Association des banquiers privés - ils anticipent les problèmes qui peuvent affecter directement leur domaine. En identifiant un problème à l'avance, ces groupes peuvent proposer des solutions avant même que le problème ne devienne une question publique majeure. Cela leur permet de formuler des demandes directes aux partis politiques ou aux départements gouvernementaux concernés, plaçant le problème sur l'agenda politique. Généralement, ces groupes voudront aussi s'assurer que c'est leur solution qui est prise en compte par le gouvernement. Ils chercheront ainsi à obtenir une sorte de caution de l'État pour la résolution de ce problème. Cette stratégie leur permet non seulement de contrôler l'agenda politique, mais aussi d'éviter que d'autres parties prennent le contrôle de la thématique qui les concerne. Cela démontre combien l'influence des acteurs privés et associatifs peut être décisive dans la construction des problèmes publics.

L'action corporatiste silencieuse s'effectue généralement par le biais de lobbying, une pratique généralement discrète et peu médiatisée. Ces activités, bien que parfois politisées par certains partis, restent souvent en dehors du feu des projecteurs. Cependant, leur impact n'est pas à négliger. En effet, ces actions mènent souvent à l'inscription de certains sujets ou problèmes à l'agenda du gouvernement ou du parlement. Ainsi, ces groupes d'intérêt privés sont capables d'influer considérablement sur le débat public, même si leur activité n'est pas toujours visible aux yeux du grand public.

Les nouveaux mouvements sociaux

Les nouveaux mouvements sociaux sont des formes collectives d'action qui émergent souvent en réponse à des problèmes sociaux spécifiques. Ils ne sont pas nécessairement structurés autour d'organisations formelles, mais mobilisent néanmoins de grandes masses de personnes autour de thèmes ou d'enjeux particuliers. Ces mouvements peuvent concerner diverses questions, telles que l'environnement, les droits des femmes, les droits des LGBTQ+, le racisme, la justice sociale, et bien d'autres. Ils utilisent souvent des tactiques non conventionnelles, comme les manifestations de masse, les sit-ins, les boycotts, et les campagnes de désobéissance civile pour attirer l'attention sur leurs revendications. Grâce à leur capacité à mobiliser un grand nombre de personnes, les nouveaux mouvements sociaux peuvent exercer une pression considérable sur les décideurs politiques et influencer l'agenda politique. Ils jouent ainsi un rôle essentiel dans la formation de l'opinion publique et la mise en lumière de problèmes sociaux majeurs qui peuvent autrement être ignorés ou marginalisés.

Des mouvements comme la lutte antinucléaire ou les mouvements altermondialistes sont de bons exemples de ces nouveaux mouvements sociaux. Ils utilisent des méthodes d'action directe, comme les manifestations, parfois même violentes, pour attirer l'attention sur des questions qui sont souvent négligées ou évitées par le discours politique traditionnel. Prenons le cas du mouvement antinucléaire. Ce mouvement a émergé en réponse aux préoccupations concernant les dangers et les risques environnementaux associés à l'énergie nucléaire. En organisant des manifestations de masse et en menant des campagnes de sensibilisation, ils ont réussi à attirer l'attention du public et des politiciens sur ces problèmes, influençant ainsi l'agenda politique. De même, les mouvements altermondialistes, qui prônent une forme de globalisation plus juste et équitable, ont également utilisé des tactiques similaires. Ils organisent souvent des manifestations massives lors des sommets du G8 ou du G20, par exemple, pour exprimer leur opposition aux politiques économiques néolibérales et mettre en lumière les inégalités croissantes. Ces mouvements ont réussi à placer leurs préoccupations au centre du débat public, malgré le fait qu'ils abordent souvent des sujets qui sont généralement laissés de côté par les canaux politiques traditionnels.

Les principales suppositions débattues ici portent sur le type de manifestation qui a le plus de chances d'influer sur l'agenda politique. Trois hypothèses principales ont été avancées :

  1. Fréquence des manifestations : Cette hypothèse suggère que plus les manifestations se produisent fréquemment, plus elles sont susceptibles de faire monter un problème sur l'agenda politique. Cela peut être dû à l'attention constante des médias et à la pression publique persistante qui force les politiciens à prêter attention et à répondre à ces questions.
  2. Taille de la manifestation : Selon cette hypothèse, plus le nombre de participants à une manifestation est important, plus il est probable que le thème abordé sera à l'agenda. Une manifestation massive peut indiquer une préoccupation ou une mécontentement généralisé au sein de la population, ce qui peut forcer les politiciens à prendre en compte ces problèmes.
  3. Degré de violence de la manifestation : Cette hypothèse postule que le caractère non conventionnel, non encadré, non permis ou carrément violent d'une manifestation peut augmenter son impact. En effet, ces manifestations ont tendance à attirer une attention médiatique massive, ce qui peut mettre une pression sur les politiciens pour qu'ils traitent les problèmes soulevés par les manifestants. Cependant, il est à noter que la violence lors des manifestations peut aussi provoquer une réaction négative et polariser davantage le débat.

Ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent toutes contribuer à déterminer le degré d'influence qu'un mouvement social peut avoir sur l'agenda politique. Il est également important de noter que d'autres facteurs, tels que le contexte politique, la structure de l'agenda politique et la réaction des politiciens, peuvent également jouer un rôle dans ce processus.

L'administration

Dans ce contexte, l'administration joue un rôle actif en fournissant des informations, des analyses et des recommandations sur divers problèmes. Cela peut être le résultat de ses propres recherches, de l'examen des meilleures pratiques internationales ou de l'évaluation des tendances et des défis émergents. Par exemple, un département de santé publique peut identifier un problème de santé publique émergent, comme une nouvelle maladie ou une augmentation des taux de certaines conditions de santé, et travailler pour inscrire ce problème à l'agenda politique. Cela dit, l'administration ne travaille pas de manière isolée. Elle peut travailler en collaboration avec d'autres acteurs, comme les groupes de la société civile, les organisations non gouvernementales, les chercheurs universitaires et les parties prenantes du secteur privé, pour recueillir des informations, développer des analyses et formuler des recommandations politiques. Cette collaboration peut aider à renforcer l'expertise de l'administration et à étayer ses efforts pour inscrire un problème à l'agenda politique. Il est également important de noter que l'administration a la capacité d'anticiper les problèmes avant qu'ils ne deviennent des crises. Cela est particulièrement important dans des domaines comme la santé publique, la sécurité nationale, l'environnement et l'économie, où la détection et la gestion précoces des problèmes peuvent prévenir des dommages graves et coûteux. Enfin, l'administration peut également jouer un rôle dans la définition de la manière dont un problème est compris et encadré. Cela peut influencer la manière dont le problème est perçu par le public, par les décideurs politiques et par d'autres acteurs, ce qui peut à son tour influencer la manière dont le problème est abordé politiquement.

Dans le domaine de la santé publique, l'administration joue un rôle essentiel dans la définition des politiques de prophylaxie. Cela peut comprendre la sensibilisation du public aux dangers de certaines substances ou comportements, la promotion de modes de vie sains et la mise en place de mesures préventives pour lutter contre des problèmes de santé spécifiques.[2] Par exemple, pour faire face au problème de la toxicomanie, l'administration pourrait mettre en place des programmes de prévention et de sensibilisation, établir des politiques pour le traitement et le soutien des toxicomanes, et travailler à réduire l'offre et la demande de drogues illicites. De même, pour lutter contre les problèmes de santé liés au tabagisme et à la consommation d'alcool, l'administration peut mettre en place des campagnes de sensibilisation pour informer le public des risques associés à ces comportements, promouvoir des alternatives plus saines, mettre en œuvre des politiques de taxation et de réglementation pour réduire la consommation, et offrir des ressources pour aider ceux qui souhaitent arrêter de fumer ou réduire leur consommation d'alcool. En somme, l'administration, en raison de son expertise et de sa capacité à recueillir et à analyser des informations, joue un rôle crucial dans la définition et la mise en œuvre de politiques de santé publique visant à prévenir et à gérer les problèmes de santé.

Les hauts fonctionnaires, en raison de leur position au sein de l'administration, ont souvent un accès privilégié et direct aux décideurs politiques. Leurs rôles au sein des ministères leur permettent de communiquer directement avec les membres du gouvernement, souvent par le biais de leur chef de département qui est membre du collège gouvernemental ou de l'exécutif. En conséquence, ces hauts fonctionnaires peuvent être en mesure d'attirer l'attention des décideurs politiques sur des problèmes spécifiques, d'encourager l'inscription de ces problèmes à l'agenda politique et de participer à la formulation de politiques pour résoudre ces problèmes. Ils peuvent être particulièrement efficaces pour faire avancer des questions sur lesquelles ils ont une expertise particulière ou qui sont particulièrement pertinentes pour leur domaine de responsabilité. Il convient toutefois de noter que la capacité des hauts fonctionnaires à influencer l'agenda politique peut varier en fonction de divers facteurs, notamment le contexte politique, la nature du problème en question et le degré d'attention que les décideurs politiques accordent à ce problème.

L'adoption de l'euro en tant que monnaie unique au sein de l'Union européenne est un bon exemple de l'importance de l'anticipation interne dans la formulation de l'agenda politique. Dans ce cas, la Commission européenne, qui agit en tant qu'organe exécutif de l'UE, a joué un rôle clé dans l'élaboration et la promotion de l'idée de l'euro. Elle a identifié les avantages potentiels d'une monnaie unique - tels que la facilitation du commerce et des investissements entre les États membres de l'UE, la stabilisation des prix et la prévention des fluctuations monétaires - et a travaillé à convaincre les décideurs politiques et le public de la nécessité d'une telle monnaie. Cela a été fait sans la pression des mouvements sociaux, des médias ou des groupes politiques spécifiques. Au lieu de cela, c'était une initiative largement technocratique, fondée sur l'expertise économique et l'anticipation des problèmes futurs que l'euro pourrait aider à résoudre. Cependant, il convient de noter que l'adoption de l'euro n'a pas été sans controverses et a soulevé de nombreux débats politiques et économiques, à la fois avant et après sa mise en œuvre. Malgré cela, l'euro est devenu une réalité, ce qui démontre le pouvoir de l'anticipation interne dans la définition de l'agenda politique.

Les organisations internationales ont souvent un grand pouvoir d'influence dans la définition de l'agenda politique, même à un niveau national. C'est particulièrement vrai dans des domaines comme l'environnement, la santé publique, les droits de l'homme ou l'économie, où les problèmes ne connaissent pas de frontières nationales et nécessitent une action coordonnée à l'échelle mondiale. Par exemple, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) joue un rôle important dans la mise en évidence des problèmes de santé publique et la promotion des politiques nécessaires pour y faire face. De même, les accords sur le changement climatique, comme l'Accord de Paris, sont largement influencés par les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), une organisation internationale. Ces organisations internationales ont souvent un impact majeur sur l'agenda politique national, en mettant en lumière des problèmes qui peuvent être ignorés ou minimisés au niveau national, et en proposant des solutions qui nécessitent une action à l'échelle internationale. Néanmoins, leur influence varie selon les contextes politiques et culturels spécifiques des différents pays, et leur capacité à "imposer" leur agenda peut être limitée par les résistances locales et les priorités nationales.

Les organisations internationales telles que l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Union européenne (UE) peuvent avoir une influence considérable sur la politique intérieure des pays membres et non-membres. Ces organisations peuvent exercer une pression politique et économique pour encourager les réformes et les changements de politique. Dans le cas de la Suisse, un pays réputé pour son secteur bancaire privé et ses lois strictes en matière de secret bancaire, l'OCDE et l'UE ont exercé une pression pour une plus grande transparence fiscale. Ces organisations internationales ont souligné la nécessité d'une plus grande coopération internationale en matière fiscale pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales. En réponse à ces pressions, la Suisse a dû entreprendre des réformes pour se conformer aux normes internationales. Cela a conduit à une révision des lois sur le secret bancaire et à l'introduction de nouvelles réglementations pour améliorer la transparence et la coopération fiscale. C'est un exemple clair de la manière dont l'agenda politique interne d'un pays peut être influencé par les pressions internationales.

Comprendre pourquoi un thème précis domine l'agenda politique nécessite d'analyser comment ce problème a été construit, façonné et mis en avant par divers acteurs. Ces acteurs peuvent être des politiciens, des groupes d'intérêt, des organisations non gouvernementales, des médias ou des organisations internationales, entre autres. Chacun de ces acteurs utilise des stratégies spécifiques pour attirer l'attention sur un problème. Par exemple, ils peuvent chercher à dramatiser un problème, à le simplifier pour le rendre compréhensible, à le quantifier pour illustrer son ampleur, ou à identifier une cause intentionnelle pour le rendre plus concret. De plus, ces acteurs peuvent avoir recours à divers moyens pour inscrire leur problème à l'agenda politique. Ils peuvent organiser des manifestations, mener des campagnes médiatiques, faire pression sur les politiciens, proposer des législations, ou même recourir à la violence dans certains cas. En somme, l'inscription d'un problème à l'agenda politique est le résultat d'un processus complexe impliquant une multitude d'acteurs et de stratégies. C'est pourquoi l'analyse de ce processus est cruciale pour comprendre pourquoi certains problèmes reçoivent plus d'attention que d'autres.

Exemple de la peine de mort aux États-Unis

La peine de mort aux États-Unis offre un exemple de comment un État utilise sa légitimité pour exercer une forme extrême de violence. Max Weber, un sociologue renommé, a défini l'État comme ayant le monopole de la violence légitime. Il a proposé que cet exercice de la violence peut prendre plusieurs formes, y compris la guerre, le prélèvement d'impôts, et dans certaines juridictions, l'exécution des peines capitales. La peine de mort est donc un reflet de la capacité de l'État à exercer la violence de manière légale et acceptée. Cela ne signifie pas pour autant que son utilisation est exempte de controverse. Aux États-Unis, la peine de mort a longtemps été un sujet de débat public intense, avec des arguments pour et contre son utilisation.

Frank Baumgartner, Suzanna De Boef et Amber Boydstun, dans leur livre "The Decline of the Death Penalty and the Discovery of Innocence" de 2008, analysent comment le problème de la peine de mort est construit et débattu aux États-Unis.[3] Ils explorent les différentes manières dont ce sujet est abordé, comment les Américains perçoivent la peine de mort, et comment ces différentes définitions du problème peuvent avoir un impact sur la politique pénale, en particulier sur le nombre de condamnations à mort et d'exécutions effectuées chaque année. Les auteurs suggèrent que les perceptions de la peine de mort sont façonnées par une variété de facteurs, y compris les attitudes individuelles, les facteurs sociaux et culturels, les représentations médiatiques et les récits politiques dominants. Par exemple, dans certains cas, la peine de mort peut être perçue comme une dissuasion nécessaire contre les crimes graves. Dans d'autres, elle est vue comme une violation des droits de l'homme ou une pratique injuste qui peut entraîner l'exécution de personnes innocentes. De plus, Baumgartner et ses collègues notent que le débat sur la peine de mort a évolué au fil du temps. Plus récemment, un récit axé sur l'innocence a gagné en importance, avec une attention accrue portée aux cas où des personnes condamnées à mort ont été innocentées grâce à de nouvelles preuves ou des tests ADN. Cela a contribué à une réduction du nombre d'exécutions et à une remise en question de l'efficacité et de l'équité de la peine de mort. En fin de compte, leur analyse suggère que la façon dont la peine de mort est définie et débattue a un impact significatif sur sa mise en œuvre et son acceptabilité dans la société américaine.

L'histoire d'Anthony Hinton est effectivement l'un des exemples les plus marquants de personnes qui ont été injustement condamnées à mort. Accusé de deux meurtres en 1985 en Alabama, Hinton a passé près de trente ans dans le couloir de la mort avant d'être finalement libéré en 2015, après que de nouvelles analyses balistiques ont prouvé son innocence. Ce cas met en lumière plusieurs problèmes fondamentaux liés à la peine de mort. D'une part, il y a le risque très réel d'exécuter des personnes innocentes. Comme le cas d'Hinton le montre, les erreurs judiciaires peuvent se produire et des personnes peuvent passer des décennies en prison, ou même être exécutées, pour des crimes qu'elles n'ont pas commis. D'autre part, le cas d'Hinton souligne également des problèmes plus larges liés à la justice pénale, notamment le fait que les personnes pauvres et les minorités sont souvent défavorisées. Hinton a été initialement condamné sur la base de preuves balistiques défectueuses, et il n'a pas pu payer un expert indépendant pour contester ces preuves lors de son procès initial. Dans l'ensemble, l'histoire d'Anthony Hinton est un rappel puissant des enjeux entourant la peine de mort, et souligne pourquoi il est si important d'avoir un débat éclairé et nuancé sur ce sujet.

L'approche adoptée par Baumgartner et ses collègues s'inscrit dans une démarche de sociologie de la connaissance, qui s'intéresse à la manière dont les problèmes sociaux sont perçus, construits et interprétés par différentes parties prenantes. En se concentrant sur la représentation de la peine de mort dans la presse, ils visent à comprendre comment les opinions publiques sur la peine de mort sont formées et modifiées, et comment ces perceptions influencent ensuite la politique pénale. Dans cette perspective, la presse joue un rôle clé en tant que médiateur entre la société et les décideurs politiques. Les médias sélectionnent, mettent en avant et interprètent certains aspects de la réalité sociale, influençant ainsi la perception du public sur des questions spécifiques. Par exemple, la manière dont les cas d'innocents condamnés à mort sont couverts par les médias peut sensibiliser le public à la possibilité d'erreurs judiciaires et générer un soutien pour la réforme de la peine de mort. Baumgartner et ses collègues suggèrent que cette dynamique a joué un rôle significatif dans le déclin progressif du soutien à la peine de mort aux États-Unis. Alors que les erreurs judiciaires et les cas d'innocents dans le couloir de la mort ont commencé à attirer plus d'attention des médias, la perception du public sur la peine de mort a commencé à changer, menant à une pression croissante pour sa réforme.

Le processus de création de politique publique est rarement linéaire, et il est souvent représenté comme un cycle. Ce cycle comprend typiquement des phases d'identification du problème, d'élaboration de politiques, de prise de décision, de mise en œuvre et d'évaluation. Cependant, il est important de noter que ces étapes ne sont pas nécessairement séquentielles et peuvent souvent se chevaucher ou se répéter. Par exemple, l'évaluation d'une politique peut révéler de nouveaux problèmes ou des aspects inattendus du problème original, conduisant à une reformulation du problème et à une nouvelle série de politiques pour le traiter. C'est le cas de la politique de la peine de mort aux États-Unis, comme le démontre l'étude de Baumgartner et ses collègues. Alors que le débat initial sur la peine de mort se concentrait sur son rôle en tant que moyen de dissuasion contre le crime, l'émergence d'histoires médiatisées sur des innocents dans le couloir de la mort a conduit à une reformulation du problème. Au lieu de se concentrer sur la dissuasion, le débat s'est de plus en plus orienté vers la question de la justice et de l'infaillibilité du système judiciaire. Cela illustre comment l'évaluation et la rétroaction peuvent conduire à une reformulation du problème et à un changement dans le contenu de la politique publique, conduisant à ce qui peut être considéré comme une "spirale" plutôt qu'un cycle linéaire de politique publique.

La question de la peine de mort aux États-Unis reste un sujet de débat public et de politique en constante évolution. Bien que de nombreuses juridictions aient aboli la peine de mort ou décrété un moratoire sur son utilisation, d'autres continuent de l'appliquer. Les récits de condamnés à mort qui sont ensuite exonérés et libérés soulèvent des préoccupations quant à l'infaillibilité du système judiciaire, et ces histoires ont remis en question la peine de mort comme forme de justice. Cela a conduit à une reformulation du problème de la peine de mort, déplaçant le discours public du point de vue de la dissuasion criminelle vers les questions de justice et d'erreur judiciaire. C'est un excellent exemple de la manière dont les problèmes de politique publique sont souvent remis à l'agenda et redéfinis au fil du temps, en fonction de l'évolution des attitudes sociales, des preuves et des événements actuels.

Nombre de pays qui ont aboli la peine de mort.

Ce graphique montre le nombre de pays qui ont graduellement aboli la peine de mort et on voit que c’est véritablement à partir des années 1960 qu’on a une évolution quasi exponentielle du nombre de pays qui renonce à l’usage de la violence légitime par l’État sous forme d’exécution. Il est intéressant de noter que de nombreux pays ont abandonné la peine de mort au cours des dernières décennies. Selon Amnesty International, à la fin de 2020, 108 pays avaient complètement aboli la peine de mort dans leur législation pour tous les crimes, tandis que 144 pays avaient aboli la peine de mort en droit ou en pratique. Cependant, la peine de mort reste en vigueur dans certains pays, y compris aux États-Unis, qui est souvent cité comme une exception parmi les démocraties occidentales. Cependant, même aux États-Unis, il y a une tendance à l'abolition, du moins à l'échelle des États. Plusieurs États ont aboli la peine de mort ou ont déclaré un moratoire sur son utilisation. Il est également important de noter que l'opinion publique aux États-Unis sur la peine de mort a évolué au fil du temps. Bien que la majorité des Américains soutiennent toujours la peine de mort pour les meurtriers condamnés, ce soutien a diminué au cours des dernières décennies. L'évolution de l'opinion publique, ainsi que les preuves croissantes d'erreurs et de biais dans l'application de la peine de mort, pourraient conduire à une remise en question plus approfondie de la peine de mort aux États-Unis dans les années à venir.

Nombre d’exécutions aux États-Unis.

La politique de la peine de mort aux États-Unis a traversé plusieurs phases. Dans les années 1960 et 1970, la peine de mort est devenue une question très controversée aux États-Unis. Des doutes sur sa constitutionnalité ont conduit à un arrêt temporaire des exécutions. En 1972, dans l'affaire Furman c. Georgia, la Cour suprême des États-Unis a jugé que la manière dont la peine de mort était appliquée constituait une punition cruelle et inhabituelle, violant ainsi le huitième amendement de la Constitution américaine. En conséquence, toutes les condamnations à mort ont été suspendues. Cependant, en 1976, la Cour suprême a rétabli la peine de mort dans l'affaire Gregg c. Georgia, affirmant qu'elle n'était pas inconstitutionnelle en soi, mais que sa mise en œuvre devait être modifiée pour éliminer l'arbitraire dans la prise de décision. Par conséquent, les exécutions ont repris. Depuis lors, le nombre d'exécutions a augmenté, atteignant un sommet dans les années 1990 avant de commencer à diminuer. De plus en plus d'États américains ont aboli la peine de mort ou ont déclaré un moratoire sur son utilisation. En parallèle, le débat sur l'équité et l'efficacité de la peine de mort continue.

Frank Baumgartner et ses collègues ont centré leur analyse sur la période de 1960 à 2010 pour examiner la manière dont la question de la peine de mort a été débattue et traitée aux États-Unis. Durant cette période, plusieurs pays dans le monde ont abandonné la peine de mort, offrant un contraste frappant avec la situation aux États-Unis où la peine de mort est demeurée une pratique légale. Cette période a également été marquée par des évolutions majeures dans la manière dont le problème de la peine de mort a été formulé et discuté. Les chercheurs ont cherché à comprendre comment cette question a été cadrée dans les débats publics, comment les perceptions de la peine de mort ont changé avec le temps, et comment ces transformations ont affecté les politiques et les pratiques en matière de peine de mort. En analysant les discours médiatiques, les décisions juridiques, et les données sur les exécutions et les condamnations à mort, ils ont cherché à déterminer comment la problématisation de la peine de mort a influencé son évolution et son usage aux États-Unis.

Exécutions selon les États américains : 1977 - 2007

Le taux d'exécution de la peine de mort varie considérablement aux États-Unis selon les États, reflétant les différentes politiques et attitudes envers cette pratique. Par exemple, entre 1977 et 2007, le Texas a exécuté 279 personnes, soit un nombre nettement supérieur à celui de la plupart des autres États. À l'opposé, des États comme l'Alaska et Hawaï n'ont procédé à aucune exécution durant cette même période. Il est important de noter que le nombre d'exécutions doit être considéré en relation avec le nombre de condamnations à mort. En d'autres termes, un grand nombre d'exécutions dans un État peut refléter non seulement une plus grande propension à recourir à la peine de mort, mais aussi une plus grande propension à mettre effectivement à exécution les condamnations à mort. Ces variations entre les États illustrent la manière dont les questions de politique publique, y compris celles liées à la peine capitale, peuvent être influencées par des facteurs locaux et régionaux, tels que les attitudes publiques, la législation de l'État, et la philosophie des systèmes judiciaires locaux.

Population dans le couloir de la mort et exécutions depuis 1976.

Il est important de souligner la grande disparité entre les États américains en termes d'exécution de la peine de mort. Prenez par exemple le Texas et la Californie, deux États qui montrent des attitudes très différentes face à cette question. Au Texas, de 1977 à 2007, sur 392 personnes condamnées à mort ou se trouvant dans le couloir de la mort, 379 ont été exécutées, soit environ 96%. Cela signifie qu'une fois la peine de mort prononcée, elle est exécutée presque systématiquement. En revanche, en Californie, bien qu'un nombre important de personnes soient condamnées à mort ou se trouvent dans le couloir de la mort, les exécutions sont relativement rares. En effet, seuls environ 2% des condamnés à mort sont exécutés. Cela montre que, malgré la présence de la peine de mort dans le système juridique, son application varie considérablement d'un État à l'autre. Cela peut être dû à une variété de facteurs, notamment les différences de philosophie juridique, les attitudes publiques, ainsi que les processus politiques et juridiques spécifiques à chaque État.

Dans leur étude, Baumgartner et ses collègues se sont penchés sur l'impact d'une nouvelle perspective sur la peine de mort, que l'on pourrait appeler "la découverte de l'innocence". Grâce à des avancées telles que les tests ADN, il a été prouvé que de nombreuses personnes dans le couloir de la mort étaient en réalité innocentes. Cela soulève la possibilité choquante que des innocents aient été exécutés. Ces preuves scientifiques de l'innocence de certaines personnes condamnées à mort représentent un changement significatif dans la façon dont le problème est perçu. Ce changement cognitif pourrait avoir des conséquences profondes sur les pratiques effectives d'exécution. En d'autres termes, la découverte que certaines personnes dans le couloir de la mort sont innocentes a provoqué une réévaluation du problème de la peine de mort. Cette nouvelle perspective peut conduire à une baisse du nombre d'exécutions et à une réforme plus large du système de justice pénale.

Baumgartner et ses collègues ont étudié comment le concept d'innocence, introduit en partie par des facultés de droit cherchant à revoir les procès de condamnés à mort, a eu un impact significatif. Ces révisions judiciaires ont souvent révélé que certains condamnés à mort avaient été injustement jugés, sans preuves suffisantes, ou même malgré des preuves empiriques contraires. En mettant en évidence ces problèmes, ils ont découvert que le système est défectueux et injuste, et que des personnes innocentes sont exécutées. En soulignant et en médiatisant cette nouvelle définition du problème, ils ont réussi à influencer à la fois l'opinion publique et le processus politique, ce qui a finalement eu un impact sur les décisions prises par les jurys lors des procès. Cette transformation de la perception de la peine de mort souligne le pouvoir de la construction de problèmes pour changer la façon dont un problème est traité et résolu. En changeant le cadre par lequel la peine de mort est vue, ils ont réussi à influencer non seulement l'opinion publique, mais aussi les décisions de justice concrètes prises dans les tribunaux.

Dans leur recherche, Baumgartner et ses collègues ont démontré que l'argument de la "découverte de l'innocence", c'est-à-dire le risque d'exécuter des innocents, est non seulement le plus puissant, mais aussi le plus récent dans le débat sur la peine de mort. Plus encore, ils suggèrent que c'est probablement l'argument qui a eu le plus grand impact sur les décisions concrètes concernant les exécutions. Cette notion a amené une réflexion renouvelée sur l'application de la peine de mort et a alimenté un débat public et politique intense. L'idée qu'il pourrait y avoir des erreurs dans le système judiciaire, conduisant à l'exécution de personnes innocentes, a bouleversé la façon dont de nombreuses personnes perçoivent la peine de mort. La force de cet argument souligne le pouvoir des cadres de problèmes pour influencer les attitudes et les politiques publiques. En redéfinissant la question de la peine de mort en termes de risques d'injustice, ils ont réussi à avoir un impact considérable sur la façon dont cette question est perçue et traitée.

Analyse de contenu

Dans leur étude, Baumgartner et ses collègues ont mené une analyse de contenu approfondie des articles de presse relatifs à la peine de mort. Ils ont examiné les articles du New York Times, ainsi que d'autres sources de presse à l'échelle nationale et au niveau des États, depuis 1960. En tout, ils ont identifié et analysé environ 4000 articles sur la peine de mort. Pour chaque article, ils ont déterminé si l'auteur était plutôt pour ou contre la peine de mort, et sur quelle base ou quels arguments ils se fondaient pour prendre cette position. Cette méthode, connue sous le nom d'approche inductive, a permis d'éviter l'imposition de catégories prédéfinies et d'explorer plus ouvertement les arguments utilisés dans le débat. Après avoir recueilli et examiné les arguments invoqués par les auteurs, ils ont regroupé ces arguments en 65 grandes catégories. Cette méthode leur a permis de mieux comprendre la diversité des perspectives sur la peine de mort et d'identifier les arguments les plus fréquemment utilisés pour ou contre son application.

En codant ces 4000 articles, les arguments qui se trouvent dans ces articles, ils ont réussi à voir l’importance relative qui était accordée à différents arguments. Ces trois arguments représentent des thèmes importants dans le débat sur la peine de mort :

  • L'efficacité - Cet argument postule que la peine de mort a un effet dissuasif sur le crime. L'idée est que si les gens savent qu'ils risquent d'être exécutés pour certains crimes, ils y réfléchiront à deux fois avant de commettre ces actes.
  • La morale - Cet argument soulève la question de la moralité de l'État qui tue comme forme de châtiment. Ceux qui soutiennent cet argument croient que même si une personne a tué, cela ne rend pas moral pour l'État de tuer en représailles.
  • L'équité - Cet argument questionne l'équité du système judiciaire en ce qui concerne l'application de la peine de mort. Il interroge si le processus d'application de la peine de mort est impartial, ou si les personnes riches ont plus de chances d'échapper à la peine de mort tandis que les pauvres sont plus susceptibles d'être condamnés.

En analysant les articles de presse, Baumgartner et ses collègues ont pu déterminer l'importance relative de ces arguments dans le discours public sur la peine de mort.

Une autre série d'argument ajoute d'autres dimensions au débat sur la peine de mort :

  1. Les coûts - L'argument financier met en évidence le coût élevé lié à la mise en œuvre de la peine de mort, y compris les frais juridiques et d'incarcération associés. Certains peuvent argumenter que l'argent dépensé pour la peine de mort pourrait être mieux utilisé ailleurs, tandis que d'autres peuvent suggérer des alternatives économiques comme la privatisation des prisons.
  2. Les méthodes d'exécution - Les méthodes d'exécution ont fait l'objet de débats animés, en particulier en ce qui concerne leur humanité. Certaines personnes sont préoccupées par les méthodes d'exécution potentiellement cruelles ou inhumaines.
  3. La pression internationale - Avec de nombreux pays abandonnant la peine de mort, les États-Unis se trouvent sous une pression internationale croissante pour faire de même. L'image des États-Unis en tant que démocratie est également mise en question en raison de leur maintien de la peine de mort.

Après avoir analysé 4000 articles sur la peine de mort, parus depuis 1960, et identifié 65 arguments distincts dans ces textes, Baumgartner et son équipe ont conclu qu'il y a eu une croissance marquée de l'attention portée à cette question, en particulier autour des années 2000. Cette année-là, le nombre d'articles consacrés à la peine de mort a dépassé 200, ce qui représente un pic d'attention relative à ce sujet dans la presse.

Nombre d'articles dans le New York Times : saillance de l’enjeu.

Il est évident qu'il y a eu une augmentation notable de la "saillance" de ce sujet, c'est-à-dire de son importance, de sa visibilité et de la priorité qui lui est accordée dans les débats médiatiques. C'est particulièrement frappant lorsque l'on réalise que l'on atteint près de 250 articles en une seule année, ce qui signifie que deux jours sur trois, ce sujet est discuté. Cette croissance de l'attention est la plus importante et se situe principalement autour des années 2000. Il y avait un autre pic notable durant les années 1970 lors des débats sur la constitutionnalité de la peine de mort. Par conséquent, jamais la peine de mort n'a été autant discutée depuis le début des années 1960 qu'au cours de cette période des années 2000.

Cette forte augmentation de l'attention médiatique autour de la peine de mort dans les années 2000 est très révélatrice des dynamiques sociales et politiques de cette époque. Cela indique non seulement une prise de conscience croissante des problèmes inhérents à la peine de mort, mais aussi un débat public enflammé sur la question. Les années 2000 ont été marquées par des avancées technologiques significatives, comme le développement de l'ADN pour prouver l'innocence des condamnés à mort, ce qui a pu contribuer à ce pic d'attention. De plus, les problèmes systémiques dans le système judiciaire - tels que la discrimination raciale et socio-économique - sont devenus de plus en plus visibles, suscitant une critique accrue de la peine de mort. En outre, le nombre élevé d'articles suggère une tentative de la part des médias de sensibiliser le public à ces problèmes, ce qui pourrait avoir un impact sur l'opinion publique et, par conséquent, sur la politique. Cela met en évidence le rôle puissant que les médias peuvent jouer dans le façonnement de l'opinion publique et du débat politique. Enfin, le fait que l'attention portée à la peine de mort n'a pas été aussi élevée depuis les années 1970 indique que le débat sur la peine de mort aux États-Unis est cyclique, avec des périodes d'attention intense suivies de périodes de relatif silence. Cela peut refléter les changements dans les priorités politiques et sociales au fil du temps.

Croissance du concept de “ l'innocence ” : nouveau cadrage.

Cette analyse des articles de presse démontre le pouvoir de ce que l'on appelle le "framing" ou le "cadrage" dans la communication. Le cadrage, dans ce contexte, se réfère à la manière dont un sujet ou une question est présentée dans les médias, ce qui peut influencer la façon dont le public perçoit et comprend cette question. Dans le cas de la peine de mort aux États-Unis, la question de l'innocence est devenue le cadrage dominant au début des années 2000. Cela signifie que les médias ont commencé à présenter la peine de mort non pas simplement comme une question de justice ou de dissuasion, mais comme une question d'innocence ou de culpabilité potentielle. L'accent mis sur l'innocence souligne l'idée que le système judiciaire peut faire des erreurs, et que ces erreurs peuvent avoir des conséquences mortelles. Cette approche de cadrage a eu un impact significatif sur la façon dont le public perçoit la peine de mort. En présentant la peine de mort sous l'angle de l'innocence, les médias ont contribué à sensibiliser le public à la possibilité d'erreurs judiciaires et à l'injustice potentielle de la peine de mort. Il est important de noter que ce changement de cadrage n'est pas nécessairement le résultat d'une stratégie délibérée de la part des médias. Il peut également être le produit de changements dans la société, tels que l'introduction de nouvelles technologies (comme les tests ADN) ou la montée en puissance de mouvements sociaux (comme le mouvement pour l'abolition de la peine de mort). Cependant, une fois qu'un certain cadrage devient dominant, il peut avoir un effet d'entraînement, comme le suggère le fait que la question de l'innocence est restée le thème dominant dans la couverture médiatique de la peine de mort.

Analyse de ton

En analysant le ton ou la tonalité d'un article, les chercheurs peuvent déterminer si l'article est plutôt en faveur de la peine de mort (ton positif), contre la peine de mort (ton négatif), ou neutre (ni positif, ni négatif). Cette analyse du ton peut donner un aperçu précieux des attitudes et des opinions exprimées dans les médias concernant la peine de mort. Par exemple, une prédominance d'articles avec un ton négatif pourrait indiquer une tendance générale à critiquer la peine de mort. Inversement, une majorité d'articles avec un ton positif pourrait refléter un soutien général pour la peine de mort. L'analyse du ton peut également révéler comment les attitudes et les opinions peuvent changer au fil du temps. Par exemple, si la tonalité des articles sur la peine de mort devient de plus en plus négative au fil du temps, cela pourrait indiquer un changement d'opinion publique contre la peine de mort. Il est à noter que le ton d'un article peut être influencé par divers facteurs, tels que le cadrage du sujet (par exemple, si l'article se concentre sur l'innocence), les attitudes et les opinions de l'auteur, et le public cible de l'article.

“Tonalité” de la couverture médiatique : opposition croissante.

Avec ce graphique, la question est de savoir quelles sont les conclusions normatives et la ligne éditoriale. Si on regarde de 1960 à la période la plus actuelle quelle est la teneur des débats, alors on voit un équilibre entre les « pro » et « anti » peine de mort ; on se situe quelque part autour d’une position neutre, il n’y a pas de direction très claire dans un sens ou dans l’autre. Alors que dans les années où il y a un pic d’attention, le cadre de l’innocence s’impose, il est véritablement là dans une posture de soutien de la position des « anti » peine de mort. La tonalité des articles est véritablement très négative et négative comme jamais ; c’est une évolution historique, c’est un pic absolument remarquable et rare sont les renversements dans la construction d’un problème où l’attitude et le positionnement des acteurs ont cette ampleur.

Fort de ces trois constats, Baumgartner et ses collègues nous disent que le cadre de l’innocence a remplacé le cadrage. Ce cadre de l’innocence a une telle attractivité parce qu’il permet de ramasser et de rassembler d’anciens cadres du problème antérieur et notamment les inégalités face à la justice entre les noirs et les blancs aux États-Unis, entre les riches et les pauvres aux États-Unis, entre le fait que l’on puisse recourir à des soutiens de la part d’avocats.

Cette tendance observée dans le New York Times a aussi été observée dans d’autres journaux dans différents États. Mais plus encore, ce changement au niveau cognitif du débat a eu des impacts sur le nombre de condamnations ou le nombre d’exécutions. Ce n’est pas juste des histoires que l’on raconte dans la presse, ce n’est pas juste un changement de l’opinion peut-être publique, médiatique ou des politiciens, c’est quelque chose qui va modifier la pratique.

Pour essayer de tester si ce changement de cadre permettait d’expliquer ce qui se passait dans la pratique, ils ont simplement pris le nombre de condamnations et ils ont regardé l’impact du changement de cadre et de la découverte de l’innocence en particulier sur la réduction des condamnations que l’on observe à partir des années 2000. C’est un modèle statistique assez sophistiqué permettant de voir si un nouveau cadrage du problème réduit la pratique en termes de condamnation, mais aussi en termes d’exécution et ils contrôlent notamment pour toutes les variables qui pourraient aussi expliquer pourquoi on a une réduction des exécutions comme, par exemple, la transformation de l’opinion publique, des homicides ou encore de l’inertie des politiques publiques menées dans différents États. Donc, ils arrivent véritablement à la conclusion, recadrer, redéfinir un problème avec une telle ampleur qui se traduit en suite par des impacts majeurs au niveau de la mise en œuvre de cette politique et, encore en amont, de sa reformulation.

Donc, ce débat a surement eu des impacts sur la modification législative des États et ensuite sur les décisions que prennent les jurys populaires ou bien les juges quand ils doivent procéder à une condamnation ou à une exécution.

Formulation d’une politique publique : objectifs et instruments

Une fois qu’un problème a été mis à l’agenda, ce sont les pouvoirs politiques donc le gouvernement, le parlement et son administration qui vont être chargés d’élaborer différentes options et solutions afin d’essayer de résoudre le problème dont traite la politique publique. La phase de formulation ou de programmation va se solder généralement par l’adoption de bases normatives et de lois pouvant être des transformations dans le droit international, des modifications d’articles constitutionnels comme, par exemple, suite à l’adoption d’une initiative populaire, cela peut être des lois fédérales, des arrêtés fédéraux, des arrêtés fédéraux urgents ou encore des ordonnances ou des directives, tout ce qui est support normatif des politiques publiques.

Quand on analyse le contenu d’une politique publique telle qu’elle est formulée par les pouvoirs politiques, on va se concentrer sur trois éléments en particulier, à savoir sur les objectifs visés par la politique publique (1), sur les instruments d’action que l’on va mettre en place pour atteindre ces objectifs (2) et sur ce que l’on appelle les arrangements institutionnels ou les arrangements organisationnels qui sont les acteurs qui vont être responsables de mettre en œuvre les instruments (3).

Objectifs d’une politique publique

Les objectifs d’une politique publique est rien d’autre que la formulation ou l’explicitation de la solution que l’on souhaite atteindre une fois que l’on a résolu le problème. En d’autres termes, c’est la part du problème que va résoudre la politique publique. Une politique publique vise à résoudre un problème, les objectifs est donc l’explicitation de ce que l’on souhaiterait comme situation idéale une fois que l’on a résolu tout le problème ou une partie du problème.

Des objectifs, afin d’être opérant et pour guider l’action de différents acteurs qui participent à une politique publique devrait être « smart ». Ce sont des mesures spécifiques, durables, réalistes et délimitées dans le temps.

Si on prend le cas de la lutte contre le chômage, un objectif politique crédible est de dire qu’au travers de cette loi, on veut réduire, par exemple, d’ici cinq ans, de 5% le taux de demandeurs d’emploi enregistré dans les offices régionaux de placement pour les chômeurs de longue durée non qualifié. Cela est un objectif qui permet de piloter une politique publique.

Souvent, si on lit les lois, on constate que les objectifs sont tout sauf « smart ».

Avec la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, le premier article stipule les buts « La Confédération, les cantons et les communes veillent à une utilisation mesurée du sol […] ». La loi fédérale sur la protection de l’environnement, à l’article 1 stipule que « La présente loi a pour but de protéger les hommes, les animaux et les plantes, leurs biocénoses et leurs biotopes contre les atteintes nuisibles ou incommodantes […] ». La loi fédérale sur l’énergie à l’article 1 stipule que « La présente loi vise à contribuer à un approvisionnement énergétique suffisant, diversifié, sûr, économique et compatible avec les impératifs de la protection de l'environnement […] ».

Donc, bien souvent, les objectifs sont très peu précis, restent vagues et sont même parfois contradictoires. Pourquoi ? Simplement parce que si les objectifs sont trop précis, ils deviennent politiquement moins acceptables. Plus on dit concrètement ce que l’on veut, plus l’on dit ce que l’on ne veut pas par défaut. En précisant et en affichant clairement des objectifs « smart », on montre les effets distributifs de la politique publique, à savoir qui va être servie ou le problème de qui va être résolu et donc par défaut aussi quelle part du problème n’est pas traitée et n’est pas considérée comme prioritaire. Dès que l’on montre clairement les choses, il n’y a plus d’acceptabilité politique. C’est pour cela que généralement, les objectifs définis dans la constitution et dans les lois sont vagues et généraux et que les objectifs deviennent plus précis uniquement au niveau des actes de concrétisation des lois qui sont les ordonnances. Pour adopter un article constitutionnel ou une loi, il faut une majorité parlementaire et souvent, par exemple, en Suisse, un vote populaire avec une double majorité des cantons et du peuple. Ce sont des seuils d’acceptabilité politique qui sont très élevés alors que si on ne prend que les ordonnances avec lesquelles on peut être plus précis, les ordonnances ne sont pas soumises à un referendum facultatif et donc il n’y a que le gouvernement qui doit se mettre d’accord pour adopter une ordonnance. Plus on veut être précis et donc plus on va devoir l’être au niveau de concrétisation réglementaire et pas au niveau de la constitution ou de normes légales.

Les instruments d’action

Puisque les administrations publiques n’ont pas toujours des objectifs qui sont toujours bien définis, c’est généralement l’élément le plus tangible qu’on puisse observer dans une politique publique, c’est même l’appréhension la plus naturelle que l’on a des interventions de l’État. Les instruments sont ce qui relie les groupes cibles dans la société civile à l’administration. Un instrument peut être une autorisation, une interdiction ou une prescription. L’État, lorsqu’il formule ces politiques publiques a le choix, pour atteindre les objectifs voulus, entre toute une palette d’instruments. Il y énormément de recherches en analyse des politiques publiques qui cherchent à savoir pourquoi tel instrument est accepté et mis en œuvre et surtout quelle est l’efficacité de différents instruments pour atteindre les objectifs d’une politique publique.

On distingue un spectre d’instruments allant des moins intrusifs aux plus intrusifs. Quand on formule une politique publique, on voit que les différents acteurs se battent pour que l’on adopte tel instrument plutôt que tel autre.

La première catégorie est une catégorie qui repose sur l’autorégulation comme instrument. Donc, l’État veut résoudre un problème, il veut changer le comportement de certains acteurs qui causent ce problème, mais il va déléguer à ces acteurs, aux groupes cibles eux-mêmes le choix de la manière dont ils vont mettre en œuvre la politique publique. L‘exemple le plus emblématique sont les gentlemen agreements ou conventions à l’obligation de diligence des banques dans le domaine bancaire. Afin de lutter contre le blanchiment d’argent, contre l’évasion fiscale, contre le financement du terrorisme, contre le recyclage de l’argent des dictateurs, on a souvent délégué aux banques la gestion de ce problème. Dans le cadre de ces conventions de diligence, on constate que c’est l’association suisse des banquiers qui, avec les banques, négocie le respect de certaines bonnes règles de gestion des avoirs afin de lutter contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ou encore le recyclage de l’argent des dictateurs. C’est une intrusion très faible dans l’autonomie des groupes cibles que sont les banques. Cet instrument, à savoir les conventions de diligence datent depuis 1977 et a été mis à mal que très récemment suite à des pressions internationales.

Au-delà de déléguer la gestion de la politique publique au groupe cible eux-mêmes, on peut quand même essayer d’être un peu plus intrusif. L’État essaie de diriger ou de guider le comportement des groupes cibles quand même de manière un peu plus directe. Ce qu’on peut faire est des campagnes d’information ou de persuasion. Cela est typiquement recourir à une campagne de sensibilisation à des problèmes comme le SIDA et porter le préservatif qui est un acte de mise en œuvre public ou encore ne pas consommer trop de tabac avec l’insertion de photos sur les paquets de cigarettes, ou des indications sur les bouteilles d’alcool. Cela revient à dire qu’on a une vision du groupe cible à qui il manque une information. Une fois qu’il aura l’information, il aura la possibilité psychologique cognitive, l’intelligence d’adopter le bon comportement. L’État peut être un peu plus interventionniste et essayer de laisser un peu moins de marge de manoeuvre dans notre comportement puisque si on est dans la politique de consommation de tabac cela est nous même qui consomme le problème et on en pâti donc en premier lieu.

On peut essayer de donner des incitations positives ou des incitations négatives. Des incitations positives peuvent être des politiques subvention comme des programmes de sevrage avec le soutien de l’achat de patchs par exemple. Les subventions sont des instruments qui représentent une grande part du budget de la confédération et qui sont très à la mode ces temps comme dans le domaine agricole, les paysans ont manifesté il n’y a pas longtemps sur la place fédérale contre la baisse de leurs subventions, l’État leur octroyant plusieurs milliards pour que les agriculteurs adoptent des modes de production respectueux de l’environnement. Les incitations économiques, à savoir les instruments de marché, cela n’est pas seulement du positif afin de faire adopter le bon comportement, c’est aussi parfois basé sur une action qui est uniquement une sanction par le porte-monnaie quand on essaie de modifier le comportement au travers du prélèvement de taxes.

Plus on avance dans ce continuum des catégories d’instruments, plus le degré de contrainte devient important et plus il devient difficile de les faire accepter.

La catégorie suivante est encore plus contraignante que ces incitations reposant sur de la prescription, typiquement des autorisations ou encore des interdictions. Nous sommes soumis parfois à des instruments prescriptifs comme par exemple ne pas conduire une voiture sans permis. Ce registre des autorisations et des interdictions est encore plus intrusif dans les libertés qui visent à laisser moins de marge de manœuvre donc à modifier de manière plus prévisible le comportement du groupe cible.

Finalement, tout en bas de cette échelle où le degré de contrainte est le plus élevé est simplement quand on retire des pans entiers de ce qui est géré par la société civile et que c’est l’État qui, au travers d’une étatisation s’occupe maintenant d’un domaine, cela passe par des nationalisation comme, par exemple, les industries de réseau comme l’électricité, les voies de chemin de fer ou encore la poste, on souvent été des initiatives privées nationalisées et aujourd’hui on a un mouvement inverse où on ré-libéralise et où on ré-privatise certaines industries de réseau, mais cela passe aussi par des sanctions et notamment la peine de mort ou l’emprisonnent dans tout ce qui est dans le domaine pénal.

Cette liste illustre le fait qu’on doit choisir parmi ces grandes catégories d’instruments lesquelles vont être au cœur de notre politique publique ; une question qui se pose toujours et il y a de contraintes juridiques qui le rappelle si on l’oublie est de savoir quel est le lien en termes de proportionnalité que l’on a entre les objectifs voulus et les instruments retenus. Il doit y avoir une certaine adéquation et proportion entre l’ambition des objectifs et le degré de contrainte que l’on a dans les instruments. Le débat sur sécurité et liberté et où mettre le curseur en termes de proportionnalité par rapport aux objectifs que l’on veut et au degré de contrainte que l’on impose aux différentes personnes est assez illustratif de cette tension.

Exemple de la politique d'efficacité énergétique

Le choix des objectifs et le choix des instruments sont donc deux éléments centraux dans le choix des politiques publiques. Parfois, les objectifs restent vagues, généraux et contradictoires, donc ils sont peu incitatifs pour programmer la politique publique et guider sa mise en œuvre alors que les instruments représentent un élément central sur lesquelles on ne peut pas faire l’impasse, il n’y a pas de politiques publiques sans instruments.

Il existe toute une palette, un large répertoire d’instruments de politiques publiques et c’est là que s’exprime souvent un choix partisan et central dans la formulation des politiques publiques. Le long de ce continuum, il y a différentes catégories d’instruments. Nous allons voir comment peut-on appliquer ce continuum dans le cadre d’une politique publique qui est à l’agenda de la Confédération et qui le sera certainement aussi dans le cadre de la prochaine législature qui est la politique d’efficacité énergétique.

Nous avons en mémoire l’incident de Fukushima qui est l’un de ces évènements marquant ou focalisant qui a mis la question énergétique à l’agenda. La réponse du Conseil fédéral a été de dire qu’on va essayer de sortir de l’énergie nucléaire, aujourd’hui ils tergiversent sans fixer véritablement de date pour la sortie. Si on lit le dernier rapport de l’inspection fédéral sur la sécurité nucléaire on voit qu’il y a environ 950 dans le manteau de la plus vieille centrale au monde qui est en Suisse à Beznau.

Donc, a été choisi, en plus d’annoncer la sortie du nucléaire de mettre l’accent avec cette politique énergétique sur différents éléments, certes, la promotion des énergies renouvelables, mais aussi la promotion de ce qu’on appel l’efficacité énergétique.

L’efficacité énergétique est rien d’autre que le nombre d’énergie, de kilowatts heure dont on a besoin pour faire fonctionner, par exemple, nos ordinateurs. Un ordinateur qui a une haute efficacité ou efficience énergétique est un ordinateur qui consomme très peu d’électricité pour fonctionner, c’est aussi le nombre de litres dont on a besoin afin de faire rouler notre voiture. Le problème qui se pose en termes de problème public est qu’il existe aujourd’hui des technologies qui permettraient aujourd’hui d’augmenter l’efficacité énergétique d’une majorité d’appareils et si on augmentait l’efficacité énergétique de tous ces appareils, on économiserait énormément d’électricité et donc on réduirait le besoin de produire de l’électricité et notamment de manière nucléaire. C’est un problème connu et démontré avec toutes les contraintes physiques de l’efficacité énergétique depuis le premier choc pétrolier donc depuis le début des années 1970. Différents pays ont, au cours du temps, essayé d’adopter des instruments afin de promouvoir l’efficacité énergétique, pour essayer de résoudre ce problème, pour essayer de combler le retard technologique que l’on a une majorité d’appareils ; on achète beaucoup trop d’appareils, beaucoup trop de voitures qui n’utilisent pas les dernières technologies alors que c’est technologiquement faisable et économiquement rationnel.

Si on applique les catégories d’instruments au cas particulier de l’efficacité énergétique, alors on va voir que dans différents pays on a ciblé différents groupes cibles comme étant la cause du problème et on a essayé de modifier leurs comportements au travers d’un instrument en particulier.

Certains ont dit que le problème vient du fait des consommateurs qui n’achètent pas les bons appareils simplement parce qu’ils ne savent pas ce que consomme leur appareil alors de l’achat donc il faut leur donner la bonne information au travers d’une étiquette énergétique, d’un label ou au travers d’une campagne d’information. Par exemple, introduire des étiquettes énergiques et des labels de qualité a pris une dizaine d’années tellement il y avait de résistances de la part des producteurs pour accepter d’informer les consommateurs sur la consommation des appareils. Certains ont dit qu’il faut non seulement se concentrer sur les consommateurs, mais aussi sur les acheteurs de ces appareils bureautiques ou de ces appareils électroménagers et parfois, l’acheteur de l’appareil n’est pas l’utilisateur final. Si on pense aux appareils électroménagers comme les laves lignes, lave-vaisselles, cuisinières ou encore frigos, typiquement, on sait que la Suisse est un pays de locataire, et c’est donc le propriétaire qui va acheter un appareil et c’est le locataire qui va payer les coûts de fonctionnement de cet appareil comme l’électricité nécessaire pour le faire fonctionner. L’intérêt de l’acheteur et d’acheter l’appareil qui est le moins cher à l’achat et souvent ces appareils qui sont les moins chers à l’achat sont les appareils qui sont les moins efficaces d’un point de vue énergétique. Le propriétaire n’est pas concerné par le coût de fonctionnement puisque c’est le locataire qui va payer les frais de fonctionnement donc les frais d’électricité.

Il y a donc un problème de base est pour résoudre ce problème il y a les intérêts divergeant de l’acheteur et de l’utilisateur de ces appareils et li faut peut-être inciter les acheteurs à adopter le bon comportement. Il est possible de le faire avec une incitation de type économique comme, par exemple, un système de bonus – malus, on va par exemple donner un bonus tel qu’une subvention à l’acheteur qui achète les appareils les plus efficients et on va taxer les ventes d’appareils les moins efficientes d’un point de vue énergétique, le revenu de la taxe servant à financer l’octroie des subventions.

D’autres ont encore plaidé que ce n’était ni les consommateurs ni les acheteurs, mais les distributeurs ou les vendeurs qui posaient problème puisque quand on achète ces appareils on est généralement en contact avec une chaine de distribution et ces vendeurs n’avaient aucune idée de la consommation énergétique de ces différents appareils donc ils n’avançaient pas l’efficacité énergétique comme un argument de vente. Donc, si on veut renforcer la diffusion d’appareils énergétiquement efficace et donc réduire par exemple le besoin en énergie nucléaire, il faut former les distributeurs ou les vendeurs.

Une autre stratégie, un autre groupe cible qui est une quatrième entrée qui a fait l’objet de débats politiques que l’on retrouve dans les débats parlementaires ou les discussions gouvernementales de plusieurs pays, était de dire qu’il faut axer la politique publique est choisir des instruments qui visent les producteurs de ces appareils, car ce sont eux qui en amont de la chaine vont devoir changer leurs comportements. Comment essayer de changer le comportement de ces producteurs, par exemple, en introduisant des normes contraignantes ; on fixe un maximum de consommation d’électricité permise pour un appareil et si en tant que producteur, on n’arrive pas à atteindre ce degré d’efficacité énergétique, on ne peut tout simplement plus commerciale ses appareils sur le marché. C’est donc une norme contraignante que l’on doit respecter si on veut continuer à être un producteur dans ce domaine.

D’autres ont encore plaidé en amont en disant que c’est le coût de l’électricité qui est peut être trop bas ou le rôle des compagnies d’électricité qui est à revoir et il faudrait notamment inciter et inviter les compagnies électriques à fournir des facteurs plus détaillés aux ménages pour qu’ils sachent qu’elle type d’appareil consomme combien, qu’ils se rendent compte de l’enjeu financier pour eux de la consommation d’électricité de leurs appareils et si ces factures détaillées sont disponibles, alors, peut être qu’ils vont alors changer de comportement.

En fait tous ces instruments vont revenir à l’ordre du jour en Suisse et se sont des instruments dont a déjà vu les traces notamment avec les étiquettes énergétiques. Il y a des politiques qui sont mises en œuvre et ce qu’il y a d’intéressant à observer en tout cas lorsqu’on fait une analyse de la formulation des politiques publiques et que différents pays ont adoptés des instruments différents pour résoudre le même problème et surtout à des moments très différents.

Instruments adoptés par 5 pays de 1973 à 1997.

Le pays précurseur en la matière est très clairement les États-Unis qui, dès le premier choc pétrolier ont introduit un système d’étiquetage et des normes contraignantes dès 1978. En Suisse, on intervient une quinzaine d’années après étant très en retard en matière de formulation de politique et de choix d’instruments. Si on regarde ce qui s’est passé en Suisse en termes de régulation de la consommation des appareils électroménagers ou des équipements bureautiques, en Suisse, il n’y a aucune norme contraignante en la matière qui a été adoptée rapidement contrairement à ce que l’on observe par exemple aux États-Unis. Donc, il existe une énorme marge de manœuvre afin de promouvoir l’efficacité énergétique par exemple dans le domaine électroménager ou dans le domaine bureautique.

Est-ce que ces instruments servent à quelque chose et est-ce que les normes sont plus efficaces que les étiquettes énergétiques ; c’est une question à laquelle on s’intéresse lorsqu’on fait des analyses de politiques publiques et quand on va regarder les effets des instruments donc la quatrième phase est celle de l’évaluation.

Effets réels de l’étiquetage dans Union européenne.

Est représentée sur cette courbe l’efficacité énergétique au travers des étiquettes. Apparaissent les appareils qui utilisent peu d’électricité afin de fournir le service qu’on leur demande, mais aussi les appareils les moins efficaces et efficient en matière énergétique, ceux qui consomment le plus d’électricité afin de fournir leur service. Cela est vrai qu’à terme on aimerait avoir que des appareils de basse consommation. Technologiquement, économiquement, environnementalement et énergétiquement, tout le monde souhaiterait cela. L’efficacité énergétique et relativement rentable et on profite de la meilleure technologie.

Ce que l’on peut voir est comment dans le temps a évolué la vente des appareils. Sont représentées sur ce graphique les ventes qui sont faites par année. Avant l’introduction de l’étiquette, c’est la barre qui est toute à gauche, donc si on regarde la distribution des ventes, beaucoup d’appareils qui étaient de crasses énergétiques, très peu d’appareils qui étaient véritablement performants d’un point de vue énergétique. C’est la situation avant l’introduction de l’étiquette. La question est de savoir si l’introduction de l’étiquette va réussir à modifier le comportement des consommateurs et à changer les chiffres de vente de ce type d’appareil. En noir, indique la situation cinq ans après et on voit que la courbe se déplace vers des ventes avec plus d’efficacité énergétique. Il y a en fin de parcours beaucoup plus d’appareils qui sont vendus qu’au début et moins d’appareils qui sont des crasses énergétiques qui sont vendues qu’auparavant. Donc, on arrive à transformer le marché au travers d’une mesure aussi simple que l’information des consommateurs sur le fait que la consommation énergétique est un critère de choix.

Bien sûr, si on prend cette courbe, on ne mesure pas que l’impact de l’étiquette énergétique parce que d’autres instruments ont aussi été introduits au niveau de l’Union européenne notamment des normes d’efficacité énergétique. Les normes d’efficacité énergétique typiquement vont intervenir et fixer un seuil en disant que tous les appareils qui consomment plus que ce seuil ne peuvent plus être commercialisés. Graduellement, on va déplacer le seuil en direction de plus d’efficacité énergétique et dire à terme que tous les appareils qui sont du mauvais côté ne peuvent plus être commercialisés. Cette courbe va continuer à pousser vers un parc d’appareils électroménagers, d’équipement bureautique et de parc automobile qui est de plus en plus efficient. Ce sont des choses qui ont été observées aux États-Unis, au Japon, dans les pays nordiques, en Europe et également en Suisse.

Pourquoi différents « policy mix » dans différents pays pour résoudre le même problème public ?

Comment expliquer le fait que pour résoudre le même problème, celui de l’efficacité énergétique, auquel différent pays sont touchés de la même manière, on ait des réponses sommes toute différente en termes de politique publique ? le choix des instruments ne se fait pas en même temps et le type ou la composition, le mixe d’instruments n’est pas le même d’un pays à l’autre. Comment expliquer qu’il y a des différences entre les pays ?

Il est possible de recourir à différentes hypothèses afin d’expliquer le choix des instruments des politiques publiques. Nous allons en voir quatre. Généralement, on dit qu’un instrument n’est adopté que si son degré de contrainte est compatible avec l’idéologie de la majorité qui est au pouvoir. Par exemple, s’il y a une majorité de centre-droite, on ne va accepter que des instruments de type informatif, si on a une majorité de gauche, il est possible de s’attendre à ce qu’il y ait une introduction d’instruments incitatifs sous forme de taxes voire de normes contraignantes. Dans le cas des États-Unis, si on regarde les dates et que l’on connaît l’histoire des États-Unis, on sait que les normes contraignantes ont été introduites en 1978 par le président Carter avec une majorité démocrate donc véritablement pas une situation de divided government, donc une situation idéale afin de mener une politique interventionniste. Lorsque Reagan est arrivé au pouvoir en 1981, il a essayé d’empêcher l’application de ces normes et les tribunaux l’ont quand même forcé à faire ceci. Donc, on explique souvent le choix des instruments en fonction des partis politiques qui sont au pouvoir et il faut avoir une certaine adéquation entre le degré de contrainte des instruments et l’idéologie plus ou moins interventionniste et plus ou moins « pro » État.

Deuxièmement, souvent, ces instruments visent des groupes cibles qui sont plus ou moins organisés, les consommateurs sont par exemple très peu organisés, les vendeurs et les distributeurs pas beaucoup, les producteurs par contre sont très fortement organisés, il y a des associations de producteurs d’appareils électroménagers et ils se sont fortement mobilisés alors de la phase de formulation des politiques publiques pour par exemple éviter d’avoir des normes contraignantes et même lorsqu’on leur a imposé des normes contraignantes, ils ont joué tous les jeux possibles afin d’éviter que ces normes impactent sur leur propre production. Donc, comprendre le rôle des groupes d’intérêts qui rassemblent des acteurs comme, par exemple, les producteurs est quelque chose que l’on doit faire si on veut analyser le choix des instruments.

La troisième hypothèse ou facteur que l’on retrouve souvent dans les analyses sur le choix des instruments est la compétition ou l’harmonisation internationale que l’on observe entre différents pays. Quand les États-Unis ont adopté leurs normes, il y avait plein de producteurs américains qui avaient des appareils qui ne respectaient plus les normes américaines donc qui ne pouvaient plus être commercialisés sur le marché américain alors ces appareils ont été commercialisés au Canada. Le Canada n’avait pas de normes et ils ont simplement vendu sous forme de dépotoir énergétique leurs appareils au Canada. Ce qui fait que le Canada a dû réagir et il a lui-même adopté des normes contraignantes au même niveau que les États-Unis et c’est ce qu’on appel le California effect qui est une compétition entre pays, mais vers plus de réglementation, pas vers moins de règlementation comme on le pense souvent. La compétition internationale ne permet pas forcément toujours une réduction de la régulation et vers moins d’interventionnisme public. Il y a dans le cas États-Unis – Canada, une réaction du Canada qui va vers plus d’interventionnisme et vers le choix d’instruments plus contraignant pour éviter les effets négatifs de la vente d’appareils américains qui sont les moins bons énergétiquement sur le marché canadien.

Finalement, qui dit choix d’un instrument, dit non seulement des acteurs politiques qui vont décider, des groupes cible qui vont être visés, mais dit aussi des acteurs et notamment des administrations qui doivent appliquer ces instruments. Il faut avoir une administration de l’énergie quand on met en œuvre. À l’époque où les premiers instruments ont été adoptés en 1973 et 1974, il y avait plein de pays qui ne connaissaient même pas un office ou un département de l’énergie, cela n’existait pas, cela n’était pas à l’agenda. Donc, c’était les départements des affaires extérieures ou du commerce qui ont géré ces politiques et graduellement, on a vu la création d’administration de l’énergie voir d’administration de gestion de la demande de l’énergie qui dans un troisième temps ont été remplacé par des administrations au développement durable qui est un concept récent datant des années 1987 et 1992 avec le Conférence de Rio et donc qui ont amenés à la création de nouvelles structures administratives afin de mettre en œuvre ces politiques. Donc, il est difficile d’adopter un instrument si on n’a pas une administration qui est capable par exemple de surveiller le respect des étiquettes. Quand on avait introduit les étiquettes énergétiques au Canada, dans la loi avait été oublié de préciser où ces étiquettes énergétiques devaient être collées et les producteurs les avaient collés sous les frigos, sous les lave-linges et sécheuses, ils respectaient la loi. S’il n’y a pas une administration qui est capable de dire qu’il y un problème au niveau de la mise en œuvre, alors la politique est forcément inefficace.

Annnexes

Références

  1. http://www.columbia.edu/itc/sipa/U6800/readings-sm/bachrach.pdf
  2. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/prophylaxie/64379
  3. Baumgartner, F. R., De Boef, S. L., & Boydstun, A. E. (2001). The Decline of the Death Penalty and the Discovery of Innocence. Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/cbo9780511790638