La théorie égalitariste de la justice distributive de John Rawls
Une distinction très importante : concepts vs conceptions
Il est admis que toute théorie de la justice, qu’elle soit politique, sociale ou autre, implique un traitement des concepts de liberté et d’égalité. Des théories de la justice telles qu’elles sont généralement débattues en théorie politique et en philosophie politique, toutes, d’une manière ou d’une autre traitent de l’espèce de relation parfois très compliquée à obtenir entre l’idée de liberté d’un côté à savoir ce qui relève de la sphère d’action de l’individu et de l’autodétermination de l’individu, et la question de l’égalité qui est au cœur de l’idée de justice parce que la justice implique quelque part l’égalisation d’un certain type de ressources qui permet aux individus de pouvoir être libre.
Globalement, une théorie de la morale démocratique, politique et une théorie de la justice font généralement référence à des concepts très abstraits. Le concept d’égalité morale, le concept du juste chez Rawls, présupposent que nous devons déterminer quels sont les critères de répartition des fruits de notre coopération sociale en partant de l’idée que, a priori, nous sommes tous des égaux moraux, ce qui veut dire, qu’a priori, nous avons tous une même capacité à les utiliser moralement parlant et une même dignité à recevoir quelque chose des fruits de cette coopération. Le concept d’égalité morale est de dire que nous sommes tous des êtres humains, donc on nous doit une égalité de respect, on nous doit de nous considérer comme des acteurs moraux, ce qui veut dire que ce sont des critères abstraits, mais aussi très généraux qui ne permettent pas nécessairement de démarquer différentes théories. Pour Kymlicka, dans son ouvrage Les théories de la justice publié en 2003, « L’idée d’égalité morale […] est trop abstraite pour nous permettre d’en déduire une théorie de la justice. L’argumentation politique [repose] sur une idée unique et des conceptions ou des interprétations concurrentes de cette idée. Les différentes théories ne sont pas déduites de l’idéal d’égalité, elles aspirent à cet idéal, et chacune d’entre elles doit être jugée en fonction de sa réussite à exprimer cette aspiration ».[1]
Il faut faire une distinction entre le concept général comme la liberté, l’égalité et les différentes conceptions qui en découlent. On parle aussi de différentes spécifications qui sont différentes conceptions qui ont un socle commun. La théorie de la justice et les tensions qui les caractérisent portent essentiellement sur les spécifications et les conceptions et moins sur le grand principe d’égalité morale. Pour faire partie de la famille de théories libérales au sens large, toutes ces théories sont censées présupposer dans leur principe de base, l’acceptation de la théorie de l’égalité morale. Si une théorie remet radicalement en question l’idée que nous partageons quelque chose qui relève de notre condition d’humanité, en général, les théories qui remettent en question cela ressort en quelque sorte du paradigme libéral. On aura à faire à des théories qui partagent globalement l’adhésion à un principe d’égalité morale.
Au niveau du grand concept, il y a un certain accord, mais différentes conceptions qui vont mettre l’accent sur des modalités afin de penser la justice qui seront un peu différentes. Par exemple, si on part de l’idée que le fait d’avoir un salaire convenable afin de pouvoir vivre et on part de l’idée que c’est par le travail qu’il est possible de ces ressources, d’autre part qu’une société juste est une société dans laquelle les individus ont globalement des ressources équitables pour pouvoir fonctionner, être libre, faire des choix, etc. ; on pense différemment la manière d’arriver ou de penser à cette justice selon qu’on parle d’égalité des ressources, à savoir que tout le monde doit avoir la même dotation qui n’est pas la même chose que l’égalité des chances, à savoir que ce qui est important est que tout le monde puisse avoir une chance et donc occuper une place. On peut aussi imaginer qu’une égalité de résultat est qu’après la distribution, tout le monde ait la même dotation.
Ce que peut être éthiquement et de manière très abstraite un système communiste par une mise en commun des ressources, la mise en œuvre d’une grille de répartition qui ne désavantage aucun autre. Du côté de l’égalité des chances, à savoir que tout le monde doit avoir des chances équitables, de plus, tout le monde doit être traité d’une manière correcte, mais les méritants auront plus que les déméritants, les meilleurs auront plus que les moins bons ce qui se traduit dans des salaires à plusieurs millions ou des salaires qui sont en dessous du seuil de pauvreté. On peut imaginer que tant que la procédure de traitement égalitaire est la même pour tout le monde, on pourrait se poser la question de savoir ce qu’il y a de mauvais par rapport à cela. Avec l’université, il est possible de postuler qu’avec une meilleure formation, il sera possible de postuler à des emplois plus rémunérés. Dire qu’il y aura des travaux mieux rémunérer, c’est aussi partir de l’idée que, quelque part, tout le monde n’aura pas le même salaire. Cela veut dire qu’en fonction du mérite acquis ou encore des compétences, il est parfaitement légitime que certains bénéficient davantage des fruits de la coopération sociale que d’autres.
Théorie de la Justice (1971 [1987])
La question que la philosophie politique de Rawls essaie de régler est de savoir quels sont les critères équitables et justes de répartition. Il va proposer une théorie de la justice qui est très critiquée, mais qui est un peu le socle sur lequel se base la compréhension de la justice libérale au XXème siècle et qui est le standard contre lequel se positionnent de nombreuses autres théories. Rawls a formalisé une théorie dans la Théorie de la Justice publié pour la première fois en 1971 selon laquelle « la justice est la première vertu des institutions sociales ».[2][3]
Il s’agit de présenter les principales intuitions clefs de la théorie de la justice. L’ouvrage, la Théorie de la justice publié en 1971 a posé une théorie de la justice sociale. En 1993, Rawls a publié l’ouvrage Libéralisme politique.[4][5] Dans cet ouvrage, il pose les principes de justice. C’est un ouvrage plus politique cherchant à savoir comment la théorie de la justice peut s’inscrire dans une compréhension des relations politiques qui caractérise les sociétés démocratiques.[6] Il reprend les mêmes choses qu’il met davantage dans une perspective démocratique de justice politique.[7] Ce livre vient aussi en tant que critique aux penseurs communautariens qui ont commencé à attaquer dès 1971 la validité de tout le modèle rawlsien. Dans ce livre, Rawls répond à un certain nombre de ces critiques et intègre en partie quelques intuitions des communautariens. L’ouvrage, La justice comme équité est la traduction française d’un ouvrage écrit en 1999 intitulé Justice as Fairness : A Restatement.[8][9] Il revient sur trente ans de philosophie et clarifie davantage sa position. L’approche proposée par John Rawls a énormément influencé les politiques sociales. On y trouve des intuitions qui paraissent évidentes, mais qui l’étaient beaucoup moins par le passé.
En 1971, Rawls tente de proposer une troisième voie entre l’approche libérale qui caractérisait plutôt le monde occidental et l’approche marxiste. Cela a amené Rawls à être caractérisé excessivement de gauche, voire marxiste, aux États-Unis et parfois excessivement libéral et conservateur en Europe. Il a tenté de présenter une sorte de synthèse. Vraisemblablement, il y a quelque chose de gauche et un tas de prémisses libérales.
Quelques éléments généraux de la position libérale égalitariste de John Rawls
L’un des ennemis de Rawl est l’utilitarisme. En bon libéral, Rawls ne peut pas accepter la dérive sacrificielle de l’utilitarisme. Pour Rawls, qui participe d’une position déontologique, il y a quelque chose qui relève de l’inviolabilité de la personne qui ne peut pas être sacrifiée au nom de l’utilité collective ou du bonheur. Pour Rawls, l’utilitarisme a de nombreux éléments intéressants, mais le problème est qu’il peut aboutir à des pratiques complètement immorales afin de servir l’utilité du plus grand nombre. Il essaie de proposer un modèle de justice qui permet quelque part de respecter l’idée selon laquelle toutes les personnes sont des égaux moraux et donc sont libres et égaux. L’utilitarisme, du moment qu’il peut sacrifier l’un pour augmenter l’utilité des autres, ne permet pas de respecter dimension d’inviolabilité.
Parmi les différentes déclinaisons du déontologiste, il y a selon la perspective inspirée de Kant, l’idée que l’action morale implique l’adéquation à un devoir moral que nous avons. Pour Rawls, envisager sa position déontologique est de dire qu’il est nécessaire de distinguer le juste du bien parce que la poursuite du bien pourrait aller au détriment du juste.[10][11][12][13]
Qu’est-ce que la société pour John Rawls ? Dans La justice comme équité, la société est « un système équitable de coopération à travers le temps, d’une génération à l’autre, dans lequel ceux qui sont engagés dans la coopération sont considérés comme des citoyens libres et égaux et comme des membres normalement coopérants de la société pendant leur vie entière ». Pour Rawls, la société n’est pas un système de coopération. Ce n’est pas l’adhésion à des valeurs culturelles ou encore le partage de réseaux de loyauté ou encore la gemainshaft qui est une sorte de société organique où tout le monde se connaît et vie dans des réseaux de sociabilité. Pour Rawls, cela est possible, mais il envisage la société comme un système de coopération basé sur l’existence de citoyens libres et égaux. La question qu’il se pose à partir de cette définition est de savoir comment devons-nous de manière juste gérer et distribuer les produits et les fruits de cette coopération.
Dire que les personnes sont libres et égales est une conception normative. Rawls part de l’idée que les gens, en vertu du principe de l’égalité morale sont libres et égaux au même titre. Ces gens ont deux facultés importantes qui sont d’être capable d’avoir un sens de la justice (1), ce qui veut dire être capable de s’adapter, de s’impliquer ou d’agir à partir d’une certaine conception de la justice ; et toute personne est capable de rationnellement définir une conception du bien (2), à savoir une conception de toute chose par rapport auquel orienter sa vie et pour lequel cette personne vie. La conception du bien, pour certains, est ce qui donne la valeur de notre vie. C’est la vie que nous choisissons. Il ne faut pas voir la conception du bien comme quelque chose de religieux, cela peut être tout un tas de choses.
À partir de ces deux facultés morales, Rawls dit qu’il est possible progressivement d’atteindre ce qu’il appelle un « équilibre réfléchi », c’est-à-dire une sorte de jeu d’ajustements mutuels entre les principes moraux et les intuitions que nous avons par rapport à des situations particulières qui émanent de notre existence.[14][15] L’équilibre réfléchi, à savoir essayer de trouver une solution qui soit moralement acceptable et possiblement efficace entre les principes moraux et la complexité des situations qui peuvent se poser. Cela est du bon pragmatisme au sens philosophique à savoir ce va-et-vient continu entre l’intuition et le contexte ou les problèmes qui se posent. On peut imaginer que même en partant du principe déontologique qu’il ne faut pas tuer autrui, on peut dire que par équilibre réfléchit, il est possible d’arriver à justifier la légitime défense, à savoir que la légitime défense amène une entorse à un principe parce que quelqu’un meurt, mais en même temps, de manière réflexive et réfléchit, il est possible de justifier le fait que dans des situations particulières, c’est une solution moralement acceptable. On le sait par le va-et-vient entre nos intuitions, ce qui nous paraît être juste, injuste, moralement bon ou mauvais des cas qui se présentent et des théories morales auxquelles on tente d’amener un sens.
À quoi sert la justice ? Pour Rawls, il faut aboutir de manière réfléchie à des principes de justice qui visent quelque part à spécifier les termes équitables de la coopération sociale.[16] À savoir les termes équitables dans la manière d’organiser la coopération sociale et éventuellement les produits de cette coopération sociale. Pour Rawls, il est possible d’avoir tout un tas d’intuitions qui nous amènent à affiner un certain nombre de principes.
Le modèle de théorie de la justice développé dans les années 1970 est la question des biens sociaux premiers. Les biens sociaux premiers sont pour Rawls les biens de base, à savoir liberté et les opportunités, le revenu et la richesse, les pouvoirs, et les bases sociales du respect de soi qui sont nécessaires à toute possibilité offerte aux gens d’être libre. Pour Rawls, être libre signifie pouvoir poursuivre une certaine conception du bien. Rawls identifie un socle de biens premiers sociaux qui sont un produit de la société et qui ne sont pas seulement des talents que nous avons en tant qu’être humain individuel et qui sont premiers parce que sans ces biens, nous ne pouvons pas être libres. Pour Rawls, afin que les personnes puissent vivre librement, il est nécessaire qu’ils disposent d’un certain nombre de biens. Certains sont des droits, mais d’autres viennent de la distribution sociale des fruits de la richesse d’un pays. Pour Rawls, la théorie de la justice s’occupe de la distribution juste des biens premiers. Ce qui l’intéresse est la structure de base de la société, à savoir la structure sociale qui permet la distribution des biens sociaux. Il n’a pas une théorie générale de la justice qui s’appliquerait à tout, mais une théorie particulière de la justice qui s’occupe de la structure de base de la société.
Comment est-il possible de fonder et de déterminer les principes de justice ?
Toute la démarche de Rawls se veut contractualiste.[17] Il l’aura comme mécanisme afin d’aboutir à la définition de ces principes. Rawls va déterminer les principes de justice à partir de ce que les individus choisiraient. Pour lui, la meilleure manière d’aboutir à la définition des principes de justices qui sont censés êtres acceptés et suivis par tout le monde est d’imaginer une situation idéale, à savoir une « position originelle », dans laquelle des individus s’accorderaient à certaines conditions sur la supériorité de certains principes sur d’autres.[18][19][20] Du moment qu’ils accepteront un contrat, ces principes vont devenir des principes de justices qui vont venir essayer d’organiser les interactions sociales concernant les biens sociaux premiers.
La théorie de la justice est au fond une théorie de l’équité. John Rawls parle de « fairness ».[21][22][23] Il part de l’idée qu’il est nécessaire de trouver une théorie qui permette de concilier l’égalité des personnes avec la particularité des situations. Il s’inspire en partie et pas seulement d’une conception aristotélicienne qui est de traiter les cas similaires de manière similaire et les cas différents de manière différente. Cela paraît être une évidence, mais dans certains cas, on pourrait se poser la question de l’évidence. Toute formalisation asociologique parce qu’elle ne veut rien dire, a quelque part des incidences fortes sur les possibilités d’être traité de manière égale. Il n’est pas évident de traiter de manière égale. C’est pour cette raison que Rawls propose une théorie de l’équité qui soit suffisamment flexible afin de pouvoir permettre de prendre en considération un certain nombre de caractéristiques.
Rawls essaie de poser de manière idéale une théorie de la justice et des principes de justice qui devraient s’appliquer dans la société idéale. Pour lui, la société idéale est une société qui est pensée sur le principe de l’adéquation. Il part de l’idée que les individus, dans la société idéale, une fois dégagés les critères de justice, s’y adapteront parce qu’ils les considéreront comme justes et supérieurs à d’autres. Pour Rawls, il n’est pas possible de bâtir une théorie de la justice en pensant à des sous-groupes particuliers, cela est le travail des politiciens et des théoriciens non-idéaux, à savoir ceux qui s’occupent de la réalité plus telle qu’elle est.
Rawls part du constat anthropologique qui est partagé par tout le courant pluraliste et démocratique selon lequel les sociétés libres occidentales sont caractérisées par le fait du pluralisme. En réalité, il s’agit du pluralisme moral avec plusieurs différentes positions, croyances, conceptions du bien, différents groupes ou encore intérêts ; pour Rawls, ceci est le produit de la liberté. L’idée qu’on puisse avoir une société organisée autour d’une conception du bien, pour lui, est infondée sociologiquement et philosophiquement. C’est pour cette raison qu’il dit que le fait qu’il existe une telle pluralité de conceptions du bien qu’on ne peut pas s’accorder autour d’une conception commune d’un nombre parcimonieux de principes de justices. Les communautariens contestent ce point, disant que Rawls se trompe parce qu’il dissocie le bien du juste et cela rend sa théorie insipide et infondée ontologiquement. Pour les libéraux, globalement, l’idée d’une séparation entre le juste et le bien comme le produit de notre liberté est plus ou moins admise.
Rawls essaie de fonder ses critères de justice sur un contrat hypothétique. Rawls vise à déterminer les principes de justice comme équité essayant de poser les principes qui permettent d’organiser de manière équitable la société et donc la coopération sociale.[24][25] Cela se fait par un contrat hypothétique qui est basé sur le fait de mettre dans une situation équitable les gens. Il montrera que si les gens sont pensés de manière équitable, ils accepteront les principes de justice comme étant équitables. L’idée est que c’est un contrat hypothétique tentant de penser de façon fictive la position originelle qui n’existe pas, qui n’est pas cohérente d’un point de vue psychologique, mais cohérent d’un point de vue philosophique afin d’essayer de montrer que quand les gens vont se penser comme étant égaux, ils définiront et décideront ensemble des principes équitables.
L’égalité morale reste le socle du périmètre dans lequel s’inscrit Rawls. Au-delà de l’utilitarisme qu’il conteste, il y a l’idée que le mérite individuel doit être un critère de justice. Rawls attaque l’idée que la répartition équitable et juste des fruits de la coopération sociale doit se baser sur l’idée qu’il y a mérite. Pour Rawls, cela fait appel à une conception moralement arbitraire, pour lui, le mérite est moralement arbitraire. Nous n’avons aucun mérite au fait d’être méritant du point de vue physique, c’est le hasard de la vie. Même le fait que des positions arrivent à des positions supérieures n’est pas une base suffisamment solide afin de pouvoir dire que moralement, quelqu’un a le droit de garder les fruits de sa coopération. C’est une thèse forte dans un monde capitaliste assez avancé comme dans les années 1970 aux États-Unis. Il avançait qu’il faut instaurer une distance avec l’idée de mérite qui, au fond, était celle par rapport à laquelle on pensait la coopération sociale. Pour Rawls, nous ne sommes jamais seuls à faire quelque chose, il y a un travail de la société dernière et il est donc normal que par rapport à la définition des critères de justice, on tienne compte de ceci. Cela implique une protection des droits fondamentaux qui préserve la possibilité donnée aux gens de fonctionner de manière libre. Il vise à faire en sorte que ces droits et libertés de base protégés par la constitution ne soient pas remis en question par des logiques utilitaristes sacrificielles. On pourrait imaginer que quand le peuple suisse vote contre la construction de minarets par un article constitutionnel, on ne respecte pas ce principe. C’est un cas assez flagrant ou la population suisse composée à ce moment à environ à 96 % de non-musulmans, décide pour une pratique d’autres. Beaucoup de gens ne voient pas le problème de l’injustice. Pour Rawls, on serait en présence d’une préférence majoritaire illégitime.
Ce qui intéresse Rawls est les structures de base de la société, les principes qui organisent notre coopération et la collaboration sociale. Rawls part de l’idée qu’une société démocratique sera plus stable, plus en paix si elle sera organisée autour de principes justes. L’œuvre de Rawls est très inspirée de l’œuvre de Locke qui avait à l’esprit la question des guerres de religion.[26][27][28] Le paradigme des guerres de religion est véritablement quelque chose qui a structuré l’idée d’une société instable et injuste. Rawls nous dit que si on arrive à trouver la bonne manière de repartir et d’organiser la coopération sociale, si on a une société juste, on aura plus de chance d’avoir une société stable.[29]
Pour Rawls, il n’y a rien de significatif dans le fait d’avoir des capacités naturelles supérieures, il n’y a pas à être récompensé par la chance, car ce sont des circonstances. Rawls parle de son modèle comme étant une utopie réaliste. Cela paraît utopique parce que très abstrait, mais réaliste parce que basé sur des arguments rationnels qui nous paraissent évidents ou acceptables dans une logique démocratique. Rawls tente de donner des principes généraux qu’il tente de défendre et de justifier. Il va essayer de montrer quelles sont les inégalités injustes. Pour Rawls et le libéralisme, toutes les inégalités ne sont pas nécessairement injustes. Il peut y avoir des inégalités qui font partie des caractéristiques sociales de l’humanité et qui ne sont pas définies comme injustes. La question de la détermination entre les inégalités juste et injuste n’est pas toujours si évidente. Rawls essaie, par rapport à une vision très précise de ces biens premiers, de proposer quelques critères.
L’expérience de pensée envisagée par Rawls
Quel est le cadre de l’expérience de pensée de John Rawls ? Il faut distinguer trois éléments à savoir la position originaire, le voile d’ignorance et le type de stratégie que les individus choisiront.
Les conditions du contrat : la position originaire
« La position originelle représente le statu quo initial qui garantit l’équité des accords fondamentaux qui pourraient y être conclus ». C’est l’équivalent de l’état de nature des théories contractualistes classiques à savoir Hobbes[30], Locke[31] ou encore Rousseau[32]. Rawls pense à une position fictive, hypothétique, originaire dans lequel il essaie de mettre et de prédisposer une situation de choix des principes de justice qui est déjà prévue comme étant équitable à savoir comme étant basé sur l’idée que les individus sont des égaux moraux et qu’ils doivent avoir des chances équitables de décider les principes.[33] Ce qui est important est que cette position originaire ne soit pas une expérience historique ou sociologique. Le but des théories contractualistes était quelque part de définir ce que les individus choisiraient à partir d’un état naturel. Les individus en ont marre de la guerre, alors ils donnent au Léviathan le pouvoir de garantir leur survie, les individus en ont marre que leur droit de propriété soit bafoué par les autres comme chez Locke, alors ils donnent à l’État la capacité de pouvoir arbitrer les relations interindividuelles afin que la propriété soit garantie, les individus en ont marre d’être pervertis par une société politiquement et moralement défaillant et donc Rousseau crée la volonté générale qui fait que nous avons tous la pleine liberté de choix.
Rawls ne s’interroge pas sur le fait de savoir ce que les gens dans une position fictive et aux vues des problèmes de l’état de nature choisiraient. Il propose de penser à une forme de contrat qui soit fondé sur un certain nombre de principes de justices et d’aller voir si les individus rationnels considérés comme égaux et libres capables du sens du juste et d’une conception du bien s’ils pourraient les appuyer. Donc, il renverse la logique contractualiste. Les gens acceptent les principes de justices parce qu’ils sont justes, ils ne s’accordent pas ensemble pour définir les principes de justice, la situation est déjà juste au départ. Rawls montre que les gens dans cette situation juste et équitable défendront les principes de justice. C’est une situation différente que de montrer comment les gens devraient donner du pouvoir à un Léviathan sans savoir ce qui fonde le pouvoir de ce Léviathan. Rawls a un niveau plus basique de définition des principes de justice.
Le voile d’ignorance : l’ignorance comme condition d’impartialité / égalité
Quels sont les présupposés de cette situation équitable qui lui permet de constituer la position originaire avec des individus qui doivent par contrat décider ensemble quels seront les principes qu’ils vont adopter et organiser la coopération sociale ?
Pour Rawls, étant donné que ce contrat doit être juste et équitable dans sa conception, il faut mettre les gens dans une situation d’impartialité, à savoir de non-injustice. Cela veut dire que pour que les gens soient à même de décider en connaissance de cause quels sont les principes de l’équité, paradoxalement, il faut qu’ils ignorent tout un tas de choses concernant eux-mêmes. Pour Rawls, les individus fictifs ne connaissent pas leurs talents naturels, ne connaissent pas s’ils sont vieux ou jeunes, leur statut social, leur genre, leur classe sociale, leur race, leurs dispositions psychologiques telles que le courage ou la prudence ou autre, et ne connaissent pas complètement leur conception du bien. Autrement, ils ne savent pas s’ils auront la conception du bien majoritaire ou minoritaire, s’ils auront une conception du bien qui est acceptée ou pas. Ce sont des individus fictifs qui ne connaissent pas toutes les choses qui sont déjà accès sur des injustices sociales. Dans leur position originaire, il y a un voile d’ignorance qui nous aveugle sur qui nous sommes d’un point de vue social. Même la question de nos talents naturels est dépendante de nos conditions sociales. Nos talents dépendent de contextes particuliers qui les rendront juste ou injuste. Avec Rawls, si nous voulons être équitables, nous ne devons pas savoir cela parce que sinon on aura tendance à défendre notre intérêt et à valoriser certaines choses.[34][35][36]
Par contre, il y a certaines choses que nous savons comme savoir que nous sommes capables d’avoir une certaine conception du bien ou de faire certaines choses. Nous savons que nous pourrons faire des choix, que des choses nous plairont plus que d’autres et nous savons aussi qu’il n’est pas sûr que les autres nous les garantissent.
Qu’est-ce que les individus placés dans une telle situation choisiraient-ils ? La stratégie de la maximisation du minimum (maximin) [donc, aversion pour le risque]
La question de Rawls est de dire qu’est-ce que des individus rationnels dans le sens où ils vont choisir les moyens les plus efficaces afin d’atteindre leurs objectifs, à savoir une liberté et une égalité dans l’équité qui les intéresse, et qui sont désintéressés, à savoir qu’ils n’ont pas nécessairement des relations d’amitié ou d’amour à l’égard des autres, qu’est-ce que ces individus choisiront ?
La réponse de Rawls est de dire qu’il y a de fortes chances de croire que dans cette situation, il y a des individus qui usent de la stratégie du maximin, à savoir la stratégie de l’inversion du risque.[37][38][39][40] Il y a des individus rationnels qui veulent préserver leur possibilité d’être libre au sens d’avoir une conception du bien, mais qui ne savent pas s’ils seront de la bonne génération, ils ne savent pas s’ils feront partie de la bonne race ou du bon sexe, ils ne savent pas si leur talent ou pas naturel sera évalué, considéré ou pas.
Pour Rawls, dans cette situation, les individus auraient tendance à choisir les principes de justice qui vont garantir leur minimum. Donc, les principes de justices qui leur permettent de maximiser leur situation la pire. Il part de l’idée que les individus auraient tendance à accepter les principes qui leur permettraient de maximiser la dotation minimale des ressources. Les individus choisissent des critères de prudence et ce sont pour lui « les principes mêmes que des personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts et placées dans une position initiale d’égalité, accepteraient et qui, selon elles, définiraient les termes fondamentaux de leur association ». Ce qui peut paraître contre-intuitif est que nous avons affaire à des personnes libres et rationnelles, à savoir qu’il est rationnel de maximiser son minimum. Le maximin n’est pas seulement de la peur, cela serait un choix rationnel.
A | B | Richesse totale | |
---|---|---|---|
Distribution 1 | 5 | 5 | 10 |
Distribution 2 | 6 | 8 | 14 |
A | B | C | Richesse | |
---|---|---|---|---|
D1 | 10 | 8 | 1 | 19 |
D2 | 7 | 6 | 2 | 15 |
D3 | 5 | 4 | 4 | 13 |
Les stratégies suivies doivent respecter l’optimum de Pareto, à savoir l’idée que tout changement de stratégie visant l’amélioration de la situation de aboutirait à la diminution de la situation de .
Les deux principes de justice selon Rawls
1) Toute personne a un droit égal à l’ensemble le plus étendu de libertés fondamentales qui soit compatible avec l’attribution à tous de ce même ensemble de libertés (principe d’égale liberté)[41]
C’est le premier principe de justice et le plus prépondérant qui est le principe d’égale liberté en disant qu’on ne peut pas remettre en question la liberté égale pour tout le monde au nom de la liberté. Par ce principe, Rawls, quelque part, coupe l’herbe sous le pied de toute possibilité utilitariste qui reviendrait par exemple à sacrifier la liberté de personnes et de certains au nom d’une plus grande richesse voire au nom du plus grand bonheur d’autres. La seule raison pour remettre en question la liberté de quelqu’un est au nom de la liberté.
2) Les inégalités d’avantages socio-économiques ne sont justifiées que si :
- elles contribuent à améliorer le sort des membres les moins avantagés de la société (principe de différence)[42][43][44][45], et
- elles sont attachées à des positions que tous ont des chances équitables d’occuper (principe d’égalité des chances)[46][47][48]
Les relations entre les principes sont dans un ordre lexicographique, à savoir un ordre de priorités d’un principe sur les autres au sens ou 1. est prioritaire sur 2(b) et 2(a).
Le principe d’égale liberté (1) doit primer impérativement sur les considérations sociales ou économiques, ceci afin d’éviter tout « sacrifice » au nom de la maximisation de l’utilité collective. La liberté ne peut être limitée que par des considérations liées à la liberté elle-même, et non pour promouvoir l’égalité matérielle, voire sociale. Afin de préserver leur capacité à poursuivre une conception du bien ou à enrichir leurs vies, les individus s’accorderont à établir le principe sur laquelle la liberté prime sur toute autre considération. La seule manière pour qu’elle ne prime pas et qu’elle soit remise en question, mais toujours au nom de la liberté et pas pour d’autres raisons.
Le principe d’égalité des chances (2b) implique que les individus ne doivent pas être discriminés en vertu de raisons moralement arbitraires tels que le sexe, la race, la religion ou autre quand ils postulent pour des emplois. Rawls stipule que par rapport aux positions, tout le monde doit avoir un accès équitable aux positions et ne pas être discriminé pour des raisons qualifiées de moralement arbitraires comme le sexe ou la race par exemple. On a la définition de principes qui sont tout à fait conformes à l’idée de maximin. Les individus s’accorderaient à dire que ces facteurs qualificatifs ne doivent en rien déterminer notre possibilité à un accès aux emplois. Rawls, qu’il faut resituer dans les années 1970, part de l’idée que la richesse sociale se produit par le travail. Pour lui, cette forme de coopération doit être déterminée par des principes de justice.
Le principe de différence (2a) est la contribution la plus remarquée de la Théorie de la Justice, mais aussi celle qui a soulevé le plus de questions et de critiques. Il implique que l’égalité est la position par défaut et que c’est l’inégalité qui doit être justifiée.
Ce troisième point est plus polémique est que si des inégalités existent, elles ne peuvent se justifier que si elles contribuent à améliorer le sort des plus désavantagés.[49] Rawls dit implicitement que le standard serait l’égalité. Il a une conception assez progressiste pour son époque qui est l’égalité qui devrait être le standard. À partir du moment où cette égalité n’est pas possible, il est possible de justifier l’inégalité seulement si cette dernière permet d’améliorer la position des gens qui sont situés le plus bas sur l’échelle.
Ce modèle qui semble vertueux au premier abord, à savoir que si tout le monde augmente sa richesse, le monde se portera mieux ; donc dans une phase de croissance économique, on pourrait imaginer que le fait que les plus riches continuent à s’enrichir, si cela se solde tout de même par une amélioration de la situation des plus démunis, on pourrait dire que, quelque part, la justice rawlsienne est remplie parce que les plus démunis ont plus ou en tout cas pas moins. Le problème est que si on est dans une situation de croissance économique, il est possible d’imaginer un cercle vertueux où tout le monde y gagne. Néanmoins, si on entre dans une phase de non-croissance économique où les ressources globales se rétrécissent et il faut les redistribuer davantage, la question qui peut se poser est celle du point de détermination du moment à partir duquel cette sorte de redistribution, parce que le surplus de richesses accumulées par les plus avantagés doit bénéficier à la situation des plus démunies, ce qui veut dire d’avoir un État qui redistribue essentiellement les ressources. Dans une telle situation, la question qui pourrait se poser est celle de savoir à partir de quel moment les plus avantagés garderaient la motivation et l’incitation à toujours produire plus si par la suite une partie considérable de la production leur sera enlevée, pour être distribuée aux plus désavantagés.
Pour Rawls, le problème se pose en termes de principes. Il n’est pas un train de faire une analyse des politiques fiscales, il dit essentiellement que ce principe de différence est le principe que des individus les plus doués choisiraient dans la position originaire, justement parce qu’ils savent parfaitement qu’ils pourraient être du mauvais côté de la barrière, alors ils vont choisir à ce que leur situation soit la moins pire possible. Ce critère n’est pas une question de la majorité des plus démunis contre une minorité d’individus avantagés. Rawls n’est pas dans une logique de groupe, mais dans une logique où tout le monde aurait signé ces accords en vertu d’un argument rationnel vu la position de départ, à savoir une situation dans laquelle ils ne sont pas sûrs. Pour Rawls, à partir du moment où on s’engage avec ces principes, il est raisonnable de les préserver même si effectivement on est dans une situation beaucoup plus avantageuse de celle hypothétique qui n’aurait pu pas l’être.
(Quelques) points problématiques internes de l’approche rawlsienne
Peut-on vraiment choisir des principes de justice sans avoir une conception du bien ? Il est possible d’imaginer toute une foule de critiques. Par exemple, on peut s’interroger sur comment est-il possible d’avoir une conception du juste sans avoir une conception du bien ; ou encore, se demander s’il ne serait pas possible d’imaginer des positions originaires différentes où les individus fonctionnent différemment.
La conception de la personne (l’ontologie du soi) à la base de la théorie est-elle convaincante ? Peut-on baser une conception partagée et réciproque de la justice à partir d’un procédé de représentation calqué sur le modèle de l’individu rationnel ? Est-ce que ces individus, même placés dans la situation envisagée par Rawls ont suffisamment des facultés afin de passer un accord. Pour certains, ces individus ne peuvent pas passer un accord parce qu’ils n’ont pas connaissance des termes du contrat. Ce contrat, afin d’avoir une portée, doit être basé sur quelque chose. Un contrat hypothétique ne serait pas un contrat faisant que l’exercice de Rawls présente des problèmes logiques.[50]
Pourquoi choisir le maximin, donc le pessimisme ? Pourquoi ne pas imaginer des gens qui dans la position originaire diraient qu’ils prennent le risque d’être des esclaves, d’être démunis, mais qui veulent également avoir la liberté et la possibilité de devenir le maître du monde. Pourquoi ne pas choisir le maximin et non pas le maximax. Rawls a des arguments qui n’ont pas convaincu tout le monde.[51][52][53]
Pourquoi ne pas considérer davantage les implications des biens premiers naturels ? Il ne faut pas oublier que les ressources qui feront l’objet d’une distribution servent à donner un contenu aux biens premiers sociaux.[54][55] Rawls parle justement de l’importance cruciale pour notre vie de personnes libres et égales de ces biens sociaux que sont le respect, le pouvoir ou encore le minimum de richesses. Pour certains, si effectivement ce sont des biens premiers, la caractéristique qui rend ou pas une vie digne d’être vécue, mais alors est-ce que Rawls n’est pas trop prescriptif ou trop peu précis concernant les biens premiers. Par exemple, si on parle de l’idée qu’il y a des gens qui naissent avec des handicaps ou qui deviennent handicapés au cours de leur vie, qu’est-ce que veut dire, quelque part, d’améliorer le sort de ces personnes. Si on pense un terme de classe sociale ou de redistribution socio-économique des ressources, on peut vaguement imaginer que par des politiques économiques et sociales ciblées, on pourrait renforcer par des programmes de redistribution ou soutenir le revenu et le pouvoir d’achat de certaines catégories de la population.
La base universaliste, au sens d’une théorie applicable en tout temps et en toute place, est-elle plausible ? Il est possible d’imaginer comment des distributions fiscales peuvent soutenir ce type de bien. Mais qu’est-ce que cela veut dire améliorer le sort d’un porteur d’un handicap lourd, que veut dire concrètement améliorer le sort du bien premier, le respect de soi, de pouvoir ou de richesse de quelqu’un qui a besoin de monde d’acier pour survivre. Pour certains et notamment Rawls, ce n’est pas qu’il oublie les handicapés, mais c’est qu’il ne les traite pas pour la simple et bonne raison que s’il les traitait, tout le côté arithmétique et réaliste de sa proposition serait complètement plombé parce qu’on peut imaginer que peut-être même toutes les richesses du monde redistribuées à une personne ne seraient pas suffisantes afin d’améliorer de manière substantielle sa qualité de vie. On pourrait imaginer que toute forme de prélèvement fiscal qui serait adressé de manière hypothétique à une personne porteuse d’un grave handicap physique, toute cette redistribution-là ne serait pas suffisante afin d’améliorer sa vie.
Que faire des préférences individuelles dispendieuses, à savoir la différence entre choix et circonstances ? Par Rawls, on peut imaginer qu’il y a une circonstance de la vie qui fait qu’il faut d’une manière ou d’une autre essayer d’améliorer le sort de cette personne. Pour certains, il y a un moment où nous sommes aussi engagés partiellement par les choix que nous faisons. Partir de l’idée que l’État doit redistribuer les ressources pour tenir compte des mésaventures de la situation d’un désavantagé, quand cette situation-là est le produit d’un choix, ceci reviendrait à dire que Rawls donne une sorte de joker pour les goûts de luxe. C’est-à-dire qu’il va permettre aux gens de faire des choix de luxe qui ne plaisent qu’à eux, et ensuite ils comptent sur la solidarité et la redistribution des autres pour pouvoir financer les pots cassés. Cet argument ne tient pas la route, il n’est pas équitable pour la simple et bonne raison qu’il faut absolument que des formes de redistribution de soutien à l’égalité agissent quand il s’agit effectivement de préserver les possibilités des individus à être libre, autonome et de vivre leur conception du bien, mais pas du tout quand il s’agit de socialiser les moyens permettant à certains de vivre dans le luxe, dans l’oisiveté ou autre. À un certain moment, les gens doivent assumer leurs choix. Cela veut dire que certaines inégalités qui découleraient des choix, qui ne sont pas dans le radar de Rawls parce qu’il voit la position de démunis dans le cadre d’une métrique entre ceux qui vivent bien et les autres, donc, il est parfaitement injuste de financer par ce qu’on fait des choix par rapport à la santé ou autres dans le sens de financer l’aversion au risque ou les plaisirs de luxe de certains. Ainsi, la position originaire et cette vision un peu rapide des biens premiers ne réalisent pas une meilleure justice, il faut les affiner.
La base universaliste au sens de la théorie applicable en tout temps et donc en toute place est-elle plausible ? Cette question renvoie à l’idée que, quel que soit le contexte humain à tout groupe, toute culture, les individus choisiraient cette conception-là. Pour certains cela renvoie à une forme ethnocentrique de réflexion qui fait appel à des catégories de la raison propre à la modernité occidentale. Ici, on retrouve l’éternel débat entre les relativistes et les universalistes.
Les critiques de la théorie rawlsienne
Tous ces débats continuent avec les libertariens comme Hayek dans The Mirage of Social Justice publié en 1976 et dans Anarchy, State, and Utopia de Nozick publié en 1974 qui contestent la question entre autres de la redistribution disant qu’il n’y a aucune raison de prélever des ressources cumulées et produites par les individus parce que ce serait comme leur enlever une partie d’eux, c’est le concept de propriété de soi. Les communautariens comme MacIntyre dans After Virtue publié en 1981, Sandel dans Liberalism and the Limits of Justice publié en 1982 ; Walzer dans Spheres of Justice publié en 1983 ou encore Taylor dans Positive illusions publié en 1989 contestent les bases universalistes un peu désincarnées de l’approche. Quant aux républicains comme Barber dans Strong Democracy: Participatory Politics for a New Age publié en 1984, contestent une conception de la citoyenneté qui est complètement nulle et non avenue selon eux. Les poststructuralistes comme Young dans Justice and the Politics of Difference publié en 1990 et Fraser dans Transnationalizing the Public Sphere: On the Legitimacy and Efficacy of Public Opinion in a Post-Westphalian World publié en 2005 remettent en question tout en disant au fond qu’il est nécessaire de revenir à une conception de la justice qui est beaucoup plus fine par rapport aux rapports de pouvoir existant construit historiquement. Les néomarxistes comme Roemer dans Market Socialism: A Case for Rejuvenation publié en 1982 critiquent quelque part un certain nombre de raccourcis de la position de Rawls pour la simple bonne raison qu’à un certain moment, le modèle rawlsien continue à justifier bien trop d’inégalités pour qu’on puisse effectivement arriver à une situation de solidarité sociale, équitable dans lequel, comme le disait Marx, tout le monde, par rapport à ses besoins et en fonction de ses moyens.
De la Théorie de la justice (1971) au Libéralisme politique (1993)
La question est celle du libéralisme politique, à savoir quelles sont les bases de justification de nos institutions et le passage que Rawls accomplit entre la théorie de la justice et le libéralisme politique. La conception du libéralisme politique a été introduite par Rawls déjà pour contrecarrer ou répondre à un ensemble d’objections communautariennes et notamment l’idée que Rawls avait une théorie qui était trop abstraite, trop générale, trop décousue des conditions ponctuelles de production des catégories qu’elle implique.
À partir d’un certain moment, c’est en référence à une communauté de sens que ces catégories feront sens. Il faut remettre la théorie de Rawls dans un contexte. C’est ce que fait Rawls en partie dans le libéralisme politique ou ce qu’il essaie de faire entre autres qui est celui de pousser beaucoup plus loin la conception métaéthique qui fonde sa théorie. Pour certains, avec la base universaliste, la théorie de Rawls était trop universaliste justement, trop abstraite et trop idéale. Pour certains, cette théorie incarnait une conception du bien universaliste. Pour Rawls, la caractéristique de sa théorie de la justice est d’être politique. L’idée est que la théorie de la justice que propose Rawls n’est pas de même niveau que les autres théories de la justice qui se fondent sur le bien. Pour lui, c’est une théorie politique de la justice, à savoir qui ne s’occupe que des questions de gestion politique de la justice et pas d’autres choses étant donc très limitée et spécifique, mais surtout une conception qui peut être légitimée et justifiée à partir d’une compréhension politique des besoins de cette gestion de la coopération sociale sans arriver à devoir mobiliser des conceptions du bien métaphysique.
En disant que c’est une conception de la justice politique, Rawls dit qu’elle peut être politiquement acceptée par des individus qui ne partagent pas la même conception du bien. Si la théorie de la justice ou du libéralisme qu’il propose était axée sur une conception du bien, Rawls serait confronté au problème du sectarisme, à savoir le problème de pouvoir définir des principes pouvant être acceptés par des gens qui ont des conceptions du bien différentes. Rawls dit que ce n’est pas cas. Ainsi, il est possible d’avoir une entente raisonnable autour de ces principes même si nous sommes en profond désaccord concernant ce qu’est le bien. On retrouve de nombreuses intuitions qui nourrissent les régimes libéraux, notre compréhension de la démocratie est quelque part intuitive. En général, on s’accordera à reconnaître la légitimité de la procédure démocratique majoritaire par exemple. Il est possible d’imaginer adhérer à un certain nombre de procédures et de critères de justice sur la manière de réglementer notre coopération qui soient indépendante et autonome. Pour Rawls, l’idée de justice comme équité n’est pas une doctrine morale, n’est pas une conception du bien éthique, mais c’est une conception politique donc acceptable, mais acceptable par des individus raisonnables dans un cadre de discussions publiques et qui se solde par un contrat de tout le monde pour accepter ces termes.
Pourquoi Rawls va vers une dimension politique ? Pourquoi les citoyens devraient accepter les principes de justice comme standard pour une structure de base juste ?
- parce qu’ils sont préférables à l’utilitarisme dans la définition du juste et de l’injuste. Selon la conception de la justice telle qu’évoquée dans la théorie de Rawls, il est préférable à l’utilitarisme parce que cela évite toute forme de sacrifice.
- parce qu’ils sont le résultat d’un choix équitable. Ils peuvent donc être justifiés pour tout le monde. Pour Rawls, à partir du moment où tout le monde peut s’accorder à accepter ces principes, alors nous somme en présence de bons principes de justice, en tout cas qui respectent l’idée que c’est l’adhésion de tout le monde qui leur confère une légitimation et une justification.
- parce que le fait d’agir selon le juste et la justice comme ayant une priorité première sur les autres motifs d’action rend notre liberté possible face au hasard et à la contingence. Ce qui émerge également, en partie de son argument de 1971, est qu’il laisse entendre implicitement que le fait que ceux qui décident d’agir selon le juste et la justice ont une priorité première sur les autres. Pour lui, l’idée d’agir pour le juste est ce qui permettrait l’exercice de la liberté face au hasard et à la contingence notamment. Avec les critiques des communautariens, Rawls est arrivé à la conclusion que cette interprétation est excessivement kantienne. Cela veut dire qu’elle donne un rôle trop fort à la conception de l’autonomie et de la justice notamment. Dans la conception de la personne de Rawls, l’individu avait, s’il a la faculté de choisir sa conception du bien, mais surtout s’il avait la faculté d’agir en fonction du juste ; or étant donné la base très kantienne de sa conception de la justice donc basée sur l’autonomie de ne pas pouvoir traiter les autres comme des moyens, mais qui faut les traiter comme des fins, Rawls se rend compte que cette close peut être trop restrictive dans une société caractérisée par le pluralisme moral et le pluralisme des conceptions du bien. Pour lui, cette conception serait trop englobante, et donc elle aurait un risque d’être sectaire, de ne pas trouver l’adhésion de gens qui partent de l’idée, par exemple, qu’on peut tout à fait vivre une vie bonne sans du tout être autonome.
C’est la base kantienne de la troisième justification qui est remise en question par Rawls et qui le pousse à adopter une conception politique de la justice comme équité. Pour Rawls, il fallait nuancer un peu cette troisième interprétation et c’est pour cette raison qu’il dit qu’il va essayer de mettre en place une théorie politique de la justice et pas une théorie trop kantienne.
La question que Rawls pose dans Libéralisme politique, une fois qu’il a posé sa théorie est de savoir dans la mesure où il est de plus en plus clair que nous sommes en désaccord sur le bien, alors comment faire en sorte que ce désaccord ne casse pas les principes de justice ; autrement dit, comment faire en sorte de pouvoir penser que, malgré le désaccord moral qui nous caractérise, que l’on puisse quand même arriver publiquement à justifier la supériorité de ces principes de justice. La question qui est au cœur de son livre est « Comment est-il possible qu’existe et se perpétue une société juste et stable, constituée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés entre eux en raison de leurs doctrines compréhensives [englobantes], morales, philosophiques et religieuses, incompatibles entre elles, bien que raisonnables ? En d’autres termes, comment est-il possible que des doctrines profondément opposées bien que raisonnables puissent coexister et toutes justifier la conception politique qui forme le socle d’un régime constitutionnel ? ». Son ouvrage de 1993, vise à répondre à cette question, à savoir, qu’est-ce qui fait que malgré le fait que nous soyons en profond désaccord philosophie sur ce qu’est le bien, comment se fait-il que malgré le fait que nous n’ayons pas du tout la même conception du bien, comment est-il possible malgré ceux-ci de se rencontrer autour des principes politiques et acceptables par tout le monde. Le défi est de savoir comment organiser de manière juste le pluralisme moral, social et culturel. La proposition va même au-delà de l’action de la justice distributive.
Du moment où la conception politique est la seule voie, la question que Rawls se pose est « quelle est la conception politique de la justice la plus acceptable pour spécifier les termes équitables de la coopération entre des citoyens considérés comme libres et égaux, comme raisonnables et rationnels, et […] comme des membres normaux et pleinement coopérants de la société pendant toute leur vie, d’une génération à la suivante ? ». C’est la question que Rawls aborde visant à mettre en place une stratégie de défense, un cadre philosophique permettant de dire que ces principes de justice enferment dans une conception politique plus large qui donne d’excellentes raisons de les accepter comme étant raisonnables et donc de faire en sorte à ce que tout le monde puisse les accepter par contrat.
La conception politique de la justice : trois caractéristiques
La conception politique de la justice n’est pas une doctrine morale exhaustive. En effet,
- elle doit être formulée pour un objet spécifique : la structure de base de la société. Pour Rawls, il ne s’agit pas d’une théorie exhaustive. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une théorie de la justice qui va au-delà de ce qu’elle se fixe, à savoir de se focaliser sur un objet spécifique que sont les principes équitables qui doivent gérer la coopération sociale.
- elle est présentée indépendamment de toute doctrine exhaustive, donc le fait de l’accepter ne présuppose pas d’accepter une doctrine englobante particulière. Elle doit être présentée et justifiée indépendamment des autres doctrines exhaustives englobantes qui est de dire qu’on doit un peu poser une conception qui permette l’acceptation même s’il y a des désaccords fondamentaux pour le bien.
- elle est formulée exclusivement par le biais d’idées fondamentales qui sont familières ou implicites dans la culture politique publique d’une société démocratique comme relatée dans De la Théorie de la Justice. Cela est vu comme une concession excessive aux critiques des communautariens. Pour Rawls, cette théorie est formulée exclusivement par le biais d’idées fondamentales qui sont familières ou implicites dans la culture politique publique d’une société démocratique.
Ainsi, pour Rawls, cette théorie n’est pas complètement abstraite et universaliste, mais elle est incarnée dans la tradition des théories de la culture publique des modèles démocratiques et des régimes démocratiques existants. Quelque part, il la particularise de manière assez substantielle. Pour les libéraux universalistes qui partent de l’idée que les principes de justice valent où qu’ils soient parce qu’ils se justifient de manière idéale, ce qui est plus important encore, si on accepte c’est cette critique communautarienne. Rawls nous dit qu’il ne propose pas des choses bouleversantes, mais qu’il est en train de systématiser d’une certaine manière, des catégories, des ressources que nous avons déjà dans notre tradition démocratique. Il ne convoque pas des choses qui nous paraissent a priori complètement absurdes parce qu’étant des catégories philosophiques complètement désincarnées. En ce sens, si nous sommes un minimum rationnel par rapport aux valeurs et aux pratiques qui généralement s’accordent à considérer comme étant le propre de la culture publique des pays démocratiques, on devrait pouvoir trouver la possibilité de systématiser cette compréhension dans des principes justes et donc acceptables par tout le monde.
En abordant les idées principales, nous allons essayer de mettre au clair la structure argumentative.
Les idées principales
Concept I – Le fait du pluralisme
La conception de la justice doit être compatible avec le fait du pluralisme, à savoir « le fait des différences profondes et irréconciliables entre les conceptions raisonnables et englobantes du monde, quelles soient philosophiques ou religieuses, auxquelles les citoyens sont attachés, et dans leur vision des valeurs morales ou esthétiques qui doivent être réalisées dans une vie humaine » comme relaté dans De la Théorie de la Justice.
Le fait du pluralisme est quelque part le concept qui oriente le besoin que Rawls a d’arriver à définir les contours de cette théorie politique de la justice. Si chaque philosophe a ses propres indignations, pour Rawls, il y avait cet héritage des guerres de religion à la lecture de Locke et de Hobbes en terme véritablement de dire, mais comment est-il possible d’éviter les guerres fratricides au nom de deux conceptions du bien. Il pose une théorie qui devrait permettre quelque part d’éviter la domination de conceptions du bien. Rawls part de l’idée que ce fait du pluralisme et quelque chose d’indépassable.
Il faut simplement partir d’une théorie qui se base sur cette contrainte anthropologique qui est l’idée que le fait du pluralisme est le propre de toute culture ou société démocratique. Rawls cloisonne sa théorie au niveau des systèmes démocratiques.
Concept II – La doctrine englobante
Dans De la Théorie de la Justice, Rawls définit la doctrine englobante comme suit : « une doctrine englobante de nature religieuse, philosophique ou morale [est] une conception qui s’appliq[ue] à tous les sujets et incl[ue] toutes les valeurs », à savoir à tout ce qui donne forme à notre conduite et, à la limite, à notre vie dans son ensemble. De nombreuses doctrines religieuses aspirent à être à la fois générales et compréhensives, l’utilitarisme ou les visions morales de Kant ou de Mill rentrent aussi dans cette catégorie.
Qu’est-ce qui caractérise le fait du pluralisme, quel est le problème inhérent au fait du pluralisme ? Il est composé de doctrine englobante ou compréhensive. Il s’agit de doctrines de nature religieuse, philosophique ou morale qui s’applique à tous les sujets et inclut toutes les valeurs. Elles sont englobantes parce qu’elles donnent une espèce de cosmologie très étendue de qui nous sommes, qu’est-ce que nous sommes là à faire et pourquoi devons-nous le faire. Elle est englobante parce qu’elle tente de donner une compréhension finalisée à donner un sens pratiquement à toutes les pratiques et moments de la vie.
Il n’y a pas que les doctrines religieuses. Pour certains, la position laïciste française qui vient du modèle républicain s’apparente à une doctrine englobante qui est une conception de la laïcité « de bataille » allant au-delà de la posture de neutralité à l’égard des confessions, mais qui est axée sur une conception de la raison tout comme de la liberté. Pour certains, cela s’apparente à une sorte de religion laïque. Ainsi, elle est tout autant englobante que pourrait l’être une croyance religieuse, à savoir une religion civile. C’est une conception extrêmement restrictive de l’autonomie au sens kantien. C’est par l’exercice de son autonomie qu’on devient visible, c’est-à-dire qu’on doit se développer à l’autonomie afin d’acquérir la pleine liberté.
Pour Rawls, toutes les conceptions de l’athée et du religieux entrent dans des conceptions englobantes et aucune n’est capable de définir des principes de justice qui pourrait être acceptable par les individus qui viennent d’autres traditions philosophiques. Il faut déconnecter les principes de justice, les rendre politique dans une autre dimension qui n’est pas la dimension éthique, qui n’est pas la dimension du bien et essayer de voir dans quelle mesure ces principes pourraient être acceptables par tous les individus quelle que soit la conception philosophique englobante qui oriente leur vie.
Concept III – La structure de base
Il faut garder à l’esprit que ce sur quoi porte la justice politique selon Rawls est la structure de base. Il ne propose pas une théorie morale qui vise à gérer nos vies, à gérer notre conception du bien, à nous dire ce qui est bon et ce qui ne l’est pas : « la structure de base de la société est la manière dont les principales institutions politiques et sociales de la société s’agencent dans un système unique de coopération sociale, dont elles assignent les droits et devoirs fondamentaux et structurent la répartition des avantages qui résultent de la coopération sociale au fil du temps ». Il cherche des principes qui permettent de régir quelque part notre coopération. C’est la base de la justice, l’éthique est à la base du bien et cela ne l’intéresse. Rawls veut juste une position sur la justice. La société « est considérée comme un système équitable de coopération en vue de l’avantage mutuel entre citoyens libres et égaux ».
Tout un tas de personnes qui viendrait d’une conception englobante particulière du bien ne serait pas nécessairement d’accord avec cette définition de la société. Pour certains, la société serait tout simplement l’émanation de la volonté de Dieu ou alors pour certains la société serait juste le rapport des plus forts ou alors la société serait quelque chose basé sur le mérite individuel et les plus méritants seront au sommet et les moins méritants seront au plus bas. Il est possible d’imaginer tout un tas de définitions plutôt normatives de la société. Ainsi, il est clair que Rawls propose une définition de la société qui est compatible avec sa conception de la structure de base et évidemment qui est compatible avec son cadrage général de la justice comme équité. Une société ne peut être équitable pour être stable.
Concept IV – La stabilité et ses (pré)conditions
Qu’est-ce qui fait que, quelque part, la gestion ou la relation entre différents groupes qui incarnent des conceptions du bien englobantes, que fait-on afin que la coopération entre ces groupes soit suffisamment équitable pour faire en sorte que la société soit stable est non pas traversée par des guerres de religion comme avec Locke. De la Théorie de la Justice est sortie en 1993, en plein essor de la critique multiculturalisme qui critiquait tout un tas de choses concernant le pouvoir des majorités qui critiquait tout un tas de concepts comme la nation ou encore comme le peuple qui faisait partie de nos catégories générales pour penser la politique, mais était aussi le moment où on commençait à se poser des questions avec les guerres en ex-Yougoslavie, avec des conflits ethniques à droite et à gauche ou la question se posait avec Hungtinton en 1996 avec l’idée de clash des civilisations, était le moment dans lequel beaucoup de théoriciens pensaient à des mécanismes politiques de gestion des tensions culturelles.
Quelque part, la position de Rawls s’inscrit dans cette réflexion plus large de savoir comment peut-on imaginer des sociétés stables donc pacifiées malgré le fait que le fait du pluralisme nous donne tous les ingrédients pour que cela explose. La stabilité est quelque chose que Rawls a à l’esprit. Cette stabilité a aussi des préconditions parce que cette stabilité implique aussi que les individus doivent avoir un positionnement des formes de comportements qui soient compatibles avec les principes de la justice politique. Rawls propose une théorie de la citoyenneté, une théorie portant sur les aspects concernant les vertus civiles de base qu’un individu doit avoir afin que son action soit compatible avec le juste et donc soit finalisée ou qu’elle puisse permettre de défendre et de s’aligner sur cette conception de la justice.
Pour Guillarme Bertrand dans Rawls et le Libéralisme politique publié en 1996, « une conception libérale ne peut être stable que si chaque citoyen de la société bien ordonnée l’accepte librement. Le soutien qu’il apporte aux principes de justice et qui est la condition de la stabilité de la conception doit donc être conçu comme une motivation morale. Cet individu agit alors suivant (et non pas seulement en conformité avec) le sens de la justice défini par cette conception ». L’idée de Rawls est que plus une situation est juste, plus elle sera stable parce que si elle est juste c’est parce qu’elle a été acceptée et du moment où elle a été acceptée par tout le monde, il y a moins de raisons pour que les gens la remettent en question et ce qui aboutirait à de la stabilité. Pour certains, dans sa théorie, Rawls introduit plus de justes et plus de bien que ce qu’il semble dire.
Une motivation morale veut dire qu’il faut quand même quelque chose de plus que le simple accord sur des principes politiques. Il faut encore un minimum de dispositions qui nous amènent à un certain moment à sanctionner ou à s’éloigner de notre compréhension philosophique, de notre conception du bien afin d’accepter de soutenir le juste. Ceci n’est pas toujours évident.
Concept V – Le raisonnable
C’est pour cela que pour Guillarme Bertrand, il faut quand même un peu plus de motivation. Cela ne suffit pas de s’attendre à ce que tout le monde appuiera cette conception politique, mais il faut aussi que les gens fassent preuve de la capacité à dire que le fait de suivre ces principes de justice est préférable et meilleur que le fait de ne pas le faire.
Rawls anticipe en partie ceci en introduisant le concept de raisonnable. C’est un concept qui est moins exigeant que le concept de rationalité. Partir de l’idée que l’individu rationnel impliquerait que l’individu fonctionne dans n’importe quelle situation en vue de maximiser son utilité et de maximiser ses intérêts, pour Rawls, cette conception de la rationalité qui résonne un peu avec Kant et d’autres est trop restrictive, elle ne permet pas de penser à une forme de justice qui soit, si ce n’est pas acceptable, pour le moins soutenable par tout le monde. C’est pour cette raison qu’il utilise le concept de raisonnable. Rawls parle de la personne raisonnable. La personne raisonnable reconnait que ses conceptions morales a d’importance symétrique à celle que la conception morale des autres individus a pour ces individus si elles sont aussi raisonnables. Le monde de la raisonnabilité intervient au moment où, quand nous sommes confrontés à un dilemme moral, nous nous disons, qu’à certains moments, il est possible d’accepter une gestion de ce principe en vertu de l’idée que nous l’acceptions parce que nous savons que d’autres personnes qui auraient tout autant que nous de raisons de ne pas l’accepter, mais l’acceptent parce qu’il est raisonnable pour tout le monde que ces principes-là nous permettent de fonctionner de manière à gérer la coopération et de manière plutôt stable. Pour avoir la stabilité, il faut mettre en adéquation minimum au comportement avec ceci, il faut accepter à un certain moment que peut-être il est raisonnable d’accepter les termes d’une certaine conception de la justice même si notre conception du bien nous dirait de ne pas le faire. Il serait déraisonnable d’accepter une doctrine morale exhaustive spécifique en fondement de la justification des principes parce que le fait d’accepter une doctrine englobante nuit, discrimine, à un effet de sectarisme sur les autres.
L’idée de raisonnable que Rawls va formuler est « Les personnes sont raisonnables […] quand, dans un contexte d’égalité, elles sont prêtes à proposer des principes et des critères qui représentent des termes équitables de coopération et à leur obéir de plein gré, si elles ont l’assurance que les autres feront de même ».
Il y a d’excellentes raisons de penser qu’on puisse être convaincu par le fait que le fait d’accepter ce principe soit une position rationnelle et donc acceptable par tout le monde, mais il faut s’en souvenir après dans la vie réelle : « Elles jugent qu’il est raisonnable que chacun accepte ces normes et elles les considèrent donc comme également acceptables pour elles ; elles sont prêtes à discuter les termes équitables que les autres proposent. […] Des personnes raisonnables […] ne sont pas motivées par le bien général en tant que tel, mais désirent comme fin en soi un monde social dans lequel elles-mêmes, en tant qu’êtres libres et égaux, peuvent coopérer avec les autres dans des termes que tous peuvent accepter ». Le critère de raisonnable ou l’attribut de la personne d’être raisonnable est au fond cette possibilité anthropologique qui permet aux individus de pouvoir s’accorder sur cette conception politique de la justice même si a priori ils auraient d’excellentes raisons rationnelles donc de conformité à la conception du bien pour s’y opposer. On retrouve quelque part l’idée selon laquelle à un certain moment, la gestion du pluralisme, le fait de pouvoir atteindre la stabilité implique une faculté minimum que les individus auraient de se distancer de leur conception du bien pour appuyer les principes politiques.
Concept VI – La justification publique
L’idée que ceci soit formulé dans des termes que nous pouvons tous accepter implique de se poser la question aussi de la procédure par laquelle ces dispositions constitutionnelles impliquent de réfléchir aux procédures permettant l’expression de cette acceptation commune. C’est pour cette raison que Rawls donne beaucoup d’importance à l’idée de justification publique. On aperçoit l’influence de Habermas avec la conception délibérative de la démocratie que Rawls intègre un tout petit peu dans son approche sans aller peut-être au point habermasien, parce que Habermas reste aussi un peu trop sur une démarche englobante, mais la justification publique « à partir des idées fondamentales implicites de la culture politique, qui est le terroir quelque part qui nous informe comme compréhension de la démocratie, nous tentons d’élaborer une basse publique de justification à laquelle tous les citoyens vus comme rationnels raisonnables peuvent souscrire à partir de la doctrine englobante ».
Cette justification se fait essentiellement par l’action citoyenne. Rawls n’avait pas une conception de la démocratie très bouleversante à continuer à croire que le système représentatif parlementaire classique, s’il fonctionne correctement, c’est par la discussion publique qui doit être libre donc gérée par des normes procédurales permettant l’exercice de cette raison publique. Il fallait que des individus, par leurs représentants, puissent sanctionner et établir les termes de leur adhésion aux principes communs comme par exemple décider qu’une certaine loi doit figurer dans la constitution ou pas.
Quelque part, la justification publique est la dimension contractualiste dans le cadre du libéralisme politique. Le contrat présuppose donc l’acceptation des termes qui nous lient, qui participent d’une logique contractualiste selon Rawls, et qui se fait quelque part, après un exercice de raison publique et de justification publique montrant quelque part l’adhésion à des individus, des citoyens aux termes équitables qui permettent de donner un certain contenu particulier à la coopération sociale ou à la manière de distribuer les produits de cette coopération sociale.
On a affaire avec une citoyenneté démocratique qui est théorisée comme instrumentale à la défense raisonnable de la constitution. C’est une conception de la citoyenneté qui sera très radicalement critiquée par d’autres penseurs qui partent de l’idée que la sécurité doit être beaucoup plus libre et beaucoup plus poussée que la sainte défense de la constitution et notamment les républicains. La citoyenneté démocratique a donc une fonction de justification publique et de régulation sociale.
Quel est l’artifice que Rawls propose étant un des concepts clefs qui résume un peu la conception de Rawls qui est cette idée très intéressante de consensus par recoupement ?
Concept VII – Le consensus par recoupement
Dans cette idée de faire en sorte que ces différentes doctrines englobantes propres au fait du pluralisme puissent tout de même se coordonner et coopérer dans l’acceptation de critères de justice politique commun, le résultat de cette coopération serait ce qu’il appelle l’acceptation d’un consensus par recoupement, à savoir l’idée qu’il y aurait un consensus qui pourrait être acceptable par toute cette position autour, mais tous s’accorderaient à se recouper sur l’ensemble des principes de valeurs et cela est le principe de justice politique qui seraient acceptés par tout le monde, mais dont la validité serait indépendante de chacune. Les conceptions des individus qui ont des conceptions du bien peuvent s’accorder, mais toutes ne reposent pas sur une conception en particulier. Toutes les conceptions peuvent le soutenir, mais il ne faut pas défendre une conception pour défendre ceci. Il appelle cela le consensus par le recoupement.
Les citoyens ont des visions religieuses, philosophiques et morales opposées et ils affirment que la conception politique à partir des doctrines englobantes, différentes et antagonistes, cela n’empêche cependant pas la conception politique de constituer un point de vue partagé à partir duquel ils peuvent répondre aux questions concernant les enjeux constitutionnels essentiels. Ce qui intéresse Rawls est de défendre une conception de la justice qui s’incarne par la suite dans une constitution qui représente la formalisation des principes de base qui gèrent notre société.
C’est une conception de la constitution très américaine où la constitution se résume aux points fondamentaux qui oriente les règles de base de la coopération sociale et qui ensuite laissent aux groupes, aux associations, à tout un tas d’autres acteurs, le soin de défendre des conceptions du bien par les églises ou encore le monde associatif discutée par Tocqueville. Il faut laisser la plus grande liberté possible et après ce sont les individus qui par leurs actions et leurs engagements décideront de ce qu’ils veulent. Rawls préconise une intervention dans les questions redistributives et de justice.
Si on admet que le test d’égale liberté soit réussi, à savoir qu’on arrive à montrer que cette position respecte l’égale liberté de tout le monde, chose qui est déjà problématique en soi, alors à ce moment-là, on aurait derrière cet argument quelque chose qui se rapproche assez de la conception rawlsienne qui est l’idée selon laquelle il y a un moment où il faut être raisonnable.
Si on part de l’idée que l’individu est un individu au sens de Kant, un peu de ce que le libéralisme de Mills nous amène à dire, à savoir que nous sommes des individus qui venons au monde avec une disposition à l’autonomie, une faculté d’être autonome et nous pourrons utiliser cette disposition-là dans toute situation sociale. Avec cette conception, il est possible de dire que toute décision que nous faisons concernant nos pratiques devrait pour le moins être un produit d’un exercice autonome de décision et de révision de notre conception du bien. Si on part de l’idée que tout est négociable, si on part de l’idée qu’au fond, toute appartenance peut être négociée, que toute position par rapport à nos croyances religieuses peuvent être négociée, nous risquons de faire du tort aussi à des individus qui ont des identités qui se veulent plus englobantes et plus épaisses que par exemple la question de savoir si nous fumons ou ne fumons pas.
La question est de savoir s’il est véritablement si facile pour tout le monde, pour tout acteur de pouvoir se rallier à ce consensus par recoupement ou est-ce que cette conception de l’individu qui informe la position de Rawls, au fond n’est pas trop axée sur notre compréhension kantienne et libérale de l’individu de sa propre autonomie et qui se met en porte-à-faux avec d’autres conceptions de l’individu qui seraient différentes et qui ne se positionneraient pas en termes d’intérêts qui sont par définition négociables, mais qui se positionnent en termes d’identité.
La question qui se pose plus philosophiquement est de savoir quelles sont les prémices philosophiques, mais aussi anthropologiques sur qui nous sommes en tant qu’animaux sociaux, qui doivent être posés implicitement pour pouvoir permettre à ce consensus par recoupement. Pour certains, le consensus par recoupement de Rawls est au fond une manière de préserver le pouvoir des puissants en demandant quelque part aux minorités d’accepter les termes de cette justice qui est présentée comme étant politique et acceptable par tout le monde, mais qui en réalité va dans le sens de certains groupes culturels au détriment des autres. C’est le propre de la critique des multiculturalistes. Le multiculturalisme dit que ça ne marche pas parce qu’on ne sait pas ce que font des cultures pour qui l’idée même de justice politique ne fait pas sens. On pourrait imaginer que ces groupes s’excluent de la politique.
L’approche de Rawls est intéressante si on accepte toute cette idée qu’on doit s’accorder autour d’une conception politique, mais au fond quelle est la raison de cet accord ? Les communautariens diront que sans une conception du bien un peu plus épaisse, on ne peut pas défendre cette motivation à accepter la conception politique. Cette conception du bien qu’il faut de plus va rendre la théorie sectaire et on recommence la quête de la théorie qui permettrait de fonder la politique.
Rawls a une théorie utopique de façon réaliste et elle nous donne des principes généraux relativement utopiques, mais qui sont réalistes au sens où on peut imaginer par notre insertion dans la culture publique ce que cela pourrait être.
Quelques critiques
Une critique importante est celle de la relation entre la conception procédurale que Rawls évoque pour la justice distributive, sociale, mais aussi politique et les communautariens posant la question de savoir si on peut imaginer une justification politique qui ne fasse pas appel à des conceptions du bien. Cela va de pair avec l’idée de la neutralité publique. L’idée libérale égalitariste est neutraliste dans le sens que pour que l’État ne discrimine aucune conception du bien, il faut absolument que l’État soit le plus neutre possible. C’est l’idée selon laquelle que pour que l’État puisse être le régulateur parmi différentes conceptions du bien, il faut qu’il soit le plus neutre possible afin qu’aucune des conceptions du bien ne soit discriminée. Au fond, cette neutralité publique est déjà un leurre en tant que tel parce que tout État incarne une certaine langue, attribue une certaine valeur à certaines formes culturelles. Cela montre que l’État ne peut pas être complètement neutre et qu’il a beaucoup plus du rapprochement avec certaines valeurs plutôt que d’autres. La question est de savoir comment un État au nom de la neutralité peut éviter de protéger davantage la majorité au détriment des minorités.
Rawls dit à un certain moment que du moment où il est raisonnable de s’accorder et d’accepter les termes du consensus par recoupement, une fois qu’il a montré la logique inhérente à ce dispositif, il dit quelque part qu’il est nécessaire d’éviter que des enjeux susceptibles de remettre en question le consensus pas recoupement soient injectés dans l’espace politique. Il est nécessaire d’éviter de remettre en question ces principes en traitant politiquement des choses qui sont susceptibles de remettre en question cette position. Cela implique pour beaucoup une dépolitisation. Afin d’éviter que le consensus par recoupement soit remis en question, la question est de dépolitiser le politique, enlever le politique de ce à quoi sert le politique qui est de gérer les conflits. C’est une critique souvent faite du libéralisme de déstériliser le politique ce qui mène à un manque de politique dans la politique libérale.
Finalement, est-ce que la conception que Rawls a à l’esprit fonctionne d’un point de vue anthropologique, sommes-nous capables de faire systématiquement la part des choses en nous même entre ce qui est juste et ce qui est bien ? Est-ce qu’au fond, une position n’avantage pas des groupes culturels plus à même de la vivre, et est-ce qu’il n’est pas inévitable que cette conception du juste ne tiennent pas parce qu’elle sera tiraillée entre les différentes conceptions du bien que l’acteur aura à affronter ?
Une implication du principe de différence
C’est l’un des points importants de la théorie de la justice de Rawls qui est la critique de la méritocratie. Rawls conteste dans sa théorie de la justice l’utilitarisme donc l’idée sacrificielle, mais également le critère méritocratique d’adjudication de la justice. Il s’agit de l’idée que si nous méritons ce que nous avons, il est juste que nous le gardions. Pour Rawls, cette idée de mérite individuelle n’est pas fondée. Il part de l’idée que nos talents, que les ressources qui nous permettent d’être méritant sont déjà le produit de formes de coopération collective. Pour lui, le mérite individuel est moralement arbitraire parce que d’une part nous n’avons aucun mérite d’avoir les talents que nous avons et très généralement, ce mérite présuppose des préconditions sociales. Il n’y a pas quelque chose de moralement relevant dans le mérite individuel. Rawls remet en question ce principe méritocratique. Pour Rawls, du moment où il y a quelque chose qui relève de la coopération parmi les individus composant une société dans la production de mérite donc de richesses de certains, il est donc parfaitement légitime de les taxer afin que les plus démunis puissent en bénéficier.
La question qui se pose est de savoir si la justification de l’activité de taxation est légitimée, s’il est légitime de s’approprier une part des richesses produites librement par les individus et de les redistribuer, et est-ce qu’au fond l’ingérence que l’État pourrait avoir de ponctionner une partie de la recherche à reproduire des richesses revient à remettre en question à produire librement de la richesse des individus ? La critique de Rawls est celle de dire que rien ne justifie la remise en question de la liberté intrinsèque dont tous les acteurs sont porteurs au nom d’une redistribution.
Qu’est-ce que la liberté ?
La question qui est posée est celle de savoir quelle est la faculté ultime qui nous anime. Depuis Kant, cette faculté ultime est l’autonomie. C’est le fait d’être autonome qui nous permet d’être libres, nous ne sommes pas libres si nous sommes confrontés à des choix que nous avons pu déterminer de manière autonome. Le fait de choisir entre A et B ne nous rend pas autonomes. La notion de l’autonomie est assez compliquée. Agir librement consiste à agir de manière autonome et agir de manière autonome consiste à agir en fonction d’une maxime que l’on peut se donner par la Raison. Quelque part, nous sommes en mesure de donner la maxime de notre raison, de faire l’exercice de notre autonomie en dehors de toute pression sociale qui exercerait une pression sur notre jugement autonome. L’idée de Kant qui est encore inhérente à toute position libérale est d’abord l’idée que nous soyons en mesure de faire un exercice d’autonomie et qui nous donne la maxime morale qui peut se traduire dans une maxime que l’on peut universaliser. Nous devrions pouvoir le faire seules en notre âme et conscience. L’autonome implique que nous ne sommes pas traités par un moyen parce que dans ce cas, on casse son autonomie utilisée pour la liberté de quelqu’un d’autre. L’idée de liberté par l’autonomie est fondamentale dans le cadre d’une certaine pensée du libéralisme. La question de l’autonomie est compliquée parce qu’elle peut se répliquer dans une grande gamme de pratiques qu’il n’est pas nécessairement facile de trancher.
Annexes
- Abbey, R. (ed.), 2013, Feminist Interpretations of John Rawls, University Park, PA: Penn State University Press.
- Audard, C., 2007, John Rawls, Montreal: McGill-Queen's University Press.
- Bailey, T., and Gentile, V. (eds.), 2014, Rawls and Religion, New York: Columbia University Press.
- Bonache, J. (2004). Towards a re-examination of work arrangements: An analysis from Rawls’ Theory of Justice. Human Resource Management Review, 14(4), 395–408. https://doi.org/10.1016/j.hrmr.2004.12.001
- Brooks, T., and Nussbaum, M. (eds.), 2015, Rawls's Political Liberalism, New York: Columbia University Press.
- Daniels, N., (ed.), 1975, Reading Rawls: Critical Studies on Rawls' A Theory of Justice, New York: Basic Books. Reissued with new Preface, 1989.
- Davion, V. and Wolf, C. (eds.) 1999, The Idea of a Political Liberalism: Essays on Rawls, Lanham, MD: Rowman and Littlefield.
- Fleming, J., (ed.), 2004, Rawls and the Law, Fordham Law Review 72 (special issue).
- Freeman, S., (ed.), 2003, The Cambridge Companion to Rawls, Cambridge: Cambridge University Press.
- Freeman, S., 2007, Rawls, London: Routledge.
- Griffin, S., and Solum, L. (eds.) 1994, Symposium of John Rawls's Political Liberalism, Chicago Kent Law Review, 69: 549–842.
- Gross, B. R. (1978). Understanding Rawls: A Reconstruction and Critique of a Theory of Justice. Robert Paul Wolff. Ethics, 89(1), 115–120. https://doi.org/10.1086/292109
- Hinton, T., (ed.), 2015, The Original Position, Cambridge: Cambridge University Press.
- Kukathas, C., (ed.), 2003, John Rawls: Critical Assessments of Leading Political Philosophers, 4 vol., London: Routledge.
- Lloyd, S., (ed.), 1994, John Rawls's Political Liberalism, Pacific Philosophical Quarterly 75 (special double issue).
- Lovett, F., 2011, Rawls's A Theory of Justice: A Reader's Guide, London: Continuum.
- Maffettone, S., 2011, Rawls: An Introduction, London: Polity.
- Mandle, J., 2009, Rawls's A Theory of Justice: An Introduction, Cambridge: Cambridge University Press.
- Mandle, J., and Reidy, D. (eds.), 2013, A Companion to Rawls, Chichester: John Wiley & Sons.
- Mandle, J., and Reidy, D. 2014, The Cambridge Rawls Lexicon, Cambridge: Cambridge University Press.
- Martin, R. and Reidy, D. (eds.), 2006, Rawls's Law of Peoples: A Realistic Utopia?, Oxford: Blackwell.
- Moon, J. D., 2014, Liberalism and the Challenges of Late Modernity, Lanham, MD: Rowman & Littlefield.
- Nozick, R., 1974, Anarchy, State, and Utopia, New York: Basic Books.
- O'Neill, M., and Williamson, T. (eds.), 2012, Property-Owning Democracy: Rawls and Beyond, Chichester: John Wiley & Sons.
- Percy B. Lehning. John Rawls: an Introduction. Cambridge University Press, 2009.
- Pogge, T., 1989, Realizing Rawls, Ithaca, NY: Cornell University Press.
- Pogge, T., 2007, John Rawls: His Life and Theory of Justice, Oxford: Oxford University Press.
- Reath, A., Herman, B., and Korsgaard, C., (eds.), 1997, Reclaiming the History of Ethics: Essays for John Rawls, Cambridge: Cambridge University Press.
- Richardson, H., and Weithman, P. (eds.), 1999, The Philosophy of Rawls: A Collection of Essays, 5 vol., New York: Garland.
- Schaefer, David. “‘A Theory of Justice’ by John Rawls.” Medium, Arc Digital, 2 Nov. 2017, https://arcdigital.media/a-theory-of-justice-by-john-rawls-e71ea5df44f2.
- Sen, A. (2010). Adam Smith and the contemporary world. Erasmus Journal for Philosophy and Economics, 3(1), 50. https://doi.org/10.23941/ejpe.v3i1.39
- Stewart, J. (1993). The limitations of government by contract. Public Money & Management, 13(3), 7–12. https://doi.org/10.1080/09540969309387769
- Van de Putte, Andr. "Rawls' Political Liberalism." Ethical Perspectives 2.3 (2005): 107-129
- Voice, P., 2011, Rawls Explained: From Fairness to Utopia, Chicago: Open Court.
- Young, S. (ed.), 2016, Reflections on Rawls: An Assessment of His Legacy, London: Routledge.
- Weithman, P., 2011, Why Political Liberalism? On John Rawls's Political Turn, Oxford: Oxford University Press.
- Wenar, Leif, "John Rawls", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2017 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = <https://plato.stanford.edu/archives/spr2017/entries/rawls/>.
Références
- ↑ Kymlicka, Will. Les théories De La Justice: Une Introduction: libéraux, Utilitaristes, Libertariens, Marxistes, Communautariens, féministes... La Découverte, 2003.
- ↑ Rawls, John. A Theory of Justice: Revised Ed. Belknap Press of Harvard University Press, 2003.
- ↑ A Theory of Justice by John Rawls
- ↑ Political Liberalism reviewed by Michael J. Sandel.
- ↑ Tomasi, John. “Chapter 1: Political Liberalism.” Liberalism beyond Justice: Citizens, Society, and the Boundaries of Political Theory, Princeton University Press, 2001.
- ↑ Thompson, D. (2015). John Rawls, Political Liberalism. In J. T. Levy (Ed.), The Oxford Handbook of Classics in Contemporary Political Theory. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780198717133.013.38
- ↑ Kuna, Marian. (1999). The political liberalism of John Rawls. Filozofia. 54. 91-102.
- ↑ Rawls, John, and Erin Kelly. Justice as Fairness: a Restatement. Bleknap Press of Havard University Press, 2001.
- ↑ Ten, C. (2003). Reviewed Work: Justice as Fairness: A Restatement by John Rawls, Erin Kelly. Mind, 112(447), new series, 563-566. Retrieved from https://www.jstor.org/stable/3489212
- ↑ Levine, A. (1974). Rawls’ Kantianism. Social Theory and Practice, 3(1), 47–63. https://doi.org/10.5840/soctheorpract19743110
- ↑ Doppelt, G. (1988). Rawls’ Kantian ideal and the viability of modern liberalism. Inquiry, 31(4), 413–449. https://doi.org/10.1080/00201748808602166
- ↑ Ripstein, Arthur. “Private Order and Public Justice: Kant and Rawls.” Virginia Law Review, vol. 92, no. 7, 2006, pp. 1391–1438. JSTOR, www.jstor.org/stable/4144958.
- ↑ Hill, T. E., Jr. (1989). Kantian Constructivism in Ethics. Ethics, 99(4), 752–770. https://doi.org/10.1086/293120
- ↑ Päivänsalo Ville. Balancing Reasonable Justice John Rawls and Crucial Steps Beyond. Ashgate, 2007.
- ↑ Macedo, Stephen. Deliberative Politics: Essays on Democracy and Disagreement. Oxford University Press, 2006.
- ↑ Crook, Clive. “John Rawls and the Politics of Social Justice.” The Atlantic, Atlantic Media Company, 1 Dec. 2002, https://www.theatlantic.com/politics/archive/2002/12/john-rawls-and-the-politics-of-social-justice/377209/.
- ↑ Care, Norman S. “Contractualism and Moral Criticism.” The Review of Metaphysics, vol. 23, no. 1, 1969, pp. 85–101. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/20125476.
- ↑ Clark, G. L. (1986). Making moral landscapes: John Rawls’ original position. Political Geography Quarterly, 5(4), S147–S162. https://doi.org/10.1016/0260-9827(86)90064-9
- ↑ Gregory, E. (2007). BEFORE THE ORIGINAL POSITION: The Neo-Orthodox Theology of the Young John Rawls. Journal of Religious Ethics, 35(2), 179–206. https://doi.org/10.1111/j.1467-9795.2007.00303.x
- ↑ Dworkin, R. (1973). The Original Position. The University of Chicago Law Review, 40(3), 500. https://doi.org/10.2307/1599246
- ↑ Rawls, J. (1991). Justice as Fairness: Political Not Metaphysical. In Equality and Liberty (pp. 145–173). Palgrave Macmillan UK. https://doi.org/10.1007/978-1-349-21763-2_10
- ↑ Voice, Paul. Rawls Explained: from Fairness to Utopia. Open Court, 2011.
- ↑ Buchanan, James M. “Rawls on Justice as Fairness.” Public Choice, vol. 13, 1972, pp. 123–128. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/30022688.
- ↑ Rawls’ Theory of Justice II: study guide. Massachusetts Institute of Technology
- ↑ Scanlon, Thomas M. “Rawls' Theory of Justice.” University of Pennsylvania Law Review, vol. 121, no. 5, 1973, pp. 1020–1069. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/3311280.
- ↑ Cushing, Simon. "Justification, legitimacy, and social embeddedness: Locke and Rawls on society and the state." (2003).
- ↑ Marens, R. (2007). Returning to Rawls: Social Contracting, Social Justice, and Transcending the Limitations of Locke. Journal of Business Ethics, 75(1), 63–76. https://doi.org/10.1007/s10551-006-9238-7
- ↑ Levine, Andrew. Engaging Political Philosophy: from Hobbes to Rawls. Blackwell, 2002.
- ↑ McIlroy, D. H. (2012). Locke and Rawls on Religious Toleration and Public Reason. Oxford Journal of Law and Religion, 2(1), 1–24. https://doi.org/10.1093/ojlr/rws046
- ↑ Duncan, Stewart, "Thomas Hobbes", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2019 Edition), Edward N. Zalta (ed.).
- ↑ Uzgalis, William, "John Locke", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2019 Edition), Edward N. Zalta (ed.)
- ↑ Bertram, Christopher, "Jean Jacques Rousseau", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Fall 2018 Edition), Edward N. Zalta (ed.).
- ↑ Gaus, Gerald, and John Thrasher. “Rational Choice and the Original Position: The (Many) Models of Rawls and Harsanyi.” The Original Position. Edited by Timothy Hinton, Cambridge University Press, 2015, pp. 39-58.
- ↑ Norton, B. G. (1989). Intergenerational equity and environmental decisions: A model using Rawls’ veil of ignorance. Ecological Economics, 1(2), 137–159. https://doi.org/10.1016/0921-8009(89)90002-5
- ↑ Muldoon, R., Lisciandra, C., Colyvan, M., Martini, C., Sillari, G., & Sprenger, J. (2013). Disagreement behind the veil of ignorance. Philosophical Studies, 170(3), 377–394. https://doi.org/10.1007/s11098-013-0225-4
- ↑ Singer, B. A. (1988). An Extension of Rawls’ Theory of Justice to Environmental Ethics. Environmental Ethics, 10(3), 217–231. https://doi.org/10.5840/enviroethics198810317
- ↑ Rawls, John. “Some Reasons for the Maximin Criterion.” The American Economic Review, vol. 64, no. 2, 1974, pp. 141–146. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/1816033.
- ↑ Crocker, Lawrence. “Equality, Solidarity, and Rawls' Maximin.” Philosophy & Public Affairs, vol. 6, no. 3, 1977, pp. 262–266. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/2265132
- ↑ Rodriguez, Alvaro. “Rawls' Maximin Criterion and Time Consistency: A Generalization.” The Review of Economic Studies, vol. 48, no. 4, 1981, pp. 599–605. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/2297199.
- ↑ Arrow, Kenneth J. “Rawls's Principle of Just Saving.” The Swedish Journal of Economics, vol. 75, no. 4, 1973, pp. 323–335. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/3439143.
- ↑ Ladenson, Robert F. “Rawls' Principle of Equal Liberty.” Philosophical Studies: An International Journal for Philosophy in the Analytic Tradition, vol. 28, no. 1, 1975, pp. 49–54. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/4318958
- ↑ Hammond, Peter J. “Equity, Arrow's Conditions, and Rawls' Difference Principle.” Econometrica, vol. 44, no. 4, 1976, pp. 793–804. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/1913445.
- ↑ Buchanan, J. M. (1976). A HOBBESIAN INTERPRETATION OF THE RAWLSIAN DIFFERENCE PRINCIPLE. Kyklos, 29(1), 5–25. https://doi.org/10.1111/j.1467-6435.1976.tb01958.x
- ↑ Strasnick, Steven. “Social Choice and the Derivation of Rawls's Difference Principle.” The Journal of Philosophy, vol. 73, no. 4, 1976, pp. 85–99. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/2025509.
- ↑ Gibbard, A. (1979). Disparate goods and Rawls’ difference principle: A social choice theoretic treatment. Theory and Decision, 11(3), 267–288. https://doi.org/10.1007/bf00126381
- ↑ Arneson, Richard J. “Equality and Equal Opportunity for Welfare.” Philosophical Studies: An International Journal for Philosophy in the Analytic Tradition, vol. 56, no. 1, 1989, pp. 77–93. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/4320032.
- ↑ Fishkin, J. S. (1987). Liberty Versus Equal Opportunity. Social Philosophy and Policy, 5(1), 32–48. https://doi.org/10.1017/s0265052500001230
- ↑ Mithaug, Dennis E. Equal Opportunity Theory. Sage, 1996.
- ↑ Pogge, Thomas W. "The incoherence between Rawls's theories of justice." Fordham L. Rev. 72 (2003): 1739.
- ↑ Hampton, Jean. “Contracts and Choices: Does Rawls Have a Social Contract Theory?” The Journal of Philosophy, vol. 77, no. 6, 1980, pp. 315–338. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/2025640.
- ↑ Harsanyi, J. C. (1975). Can the Maximin Principle Serve as a Basis for Morality? A Critique of John Rawls’s Theory. American Political Science Review, 69(2), 594–606. https://doi.org/10.2307/1959090
- ↑ Kaye, David H. “Playing Games with Justice: Rawls and the Maximin Rule.” Social Theory and Practice, vol. 6, no. 1, 1980, pp. 33–51. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/23557718.
- ↑ Hubin, D. Clayton. “Minimizing Maximin.” Philosophical Studies: An International Journal for Philosophy in the Analytic Tradition, vol. 37, no. 4, 1980, pp. 363–372. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/4319383.
- ↑ Arneson, Richard J. “Primary Goods Reconsidered.” Noûs, vol. 24, no. 3, 1990, pp. 429–454. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/2215774.
- ↑ Blair, D. H. (1988). The primary-goods indexation problem in Rawls’s theory of justice. Theory and Decision, 24(3), 239–252. https://doi.org/10.1007/bf00148957