Modification de La perspective multiculturaliste

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| cours = [[Théorie politique]]
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| professeurs = [[Matteo Gianni]]<ref>[https://unige.ch/sciences-societe/speri/membres/matteo-gianni/ Page personnelle de Matteo Gianni sur le site de l'Université de Genève]</ref><ref>Concordia University, Faculty of Arts and Science - Department of Political Science. “Dr. Matteo Gianni.” Dr. Matteo Gianni, https://www.concordia.ca/artsci/polisci/wssr/all-guest-lecturers/matteogianni.html</ref><ref>Profil de Matteo Gianni sur ResearchGate: https://www.researchgate.net/scientific-contributions/2010087511_Matteo_Gianni</ref><ref>Profil Linkedin de Matteo Gianni - https://www.linkedin.com/in/matteo-gianni-2438b135/?originalSubdomain=ch</ref><ref>[https://scholar.google.com/citations?user=QP7aLBAAAAAJ&hl=fr Matteo Gianni - Citations Google Scholar]</ref><ref>“Matteo Gianni - Auteur - Ressources De La Bibliothèque Nationale De France.” Data.bnf.fr, https://data.bnf.fr/fr/16166342/matteo_gianni/.</ref><ref>“Matteo Gianni: Università Degli Studi Di Udine / University of Udine.” Academia.edu, https://uniud.academia.edu/MatteoGianni.</ref>
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*[[Qu’est-ce que la théorie politique ? Enjeux épistémologiques]]
*[[Qu’est-ce que la théorie politique ? Enjeux méta-éthiques]]
*[[La théorie égalitariste de la justice distributive de John Rawls]]
*[[La théorie des droits de Robert Nozick]]
*[[La théorie de l’égalité des ressources de Ronald Dworkin]]
*[[La théorie des capabilités d’Amartya Sen et Marta Nussbaum]]
*[[La perspective communautarienne]]
*[[La perspective multiculturaliste]]
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Rawls avait déjà mis le respect de soi dans les biens premiers, mais il ne l’avait pas thématisé comme les communautariens au sens dialogique comme avec l’entité narrative et dialogique des communautariens. L’idée est qu’on ne peut pas décider de son identité et se respecter tout seul. Il est possible de se respecter en fonction des relations identitaires dialogiques que l’on constitue avec quelqu’un d’autre. Pour Taylor, si pour des raisons diverses, les individus sont confrontés à des formes d’indignation ou de mépris et de non pris en considération de sa spécificité identitaire, quelque part, il se peut que les possibilités de se reconnaître de manière harmonieuse disparaissent, cela peut faire imploser des sociétés multinationales. En Belgique, par exemple, on voit comment la construction de l’altérité entre Wallons et Flamands peut remettre en question les bases. C’est quelque chose qui reviendrait à se demander comment gérer des constructions de l’altérité qui ne sont pas gérées de manière convenable, et donc la question de trouver des mécanismes identitaires qui permettent de transcender quelque part ces valeurs.  
Rawls avait déjà mis le respect de soi dans les biens premiers, mais il ne l’avait pas thématisé comme les communautariens au sens dialogique comme avec l’entité narrative et dialogique des communautariens. L’idée est qu’on ne peut pas décider de son identité et se respecter tout seul. Il est possible de se respecter en fonction des relations identitaires dialogiques que l’on constitue avec quelqu’un d’autre. Pour Taylor, si pour des raisons diverses, les individus sont confrontés à des formes d’indignation ou de mépris et de non pris en considération de sa spécificité identitaire, quelque part, il se peut que les possibilités de se reconnaître de manière harmonieuse disparaissent, cela peut faire imploser des sociétés multinationales. En Belgique, par exemple, on voit comment la construction de l’altérité entre Wallons et Flamands peut remettre en question les bases. C’est quelque chose qui reviendrait à se demander comment gérer des constructions de l’altérité qui ne sont pas gérées de manière convenable, et donc la question de trouver des mécanismes identitaires qui permettent de transcender quelque part ces valeurs.  


Pour Taylor, la reconnaissance va au-delà de la tolérance. Les formes de reconnaissances présupposent des préconditions sociales, ce sont le produit de relations sociales qui sont orientées vers la reconnaissance impliquant tout un tas de politiques publiques. Ce qui est intéressant dans ''Multiculturalisme et démocratie'' est que l’idée de reconnaissance n’est pas antilibérale, mais c’est l’une des traditions libérales. Taylor a publié un ouvrage intitulé ''Les sources du moi'' où il essaie de reconstituer les différentes formes d’identités qui ont traversé nos époques historiques et la manière par laquelle on les pensait.<ref>Taylor, Charles. Sources of the self: The making of the modern identity. Harvard University Press, 1989.</ref><ref>Adeney, F. S. (1991). Sources of the Self: The Making of the Modern Identity By Charles Taylor Cambridge, Harvard University Press, 1989. Theology Today, 48(2), 204–210. https://doi.org/10.1177/004057369104800210</ref><ref>Michael Ermarth, "Sources of the Self: The Making of the Modern Identity. Charles Taylor ," The Journal of Modern History 64, no. 1 (Mar., 1992): 119-121.  https://doi.org/10.1086/244444</ref><ref>Charles Larmore, "Sources of the Self: The Making of the Modern Identity. Charles Taylor ," Ethics 102, no. 1 (Oct., 1991): 158-162.  https://doi.org/10.1086/293378</ref><ref>Lane, M. (1992). GOD OR ORIENTEERING? A CRITICAL STUDY OF TAYLOR’S SOURCES OF THE SELF. Ratio, 5(1), 46–56. https://doi.org/10.1111/j.1467-9329.1992.tb00134.x</ref> Taylor montre que le libéralisme que nous avons à l’esprit est très ancré dans la tradition kantienne qui est l’idée de la reconnaissance de l’égale dignité qui est que nous allons reconnaître entre nous ce que nous partageons de plus fondamental qui pourrait être quelque chose qui relèverait de notre humanité commune ou de notre potentiel humain. Pour Taylor, il y a une autre tradition aussi propre au libéralisme, mais qui vient des romantiques qui est l’idée d’authenticité. Le libéralisme était ce qui a permis aux individus de se penser authentiques, de ne pas se penser comme enchâssés dans des castes ou dans des ordres donnés, mais comme étant le royaume de l’autodéfinition, le royaume de notre possibilité de découvrir qui nous sommes. Or, les deux parcours sont les politiques de l’égale dignité qui nous demande de nous reconnaître par rapport au dénominateur commun que nous partageons. La politique de l’authenticité ou de la reconnaissance de la différence nous demande de reconnaître en l’autre sa spécificité ultime qui est son authenticité. Évidemment, ceci rentre en tension. Quand, dans l’un, il faut être universaliste et trouver des principes généraux applicables à tout le monde, de l’autre côté, il faut laisser de la place à la particularité, à l’authenticité et à la spécificité, il y a un moment où il faudra décider. On ne peut pas mener les deux politiques, on ne peut pas défendre les mêmes principes de la même manière. Pour lui, le Québec, en étant une forme de culture à défendre, qui a le droit de survivre, on peut, au nom de la survivance du Québec et sans prétériter à des droits fondamentaux, nuancer partiellement les droits individuels au nom de la protection de la culture.
Pour Taylor, la reconnaissance va au-delà de la tolérance. Les formes de reconnaissances présupposent des préconditions sociales, ce sont le produit de relations sociales qui sont orientées vers la reconnaissance impliquant tout un tas de politiques publiques. Ce qui est intéressant dans Multiculturalisme et démocratie est que l’idée de reconnaissance n’est pas antilibérale, mais c’est l’une des traditions libérales. Taylor a publié un ouvrage intitulé ''Les sources du moi'' où il essaie de reconstituer les différentes formes d’identités qui ont traversé nos époques historiques et la manière par laquelle on les pensait. Taylor montre que le libéralisme que nous avons à l’esprit est très ancré dans la tradition kantienne qui est l’idée de la reconnaissance de l’égale dignité qui est que nous allons reconnaître entre nous ce que nous partageons de plus fondamental qui pourrait être quelque chose qui relèverait de notre humanité commune ou de notre potentiel humain. Pour Taylor, il y a une autre tradition aussi propre au libéralisme, mais qui vient des romantiques qui est l’idée d’authenticité. Le libéralisme était ce qui a permis aux individus de se penser authentiques, de ne pas se penser comme enchâssés dans des castes ou dans des ordres donnés, mais comme étant le royaume de l’autodéfinition, le royaume de notre possibilité de découvrir qui nous sommes. Or, les deux parcours sont les politiques de l’égale dignité qui nous demande de nous reconnaître par rapport au dénominateur commun que nous partageons. La politique de l’authenticité ou de la reconnaissance de la différence nous demande de reconnaître en l’autre sa spécificité ultime qui est son authenticité. Évidemment, ceci rentre en tension. Quand, dans l’un, il faut être universaliste et trouver des principes généraux applicables à tout le monde, de l’autre côté, il faut laisser de la place à la particularité, à l’authenticité et à la spécificité, il y a un moment où il faudra décider. On ne peut pas mener les deux politiques, on ne peut pas défendre les mêmes principes de la même manière. Pour lui, le Québec, en étant une forme de culture à défendre, qui a le droit de survivre, on peut, au nom de la survivance du Québec et sans prétériter à des droits fondamentaux, nuancer partiellement les droits individuels au nom de la protection de la culture.


== La théorie de la reconnaissance de Axel Honneth ==
== La théorie de la reconnaissance de Axel Honneth ==


[[File:AxelHonneth2.JPG|thumb|200px|Axel Honneth.<ref>“[https://philosophy.columbia.edu/directories/faculty/axel-honneth Axel Honneth].” Jack C. Weinstein Professor of the Humanities | Columbia University</ref>]]
[[File:AxelHonneth2.JPG|thumb|200px|Axel Honneth]]


La reconnaissance est vue ici comme étant le mot qui structure une bonne partie du débat normatif sur la gestion des sociétés multiculturelles et plus généralement sur la justice, mais aussi que l’on retrouve dans les observations empiriques. Il existe de nombreuses recherches empiriques d’anthropologues et d’ethnologues qui étudient des phénomènes de groupe collectif que cela soit dans les banlieues françaises ou dans d’autres pays et lorsqu’on interroge les gens concernés, très souvent, ils font référence dans leur discours à la question de la reconnaissance qui très souvent va de pair avec le respect. Le respect est une catégorie discursive qui raisonne avec celle de la reconnaissance. Il est clair que dans le débat public, il y a de nombreuses situations sociales qui raisonnent avec cette compréhension.
La reconnaissance est vue ici comme étant le mot qui structure une bonne partie du débat normatif sur la gestion des sociétés multiculturelles et plus généralement sur la justice, mais aussi que l’on retrouve dans les observations empiriques. Il existe de nombreuses recherches empiriques d’anthropologues et d’ethnologues qui étudient des phénomènes de groupe collectif que cela soit dans les banlieues françaises ou dans d’autres pays et lorsqu’on interroge les gens concernés, très souvent, ils font référence dans leur discours à la question de la reconnaissance qui très souvent va de pair avec le respect. Le respect est une catégorie discursive qui raisonne avec celle de la reconnaissance. Il est clair que dans le débat public, il y a de nombreuses situations sociales qui raisonnent avec cette compréhension.


[https://fr.wikipedia.org/wiki/Axel_Honneth Honneth] fait partie de l’[https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Francfort École de Frankfort] qui a développé des outils théoriques pour faire sens de situations empiriques. De l’autre côté, leurs outils empiriques n’existent pas en dehors d’une analyse empirique des pratiques sociales très forte. L’École de Frankfort avait pendant longtemps comme critique celle du capitalisme avec une certaine inspiration néomarxiste que [https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%BCrgen_Habermas Habermas] a corroboré avec sa critique de l’espace public et du capitalisme. Avec Honneth, il y a un changement assez important dans cette logique, à savoir que pour lui, la reconnaissance est une question morale. Il pose une théorie de la reconnaissance selon laquelle la reconnaissance est à la base de la grammaire morale des conflits sociaux.<ref>Honneth, Axel, and Thelma McCormack. "[https://search.proquest.com/openview/e40f96b0128f5d1a82435593d6d7b350/1?pq-origsite=gscholar&cbl=46824 The struggle for recognition: The moral grammar of social conflicts]." Canadian Journal of Sociology 22.1 (1997): 134.</ref> Pour Honneth, si conflit social il y a, s’il y a des groupes qui se positionnent de façon conflictuelle à l’égard de l’État ou d’autres groupes, si des phénomènes de violence ou d’apathie politique existent, ceci est dû non pas à un problème de redistribution de ressources comme le disait les néomarxistes ou social-démocrate, mais à des formes de négation de reconnaissance qui se traduit dans des formes d’humiliation, de mépris ou de mésestime sociale qui blessent les gens et qui amènent les individus dans des luttes pour la reconnaissance.  
Honneth fait partie de l’École de Frankfort qui a développé des outils théoriques pour faire sens de situations empiriques. De l’autre côté, leurs outils empiriques n’existent pas en dehors d’une analyse empirique des pratiques sociales très forte. L’École de Frankfort avait pendant longtemps comme critique celle du capitalisme avec une certaine inspiration néomarxiste que Habermas a corroboré avec sa critique de l’espace public et du capitalisme. Avec Honneth, il y a un changement assez important dans cette logique, à savoir que pour lui, la reconnaissance est une question morale. Il pose une théorie de la reconnaissance selon laquelle la reconnaissance est à la base de la grammaire morale des conflits sociaux. Pour Honneth, si conflit social il y a, s’il y a des groupes qui se positionnent de façon conflictuelle à l’égard de l’État ou d’autres groupes, si des phénomènes de violence ou d’apathie politique existent, ceci est dû non pas à un problème de redistribution de ressources comme le disait les néomarxistes ou social-démocrate, mais à des formes de négation de reconnaissance qui se traduit dans des formes d’humiliation, de mépris ou de mésestime sociale qui blessent les gens et qui amènent les individus dans des luttes pour la reconnaissance.  


Dans ''The struggle for recognition'' publiée en 1995, Honneth pose la reconnaissance comme étant une théorie morale.<ref> Honneth, Axel. [https://mitpress.mit.edu/books/struggle-recognition The struggle for recognition : the moral grammar of social conflicts]. Cambridge, Mass: MIT Press, 1996. Print.</ref> Pour lui, une société sera moralement intégrée quand tout le monde bénéficiera d’une forme de reconnaissance. Pour lui, la reconnaissance est la base de toutes les autres injustices. Pour Honneth, la reconnaissance est la catégorie fondamentale. Pour lui, des formes d’injustices que l’on pourrait imaginer comme découlant de politiques injustes sont le produit de formes de reconnaissances du fait que certaines catégories de la population ne sont pas reconnues à leur juste valeur et c’est ainsi qu’on justifie le fait de distribuer moins de ressources socioéconomiques ou autres. Il pose véritablement la reconnaissance à la base.  
Dans ''Luttes pour la Reconnaissance'' publiée en 1995, Honneth pose la reconnaissance comme étant une théorie morale. Pour lui, une société sera moralement intégrée quand tout le monde bénéficiera d’une forme de reconnaissance. Pour lui, la reconnaissance est la base de toutes les autres injustices. Pour Honneth, la reconnaissance est la catégorie fondamentale. Pour lui, des formes d’injustices que l’on pourrait imaginer comme découlant de politiques injustes sont le produit de formes de reconnaissances du fait que certaines catégories de la population ne sont pas reconnues à leur juste valeur et c’est ainsi qu’on justifie le fait de distribuer moins de ressources socioéconomiques ou autres. Il pose véritablement la reconnaissance à la base.  


Il y a l’idée de mépris social de groupes ce qui veut dire qu’il y a des individus ou des groupes qui ne jugent pas d’une base équitable d’estime sociale. Il y a un groupe qui est considéré pour différentes raisons comme n’étant pas à la hauteur d’une certaine conception du mérite social ou de la qualité morale. Pour Honneth, cette situation de subordination implique des conflits, que ces groupes s’activent afin de chercher une forme de reconnaissance. Il explique les confrontations sociales comme une forme hégélienne avec l’idée du maitre et de l’esclave avec l’un étant l’antithèse de l’autre qui va produire quelque chose d’autre où au fond l’esclave est partie du maitre parce qu’il n’y a pas de maitre sans esclave. C’est cette idée dialectique de Hegel qu’il y a un groupe qui nie reconnaissance à l’autre qui va rentrer dans une lutte afin de produire une nouvelle entité sociale qui va par la suite être un parcours de reconnaissance. En terme intuitif, c’est une idée qui est très puissante parce qu’on peut facilement imaginer tout un tas de cas.  
Il y a l’idée de mépris social de groupes ce qui veut dire qu’il y a des individus ou des groupes qui ne jugent pas d’une base équitable d’estime sociale. Il y a un groupe qui est considéré pour différentes raisons comme n’étant pas à la hauteur d’une certaine conception du mérite social ou de la qualité morale. Pour Honneth, cette situation de subordination implique des conflits, que ces groupes s’activent afin de chercher une forme de reconnaissance. Il explique les confrontations sociales comme une forme hégélienne avec l’idée du maitre et de l’esclave avec l’un étant l’antithèse de l’autre qui va produire quelque chose d’autre où au fond l’esclave est partie du maitre parce qu’il n’y a pas de maitre sans esclave. C’est cette idée dialectique de Hegel qu’il y a un groupe qui nie reconnaissance à l’autre qui va rentrer dans une lutte afin de produire une nouvelle entité sociale qui va par la suite être un parcours de reconnaissance. En terme intuitif, c’est une idée qui est très puissante parce qu’on peut facilement imaginer tout un tas de cas.  
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Dans l’idéal, il faudrait les trois pour faire en sorte que chacun ait des émotions et des besoins humains suffisamment assouvis pour qu’il puisse fonctionner comme être humain autonome donc fonctionner dans les sociétés modernes.
Dans l’idéal, il faudrait les trois pour faire en sorte que chacun ait des émotions et des besoins humains suffisamment assouvis pour qu’il puisse fonctionner comme être humain autonome donc fonctionner dans les sociétés modernes.


Tout un tas de questions reste en suspend autour de la question de Honneth. Ces trois axes permettent de définir une grammaire morale des émotions et des besoins humains qui complètent la conception libérale de la justice et de l’égalité : {{citation|[…] In modern societies, […] the conditions of individual self-realization are only socially secured when subjects are able to experience intersubjective recognition not only of their personal autonomy, but also of their specific needs and their particular capabilities}}.<ref>Honneth, Axel. “Recognition and Justice: Outline of a Plural Theory of Justice.” Acta Sociologica, vol. 47, no. 4, 2004, pp. 351–364. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/4195049.</ref> La dimension psychologique est très contestée chez Honneth. Pour beaucoup d’auteurs, Honneth la porte de manière excessive à la psychologisation du sujet.  
Tout un tas de questions reste en suspend autour de la question de Honneth. Ces trois axes permettent de définir une grammaire morale des émotions et des besoins humains qui complètent la conception libérale de la justice et de l’égalité : {{citation|[…] In modern societies, […] the conditions of individual self-realization are only socially secured when subjects are able to experience intersubjective recognition not only of their personal autonomy, but also of their specific needs and their particular capabilities}}. La dimension psychologique est très contestée chez Honneth. Pour beaucoup d’auteurs, Honneth la porte de manière excessive à la psychologisation du sujet.  


Pour beaucoup d’auteurs, Honneth ouvre la porte pour qu’on puisse dire que nous nous semblons méconnus et que nous avons besoin d’aide. La question qui se pose est de savoir comment mettre des critères, à partir de quel moment il y a des formes de méconnaissance qui engagent la responsabilité de l’État, à partir de quel moment il y a des formes de méconnaissance au niveau subjectif pour lesquels on risque de tomber dans une société de psy où chacun va thématiser et narrer ses blessures, mais à partir de quel moment l’État est engagé. Honneth a récusé cette critique, mais il n’en demeure pas moins que la critique est importante parce que la question qui se pose est celle de la finalité de la théorie de Honneth.  
Pour beaucoup d’auteurs, Honneth ouvre la porte pour qu’on puisse dire que nous nous semblons méconnus et que nous avons besoin d’aide. La question qui se pose est de savoir comment mettre des critères, à partir de quel moment il y a des formes de méconnaissance qui engagent la responsabilité de l’État, à partir de quel moment il y a des formes de méconnaissance au niveau subjectif pour lesquels on risque de tomber dans une société de psy où chacun va thématiser et narrer ses blessures, mais à partir de quel moment l’État est engagé. Honneth a récusé cette critique, mais il n’en demeure pas moins que la critique est importante parce que la question qui se pose est celle de la finalité de la théorie de Honneth.  
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== Le dilemme « reconnaissance – redistribution » selon Nancy Fraser (Qu’est-ce que la justice sociale ?, 2005) ==
== Le dilemme « reconnaissance – redistribution » selon Nancy Fraser (Qu’est-ce que la justice sociale ?, 2005) ==


[[Fichier:NancyFraser.JPG|thumb|Nancy Fraser en 2008.<ref>[https://www.newschool.edu/nssr/faculty/Nancy-Fraser/ Nancy Fraser] - [https://www.newschool.edu/nssr/ Henry A and Louise Loeb Professor of Political and Social Science].</ref><ref>PeoplePill. “[https://peoplepill.com/people/nancy-fraser/ Nancy Fraser: American Philosopher - Biography and Life.]”</ref><ref>Fraser Nancy, « Nancy Fraser, une philosophe rebelle », Travail, genre et sociétés, 2012/1 (No 27), p. 5-27. DOI : 10.3917/tgs.027.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2012-1-page-5.htm</ref>]]
[[Fichier:NancyFraser.JPG|thumb|<center>Nancy Fraser 2008.]]


[https://fr.wikipedia.org/wiki/Nancy_Fraser Fraser] essaie de concilier la justice distributive et la reconnaissance dans une théorie appelée bifocale. Pour elle, cela est frustrant que tout soit une question de multiculturalisme et de reconnaissance, il faut revenir à la justice distributive, mais en même temps, il est important de considérer à leur juste raison et dans leur juste importance les problèmes de reconnaissance.  
Fraser essaie de concilier la justice distributive et la reconnaissance dans une théorie appelée bifocale. Pour elle, cela est frustrant que tout soit une question de multiculturalisme et de reconnaissance, il faut revenir à la justice distributive, mais en même temps, il est important de considérer à leur juste raison et dans leur juste importance les problèmes de reconnaissance.  


L’attention portée à la reconnaissance tend à occulter les injustices distributives. Il faut donc avoir une théorie de la justice sociale susceptible d’articuler à la fois les injustices socio-économiques (exploitation, marginalisation ou exclusion économique) et les injustices relevant de la sphère culturelle (domination culturelle par imposition de modèles sociaux) : {{citation|nous nous trouvons ainsi devant un dilemme complexe, que j’intitulerai dilemme redistribution/reconnaissance : les personnes qui sont objets simultanément d’injustice culturelle et d’injustice économique ont besoin à la fois de reconnaissance et de redistribution ; elles ont besoin à la fois de revendiquer et de nier leur spécificité}}.<ref>Fraser, Nancy. "[http://bibliopreta.com.br/wp-content/uploads/2018/01/Fraser-Redistribution-Recognition-Dilema-1.pdf From redistribution to recognition? Dilemmas of justice in a'post-socialist'age]." New left review (1995): 68-68.</ref>
L’attention portée à la reconnaissance tend à occulter les injustices distributives. Il faut donc avoir une théorie de la justice sociale susceptible d’articuler à la fois les injustices socio-économiques (exploitation, marginalisation ou exclusion économique) et les injustices relevant de la sphère culturelle (domination culturelle par imposition de modèles sociaux) : {{citation|nous nous trouvons ainsi devant un dilemme complexe, que j’intitulerai dilemme redistribution/reconnaissance : les personnes qui sont objets simultanément d’injustice culturelle et d’injustice économique ont besoin à la fois de reconnaissance et de redistribution ; elles ont besoin à la fois de revendiquer et de nier leur spécificité}}.


Contrairement à Honneth (qui a une théorie morale moniste de la reconnaissance), Fraser propose une théorie bifocale de la justice sociale, qui sache dépasser les impasses de la politique de la reconnaissance comprise comme politique de l’identité<ref>THOMPSON, S. (2005). Is redistribution a form of recognition? comments on the Fraser–Honneth debate. Critical Review of International Social and Political Philosophy, 8(1), 85–102. https://doi.org/10.1080/1369823042000335876</ref> :  
Contrairement à Honneth (qui a une théorie morale moniste de la reconnaissance), Fraser propose une théorie bifocale de la justice sociale, qui sache dépasser les impasses de la politique de la reconnaissance comprise comme politique de l’identité :  


La reconnaissance vise l’affirmation de la différenciation, tandis que la redistribution vise la disparition des différences sociales, donc tend vers l’égalité. Comment concilier ces deux postures, surtout quand elles déploient des effets en même temps, comme dans le cas du genre et de la race ?  
La reconnaissance vise l’affirmation de la différenciation, tandis que la redistribution vise la disparition des différences sociales, donc tend vers l’égalité. Comment concilier ces deux postures, surtout quand elles déploient des effets en même temps, comme dans le cas du genre et de la race ?  


L’évincement de la redistribution (car ce modèle appréhende, d’une part, la reconnaissance uniquement comme une réponse au problème de la dépréciation culturelle ou alors, comme Honneth, stipule que le fait de réévaluer les identités dépréciées est une manière de s’attaquer aux injustices distributives)<ref>“Social and Political Recognition.” Internet Encyclopedia of Philosophy, https://www.iep.utm.edu/recog_sp/</ref> ;  
L’évincement de la redistribution (car ce modèle appréhende, d’une part, la reconnaissance uniquement comme une réponse au problème de la dépréciation culturelle ou alors, comme Honneth, stipule que le fait de réévaluer les identités dépréciées est une manière de s’attaquer aux injustices distributives) ;  


La réification de l’identité (le fait de penser la politique de la reconnaissance comme une politique de l’identité porte à occulter les différences internes aux groupes culturels et les luttes de pouvoir en son sein).<ref>Fraser, Nancy. "[https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=qEtiw1xuT8EC&oi=fnd&pg=PA21&dq=reification+fraser&ots=Hi4_WkPHY6&sig=cOmdHJjIO_OyHqNhKp8EhH_yidA#v=onepage&q=reification%20fraser&f=false Rethinking recognition: overcoming displacement and reification in cultural politics]." Recognition struggles and social movements: Contested identities, agency and power (2003): 21-32.</ref> Elle propose une logique axée autour du statut. Ainsi, ce n’est plus l’identité spécifique de l’individu ou d’un groupe qui nécessite une reconnaissance, mais plutôt le statut de partenaire à part entière de l’interaction sociale :  
La réification de l’identité (le fait de penser la politique de la reconnaissance comme une politique de l’identité porte à occulter les différences internes aux groupes culturels et les luttes de pouvoir en son sein). Elle propose une logique axée autour du statut. Ainsi, ce n’est plus l’identité spécifique de l’individu ou d’un groupe qui nécessite une reconnaissance, mais plutôt le statut de partenaire à part entière de l’interaction sociale :  


Le déni de reconnaissance se traduit dans une relation de subordination sociale ou subordination statutaire, au sens d’un empêchement à participer en tant que pair à la vie sociale qui résulte d’un ensemble institutionnalisé de codes et de valeurs culturelles.<ref>Fraser, Nancy. "[https://search.proquest.com/openview/dc128bd9c0ce00f0938e02614e60397f/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1819646 Rethinking recognition]." New left review 3 (2000): 107.</ref>
Le déni de reconnaissance se traduit dans une relation de subordination sociale ou subordination statutaire, au sens d’un empêchement à participer en tant que pair à la vie sociale qui résulte d’un ensemble institutionnalisé de codes et de valeurs culturelles.
   
   
Pour Fraser, le déni de reconnaissance ne doit pas être considéré comme une atteinte / déformation psychique, ou un préjudice culturel autonome, mais comme une relation institutionnalisée de subordination sociale, produite par des institutions sociales et par des 'sens' / rapports de pouvoir inhérents à ces dernières<ref>Renault, Emmanuel. "[https://www.redalyc.org/pdf/324/32427211.pdf What is the use of the notion of the struggle of recognition?]." Revista de Ciencia Política 27.2 (2007): 195-205.</ref><ref>Kompridis, N. (2007). Struggling over the Meaning of Recognition. European Journal of Political Theory, 6(3), 277–289. https://doi.org/10.1177/1474885107077311</ref> ;  
Pour Fraser, le déni de reconnaissance ne doit pas être considéré comme une atteinte / déformation psychique, ou un préjudice culturel autonome, mais comme une relation institutionnalisée de subordination sociale, produite par des institutions sociales et par des 'sens' / rapports de pouvoir inhérents à ces dernières ;  
   
   
Ainsi, le critère normatif auquel doit tendre la justice sociale est la parité de participation : {{citation|Un modèle institutionnalisé de valeurs culturelles constitue certains acteurs en quelque chose de moins que des membres à part entière de la société et est un obstacle à leur participation sur un plan d’égalité. […] Réparer le déni de reconnaissance signifie remplacer les modèles de valeurs institutionnalisés qui sont un obstacle à la parité de participation par des modèles qui la permettent ou la favorisent}}.<ref>Fraser Nancy, « 3. Repenser la reconnaissance », dans : , Qu'est-ce que la justice sociale ?Reconnaissance et redistribution, sous la direction de Fraser Nancy. Paris, La Découverte, « Poche/Sciences humaines et sociales », 2011, p. 71-92. URL : https://www.cairn.info/qu-est-ce-que-la-justice-sociale--9782707167897-page-71.htm</ref>
Ainsi, le critère normatif auquel doit tendre la justice sociale est la parité de participation : {{citation|Un modèle institutionnalisé de valeurs culturelles constitue certains acteurs en quelque chose de moins que des membres à part entière de la société et est un obstacle à leur participation sur un plan d’égalité. […] Réparer le déni de reconnaissance signifie remplacer les modèles de valeurs institutionnalisés qui sont un obstacle à la parité de participation par des modèles qui la permettent ou la favorisent}}.


= Annexes =
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