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Dans le modèle de Schumpeter, l'élite politique n'est pas une élite par naissance, par richesse ou par classe sociale, mais par compétence, talent et dévouement à la politique. Cette élite est choisie par le peuple lors d'élections libres et compétitives. La compétition électorale est considérée comme le mécanisme clé pour assurer la responsabilité des dirigeants envers le peuple et pour garantir que seuls les candidats les plus compétents et les plus dévoués à servir l'intérêt public soient élus. Les individus qui forment cette élite politique sont souvent ceux qui ont une vocation, une passion pour la politique, et qui ont acquis une expertise dans le domaine à travers l'éducation, l'expérience et l'engagement constant. Ils sont capables de comprendre les problèmes complexes auxquels la société est confrontée et de proposer des solutions politiques efficaces.
Dans le modèle de Schumpeter, l'élite politique n'est pas une élite par naissance, par richesse ou par classe sociale, mais par compétence, talent et dévouement à la politique. Cette élite est choisie par le peuple lors d'élections libres et compétitives. La compétition électorale est considérée comme le mécanisme clé pour assurer la responsabilité des dirigeants envers le peuple et pour garantir que seuls les candidats les plus compétents et les plus dévoués à servir l'intérêt public soient élus. Les individus qui forment cette élite politique sont souvent ceux qui ont une vocation, une passion pour la politique, et qui ont acquis une expertise dans le domaine à travers l'éducation, l'expérience et l'engagement constant. Ils sont capables de comprendre les problèmes complexes auxquels la société est confrontée et de proposer des solutions politiques efficaces.


//Comparé aux façons de choisir son gouvernement par l’héritage ou pas la loterie, Schumpeter croyait que les élections nous donnaient la plus grande opportunité d’un gouvernement compétent, un gouvernement des gens qui savaient ou qui pouvaient maitriser au moins les techniques de la politique, de la persuasion, du jugement politique, et du savoir faire de la politique. Comparé à la noblesse héréditaire qui d’une part avec un tas de problèmes en termes de capacités, selon Schumpeter, l’idéal était que nous, nous pouvons choisir les politiciens qui nous semblent être les mieux. Cela est selon lui la meilleure façon de trouver les politiciens compétents, fiables avec le savoir et les techniques afin de gouverner dans le monde moderne.
L'idée de Schumpeter sur la démocratie repose sur le concept de compétition politique. Les individus les plus compétents et les plus capables de prendre les meilleures décisions pour la collectivité sont élus pour gouverner. Cette concurrence favorise une sorte de "darwinisme politique" où seuls les meilleurs survivent et prospèrent. Selon Schumpeter, la compétition pour le vote populaire oblige les candidats à démontrer leur compétence, leur vision politique et leur aptitude à gouverner. Cela diffère des systèmes basés sur l'hérédité ou la loterie, où le leadership peut être attribué indépendamment de la compétence ou de l'aptitude à gouverner. De plus, Schumpeter soutenait que la plupart des citoyens ne s'intéressent pas à la politique au-delà du vote lors des élections. Ils préfèrent laisser la gestion des affaires de l'État aux politiciens professionnels. Pour lui, c'est non seulement acceptable, mais aussi bénéfique pour la société.


En plus, il croyait que les élections démocratiques comparées à la loterie et comparés au principe d’hérédité nous donnait une plus grande chance d’avoir un gouvernement qui nous valorisait, qui voulait notre bien. Si nous pouvons rester sur l’idéal de la démocratie comme gouvernement pour le peuple, l’idée de Schumpeter était la meilleure façon de trouver un gouvernement pour le peuple qui était de lier un gouvernement représentatif avec le suffrage universel pour choisir parmi ceux qui voulaient gouverner celui qui nous plait le plus.  
Schumpeter avait une vision des élections démocratiques comme étant une méthode qui assure une meilleure représentation des intérêts des citoyens par comparaison avec les systèmes basés sur l'hérédité ou la loterie. Selon lui, les candidats politiques, pour être élus, devraient répondre aux besoins et aux préoccupations des électeurs. Ainsi, les gouvernements qui émergent de cette compétition électorale seraient plus susceptibles de se soucier du bien-être de la population, de chercher à répondre à leurs besoins et de respecter leurs droits. Dans cette perspective, l'engagement politique des citoyens se manifeste principalement par le vote. C'est par ce processus que les citoyens expriment leurs préférences et choisissent ceux qui les gouverneront. Cette approche, cependant, soulève des questions sur la passivité politique et le rôle actif que les citoyens peuvent et devraient jouer dans la vie démocratique au-delà du vote.  


Pour Schumpeter, la démocratie est avant tout un processus compétitif pour le vote du peuple. Dans son modèle, le gouvernement est certes conduit par une élite, mais cette élite est soumise à la volonté populaire exprimée par le vote. Il considérait que c'était le meilleur moyen d'assurer un gouvernement qui répond aux besoins et aux désirs du peuple, car les candidats qui cherchent à être élus doivent nécessairement prendre en compte les préférences et les intérêts des électeurs. En d'autres termes, dans la vision de Schumpeter, la démocratie ne signifie pas que tout le monde doit être impliqué dans la prise de chaque décision. Au lieu de cela, elle implique que tout le monde a le droit de participer au choix des dirigeants qui, une fois élus, auront la responsabilité de prendre des décisions politiques importantes.
=== L’idéal d’autogouvernement selon Schumpeter ===
Naturellement, et c’est cela qui rend élitiste l’idéal de Schumpeter, l’idéal d’autogouvernement, l’idée de la démocratie d’un gouvernement par le peuple, avait très peu d’intérêt pour Schumpeter. À vrai dire, il croyait que dans le monde moderne, l’idéal d’autogouvernement n’avait pas de sens ; comment cela serait possible que chacun de nous puisse nous gouverner puisque nous sommes nombreux. Même dans les républiques classiques, la démocratie participative avait des limites assez strictes. Il croyait qu’à la fin, même dans les républiques grecques, l’idéal d’autogouvernement était plutôt la potence que quelque chose d’attirant. La solution était l’idéal que le gouvernement constitutionnel avec des élections régulières nous donnait les moyens de réaliser ce qui était réalisable dans le monde moderne des idéaux de la liberté, de l’égalité et de la démocratie du monde classique. Nous aurons la liberté parce que nul ne va être forcé de participer dans le gouvernement s’il ne le veut pas. Selon Schumpeter, on ne doit pas s’intéresser à la politique si on ne veut pas. Alors, pour lui, une démocratie représentative où les citoyens peuvent s’intéresser à leurs propres affaires ou autres affaires que la politique était l’expression simple de la liberté des modernes. Le fait que si nous voulons et pouvons élire nos représentants et nous présenter comme représentant pour les autres, cela nos donnait toute la liberté politique qui était souhaitable et réalisable dans le monde moderne.
Naturellement, et c’est cela qui rend élitiste l’idéal de Schumpeter, l’idéal d’autogouvernement, l’idée de la démocratie d’un gouvernement par le peuple, avait très peu d’intérêt pour Schumpeter. À vrai dire, il croyait que dans le monde moderne, l’idéal d’autogouvernement n’avait pas de sens ; comment cela serait possible que chacun de nous puisse nous gouverner puisque nous sommes nombreux. Même dans les républiques classiques, la démocratie participative avait des limites assez strictes. Il croyait qu’à la fin, même dans les républiques grecques, l’idéal d’autogouvernement était plutôt la potence que quelque chose d’attirant. La solution était l’idéal que le gouvernement constitutionnel avec des élections régulières nous donnait les moyens de réaliser ce qui était réalisable dans le monde moderne des idéaux de la liberté, de l’égalité et de la démocratie du monde classique. Nous aurons la liberté parce que nul ne va être forcé de participer dans le gouvernement s’il ne le veut pas. Selon Schumpeter, on ne doit pas s’intéresser à la politique si on ne veut pas. Alors, pour lui, une démocratie représentative où les citoyens peuvent s’intéresser à leurs propres affaires ou autres affaires que la politique était l’expression simple de la liberté des modernes. Le fait que si nous voulons et pouvons élire nos représentants et nous présenter comme représentant pour les autres, cela nos donnait toute la liberté politique qui était souhaitable et réalisable dans le monde moderne.


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Voilà les problèmes empiriques modernes. Normativement, on a un tas de problèmes parce qu’après tout, si a une forme de gouvernement avec une partie assez restreinte qui ont une connaissance spéciale des rênes du pouvoir et une majorité qui sait très peu sur la politique comment cela s’organise, comment cela se fait, il est clair que la liberté et l’égalité de ce deuxième groupe beaucoup plus grand est mis en danger. Si on peut dire, un modèle de la démocratie qui devient assez vite cynique au lieu d’idéal.
Voilà les problèmes empiriques modernes. Normativement, on a un tas de problèmes parce qu’après tout, si a une forme de gouvernement avec une partie assez restreinte qui ont une connaissance spéciale des rênes du pouvoir et une majorité qui sait très peu sur la politique comment cela s’organise, comment cela se fait, il est clair que la liberté et l’égalité de ce deuxième groupe beaucoup plus grand est mis en danger. Si on peut dire, un modèle de la démocratie qui devient assez vite cynique au lieu d’idéal.


=== Un modèle moins élitiste ===
Il semble qu’on peut modifier ce modèle élitiste de la démocratie pour le rendre moins élitiste, pour le rendre plus participatif, égalitaire. On peut imaginer par exemple un système où on garde l’idée d’une concurrence de pouvoir parmi un groupe restreint, mais avec peut être une forme d’action positive pour vraiment élargir le cercle du gouverneur, ou on peut imaginer une forme de corporatisme à la Durkheim et ses successeurs, une forme de corporatisme où on essaie de faire participer et de représenter en politique les intérêts divers des parties différentes de la population. Dans le modèle corporatiste de la démocratie, on essaie de faire représenter les gens pas en tant que citoyens seulement à travers les élections, mais on essaie aussi de les représenter en tant qu’ouvrier ou en tant que religieux ou en tant qu’employeur dans les associations qui vont participer directement dans la prise de décision politique.  
Il semble qu’on peut modifier ce modèle élitiste de la démocratie pour le rendre moins élitiste, pour le rendre plus participatif, égalitaire. On peut imaginer par exemple un système où on garde l’idée d’une concurrence de pouvoir parmi un groupe restreint, mais avec peut être une forme d’action positive pour vraiment élargir le cercle du gouverneur, ou on peut imaginer une forme de corporatisme à la Durkheim et ses successeurs, une forme de corporatisme où on essaie de faire participer et de représenter en politique les intérêts divers des parties différentes de la population. Dans le modèle corporatiste de la démocratie, on essaie de faire représenter les gens pas en tant que citoyens seulement à travers les élections, mais on essaie aussi de les représenter en tant qu’ouvrier ou en tant que religieux ou en tant qu’employeur dans les associations qui vont participer directement dans la prise de décision politique.  
On peut imaginer un moyen de rendre moins élitiste, plus égalitaire au moins ou plus participatif le modèle de la démocratie formulé par Schumpeter peut-être en utilisant les idées plutôt corporatistes. Là, il faut se rendre que dans le modèle où les gens doivent pour la plupart s’associer en tant que membre d’un syndicat, ils doivent rejoindre un syndicat pour être représentés et les gens doivent se faire représenter en tant qu’agriculteur par exemple afin que les intérêts agricoles soient représentés en politique. On a un modèle de la politique qui dépasse Schumpeter qui perd l’attrait que nous ne devrions pas participer à la politique si cela ne nous intéresse pas et il n’y a pas de forme spécifique de participation.  
On peut imaginer un moyen de rendre moins élitiste, plus égalitaire au moins ou plus participatif le modèle de la démocratie formulé par Schumpeter peut-être en utilisant les idées plutôt corporatistes. Là, il faut se rendre que dans le modèle où les gens doivent pour la plupart s’associer en tant que membre d’un syndicat, ils doivent rejoindre un syndicat pour être représentés et les gens doivent se faire représenter en tant qu’agriculteur par exemple afin que les intérêts agricoles soient représentés en politique. On a un modèle de la politique qui dépasse Schumpeter qui perd l’attrait que nous ne devrions pas participer à la politique si cela ne nous intéresse pas et il n’y a pas de forme spécifique de participation.  

Version du 20 juin 2023 à 10:54

Introduction à la théorie politique
Faculté Faculté des sciences de la société
Département Département de science politique et relations internationales
Professeur(s) Annabelle Lever
Enregistrement partie 1 (2015) partie 2 (2015)
Cours Introduction à la science politique

Lectures


/Le défi de la démocratie moderne vient de ce que l’on apprend de la démocratie grecque. Le sujet de ce cours est la théorie politique de la démocratie. Pour cela, il faut appréhender les problèmes politiques de la démocratie moderne à travers ce que nous avons appris de la démocratie grecque.

Qu’est-ce que la théorie politique normative

Le modèle pluraliste de la démocratie est un concept important dans la théorie politique. Le pluralisme fait référence à la diversité des opinions et des intérêts présents dans une société démocratique et postule que la démocratie est mieux réalisée lorsque ces divers groupes ont la possibilité de faire entendre leur voix dans le processus politique. En termes plus simples, le pluralisme démocratique suggère qu'il n'y a pas un seul intérêt général ou commun, mais plutôt une multitude d'intérêts particuliers représentés par différents groupes de citoyens. La politique est alors vue comme un champ de bataille pour ces différents groupes, qui cherchent à influencer les décisions politiques en leur faveur.

Du point de vue de la science politique empirique, le modèle pluraliste est utile pour analyser comment les décisions politiques sont prises dans les démocraties réelles. Il permet d'explorer la dynamique des groupes de pression, des partis politiques, des syndicats, des entreprises, et d'autres groupes d'intérêt. Il peut aussi aider à expliquer pourquoi certaines politiques sont adoptées tandis que d'autres ne le sont pas, en fonction de la force et de l'influence relative de différents groupes d'intérêt. Du point de vue de la théorie politique normative, qui se concentre sur comment les choses devraient être plutôt que sur comment elles sont, le modèle pluraliste peut être à la fois une source d'optimisme et de critique. D'une part, il peut être vu comme une affirmation de la diversité et de la liberté d'expression, où chaque groupe a la possibilité d'influencer la politique. D'autre part, il peut être critiqué pour sa tendance à favoriser les groupes qui ont déjà du pouvoir et des ressources, au détriment de ceux qui sont marginalisés ou moins bien organisés.

Le modèle pluraliste est une base fondamentale dans la science politique, tant dans son aspect empirique que normatif. Sur le plan empirique, le modèle pluraliste offre un cadre pour comprendre comment fonctionne une démocratie dans la pratique. Il reconnaît que la société est composée de divers groupes d'intérêt qui cherchent à influencer les politiques publiques. En observant ces interactions, nous pouvons analyser comment ces diverses forces contribuent à façonner le paysage politique. De plus, le modèle pluraliste nous permet de poser des questions clés sur la distribution du pouvoir et de l'influence dans une société. Par exemple, quels groupes sont les plus influents ? Quels groupes sont marginalisés ou exclus du processus politique ? Comment ces dynamiques affectent-elles les résultats politiques ? Sur le plan normatif, le modèle pluraliste nous aide à réfléchir à ce que devrait être une démocratie. Il valorise la diversité des opinions et la compétition entre différents groupes d'intérêt comme moyen de réaliser la démocratie. Cependant, il souligne également les défauts potentiels de ce modèle, tels que la possibilité que certains groupes soient disproportionnellement puissants et d'autres marginalisés. Enfin, le modèle pluraliste peut aussi nous aider à formuler des recommandations sur la manière d'améliorer le fonctionnement de la démocratie. Par exemple, si nous constatons que certains groupes sont régulièrement exclus du processus politique, nous pourrions proposer des réformes pour augmenter leur inclusion et leur influence.

Le modèle pluraliste a pris de l'ampleur dans la science politique occidentale pendant les années 1950, 1960 et 1970. Plusieurs chercheurs ont développé et formalisé ce concept pendant cette période. Les travaux de Robert Dahl sont particulièrement notables. Dans son livre "Who Governs?" (1961), Dahl examine le fonctionnement du pouvoir dans une ville américaine et conclut que le pouvoir est distribué entre plusieurs groupes d'intérêts plutôt que concentré entre les mains d'une élite. David Truman, dans "The Governmental Process" (1951), a également développé l'idée que la politique est largement déterminée par l'interaction de divers groupes d'intérêts. Selon lui, ces groupes sont formés en réponse à des pressions sociales partagées et sont essentiels pour la stabilisation de la société. Dans "The Semi-Sovereign People" (1960), E.E. Schattschneider a soutenu que le modèle pluraliste a ses limites, en particulier lorsqu'il s'agit d'assurer une représentation équitable de tous les intérêts de la société. Il a notamment souligné que certains groupes d'intérêts ont un avantage disproportionné dans le processus politique. Ces théories ont été fondamentales pour comprendre le fonctionnement de la démocratie et sont encore largement utilisées aujourd'hui, bien qu'elles aient été complétées et critiquées par des approches ultérieures, notamment celles qui mettent l'accent sur le rôle de l'élite, les inégalités de pouvoir, et l'importance des institutions politiques.

Comprendre le modèle pluraliste peut servir de base pour explorer d'autres modèles de démocratie, y compris le modèle élitiste. Le modèle élitiste, aussi connu sous le nom de modèle de démocratie compétitive ou de démocratie schumpétérienne (du nom du théoricien politique Joseph Schumpeter), offre une perspective différente sur la façon dont la démocratie fonctionne. Selon Schumpeter dans son ouvrage "Capitalisme, socialisme et démocratie" (1942), la démocratie est définie par la compétition pour le leadership politique entre une élite. Plutôt que de mettre l'accent sur la participation directe du citoyen, comme le fait la démocratie directe, ou sur la compétition entre groupes d'intérêts divers, comme le fait le modèle pluraliste, Schumpeter voit la démocratie principalement comme un mécanisme par lequel les citoyens élisent leurs dirigeants. Pour Schumpeter, le rôle principal du citoyen est de participer aux élections pour choisir entre différents candidats de l'élite. Il a soutenu que ce modèle est plus réaliste et fonctionnel que le modèle de démocratie directe, en particulier dans les sociétés complexes et largement peuplées d'aujourd'hui. Le modèle élitiste de Schumpeter a été critiqué pour son approche minimaliste de la démocratie. Certains soutiennent qu'il donne trop de pouvoir à l'élite et ne fait pas assez pour encourager la participation des citoyens ou pour assurer la représentation des intérêts divers de la société. Cependant, il offre une perspective utile pour analyser la réalité du fonctionnement de nombreuses démocraties modernes. En fin de compte, les modèles pluraliste et élitiste offrent des perspectives différentes mais complémentaires sur la démocratie. Ils soulignent tous deux l'importance de la compétition dans le processus démocratique, mais ils diffèrent quant à qui participe à cette compétition (groupes d'intérêts divers dans le modèle pluraliste, élite politique dans le modèle élitiste) et comment elle se déroule.

La démocratie moderne, en particulier le modèle élitiste, est généralement considérée comme la forme de gouvernement la plus légitime dans de nombreuses parties du monde aujourd'hui. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas et il existe de nombreux défis et critiques associés à ce modèle. Tout d'abord, le modèle élitiste repose sur l'idée que l'élite politique est la mieux placée pour gouverner. Cela découle de la croyance que l'élite a les connaissances, l'expertise et les ressources nécessaires pour prendre des décisions éclairées au nom de la population. Cependant, cela a été critiqué pour le fait que cela peut mener à une concentration du pouvoir entre les mains d'un petit nombre d'individus, potentiellement à l'abri de la volonté du peuple. De plus, bien que la démocratie élitiste implique des élections, certains soutiennent qu'elle n'encourage pas suffisamment la participation citoyenne au-delà du vote. Les citoyens peuvent se sentir déconnectés du processus politique et penser que leurs voix ne sont pas vraiment entendues, ce qui peut conduire à l'apathie et au cynisme. Ensuite, le modèle élitiste peut également être critiqué pour ne pas tenir suffisamment compte des inégalités de pouvoir et de ressources dans la société. Certains groupes peuvent avoir plus de moyens pour influencer les politiques publiques que d'autres, ce qui peut conduire à des résultats qui ne sont pas équitables pour tous. Enfin, la démocratie moderne est confrontée à de nombreux défis qui ne sont pas spécifiques au modèle élitiste, mais qui sont toujours pertinents. Ces défis incluent la désinformation, la polarisation politique, la corruption et la menace du populisme.

La démocratie telle qu'elle a été pratiquée dans les cités-états grecques antiques d'Athènes et de Sparte était très différente de la démocratie telle que nous la connaissons aujourd'hui. Dans la démocratie athénienne, par exemple, tous les citoyens - définis alors comme des hommes libres nés de parents athéniens - avaient le droit de participer directement à l'assemblée politique et de voter sur toutes les questions. C'était une forme de démocratie directe, où les citoyens eux-mêmes faisaient les lois et prenaient les décisions politiques. Dans le modèle spartiate, bien que le système ne soit pas aussi démocratique que celui d'Athènes, il y avait encore un certain degré de participation des citoyens, notamment au sein de l'assemblée des citoyens, où des lois étaient proposées par les éphores (dirigeants) et votées par les citoyens. Cependant, ces modèles anciens avaient des limites importantes. Ils excluaient une grande partie de la population - les femmes, les esclaves, les étrangers - de la participation politique. De plus, ils étaient possibles en grande partie grâce à la petite taille des cités-états, qui permettait à tous les citoyens de se rassembler en un seul lieu pour prendre des décisions.

Lorsque nous nous tournons vers la période moderne, surtout après la Seconde Guerre mondiale, la démocratie telle qu'elle était pratiquée dans l'Antiquité semblait peu applicable. Les nations modernes sont beaucoup plus grandes et plus diversifiées, avec des populations bien plus nombreuses. Une démocratie directe à la manière athénienne serait logistiquement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre à grande échelle. De plus, le traumatisme de la guerre a fait naître un désir de stabilité, de sécurité et de restauration de l'ordre, qui a parfois été mieux servi par des formes non démocratiques de gouvernement, comme les monarchies constitutionnelles ou même les régimes totalitaires. C'est donc pour ces raisons que le modèle de démocratie qui a prévalu après la Seconde Guerre mondiale est généralement une forme de démocratie représentative, où les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions en leur nom, plutôt qu'une démocratie directe. Cela est vu comme un compromis entre le besoin d'une participation citoyenne et les contraintes pratiques de la gouvernance à grande échelle.

Alors, pourquoi avons-nous vraiment même de nos jours un vrai défi, à savoir ce que peut être la démocratie dans le monde moderne  ?

La théorie politique normative est effectivement l'une des plus anciennes branches de la science politique et est étroitement liée à la philosophie morale. Elle se préoccupe de questions telles que "Qu'est-ce qu'une bonne société?" ou "Quels devraient être les objectifs du gouvernement?" Il s'agit de questions sur ce qui devrait être, plutôt que sur ce qui est - d'où le terme "normatif". La théorie politique normative peut être retracée jusqu'aux philosophes grecs anciens comme Platon et Aristote, qui ont réfléchi à la nature de la justice, de la vertu et du meilleur type de gouvernement. Ces idées ont continué à être développées tout au long de l'histoire par des penseurs tels que Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Immanuel Kant, John Stuart Mill et bien d'autres. La théorie politique normative continue d'être une partie importante de la science politique aujourd'hui, même si elle est parfois moins mise en avant que d'autres aspects plus empiriques de la discipline. Elle joue un rôle clé dans notre compréhension des idéaux démocratiques, des droits de l'homme, de l'égalité, de la liberté et de la justice sociale. Cependant, il est également vrai que la science politique contemporaine a largement évolué pour inclure une variété de méthodes quantitatives et qualitatives qui cherchent à comprendre le comportement politique, les institutions, les politiques publiques et d'autres aspects du fonctionnement des gouvernements. Ces approches empiriques et analytiques sont souvent considérées comme plus "scientifiques" en raison de leur objectivité et de leur reproductibilité, mais cela ne diminue en rien la valeur de la théorie politique normative. En fait, la théorie politique normative et la science politique empirique sont souvent complémentaires. Les théories normatives peuvent fournir des cadres pour interpréter et évaluer les données empiriques, tandis que la recherche empirique peut aider à tester et affiner les théories normatives. Ensemble, elles contribuent à une compréhension plus complète et nuancée de la politique.

La théorie politique normative, et donc la science politique dans son ensemble, a en effet ses racines dans la philosophie de l'Antiquité grecque. Socrate, par exemple, était connu pour sa méthode d'interrogation critique, souvent appelée "maïeutique" ou "méthode socratique", dans laquelle il posait des questions pour amener ses interlocuteurs à réfléchir de manière plus profonde et plus critique sur leurs convictions et présuppositions. Bien que Socrate lui-même n'ait pas écrit d'ouvrages, ses dialogues avec ses disciples, tels que rapportés par Platon, touchent souvent à des questions de justice, d'éthique et de la meilleure façon de vivre, des thèmes qui sont au cœur de la théorie politique normative. Platon, l'un des élèves de Socrate, a ensuite formalisé ces idées dans ses écrits, notamment dans "La République", où il examine la question de la justice et propose une vision de la société idéale. Aristote, un autre philosophe grec ancien, a également apporté d'importantes contributions à la théorie politique normative, en examinant la nature et le but de l'État et en classifiant différentes formes de gouvernement. Ces idées ont été développées et débattues tout au long de l'histoire de la philosophie et de la science politique, et continuent de façonner notre compréhension de la politique aujourd'hui. Bien que la science politique ait évolué pour inclure de nombreuses autres méthodes et approches, la théorie politique normative reste une partie fondamentale de la discipline.

La théorie politique normative se préoccupe de la manière dont le monde devrait être, en se concentrant sur les questions de justice, de droits, de devoirs, de bon gouvernement et de bonnes institutions. Elle va au-delà de la description du monde tel qu'il est et cherche à établir comment il devrait être sur la base de principes éthiques et moraux. Par exemple, la question du vote obligatoire soulève de nombreux problèmes dans le domaine de la théorie politique normative. Les défenseurs du vote obligatoire peuvent avancer que tous les citoyens ont le devoir de participer au processus démocratique, car c'est ainsi que nous assurons la représentativité et la légitimité du gouvernement. Ils peuvent également argumenter que le vote obligatoire favorise l'égalité en veillant à ce que tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale, leur éducation ou leur niveau de revenu, aient leur mot à dire dans le processus politique. D'un autre côté, les critiques du vote obligatoire pourraient argumenter que forcer les citoyens à voter enfreint leur liberté individuelle, un principe également valorisé dans de nombreux systèmes démocratiques. Ils pourraient également soutenir que le vote devrait être un droit, mais pas nécessairement un devoir, et que la responsabilité d'inciter les citoyens à voter devrait incomber aux politiciens, qui devraient proposer des politiques convaincantes et engageantes. Dans ce débat, la théorie politique normative offre un cadre pour évaluer les arguments des deux côtés, en s'appuyant sur des principes tels que la liberté, l'égalité, le devoir et la justice. C'est un exemple de la manière dont la théorie politique normative peut aider à éclairer les discussions sur les questions politiques contemporaines.

La théorie politique normative s'attache à établir des idéaux pour la société et le comportement individuel sur la base de principes moraux et éthiques. Elle pose des questions fondamentales sur ce que signifient la liberté, l'égalité, la justice, et comment ces concepts devraient être incarnés dans nos institutions et nos actions. Par exemple, la théorie politique normative peut aider à définir ce que signifie véritablement la "liberté". S'agit-il simplement de l'absence de contraintes (liberté "négative"), ou implique-t-elle également la capacité réelle d'agir selon ses propres objectifs (liberté "positive")? Et comment ces différentes conceptions de la liberté peuvent-elles se traduire dans la pratique, en termes de lois, de politiques et d'institutions? De même, la théorie politique normative peut aider à définir et à équilibrer les idéaux d'égalité et de solidarité. Par exemple, quelle égalité devrait être visée - égalité des opportunités, égalité des résultats, ou quelque chose entre les deux? Et comment ces objectifs peuvent-ils être réconciliés avec la liberté individuelle et l'efficacité économique? En outre, la théorie politique normative peut aider à guider nos préférences politiques et nos actions. Par exemple, elle peut nous aider à réfléchir à nos responsabilités en tant que citoyens, à la nature de la justice sociale, ou à la manière dont nous devrions traiter les questions d'environnement, de migration, de genre et de race. Dans tous ces cas, la théorie politique normative fournit des outils pour réfléchir de manière critique à ces questions, pour débattre de différentes perspectives et pour guider nos efforts pour créer un monde meilleur.

Bien que la théorie politique normative et la science politique empirique soient différentes dans leurs approches et leurs objectifs, elles ne sont pas mutuellement exclusives. Au contraire, elles sont souvent complémentaires et s'informent mutuellement. La théorie politique normative se préoccupe des questions de ce qui devrait être et peut donc être guidée par des principes moraux, éthiques et philosophiques. Cependant, pour formuler des propositions normatives pertinentes et efficaces, il est nécessaire de comprendre le monde tel qu'il est. C'est là qu'intervient la science politique empirique. La science politique empirique utilise des méthodes de recherche scientifiques pour comprendre comment le monde politique fonctionne. Cela peut impliquer l'étude de tout, depuis le comportement des électeurs et le fonctionnement des institutions politiques, jusqu'à l'impact des politiques publiques et la dynamique des relations internationales. Elle cherche non seulement à décrire ces phénomènes, mais aussi à expliquer pourquoi ils sont comme ils sont. Ces connaissances empiriques peuvent à leur tour éclairer la théorie politique normative. Par exemple, si nous voulons soutenir que les démocraties devraient adopter certaines pratiques pour être plus justes ou plus efficaces, il est utile de savoir comment ces pratiques fonctionnent dans le monde réel. Ou si nous voulons promouvoir certaines politiques publiques, il est utile de comprendre comment ces politiques ont fonctionné dans le passé et quelles pourraient être leurs conséquences probables. En somme, bien que la théorie politique normative et la science politique empirique aient des approches différentes, elles sont toutes deux essentielles pour une compréhension complète de la politique et peuvent travailler ensemble pour nous aider à comprendre non seulement comment le monde est, mais aussi comment il devrait être.

Bien que les questions posées par la théorie politique normative soient souvent "ce que nous devrions faire" plutôt que "ce qui est", elle utilise également des explications et des preuves pour soutenir ses conclusions, tout comme les branches plus empiriques de la science politique. Les théoriciens politiques normatifs utilisent la logique, la philosophie morale et politique, l'histoire, et parfois même des données empiriques pour construire leurs arguments. Par exemple, un théoricien pourrait utiliser des données historiques pour démontrer les conséquences néfastes de certaines politiques ou institutions, puis argumenter sur la base de ces preuves que nous devrions changer notre approche. Ou encore, un théoricien pourrait examiner une série de principes moraux ou politiques (comme l'égalité, la liberté ou la justice), puis utiliser la logique et le raisonnement pour déterminer quels types de comportements ou d'institutions seraient les plus cohérents avec ces principes. Dans tous les cas, la théorie politique normative ne se contente pas de faire des affirmations sur ce que nous devrions faire ; elle cherche à soutenir ces affirmations avec des arguments rationnels et des preuves. C'est donc, à sa manière, une forme de recherche qui cherche à expliquer non pas le monde tel qu'il est, mais le monde tel qu'il devrait être.

Il est important de noter que la philosophie morale et politique n'est pas relativiste par nature. Bien que différentes personnes et cultures puissent avoir des idées différentes sur ce qui est moralement ou politiquement correct, cela ne signifie pas que toutes les opinions sont également valides dans une discussion philosophique. La philosophie morale et politique, comme toutes les disciplines académiques, est guidée par des méthodes rigoureuses de raisonnement, de preuve et de débat. Les philosophes ne se contentent pas de déclarer leurs opinions ; ils construisent des arguments logiques pour les soutenir, s'appuient sur des preuves (qu'elles soient empiriques, logiques, historiques ou autre), et soumettent leurs idées à l'examen critique de leurs pairs. De plus, la philosophie morale et politique n'est pas simplement une question d'opinions subjectives. Elle s'appuie sur des principes universels tels que la logique et l'éthique, et elle vise à découvrir des vérités sur des questions comme la justice, la liberté, l'égalité et le bien-être. Même si les gens peuvent être en désaccord sur ces questions, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de réponses correctes ou meilleures à découvrir. Ainsi, bien que la philosophie morale et politique puisse parfois sembler relativiste en raison de la diversité des opinions qu'elle examine, elle est en réalité une discipline rigoureuse qui vise à établir des normes et des vérités sur la façon dont nous devrions agir et organiser notre vie en société.

La théorie politique normative, comme toute autre discipline académique, repose sur des outils méthodologiques rigoureux pour structurer et guider son étude. Vous avez bien détaillé ces outils :

  • Logique : C'est la structure de base qui permet d'établir des arguments cohérents et valides. Elle facilite le passage d'une affirmation ou d'un ensemble d'affirmations à une conclusion.
  • Analyse conceptuelle : Cette méthode implique de clarifier et d'analyser les concepts fondamentaux utilisés en théorie politique, comme la justice, l'égalité, la liberté, etc. Cela permet d'établir des bases solides pour le débat et la réflexion.
  • Critiques internes : Il s'agit d'examiner les arguments d'une théorie de l'intérieur, en vérifiant leur cohérence interne, en identifiant les éventuelles contradictions et en explorant les implications de la théorie.
  • Évidence normative : Les théories normatives doivent être étayées par des preuves, que ce soit sous forme de raisonnements logiques, de références à des principes moraux ou éthiques généralement acceptés, ou de preuves empiriques sur les conséquences de différentes actions ou politiques.
  • Jugement moral et éthique : Les théoriciens politiques normatifs utilisent leur jugement moral et éthique pour évaluer différentes situations, politiques, institutions, etc. Cela implique souvent de peser des valeurs et des intérêts concurrents, et de tenter de résoudre les dilemmes moraux et politiques.

La clé pour utiliser ces outils efficacement est de le faire de manière rigoureuse, disciplinée et critique. Il ne s'agit pas simplement d'exprimer des opinions personnelles, mais d'engager un raisonnement approfondi, de rechercher des preuves, de tester des hypothèses et de soumettre les idées à l'examen critique des pairs. De cette façon, la théorie politique normative peut contribuer à une compréhension plus profonde et plus nuancée de la politique et de la morale.

Les théories politiques à l’Université de Genève

La théorie politique normative et l'histoire des idées sont toutes deux des domaines importants de la science politique, mais elles ont des approches et des objectifs différents. L'histoire des idées implique l'étude de la façon dont les idées et les philosophies ont changé au fil du temps. Elle examine l'évolution des idées politiques, la façon dont elles ont influencé la société et la politique, et comment elles ont été influencées par leur contexte historique. L'histoire des idées peut donc être considérée comme une approche plus descriptive ou empirique de la science politique. En revanche, la théorie politique normative est une discipline qui se penche sur les questions de ce qui devrait être. Elle s'interroge sur les valeurs, les principes et les objectifs qui devraient guider la politique et la société. C'est donc une approche plus prescriptive ou normative de la science politique. Il est important de noter que ces deux approches peuvent se compléter et s'informer mutuellement. L'étude de l'histoire des idées peut éclairer les débats normatifs en montrant comment certaines idées ont fonctionné dans le passé, tandis que la théorie politique normative peut éclairer l'histoire des idées en fournissant un cadre pour évaluer et interpréter les idées du passé. Le département de sciences politiques de l’Université de Genève est à l’heure actuelle le seul département de science politique en Suisse qui enseigne la théorie politique normative du baccalauréat au doctorat, la plupart du temps, en Suisse, on étudie l’histoire des idées.

La théorie politique positive se concentre sur la description, l'explication et la prédiction du comportement politique et des processus politiques. Elle est basée sur des faits observables et cherche à utiliser des méthodes empiriques, y compris quantitatives et mathématiques, pour formuler des théories qui peuvent prédire les comportements futurs. Un exemple de ceci pourrait être l'étude des comportements de vote ou l'analyse des systèmes électoraux. D'autre part, la théorie politique normative se concentre sur les questions de ce qui devrait être, plutôt que sur ce qui est. Elle utilise des outils comme la logique, l'analyse des concepts et l'éthique pour explorer les valeurs, les principes et les normes qui devraient guider le comportement et les institutions politiques. Cela pourrait impliquer, par exemple, une discussion sur la justice sociale, l'égalité, la démocratie, la liberté, les droits de l'homme, et ainsi de suite. Les deux types de théories sont importants et se complètent mutuellement. La théorie politique positive peut nous aider à comprendre comment le monde fonctionne et à prédire ce qui pourrait se passer à l'avenir. La théorie politique normative, quant à elle, peut nous aider à comprendre comment le monde devrait fonctionner et à formuler des objectifs pour l'amélioration de la société et des institutions politiques.

La théorie politique normative diffère des autres formes d'histoire des idées par sa concentration sur les problèmes contemporains et sa préoccupation pour les valeurs et principes qui devraient guider notre réflexion et notre action politiques. En se concentrant sur les problèmes actuels, la théorie politique normative cherche à clarifier les enjeux moraux et politiques en jeu, à identifier et à évaluer les arguments de différentes parties, et à formuler des recommandations sur la manière dont ces problèmes devraient être résolus. L'objectif n'est pas seulement de comprendre les problèmes, mais aussi de contribuer à leur résolution en proposant des principes et des valeurs qui peuvent guider les actions et les politiques. Parfois, comme vous le mentionnez, cela peut aider à résoudre les conflits en clarifiant les enjeux et en dissolvant les malentendus. Cela ne signifie pas que la théorie politique normative peut résoudre tous les conflits politiques - après tout, de nombreux conflits sont basés sur des désaccords profonds sur les valeurs fondamentales ou les intérêts matériels. Cependant, elle peut aider à rendre ces désaccords plus clairs et plus explicites, et peut-être à identifier des compromis ou des solutions qui respectent autant que possible les valeurs et les intérêts de toutes les parties concernées.

La clarification des différents points de vue est une partie centrale de la théorie politique normative. Cela implique d'examiner et d'expliquer les avantages et les inconvénients des différentes positions politiques et de fournir une analyse équilibrée et nuancée des problèmes. Cette analyse peut ensuite être utilisée pour informer les décisions politiques et pour aider à résoudre les conflits. L'idée est de faire la lumière sur les valeurs, les principes et les objectifs qui sont en jeu dans différents problèmes politiques, et d'expliquer les conséquences de différentes politiques ou actions. Par exemple, si l'on considère un débat sur la fiscalité, une analyse de la théorie politique normative pourrait clarifier les principes de justice, d'égalité et d'efficacité économique qui pourraient être en jeu, et expliquer les implications de différentes politiques fiscales en termes de ces principes. La théorie politique normative ne prétend pas nécessairement résoudre tous les conflits politiques, mais elle vise à rendre ces conflits plus compréhensibles et à fournir des outils pour une réflexion et un débat éclairés. En fin de compte, le but est de contribuer à des décisions politiques plus réfléchies et éthiquement responsables.

Introduction à la théorie politique démocratique moderne

Importance de pluralisme démocratique

Pourquoi devrions-nous étudier les théories pluralistes de la démocratie, dont celle de Robert Dahl est un exemple emblématique ? Quelle est la pertinence de ces théories, élaborées il y a cinquante ans et dont les défauts sont bien connus ? La réponse réside dans le fait que ces théories, et notamment celle de Dahl, nous offrent une représentation du monde démocratique qui semble refléter de manière précise les aspects fondamentaux de nos sociétés contemporaines.

Malgré les différences culturelles et historiques entre des pays tels que les États-Unis, la Suisse, la France, l'Inde, l'Angleterre et les pays scandinaves, on observe des caractéristiques communes qui définissent leurs démocraties modernes. Ces caractéristiques comprennent les gouvernements représentatifs, le suffrage universel, la prise de décision par la majorité à travers des votes, et les "libertés des modernes" pour reprendre l'expression de Benjamin Constant. Ces libertés comprennent la liberté d'expression, de pensée, de religion, d'association, de mouvement et, bien entendu, la liberté de choix politique. Ces valeurs sont essentielles à une démocratie saine et fonctionnelle, en permettant à chaque citoyen d'avoir son mot à dire dans le processus politique et de jouir de ses droits fondamentaux sans crainte de répression ou de discrimination. Ces aspects, mis en évidence par les théories pluralistes, sont cruciaux pour comprendre et appréhender le fonctionnement des démocraties modernes.

Ce qui fait l'importance des théories pluralistes est l'effort qu'elles consacrent à nous proposer un modèle des démocraties modernes, un modèle qui transcende leurs différences. Ce modèle sert non seulement à l'analyse empirique et à la théorisation sociale, mais aussi, et surtout, à établir des jugements normatifs. Il ne se contente pas de dépeindre les caractéristiques de nos sociétés et de notre démocratie moderne. Il offre également une manière de penser la légitimité de nos gouvernements, et de notre manière de nous gouverner. Ce faisant, il nous invite à remettre en question l'idée, parfois répandue, que la démocratie n'est pas, en fin de compte, une forme très efficace de gouvernement. En nous offrant un cadre pour analyser et évaluer nos démocraties, ces théories pluralistes contribuent donc à renforcer notre compréhension des fondements et des défis de nos systèmes politiques modernes.

L'intérêt des théories pluralistes réside dans leur double utilité. D'une part, elles offrent un modèle empiriquement précieux pour l'analyse de la réalité politique. D'autre part, elles se révèlent particulièrement pertinentes d'un point de vue normatif. Ces théories tentent d'expliquer pourquoi, en dépit de leurs défauts notoires, les gouvernements démocratiques de nos sociétés bénéficient d'une légitimité que d'autres formes de gouvernement n'ont pas. Ces modèles pluralistes articulent ainsi une justification de la démocratie, non pas comme une forme parfaite de gouvernement, mais comme la moins imparfaite parmi celles existantes. En soulignant les mécanismes de contrôle, de représentation, et de respect des libertés individuelles propres à la démocratie, les théories pluralistes aident à comprendre pourquoi, malgré ses défauts, la démocratie demeure un mode de gouvernance légitime et préférable à ses alternatives.

Le pluralisme nous propose une vision du gouvernement comme un espace de compétition équitable. Dans ce modèle, les partis politiques organisés, ainsi que d'autres associations secondaires tels que les syndicats, les associations patronales ou encore les groupes religieux, s'affrontent pour influencer les lois et les orientations politiques. Dans un système politique où les citoyens sont divisés et ne peuvent se mettre d'accord sur la manière de légiférer ou de gouverner, le pluralisme soutient que la seule forme de légitimité réside dans l'opportunité équitable pour toutes ces entités de concourir pour le pouvoir. Cette approche reconnaît l'existence d'une pluralité d'opinions et d'intérêts dans la société, et la nécessité d'une compétition équitable pour assurer la représentation de cette diversité au sein du gouvernement. Ainsi, malgré les désaccords et les conflits, la légitimité du système est maintenue par le mécanisme de compétition équitable et l'alternance au pouvoir.

Le modèle pluraliste met en évidence le fait que pour une concurrence politique équitable, il faut garantir à la fois l'égalité des citoyens et leur liberté, à la fois personnelle et politique. En garantissant l'égalité, on s'assure que chaque citoyen dispose des mêmes droits et opportunités pour participer à la vie politique. Cela inclut l'accès à l'information, le droit de vote, et la possibilité de se présenter à des postes politiques. En garantissant la liberté, on permet à chaque citoyen d'exprimer librement ses opinions et ses préférences politiques, sans crainte de représailles ou de discrimination. Par conséquent, le modèle pluraliste nous donne un cadre pour comprendre ce qui est nécessaire pour garantir la légitimité politique. Il nous montre que la légitimité ne se limite pas à la simple majorité numérique, mais nécessite également le respect de l'égalité et de la liberté des citoyens. C'est pourquoi le modèle pluraliste est si important pour notre compréhension de la démocratie moderne.

Le défi posé par la démocratie grecque

Questionner la démocratie

Pourquoi est-il essentiel d'apporter des réponses à ces questions ? Qu'est-ce qui rend si crucial de démontrer que nos gouvernements fonctionnent sur le principe démocratique et qu'en vertu de cette démocratie, ils détiennent une légitimité considérable ? La nécessité de répondre à ces questions vient du fait que la légitimité d'un gouvernement est essentielle à sa stabilité, à son efficacité et à son acceptabilité par les citoyens. Les gouvernements démocratiques tirent leur légitimité du consentement des gouvernés : ce sont les citoyens qui, par leur vote, confèrent au gouvernement le pouvoir de régir. Sans cette légitimité, un gouvernement risque de rencontrer de l'opposition, du mécontentement et de la résistance de la part de ses citoyens. Le fait de démontrer que nos gouvernements sont démocratiques n'est pas seulement une question d'exactitude factuelle, mais aussi une question de justice et de respect des droits des citoyens. Dans une démocratie, chaque citoyen a le droit de participer à la prise de décision, que ce soit directement ou par le biais de représentants élus. Si un gouvernement prétend être démocratique mais ne respecte pas ces droits, il est essentiel de le dénoncer et de le remettre en question. L'importance de comprendre les défis que nous pose la démocratie grecque est que, en tant que première démocratie documentée, elle représente une sorte de "modèle original" de la démocratie. En étudiant la démocratie grecque, nous pouvons comprendre comment la démocratie est née et comment elle a évolué au fil du temps. Nous pouvons également comprendre les défis et les problèmes auxquels la démocratie a été confrontée dès le début, et voir comment ces problèmes ont été traités, ou pas, dans les démocraties modernes. Cela peut nous aider à éviter de répéter les erreurs du passé et à améliorer la manière dont la démocratie est pratiquée aujourd'hui.

La démocratie, dans sa forme originelle, était principalement présente dans de petites cités-états comme Athènes ou Sparte durant l'Antiquité. Ces cités n'accueillaient qu'un nombre limité d'habitants, en l'occurrence, quelques milliers, et parmi eux, seuls un nombre restreint était considéré comme citoyens. Ces citoyens étaient typiquement des hommes libres, alors que les esclaves, les femmes et les étrangers étaient exclus de la citoyenneté. L'esclavage jouait un rôle central dans ces cités-états. Il était considéré comme une condition nécessaire pour l'existence de la démocratie dans ces sociétés. En effet, le travail des esclaves permettait aux citoyens de disposer de suffisamment de temps libre pour participer activement à la vie politique et aux affaires de la cité. Ainsi, les esclaves assuraient l'essentiel du travail manuel et domestique, laissant aux citoyens le loisir de se consacrer aux affaires publiques. Cependant, il est important de noter que cette forme de démocratie était radicalement différente de nos conceptions modernes de la démocratie. A l'époque, la démocratie était directe : tous les citoyens participaient personnellement à la prise de décisions concernant les lois et les politiques. De nos jours, la plupart des démocraties sont représentatives : les citoyens élisent des représentants qui prennent des décisions en leur nom. En somme, la démocratie dans les cités-états grecques était une affaire de petite échelle, très exclusive, basée sur l'esclavage, et avec une participation directe des citoyens dans le gouvernement. Ainsi, comprendre ces origines et ces caractéristiques de la démocratie antique aide à mieux saisir la transformation de cette idée et son application dans nos sociétés modernes.

Dans nos sociétés modernes, vastes et complexes, l'esclavage n'existe plus. La plupart des citoyens doivent travailler pour subvenir à leurs besoins, puis rentrer chez eux pour s'occuper de leurs tâches domestiques et respecter leurs obligations familiales. Par conséquent, ils disposent de peu de temps pour s'engager dans la politique ou pour l'éducation politique. Cela pose une question fondamentale : est-il réellement possible d'avoir une démocratie véritable dans le monde moderne, compte tenu de ces différences par rapport à la démocratie grecque ancienne ? Le contexte de la démocratie a radicalement changé : nous ne sommes plus dans des cités-états de petite taille, mais dans de vastes nations. De plus, la démocratie directe, telle qu'elle était pratiquée à Athènes, semble impossible à l'échelle d'un pays moderne. C'est la raison pour laquelle la plupart des démocraties contemporaines sont des démocraties représentatives : les citoyens élisent des représentants qui votent les lois et prennent des décisions en leur nom. Cependant, cela ne signifie pas que l'essence de la démocratie, à savoir la règle du peuple, ne peut pas être préservée. Il faut simplement adapter le concept à notre réalité contemporaine. Par exemple, les avancées technologiques, comme l'internet, peuvent faciliter la participation citoyenne et la diffusion de l'information, rendant ainsi la démocratie plus accessible et vivante. La démocratie dans le monde moderne est donc certainement différente de la démocratie grecque, mais elle n'en est pas moins valide ou réalisable. Il faut cependant être conscient de ces différences et être prêt à continuer à adapter et à faire évoluer nos systèmes démocratiques pour qu'ils répondent aux besoins et aux réalités changeantes de nos sociétés.

Les défis du modèle pluraliste

Le premier défi, qui est essentiel, a été particulièrement préoccupant pour les philosophes tels qu'Arendt. Suite à la Seconde Guerre mondiale, ils ont cherché à comprendre quelles étaient les perspectives de la démocratie dans un monde marqué par deux conflits mondiaux. L'un de ces conflits a vu l'Allemagne, à l'époque la nation la plus avancée, sombrer dans la barbarie. Par conséquent, nous qui considérons nos sociétés comme démocratiques, nous devons nous interroger sur la nature de cette démocratie. En effet, la plupart d'entre nous possèdent une connaissance limitée de la politique publique, même dans notre propre pays, sans parler des affaires internationales.

De plus, nous avons très peu de temps pour participer, nous organiser et débattre des questions politiques avec les autres. Pour aggraver les choses, non seulement nous ne disposons pas d'esclaves, mais même si nous pouvons employer des domestiques, l'émancipation des femmes a également supprimé la disponibilité du travail domestique non rémunéré. L'une des questions soulevées par l'émancipation des femmes était précisément celle de savoir comment nous pourrions maintenir la démocratie dans un monde sans esclaves, dans un monde où nous n'avons plus d'esclaves pour éduquer les enfants et organiser le foyer. Ainsi, si des citoyens ordinaires, avec une intelligence moyenne et des énergies moyennes, doivent à la fois gagner leur vie, s'occuper des enfants, prendre soin de leurs parents et grands-parents, tout en s'éduquant et en s'intéressant à une politique qui nous semble souvent très abstraite, difficile à comprendre et, bien sûr, très difficile à influencer, alors nous pouvons sérieusement nous demander en quoi cela ressemble à la démocratie telle qu'elle était pratiquée en Grèce. En Grèce ancienne, après tout, ce sont les citoyens qui se gouvernaient eux-mêmes, qui étaient choisis par tirage au sort. C'étaient des gens qui pouvaient se consacrer pleinement à la politique de leur pays.

La première chose à saisir, lorsque l'on tente de comprendre l'influence du modèle pluraliste, est le défi majeur de déterminer comment nous pouvons maintenir une démocratie aujourd'hui, malgré ce que nous appelons nos gouvernements actuels.

Deuxièmement, contrairement aux démocraties grecques antiques qui ne garantissaient pas la liberté de religion - comme en témoigne le sort de Socrate qui ne jouissait pas de la liberté de pensée et d'expression - les citoyens de l'époque étaient généralement d'accord sur ce qui constituait une bonne vie et sur les objectifs à atteindre pour leur État. Par contre, dans nos sociétés modernes, nous sommes profondément divisés sur des questions morales et religieuses, y compris sur la nécessité d'une religion, le nombre de divinités à reconnaître, et le rôle de la religion en politique. Nous sommes également divisés sur des questions économiques, comme la façon d'organiser une économie socialiste ou la nécessité d'accepter un revenu de base. Ces divisions ne portent pas seulement sur nos préférences personnelles, mais également sur nos convictions les plus profondes et les plus intimes.

Face à cette réalité, on pourrait se demander si il est encore possible, dans le contexte moderne marqué par des divergences fondamentales sur les questions de bien et de moralité, de partager le pouvoir en tant que citoyens égaux. Est-il vraiment possible de nous considérer comme égaux lorsque nous avons des idées que nous considérons comme déplorables, mal conçues, voire dangereuses ? Ce défi contemporain nous confronte à la question suivante : est-il possible de nous traiter en tant qu'égaux lorsque, en fin de compte, nous partageons très peu de valeurs communes ?

En définitive, dans un monde moderne et cosmopolite où les économies surpassent largement notre cité et notre pays, et où nos gouvernements ne peuvent contrôler qu'une petite part, on peut se demander s'il est possible de maintenir une démocratie. Dans l'ancienne Grèce, les décisions économiques n'occupaient pas une place très importante dans la vie politique, se réduisant essentiellement à des questions de taxation et de revenus pour financer le gouvernement, soutenir les citoyens pauvres, et financer les guerres, notamment à Athènes et Sparte. Cependant, de nos jours, les questions économiques constituent une part importante de la politique publique. Il est évident que ces enjeux surpassent largement notre compréhension en tant qu'individus, et notre capacité à agir est limitée. Par conséquent, nous devons nous interroger sur la possibilité et la manière d'avoir des gouvernements démocratiques dans le contexte de notre monde actuel.

L’attrait de la démocratie grecque : la promesse d'autogouvernance

Pourquoi prêter attention à ce que faisaient les Grecs ? Il y a certains aspects de leur démocratie qui continuent de nous interpeller, de nous attirer, malgré les siècles de différences culturelles et malgré nos divergences de valeurs sur des questions telles que l'égalité des sexes, l'égalité raciale et, bien sûr, l'esclavage.

Malgré les différences considérables de contexte et de valeurs, il est essentiel d'examiner le modèle de démocratie grecque pour plusieurs raisons. D'abord, c'est la démocratie athénienne qui est souvent considérée comme le berceau de la démocratie, c'est-à-dire la forme de gouvernance que de nombreuses sociétés modernes aspirent à imiter ou à perfectionner. Ensuite, la démocratie grecque offre une perspective unique sur la manière dont un gouvernement peut fonctionner avec une participation directe et active des citoyens. Même si ce modèle n'est pas totalement transférable à nos sociétés contemporaines en raison de leur taille, de leur diversité et de leur complexité, il offre néanmoins des leçons importantes sur l'engagement citoyen et la responsabilité politique. De plus, en dépit de leurs défauts manifestes, tels que l'exclusion des femmes, des esclaves et des étrangers de la citoyenneté, les cités-états grecques ont démontré une capacité d'adaptation et une résilience notables face aux défis politiques et sociaux. Leur expérience sert d'éclairage pour comprendre comment les sociétés modernes peuvent naviguer dans leurs propres défis. Enfin, malgré nos différences évidentes avec les Grecs en termes d'égalité de genre, de race et d'opinions sur l'esclavage, le fait que nous puissions encore trouver de la valeur et de la pertinence dans leur système politique témoigne de l'universalité de certaines idées politiques et de la nature humaine. C'est un puissant rappel que, malgré nos différences culturelles, temporelles et sociétales, il existe des principes fondamentaux d'équité, de justice et de gouvernance qui transcendent les époques et les cultures.

L'attrait de la démocratie grecque réside dans la promesse d'autogouvernance - la capacité d'exercer une influence significative sur les conditions et la qualité de notre propre existence. C'est la possibilité pour chaque citoyen d'avoir une voix qui compte, qui a du poids dans la prise de décisions affectant leur vie quotidienne.

Il est souvent difficile pour nous d'exercer une influence significative sur les événements de notre vie, même dans des domaines très personnels. Il y a une multitude de facteurs et de circonstances hors de notre contrôle qui affectent notre vie. Mais l'absence de pouvoir ou d'influence dans des domaines qui nous concernent, en particulier dans des domaines politiques qui impliquent des lois coercitives, des conventions sociales et le potentiel de violence, est profondément troublante. La perte de notre capacité à nous autogérer - pas seulement individuellement, mais en concert avec les autres - serait véritablement préoccupante. C'est parce que nous voyons en nous une réflexion de l'idéal grec d'autogouvernance que l'idéal démocratique nous attire. Pour nous, la question cruciale est de savoir si nous pouvons réaliser l'autogouvernement, la démocratie, dans des conditions radicalement différentes de celles qui ont engendré cette idée et cette forme de gouvernement.

Pourquoi l'autogouvernement suscite-t-il une telle fascination ? Pour certains, c'est une utopie, pour d'autres, c'est une illusion de croire que nous pouvons nous autogérer en tant que collectif, que c'est attrayant de chercher à influencer la politique. Pour aborder ces interrogations, il est essentiel de plonger dans la philosophie de l'individu, de la façon dont nous percevons nos possibilités en tant qu'êtres humains : nos capacités à réfléchir, à délibérer sur nos actions, à évaluer nos pensées, nos désirs et nos réalisations. Nous ressentons l'importance de la liberté, la possibilité de développer nos capacités d'action et de réflexion, de faire des choix non seulement à titre individuel, mais aussi en tant que groupe. C'est à cela que fait référence l'idéal d'autogouvernement. Nous sommes intéressés par la politique même si nous nous accordons sur l'idéal de l'individu autonome, maître de ses émotions, de ses désirs, cette image de l'idéal stoïcien que nous avons héritée des Grecs. Nous pouvons valoriser la politique et la possibilité d'avoir une voix qui compte autant que celle des autres pour des raisons purement instrumentales.L'importance de ces raisons instrumentales pour désirer la démocratie est mise en évidence lorsque l'on considère les formes de gouvernement du passé. Des systèmes féodaux aux monarchies, en passant par des gouvernements représentatifs mais non démocratiques, tels que ceux qui prévalaient aux États-Unis et en Europe au XIXe siècle, nous avons de nombreuses raisons de préférer une démocratie.

Dans ces autres formes de gouvernement, le sort de la majorité des personnes était souvent négligé. Si vous étiez un serf, vous étiez considéré comme un simple animal de travail aux yeux des nobles ; les intérêts des serfs n'avaient en eux-mêmes aucune importance. Ils étaient peut-être utilisés comme chair à canon lors des guerres, comme travailleurs dans les champs, ou simplement pour la procréation, mais leurs sentiments, leurs désirs et leurs ressentis n'avaient absolument aucune valeur. En effet, même dans les gouvernements représentatifs mais non démocratiques, comme ceux de l'Angleterre au XIXe siècle, il est clair que les intérêts de ceux qui n'avaient pas le droit de vote, comme les femmes ou les hommes de la classe ouvrière, n'avaient pas beaucoup d'importance. Leur absence de voix et leur statut inférieur les rendaient invisibles aux yeux des autres.

La question de la compétence politique

Si nous considérons que l'autogouvernance est une valeur à défendre, que la participation aux affaires publiques est importante, alors nous devons être capables de justifier la compétence politique d'autrui. Historiquement, une justification couramment employée était que la majorité des gens n'étaient pas suffisamment intelligents pour participer à des affaires aussi complexes que la politique. Platon soutenait que la politique a une dimension technique et que le gouvernement devrait être aux mains des "philosophes-rois", ceux qui ont une compréhension profonde de la justice et du bien commun. Selon lui, ces individus sont les mieux à même de guider la cité vers la vérité et le bien-être général. Comment équilibrer le besoin d'une expertise spécialisée dans la prise de décisions politiques avec le principe de base de la démocratie, qui est que chaque citoyen a un droit égal à la prise de décision ? Il est vrai que la politique, comme toute autre discipline, possède une dimension technique qui nécessite une certaine expertise. Les politiques économiques, environnementales ou de santé publique, par exemple, peuvent être extrêmement complexes et requièrent une compréhension approfondie des sujets pour être correctement mises en œuvre. Cependant, cela ne signifie pas que la démocratie est inapplicable ou qu'elle devrait être limitée aux experts.

Platon a développé cette analogie dans "La République" pour illustrer son argument. Il soutenait que, tout comme un charpentier est le mieux équipé pour construire une maison grâce à sa connaissance de l'architecture et des techniques de construction, un dirigeant doit avoir une compréhension profonde et précise de la philosophie, de la justice et de l'éthique pour gouverner efficacement. Pour Platon, la philosophie était l'étude de l'ordre rationnel et de l'essence des choses, ce qui inclut une compréhension des principes éthiques et moraux qui sous-tendent l'existence. Il croyait que le gouvernement idéal était une aristocratie de philosophes-rois, des personnes ayant atteint un haut niveau de connaissance et de sagesse. Il voyait le rôle du dirigeant non seulement comme celui de prendre des décisions pragmatiques concernant la gestion de la cité, mais aussi d'orienter la communauté vers un idéal de justice et de vertu. Selon lui, cette vision plus élevée du leadership nécessitait une forme de connaissance qui allait au-delà de la simple expertise technique ou pratique. Il affirmait que cette connaissance philosophique et éthique n'était pas facilement accessible à tous, et donc seuls ceux qui l'avaient acquise devraient être qualifiés pour diriger.

Platon était convaincu que la politique était beaucoup plus qu'une question de gestion administrative ou de négociation de compromis. Il a soutenu que la politique avait une dimension philosophique profonde, impliquant une compréhension des principes éthiques et des idées qui forment la structure de la société. Pour Platon, un dirigeant idéal, souvent appelé "philosophe-roi" dans ses écrits, serait quelqu'un qui avait atteint une profonde compréhension de ces principes. Ce dirigeant serait capable de discerner la véritable justice, de distinguer le bien du mal, et d'orienter la politique en fonction de ces connaissances. Il a également rejeté l'idée que tout individu était capable de cette compréhension philosophique. Au contraire, il soutenait que seule une minorité d'individus, ceux qui avaient reçu une éducation philosophique appropriée et qui s'étaient engagés dans une introspection et une réflexion profondes, seraient capables de saisir ces vérités. Cela dit, il est important de noter que, bien que les idées de Platon aient été très influentes dans l'histoire de la philosophie, elles ont également été critiquées et débattues. Certaines critiques se sont centrées sur son apparent élitisme et sa méfiance envers la démocratie, tandis que d'autres ont remis en question la faisabilité ou l'attractivité de son idéal de "philosophe-roi".

Selon Platon, le vrai but de la politique n'est pas simplement de gérer les affaires de l'État, mais d'orienter la société vers la justice et le bien-être. Pour Platon, la justice est l'harmonie de l'âme et de la société, et le bien-être est une conséquence de cette harmonie. La politique est donc, pour Platon, une activité profondément morale et éthique. Il soutient que les dirigeants politiques doivent être des individus de grande vertu morale et éthique, capables de comprendre et de mettre en œuvre les principes de justice et de bien-être. C'est pourquoi Platon a fait valoir que les "philosophes-rois" sont les dirigeants les plus qualifiés. Selon lui, ces philosophes-rois, qui ont une compréhension approfondie de la philosophie et de l'éthique, sont les mieux placés pour gouverner justement et efficacement, en guidant la société vers la justice et le bien-être. Cela dit, il convient de noter que cette vision platonicienne de la politique a été largement débattue et critiquée. Certaines personnes s'opposent à son idée de gouvernement par une élite éduquée, soutenant que cela peut conduire à une forme d'autoritarisme. D'autres contestent sa confiance dans la philosophie et l'éthique comme guides de la politique, soutenant qu'il existe d'autres facteurs importants à considérer, tels que les réalités économiques et sociopolitiques.

Cette réflexion met en lumière un aspect important de la motivation démocratique : la peur des conséquences si l'on est exclu de la prise de décision. Cela peut être une motivation forte pour soutenir la démocratie, même si nous rejetons certains des présupposés philosophiques ou idéologiques qui sous-tendent les origines de la démocratie dans l'Antiquité grecque. Il est important de noter que la démocratie n'est pas uniquement attrayante pour des raisons instrumentales (ce qu'elle peut accomplir), mais aussi pour des raisons intrinsèques : la valeur inhérente de permettre à chaque individu d'avoir une voix et de participer à la prise de décision. Cela peut être lié à une conception de l'égalité humaine et de la dignité, qui va au-delà des considérations purement instrumentales. La tension entre ces motivations instrumentales et intrinsèques, ainsi qu'entre différentes conceptions de ce que signifie être un citoyen dans une démocratie, est au cœur de nombreuses questions politiques contemporaines. C'est une tension qui peut s'avérer productive, car elle pousse à une réflexion constante sur la nature de notre système politique et sur la manière dont il peut être amélioré.

L'attrait fondamental de la démocratie est précisément cela : l'idée que chaque individu, indépendamment de son statut, de son éducation ou de sa richesse, a un rôle à jouer dans la gouvernance de la société. C'est le principe d'égalité politique qui est au cœur de la démocratie. Cette idée peut sembler idéalisée et il est vrai que dans la pratique, la démocratie est souvent imparfaite et influencée par diverses formes d'inégalités. Cependant, l'objectif demeure de parvenir à une société où chacun a la possibilité d'influencer le processus décisionnel. La démocratie n'est pas seulement une question de vote. C'est aussi une question d'engagement civique, de débat public et de respect des droits de chacun. Le vote est un élément clé de la démocratie, mais ce n'est pas le seul. L'idéal démocratique implique un engagement plus large envers l'égalité, la liberté et la participation active de tous les citoyens à la vie publique.

L'idée d'accorder à tous le droit de vote est un outil puissant pour garantir la considération des intérêts de chacun dans la prise de décision politique. C'est une manière de s'assurer que chaque voix est entendue et que chaque individu a la possibilité d'influencer le cours de la société. C'est aussi une protection contre le paternalisme ou l'autoritarisme. Si chaque personne a un vote, alors il est plus difficile pour une petite élite de contrôler le gouvernement et d'ignorer les intérêts du peuple. Le vote universel est une garantie importante de l'égalité politique et un rempart contre la tyrannie. Cependant, comme pour toutes les institutions démocratiques, le vote universel n'est pas une panacée. Il doit être soutenu par d'autres institutions et normes démocratiques, telles que l'État de droit, la liberté d'expression et la protection des droits de l'homme. De plus, la mise en œuvre effective du vote universel nécessite un engagement constant en faveur de l'éducation civique et de l'égalité sociale. Il est important de rappeler que la démocratie n'est pas une fin en soi, mais un moyen de réaliser des valeurs plus profondes comme la liberté, l'égalité et la justice.

L'idée moderne de démocratie

À quelles idées devrions-nous nous référer ? Nous pourrions trouver une justification pour la démocratie dans les principes fondamentaux modernes de la liberté et de la solidarité. Cette approche est séduisante, même si elle fait abstraction de l'idée que des individus sans compétences particulières exceptionnelles sont néanmoins en mesure de participer à des tâches difficiles, comme l'autogouvernance.

Le paternalisme, par définition, est une attitude ou une pratique dans laquelle une autorité limite la liberté et la responsabilité des individus pour leur propre bien. Cela peut souvent être perçu comme oppressif et restrictif, car il nie l'individualité et la capacité des personnes à prendre des décisions éclairées pour elles-mêmes. En revanche, la démocratie est fondamentalement un système qui promeut la liberté individuelle. En accordant à chaque citoyen le droit de vote, la démocratie permet à chacun de participer activement à la prise de décisions politiques qui affectent sa vie. Elle évite donc le paternalisme en reconnaissant que chaque individu, quelle que soit son éducation ou son statut social, a la capacité et le droit de participer à la gouvernance de sa société. De plus, la démocratie répond à la notion moderne d'égalité. Dans un système démocratique, chaque voix a la même valeur, chaque vote compte autant qu'un autre. Cette égalité de vote traduit un profond respect pour l'égalité humaine. C'est un rejet clair des hiérarchies et des inégalités fondées sur le sexe, la race, la richesse ou l'éducation. En outre, la démocratie n'est pas seulement une question de liberté individuelle et d'égalité. Elle est aussi une question de solidarité. La participation démocratique peut rassembler les citoyens, renforcer le sens communautaire et encourager la coopération pour atteindre des objectifs communs. Elle peut aider à forger un sentiment d'appartenance et de responsabilité mutuelle parmi les citoyens. Ainsi, alors que la démocratie peut sembler être un idéal ambitieux, particulièrement dans les grandes sociétés modernes, elle trouve sa justification dans ces concepts fondamentaux de liberté, d'égalité et de solidarité. Cela donne à chaque individu, même sans compétences ou connaissances spéciales, le pouvoir de participer et d'influencer la direction de sa société.

La liberté moderne, comme vous l'avez si bien exprimé, est fondée sur la conviction que les individus adultes, rationnels et éduqués, ont la capacité de faire leurs propres choix, même si ces choix peuvent être erronés. C'est l'idée que l'erreur elle-même peut être un outil d'apprentissage puissant et que le droit de faire des erreurs, de les reconnaitre et de les corriger est une partie essentielle de la liberté humaine. Cette notion se fonde sur le respect de l'autonomie individuelle et sur la conviction que chaque personne a une capacité unique et intrinsèque d'apprendre, de grandir et de se développer. Elle respecte la possibilité que chaque individu puisse avoir une vision différente de ce qui est bon ou mauvais pour lui. C'est vrai que parfois, d'autres peuvent sembler mieux savoir ce qui est bon pour nous. Comme vous l'avez mentionné, nos parents sont souvent un exemple de cela. Ils ont plus d'expérience et de sagesse et peuvent souvent prévoir les conséquences de nos actions mieux que nous-mêmes. Cependant, reconnaître la validité de leurs conseils n'est pas la même chose que de leur céder le contrôle sur nos vies. Admettre qu'ils ont raison dans certains cas ne signifie pas que nous devrions leur permettre de prendre toutes nos décisions à notre place. C'est ici que réside le cœur de la liberté moderne : le droit de prendre nos propres décisions, de vivre avec les conséquences de ces décisions, et d'apprendre et de grandir à partir de ces expériences.

C'est une idée clé de la liberté moderne. La liberté n'est pas simplement une question de droit ou d'autorisation de faire des choix, c'est aussi la capacité d'assumer la responsabilité de ces choix. C'est la possibilité de tirer ses propres conclusions, d'apprendre de ses erreurs et d'évoluer en conséquence. La liberté n'est pas une fin en soi, c'est un processus dynamique et un dialogue constant avec soi-même et avec les autres. C'est dans ce processus que nous développons notre compréhension de nous-mêmes, de nos valeurs et de notre place dans le monde. Et par-dessus tout, la liberté est un moyen d'apprentissage. Quand nous nous trompons, ces erreurs deviennent une occasion d'apprendre, de grandir et de se développer. Les erreurs peuvent être douloureuses, mais elles sont aussi essentielles à notre développement personnel. Ce processus d'apprentissage est intrinsèquement lié à notre capacité à discuter et à réfléchir sur nos actions avec les autres. En partageant nos expériences et nos perspectives, en écoutant les expériences et les perspectives des autres, nous enrichissons notre propre compréhension et nous ouvrons la possibilité de voir les choses sous un angle différent. Donc, en essence, la liberté moderne est bien plus qu'une simple absence de contraintes, c'est une dynamique d'apprentissage, de croissance et de dialogue, une capacité d'agir, de réfléchir et d'interagir avec le monde autour de nous.

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850).

La démocratie se distingue par son respect fondamental de la liberté individuelle. Elle repose sur le principe que chaque citoyen a le droit de participer à la vie politique de sa communauté, que ce soit en exprimant son opinion, en votant pour ses représentants ou en participant activement à l'élaboration des politiques publiques. En outre, la démocratie offre des mécanismes pour protéger ces libertés individuelles. Par exemple, dans une démocratie, les citoyens peuvent se réunir et s'organiser pour défendre leurs droits et libertés, ils peuvent demander un examen judiciaire des actions du gouvernement, et ils peuvent élire des représentants qui s'engagent à protéger leurs libertés. De plus, la démocratie ne se limite pas à garantir les libertés individuelles. Elle s'engage également à promouvoir l'égalité, à garantir la justice sociale et à favoriser le bien-être de tous les citoyens. C'est pourquoi la démocratie est souvent associée à d'autres valeurs modernes, telles que l'égalité, la justice et la solidarité. Dans une démocratie, la liberté individuelle et l'action collective vont de pair. La liberté de chaque citoyen est protégée et renforcée par l'action collective, et vice versa. Les citoyens peuvent se rassembler pour défendre leurs libertés individuelles, et l'exercice de ces libertés contribue à renforcer la solidarité et la cohésion de la communauté dans son ensemble. En résumé, la démocratie est la forme de gouvernement qui correspond le plus directement à la valeur de la liberté individuelle et à notre capacité collective de protéger cette liberté. Elle offre un cadre dans lequel chaque citoyen peut exercer sa liberté tout en contribuant au bien-être collectif.

Alexis de Tocqueville, dans son célèbre ouvrage "De la démocratie en Amérique", souligne l'importance des mécanismes de correction inhérents à la démocratie. Pour Tocqueville, la grandeur de la démocratie ne réside pas nécessairement dans l'intelligence supérieure ou l'expertise technique de ses dirigeants. En fait, il reconnaît que les dirigeants démocratiques peuvent parfois manquer de compétences ou faire des erreurs. Cependant, là où la démocratie excelle, c'est dans sa capacité à s'auto-corriger. Contrairement à d'autres formes de gouvernement où les erreurs peuvent être institutionnalisées ou les abus de pouvoir rester impunis, en démocratie, la liberté d'expression, la liberté d'association et le droit de vote permettent à la société de critiquer, de contester et finalement de corriger les décisions erronées ou les mauvaises politiques. En permettant une circulation libre et ouverte des idées, la démocratie encourage la remise en question et la responsabilisation. Si un dirigeant ou un parti politique ne répond pas aux attentes des citoyens, ils peuvent être tenus responsables de leurs actions et finalement être retirés du pouvoir lors des élections suivantes. En ce sens, la démocratie est un système résilient et auto-régulé, capable de s'adapter et de se reformer en réponse à ses propres défauts et aux défis changeants de la société. C'est cette capacité d'évolution et d'amélioration continue qui fait de la démocratie un idéal toujours pertinent et attrayant, malgré ses imperfections et ses défis.

Le role des institutions démocratiques

Amartya Sen, lauréat du prix Nobel d'économie, a apporté une contribution majeure à la philosophie sociale et politique à travers ses travaux sur le développement, la justice sociale et la démocratie. Il a souligné le rôle des institutions démocratiques non seulement pour garantir la justice sociale, mais aussi pour assurer le développement économique. Sen a également fait valoir que la démocratie offre un moyen essentiel de protéger les droits fondamentaux des individus. Il a souligné que les pays démocratiques, avec leur respect des droits de l'homme, leur liberté de parole et leur presse libre, sont mieux équipés pour répondre aux besoins de leurs citoyens et prévenir les crises, comme la famine. L’argument principal de Sen est que la démocratie fonctionne non seulement en donnant à chacun une voix, mais aussi en créant un environnement où les erreurs peuvent être corrigées, les abus de pouvoir contrôlés et les besoins sociaux satisfaits. Cela est possible grâce à la liberté d'expression et de débat, qui sont des éléments fondamentaux des sociétés démocratiques. Ainsi, Sen souligne non seulement l'importance de la démocratie en tant que fin en soi, mais aussi son rôle en tant que moyen de promouvoir le développement économique et social.

Amartya Sen a développé la théorie selon laquelle il n'y a jamais eu de famine dans une démocratie fonctionnelle avec une presse libre. Il attribue cela au fait que dans les démocraties, les informations sur les pénuries alimentaires sont libres de circuler, les responsables sont tenus pour responsables et les mesures correctives sont prises. C'est le pouvoir de la transparence et de la responsabilité dans une démocratie qui, selon lui, prévient efficacement les famines. Dans le cas de l'Inde, après l'indépendance et l'établissement de la démocratie, malgré de nombreux défis socio-économiques et des erreurs politiques, il n'y a eu aucune famine de grande envergure. C'est dû en partie à la liberté de la presse, à la libre circulation de l'information et à la responsabilité politique, des éléments essentiels d'une démocratie. Cela ne signifie pas que l'Inde a résolu tous ses problèmes de sécurité alimentaire ou de malnutrition. Il reste beaucoup à faire, mais le fait qu'une catastrophe aussi dévastatrice que la famine ait été évitée montre le pouvoir potentiel d'une démocratie fonctionnelle pour répondre aux crises.

La liberté de mouvement, couplée à la liberté d'expression, joue un rôle crucial dans la propagation de l'information et la sensibilisation. Si les habitants d'un village en Inde, par exemple, rencontrent une pénurie de nourriture en raison d'une mauvaise politique ou d'un changement environnemental, ils peuvent se déplacer vers des régions plus prospères et informer les autres de la situation. De plus, ils peuvent aussi élever leur voix contre les injustices et les inégalités, demandant aux responsables politiques de rendre des comptes. C'est un aspect clé de la démocratie : la capacité de responsabiliser les gouvernements et de promouvoir le changement à travers la dissémination de l'information et l'action collective. Cela montre aussi comment les droits et libertés individuels - tels que la liberté de mouvement et la liberté d'expression - peuvent avoir un impact sur les problèmes collectifs et systémiques, comme la sécurité alimentaire. La démocratie, en respectant et en protégeant ces libertés, permet à la société de répondre plus efficacement à ces défis.

La démocratie est également étroitement liée à l'idée moderne d'égalité. Dans une démocratie, tous les citoyens sont égaux devant la loi et ont le droit de participer à la prise de décisions politiques. Cette égalité de droit et de participation est un principe fondamental de la démocratie. Le vote, par exemple, est un droit qui est accordé à tous les citoyens, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur race ou de leur statut économique. C'est une manifestation concrète de l'égalité en démocratie. Chaque voix compte et a le même poids, reflétant ainsi le principe d'égalité. De plus, la démocratie cherche également à promouvoir l'égalité des chances. Par le biais de politiques publiques, elle vise à réduire les inégalités socio-économiques et à garantir que tous les citoyens aient les mêmes opportunités d'éducation, d'emploi et de réussite sociale. Ainsi, si nous valorisons l'égalité moderne, nous avons une raison de plus de valoriser la démocratie. Bien que la démocratie ne réalise pas l'idéal grec d'autogouvernement, elle offre néanmoins un cadre dans lequel les principes modernes de liberté et d'égalité peuvent être mis en pratique.

La démocratie est en effet un système politique qui incarne l'idéal d'égalité. Elle offre à chaque individu, indépendamment de ses ressources ou de son statut social, une voix égale dans les décisions politiques. En ce sens, la démocratie met en pratique le principe d'égalité politique, un aspect essentiel de l'idée moderne d'égalité. Dans notre monde contemporain, l'égalité est une valeur d'une grande importance, mais elle est aussi source de nombreuses controverses. Certaines personnes peuvent argumenter que l'égalité en termes de résultats est préférable à l'égalité des chances. D'autres peuvent soutenir que l'égalité devrait se concentrer davantage sur la reconnaissance des différences individuelles et culturelles, plutôt que sur l'uniformité. Malgré ces débats, l'égalité reste un principe fondamental dans nos sociétés modernes. Par conséquent, si nous valorisons les idées modernes d'égalité, alors nous avons de bonnes raisons de valoriser la démocratie. Bien que la démocratie moderne ne puisse pas réaliser pleinement l'idéal d'autogouvernement tel qu'il était compris par les Grecs anciens, elle offre néanmoins une forme d'autogouvernement qui est adaptée à notre monde moderne et qui est en accord avec nos valeurs modernes de liberté et d'égalité.

Il est indéniable que l'idéal d'autogouvernement, enraciné dans des sociétés antiques, est difficile à concrétiser dans le contexte moderne. La démocratie en tant que forme de gouvernement autonome est un concept complexe, particulièrement dans les grands pays et dans un monde globalisé, où les décisions politiques dépassent largement le cadre national. En effet, comment peut-on parler d'autogouvernement lorsque les actions de notre pays sont influencées par une multitude d'acteurs internationaux ? Comment peut-on envisager un réel contrôle de la population sur les affaires politiques lorsque les prises de décision sont de plus en plus complexes et technocratiques ? Ces questions sont légitimes et soulignent les défis inhérents à la mise en œuvre de la démocratie à grande échelle et dans un monde interconnecté. Cependant, même si la réalisation de l'idéal d'autogouvernement peut sembler difficile dans les conditions actuelles, les valeurs fondamentales qui sous-tendent cet idéal, à savoir la liberté, l'égalité et potentiellement la solidarité, demeurent pertinentes et cruciales. Ces valeurs modernes constituent le fondement de notre attachement à la démocratie et fournissent une justification solide pour continuer à valoriser et à poursuivre cet idéal. La liberté, qui valorise l'autonomie individuelle et permet à chacun d'exprimer et de défendre ses opinions ; l'égalité, qui assure à chaque citoyen un poids égal dans la prise de décision ; et la solidarité, qui promeut la cohésion sociale et la coopération collective, sont autant de piliers qui renforcent notre adhésion à la démocratie, en dépit des défis que celle-ci doit relever dans le monde moderne. Il est donc crucial de continuer à valoriser et à promouvoir ces valeurs dans nos sociétés, afin de préserver et d'améliorer la démocratie telle que nous la connaissons. Il est également nécessaire de rechercher des moyens innovants pour adapter l'idéal d'autogouvernement à notre monde globalisé et complexe, afin de garantir une participation citoyenne significative et efficace dans la prise de décision politique.

L'idéal de représentation

La démocratie représentative, parfois également appelée démocratie indirecte, est une forme de gouvernement dans laquelle les citoyens élisent des représentants pour les gouverner. C'est cette notion de représentation qui permet de rendre opérante l'idée de démocratie, surtout dans les sociétés larges et complexes. Mais comment ces gouvernements représentatifs peuvent-ils être considérés comme démocratiques ? Premièrement, la démocratie représentative permet une participation élargie. Il serait impraticable pour tous les citoyens de participer directement à toutes les décisions politiques dans une grande nation. La démocratie représentative offre donc une solution pragmatique en déléguant le pouvoir décisionnel à des représentants élus. Deuxièmement, ces représentants sont censés refléter les intérêts et les valeurs des citoyens qu'ils représentent, servant ainsi de lien entre le peuple et le gouvernement. Cette idée de représentation permet de donner vie à l'idéal de la démocratie en garantissant que la voix de chaque citoyen est entendue et prise en compte dans le processus de prise de décision. Troisièmement, en élisant des représentants, les citoyens ont la possibilité de tenir leurs dirigeants responsables. Si les représentants ne remplissent pas leurs devoirs ou ne répondent pas aux attentes de leurs électeurs, ils peuvent être remplacés lors des élections suivantes. Cependant, pour que la démocratie représentative fonctionne comme prévu, plusieurs conditions doivent être remplies. Il doit y avoir des élections libres et équitables, une concurrence politique ouverte, la liberté d'expression et d'association, et des droits civiques et politiques pour tous. De plus, les représentants élus doivent être réellement à l'écoute de leurs électeurs et agir en leur nom. Ainsi, bien que le gouvernement représentatif ne soit pas une démocratie directe à proprement parler, il en conserve néanmoins les principes fondamentaux : la souveraineté du peuple, l'égalité politique et la participation citoyenne. C'est dans l'équilibre entre ces principes et la nécessité d'une gouvernance efficace et éclairée que réside l'essence de la démocratie représentative.

Bernard Manin, dans son livre "Principes du gouvernement représentatif", présente un argument selon lequel l'émergence du gouvernement représentatif au XVIIIème siècle était une réaction contre l'idéal démocratique de l'époque, en particulier l'idée de la démocratie directe où tous les citoyens participeraient activement à la prise de décisions politiques. L'idée de représentation est née en partie d'un certain scepticisme vis-à-vis de la capacité du peuple à se gouverner lui-même. Les penseurs politiques de l'époque, tels que James Madison aux États-Unis, pensaient qu'il serait préférable de confier le pouvoir politique à une élite éclairée plutôt que de le disperser largement parmi le peuple. Ils craignaient que la démocratie directe ne conduise à l'instabilité, à la démagogie et éventuellement à la tyrannie de la majorité. De plus, dans les sociétés modernes en pleine expansion, il était tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que tous les citoyens aient le temps ou l'inclination pour s'engager pleinement dans les affaires publiques. Le gouvernement représentatif est donc apparu comme une solution permettant de concilier la participation du public à la politique (par le biais du vote) avec l'efficacité et la stabilité du gouvernement. Néanmoins, cette conception initiale du gouvernement représentatif a beaucoup évolué depuis le XVIIIème siècle. Aujourd'hui, la plupart des démocraties sont fondées sur une forme de gouvernement représentatif, et les idées d'égalité, de souveraineté populaire et de responsabilité des dirigeants envers leurs électeurs sont largement acceptées. Le défi pour les démocraties contemporaines est de garantir que ces principes sont respectés en pratique, malgré les défis posés par la taille et la complexité de nos sociétés modernes.

C'est un défi complexe que de concilier l'idéal démocratique avec les réalités d'un gouvernement représentatif. L'idée de la représentation repose en partie sur l'idée que certaines personnes, en raison de leur formation, de leur éducation ou de leur expérience, sont mieux à même de prendre des décisions politiques éclairées au nom de tous. Cependant, cela ne signifie pas que la démocratie est incompatible avec le gouvernement représentatif. Au contraire, ils peuvent être complémentaires. La démocratie est une valeur fondamentale qui exige que tous les citoyens aient la possibilité d'influer sur les décisions qui les concernent. Le gouvernement représentatif peut être un moyen d'atteindre cet objectif dans une société large et complexe. Par exemple, dans une démocratie représentative, les citoyens ont le pouvoir d'élire leurs représentants. Ces représentants ont le devoir de servir les intérêts de leurs électeurs et de rendre des comptes à ces derniers. Les citoyens ont également la possibilité de s'engager dans le débat public, d'exprimer leurs opinions et de se mobiliser pour les causes qu'ils estiment importantes. Ainsi, même si la plupart des citoyens ne participent pas directement à la prise de décisions politiques, ils ont encore de nombreuses occasions d'influer sur le processus politique. En outre, l'idée de la démocratie ne se limite pas au simple vote. Elle implique également la liberté d'expression, le droit à l'éducation, l'égalité devant la loi, la justice sociale et de nombreuses autres valeurs fondamentales. Le défi pour les démocraties représentatives modernes est donc de trouver des moyens d'impliquer le plus grand nombre possible de citoyens dans le processus politique, tout en respectant ces valeurs fondamentales.

Ces questions de représentativité et de droit de vote sont cruciales dans l'histoire de la démocratie. Au XIXème siècle, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, avaient un système politique dans lequel seules certaines parties de la population, généralement les hommes blancs les plus fortunés, avaient le droit de voter. Cela a conduit à des gouvernements qui représentaient les intérêts d'une petite minorité au détriment de la majorité de la population. Cependant, à partir du XIXème siècle, les mouvements de réforme ont commencé à exiger l'extension du droit de vote à des groupes de population plus larges. En Angleterre, par exemple, le mouvement de réforme a abouti à plusieurs réformes électorales qui ont progressivement élargi le droit de vote à davantage de citoyens. Des mouvements similaires ont eu lieu dans d'autres pays, comme les États-Unis et la France. Ces mouvements de réforme ont cherché à faire en sorte que le gouvernement soit plus représentatif des intérêts de l'ensemble de la population, et non pas seulement d'une élite privilégiée. Ils ont affirmé que tous les citoyens, indépendamment de leur richesse, de leur race ou de leur sexe, devraient avoir le droit de participer au processus politique. Cependant, ces mouvements ont également mis en évidence la tension inhérente à la démocratie représentative : comment concilier la représentativité de l'ensemble de la population avec l'idée que certains individus, en raison de leur éducation ou de leur expérience, sont mieux à même de prendre des décisions politiques ? Cette question reste une préoccupation majeure dans les démocraties représentatives d'aujourd'hui. Malgré l'extension du droit de vote à la majorité de la population, il existe encore de nombreuses inégalités dans la représentation politique. Il reste donc beaucoup à faire pour que les gouvernements représentatifs soient véritablement représentatifs des intérêts et des aspirations de tous leurs citoyens.

La démocratie « élitiste » de Schumpeter

Le problème du suffrage universel

Avec le suffrage universel, pourquoi il semblait avoir un tel problème ? Cette question aborde une crainte fondamentale que beaucoup de penseurs politiques ont eu par rapport à l'extension du droit de vote : le risque de la "tyrannie de la majorité". Cette idée suggère que si tout le monde a le droit de vote, alors les intérêts de la majorité pourraient facilement l'emporter sur ceux des minorités, ce qui pourrait mener à l'oppression de ces dernières. Au cours de la période que vous mentionnez, alors que de nombreux pays commençaient à introduire le suffrage universel, cette crainte était très répandue parmi l'élite politique. Cependant, elle se fonde sur une série d'hypothèses, dont certaines sont contestées. Par exemple, l'idée que les ouvriers voteraient nécessairement en bloc sous-estime leur diversité d'opinions et d'intérêts. De plus, la démocratie, même dans son sens le plus large, ne signifie pas seulement le droit de vote pour tous. Elle implique aussi l'existence de mécanismes pour protéger les droits des minorités et pour assurer une représentation équitable. Des systèmes tels que les élections proportionnelles, la protection constitutionnelle des droits de l'homme, la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice sont tous des moyens pour empêcher la tyrannie de la majorité. Enfin, il convient de noter que le gouvernement représentatif ne s'oppose pas nécessairement à la démocratie. Au contraire, le principe du gouvernement représentatif est souvent vu comme un moyen de réaliser la démocratie dans les sociétés modernes et complexes. En effet, la représentation permet à des individus élus de prendre des décisions au nom de leurs électeurs, permettant ainsi une forme de démocratie qui ne nécessite pas que chaque citoyen soit impliqué dans chaque décision politique.

Schumpeter a soutenu une vision particulière de la démocratie qu'il a appelée "la théorie de la démocratie élitaire". Selon cette vision, la démocratie n'est pas tant une forme de gouvernement qui permet à chaque citoyen d'avoir un mot à dire directement sur la politique, mais plutôt une forme de compétition pour le leadership politique. Dans cette perspective, le rôle du citoyen est principalement de choisir entre les différentes élites politiques qui se disputent le pouvoir. Schumpeter a vu cette conception de la démocratie comme une façon de concilier la nécessité d'un gouvernement représentatif dans une société grande et complexe avec le principe d'égalité politique. En donnant à chaque citoyen le droit de vote, nous maintenons l'égalité politique. Et en limitant le rôle du citoyen à la sélection des dirigeants plutôt qu'à la participation directe à la politique, nous permettons un gouvernement représentatif efficace. Selon cette conception, la démocratie n'est pas menacée par la majorité ignorant ou non éduquée qui pourrait prendre des décisions politiques néfastes. Au contraire, la démocratie est un système dans lequel les élites politiques doivent se disputer les faveurs de cette majorité. Ainsi, Schumpeter semble avoir trouvé une façon de concilier l'égalité, la liberté et le gouvernement représentatif. Son approche a eu une grande influence sur la façon dont nous pensons la démocratie aujourd'hui. Cependant, elle a aussi été critiquée pour avoir minimisé l'importance de la participation citoyenne et pour avoir peut-être trop mis l'accent sur les élites politiques.

Tocqueville a observé que l'avènement de la modernité a conduit à une multiplication des libertés individuelles. Dans nos sociétés modernes, nous jouissons d'une vie privée accrue, de la possibilité de fonder une famille, de pratiquer des sports, de nous engager dans des activités associatives, de pratiquer librement notre religion, de créer des organisations caritatives, de voyager, et ainsi de suite. Ces nouvelles libertés ont transformé notre rapport à la politique. Parce que nous avons tant d'autres espaces pour exprimer nos préférences et réaliser nos aspirations, la politique peut sembler moins centrale pour beaucoup de gens. Cela ne veut pas dire que la politique est devenue moins importante, mais plutôt que notre engagement envers elle a changé. Tocqueville a également noté que ces libertés modernes pourraient avoir un effet d'atomisation, nous poussant à nous concentrer davantage sur nos vies privées et à nous désengager de la vie publique. Cette tension entre la vie privée et la vie publique est un thème central de la démocratie moderne, et elle soulève des questions importantes sur la manière dont nous pouvons encourager une participation politique significative dans des sociétés où les individus ont tant d'autres façons de s'exprimer et de réaliser leurs aspirations.

Ces aspects de la vie moderne, selon Schumpeter, tendent à nous détourner de la politique. Dans nos sociétés libres, nous avons tant d'autres choses à faire et à explorer que la politique peut souvent passer en second plan. Schumpeter a donc soutenu que, même dans une démocratie, seules une minorité d'individus seront réellement actifs politiquement. Cependant, il a également souligné que cela ne rend pas la démocratie obsolète ou sans importance. Au contraire, il a souligné que le rôle de la majorité en démocratie est de choisir entre différentes élites politiques. Ainsi, même si la plupart des citoyens ne participent pas activement à la politique, ils ont toujours un rôle crucial à jouer en sélectionnant leurs dirigeants. Ce point de vue a été critiqué pour son pessimisme sur la capacité et le désir des gens ordinaires de participer à la politique. Il a également été critiqué pour son emphase sur les élites. Cependant, il offre une façon de comprendre comment la démocratie peut fonctionner dans les grandes sociétés modernes où le temps et les ressources sont limités.

Selon Schumpeter, dans nos sociétés modernes, bien que tous les individus soient éligibles pour participer à la politique, nombreux sont ceux qui n'ont ni le désir, ni les ressources nécessaires pour le faire activement. La multitude des engagements et des distractions de la vie contemporaine limite souvent notre volonté et notre capacité à nous engager pleinement dans le processus politique. Il est important de préciser que cette vision de Schumpeter n'implique pas que les individus ne se soucient pas de leurs droits politiques ou de leur capacité à influencer les décisions politiques. Au contraire, ils tiennent à leur droit de vote et veulent être en mesure d'intervenir dans le processus politique. Cependant, ils peuvent ne pas avoir le temps, l'énergie ou les ressources nécessaires pour s'engager activement dans la politique au-delà de l'exercice de leur droit de vote. C'est pourquoi Schumpeter a souligné l'importance du vote universel : il offre aux individus un moyen de participer à la politique sans exiger une implication continue ou intense. En même temps, il assure que tout le monde a une voix dans le processus politique, ce qui préserve la légitimité démocratique du système politique.

L'idée d'une « division du travail » en politique

Joseph Schumpeter a donc souligné l'idée d'une « division du travail » en politique. Selon cette perspective, dans une démocratie moderne, la majorité des citoyens délègue la responsabilité de la gouvernance à un petit groupe d'élus. Ces derniers, souvent plus informés et plus impliqués dans la politique, sont chargés de prendre des décisions au nom de ceux qui les ont élus.Cette division du travail politique a deux avantages principaux. D'une part, elle aux citoyens ordinaires de consacrer leur temps et leur énergie à d'autres aspects de leur vie, tout en conservant leur droit de vote et leur influence sur les décisions politiques. D'autre part, elle assure que les décisions politiques sont prises par des individus qui, idéalement, sont plus informés et mieux équipés pour comprendre les complexités de la gouvernance. Cependant, cette conception de la démocratie suppose que les élus représentent fidèlement les intérêts et les valeurs de ceux qui les ont élus. C'est pourquoi la transparence, la responsabilité et l'intégrité sont des valeurs cruciales dans ce système. Sans elles, la division du travail politique pourrait facilement se transformer en une déconnexion entre les élus et les électeurs, ce qui compromettrait la légitimité démocratique du système.

La conception élitiste de la démocratie de Schumpeter, malgré son nom, est en réalité très en phase avec l'organisation actuelle des sociétés démocratiques modernes. Ce modèle démocratique repose sur le principe de la compétence : ceux qui sont les plus compétents en politique sont ceux qui devraient gouverner. Dans ce système, le rôle des citoyens est de choisir parmi les candidats ceux qui seront leurs représentants, sur la base de leurs programmes, de leur compétence, de leur expérience, de leurs valeurs, etc. Ainsi, le vote permet de faire émerger une élite politique, mais cette élite est élu par les citoyens et est responsable devant eux. C'est en cela que la démocratie élitiste de Schumpeter reste une démocratie : le pouvoir est détenu par le peuple, mais il est exercé par l'intermédiaire de représentants élus. L'élite politique est ainsi en quelque sorte "légitimée" par le peuple à travers le processus électoral. Le rôle des citoyens n'est donc pas seulement passif (dans le sens où ils sont gouvernés), mais aussi actif (dans le sens où ils participent à la sélection de leurs gouvernants).

Adaptation de l'idée d'autogouvernement à la réalité des sociétés modernes

La conception de la démocratie selon Schumpeter est en décalage avec l'idée originelle d'autogouvernement que l'on retrouve dans les démocraties directes de l'Antiquité, comme à Athènes. Dans ces sociétés, chaque citoyen avait le droit de participer directement à la prise de décision politique, ce qui est à l'opposé du système représentatif moderne. Cependant, il faut noter que la mise en œuvre de l'autogouvernement à grande échelle dans nos sociétés complexes et largement peuplées serait extrêmement difficile. La délégation de pouvoir à des représentants élus permet de rendre le processus décisionnel plus gérable et plus efficient. Cela n'exclut pas la possibilité pour les citoyens de s'impliquer activement dans la politique à différents niveaux, par exemple à travers des associations, des mouvements sociaux, ou en exprimant leurs opinions et en faisant pression sur leurs représentants. La démocratie représentative peut ainsi être perçue comme une adaptation de l'idée d'autogouvernement à la réalité des sociétés modernes. Il y a bien sûr des inconvénients à ce système, notamment le risque que les représentants ne répondent pas suffisamment aux préoccupations des citoyens. C'est pour cela qu'il est crucial que le processus électoral soit juste et transparent, que les citoyens soient bien informés et qu'ils aient la possibilité de faire entendre leurs voix.

La conception schumpétérienne de la démocratie, également appelée "démocratie procédurale" ou "démocratie élitiste", repose en effet sur l'idée que les citoyens élisent des représentants qui sont spécialisés dans le travail politique. C'est une vision qui met l'accent sur la compétence et l'expertise des dirigeants, et qui considère que l'élection elle-même est le mécanisme démocratique par excellence. Selon Schumpeter, la démocratie n'a pas nécessairement pour but d'engager activement tous les citoyens dans la prise de décision. Il ne considère pas la démocratie comme un système qui permettrait la réalisation parfaite de l'idéal de l'autogouvernement. Au contraire, la démocratie est pour lui une méthode pour choisir les dirigeants, et non une fin en soi. Cette vision peut être critiquée, car elle implique un degré relativement faible de participation citoyenne. Si les citoyens se contentent de voter pour des représentants sans s'engager activement dans le débat politique, cela peut conduire à une forme de passivité politique et à un désintérêt pour les affaires publiques. D'un autre côté, Schumpeter soutenait que cette approche était plus réaliste et plus adaptée aux conditions modernes, compte tenu de la complexité des problèmes politiques et de l'ampleur des sociétés contemporaines.

La vision de Schumpeter repose sur l'idée que l'égalité moderne est mieux protégée par une démocratie élitiste où des experts formés et spécialisés dans le domaine de la politique sont en compétition pour le pouvoir. Cette compétition est vue comme bénéfique car elle favorise l'innovation et l'efficacité politique, tout en garantissant que les politiques sont formulées par ceux qui ont une connaissance approfondie des enjeux complexes. Selon Schumpeter, la majorité des citoyens n'a ni le temps, ni les connaissances, ni l'envie de s'occuper des questions complexes de politique internationale, d'énergie ou de finance. C'est pourquoi il préfère que ces questions soient laissées à des spécialistes qui ont une compréhension détaillée de ces sujets. Il est important de noter que cette vision de la démocratie peut être critiquée pour son élitarisme apparent et son désintérêt pour la participation citoyenne au-delà du vote. Cependant, Schumpeter soutiendrait que ce n'est pas nécessairement antidémocratique si l'on considère que l'objectif ultime de la démocratie est d'assurer une gouvernance efficace et équitable, et non nécessairement de permettre une participation maximale. Cependant, la perspective de Schumpeter reste pertinente dans le débat sur la démocratie représentative. De nombreuses sociétés démocratiques luttent avec le défi de concilier les attentes de participation citoyenne plus large avec la nécessité d'une prise de décision efficace sur des questions complexes. C'est un débat qui continue à ce jour, avec des arguments importants de chaque côté.

Selon Schumpeter, la réalité de la démocratie moderne, c'est que la majorité des citoyens n'a pas le désir ou la capacité de s'engager pleinement dans la politique. Cela est dû à une multitude de facteurs, notamment le manque de temps, les obligations personnelles et professionnelles, et souvent un manque d'intérêt ou de connaissance approfondie des questions politiques complexes. Schumpeter soutient donc que la démocratie élitiste, où les politiques sont déterminées par une classe de professionnels de la politique formés et éduqués, peut en fait être une meilleure réalisation des valeurs d'égalité moderne. Cela est dû au fait que cette approche permet à tous les citoyens de participer au processus politique par le vote, tout en garantissant que les décisions politiques sont prises par ceux qui sont les mieux à même de le faire. Cela ne veut pas dire que les citoyens ordinaires sont exclus du processus politique. Au contraire, ils ont le pouvoir de choisir leurs représentants et de les tenir responsables de leurs actions. Et dans de nombreux pays démocratiques, il existe également des mécanismes pour permettre une plus grande participation citoyenne, tels que les référendums, les initiatives citoyennes et les consultations publiques. Mais selon Schumpeter, pour que la démocratie fonctionne efficacement dans le monde moderne, il faut accepter que la majorité des citoyens ne seront pas des participants actifs dans la politique au-delà de ces mécanismes. C'est un point de vue controversé, et il est clair que le débat sur le meilleur moyen de réaliser l'idéal démocratique dans le monde moderne est loin d'être terminé.

Le contraste entre les idées de Rousseau et celles de Schumpeter est en effet frappant. Rousseau, figure clé du républicanisme, affirmait que pour être véritablement libres, les citoyens devaient participer activement à la politique et à la prise de décision publique. Cette conception de la liberté est souvent appelée "liberté positive" ou "liberté des Anciens". Rousseau voyait la participation politique non seulement comme un droit, mais aussi comme un devoir. Dans son contrat social, il soutient que la souveraineté appartient au peuple et que chaque citoyen doit contribuer à l'expression de la volonté générale. Cette volonté générale n'est pas simplement la somme des volontés individuelles, mais plutôt la volonté du corps politique dans son ensemble, visant le bien commun. Ainsi, pour Rousseau, être un citoyen, c'est participer activement à l'élaboration de cette volonté générale. Schumpeter, en revanche, avait une vision beaucoup plus pragmatique et réaliste de la politique. Il reconnaissait que la plupart des gens ne souhaitent pas ou ne peuvent pas s'engager de manière significative dans la politique. Selon lui, le rôle des citoyens est principalement de choisir les dirigeants politiques par le vote, tandis que le travail de la gouvernance devrait être laissé à une élite politique professionnelle. Ce contraste reflète des conceptions très différentes de la liberté et de la citoyenneté. Pour Rousseau, la liberté consiste à participer activement à l'élaboration des lois qui nous gouvernent, tandis que pour Schumpeter, la liberté consiste davantage à choisir nos dirigeants et à les tenir responsables. Ces deux visions continuent d'influencer le débat sur le rôle du citoyen et la nature de la démocratie dans le monde contemporain.

L'approche de Schumpeter à la démocratie et à la participation politique est réaliste et pragmatique. Selon lui, la plupart des gens sont plus intéressés par leur vie privée, leurs familles, leurs carrières, et d'autres aspects de leur vie quotidienne que par une participation active et directe dans la politique. Pour lui, la démocratie ne signifie pas que tous doivent participer activement à la prise de décisions politiques. Au lieu de cela, il voit la démocratie comme un mécanisme par lequel les citoyens élisent des leaders pour prendre ces décisions pour eux. Selon Schumpeter, ce modèle de démocratie "élitiste" permet à la fois de protéger les libertés individuelles et d'assurer l'égalité. Les citoyens ont la liberté de se concentrer sur leurs propres vies et leurs propres intérêts, tout en ayant également l'égalité de vote pour choisir ceux qui vont gouverner et prendre des décisions en leur nom. Dans ce sens, il voit la démocratie non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen d'atteindre d'autres objectifs sociaux et individuels. Cependant, cette vision de la démocratie n'est pas sans critiques. Certains peuvent soutenir qu'une démocratie véritable exige plus qu'un simple vote périodique pour des représentants. Ils peuvent soutenir que les citoyens doivent être activement engagés dans le débat public, informés des questions politiques, et capables de contribuer à la prise de décisions politiques. De plus, certains peuvent s'inquiéter du risque que les élites politiques deviennent déconnectées des préoccupations des citoyens ordinaires dans un tel système.

Schumpeter a certainement apporté une perspective intéressante sur la manière dont la démocratie peut fonctionner dans une société moderne complexe. En acceptant une certaine division du travail politique, où une élite politique se spécialise dans la gouvernance et où les citoyens ordinaires se concentrent sur d'autres aspects de leurs vies, Schumpeter propose une vision de la démocratie qui est à la fois réaliste et praticable. Il est important de noter que cette approche ne signifie pas que les citoyens sont complètement détachés du processus politique. Au contraire, ils jouent un rôle crucial en élisant ces élites et en décidant qui devrait les gouverner. De plus, cette approche ne signifie pas non plus que les citoyens ne peuvent pas s'engager davantage dans le processus politique s'ils le souhaitent. Les citoyens peuvent toujours choisir de s'impliquer davantage dans la politique, de se tenir informés des questions politiques et de faire entendre leur voix par divers moyens. Cependant, cette approche soulève également des questions importantes. Comment s'assurer que les élites politiques restent responsables envers les citoyens et reflètent leurs préoccupations et leurs intérêts ? Comment éviter que les élites politiques ne deviennent trop distantes ou déconnectées des citoyens ordinaires ? Comment s'assurer que les citoyens ont suffisamment d'information et de connaissances pour prendre des décisions éclairées lorsqu'ils votent ? Ce sont là des défis importants que toute démocratie, qu'elle soit basée sur le modèle schumpeterien ou non, doit affronter.

La démocratie élitiste : Une vision réaliste de la démocratie

Le modèle élitiste de la démocratie, tel que conceptualisé par des penseurs comme Schumpeter et Huntington, met l'accent sur le rôle crucial que jouent les élites dans le processus démocratique. Ils soutiennent que les questions complexes et techniques qui définissent souvent la politique moderne nécessitent une expertise spécialisée qui est mieux gérée par une élite formée et compétente. Ils font valoir que la division du travail politique, où les citoyens élisent des représentants pour gouverner en leur nom, permet une gouvernance plus efficace et plus stable. Huntington, en particulier, a soutenu que ce modèle était essentiel pour maintenir l'ordre et la stabilité dans les sociétés modernes. Il a mis en garde contre ce qu'il a appelé un "excès de démocratie", où une trop grande participation et un trop grand pluralisme peuvent conduire à une instabilité politique et à une inefficacité gouvernementale.

Selon Schumpeter, Huntington et d'autres qui soutiennent le modèle élitiste de la démocratie, l'engagement politique généralisé et actif peut potentiellement mener à des conflits de groupe majeurs. Ils argumentent que si chaque individu ou groupe cherche à faire avancer ses propres intérêts et points de vue à travers le processus politique, cela pourrait créer une concurrence intense et potentiellement déstabilisante pour le pouvoir et l'influence. Dans les sociétés modernes complexes, où des personnes de différentes classes sociales, religions, origines ethniques et points de vue politiques coexistent, un tel niveau de participation et d'activisme politique pourrait, selon cette perspective, mener à des conflits et à une polarisation. Cela pourrait potentiellement menacer la stabilité de la société et rendre la prise de décision politique plus difficile et moins efficace. De plus, ils soutiennent que la majorité des citoyens n'ont ni le temps, ni l'intérêt, ni l'expertise nécessaire pour s'engager activement dans la politique. Ils pensent qu'il est plus efficace et pratique que les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions en leur nom, tandis que les citoyens se concentrent sur leurs propres vies et carrières. Si on peut le dire, la démocratie moderne dépend de la possibilité de faire des compromis demandant d’accepter que seulement une partie de nos demandes seront réalisées dans nos politiques communes, que seulement une partie de nos idées, seulement une partie de nos efforts seront réalisés dans la politique.

La perspective de Schumpeter et de ceux qui partagent son point de vue est en effet souvent qualifiée de "réaliste" ou de "cynique", car elle tend à décrire la démocratie en termes de ce qui est faisable dans le contexte de la société moderne, plutôt qu'en termes de ce qui serait idéal selon certains principes théoriques. Dans cette perspective, l'autogouvernement au sens classique - où chaque citoyen est activement impliqué dans le processus de prise de décision politique - est considéré comme impraticable et peut-être même indésirable. Au lieu de cela, ces théoriciens proposent un modèle où la participation politique des citoyens ordinaires se limite essentiellement à élire leurs représentants, tandis que les décisions politiques réelles sont prises par une élite spécialisée. Cette élite est supposée représenter les intérêts des citoyens et agir en leur nom, tout en tenant compte de l'ensemble des compétences, connaissances et expertise nécessaires pour gouverner de manière efficace dans le monde complexe d'aujourd'hui. De cette manière, les partisans de cette vision pensent que la démocratie élitiste peut maintenir les valeurs fondamentales de la liberté et de l'égalité tout en étant fonctionnelle et stable.

Dans la vision de la démocratie élitiste que Schumpeter et d'autres soutiennent, ce qui compte le plus n'est pas l'héritage, la richesse ou la classe sociale, mais plutôt la capacité à gagner le soutien des citoyens et à les représenter efficacement. Cette vision met l'accent sur des compétences telles que le charisme, la communication, la négociation, et la capacité à prendre des décisions difficiles dans l'intérêt public. Cette vision de la démocratie diffère de l'aristocratie ou de la noblesse héréditaire, où le pouvoir est détenue par une classe privilégiée en raison de leur naissance ou de leur richesse. Dans une démocratie élitiste, tout le monde a théoriquement la possibilité de se présenter pour un poste politique, mais seuls ceux qui peuvent gagner le soutien du peuple par leurs compétences et leurs actions seront élus. La démocratie élitiste telle que décrite par Schumpeter ne privilégie pas intrinsèquement la naissance ou la richesse. Au lieu de cela, elle valorise des compétences telles que le charisme, l'éloquence, la capacité à inspirer et à mobiliser les gens, et l'aptitude à négocier et à arriver à des compromis sur des questions difficiles. Ces caractéristiques sont vues comme essentielles pour gagner le soutien des citoyens et pour mener efficacement un gouvernement dans une démocratie élitiste. Cependant, il est important de noter que si la naissance et la richesse ne sont pas explicitement valorisées dans cette vision de la démocratie, elles peuvent toujours jouer un rôle indirect en donnant à certains individus un accès plus facile à une éducation de haute qualité, à des réseaux sociaux influents et à d'autres ressources qui peuvent faciliter leur succès en politique. Le cas de Laurent Fabius et son rôle lors de la COP21 à Paris illustre ce point. Fabius, en tant que président de la COP21, a été reconnu pour sa capacité à conduire les négociations à un accord sur le climat universellement approuvé, démontrant ainsi des qualités de leadership et de négociation efficaces. Cependant, sa capacité à jouer ce rôle avec succès était également liée à son expérience politique antérieure, à son éducation, et au réseau de contacts qu'il a pu établir au cours de sa carrière, des facteurs qui peuvent être liés à son origine familiale et à sa situation socio-économique.

La démocratie élitiste, telle que conceptualisée par Schumpeter, présente plusieurs avantages. En reconnaissant que la majorité des citoyens peuvent ne pas vouloir s'engager activement dans la politique, ce système vise à protéger la liberté individuelle de poursuivre d'autres intérêts et de mener une vie privée sans interférence politique excessive. Par ailleurs, en évitant une approche autoritaire qui insiste sur une participation politique obligatoire ou qui donne la priorité aux intérêts des citoyens sur ceux des non-citoyens ou de l'environnement, ce modèle offre une vision plus inclusive et plus équilibrée de la démocratie

La délégation du pouvoir à l'élite

Bien que cette approche puisse être pragmatique et réaliste en reconnaissant que tous les citoyens ne souhaitent pas s'engager activement dans la politique, elle peut aussi sembler cynique en ne valorisant pas suffisamment la participation citoyenne au-delà du vote. Dans un tel système, les citoyens peuvent souvent se sentir aliénés ou déconnectés du processus politique, car ils sont largement passifs, n'ayant que peu d'influence réelle sur les politiques en dehors des élections. Cette passivité politique peut potentiellement conduire à l'apathie et à la désillusion, minant la confiance dans le système politique et ses acteurs. De plus, bien que la démocratie élitiste puisse permettre une prise de décision plus efficace et experte, elle peut aussi entraver la responsabilisation des élites politiques. Sans une participation citoyenne active et informée, il peut être plus difficile de tenir les élus responsables de leurs actions. Dans cet esprit, il est essentiel de trouver un équilibre entre l'efficacité du gouvernement et la participation citoyenne. Tandis que la démocratie élitiste met l'accent sur l'efficacité, d'autres modèles de démocratie, comme la démocratie participative, valorisent davantage la participation citoyenne.

Robert Dahl, un politologue influent du 20ème siècle, a offert une perspective alternative à la vision élitiste de Schumpeter avec son modèle de la "polyarchie". Dahl reconnaissait que la démocratie directe à grande échelle n'était pas réalisable dans les sociétés modernes, mais soutenait que le modèle élitiste de Schumpeter n'était pas suffisant pour réaliser les idéaux démocratiques d'égalité et de liberté.

Pour Dahl, une polyarchie, une forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir est investi dans plusieurs personnes, était une démocratie plus authentique. Elle accorde une importance centrale à la participation citoyenne et à la compétition politique. Dans une polyarchie, le pouvoir est réparti entre plusieurs centres de décision, ce qui permet aux citoyens de participer activement à la politique par le biais de différents canaux et institutions.

La polyarchie de Dahl se caractérise par plusieurs éléments clés :

  • L'élection des responsables : les citoyens ont le droit de voter pour leurs représentants.
  • La liberté d'expression : les citoyens ont le droit de s'exprimer sans crainte de sanctions.
  • L'accès à l'information alternative : les citoyens ont le droit d'accéder à des sources d'information diverses et indépendantes.
  • L'associativité : les citoyens ont le droit de former et de rejoindre des associations indépendantes.
  • L'inclusivité : tous les citoyens ont le droit de participer, indépendamment de leur statut social ou économique.

Dahl affirmait que ces caractéristiques étaient essentielles pour réaliser une démocratie authentique dans les sociétés modernes. En encourageant une participation plus active des citoyens et une concurrence politique plus libre et ouverte, la polyarchie cherche à réconcilier les tensions entre la liberté et l'égalité dans la démocratie.

Le modèle de Schumpeter est élitiste en ce sens qu'il reconnaît l'importance de la compétence et de la spécialisation dans le gouvernement, et non en ce sens qu'il favorise un certain groupe de personnes basé sur leur héritage ou leur statut social. Selon Schumpeter, dans une démocratie moderne, les citoyens délèguent le pouvoir à une "élite" d'individus politiquement compétents et instruits, qui se battent pour obtenir les votes des citoyens lors d'élections compétitives. Cette "élite" n'est pas nécessairement riche ou de "bonne famille" ; elle est simplement mieux équipée pour comprendre et gérer les complexités de la gouvernance moderne. L'accent mis par Schumpeter sur la compétence et la spécialisation dans la politique est lié à sa conception de la démocratie comme un système dans lequel les citoyens ont la possibilité de choisir leurs dirigeants, mais ne sont pas nécessairement impliqués dans la prise de décision politique quotidienne. C'est cette délégation de pouvoir à une élite politique qui fait que son modèle est souvent qualifié d'"élitiste".

Dans le modèle de Schumpeter, l'élite politique n'est pas une élite par naissance, par richesse ou par classe sociale, mais par compétence, talent et dévouement à la politique. Cette élite est choisie par le peuple lors d'élections libres et compétitives. La compétition électorale est considérée comme le mécanisme clé pour assurer la responsabilité des dirigeants envers le peuple et pour garantir que seuls les candidats les plus compétents et les plus dévoués à servir l'intérêt public soient élus. Les individus qui forment cette élite politique sont souvent ceux qui ont une vocation, une passion pour la politique, et qui ont acquis une expertise dans le domaine à travers l'éducation, l'expérience et l'engagement constant. Ils sont capables de comprendre les problèmes complexes auxquels la société est confrontée et de proposer des solutions politiques efficaces.

L'idée de Schumpeter sur la démocratie repose sur le concept de compétition politique. Les individus les plus compétents et les plus capables de prendre les meilleures décisions pour la collectivité sont élus pour gouverner. Cette concurrence favorise une sorte de "darwinisme politique" où seuls les meilleurs survivent et prospèrent. Selon Schumpeter, la compétition pour le vote populaire oblige les candidats à démontrer leur compétence, leur vision politique et leur aptitude à gouverner. Cela diffère des systèmes basés sur l'hérédité ou la loterie, où le leadership peut être attribué indépendamment de la compétence ou de l'aptitude à gouverner. De plus, Schumpeter soutenait que la plupart des citoyens ne s'intéressent pas à la politique au-delà du vote lors des élections. Ils préfèrent laisser la gestion des affaires de l'État aux politiciens professionnels. Pour lui, c'est non seulement acceptable, mais aussi bénéfique pour la société.

Schumpeter avait une vision des élections démocratiques comme étant une méthode qui assure une meilleure représentation des intérêts des citoyens par comparaison avec les systèmes basés sur l'hérédité ou la loterie. Selon lui, les candidats politiques, pour être élus, devraient répondre aux besoins et aux préoccupations des électeurs. Ainsi, les gouvernements qui émergent de cette compétition électorale seraient plus susceptibles de se soucier du bien-être de la population, de chercher à répondre à leurs besoins et de respecter leurs droits. Dans cette perspective, l'engagement politique des citoyens se manifeste principalement par le vote. C'est par ce processus que les citoyens expriment leurs préférences et choisissent ceux qui les gouverneront. Cette approche, cependant, soulève des questions sur la passivité politique et le rôle actif que les citoyens peuvent et devraient jouer dans la vie démocratique au-delà du vote.

Pour Schumpeter, la démocratie est avant tout un processus compétitif pour le vote du peuple. Dans son modèle, le gouvernement est certes conduit par une élite, mais cette élite est soumise à la volonté populaire exprimée par le vote. Il considérait que c'était le meilleur moyen d'assurer un gouvernement qui répond aux besoins et aux désirs du peuple, car les candidats qui cherchent à être élus doivent nécessairement prendre en compte les préférences et les intérêts des électeurs. En d'autres termes, dans la vision de Schumpeter, la démocratie ne signifie pas que tout le monde doit être impliqué dans la prise de chaque décision. Au lieu de cela, elle implique que tout le monde a le droit de participer au choix des dirigeants qui, une fois élus, auront la responsabilité de prendre des décisions politiques importantes.

L’idéal d’autogouvernement selon Schumpeter

Naturellement, et c’est cela qui rend élitiste l’idéal de Schumpeter, l’idéal d’autogouvernement, l’idée de la démocratie d’un gouvernement par le peuple, avait très peu d’intérêt pour Schumpeter. À vrai dire, il croyait que dans le monde moderne, l’idéal d’autogouvernement n’avait pas de sens ; comment cela serait possible que chacun de nous puisse nous gouverner puisque nous sommes nombreux. Même dans les républiques classiques, la démocratie participative avait des limites assez strictes. Il croyait qu’à la fin, même dans les républiques grecques, l’idéal d’autogouvernement était plutôt la potence que quelque chose d’attirant. La solution était l’idéal que le gouvernement constitutionnel avec des élections régulières nous donnait les moyens de réaliser ce qui était réalisable dans le monde moderne des idéaux de la liberté, de l’égalité et de la démocratie du monde classique. Nous aurons la liberté parce que nul ne va être forcé de participer dans le gouvernement s’il ne le veut pas. Selon Schumpeter, on ne doit pas s’intéresser à la politique si on ne veut pas. Alors, pour lui, une démocratie représentative où les citoyens peuvent s’intéresser à leurs propres affaires ou autres affaires que la politique était l’expression simple de la liberté des modernes. Le fait que si nous voulons et pouvons élire nos représentants et nous présenter comme représentant pour les autres, cela nos donnait toute la liberté politique qui était souhaitable et réalisable dans le monde moderne.

Cela est d’autant plus important si nous songeons que dans l’histoire des années après la Première guerre mondiale était l’époque de la révolution soviétique, de l’ère du fascisme et du nazisme où les gens étaient forcés à participer en politique et à participer dans les moyens acceptés. L’importance de la liberté de ne pas s’intéresser à la politique était quelque chose de vraiment essentiel selon Schumpeter à une idée démocratique. Si on n’a pas la possibilité de refuser la participation, le choix de s’abstenir, l’idée d’une politique libre était née. Qui a-t-il de libre dans la politique si on est forcé de participer. En plus, il se demandait où est l’égalité politique si on est forcé de participer selon les idées des autres. Alors, l’essentiel pour lui de la démocratie moderne ne pouvait qu’être que la possibilité de participer aux élections, de se présenter comme candidat si on le voulait, mais d’avoir aussi la possibilité de ne plus s’intéresser à la politique.

On croyait que c’était à cause du gouvernement représentatif, démocratique qu’on pouvait lier à la fois l’efficacité, la liberté, l’égalité, mais aussi la stabilité ainsi que la compétence qui manquait à la démocratie grecque. Les républiques anciennes grecques, mais aussi les républiques comme Florence du Moyen-Âge étaient très instables. L’exil était chose courante parce qu’il y avait tellement de combats, tellement de difficultés à concilier les intérêts différents dans une même république. Selon Schumpeter, ce qui rendait la démocratie attirante dans le monde moderne était le fait que cela était représentatif au lieu de participatif. C’était précisément parce que nous participons pour la plupart que nous avons la possibilité d’avoir des formes de démocratie stable parce que puisque nous devrions participer en choisissant nos représentants, les représentants doivent chercher à nous unir, à trouver les plateformes, les idéaux qui nous intéressent, qui vont nous faire voter et les soutenir. Pour lui, ce qui était important avec le gouvernement représentatif était que cela était à nos représentants de se faire élire, de nous unifier de nous offrir une plateforme qui nous mobilise. Mais après les avoir choisis, nous ne devrions plus faire les vraies demandes politiques. L’idée de Schumpeter était précisément en se fiant à nos représentants de nous représenter que nous pouvons avoir une démocratie stable. L’instabilité selon lui venait avec l’idée que les gens doivent continuer à agir, continuer à présenter leurs demandes, continuer à manifester ; cela, selon lui était de mal comprendre ce qui était valable et important pour la démocratie dans l’innovation du gouvernement représentatif.

Si on peut dire, le modèle élitiste de la démocratie était que nous allons élire nos représentas, en tant que libre et égaux, nous avons le choix de qui nous allons accepter, nous ne devrions pas voter si on ne veut pas, mais après nous devrions nous taire et laisser les experts faire leurs décisions. Pour la plupart, il croyait que c’était exactement ce que nous allons vouloir faire parce qu’après tout, la majorité d’entre nous ne s’intéresse pas particulièrement à la politique. Cela est un peu la division du travail de laisser à ceux qui s’intéressent vraiment à la politique la tâche de nous gouverner et nous pouvons les autres choses qui nous intéressent.

Même s’il y a les attraits importants dans l’effort de Schumpeter de lier à la fois l’idée de la représentation et une forme de démocratie élitiste, cela est clair qu’il y a un tas de problèmes empiriques ainsi que normatifs. Empiriquement, la théorie de Schumpeter est que le gouvernement représentatif constitutionnel avec le suffrage universel va générer tant de concurrence parmi les gens qui veulent participer dans la politique que nous n’aurons pas de problèmes à trouver un gouvernement stable, plein de gens compétents qui s’intéressent à notre bonheur. L’idée était que la concurrence entre les partis organisés va donner aux représentants les motivations de chercher parmi toutes les couches de la société les autres individus qui ont les talents politiques pour les amener dans leur parti. Il semblait qu’on avait un modèle avec un cercle vertueux où à cause de la concurrence, les élites vont ne se reproduire pas par le principe d’hérédité, mais parce qu’ils vont chercher parmi les élites les gens qui ont la vocation pour la politique. Empiriquement, nous savons que ce n’est pas vraiment le cas, que dans un système où la majorité des gens ne participe pas dans la politique, les politiciens deviennent des castes parfois héréditaires comme aux États-Unis ou encore en Amérique latine. On sait qu’en devenant plutôt héréditaire, la qualité de ces politiques devient de pire en pire et il faut seulement comparer la famille Bush. La théorie qui lie la concurrence avec une élite spécialisée non héréditaire n’a vraiment pas marché empiriquement. En plus, au lieu de vraiment s’intéresser au bonheur des citoyens qui ne s’intéressent pas à la politique, l’effet inévitable d’avoir une élite qui sait comment gérer les rênes du pouvoir est de donner à nos représentants les moyens de s’entretenir pour le futur et ainsi le pouvoir politique devient le moyen de s’enrichir et de se maintenir à un statut social peut être qu’ils n’avaient pas de naissance.

Traditionnellement, les gens riches ou les aristocraties de bonne naissance venaient au pouvoir, mais leur base politique était leur terre, leur sang bleu, etc. Par contre, le problème des élites démocratiques et surtout sur le modèle présenté par Schumpeter était que la prise de pouvoir politique devient le moyen de se sécuriser économiquement et de sécuriser sa position sociale. On voit beaucoup de gens qui entrent en politique précisément pour s’enrichir et pas parce qu’ils avaient déjà les moyens de s’intéresser à la politique.

Voilà les problèmes empiriques modernes. Normativement, on a un tas de problèmes parce qu’après tout, si a une forme de gouvernement avec une partie assez restreinte qui ont une connaissance spéciale des rênes du pouvoir et une majorité qui sait très peu sur la politique comment cela s’organise, comment cela se fait, il est clair que la liberté et l’égalité de ce deuxième groupe beaucoup plus grand est mis en danger. Si on peut dire, un modèle de la démocratie qui devient assez vite cynique au lieu d’idéal.

Un modèle moins élitiste

Il semble qu’on peut modifier ce modèle élitiste de la démocratie pour le rendre moins élitiste, pour le rendre plus participatif, égalitaire. On peut imaginer par exemple un système où on garde l’idée d’une concurrence de pouvoir parmi un groupe restreint, mais avec peut être une forme d’action positive pour vraiment élargir le cercle du gouverneur, ou on peut imaginer une forme de corporatisme à la Durkheim et ses successeurs, une forme de corporatisme où on essaie de faire participer et de représenter en politique les intérêts divers des parties différentes de la population. Dans le modèle corporatiste de la démocratie, on essaie de faire représenter les gens pas en tant que citoyens seulement à travers les élections, mais on essaie aussi de les représenter en tant qu’ouvrier ou en tant que religieux ou en tant qu’employeur dans les associations qui vont participer directement dans la prise de décision politique. On peut imaginer un moyen de rendre moins élitiste, plus égalitaire au moins ou plus participatif le modèle de la démocratie formulé par Schumpeter peut-être en utilisant les idées plutôt corporatistes. Là, il faut se rendre que dans le modèle où les gens doivent pour la plupart s’associer en tant que membre d’un syndicat, ils doivent rejoindre un syndicat pour être représentés et les gens doivent se faire représenter en tant qu’agriculteur par exemple afin que les intérêts agricoles soient représentés en politique. On a un modèle de la politique qui dépasse Schumpeter qui perd l’attrait que nous ne devrions pas participer à la politique si cela ne nous intéresse pas et il n’y a pas de forme spécifique de participation.

David Held n’essaie pas assez de voir comment peut-on modifier ces modèles dans la mesure où cela ne nous plait pas parce que cela est toujours intéressant de voir comment peut-on améliorer un modèle qui a ses attraits et ses désavantages. La théorie du corporatisme, à la fois de Durkheim dans la Divion du travail et du suicide, mais aussi de la pratique du corporatisme. Ces modèles peuvent peut-être améliorer la forme de démocratie prônée par Schumpeter, mais le risque est qu’à la fin nous allons dépasser aussi les attraits de ce modèle en essayant de corriger ces défauts. Cela nous donne la clef à l’intérêt vraiment du pluralisme et de Dahl parce qu’il essaie de montrer comment nous pouvons garantir ou construire sur l’aspect le plus attirant des idées de Schumpeter sans ses défauts à la fois empirique et normatif.

La démocratie pluraliste de Dahl

Robert A. Dahl.

Nous allons voir comment Dahl essaie de construire sur l’aspect attirant et peut être même innovateur de Schumpeter, mais essaie d’éviter les difficultés empiriques et normatives de cette conception élitiste de la démocratie. Nous allons voir pourquoi Dahl croit qu’une vision pluraliste basée sur les formes différentes de pouvoir semblait à la fois plus empiriquement correcte et même plus idéale, normativement attirante que la vision élitiste de Schumpeter.

Qu’est-ce que la clef du pluralisme ? La clef est la liberté d’association, c’est l’importance d’une société démocratique faite d’associations multiples, d’individus qui se cherchent, qui se joignent pour le plaisir de se joindre, mais aussi pour des raisons instrumentales. L’idée de Dahl est de dire que Schumpeter a une idée pauvre de la démocratie parce qu’il ne s’intéresse pas à la démocratie sociétale, la base nécessaire pour un gouvernement démocratique dans le monde moderne et cette base pour Dahl ainsi que pour Tocqueville est l’association libre des individus qui peuvent former des associations parce que cela leur plait et ont des intérêts en commun.

L’idée à la fois de Tocqueville et reprise de façon importante par Dahl est qu’une démocratie moderne, un gouvernement démocratique moderne doit avoir une société, des citoyens qui s’organisent, qui s’associent de multiples façons selon leurs goûts individuels, selon leurs besoins et selon leurs croyances. L’idée est que si nous avons une société où les gens peuvent entrer, quitter, laisser les associations comme ils veulent, nous aurons ce qu’on appelle les clivages enchevêtrés. L’idée est que si voulons et quand nous pouvons nous associer avec les autres pour une raison personnelle, si nous pouvons associer de multiple façon les différences de classe, les différences de race, de croyances politiques, religieuses ou encore morales, va s’estomper d’une façon importante parce que nous allons découvrir à travers nos associations diverses qu’il y a des intérêts multiples, divers qui se traduisent dans la politique, des façons complètement différentes. Comparé à la peur qui hantait Schumpeter, mais aussi un tas de politologues depuis l’avènement du suffrage universel, la peur que la classe ouvrière aille voter purement en tant que classe ouvrière et que la classe propriétaire va voter purement en tant que propriétaire pour leurs intérêts, l’importance des associations, comme Dahl l’a reconnu, est que nous pouvons voir que nous avons un tas d’autres intérêts même en tant qu’ouvrier, que propriétaire, un tas d’intérêts divers qui peut aussi se représenter dans la politique et parfois doit se faire représenter. L’idée alors est que dès qu’on voit que la démocratie ne demande pas seulement une forme de gouvernement représentatif avec le suffrage universel et majoritaire, mais elle demande aussi une société vivante où les individus discutent, une société où les individus cherchent les autres avec qui ils peuvent s’associer pour prôner leurs demandes, avec qui ils peuvent identifier ce qui les intéresse et leur signification pour la politique. Dès qu’on voit cette société pleine de groupes, vivantes, combative couvrant tous nos intérêts, nous aurons un modèle de la démocratie vraiment libre parce que cela va refléter la différence et la liberté des citoyens et d’une façon vraiment importants égaux parce que comme cela la naissance ne serait pas la destinée politique. On peut naitre pauvre, mais le fait d’être pauvre n’implique pas qu’on ne peut pas être membre d’un tas d’associations avec les autres qui ne sont pas pauvres et qui auront alors tant d’intérêts. L’idée est que si les gens décident aussi de s’engager en politique sur la base de leur religion, nous aurons aussi les moyens d’estomper les différences raciales, entre les immigrés et les gens de souche parce qu’à la fin, si on peut représenter ces intérêts en tant que membre d’une même association, nous aurons les raisons de vouloir le bien de tous les autres qui prônent notre religion indentant de la couleur, de leur statut d’immigré ou de souche. C’est un idéal d’un monde où les gens vont estomper les différences héréditaires, les différences qui les divisent pour arriver à une politique concurrentielle, mais où les clivages vont changer d’un moment à l’autre, une politique créative, réactive, comptable qui répond directement aux intérêts des individus tels que les individus eux-mêmes les conçoivent.

Pour Dahl ainsi que peut être pour Tocqueville dans La Démocratie en Amérique, l’idée était que dans une société vraiment démocratique avec des associations multiples, changeantes, la technique et le savoir politique sont quelque chose à la main de tout le monde parce que les associations doivent se gérer, doivent s’unifier, doivent savoir comment coopérer entre elles, et alors, on peut apprendre la politique comme comptable d’une association ,et petit à petit, c’est l’idée que la politique devient quelque chose liée à nos intérêts personnels qui nos formes et donne les atouts pour participer au niveau national. Cela est loin de l’idée de Schumpeter que la politique est une profession spéciale différente qui n’a rien à voir avec les capacités de la grande majorité des gens. Dans la vision pluraliste de Dahl, la politique n’est pas quelque chose de spécial, c’est quelque chose à la portée de tout le monde.

C’est une vision assez attirante, une vision où on peut voir, donner peut-être un sens dans le monde moderne de l’idéal de l’autogouvernement, l’idéal d’une démocratie, des associations démocratiques. Cependant, en dépit des attraits de Dahl, en dépit de cette vision vivante, changeante et fluide la politique qu’il prônait, on a une réalité beaucoup plus complète. Robert Putman a publié en 2000 Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community qui est un livre pleurant pour la perte de cette vision, mais aussi de ce monde pluraliste que prônait Dahl. Il y avait une vision peut-être idéaliste de l’Amérique des années 1950, une vision où tout le monde était associé avec les autres. Ce qui est triste pour la politique est que la politique ne se fasse plus comme elle se faisait avant. Maintenant, la politique s’est professionnalisée à tous les niveaux. Des partis cherchent à acheter les capacités d’experts politiques afin de prône un agenda. La difficulté, à la fin, empiriquement, du modèle de Dahl, que cela tourne très vite dans la réalité élitiste et il faut dire capitaliste de Schumpeter, cela arrive pour plusieurs raisons.

La première est l’idée est que l’idéal du pluralisme où les gens peuvent concourir de manière multiple ignore que dans notre société il y a des groupes qui sont des minorités distinctives des petits. Il y a un tas de petits groupes dans nos sociétés qui sont trop petits pour vraiment se trouver lié avec les autres. Alors, pour la plupart, nous, la majorité, nous ne savons rien d’eux, nous ne portons que très peu d’intérêt sur eux. La conséquence est que la politique qui nous plait ne prend pas en compte leurs intérêts spécifiques. Par contre, la logique du pluralisme était qui puisque nous avons un tas d’intérêts qui se chevauchent, il est très facile de protéger par la politique publique nos intérêts divers. Le problème est pour les groupes isolés, petits et distincts qui ne seront pas inclus dans ce mélange d’association et ne vont pas se retrouver représenté dans la politique.

Le deuxième problème est que ce modèle attirant du pluraliste où on entre et on quitte les associations ne prend pas vraiment en compte ce que Mancur Olsen appelait la logique de l’action collective. Dans la logique de l’action collective, on se montre combien les ressources, l’argent est nécessaire pour l’organisation des groupes. Le problème sous-jacent de la politique pluraliste est que si les ressources sont très inégales, les associations mêmes les plus volontaires n’auront pas le même pouvoir de représenter les intérêts de ses membres. C’est par exemple le problème de beaucoup d’associations de consommateurs. En tant que consommateur nous sommes très nombreux, on aurait cru qu’en tant que consommateur, nous aurions un pouvoir politique énorme, après tout, en tant que consommateur, nous avons un pouvoir d’achat, mais aussi de voie sans pareil, mais le problème est que le plus grand groupe, le plus cher à organiser, le groupe le plus divisé, alors le plus de difficulté, plus de temps et d’argent il va nous falloir afin d’identifier nos intérêts en commun et de nous organiser pour les avancer. C’est pour cette raison que les intérêts des consommateurs sont beaucoup moins protégés dans les démocraties que les intérêts de producteurs.

Finalement, la théorie pluraliste ne prend pas en compte les préjugés arbitraires et la lègue dans nos institutions et nos politiques comme, par exemple, contre les femmes, les gens de couleur ou ceux qui ont une opinion différente que celle de la majorité. Le problème c’est qu’avec la liberté d’association, il est très difficile pour les gens victimes de préjugé de vraiment s’associer avec les autres. Même si formellement, cela est quelque chose d’important dans nos démocraties que nous pouvons entrer, quitter également des associations différentes ; dans le monde actuel, nous savons très bien que ces possibilités sont distribuées d’une façon très inégalitaire à cause des différences de la richesse, mais aussi à cause des effets structurels, des préjugés de nos gouvernements.

Les problèmes empiriques du pluralisme se reflètent dans la difficulté aux États-Unis, mais aussi ailleurs de vraiment estomper les différences de classe, de race et même de religion de nos sociétés. La théorie pluraliste avait promis que sans changer les libertés, nous pouvons estomper ces différences tellement problématiques et parfois tellement injustes. En réalité, pour la plupart, nos associations volontaires, au moins de les estomper, peuvent les approfondir. C’est l’une des tragédies de l’association libre que l’on va peut-être au lieu d’estomper nos différences, les approfondir.

Nous avons regardé deux efforts de lier l’idée de la démocratie d’une politique de la liberté et de l’égalité, un idéal de l’autonomie pour le monde moderne, mais nous avons vu aussi que ces deux modèles en dépit de leurs attraits réels ont des difficultés très profondes. Les enjeux maintenant dans la théorie politique normative ainsi que dans la science politique plus empirique est de savoir si nous pouvons envisager un modèle, un modèle de la démocratie qui peut à la fois récupérer ce qui était fort et attirant dans le modèle pluraliste de Dahl, dans le modèle de démocratie plutôt tocquevilien, mais en acceptant que sans les efforts intentionnels d’estomper les inégalités héritées du passé, sans les efforts intentionnels de promouvoir le bien commun, il n’y a pas de possibilité vraiment d’arriver à une politique libre et égale basée sur l’intérêt propre des individus.

Annexes

Références