L’Éthique du Réalisme : Enjeux et Débats

De Baripedia

L’éthique du réalisme en relations internationales constitue une approche fascinante et controversée qui explore les interactions entre moralité et pragmatisme dans un contexte mondial souvent marqué par des conflits d’intérêts et des asymétries de pouvoir. Ancrée dans une tradition philosophique et politique ancienne, cette perspective met l’accent sur la compréhension réaliste des comportements humains et des relations entre États, tout en questionnant la pertinence et les limites des principes moraux dans un monde dominé par la quête de puissance et la survie.

L’idée centrale du réalisme repose sur l’assertion que les États, en tant qu’acteurs principaux des relations internationales, agissent avant tout en fonction de leur intérêt national. Ce postulat est souvent associé à une vision pessimiste de la nature humaine, héritée de penseurs comme Thomas Hobbes, qui considère que la compétition, la méfiance et la quête de gloire sont des moteurs essentiels du comportement humain. Cependant, cette approche ne rejette pas totalement l’éthique : elle en propose une lecture adaptée aux réalités d’un système anarchique où la moralité traditionnelle se heurte aux exigences de la survie.

L’éthique réaliste est ainsi marquée par des dilemmes fondamentaux. Comment concilier les impératifs moraux universels avec les intérêts stratégiques particuliers ? Dans quelle mesure un État peut-il justifier des actions moralement contestables au nom de la sécurité collective ou de l’équilibre des puissances ? Ces questions, au cœur des débats sur l’éthique réaliste, illustrent les tensions constantes entre idéalisme et pragmatisme dans la conduite des affaires internationales.

L’apport de penseurs majeurs comme Reinhold Niebuhr et Hans Morgenthau a été déterminant pour formuler une éthique réaliste qui dépasse le simple cynisme. Niebuhr insiste sur la reconnaissance des limites humaines et sur l’humilité nécessaire dans les décisions politiques, tandis que Morgenthau introduit le concept de prudence comme vertu cardinale du dirigeant. Ces contributions soulignent que, bien que les réalistes rejettent les idéaux utopiques, ils n’abandonnent pas l’idée d’une responsabilité morale dans la gestion des affaires publiques.

Ainsi, cet article propose d’examiner en profondeur les fondements philosophiques, les enjeux pratiques et les débats contemporains entourant l’éthique du réalisme. En analysant les tensions entre moralité et pragmatisme, entre principes universels et contextes spécifiques, il vise à éclairer les choix complexes auxquels sont confrontés les décideurs dans un monde où les dilemmes moraux sont omniprésents. Par une exploration critique des concepts et des positions théoriques, cette réflexion entend contribuer à une meilleure compréhension des défis éthiques en politique internationale.

Qu'est ce que l'éthique

L'éthique, issue du grec ethos signifiant « mœurs », et la morale, dérivée du latin mores désignant également les « mœurs », sont deux concepts complémentaires qui interrogent les fondements du « bien », des « bonnes mœurs » et de la « bonne vie ». Tandis que la morale renvoie souvent à un ensemble de règles ou de normes prédéfinies, l'éthique se distingue par son caractère systématique et réflexif. Elle vise à analyser et structurer les principes qui orientent les actions humaines, en mettant l’accent sur la justice, la vertu et la responsabilité.

Au cœur de la réflexion éthique se trouve une quête de sens : comment définir ce qui est juste ? Quels principes doivent guider nos actions dans des situations complexes ? Ces questions, bien qu'universelles, se révèlent particulièrement cruciales dans des contextes où les décisions impliquent des conséquences morales profondes, comme en politique ou en relations internationales.

En politique, l'éthique revêt une importance capitale, car elle confronte les décideurs aux dilemmes moraux liés à leurs responsabilités. Max Weber, dans son célèbre essai Politik als Beruf (1919), a offert une analyse lumineuse de cette tension en identifiant deux cadres éthiques majeurs : l'éthique de la conviction (Gesinnungsethik) et l'éthique de la responsabilité (Verantwortungsethik). Ces deux perspectives, loin d'être opposées, sont selon Weber des composantes indispensables d’une action politique authentique.

  • L’éthique de la conviction repose sur des principes universels, immuables, souvent liés à des valeurs idéales comme la vérité, la justice ou la loyauté. Elle guide les individus en leur demandant de rester fidèles à leurs convictions, quel que soit le coût.
  • L’éthique de la responsabilité, en revanche, invite à tenir compte des conséquences des actions dans un monde imparfait. Elle exige une prise en compte pragmatique des réalités, impliquant parfois des compromis avec les idéaux pour atteindre des résultats concrets.

Pour Weber, l’homme politique authentique intègre ces deux dimensions : il agit en restant fidèle à ses principes tout en assumant les responsabilités pratiques de ses décisions dans un environnement complexe et imprévisible.

L’éthique, en politique comme dans d'autres domaines, est donc une discipline de la complexité. Elle ne se limite pas à fournir des réponses toutes faites, mais pousse à une réflexion profonde sur les tensions entre idéaux et réalités. À travers cette démarche, elle cherche à réconcilier les exigences universelles de la morale avec les contraintes spécifiques des situations humaines. En cela, elle demeure une boussole essentielle pour guider les actions dans des contextes où la distinction entre le « bien » et le « mal » est souvent floue, mais où la quête d'une vie juste et responsable reste un impératif fondamental.

L'Éthique et le Sentiment Moral en Relations Internationales

En relations internationales, l’éthique se heurte à des dynamiques de pouvoir complexes dans un système anarchique où les États, principaux acteurs, priorisent souvent leurs intérêts nationaux. Dans ce contexte, les impératifs moraux semblent souvent relégués au second plan, au profit de la survie, de la sécurité ou de la quête de puissance. Cependant, même dans ce cadre pragmatique, un sentiment moral sous-jacent demeure perceptible, notamment à travers des comportements tels que l’hypocrisie politique.

L’hypocrisie, bien que souvent perçue négativement, peut être interprétée comme une preuve paradoxale de l’influence persistante des normes éthiques. Lorsqu’un État justifie ses actions, même les plus contestables, par des arguments moraux ou juridiques, il révèle l’importance accordée à une forme de légitimité éthique. Ce besoin de justification indique que, malgré les contraintes du système anarchique, les principes moraux conservent un rôle structurant dans les relations internationales. Ils forment une norme implicite à laquelle les acteurs doivent, au moins en apparence, se conformer.

Ainsi, l’hypocrisie ne constitue pas seulement un écart par rapport à une norme ; elle en souligne également l’existence et l’influence. Les États, en cherchant à masquer des actions égoïstes derrière des principes universels tels que la paix, la justice ou les droits humains, valident l’idée que l’éthique reste un référentiel incontournable, même dans un monde dominé par les rapports de force. Cela montre que, bien que le réalisme politique domine souvent les décisions stratégiques, une tension éthique persiste, imposant aux acteurs de naviguer entre pragmatisme et idéal.

Ce paradoxe met en lumière l’une des caractéristiques fondamentales de l’éthique en relations internationales : elle n’est pas un cadre rigide ou absolu, mais une dynamique vivante, façonnée par des interactions où principes moraux et réalités politiques s’entrelacent. Loin d’être simplement mise de côté, l’éthique devient un champ de négociation, un langage commun qui structure, même implicitement, les relations entre les États.

Les Grandes Doctrines Éthiques Face à la Guerre

La guerre, en tant que phénomène social et politique, pose des questions éthiques d’une complexité exceptionnelle. Elle confronte les individus et les États à des dilemmes profonds sur la légitimité de l’usage de la violence et les conditions de sa justification. Dans ce cadre, quatre grandes doctrines éthiques se sont historiquement développées, offrant chacune une perspective unique sur les rapports entre moralité et guerre.

Le Militarisme

Le militarisme s’appuie sur une éthique aristocratique qui valorise des idéaux tels que la fierté, l’honneur et la gloire. Cette doctrine perçoit la guerre non seulement comme un outil pour résoudre les conflits, mais également comme un moyen d’accomplissement personnel et collectif. Dans cette perspective, la guerre est érigée en une expérience formatrice, forgeant le caractère et inculquant des vertus considérées comme fondamentales pour les individus et les nations.

En tant qu’éthique de l’excellence martiale, le militarisme met en avant le courage, le dévouement et la capacité à faire face à l’adversité comme des qualités suprêmes. La guerre, dans ce cadre, devient un vecteur de transmission des valeurs traditionnelles et un espace où se manifeste la grandeur humaine. Elle est vue comme un rite de passage, un exercice de dépassement de soi, et une source de fierté collective, renforçant les liens au sein des communautés nationales et consolidant l’identité d’un peuple.

Historiquement, cette vision trouve ses racines dans des sociétés guerrières, où la guerre était envisagée comme un art noble, souvent réservé à une élite. Dans des civilisations telles que la Grèce antique, le Japon des samouraïs ou l’Europe féodale, les classes dirigeantes faisaient de l’honneur sur le champ de bataille une condition essentielle de leur légitimité et de leur prestige. Les récits épiques, les chants héroïques et les codes de chevalerie illustrent cette glorification de la guerre en tant qu’expérience humaine ultime.

Cependant, cette exaltation des vertus martiales n’est pas exempte de critiques. Les excès du militarisme ont souvent conduit à une militarisation excessive des sociétés, où la guerre est glorifiée au détriment de la paix et du bien-être des populations. Malgré cela, cette éthique continue de jouer un rôle dans certaines cultures et idéologies contemporaines, où elle alimente une vision romantique de la guerre comme expression du courage et de la dignité humaine.

Le militarisme, en tant que doctrine éthique, reflète une conception particulière de la guerre : non pas comme un mal nécessaire, mais comme une opportunité de transcendance individuelle et collective. Bien qu’il soulève des questions sur ses implications sociales et politiques, il illustre une approche où la guerre est perçue comme une forme d’art, un défi et un honneur, enracinée dans les aspirations profondes à la grandeur humaine.

Le Réalisme

Le réalisme repose sur une éthique pragmatique centrée sur l’intérêt étatique ou national, considérant la guerre comme une nécessité stratégique dans un monde anarchique. Selon cette doctrine, la survie et la puissance constituent les objectifs fondamentaux des États, dictant leurs comportements dans des situations où les dilemmes moraux sont subordonnés à la poursuite de ces impératifs. Le réalisme se distingue ainsi par son rejet des idéaux utopiques, préférant une approche ancrée dans la réalité des rapports de force.

L’éthique réaliste s’appuie sur la prudence comme vertu essentielle. Cette qualité incarne la capacité à évaluer les risques, à anticiper les conséquences et à agir de manière rationnelle dans un contexte de compétition constante entre les États. La guerre, dans cette perspective, n’est ni glorifiée ni considérée comme intrinsèquement immorale : elle est avant tout un outil, un moyen rationnel utilisé pour garantir la sécurité, défendre les intérêts vitaux ou préserver l’équilibre des puissances. Ce calcul froid des coûts et des bénéfices est au cœur de l’approche réaliste.

Dans cette vision, l’éthique de la guerre n’exclut pas totalement les principes moraux, mais elle les adapte aux réalités pratiques. Si certaines normes universelles peuvent être reconnues, elles ne doivent pas entraver la capacité d’un État à agir en fonction de ses priorités stratégiques. Par conséquent, la transgression de normes morales ou juridiques universelles peut être justifiée lorsqu’elle sert un intérêt supérieur, tel que la survie nationale ou la préservation de l’ordre international.

Historiquement, des penseurs comme Thucydide, Hobbes et Machiavel ont jeté les bases du réalisme en décrivant la politique comme un domaine régi par la nécessité et le pragmatisme. Dans les théories modernes, des figures telles que Hans Morgenthau et Kenneth Waltz ont approfondi cette vision, soulignant que la politique internationale est marquée par une compétition structurelle où les États ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

Le réalisme offre une lecture éthique où la guerre est intégrée dans une logique de responsabilité et de rationalité. Bien que cette doctrine puisse sembler cynique, elle répond à une conception du monde où les idéaux, bien que désirables, doivent céder face aux contraintes imposées par les réalités du pouvoir. Le réalisme, en cela, incarne une éthique de la survie, façonnée par la nécessité de naviguer dans un système international sans autorité supérieure, où l’intérêt national demeure la boussole ultime des décisions.

La Théorie de la Guerre Juste

La théorie de la guerre juste se distingue par son ambition de concilier les impératifs moraux universels avec les exigences stratégiques inhérentes à la guerre. Elle repose sur une éthique de la justice internationale qui cherche à encadrer et à limiter la violence dans les conflits, en établissant des principes normatifs précis pour déterminer quand et comment la guerre peut être moralement justifiée. Loin de légitimer systématiquement le recours à la force, cette doctrine impose des critères rigoureux, destinés à réduire les souffrances et à préserver la dignité humaine même en temps de guerre.

La théorie de la guerre juste est structurée autour de deux ensembles de principes clés :

  • Le jus ad bellum (le droit de faire la guerre) : Ces critères visent à évaluer si le déclenchement d’une guerre est moralement justifié. Ils incluent :
    • La légitimité de la cause : La guerre ne peut être entreprise que pour des raisons jugées moralement valides, telles que la défense contre une agression, la protection des innocents ou la restauration de droits fondamentaux.
    • L’autorité légitime : La décision de guerre doit être prise par une autorité reconnue comme légitime, souvent un État souverain ou une organisation internationale.
    • La proportionnalité : Les bénéfices attendus de la guerre doivent l’emporter sur les coûts humains, matériels et sociaux qu’elle engendrera.
    • La dernière ressource : La guerre ne doit être envisagée qu’après l’épuisement de toutes les autres options diplomatiques ou pacifiques.
  • Le jus in bello (le droit dans la guerre) : Ces principes encadrent la manière dont la guerre est menée, afin de limiter les souffrances inutiles. Ils incluent :
    • La discrimination : Il est impératif de distinguer les combattants des civils, ces derniers devant être protégés de la violence.
    • La proportionnalité : L’usage de la force doit être limité à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes.
    • L’humanité : Les actes de cruauté gratuite, comme les tortures ou les destructions inutiles, sont strictement prohibés.

La théorie de la guerre juste reconnaît que, dans certaines circonstances, le recours à la violence peut être un mal nécessaire pour défendre des valeurs supérieures telles que la liberté, la justice ou la paix. Cependant, elle insiste sur l’idée que même dans ces cas, la guerre doit rester une exception et être conduite de manière à respecter les principes fondamentaux de moralité. Cette approche cherche à humaniser la guerre, en limitant ses effets destructeurs et en renforçant l’idée que la violence ne doit jamais devenir une fin en soi.

Malgré son ambition morale, la théorie de la guerre juste fait face à des défis importants. Dans un contexte où les guerres asymétriques, le terrorisme et les cyberattaques redéfinissent les formes de conflit, l’application pratique de ces principes devient de plus en plus complexe. Les notions de proportionnalité et de discrimination, par exemple, sont souvent difficiles à évaluer dans des situations où les lignes entre civils et combattants sont floues.

En dépit de ces critiques, la théorie de la guerre juste reste une référence incontournable dans la réflexion éthique sur les conflits. Elle continue de guider les décideurs et les institutions internationales dans leur quête d’un équilibre entre la nécessité stratégique et le respect des valeurs humaines fondamentales. Cette doctrine incarne ainsi une tentative constante de limiter les horreurs de la guerre tout en reconnaissant, avec réalisme, son caractère parfois inévitable.

Le Pacifisme

À l’extrémité opposée des doctrines éthiques sur la guerre, le pacifisme repose sur une éthique radicale de la non-violence, rejetant le recours à la guerre sous toutes ses formes. Fondé sur des principes spirituels, religieux ou humanistes, le pacifisme affirme que la paix constitue l’unique impératif moral légitime, plaçant la résolution des conflits et la préservation de la vie humaine au cœur de son discours. Cette doctrine considère la guerre comme une faillite morale, une négation des valeurs fondamentales de dignité et de justice qui devraient guider les sociétés humaines.

Le pacifisme puise ses racines dans diverses traditions philosophiques et religieuses :

  • Spiritualité et religion : Les enseignements de figures comme Bouddha, Jésus-Christ ou Gandhi prônent la non-violence comme un idéal transcendant. Ces traditions insistent sur la valeur sacrée de chaque vie humaine, affirmant que la violence engendre inévitablement plus de souffrance et de division.
  • Humanisme et rationalité : Les penseurs humanistes voient dans la guerre une aberration rationnelle, incompatible avec les idéaux d’autonomie, de solidarité et de progrès. Ils plaident pour une organisation pacifique des relations humaines et internationales, souvent à travers le dialogue, la coopération et les institutions multilatérales.
  • Éthique de la responsabilité globale : Pour les pacifistes, la violence, même justifiée par des causes légitimes, est inacceptable car elle perpétue des cycles de haine et de destruction, remettant en question la capacité de l’humanité à vivre en harmonie.

Le pacifisme impose une réponse éthique exigeante : face à l’agression ou à l’injustice, il propose des alternatives non-violentes, telles que la désobéissance civile, la médiation ou la résistance passive. Ces méthodes, bien qu’elles demandent courage et détermination, visent à désamorcer les conflits tout en préservant les principes moraux fondamentaux. En affirmant que la fin ne justifie jamais les moyens, le pacifisme invite les individus et les sociétés à repenser leur rapport à la violence et au pouvoir.

Malgré son ambition morale élevée, le pacifisme est souvent critiqué pour son caractère idéaliste et sa prétendue inadaptation aux réalités du pouvoir et des conflits. Ses détracteurs soulignent que, dans un monde où les relations internationales sont marquées par des rapports de force, le rejet absolu de la violence peut laisser les sociétés pacifistes vulnérables face à l’agression. De plus, les critiques questionnent la capacité du pacifisme à répondre efficacement aux menaces globales, comme le terrorisme ou les génocides, où l’intervention armée peut sembler nécessaire pour protéger les innocents.

En dépit de ces limites, le pacifisme demeure une perspective éthique essentielle, car il rappelle que la paix, en tant que condition universelle, doit rester l’objectif ultime de toute société humaine. Cette doctrine, loin de nier les difficultés du monde réel, aspire à transformer les structures et les mentalités pour construire un système international fondé sur la coopération plutôt que sur la coercition. Par sa quête d’une non-violence radicale, le pacifisme offre une vision inspirante d’un avenir où la résolution des conflits pourrait enfin transcender la violence.

Une Constellation de Perspectives

Ces doctrines, bien qu’apparemment divergentes, reflètent les multiples facettes des dilemmes éthiques posés par la guerre. Elles offrent des cadres d’interprétation variés, qui vont du pragmatisme réaliste aux idéaux pacifistes, en passant par la recherche d’un équilibre dans la théorie de la guerre juste ou la célébration des vertus dans le militarisme. Chacune met en lumière des dimensions spécifiques de la condition humaine en temps de guerre, contribuant à enrichir la réflexion sur les rapports entre moralité et violence. Par leur diversité, elles témoignent de la complexité intrinsèque des choix éthiques face au phénomène de la guerre.

Vers une Synthèse Éthique

Les doctrines éthiques abordant la guerre, bien que divergentes dans leurs principes fondamentaux, reflètent chacune des facettes essentielles des dilemmes moraux et stratégiques que suscite ce phénomène. Du pragmatisme du réalisme aux idéaux absolus du pacifisme, en passant par la quête d’un équilibre éthique dans la théorie de la guerre juste ou l’exaltation des vertus martiales dans le militarisme, ces approches offrent une pluralité d’interprétations qui enrichissent notre compréhension des rapports entre moralité et violence.

Chaque doctrine met en lumière une dimension spécifique de la condition humaine face à la guerre : la nécessité de survie et de puissance dans le réalisme, le courage et l’honneur dans le militarisme, la recherche de limites morales dans la guerre juste, ou encore la foi en la non-violence comme impératif supérieur dans le pacifisme. Cette diversité d’approches souligne que la guerre n’est pas seulement un phénomène stratégique ou technique : elle est également profondément enracinée dans les valeurs, les croyances et les aspirations des sociétés humaines.

Ensemble, ces perspectives témoignent de la complexité des choix éthiques que pose la guerre. Elles rappellent que toute réflexion sur ce sujet doit intégrer des considérations morales, même lorsque les réalités du pouvoir et des conflits semblent les reléguer au second plan. Par leur confrontation et leur dialogue, ces doctrines contribuent à approfondir la réflexion sur la manière dont les sociétés peuvent, ou doivent, naviguer entre pragmatisme, idéal et responsabilité face à l’un des défis les plus anciens et les plus tragiques de l’humanité.

Cette constellation de perspectives offre un cadre riche et nuancé pour examiner les tensions entre les exigences morales et les réalités stratégiques, tout en encourageant une quête continue de solutions éthiques face aux défis de la guerre.

1. Problèmes du choix moral en politique internationale

1.1 ► ambiguïté: quels principes éthiques généraux du bien appliquer?

que faire en cas de conflit entre principes généraux? comment appliquer ces principes moraux à une situation particulière? – une première réponse minimaliste: un jugement moral est préférable à l'absence de jugement moral.

1.2 ► indétermination: qui et quelles valeurs considérer?

N.B.: sur le plan international, on est typiquement en situation de collectivités diverses (États, OI, ONG, mouvements transnationaux etc.) => problème de l'analogie domestique, qui est souvent utilisée; exemples: – adulte témoin de violences entre enfants => intervention ? - analogie domestique: quid de l'intervention humanitaire ? mais qui en supporte les coûts ? qui en profite ? – adulte face au mendiant => aide ? - analogie domestique : quid de l'aide au développement économique et social (notamment par les anciens colonisateurs) ? - mais qui en finance les coûts et qui en profite ?

1.3 ► nature du politique = "violence (physique) légitime" de l'État (Hobbes)

Weber: légitimité par tradition, charisme, règles légales (Gewaltmonopol);

or, tension entre: – éthique de la responsabilité (verantwortungsethisch) = "Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes." – éthique de la conviction (gesinnungsethisch) = par exemple: "Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu."

de plus:

"bien décider" (Wertrationalität) "bien décider" (Zweckrationalität) bonnes valeurs rationalité instrumentale/efficacité




N.B.: la vérité, une valeur éthique indispensable: – intégrité de l'acteur (sa propre 'vérité', authenticité, honnêteté) et – la vérité (prise en compte de la réalité empirique)


problème: "pour atteindre des fins 'bonnes', nous sommes la plupart du temps obligés de compter avec, d'une part des moyens moralement malhonnêtes ou pour le moins dangereux, et d'autre part la possibilité ou encore l'éventualité de conséquences fâcheuses. (…) Quiconque veut instaurer par la force la justice sociale sur terre a besoin de partisans, c'est-à-dire d'un appareil humain. Or cet appareil ne marche que si on lui fait entrevoir les récompenses psychologiques (haine, vengeance, ressentiment, avoir raison à tout prix) ou matérielles (aventure, victoire, butin, pouvoir et prébendes) indispensables, qu'elles soient célestes ou terrestres."

=> compromission avec "des puissances diaboliques"→"mains sales"


'solution' de Max Weber: "l'éthique de la conviction et l'éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l'une l'autre et constituent ensemble l'homme authentique" – exemple de Weber: Martin Luther en 1521 à Worms, "Hier stehe ich, ich kann nicht anders, Gott helfe mir. Amen."







2. Aux sources de l'éthique du réalisme politique classique, ou de l'anthropologie théologique de Reinhold Niebuhr

Pour Niebuhr (1932, 1943), théologien américain, qui suit Luther: – l'humanité a une capacité de se transcender du fait de son identité spirituelle la portant vers Dieu – toutefois, elle vit dans le péché – ceci tout en désirant nier cette condition

=> profonde ambiguïté => fierté et volonté de puissance: "Man is insecure and involved in natural contingency; he seeks to overcome his insecurity by a will-to-power which overreaches the limits of human creatureliness. Man is ignorant and involved in the limitations of a finite mind; but he pretends that he is not limited. He assumes that he can gradually transcend finite limitation until his mind becomes identical with the universal mind. All of his intellectual and cultural pursuits, therefore, become infected with the sin of pride. Man's pride and will-to-power disturb the harmony of creation."


volonté de puissance de l'homme sur 3 plans:

1. recherche de la sécurité => désir de dominer les autres

2. recherche de conceptions générales du monde => désir de transcender l'histoire: "All human knowledge is tainted with an 'ideological' taint. It pretends to be more true than it is. It is finite knowledge, gained from a particular perspective; but it pretends to be final and ultimate knowledge."

3. recherche d'une éthique absolue => désir de transcender les règles morales de son époque




N.B.: Passage du niveau individuel au collectif politique qui va cumuler les égoïsmes et renforcer le calcul d'intérêts:

– "society (…) merely cumulates the egoism of individuals and transmutes their individual altruism into collective egoism so that the egoism of the group has a double force. For this reason no group acts from purely unselfish or even mutual intent and politics is therefore bound to be a contest of power." – "love, which depends upon emotion (…) is baffled by the more intricate social relations in which the highest ethical attitudes are achieved only by careful calculation." – "Politics will, to the end of history, be an area where conscience and power meet, where the ethical and coercive factors of human life will interpenetrate and work out their tentative and uneasy compromises."

=> arrogance, hypocrisie, illusion, folie des grandeurs bon exemple: la politique étrangère américaine caractérisée par un certain absolutisme éthique, un utopianisme certain ("Manifest Destiny"), un moralisme idéologique ("répandre la démocratie dans le monde")

3. L'éthique réaliste classique de Morgenthau

cf. Hans Morgenthau, Politics Among Nations: The Struggle for Power and Peace, (1st ed. 1948, 6th ed. 1985):

3.1 ► l'homme d'Etat est un agent moral, un mandataire responsable devant agir suivant l'intérêt national, soit, avant tout, la sécurité nationale (=> intégrité institutions politiques; intégrité territoriale)

– "The statesman must think in terms of the national interest, conceived as power among other powers. The popular mind, unaware of the fine distinctions of the statesman’s thinking, reasons more often than not in the simple moralistic and legalistic terms of absolute good and absolute evil."




– "Realism maintains that universal moral principles cannot be applied to the actions of states (...). The individual may say for himself: "Let justice be done, even if the world must perish", but the state has no right to say so in the name of those who are in its care. (...) While the individual has a moral right to sacrifice himself in defense of such a moral principle, the state has no right to let its moral disapprobation of the infringement of (that moral principle) get in the way of successful political action, itself inspired by the moral principle of national survival."

=> prudence, => diplomatie et équilibre des forces:

"Empêcher le voisin d'être trop puissant, ce n'est point faire un mail: c'est se garantir de la servitude et en garantir ses autres voisins; en un mot, c'est travailler à la liberté, à la tranquilité, au salut publi" (Fénélon)




3.2 ► Morgenthau est donc contre:

– idéologie éthique = mauvaise justification de la politique étrangère, une morale utilisée à des fins (hypocrites) de légitimation politique

– absolutisme moral (ou sentimentalisme) = ériger une valeur morale au-dessus des autres = se concentrer sur une seule valeur morale (exemples: démocratie; ONG mono-thématiques)


► en d'autres termes, Morgenthau est wébérien:

"l'éthique de la conviction (Gesinnungsethik) et l'éthique de la responsabilité (Verantwortungsethik) ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l'une l'autre et constituent ensemble l'homme authentique, c'est-à-dire un homme qui peut prétendre à la 'vocation politique'."