Les exceptions préliminaires

De Baripedia

Compétence


Nous avons vu qu’une Cour de justice est moins loquace qu’un corps politique, est plus consciente de ses limites. Un Cour de justice sait qu’elle doit d’abord vérifier si les conditions sont réunies afin qu’elle s’exprime sur le fond d’une affaire qui lui est soumise. Car, si elle parlait sans y être autorisée, cela signifierait qu’elle empiéterait sur la souveraineté des États-membres et qu’elle commettrait donc, à la fois un excès de pouvoir et une violation du droit.

C’est la raison pour laquelle il existe des exceptions préliminaires dans la procédure de la Cour internationale de justice. Il est aussi possible de parler d’« objection préliminaire » mais ce n’est pas vraiment du français dans le langage procédurale, cela est du franglais. En anglais, on dira « preliminary objection », on ne dirait pas « preliminary exception ». Le terme « exception », en français vient du droit romain « exceptio » qui est une exception aux actions.

Les exceptions préliminaires donnent au défendeur la possibilité de rappeler à la Cour qu’il y a un problème et qu’elle ne devrait pas trancher le fond du litige. Il pourrait arriver aussi que le demandeur dise à la Cour qu’elle n’est pas compétente pour traiter de l’affaire qu’il a portée lui devant la Cour. Cela paraît paradoxale mais c’est arrivé une seule fois dans la procédure de la Cour dans l’affaire de l’or monétaire en 1953. La Cour peut vérifier d’office si les conditions sont réunies et elle le fait par rapport à certaines questions, par exemple, la Cour doit vérifier si la compétence personnelle est réunie, si les entités qui veulent plaider devant elle sont bien des États. Elle le fait d’ailleurs et très régulièrement mais ça ne soit pas parce que c’est au niveau du greffier que cela est réglé et non pas au niveau de la Cour, elle ne se réunie pas, elle ne formule pas une ordonnance à ce propos. Il y a aussi toute une série de personnes physiques qui écrivent à la Cour voulant porter une affaire contre leur État devant la CIJ, cela arrive régulièrement mais cela n’est pas possible à la limite de l’article 34.

Si une affaire est portée devant la Cour est qu’il est incertain de savoir si le litige tombe vraiment dans le domaine de l’exception. Il peut y avoir par exemple un litige sur les tarifs douaniers dans les poissons péchés en haute mer, et la question est de savoir si cela est couvert par un exception ou c’est autre chose, est-ce que c’est encore la pêche ou les conséquences de cette pêche qui ne sont pas couverte par la clause d’exception. La question pourrait se poser. Un État dit que cela est couvert par sa clause d’exception, donc la Cour n’est pas compétente, et un autre État réfute disant que ce n’est pas une question qui porte sur la pêche mais c’est une question qui porte sur des droits douaniers. La Cour devrait trancher ce point parce que selon la réponse à donner, la Cour est compétente ou non. Cela doit être tranché. Est soulevé alors afin de signaler un désaccord, une exception préliminaire.

C’est un indicent de procédure qui signifie qu’un État présente des arguments à la Cour tendant à prouver qu’elle ne doit pas procéder au fond, mais qu’elle doit se déclarer incompétente ou qu’elle doit déclarer la demande irrecevable selon les cas.

Recevabilité


Le prochain pas serait de regarder de quelle nature seraient ces exceptions préliminaires dans la procédure de la Cour. Le règlement la plus importante des exception préliminaire est à l’article 79 du règlement de la Cour de 1978. La question de la nature des exceptions préliminaire soulève le fait qu’elles peuvent porter soit sur des aspects de compétence, soit sur des aspects de recevabilité, soit sur des aspects qui ne sont pas nommés comme par exemple une exception qui n’est pas catégorisée et qui normalement devrait relever de l’un ou de l’autre. Alors, la question est de savoir qu’est-ce qui relève de quoi, en terme de savoir ce qu’est « compétence » et ce qu’est « recevabilité » et pourquoi fait-on la distinction, ou est la distinction et est-ce que cette distinction est une distinction rigide ou est-ce qu’on pourrait avoir une situation amphibienne ou une certaine exception peut être tantôt sur le contexte, une exception d’incompétence et d’autre fois, selon le contexte, une exception d’irrecevabilité.

Procédure (Art. 79 du Règlement de la Cour)

Le règlement n’exclus pas l’hypothèse selon laquelle le demandeur présenterait une exception préliminaire. Le paragraphe 1 de l’article 79 est relativement clair à cet égard stipulant « toute exception soulevée par une autre partie que le défendeur doit être déposée… ». Cela veut dire qu’on envisage qu’une autre partie que le défendeur peut soulever une exception préliminaire. Il peut y avoir une hypothèse encore plus tordue où une partie intervenante interviendrait au principal, ne serait pas formellement le demandeur mais une partie intervenante donc la formulation prudente qu’a choisie la Cour lorsqu’elle a édité ce règlement se justifie.

Il y a un seul cas où le demandeur a formulé une expression préliminaire. Il est en effet hautement improbable qu’un demandeur introduise une demande et qu’en même temps, peu après, il introduise une exception préliminaire. Cela est d’autant plus improbable que si un État introduit une affaire devant la Cour, que le gouvernement change, et que le gouvernement ne veut plus poursuivre l’affaire devant la Cour ; ce qu’il ferrait le plus normalement ne serait pas de soulever une exception préliminaire mais on retire l’affaire, cela s’appel un « désistement d’instance », il y a certaines procédures.

Comment peut on expliquer la situation selon laquelle l’Italie en 1954 a soulevée une exception préliminaire vis-à-vis de sa propre demande. C’est une situation hautement particulière. La motivation de l’Italie était qu’il y avait eu un traité entre l’Italie et les puissances victorieuses occidentales, à savoir les États-Unis, le Royaume Uni mais aussi la France, s’agissant de l’or monétaire qui avait été pris en Albanie et transféré à Rome en 1943. Il s’agissait de savoir ce qu’il adviendrait de cet or monétaire. Il était stipulé que si l’Italie faisait valoir des droits sur cet or monétaire, elle devait introduire une instance devant la Cour internationale de justice faute de le faire dans un délai précisé dans l’accord, l’Italie aurait perdue ses droits sur cet or monétaire, elle aurait renoncé à faire valoir ses droits sur l’or monétaire. L’Italie qui souhait faire valoir ses droits sur l’or monétaire a exécuté la disposition de l’accord qui prévoyait que dans ce cas elle devait porter l’affaire devant la Cour, elle a introduit la requête. L’Italie savait en même temps que ses réclamations vis-à-vis de l’or monétaire étaient plutôt faible vis-à-vis de réclamations que pouvaient faire valoir les puissances occidentales victorieuse. Par conséquent, si la Cour tranchait l’affaire sur le fond, elle risquait soit de perdre, soit de passer derrière les réclamations des puissances occidentales, et cela, elle voulait l’éviter.

De manière à respecter la lettre et l’esprit de l’accord, elle a introduit la requête, elle ne se désiste pas mais elle demande à la Cour de vérifier si elle est compétente ou si elle peut exercer sa compétence parce que si la Cour devait dire « non », cela devrait grandement arranger l’Italie. La Cour a d’ailleurs répondu qu’elle ne pouvait pas exercer sa compétence et l’Italie fut bien servie. Cela veut dire que les conseils de l’Italie ont trouvé un moyen tout à fait ingénieux de respecter les conditions apposé dans l’accord conclu avec les puissances victorieuses tout en évitant que la Cour tranche l’affaire sur le fond. Voilà pourquoi, sur un affaire, en cent an de jurisprudence, il y a eu le demandeur qui a inséré dans la bataille une exception préliminaire. Le cas est unique.

Du point de vue des principes, rien d’empêche une partie autre que les défendeurs de demander à la Cour de vérifier sa compétence ou de se prononcer sur des questions de recevabilité.

Supposons maintenant que le défendeur fasse valoir des exceptions préliminaires, il n’y a pas un nombre déterminé d’exception qu’un défendeur puisse soulever, en théorie, il pourrait en soulever autant qu’il le souhaite, et parfois, il arrive en effet que certains défendeurs exagèrent ou bien leur conseil, mais plus souvent se sont les gouvernements dans des affaires où il y a de l’animosité particulière vis-à-vis de l’autre partie. Il demande au conseil de faire feu de tout bois. C’est ainsi que dans cette affaire très longue qui a occupée la Cour durant toute les années 1990, et une bonne partie des années 2000 jusqu’en 2007, et il y a encore l’avatar de l’affaire croate après, dans cette affaire du génocide entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie et le Monténégro et plus tard seulement la Serbie ; dans cette affaire en 1996, la Cour s’est vue confrontée à une dizaine d’exceptions préliminaires, étant un nombre assez important. Du point de vue de la stratégie du litige, en tant que conseil, le professeur Kolb ne conseillerait jamais à un État de soulever beaucoup d’exceptions préliminaires à moins véritablement qu’il y en ait vraiment beaucoup de très bien fondées. Il lui conseillerait plutôt de soulever le moins possible d’exceptions préliminaire mais de soulever les exceptions les plus fortes et de bien les bétonner. Cela est toujours bien de paraitre crédible, si on gratte dans le fond des territoires et si on présente à la Cour des arguments d’une faiblesse insigne, cela ne donne jamais une très bonne impression, et d’une certaine manière, on n’accrédite même l’idée qu’on ne croit pas trop en les moyens principaux parce qu’on est encore obligé de racler dans le fond du terroir et de présenter encore des choses faibles. Parfois, les conseils aiment bien le faire, parce que s’ils sont facturés à l’heure, cela fait gagner de l’argent.

Supposons maintenant qu’il y ait une ou plusieurs exceptions soulevées par le défendeur, que se passe t-il ?

À un moment donné dans le temps, une exception préliminaire est soulevée. On commence à entrer dans la procédure relative à cette exception, ce qui signifie que la Cour va notifier cette exception préliminaire à la partie adverse, et qu’en même temps, la procédure sur le fond de l’affaire est suspendue. Étant donné que soit la compétence, soit la recevabilité, soit les deux sont contestés, et qu’il n’est donc pas sûr que la Cour puisse se prononcer sur le fond de l’affaire, il n’y a pas lieu de discuter à ce stade du fond de l’affaire, il faut suspendre cette procédure et il faut entrer dans une procédure parallèle qui concerne la gestion de là ou des exceptions préliminaires soulevées. Cela signifie donc, qu’après la notification et qu’après consultation des parties, la Cour va fixer à travers son président un certain délai pour que la partie adverse présente ses arguments sur l’exception préliminaire. On entre donc dans une procédure qui ne se concentre que sur ces exceptions préliminaires afin d’en déterminer le bien fondé.

Dans cette procédure parallèle relative aux exceptions préliminaires, les rôles du demandeur et du défendeur s’inverse. Dans le cas beaucoup plus fréquent du défendeur qui soulève une exception préliminaire, comme c’est le défendeur qui soulève le moyen, il devient par rapport à ce moyen là, le demandeur. Le demandeur devient le défendeur. En d’autres termes, dans l’instance principale quant aux droits relatifs aux fond, il y a un demandeur et un défendeur, un État A demande à ce qu’un État B quitte le territoire, le défendeur refuse parce qu’il argue que c’est le siens, le défendeur soulève une exception préliminaire et il devient demandeur par rapport à cette exception préliminaire, il demande à la Cour de faire quelque chose, c’est-à-dire de décliner sa compétence, de décliner la recevabilité de la demande, et le demandeur originaire devient le défendeur parce qu’il se défend contre cette exception préliminaire. Cela à d’ailleurs certaines conséquences quant à la charge de la preuve bien que les questions de compétence et de recevabilité soient surtout des questions juridiques où le fait joue un rôle moindre.

Lorsque les pièces de procédure ont été échangées, c’est-à-dire lorsqu’on a reçu la réaction dans le délai, espère-t-on sur ces exceptions préliminaires, et que celui qui les a soulevés a eu l’occasion d’y répondre, la Cour passe à la décision ; elle va donc, à un moment donné, la Cour va prendre un arrêt sur la compétence et ou la recevabilité. C’est toujours en dernier ressort à la Cour de décider des motifs et des déclarations avancées par des parties. Les parties peuvent présenter des arguments, la Cour décide à l’article 36§6 du Statut. La Cour ne décide que s’il y a un élément contentieux, si les parties sont d’accord, il n’y a pas lieu de trancher quoi que ce soit, mais si les parties étaient d’accord ici, il n’y aurait pas de procédure sur l’exception ou les exceptions préliminaires.

Annexes

Références