Modification de Les coûts sociaux de la révolution industrielle

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Basé sur un cours de Michel Oris<ref>[https://cigev.unige.ch/institution/team/prof/michel-oris/ Page personnelle de Michel Oris sur le site de l'Université de Genève]</ref><ref>[http://cigev.unige.ch/files/4114/3706/0157/cv_oris_fr_20150716.pdf CV de Michel Oris en français]</ref>
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|[[Histoire économique et sociale de la globalisation, 16e-21e siècles]]
|[[Histoire économique et sociale de la globalisation, 16e-21e siècles]]
|[[Structures Agraires et Société Rurale: Analyse de la Paysannerie Européenne Préindustrielle]] ● [[Le régime démographique d'ancien régime : l'homéostasie]] ● [[Évolution des Structures Socioéconomiques au XVIIIe Siècle : De l’Ancien Régime à la Modernité]] ● [[Origines et causes de la révolution industrielle anglaise]] ● [[Mécanismes structurels de la révolution industrielle]] ● [[La diffusion de la révolution industrielle en Europe continentale ]] ● [[La Révolution Industrielle au-delà de l'Europe : les États-Unis et le Japon]] ● [[Les coûts sociaux de la révolution industrielle]] ● [[Analyse Historique des Phases Conjoncturelles de la Première Mondialisation]] ● [[Dynamiques des Marchés Nationaux et Mondialisation des Échanges de Produits]] ● [[La formation de systèmes migratoires mondiaux]] ● [[Dynamiques et Impacts de la Mondialisation des Marchés de l'Argent : Le Rôle Central de la Grande-Bretagne et de la France]] ● [[La transformation des structures et des relations sociales durant la révolution industrielle]] ● [[Aux Origines du Tiers-Monde et l'Impact de la Colonisation]] ● [[Echecs et blocages dans les Tiers-Mondes]] ● [[Mutation des Méthodes de Travail: Évolution des Rapports de Production de la Fin du XIXe au Milieu du XXe]] ● [[L'Âge d'Or de l'Économie Occidentale : Les Trente Glorieuses (1945-1973)]] ● [[L'Économie Mondiale en Mutation : 1973-2007]] ● [[Les défis de l’État-Providence]] ● [[Autour de la colonisation : peurs et espérances du développement]] ● [[Le Temps des Ruptures: Défis et Opportunités dans l'Économie Internationale]] ● [[Globalisation et modes de développement dans les « tiers-mondes »]]
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Au cours du XIXe siècle, l’Europe a été le théâtre d’une métamorphose profonde, celle de la Révolution industrielle, marquée par un essor économique sans précédent et un élan vers la modernité. Toutefois, cette période de croissance et d’innovation fut également synonyme de transformations sociales tumultueuses et de défis humanitaires considérables. En plongeant dans les villes anglaises des années 1820, en traversant les ateliers fumants du Creusot vers 1840 ou en scrutant les ruelles assombries de la Belgique orientale des années 1850, on décèle un contraste saisissant : l’avancée technologique et la prospérité côtoient une précarité exacerbée et une urbanisation chaotique.
L'urbanisme sauvage, le logement insalubre, les maladies endémiques et les conditions de travail déplorables ont défini le quotidien de nombreux ouvriers, où l’espérance de vie chutait dramatiquement à 30 ans dans les centres industriels. Des populations robustes et audacieuses quittèrent leurs campagnes pour se jeter dans les bras d'une industrie vorace, contribuant ainsi à une amélioration relative de la mortalité dans les zones rurales, mais au prix d'une existence urbaine accablante. L'influence mortelle de l’environnement se manifestait de manière plus pernicieuse encore que les rigueurs du travail en usine.
Au milieu de cette époque marquée par des inégalités flagrantes, les épidémies telles que le choléra ont mis en lumière les failles de la société moderne et la vulnérabilité des populations déshéritées. La réaction sociale et politique à cette crise sanitaire, de la répression des mouvements ouvriers à la peur bourgeoise de l'insurrection, a révélé une fracture grandissante entre les classes. Cette division n’était plus dictée par le sang, mais par le statut social, renforçant une hiérarchie qui marginalisait davantage les ouvriers.
Dans ce contexte, les écrits de penseurs sociaux comme Eugène Buret deviennent des témoignages poignants de l’ère industrielle, exprimant à la fois la critique d’une modernité qui aliène et l’espoir d’une réforme qui intégrerait tous les citoyens dans le tissu d’une communauté politique et sociale plus juste. Ces réflexions historiques nous offrent une perspective sur la complexité des changements sociaux et les défis persistants de l’équité et de la solidarité humaine.


= Les nouveaux espaces =
= Les nouveaux espaces =
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== Conditions de logement et hygiène ==
== Conditions de logement et hygiène ==
La révolution industrielle a bouleversé les paysages urbains, et les villes textiles en sont un exemple marquant. Ces espaces, déjà densément peuplés avant l'industrialisation, ont dû rapidement s'adapter à une nouvelle vague d'afflux démographique. Cela a été dû principalement à la concentration de l'industrie textile dans des zones urbaines spécifiques, qui attirait des travailleurs de partout. Pour répondre à la pénurie de logements qui en résultait, les villes ont été contraintes de densifier l'habitat existant. Des étages supplémentaires étaient souvent ajoutés aux bâtiments, exploitant chaque mètre carré disponible, même au-dessus des ruelles étroites. Cette modification impromptue de l'infrastructure urbaine a créé des conditions de vie précaires, car ces constructions additionnelles n'étaient pas toujours réalisées avec les considérations de sécurité et de confort nécessaires. Les infrastructures de ces villes, telles que les systèmes d'assainissement, d'approvisionnement en eau et de gestion des déchets, étaient souvent insuffisantes pour faire face à l'augmentation rapide de la population. Les services de santé et d'éducation luttaient pour répondre à la demande croissante. Cette urbanisation rapide, parfois anarchique, a donné lieu à des conditions de vie difficiles, avec des conséquences à long terme sur la santé et le bien-être des habitants. Ces défis reflètent la tension entre le développement économique et les besoins sociaux dans les villes en pleine transformation durant la révolution industrielle. Les autorités de l'époque étaient souvent dépassées par l'ampleur des changements et luttaient pour financer et mettre en place les services publics nécessaires pour accompagner cette croissance démographique explosive.
Les espaces sont sous-équipés. Les villes textiles subissent le premier choc parce que ce sont des espaces déjà denses, et il faut accueillir une population nouvelle. On rajoute des étages, on construit des logements au-dessus des ruelles.  
 
Le Dr. Kuborn était un médecin qui a travaillé à Seraing, en Belgique, au début du XXe siècle. Il a été témoin direct des conséquences de l'industrialisation rapide sur les conditions de vie des ouvriers et leurs familles. Dr. Kuborn avait un intérêt professionnel, et peut-être personnel, dans les questions de santé publique et l'hygiène urbaine. Les médecins de cette époque commençaient à établir des liens entre la santé et l'environnement, notamment la manière dont les logements insalubres contribuaient à la propagation des maladies. Ils jouaient souvent un rôle clé dans la réforme des conditions de vie en plaidant pour l'amélioration de l'urbanisme, de l'assainissement et des normes de logement. Dr. Kuborn montrent était préoccupé par ces questions et qu'il a utilisé sa plateforme pour attirer l'attention sur les conditions insalubres dans lesquelles les ouvriers étaient contraints de vivre. 
 
Dr. Kuborn dépeint l'état lamentable des logements ouvriers de l'époque. En parlant de Seraing, il rapporte : "On construisit des habitations telles quelles, insalubres le plus souvent, en dehors d’un plan général arrêté. Maisons basses, en contrebas du sol, sans air ni lumière ; une pièce au rez-de-chaussée, pas de pavé, pas de cave ; un grenier comme étage ; aération par un trou, muni d’un carreau de vitre fixé dans la toiture ; stagnation des eaux ménagères ; absence ou insuffisance des latrines ; encombrement et promiscuité". Il mentionne des maisons mal construites, manquant d'air frais, de lumière naturelle et des conditions sanitaires de base comme des latrines adéquates. Cette image illustre le manque de planification urbaine et le désintérêt pour le bien-être des travailleurs qui, en raison de la nécessité de loger une population ouvrière grandissante près des usines, étaient contraints de vivre dans des conditions déplorables.
 
La que Dr. Kuborn décrit : "C’est sur ces lieux insalubres, sur ces repaires infects, que les maladies épidémiques s’abattent comme l’oiseau de proie plonge sur sa victime. Le choléra nous l’a démontré, la grippe nous en rappelé le souvenir, et peut-être, le typhus nous donnera-t-il un de ces jours un troisième exemple", il met en évidence les conséquences désastreuses de ces mauvaises conditions de vie sur la santé des habitants. Dr. Kuborn fait le lien entre l'insalubrité des logements et la propagation de maladies épidémiques comme le choléra, la grippe et potentiellement le typhus. La métaphore de l'oiseau de proie s'abattant sur sa victime est puissante ; elle évoque la vulnérabilité des ouvriers qui sont comme des proies impuissantes face aux maladies proliférant dans leur environnement malsain.
 
Ces témoignages sont représentatifs des conditions de vie dans les villes industrielles européennes à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Ils reflètent la réalité sombre de la Révolution industrielle, qui, malgré ses avancées technologiques et économiques, a souvent négligé les aspects humains et sociaux, conduisant à des problèmes de santé publique et à des inégalités sociales marquées. Ces citations appellent à une réflexion sur l'importance de l'aménagement urbain, du logement décent et de l'accès à des services de santé adéquats pour tous, des questions toujours d'actualité dans de nombreuses parties du monde.


Le développement des régions dites "pays noirs", fréquemment associé aux zones industrielles où l'exploitation minière du charbon et la sidérurgie étaient prédominantes, a souvent été rapide et désorganisé. Cette croissance anarchique a été le résultat d'une urbanisation accélérée, où la nécessité de loger une main-d'œuvre abondante et en constante augmentation l'emportait sur la planification urbaine et l'infrastructure. Dans de nombreux cas, les conditions de vie dans ces régions étaient extrêmement précaires. Les ouvriers et leurs familles étaient souvent logés dans des bidonvilles ou des logements construits à la hâte, avec peu de considération pour la durabilité, l'hygiène ou le confort. Ces habitations, souvent érigées sans fondations solides, étaient non seulement insalubres, mais aussi dangereuses, susceptibles de s'effondrer ou de devenir des foyers de maladies. La densité des constructions, le manque d'aération et de lumière, et l'absence d'infrastructures de base comme l'eau courante et les systèmes d'assainissement aggravent les problèmes de santé publique. Le coût de l'amélioration de ces zones était prohibitive, surtout en considérant leur étendue et la faible qualité des constructions existantes. Comme le soulignait le Dr. Kuborn dans ses observations sur Seraing, la mise en place de réseaux d'eau et d'assainissement nécessitait des investissements majeurs que les autorités locales étaient souvent incapables de financer. En effet, avec une base fiscale réduite due aux faibles salaires des ouvriers, ces communes avaient peu de moyens pour les investissements en infrastructure. Ainsi, ces communautés se retrouvaient prises dans un cercle vicieux : les infrastructures inadéquates entrainaient une dégradation de la santé publique et de la qualité de vie, ce qui à son tour décourageait les investissements et la planification urbaine nécessaires pour améliorer la situation. En fin de compte, la seule solution viable semblait souvent être de démolir les structures existantes et de reconstruire, un processus coûteux et perturbateur qui n'était pas toujours possible ou réalisé.
Dans l’immense majorité des cas, le développement des pays noirs est tout aussi anarchique. Les ouvriers vivent comme des animaux dans des espèces de bidonvilles. Ces espaces sont à l’origine d’un cercle vicieux, car ces taudis ne sont pas faits pour durer et on ne peut pas amener l’eau, car c’est très étendu donc ça coute cher. D'autre part, ces taudis sans fondations en danger menacent d'effondrement. Il est impossible d'améliorer l’hygiène de ces villes. La seule solution est de bâtir à nouveau. On passe du stade de village à celui de commune avec énormément d’habitants,mais sans être des villes. Les infrastructures ne suivent pas. Au milieu du XIXe siècle, Pasteur fait ses découvertes concernant l’hygiène et les microbes. Certaines villes font appel à lui pour faire construire des canalisations, mais des affaissements de terrain dus aux mines abandonnées y détruisent tout. On peut donc remarquer qu’il est extrêmement difficile de construire des installations d’hygiène et d’eau lorsque les constructions sont déjà faites de manière anarchique. De plus, les taudis ne vont pas en hauteur, mais en largeur, et s’étalent, il faut donc des kilomètres de canalisation là où dans une ville bien agencée, une petite portion de canalisations suffirait pour des centaines d’habitants. De plus, les fumées rejetées par les cheminées des fourneaux font que le pays est littéralement noir de pollution.
Nous avons vu que les conditions sociales ont été pénibles dans les pays tard venus ; l’Allemagne représente une exception. Les Allemands ont appris des erreurs commises en Belgique et en France pour construire des logements un tant soit peu salubres, dans des rues clairement tracées.  


Les découvertes de Louis Pasteur au milieu du XIXe siècle concernant les microbes et l'importance de l'hygiène ont été fondamentales pour la santé publique. Toutefois, l'application de ces principes d'hygiène dans les zones urbaines industrialisées a été compliquée par plusieurs facteurs. Premièrement, l'urbanisation anarchique, avec un développement sans planification adéquate, a conduit à la création de logements insalubres et à l'absence d'infrastructures essentielles. La mise en place de canalisations d'eau et d'égouts dans des villes déjà densément construites était extrêmement difficile et coûteuse. Contrairement aux quartiers planifiés où un réseau efficace de canalisations peut desservir de nombreux habitants sur une petite superficie, les bidonvilles étalés nécessitaient des kilomètres de tuyauterie pour relier chaque logement dispersé. Deuxièmement, les affaissements de terrain dus aux exploitations minières souterraines abandonnées posaient des risques considérables pour l'intégrité des nouvelles infrastructures. Les canalisations pouvaient être facilement endommagées ou détruites par ces mouvements de terrain, anéantissant ainsi les efforts et les investissements réalisés pour améliorer l'hygiène. Troisièmement, la pollution atmosphérique exacerbait encore davantage les problèmes sanitaires. Les fumées des usines et des fourneaux recouvraient littéralement les villes d'une couche de suie et de polluants, ce qui non seulement rendait l'air malsain à respirer mais contribuait aussi à la dégradation des bâtiments et des infrastructures. Tous ces éléments confirment la difficulté d'instaurer des normes d'hygiène et de santé publique dans des environnements urbains industriels déjà établis, surtout quand ils ont été développés de manière hâtive et sans une vision à long terme. Cela souligne l'importance de la planification urbaine et de la prévision dans la gestion des villes, notamment dans le contexte d'un développement industriel rapide.
{{citation bloc|On construisit des habitations telles quelles, insalubres le plus souvent, en dehors d’un plan général arrêté. Maisons basses, en contrebas du sol, sans air ni lumière ; une pièce au rez-de-chaussée, pas de pavé, pas de cave ; un grenier comme étage ; aération par un trou, muni d’un carreau de vitre fixé dans la toiture ; stagnation des eaux ménagères ; absence ou insuffisance des latrines ; encombrement et promiscuité.|Dr. Kuborn, 1907, sur Seraing.}}


L'Allemagne, en tant que "tard venue" dans la révolution industrielle, a eu l'avantage d'observer et d'apprendre des erreurs et des défis rencontrés par ses voisins tels que la Belgique et la France. Cela lui a permis d'adopter une approche plus méthodique et planifiée à l'industrialisation, en particulier en ce qui concerne le logement ouvrier et l'urbanisme. Les autorités allemandes ont mis en œuvre des politiques qui favorisaient la construction de logements de meilleure qualité pour les ouvriers, ainsi que l'aménagement de rues plus larges et mieux organisées. Cela contrastait avec les conditions souvent chaotiques et insalubres des villes industrielles ailleurs, où la croissance rapide et non réglementée avait conduit à des quartiers surpeuplés et mal équipés. Un aspect clé de l'approche allemande a été l'engagement envers des politiques sociales plus progressistes, qui reconnaissaient l'importance du bien-être des travailleurs pour la productivité économique globale. Les entreprises industrielles allemandes ont souvent pris l'initiative de construire des logements pour leurs employés, avec des installations telles que des jardins, des bains et des laveries, qui contribuaient à la santé et au confort des ouvriers. De plus, la législation sociale en Allemagne, comme les lois sur l'assurance maladie, l'assurance accident et l'assurance retraite, introduites sous le chancelier Otto von Bismarck dans les années 1880, a contribué à établir un filet de sécurité pour les travailleurs et leurs familles. Ces efforts pour améliorer le logement et les conditions de vie des ouvriers, conjugués à une législation sociale préventive, ont aidé l'Allemagne à éviter certains des pires effets de l'industrialisation rapide. Cela a également jeté les bases pour une société plus stable et pour le rôle de l'Allemagne en tant que puissance industrielle majeure dans les années suivantes.
{{citation bloc|C’est « sur ces lieux insalubres, sur ces repaires infects, que les maladies épidémiques s’abattent comme l’oiseau de proie plonge sur sa victime. Le choléra nous l’a démontré, la grippe nous en rappelé le souvenir, et peut-être, le typhus nous donnera-t-il un de ces jours un troisième exemple.|Dr. Kuborn, 1907, sur Seraing.}}


== Une alimentation déficiente et des salaires bas ==
== Une alimentation déficiente et des salaires bas ==
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[[Fichier:Une alimentation déficiente et des salaires bas.png|300px|vignette]]
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Le tableau présenté offre une fenêtre historique sur les habitudes alimentaires à Seraing, en Belgique, de 1843 à 1908. Chaque colonne correspond à une année ou période spécifique, et la consommation des différents aliments est codifiée de manière à indiquer leur prévalence dans l'alimentation locale. Les codes varient de "XXXX" pour une consommation quasi exclusive, jusqu'à "X" pour une consommation moindre. Un astérisque "*" signale une simple mention de l'aliment, tandis que les annotations telles que "Accessoire" ou "Exception, fête..." suggèrent une consommation occasionnelle ou liée à des événements particuliers. Des points d'interrogation "?" sont utilisés lorsque la consommation est incertaine ou non documentée, et la mention "de qualité médiocre" laisse supposer une moindre qualité des produits à certains moments. L'analyse de ce tableau révèle plusieurs aspects notables de l'alimentation de l'époque. Les pommes de terre et le pain apparaissent comme des éléments fondamentaux, reflétant leur rôle central dans l'alimentation des classes laborieuses en Europe durant cette période. La viande, avec une présence notable de bœuf bouilli et de charcuterie, est consommée de façon moins régulière, ce qui peut indiquer des variations de revenu ou des préférences alimentaires saisonnières. Le café et la chicorée semblent gagner en popularité, ce qui pourrait correspondre à une augmentation de la consommation de stimulants pour faire face à de longues heures de travail. La mention de graisses comme le lard et la graisse commune témoigne d'une alimentation riche en calories, essentielle pour soutenir le travail physique exigeant de l'époque. La consommation d'alcool est incertaine vers la fin de la période étudiée, suggérant des changements dans les habitudes de consommation ou peut-être dans la disponibilité des boissons alcoolisées. Les fruits, le beurre et le lait montrent une variabilité qui pourrait refléter les fluctuations de l'approvisionnement ou des préférences alimentaires au fil du temps. L'évolution des habitudes alimentaires indiquée par ce tableau peut être liée aux transformations socio-économiques majeures de la période, telles que l'industrialisation et l'amélioration des infrastructures de transport et de distribution. Cela suggère également une possible amélioration du niveau de vie et des conditions sociales au sein de la communauté de Seraing, bien que cela nécessiterait une analyse plus approfondie pour être confirmé. Dans l'ensemble, ce tableau est un document précieux pour comprendre la culture alimentaire dans une ville industrielle et peut donner des indications sur l'état de santé et la qualité de vie de ses résidents à l'aube de la révolution industrielle.
Les marchés mettent très longtemps à s’organiser et il y a très peu de commerçants et d’épiciers dans les villes industrielles. Ces commerçants pratiquent des prix exagérés profitant de leur situation engendrant un endettement des ouvriers. Les entreprises ont essayé de réagir via le truck-system : le salaire est payé en partie en denrées alimentaires ou en biens de consommations domestiques que l’entreprise achète en gros. Le truck-system donne un pouvoir de l’entreprise sur la survie immédiate.  
 
L'émergence des marchés dans les villes industrielles au XIXe siècle fut un processus lent et souvent chaotique. Dans ces villes nouvellement formées ou en rapide expansion à cause de l'industrialisation, la structure commerciale peinait à suivre le rythme de la croissance démographique et de l'afflux des travailleurs. Les épiciers et les commerçants étaient rares et, en raison de leur rareté et de l'absence de concurrence, ils pouvaient se permettre de fixer des prix élevés pour les denrées alimentaires et les biens de consommation courants. Cette situation avait un impact direct sur les ouvriers, dont la majorité vivait déjà dans des conditions précaires, avec des salaires souvent insuffisants pour couvrir leurs besoins de base. L'exploitation des ouvriers par les commerçants se manifestait par des pratiques de prix abusifs qui entraînaient l'endettement des travailleurs. Cette précarité économique était exacerbée par la faiblesse des salaires et la vulnérabilité face aux aléas économiques et sanitaires. Dans ce contexte, les entreprises cherchaient des solutions pour pallier le manque de services et de commerces, et pour assurer un certain contrôle sur leur main-d'œuvre. Une de ces solutions fut le système du truck (truck-system), un système de paiement en nature où une partie du salaire des ouvriers était versée sous forme de denrées alimentaires ou de biens de consommation domestiques. L'entreprise achetait ces produits en gros et les redistribuait à ses employés, souvent à des prix déterminés par elle-même. Ce système avait l'avantage pour l'entreprise de fidéliser et de contrôler sa main-d'œuvre, tout en garantissant un débouché pour certains produits. Toutefois, le truck-system avait des inconvénients majeurs pour les travailleurs. Il limitait leur liberté de choix en matière de consommation et les rendait dépendants de l'entreprise pour leurs besoins essentiels. De plus, la qualité des biens fournis pouvait être médiocre, et les prix fixés par l'entreprise étaient souvent élevés, ce qui aggravait encore l'endettement des ouvriers. La mise en place de ce système souligne l'importance de l'entreprise dans la vie quotidienne des travailleurs de l'époque et illustre les difficultés de ces derniers à accéder à des biens de consommation de manière autonome. Cela reflète également la dimension sociale et économique du travail industriel, où l'entreprise n'est pas seulement un lieu de production mais aussi un acteur central dans la vie des ouvriers, influençant leur alimentation, leur logement et leur santé.


La perception de l'ouvrier comme immature au XIXe siècle est une facette de la mentalité paternaliste de l'époque, où les propriétaires d'usines et les élites sociales croyaient souvent que les travailleurs n'avaient ni la discipline ni la sagesse pour gérer leur propre bien-être, en particulier en ce qui concerne les finances. Cette vision était renforcée par des préjugés de classe et par l'observation des difficultés des ouvriers à s'élever au-dessus des conditions de pauvreté et de l'environnement souvent misérable dans lequel ils vivaient. En réponse à cette perception, ainsi qu'aux conditions de vie abjectes des travailleurs, un débat s'est engagé sur la nécessité d'un salaire minimum qui permettrait aux ouvriers de subvenir à leurs besoins sans tomber dans ce que les élites considéraient comme des comportements dépravés (la "débauche"). La débauche, dans ce contexte, pourrait inclure l'alcoolisme, le jeu, ou d'autres activités jugées improductives ou nuisibles à l'ordre social et à la moralité. L'idée derrière le salaire minimum était de fournir une sécurité financière de base qui pourrait, théoriquement, encourager les travailleurs à mener une vie plus stable et "morale". Il était supposé que si les travailleurs avaient suffisamment d'argent pour vivre, ils seraient moins enclins à dépenser leur argent de manière irresponsable. Cependant, cette approche ne prenait pas toujours en compte les réalités complexes de la vie ouvrière. Les bas salaires, les longues heures de travail et les conditions de vie difficiles pouvaient conduire à des comportements que les élites considéraient comme de la débauche, mais qui pouvaient être des moyens pour les ouvriers de faire face à la dureté de leur existence. Le mouvement pour un salaire minimum peut être vu comme une reconnaissance précoce des droits des travailleurs et un pas vers la réglementation du travail, bien qu'il fût aussi teinté de condescendance et de contrôle social. Ce débat a jeté les bases des discussions ultérieures sur les droits des travailleurs, la législation du travail, et la responsabilité sociale des entreprises qui ont continué à évoluer bien après le XIXe siècle.  
L’ouvrier est considéré comme immature. Durant tout le XIXe siècle, va être entamée une réflexion sur le salaire minimum de l’ouvrier afin qu’il puisse vivre sans le liquider dans la débauche.  


La loi d'Engel, du nom de l'économiste allemand Ernst Engel, est une observation empirique qui souligne une relation inverse entre le revenu d'un ménage et la proportion de celui-ci dépensée pour la nourriture. Selon cette loi, plus un ménage est pauvre, plus il doit consacrer une grande part de ses ressources limitées à des besoins essentiels comme la nourriture, parce que ces dépenses sont incompressibles et ne peuvent être réduites au-delà d'un certain point sans affecter la survie. Cette loi est devenue un indicateur important pour mesurer la pauvreté et le niveau de vie. Si un ménage consacre une grande partie de son budget à l'alimentation, cela indique souvent un niveau de vie bas, car il reste peu pour d'autres aspects de la vie tels que le logement, la santé, l'éducation et les loisirs. Au XIXe siècle, dans le contexte de la révolution industrielle, beaucoup d'ouvriers vivaient dans des conditions de pauvreté et leurs salaires étaient si bas qu'ils ne pouvaient pas payer d'impôts. Cela reflétait non seulement l'étendue de la pauvreté, mais également le manque de moyens financiers des gouvernements pour améliorer les infrastructures et les services publics, car une base fiscale plus large est souvent nécessaire pour financer de tels développements. Avec le temps, à mesure que la révolution industrielle progressait et que les économies se développaient, les salaires réels commencèrent lentement à augmenter. Cela fut en partie dû à l'augmentation de la productivité grâce à de nouvelles technologies et à la mécanisation, mais aussi en raison des luttes et des revendications des ouvriers pour de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Ces changements ont contribué à une meilleure répartition de la richesse et à une réduction de la part des dépenses consacrées à l'alimentation, reflétant une amélioration du niveau de vie général.
Émerge la loi d’Engel : {{citation|Plus un individu, une famille, un peuple sont pauvres, plus grand est le pourcentage de leur revenu qu'ils doivent consacrer à leur entretien physique dont la nourriture représente la part la plus importante}}. Cette loi permet de mesurer le degré de pauvreté d’un peuple, d’une famille ou d’un individu pour voir quel pourcentage de son revenu il consacre à se nourrir. Le faible revenu fait que la majorité de la population ne peut pas payer d’impôts. Cela met en exergue la dureté de la condition ouvrière. Le salaire réel commencera à augmenter quand la révolution industrielle va être bien installée dans la seconde moitié du XIXe siècle.


La loi ne stipule pas que les dépenses alimentaires diminuent en valeur absolue avec l'augmentation du revenu, mais plutôt que leur part relative dans le budget total diminue. Ainsi, une personne ou un ménage plus aisé peut absolument dépenser plus en termes absolus sur la nourriture que quelqu'un de moins aisé, tout en consacrant une plus petite proportion de son budget total à cette catégorie de dépenses. Par exemple, une famille à faible revenu pourrait dépenser 50% de son revenu total en nourriture, alors qu'une famille aisée pourrait n'en dépenser que 15%. Cependant, en termes de montant réel, la famille aisée peut dépenser plus sur la nourriture que la famille à faible revenu simplement parce que son revenu total est plus élevé. Cette observation est importante car elle permet d'analyser et de comprendre les habitudes de consommation en fonction des revenus, ce qui peut être crucial pour la formulation de politiques économiques et sociales, en particulier celles liées à la fiscalité, aux subventions alimentaires, et aux programmes d'aide sociale. Cela fournit également des informations précieuses sur la structure socio-économique de la population et sur les changements dans les modes de vie au fur et à mesure que le niveau de vie s'améliore.
En d’autres termes, la loi d’Engel est une loi empirique avancée en 1857 par le statisticien allemand Ernst Engel<ref>Ernst Engel, Die Lebenskosten belgischer Arbeiterfamilien frueher und jetzt. Ermittelt aus Familienhaushaltsrechnungen und vergleichend zusammengestellt, Bulletin of the International Institute of Statistics, 9, 1895, pp.57 et suiv.</ref>. D'après cette loi, la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires (ou coefficient d'Engel) est d'autant plus faible que le revenu est élevé. Même si la proportion d'une catégorie de biens est réputée décroissante dans un budget de consommation donné, cela n'empêche pas que si le revenu augmente, la dépense allouée à l'alimentation, exprimée en valeur absolue, augmente<ref>Loi d'Engel. (2013, novembre 21). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 20:36, octobre 8, 2014 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Loi_d%27Engel&oldid=98523654.</ref>.


= Le jugement ultime : la mortalité des populations industrielles =
= Le jugement ultime : la mortalité des populations industrielles =


== Le paradoxe de la croissance ==
== Le paradoxe de la croissance ==
L'ère de la révolution industrielle et de l'expansion économique qui s'est déroulée au XIXe siècle a été une période de transformations profondes et contrastées. D'un côté, il y a eu une croissance économique significative et un progrès technique sans précédent. D'un autre côté, cela s'est souvent traduit par des conditions de vie extrêmement difficiles pour les ouvriers dans les centres urbains en expansion rapide. Il faut mettre en lumière une réalité sombre de cette période: l'urbanisation rapide et non réglementée (ce que certains appellent "urbanisation sauvage") a conduit à des conditions de vie insalubres. Les villes industrielles, qui se sont développées à un rythme effréné pour loger une main-d'œuvre toujours plus nombreuse, étaient souvent dépourvues d'infrastructures adéquates pour l'assainissement et l'accès à l'eau potable, ce qui a entraîné la propagation de maladies et une baisse de l'espérance de vie. Dans des villes comme les villes anglaises du début du XIXe siècle, Le Creusot en France dans les années 1840, la région de la Belgique orientale autour des années 1850-1860, ou Bilbao en Espagne au tournant du XXe siècle - l'industrialisation s'est accompagnée de conséquences humaines dévastatrices. Les travailleurs et leurs familles, souvent entassés dans des logements surpeuplés et précaires, étaient exposés à un environnement toxique, tant au travail qu'à la maison, avec une espérance de vie tombant à des niveaux aussi bas que 30 ans, reflétant les conditions de travail et de vie éprouvantes. Ce contraste entre les zones urbaines et rurales était également marqué. Alors que les villes industrielles souffraient, les campagnes pouvaient connaître des améliorations de la qualité de vie grâce à une meilleure répartition des ressources issues de la croissance économique et à un environnement moins concentré et moins pollué. Cette période de l'histoire illustre de manière poignante les coûts humains associés à un développement économique rapide et non réglementé. Elle souligne l'importance de politiques équilibrées qui favorisent la croissance tout en protégeant la santé et le bien-être des citoyens.
Il y a croissance, certes, mais elle se fait au prix d’urbanisation sauvage ; les conditions de vie sont déplorables : hygiène, maladies et tout le bataclan qui vient avec. Dans les villes anglaises vers 1820-1830, au Creusot vers 1840, en Belgique orientale vers 1850-1860, en 1900 à Bilbao, l’espérance de vie tombe à 30 ans. Une génération dans chaque pays a donc payé l’entrée dans la modernité. En parallèle, la mortalité régresse dans les campagnes voisines du fait des ressources plus nombreuses et plus accesibles.
 
Les conditions de travail sont dénoncées par les premiers « syndicats ».
Les origines du syndicalisme remontent à l'époque de la révolution industrielle, une période marquée par une transformation radicale des conditions de travail. Face à des journées laborieuses, prolongées, et souvent dans des environnements dangereux ou insalubres, les travailleurs ont commencé à s'unir pour défendre leurs intérêts communs. Ces premiers syndicats, fréquemment contraints d'opérer dans la clandestinité en raison de législations restrictives et d'une forte opposition patronale, se sont érigés en champions de la cause ouvrière, avec pour objectif l'amélioration concrète des conditions de vie et de travail de leurs membres. La lutte syndicale s'est articulée autour de plusieurs axes fondamentaux. Premièrement, la réduction des horaires de travail excessifs et l'amélioration des conditions d'hygiène en milieu industriel étaient des revendications centrales. Deuxièmement, les syndicats se sont battus pour obtenir des salaires permettant non seulement de survivre mais aussi de vivre avec un minimum de confort. En outre, ils se sont efforcés d'assurer une certaine stabilité de l'emploi, protégeant ainsi les ouvriers des licenciements arbitraires et des risques professionnels évitables. Enfin, les syndicats ont lutté pour la reconnaissance de droits fondamentaux, tels que la liberté d'association et le droit de grève. Malgré l'adversité et les résistances, ces mouvements ont peu à peu obtenu des avancées législatives qui ont commencé à réguler le monde du travail, posant les jalons d'une amélioration progressive des conditions laborieuses de l'époque. Ainsi, les premiers syndicats ont non seulement façonné le paysage social et économique de leur temps, mais ont également préparé le terrain pour le développement des organisations syndicales contemporaines, acteurs toujours influents dans la défense des droits des travailleurs à travers le monde.
Pourtant, les adultes mourraient moins que les jeunes. L’explication vient du fait que la majorité des ouvriers sont des immigrés venus des campagnes, ce sont donc les plus forts et les plus audacieux uniquement qui y vont, le reste ne voulant pas quitter leur verte campagne. Ceci explique la relative faible mortalité des adultes.
 
La faible mortalité adulte dans les villes industrielles, en dépit de conditions de vie précaires, peut s'expliquer par un phénomène de sélection naturelle et sociale. Les ouvriers migrants venus des campagnes pour travailler dans les usines étaient souvent ceux qui disposaient de la meilleure santé et de la plus grande résilience, qualités nécessaires pour entreprendre un tel changement de vie et supporter les rigueurs du travail industriel. Ces adultes, donc, représentaient un sous-ensemble de la population rurale caractérisé par une plus grande force physique et une audace supérieure à la moyenne. Ces traits étaient avantageux pour survivre dans un milieu urbain où les conditions de travail étaient dures et les risques sanitaires élevés. Par contre, les enfants et les jeunes, plus vulnérables de par leur développement incomplet et leur manque d'immunité face aux maladies urbaines, souffraient davantage et étaient donc plus susceptibles de succomber prématurément. D'un autre côté, les adultes qui survivaient aux premières années de travail en ville pouvaient développer une certaine résistance aux conditions de vie urbaines. Cela ne veut pas dire qu'ils ne souffraient pas des effets néfastes de l'environnement insalubre et des exigences épuisantes du travail en usine ; mais leur capacité à persévérer malgré ces défis se traduisait par une mortalité relativement faible par rapport aux jeunes populations plus fragiles. Cette dynamique est un exemple de la façon dont les facteurs sociaux et environnementaux peuvent influencer les schémas de mortalité au sein d'une population. Cela met aussi en lumière la nécessité des réformes sociales et de l'amélioration des conditions de travail, particulièrement pour protéger les segments les plus vulnérables de la société, notamment les enfants.


== L’environnement plus que le travail ==
== L’environnement plus que le travail ==
L'observation que l'environnement a eu un impact meurtrier plus important que le travail lui-même pendant la révolution industrielle met en évidence les conditions extrêmes dans lesquelles vivaient les travailleurs de l'époque. Bien que le travail en usine ait été extrêmement difficile, avec de longues heures, un travail répétitif et dangereux, et peu de mesures de sécurité, c'est souvent l'environnement domestique et urbain qui a été le plus létal. Les conditions de logement insalubres, caractérisées par une surpopulation, un manque de ventilation, une faible ou aucune infrastructure d'élimination des déchets et des systèmes d'égout déficients, ont conduit à des taux élevés de maladies contagieuses. Des maladies comme le choléra, la tuberculose, et la typhoïde se répandaient rapidement dans ces conditions. En outre, la pollution de l'air due à la combustion de charbon dans les usines et les foyers a contribué à des problèmes respiratoires et à d'autres problèmes de santé. Les rues étroites et surpeuplées, l'absence de zones vertes et d'espaces publics propres, et l'accès limité à de l'eau potable propre exacerbèrent les problèmes de santé publique. L'impact de ces conditions environnementales délétères était souvent immédiat et visible, menant à des épidémies et des taux de mortalité élevés, particulièrement chez les enfants et les personnes âgées, qui étaient moins capables de résister aux maladies. Cela a mis en évidence le besoin critique de réformes sanitaires et environnementales, telles que l'amélioration de l'habitat, l'introduction de lois sur la santé publique, et la création d'infrastructures d'assainissement, pour améliorer la qualité de vie et la santé des populations urbaines.  
L’environnement a un rôle meurtrier encore plus important que le travail, bien que les conditions de travail soient épouvantables.  


La loi Le Chapelier, du nom de l'avocat et homme politique français Isaac Le Chapelier qui la proposa, est une loi emblématique de l'époque post-révolutionnaire en France. Promulguée en 1791, cette loi visait à supprimer les corporations de l'Ancien Régime ainsi que toute forme d'associations professionnelles ou de groupements d'ouvriers et d'artisans. Le contexte historique est important pour comprendre les motifs de cette loi. La Révolution française avait comme l'un de ses objectifs la destruction des structures féodales et des privilèges, y compris ceux liés aux guildes et aux corporations, qui contrôlaient l'accès aux métiers et pouvaient fixer les prix et les normes de production. Dans cet esprit d'abolition des privilèges, la loi Le Chapelier visait à libéraliser le travail et à promouvoir une forme d'égalité devant le marché. La loi interdisait aussi les coalitions, c'est-à-dire les ententes entre ouvriers ou employeurs pour fixer les salaires ou les prix. En ce sens, elle s'opposait aux premiers mouvements de solidarité ouvrière qui pouvaient menacer la liberté du commerce et de l'industrie prônée par les révolutionnaires. Cependant, en interdisant toute forme d'association entre ouvriers, la loi a également eu pour effet de limiter sévèrement la capacité des travailleurs à défendre leurs intérêts et à améliorer leurs conditions de travail. Les syndicats ne se développeront légalement en France qu'à partir de la loi Waldeck-Rousseau en 1884, qui revient sur l'interdiction des coalitions ouvrières et autorise la création de syndicats.  
La loi le Chapelier promulguée en France le 14 juin 1791 est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage<ref>"Loi Le Chapelier." Wikipédia, l'encyclopédie libre. 15 sept 2014, 08:00 UTC. 3 oct 2014, 17:39 <http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Loi_Le_Chapelier&oldid=107461787>.</ref>. Cette loi est utilisée pour interdire les syndicats.  


L'immigration vers les bassins industriels au XIXe siècle fut souvent un phénomène de sélection naturelle où les plus robustes et les plus aventureux quittaient leurs campagnes natales pour chercher de meilleures opportunités économiques. Ces individus, par leur constitution plus solide, avaient une espérance de vie un peu supérieure à celle de la moyenne, malgré les conditions de travail extrêmes et l'usure physique prématurée qu'ils subissaient dans les usines et les mines. La vieillesse précoce était une conséquence directe de la pénibilité du travail industriel. La fatigue chronique, les maladies professionnelles, et l'exposition à des conditions dangereuses faisaient que les travailleurs "vieillissaient" plus vite physiquement et souffraient de problèmes de santé qui s'apparentent normalement à ceux de personnes plus âgées. Pour les enfants des familles ouvrières, la situation était encore plus tragique. Leur vulnérabilité aux maladies, accentuée par des conditions sanitaires déplorables, augmentait dramatiquement le risque de mortalité infantile. La contamination de l'eau potable était une cause majeure de maladies telles que la dysenterie et le choléra, qui entraînaient déshydratation et diarrhées mortelles, particulièrement chez les jeunes enfants. De plus, la conservation des aliments était un problème majeur. Les produits frais comme le lait, qui devaient être transportés depuis la campagne jusqu'aux villes, se détérioraient rapidement sans les techniques de réfrigération modernes, exposant les consommateurs à des risques d'intoxication alimentaire. Cela était particulièrement dangereux pour les enfants, dont le système immunitaire en développement les rendait moins résistants aux infections alimentaires. Ainsi, malgré la robustesse des adultes migrants, les conditions environnementales et professionnelles dans les zones industrielles contribuaient à un taux de mortalité élevé, en particulier parmi les populations les plus vulnérables telles que les enfants.
Les émigrants qui arrivent dans les bassins industriels sont les plus robustes, les plus ouverts à la prise de risque et ils ont donc une espérance de vie un peu plus haute faisant que les adultes sont un peu épargnés. Néanmoins, la vieillesse vient plus tôt. On s’use littéralement au travail. Les enfants sont les premières victimes à cause des eaux souillées causant de la déshydratation et des diarrhées. Les conditions de conservation des aliments contribuaient aussi à la mortalité infantile. Par exemple, le lait était amené depuis la campagne posant des problèmes de conservation et de transport participant à l'élévation du taux de mortalité.


== Les épidémies de choléra ==
== Les épidémies de choléra ==


[[Fichier:Peur bleu choléra cheminement.png|400px|vignette|Progagation des épidémies de choléra de 1817-1923 et 1826-1836]]
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Le choléra est un exemple frappant de la façon dont les maladies infectieuses peuvent se propager à l'échelle mondiale, favorisées par les mouvements de population et le commerce international. Au XIXe siècle, les pandémies de choléra ont illustré la connectivité croissante du monde, mais aussi les limites de la compréhension médicale et de la santé publique de l'époque. La propagation du choléra a commencé avec la colonisation britannique en Inde. La maladie, qui est causée par la bactérie Vibrio cholerae, a été transportée par des navires marchands et des mouvements de troupes, suivant les grandes routes commerciales et militaires de l'époque. L'accroissement des échanges internationaux et la densification des réseaux de transport ont permis au choléra de s'étendre rapidement à travers le monde. Entre 1840 et 1855, lors de la première pandémie mondiale de choléra, la maladie a suivi un itinéraire depuis l'Inde vers d'autres parties de l'Asie, la Russie, et finalement l'Europe et les Amériques. Ces pandémies ont frappé des villes entières, entraînant des morts massives et exacerbant la peur et la stigmatisation des étrangers, en particulier ceux d'origine asiatique, perçus à l'époque comme les vecteurs de la maladie. Cette stigmatisation a été alimentée par des sentiments de supériorité culturelle et des notions de « barbarie » attribuées aux sociétés non européennes. En Europe, ces idées ont souvent été utilisées pour justifier le colonialisme et les politiques impérialistes, en se basant sur l'argument que les Européens apportaient la « civilisation » et la « modernité » à des parties du monde considérées comme arriérées ou barbares. Le choléra a également stimulé des avancées importantes dans le domaine de la santé publique. Par exemple, c'est en étudiant les épidémies de choléra que le médecin britannique John Snow a pu démontrer, dans les années 1850, que la maladie se propageait par l'eau contaminée, une découverte qui a conduit à des améliorations significatives dans les systèmes d'eau potable et d'assainissement.
Le choléra, qui vient d’Inde, commence à se répandre en pandémies (épidémies à l’échelle mondiale). Ceci commence avec la colonisation britannique en Inde, puis se répand. Progressivement en 1840 - 1855, la première pandémie mondiale se propage de l’Inde vers la Chine, la Russie, retourne en Inde, suit le chemin de la Mecque, arrive en Europe, parvient à traverser l’Atlantique et touche les États-Unis, l’Amérique centrale et l’Amérique latine. Le cheminement est intéressant, elle développe en Europe l’idée de la « barbarie asiatique » menaçant la civilisation (la seule, l’unique civilisation, qui est l’Européenne). Après avoir enfin connu la croissance, l’Europe a peur de « s’écraser ». La modernité « fragilise » puisqu’elle permet aux faibles de survivre aux petites épreuves, puis d’attraper une maladie infectieuse et de contaminer tout le monde. On a peur d’une chute brutale. La médiatisation des épidémies (« Le choléra arrive ! » ; « Premiers morts à Berlin ! ») rajoute à la peur populaire.
 
Il y a de plus une inégalité sociale terrible. On meurt 8 fois plus du choléra quand on est pauvres que quand on est riches, et les épidémies creusent les inégalités sociales. Le virus du choléra est tué par les acides gastriques, si on est bien nourris (viande…) on est donc immunisés Par contre, le pain et les patates…
La croissance économique et les changements sociaux en Europe durant le XIXe siècle ont été accompagnés de peurs et d'incertitudes quant aux conséquences de la modernisation. Avec l'urbanisation rapide, l'essor de la densité de population dans les villes et les conditions souvent insalubres, les sociétés européennes ont été confrontées à de nouveaux risques sanitaires. La théorie selon laquelle la modernité permettait aux individus « faibles » de survivre était largement répandue et reflétait une compréhension du monde influencée par les idées darwiniennes de survie des plus aptes. Cette perspective a renforcé les craintes d'une possible « dégénérescence » de la population si les maladies infectieuses devaient se répandre parmi ceux qui étaient jugés moins résistants. La médiatisation des épidémies a joué un rôle crucial dans la perception publique des risques sanitaires. Les nouvelles de l'arrivée du choléra ou des premières victimes de la maladie dans une ville particulière étaient souvent accompagnées d'un sentiment d'urgence et d'angoisse. Les journaux et les feuilles volantes de l'époque diffusaient ces informations, exacerbant la peur et parfois la panique au sein de la population. La maladie a également mis en évidence les inégalités sociales criantes. Le choléra frappait de manière disproportionnée les pauvres, qui vivaient dans des conditions plus précaires et n'avaient pas les moyens d'assurer une bonne hygiène ou de se procurer une alimentation adéquate. Cette différence de mortalité entre les classes sociales a souligné l'importance des déterminants sociaux de la santé. Quant à la résistance au choléra grâce à une alimentation riche, l'idée que les acides gastriques tuent le virus du choléra est partiellement vraie dans le sens où un pH gastrique normal est un facteur de défense contre la colonisation par le vibrio cholerae. Cependant, ce n'est pas une question de consommation de viande versus pain et pommes de terre. En réalité, les personnes qui souffraient de malnutrition ou de faim étaient plus vulnérables aux maladies, car leur système immunitaire était affaibli et leurs défenses naturelles contre les infections étaient moins efficaces. Il est important de souligner que le choléra n'est pas causé par un virus, mais par une bactérie, et que la survie du micro-organisme dans l'estomac dépend de divers facteurs, y compris la charge infectieuse ingérée et l'état de santé général de la personne. Ces épidémies ont forcé les gouvernements et les sociétés à porter une attention accrue à la santé publique, menant à des investissements dans l'amélioration des conditions de vie, l'assainissement et les infrastructures d'eau potable, et finalement à la réduction de l'impact de telles maladies.
 
[[Fichier:choléra pandémie 1840 - 1855.png|400px|center|vignette|Epidémie de choléra de 1840-1855]]


[[Fichier:Choéra taux de mortalité par profession en haute marne.png|200px|vignette]]
[[Fichier:Choéra taux de mortalité par profession en haute marne.png|200px|vignette]]


Les grandes épidémies qui ont frappé la France et d'autres parties de l'Europe après les révolutions de 1830 et 1848 ont eu lieu dans un contexte de profonds bouleversements politiques et sociaux. Ces maladies ravageuses ont souvent été perçues par les classes défavorisées comme des fléaux exacerbés, voire provoqués, par les conditions de vie misérables dans lesquelles elles étaient contraintes de vivre, souvent à proximité des centres urbains en pleine expansion et industrialisation. Dans un tel climat, il n'est pas surprenant que la suspicion et la colère des classes laborieuses se soient dirigées contre la bourgeoisie, accusée de négligence, voire de malveillance. Les théories du complot telles que l'accusation selon laquelle les bourgeois cherchaient à "empoisonner" ou à réprimer la "fureur populaire" par le biais de maladies ont pu trouver un écho dans une population désespérée et cherchant des explications à sa souffrance. En Russie, sous le règne du tsar, des manifestations déclenchées par la détresse provoquée par des épidémies ont été réprimées par l'armée. Ces événements reflètent la tendance des autorités de l'époque à répondre par la force aux troubles sociaux, souvent sans adresser les causes profondes du mécontentement, comme la pauvreté, l'insécurité sanitaire et le manque d'accès aux services de base. Ces épidémies ont mis en évidence les liens entre les conditions de santé et les structures sociales et politiques. Elles ont montré que les problèmes de santé publique ne pouvaient être dissociés des conditions de vie des populations, en particulier de celles des classes les plus démunies. Face à ces crises sanitaires, la pression montait sur les gouvernements pour qu'ils améliorent les conditions de vie, investissent dans des infrastructures sanitaires et mettent en place des politiques de santé publique plus efficaces. Ces périodes d'épidémies ont donc également joué un rôle catalyseur dans l'évolution de la pensée politique et sociale, soulignant la nécessité d'une plus grande égalité et d'une meilleure prise en charge des citoyens par les États.
De grandes épidémies touchent la France après les révolutions de 1830 et 1848. Les pauvres sont en colère, accusant les bourgeois de vouloir empoisonner la fureur populaire. L’armée du tsar est obligée de réprimer des manifestations à Moscou après des épidémies. Les médecins jouent le rôle d’intermédiaires, et sont écoutés par la population en raison de leur dévouement. Ils sont formés dans des facultés, ont une éducation scientifique. Leur bonté est cependant mise à rude épreuve durant les épidémies. Pasteur n’arrivant qu’en 1885, ils ne savent pas ce qu’est un virus, d’où des techniques de guérison qui peuvent nous sembler pas très orthodoxes, mais qui n’étaient en fait pas très ridicules à l’époque. En effet, les médecins observaient de près les étapes de la maladie, et tentaient. Dans le cas du choléra, de réchauffer le malade dans la phase « froide » et de le fortifier avant qu’arrive la dernière phase, celle qui allait déterminer la survie ou la mort.  


Les médecins du XIXe siècle se trouvaient souvent au cœur des crises sanitaires, agissant en tant que figures de confiance et de savoir. Ils étaient perçus comme des piliers de la communauté, notamment en raison de leur engagement auprès des malades et de leur formation scientifique, acquise dans des établissements d'enseignement supérieur. Ces professionnels de la santé avaient une grande influence et leur conseil était généralement respecté par la population. Avant que Louis Pasteur ne révolutionne la médecine avec la théorie des germes en 1885, la compréhension des maladies infectieuses était très limitée. Les médecins de l'époque ne connaissaient pas l'existence des virus et des bactéries comme agents pathogènes. Malgré cela, ils n'étaient pas pour autant dénués de logique ou de méthode dans leur pratique. Lorsqu'ils étaient confrontés à des maladies telles que le choléra, les médecins utilisaient les connaissances et les techniques disponibles à l'époque. Par exemple, ils observaient attentivement l'évolution des symptômes et adaptaient leur traitement en conséquence. Ils essayaient de réchauffer les patients durant la phase "froide" du choléra, caractérisée par une peau froide et bleuâtre due à la déshydratation et à la baisse de la circulation sanguine. Ils s'efforçaient aussi de fortifier le corps avant l'arrivée de la "dernière phase" de la maladie, souvent marquée par une extrême faiblesse, qui pouvait conduire à la mort. Les médecins utilisaient également des méthodes telles que la saignée ou les purges, qui étaient fondées sur des théories médicales de l'époque mais qui sont aujourd'hui considérées comme non efficaces voire nuisibles. Cependant, malgré les limitations de leur pratique, leur dévouement à soigner et à observer avec rigueur les effets de leurs traitements témoignait de leur volonté de combattre la maladie avec les outils dont ils disposaient. L'approche empirique des médecins de cette époque a contribué à l'accumulation des connaissances médicales qui, par la suite, ont été transformées et affinées avec l'avènement de la microbiologie et d'autres sciences médicales modernes.  
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Georges-Eugène Haussmann, connu sous le nom de Baron Haussmann, a orchestré une transformation radicale de Paris sous le Second Empire, sous le règne de Napoléon III. Sa tâche était de remédier aux problèmes pressants de la capitale française, qui souffrait d'une surpopulation extrême, de conditions sanitaires déplorables et d'un enchevêtrement de ruelles issues du Moyen Âge qui ne répondaient plus aux besoins de la ville moderne. La stratégie d'Haussmann pour revitaliser Paris était globale. Il a d'abord pris des mesures pour assainir la ville. Avant ses réformes, Paris luttait contre des fléaux tels que le choléra, exacerbés par des rues étroites et un système d'égouts déficient. Il a introduit un système d'égouts innovant qui a considérablement amélioré la santé publique. Ensuite, Haussmann s'est concentré sur l'amélioration des infrastructures en établissant un réseau de larges avenues et de boulevards. Ces nouvelles voies n'étaient pas seulement esthétiques mais fonctionnelles, améliorant la circulation de l'air et de la lumière et facilitant les déplacements. En parallèle, Haussmann a repensé l'urbanisme de la ville. Il a créé des espaces harmonieux avec des parcs, des places et des alignements de façades, qui ont donné à Paris son aspect caractéristique que nous connaissons aujourd'hui. Toutefois, ce processus a eu des répercussions sociales importantes, notamment le déplacement des populations les plus pauvres vers la périphérie. Les travaux de rénovation ont conduit à la destruction de nombreux petits commerces et habitations précaires, poussant ainsi les classes défavorisées à s'installer en banlieue. Ces changements ont provoqué des réactions mitigées parmi les Parisiens de l'époque. Alors que la bourgeoisie pouvait craindre les troubles sociaux et voyait avec appréhension la présence de ce qu'elle considérait comme des "classes dangereuses", l'ambition d'Haussmann était également de rendre la ville plus attrayante, plus sûre et mieux adaptée à l'époque. Néanmoins, le coût et les conséquences sociales des travaux d'Haussmann ont été source de controverses et de débats politiques intenses.
En France, le préfet Haussmann a mené la politique d’assainissement de Paris, en repoussant les petites gens jusque dans les banlieues, en construisant des infrastructures et de grands boulevards. D’où la crainte des bourgeois de la population qui « descend » sur Paris, qui marche sur Paris.


= La « question sociale » =
= La « question sociale » =


Au cours du XIXe siècle, avec l'ascension du capitalisme industriel, les structures sociales subissent des changements radicaux, déplaçant l'ancienne hiérarchie basée sur la noblesse et le sang par une hiérarchie axée sur le statut social et la richesse. Une nouvelle élite bourgeoise émerge, composée d'individus qui, ayant réussi dans le monde des affaires, acquièrent la richesse et le crédit social jugés nécessaires pour gouverner le pays. Cette élite représente une minorité qui, pour un temps, détient le monopole du droit de vote, étant considérée comme la plus apte à prendre des décisions pour le bien de la nation. Les ouvriers, en revanche, sont souvent perçus de manière paternaliste, comme des enfants incapables de gérer leurs propres affaires ou de résister aux tentations de l'ivresse et d'autres vices. Cette vision est renforcée par les théories morales et sociales de l'époque qui mettent l'accent sur la tempérance et la responsabilité individuelle. La peur du choléra, une maladie épouvantable et mal comprise, alimente un ensemble de croyances populaires, y compris l'idée que le stress ou la colère pourraient induire la maladie. Cette croyance a contribué à un calme relatif dans les classes ouvrières, qui se méfiaient des émotions fortes et de leur potentiel à engendrer des fléaux. En l'absence d'une compréhension scientifique des causes de telles maladies, les théories abondent, certaines relevant du mythe ou de la superstition. Dans cet environnement, la bourgeoisie développe une forme de paranoïa à l'égard des banlieues ouvrières. Les périphéries urbaines, souvent surpeuplées et insalubres, sont vues comme des foyers de maladie et de désordre, menaçant la stabilité et la propreté des centres urbains plus aseptisés. Cette crainte est accentuée par le contraste entre les conditions de vie de l'élite bourgeoise et celles des ouvriers, ainsi que par la menace perçue que représentent les rassemblements et les révoltes populaires pour l'ordre établi.
La distinction ne se fait plus sur le sang, mais sur le statut social engendrant une élite bourgeoise. Est internalisée une hiérarchie sociale et morale. L’élite est constituée d'individus qui, ayant réussi à gérer leurs affaires, possèdent donc le crédit nécessaire afin de gérer le pays. Ce sont d'ailleurs pendant un moment les seuls à pouvoir voter. Les ouvriers sont vus comme des enfants cédant à l’alcoolisme. Une idée reçue par les ouvriers est qu'il ne faut pas se mettre en colère, car cela pourrait amener le choléra, c'est pourquoi il n'y a pas de manifestation. Dans ce contexte, les bourgeois deviennent paranoïaques des banlieues ouvrières.
 
Buret était un observateur attentif des conditions de vie de la classe ouvrière au XIXe siècle, et son analyse reflète les inquiétudes et les critiques sociales de cette époque marquée par la Révolution industrielle et l'urbanisation rapide : « Si vous osez pénétrer dans les quartiers maudits où [la population ouvrière] habite, vous verrez à chaque pas des hommes et des femmes flétries par le vice et par la misère, des enfants à demi nus qui pourrissent dans la saleté et étouffent dans des réduits sans jour et sans air. Là, au foyer de la civilisation, vous rencontrerez des milliers d’hommes retombés, à force d’abrutissement, dans la vie sauvage ; là, enfin, vous apercevrez la misère sous un aspect si horrible qu’elle vous inspirera plus de dégoût que de pitié, et que vous serez tenté de la regarder comme le juste châtiment d’un crime [...]. Isolés de la nation, mis en dehors de la communauté sociale et politique, seuls avec leurs besoins et leurs misères, ils s’agitent pour sortir de cette effrayante solitude, et, comme les barbares auxquels on les a comparés, ils méditent peut-être une invasion. »


La force de cette citation réside dans sa description graphique et émotionnelle de la pauvreté et de la dégradation humaine dans les quartiers ouvriers des villes industrielles. Buret utilise une imagerie choquante pour susciter une réaction chez le lecteur, dépeignant des scènes de dégradation qui sont en contraste frappant avec l'idéal de progrès et de civilisation porté par l'époque. En qualifiant les quartiers ouvriers de "maudits" et en évoquant des images d'hommes et de femmes "flétries par le vice et par la misère", il attire l'attention sur les conditions inhumaines engendrées par le système économique de l'époque. La référence aux "enfants à demi nus qui pourrissent dans la saleté" est particulièrement poignante et reflète une réalité sociale cruelle où les plus vulnérables, les enfants, sont les premières victimes de l'industrialisation. La mention des "réduits sans jour et sans air" rappelle les logements insalubres et surpeuplés dans lesquels étaient entassées les familles ouvrières. Buret souligne également l'isolement et l'exclusion des ouvriers de la communauté politique et sociale, suggérant que, privés de reconnaissance et de droits, ils pourraient devenir une force subversive, comparés à des "barbares" méditant une "invasion". Cette métaphore de l'invasion suggère une peur de la révolte ouvrière parmi les classes dirigeantes, craignant que la détresse et l'agitation des ouvriers ne se transforment en une menace pour l'ordre social et économique. Dans son contexte historique, cette citation illustre les tensions sociales profondes du XIXe siècle et offre un commentaire cinglant sur les conséquences humaines de la modernité industrielle. Elle invite à la réflexion sur la nécessité d'une intégration sociale et d'une réforme politique, reconnaissant que le progrès économique ne peut être déconnecté du bien-être et de la dignité de tous les membres de la société.
{{citation bloc|Si vous osez pénétrer dans les quartiers maudits où [la population ouvrière] habite, vous verrez à chaque pas des hommes et des femmes flétries par le vice et par la misère, des enfants à demi nus qui pourrissent dans la saleté et étouffent dans des réduits sans jour et sans air. Là, au foyer de la civilisation, vous rencontrerez des milliers d’hommes retombés, à force d’abrutissement, dans la vie sauvage ; là, enfin, vous apercevrez la misère sous un aspect si horrible qu’elle vous inspirera plus de dégoût que de pitié, et que vous serez tenté de la regarder comme le juste châtiment d’un crime [...]. Isolés de la nation, mis en dehors de la communauté sociale et politique, seuls avec leurs besoins et leurs misères, ils s’agitent pour sortir de cette effrayante solitude, et, comme les barbares auxquels on les a comparés, ils méditent peut-être une invasion.|Buret, cité par Chevalier, 594-595.}}


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