Une démocratie peut-elle être un empire ?

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Nous allons montrer qu’à partir de la révolution américaine et française le concept d’empire rencontre l’idée de démocratie. La question devient à partir de 1800 – 1815 de savoir si une démocratie peut aussi être un empire. On connaît Tocqueville comme le grand théoricien de la démocratie, mais on regarde moins certains de ses écrits sur l’empire français, sur l’expérience d’Algérie, sur l’expédition d’Égypte. Dans De la colonie en Algérie, Tocqueville tente de répondre à cette question.

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La réponse de Constant et de Tocqueville[modifier | modifier le wikicode]

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850).

Tocqueville est le philosophe qui s’est le premier posé une question centrale qui n’est pas de savoir ce qu’est une démocratie, mais si une démocratie peut être un empire. Parallèlement aux États-Unis d’Amérique, Tocqueville a cherché à réfléchir conceptuellement à cette tension.

Tocqueville fait une différence très claire entre ce qu’il appelle la domination qui est une technique qui consiste à mettre ses habitants sous sa dépendance et la colonisation où il s’agit d’occuper et de remplacer les coutumes des anciens habitants par les coutumes d’une ou de nations civilisées. Tocqueville est hostile à la domination, mais il tolère la colonisation parce que celle-ci est parfois nécessaire notamment dans certaines conditions.

« Travail sur l’Algérie ». C’est l’argument historique qui est l’argument de la puissance. Abandonner l’Algérie est tout simplement pour la France un synonyme de déclin, de perte de puissance. Le mot qui ressort est très clairement celui de déclin. La France a besoin de l’Algérie pour sa propre puissance afin de contribuer et de développer son influence et surtout pour développer et répandre sa civilisation. C’est quelque part l’argument historique du rôle de la France dans le monde.

Le deuxième argument est l’argument de nécessité :

« Ce qui ne l'est pas moins à mes yeux, c'est que si ces positions ne restent pas dans nos mains, elles passeront dans celles d'un autre peuple de l’Europe. Si elles ne sont pas pour nous, elles seront contre nous" soit qu'elles tombent directement sous le pouvoir de nos ennemis, soit qu'elles entrent dans le cercle habituel de leur influence. Il est arrivé en Afrique ce qu'on a vu en Égypte, ce qui arrive toutes les fois qu'il y a contact, même par la guerre, entre deux races dont l'une, est éclairé et l'autre ignorante, dont l'une s'élève et l'autre s'abaisse. Les grands travaux que nous avons déjà faits en Algérie, les exemples de nos arts, de nos idées, de notre puissance ont puissamment agi sur l'esprit des populations mêmes qui nous combattent avec le plus d'ardeur et qui rejettent avec le plus d'énergie notre joug ». Si nous ne maintenons pas noter influence, d’autre prendront notre place.

Le troisième argument est l’argument de la civilisation. « En un mot, il est évident pour moi que, quoi qu'il arrive, l'Afrique est désormais entrée dans le mouvement du monde civilisé et n'en sortira plus ».

Tocqueville continu à défendre la conquête française et les bienfaits de la conquête française. Une démocratie peut être un empire et une démocratie doit être un empire pour conserver son rayonnement. « La longue guerre qui a promené nos drapeaux dans toutes les parties de l'ancienne Régence, et nous a montré les peuples indigènes dans toutes les situations et sous tous les jours, ne nous a pas seulement fait conquérir des territoires, elle nous a fait acquérir des notions entièrement neuves ou plus exactes sur le pays et sur ceux qui l’habitent. On ne peut étudier les peuples barbares que les armes à la main ». Il est possible d’apprendre des autres, mais de manière militaire.

« Nous avons donné et reconnu les divers éléments dont la population indigène se compose ». Tocqueville croit à la diversité culturelle. « L’histoire des différentes tribus nous est presque aussi bien connue qu'à elles-mêmes ». Tocqueville soutient que désormais nous avons une perception détaillée des populations indigènes. « À mesure que nous connaissons mieux le pays et les indigènes, l'utilité et même la nécessité d'établir une population européenne sur le sol de l'Afrique nous apparaissent plus évidentes. Déjà, d'ailleurs, nous n'avons plus, en cette nature, de choix à faire ni de résolution à prendre. La population européenne est Tenue. La société civilisée et chrétienne est fondée. Il ne s'agit plus que de savoir sous quelles lois elle doit vivre, et ce qu'il faut faire pour hâter son développement ». La conquête amène la connaissance, la civilisation et il faut la défendre.

« Quel doit être l’esprit général de notre gouvernement à l’égard des indigènes ». Tocqueville reconnait l’enjeu de la conquête, mais il réaffirme la nécessité d’amener la civilisation : « La société musulmane, en Afrique, n'était pas incivilisé ; elle avait seulement une civilisation arriérée et imparfaite ». Tocqueville explique que la colonisation est une bonne chose.

Une démocratie peut-elle être un empire ?[modifier | modifier le wikicode]

Title page, Democracy in America by Alexis de Tocqueville, printed at New York, 1838.

Tocqueville est le grand partisan de la démocratie. « Nous venons de peindre deux excès ; la majorité de votre Commission pense que notre gouvernement doit soigneusement éviter de tomber dans l'un comme dans l'autre. Il n'y a ni utilité ni devoir à laisser à nos sujets musulmans des idées exagérées de leur propre importance ni de leur persuader que nous sommes obligés de les traiter en toutes circonstances précisément comme s'ils étaient nos concitoyens et nos égaux. Ils savent que nous avons, en Afrique, une position dominatrice ; ils s'attendent à nous la voir gardée. La quitter aujourd'hui, ce serait jeter l'étonnement et la confusion dans leur esprit, et le remplir de notions erronées ou dangereuses. Les peuples à demi civilisés comprennent malaisément la longanimité et l'indulgence ; ils n'entendent bien que la justice. La justice exacte, mais rigoureuse, doit être notre seule règle de conduite vis-à-vis des indigènes quand ils se rendent coupables envers nous. Ce que nous devons en tout temps, c'est un bon gouvernement. Nous entendons, par ces mots, un pouvoir qui les dirige, non seulement dans le sens de notre intérêt, mais dans le sens du leur ; qui se montre réellement attentif à leurs besoins ; qui cherche avec sincérité les moyens d'y pourvoir ; qui se préoccupe de leur bien-être, qui songe à leurs droits ; qui travaille avec ardeur au développement continu de leurs sociétés imparfaites ; qui ne croit pas avoir rempli sa tâche quand il en a obtenu la soumission et l’impôt ; qui les gouverne, enfin, et ne se borne pas à les exploiter ».

On voit dans ce passage l’immense contradiction dont fait preuve Tocqueville, il défend la démocratie, il a défendu la nécessité de l’égalité des conditions dans De la démocratie en Amérique en 1835 et 1840. À propos de la colonisation, il adopte un discours diffèrent croyant profondément à la supériorité de la civilisation européenne et concevoir qu’il y a des États barbares et des États civilisés.

C’est un lointain disciple de Grotius même si Grotius n’apparait jamais dans ses écrits. Il pense que pour qu’une démocratie puisse survivre à l’intérieur, elle doit s’étendre à l’extérieur. Tocqueville défend l’argument central que pour progresser, s’épanouir dans un État, une démocratie a besoin de se répandre hors de cet État. Une démocratie a besoin d’être un empire pour survivre en tant que démocratie. Les États-Unis d’Amérique vont appliquer ce principe à la lettre. C’est une question théorique à laquelle Tocqueville nous propose de réfléchir.

Ce sont des arguments qui sont encore très actuels. La question est de savoir si une démocratie peut être un empire. Tocqueville répondra « oui » et il répondra même que parfois une démocratie doit être un empire.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]