Mécanismes structurels de la révolution industrielle

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Basé sur un cours de Michel Oris[1][2]

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Ce cours vise à fournir une analyse détaillée et structurée des mécanismes structurels qui ont permis l'essor de la Révolution industrielle, en commençant par la fin du XVIIIe siècle. Nous aborderons le développement initial de l'industrie avec un focus sur la manière dont les progrès technologiques modestes et les investissements initiaux accessibles ont posé les bases de la transformation de la société. Nous commencerons par un examen approfondi des petites entreprises manufacturières en Angleterre, soulignant la manière dont elles ont bénéficié d'un faible coût d'entrée, facilitant ainsi l'émergence d'une nouvelle classe d'entrepreneurs. Nous étudierons les taux de profit variables mais souvent élevés de ces premières entreprises et leur rôle dans la promotion d'un réinvestissement et d'une innovation continus. Nous explorerons ensuite l'évolution des infrastructures de transport et leur impact sur la taille et la portée des entreprises, allant de l'isolement protecteur des marchés locaux à une concurrence accrue induite par une baisse des coûts de transport. Une attention particulière sera accordée aux conséquences sociales de l'industrialisation, notamment les conditions de travail précaires, l'utilisation du travail des femmes et des enfants, et la mobilité sociale résultant de l'industrialisation. L'examen des modèles de développement industriel et de leur propagation à travers l'Europe complétera notre analyse, permettant de comprendre l'influence de la Révolution industrielle sur l'économie mondiale. En résumé, ce cours a pour objectif d'examiner de manière descriptive et méthodique les multiples facettes de la Révolution industrielle, en mettant en lumière les dynamiques économiques, technologiques, sociales et humaines qui ont marqué cette période fondamentale.

Industrialisation massive : panorama sur les usines sidérurgiques Andrew Carnegie à Youngstown dans l'Ohio, 1910.

Le faible coût des investissements[modifier | modifier le wikicode]

L'amorce de la Première révolution industrielle, qui a eu lieu dans la seconde moitié du 18e siècle, a démarré avec un niveau technique relativement limité et une faible intensité en capital par rapport à ce qu'elle est devenue par la suite. Au départ, les entreprises étaient souvent de petite taille, et les technologies, bien qu'innovatrices pour l'époque, ne requéraient pas d'investissements aussi massifs que ceux nécessaires pour les usines de l'ère victorienne tardive. Les industries du textile, par exemple, ont été parmi les premières à se mécaniser, mais les premières machines comme la spinning jenny ou le métier à tisser mécanique pouvaient être opérées dans de petits ateliers ou même dans des maisons (comme cela se faisait dans le système de "putting-out" ou "domestic system"). La machine à vapeur de James Watt, bien que représentant une avancée significative, a initialement été adoptée à une échelle relativement modeste avant de devenir la force motrice de grandes usines et du transport. C'est en partie parce que les systèmes de production étaient encore en transition. La fabrication restait souvent une activité de petite envergure, et bien que l'utilisation de machines ait permis une augmentation de la production, elle ne nécessitait pas au début les énormes installations que l'on associe à la révolution industrielle ultérieure. En outre, la première phase de la révolution industrielle a été caractérisée par des innovations incrémentales, qui ont permis des augmentations progressives de la productivité sans nécessiter d'énormes dépenses de capital. Les entreprises pouvaient souvent autofinancer leur croissance ou compter sur des réseaux de financement familiaux ou locaux, sans avoir besoin de recourir à des marchés financiers développés ou à de grands emprunts. Néanmoins, au fur et à mesure que la révolution progressait, la complexité et le coût des machines ont augmenté, de même que la taille des installations industrielles. Cela a conduit à une intensification du besoin en capital, au développement d'institutions financières dédiées, et à l'émergence de pratiques telles que la levée de capitaux via des actions ou des obligations pour financer de plus grands projets industriels.

La capacité d'autofinancement à la fin du 18e siècle reflète les conditions économiques uniques de cette époque. En effet, le coût relativement bas des investissements initiaux pour les premières manufactures a permis à des individus issus de la classe artisanale ou de la petite bourgeoisie de devenir des entrepreneurs industriels. Ces entrepreneurs pouvaient souvent rassembler les capitaux nécessaires sans recourir à de grands emprunts ou à des investissements extérieurs significatifs. Le faible coût des technologies de l'époque, qui dépendaient principalement du bois et du métal simple, rendait les investissements initiaux relativement accessibles. De plus, les compétences nécessaires pour construire et opérer les premières machines étaient souvent issues de l'artisanat traditionnel. Par conséquent, bien que la main-d'œuvre spécialisée fut nécessaire, elle n'exigeait pas le niveau de formation que les technologies ultérieures ont requis. Cela signifie que les coûts de la main-d'œuvre restaient relativement faibles, surtout en comparaison avec les niveaux de salaire et de compétence demandés pour l'exploitation des technologies industrielles avancées du milieu du 20e siècle. Cette situation contrastait fortement avec celle des pays du tiers-monde au milieu du 20e siècle, où l'introduction de technologies industrielles exigeait un niveau de capital et de compétences beaucoup plus élevé, hors de portée pour la plupart des travailleurs locaux et même pour les entrepreneurs locaux sans assistance extérieure. Les investissements nécessaires pour démarrer une activité industrielle dans ces pays en développement étaient souvent si importants qu'ils ne pouvaient être couverts que par des financements étatiques, des prêts internationaux ou des investissements directs étrangers. Le succès initial des entrepreneurs durant la Révolution industrielle britannique a donc été facilité par cette combinaison de faible coût d'entrée et de compétences artisanales adaptées, qui a créé un environnement propice à l'innovation et à la croissance industrielle. Cela a conduit à la formation d'une nouvelle classe sociale d'industriels, qui ont joué un rôle de premier plan dans l'avancement de l'industrialisation.

Dans les premiers stades de la Révolution industrielle, les exigences en termes d'installations pour les usines étaient relativement modestes. Des bâtiments existants, comme des granges ou des hangars, pouvaient être facilement convertis en espaces de production sans nécessiter des investissements lourds en construction ou en aménagement. Cela contrastait avec les installations industrielles ultérieures, qui étaient souvent de vastes usines spécialement conçues pour accueillir des lignes de production complexes et de grandes équipes d'ouvriers. Quant au capital circulant, c'est-à-dire les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses courantes comme les matières premières, les salaires et les coûts d'exploitation, il était souvent plus élevé que l'investissement en capital fixe (les machines et l'installation). Les entreprises pouvaient recourir à des prêts bancaires pour financer ces coûts opérationnels. Les banques de l'époque étaient généralement disposées à accorder des crédits sur la base des titres de propriété des matières premières, des produits semi-finis ou finis, qui pouvaient servir de garanties. Le système de crédit était déjà assez développé en Angleterre à cette époque, avec des institutions financières établies pouvant fournir le capital de roulement nécessaire aux entrepreneurs industriels. En outre, les délais de paiement dans la chaîne d'approvisionnement – par exemple, acheter des matières premières à crédit et payer les fournisseurs après avoir vendu le produit fini – aidaient également à financer le capital circulant. Il est important de noter que l'accès au crédit a joué un rôle crucial dans le développement de l'industrie. Il a permis aux entreprises d'étendre rapidement leur production et de tirer parti des opportunités de marché sans avoir à accumuler de grandes quantités de capital en amont. Cela a facilité une croissance économique rapide et soutenue, qui est devenue caractéristique de la période industrielle.

Le réinvestissement des profits engendrés par la Révolution industrielle a été une des forces motrices de sa propagation au-delà des frontières britanniques. Ces profits, souvent substantiels en raison de l'amélioration de l'efficacité et de la productivité apportée par les nouvelles technologies, ainsi que l'expansion des marchés, ont été alloués à diverses fins. D'une part, les industriels ont injecté une partie de ces sommes dans l'innovation technologique, acquérant de nouvelles machines et perfectionnant les processus de production. Cela a entraîné une spirale vertueuse d'amélioration continue, où chaque avancée permettait de générer davantage de profits à réinvestir. Parallèlement, la quête de nouveaux marchés et de sources de matières premières à moindre coût a encouragé les entreprises britanniques à étendre leurs activités à l'international. Cet expansionnisme a souvent pris la forme d'investissements dans les colonies ou d'autres régions, où ils ont établi des industries ou financé des projets industriels, transplantant ainsi les pratiques et les capitaux britanniques. L'infrastructure, essentielle à l'industrialisation, a également bénéficié de ces profits. Les réseaux ferroviaires, les canaux et les ports ont été développés ou améliorés, non seulement au Royaume-Uni mais aussi à l'étranger, rendant ainsi le commerce et la production industrielle plus efficaces. Outre ces investissements directs, l'influence coloniale britannique a servi de véhicule pour la diffusion des technologies et des méthodes industrielles. Cela a créé un écosystème favorable à l'expansion de l'industrialisation dans les colonies, qui, à leur tour, fournissaient les matières premières essentielles pour alimenter les usines britanniques. Dans le domaine du commerce international, l'excédent de capital a permis aux entreprises du Royaume-Uni d'accroître leur empreinte mondiale, exportant des produits manufacturés en grande quantité tout en important les ressources nécessaires à leur production. Enfin, la mobilité des ingénieurs, des entrepreneurs et des travailleurs qualifiés, souvent financée par les profits industriels, a facilité les échanges de compétences et de savoir-faire entre nations. Ces transferts de technologie ont joué un rôle clé dans la généralisation des pratiques industrielles à travers le monde. Tous ces facteurs combinés ont contribué à faire de la Révolution industrielle un phénomène global, transformant non seulement les économies nationales mais aussi les relations internationales et la structure économique mondiale.

Les profits élevés[modifier | modifier le wikicode]

Les taux de profit élevés enregistrés au cours de la Première révolution industrielle, souvent entre 20 et 30 % selon les secteurs, ont été déterminants pour l'accumulation de capital et la croissance économique de l'époque. Ces marges bénéficiaires considérables fournissaient aux entreprises les moyens nécessaires pour réinvestir et soutenir l'expansion industrielle, permettant ainsi une croissance soutenue et la mise en place d'infrastructures industrielles de plus en plus sophistiquées. Lorsqu'on compare ces taux de profit avec ceux des années 1950, qui sont tombés autour de 10 %, et encore plus bas dans les années 1970, à environ 5 %, il est évident que les premiers entrepreneurs industriels disposaient d'un avantage considérable. Cet avantage leur a permis de réinvestir des sommes significatives dans leurs entreprises, d'explorer de nouvelles opportunités industrielles et d'innover sans cesse. Cet esprit d'accumulation et de réinvestissement du capital a été un moteur clé de l'industrialisation. Il a été rendu possible non seulement par les bénéfices économiques, mais aussi par un certain éthos qui a prévalu en Angleterre pendant cette période. L'idée que l'argent devrait être utilisé de manière productive, pour stimuler l'emploi et la création de richesse, était un principe directeur qui a marqué la société britannique. Le capital initial, relativement modeste et pouvant être rassemblé par des particuliers ou de petits groupes d'investisseurs, a permis une première vague d'activités industrielles. Cependant, ce sont les profits issus de ces premières entreprises qui ont alimenté des investissements plus conséquents et ont permis une expansion rapide des capacités industrielles et du développement économique dans son ensemble. Ce cercle vertueux d'investissement et d'innovation a accéléré le processus d'industrialisation, débouchant sur des avancées technologiques, une augmentation de la production, et finalement, une transformation profonde de la société et de l'économie.

La taille des entreprises[modifier | modifier le wikicode]

L’absence d’une taille optimale ou minimale[modifier | modifier le wikicode]

La comparaison des dynamiques entrepreneuriales entre la période de la Révolution industrielle et l'époque actuelle souligne l'évolution des économies et des contextes dans lesquels les entreprises opèrent. Durant la Révolution industrielle, le faible coût d'entrée dans le secteur industriel a permis à de nombreuses petites entreprises de voir le jour. Le faible coût des technologies de l'époque, principalement mécaniques et souvent actionnées par de l'énergie hydraulique ou la vapeur, associé à une main-d'œuvre abondante et bon marché, a créé un environnement où même les entreprises avec un faible capital pouvaient se lancer et prospérer. La demande croissante, portée par l'urbanisation et la hausse de la population, ainsi que l'absence de réglementations strictes, ont également favorisé l'émergence et la croissance de ces petites entreprises. À l'opposé, dans le monde contemporain, la taille de l'entreprise peut être un facteur déterminant de sa résilience face aux crises. Les coûts fixes élevés, les technologies avancées, les normes réglementaires strictes et la concurrence internationale intense nécessitent des investissements substantiels et une capacité d'adaptation que les petites entreprises peuvent avoir du mal à déployer. La main-d'œuvre, devenue plus chère en raison de l'augmentation du niveau de vie et des régulations sociales, représente aussi un coût bien plus significatif pour les entreprises d'aujourd'hui. Ainsi, la tendance actuelle est à la concentration des entreprises, où les plus grandes peuvent bénéficier d'économies d'échelle, d'un accès plus aisé au financement et d'une capacité à influencer le marché et à résister aux périodes de ralentissement économique. Toutefois, il est important de noter que l'écosystème entrepreneurial actuel est aussi très dynamique avec les startups technologiques et les entreprises innovantes qui, malgré leur taille parfois modeste, peuvent disrupter des marchés entiers grâce à des innovations radicales et à l'agilité de leur structure.

L’exemple Krupp[modifier | modifier le wikicode]

Alfred Krupp.

Le cas de Krupp illustre parfaitement la transition qui s'est opérée dans le paysage industriel depuis la Révolution industrielle. Fondée en 1811, la société Krupp a commencé comme une entreprise de taille modeste et a grandi pour devenir un conglomérat industriel international, symbolisant le potentiel de croissance qui caractérisait cette époque de transformations économiques. Au début de la Révolution industrielle, la flexibilité des petites entreprises constituait un avantage dans un marché en évolution rapide, où les innovations techniques pouvaient être rapidement adoptées et mises en œuvre. De plus, le cadre réglementaire souvent laxiste permettait aux petites entités de prospérer sans les lourdeurs administratives et financières qui peuvent accompagner les grandes entreprises dans les économies modernes. Cependant, à mesure que l'ère industrielle progressait, des facteurs comme le développement des systèmes de transport (ferroviaire, maritime, routier) et la globalisation du commerce ont commencé à favoriser les entreprises capables de produire à grande échelle et de distribuer leurs produits plus largement. Ces entreprises, telles que Krupp, ont pu investir dans de lourdes infrastructures, adopter des technologies de pointe, étendre leur emprise sur les chaînes d'approvisionnement et accéder à des marchés internationaux, leur conférant un avantage compétitif sur les petites entreprises. L'ascension de Krupp reflète cette dynamique. L'entreprise a été capable d'évoluer avec son temps, passant d'une fonderie de fonte à une multinationale de la production d'acier et de l'armement, capitalisant sur les guerres, la demande croissante en acier pour la construction et l'industrialisation générale, ainsi que sur les innovations technologiques. Dans ce contexte, les petites entreprises se sont retrouvées confrontées à des défis majeurs. Sans l'accès au même niveau de ressources, elles ont eu du mal à rivaliser en termes de prix, d'efficacité et de portée de marché. Beaucoup ont été absorbées par des entités plus grandes ou ont dû se spécialiser dans des niches pour survivre. La capacité de résister aux crises est devenue alors un attribut associé à la taille, et les grandes entreprises comme Krupp étaient mieux équipées pour faire face à la volatilité économique, aux guerres, aux crises financières et aux changements politiques. Leur taille leur permettait d'amortir les chocs, de diversifier les risques et de planifier sur le long terme, une capacité moins accessible aux petites entreprises. La trajectoire de Krupp s'inscrit donc dans la logique plus large du développement industriel et économique, où les structures des entreprises ont dû s'adapter aux nouvelles réalités d'un monde en rapide évolution.

Les coûts de transport[modifier | modifier le wikicode]

Des coûts élevés : un atout au début de l’industrialisation[modifier | modifier le wikicode]

Avant la généralisation des bateaux à vapeur et le développement des chemins de fer, le coût élevé du transport avait un impact significatif sur la structure industrielle et commerciale. Les usines avaient tendance à produire pour les marchés locaux car il était souvent trop onéreux de transporter des marchandises sur de longues distances. Cette période a vu la prolifération de petites usines disséminées, qui répondaient aux besoins immédiats de la population locale, chaque région développant souvent ses propres spécialités en fonction des ressources et compétences disponibles. La production industrielle se faisait à proximité des sources de matières premières comme le charbon et le minerai de fer pour minimiser les frais de transport. Cette contrainte a également stimulé des investissements significatifs dans les infrastructures de transport, comme les canaux et les chemins de fer, et a encouragé l'amélioration des routes existantes. Quand les chemins de fer sont devenus communs et que les bateaux à vapeur se sont répandus, la dynamique a radicalement changé. Le transport devenait moins coûteux et plus rapide, permettant aux usines plus grandes et centralisées de produire en masse et de vendre leurs produits dans des marchés élargis, profitant ainsi d'économies d'échelle. Cela a commencé à mettre en difficulté les petites usines locales qui ne pouvaient pas rivaliser avec la production à grande échelle et la distribution étendue des grandes entreprises, transformant en profondeur l'économie industrielle.

Les coûts élevés de transport au début de la Révolution industrielle ont effectivement créé une forme de protectionnisme naturel, préservant les industries naissantes locales de la concurrence des firmes plus grandes et plus établies. Ces frais de transport agissaient comme des barrières non officielles, isolant les marchés et permettant aux entreprises de se concentrer sur l'approvisionnement de la demande à proximité immédiate. À cette époque, la compétition était essentiellement locale ; une entreprise n'avait besoin que d'être compétitive dans un périmètre restreint, où les coûts prohibitifs du transport faisaient barrage à la concurrence lointaine. La Révolution industrielle, dans ses débuts, était fortement marquée par son caractère local et régional. En Angleterre, par exemple, c'est la région du Lancashire, autour de Manchester, qui a été le berceau de nombreuses innovations et développements industriels. De même, en France, le Nord et l'Alsace sont devenus des centres industriels clés, tout comme la Catalogne en Espagne et la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis. Ces régions bénéficiaient de leurs propres conditions favorables à l'industrialisation, telles que l'accès à des matières premières, des compétences artisanales ou des capitaux. À une échelle internationale, ces mêmes coûts de transport ont joué un rôle crucial dans la protection des industries continentales européennes contre la suprématie industrielle britannique. L'Angleterre, pionnière de l'industrialisation avec une avance technique significative, ne pouvait pas inonder facilement le reste de l'Europe de ses produits en raison de ces frais de transport élevés. Cela a offert un répit aux industries sur le continent, leur permettant de se développer et de progresser technologiquement, sans être submergées par la concurrence britannique. Dans ce contexte, les frais de transport élevés ont eu un impact paradoxal : ils ont restreint le commerce et la diffusion des innovations, mais en même temps, ils ont favorisé la diversification industrielle et le développement de capacités locales. C'est ce qui a permis à de nombreuses régions d'Europe et d'Amérique du Nord de poser les bases de leur propre essor industriel avant l'ère de la globalisation des échanges et de la distribution à grande échelle.

Le développement des infrastructures de transport, en particulier des chemins de fer, dans la seconde moitié du XIXe siècle a considérablement réduit les coûts et les temps de déplacement. Le train, en particulier, a révolutionné le transport des marchandises et des personnes, rendant possible le commerce à plus longue distance et avec des frais nettement réduits par rapport aux méthodes traditionnelles comme le transport par charrettes, à cheval ou par voie navigable. Cette réduction des coûts de transport a eu des conséquences majeures sur l'organisation industrielle. Les petites industries, qui avaient prospéré dans un contexte de coûts de transport élevés et qui étaient de ce fait protégées de la concurrence extérieure, ont commencé à ressentir la pression des entreprises plus grandes et technologiquement avancées capables de produire en masse. Ces grandes entreprises pouvaient désormais étendre leur portée commerciale, distribuant leurs produits sur des marchés bien plus étendus. Avec le chemin de fer, les grandes entreprises pouvaient non seulement atteindre des marchés éloignés, mais également profiter des économies d'échelle en centralisant leur production dans des usines de plus grande taille, ce qui réduisait leurs coûts unitaires. Elles pouvaient ainsi offrir leurs produits à des prix que les petites industries locales, avec des structures de coûts plus élevés, ne pouvaient pas concurrencer. C'est dans ce contexte que beaucoup de petites entreprises ont été contraintes de fermer leurs portes ou de se transformer, alors que les régions industrielles précédemment isolées se sont intégrées dans une économie nationale et même internationale. Le paysage industriel a été remodelé, favorisant les zones avec un accès privilégié aux nouvelles infrastructures de transport, et a jeté les bases de la mondialisation des marchés que nous connaissons aujourd'hui.

Les conditions sociales en matière d’emploi[modifier | modifier le wikicode]

Carreau de mine de La Houve à Creutzwald (Lorraine).

La Révolution industrielle a apporté des changements profonds dans la structure sociale, notamment à travers le mouvement de la population des campagnes vers les villes. Ce déplacement massif était en grande partie dû aux enclosures en Angleterre, par exemple, qui ont poussé de nombreux paysans hors de leurs terres traditionnelles, ainsi qu'aux transformations agricoles qui ont réduit le besoin de main-d'œuvre. Les paysans sans terre et ceux qui avaient perdu leur moyen de subsistance en raison de l'introduction de nouvelles méthodes agricoles ou de la mécanisation se sont retrouvés à chercher du travail dans les villes, où les usines industrielles émergentes avaient besoin de main-d'œuvre. Cette migration n'était pas motivée par l'attrait d'une amélioration sociale, mais par la nécessité. Les emplois dans l'industrie offraient des salaires souvent bas et des conditions de travail difficiles. L'absence de législation sociale à cette époque signifiait que les travailleurs étaient très peu protégés : ils travaillaient de longues heures dans des conditions dangereuses et insalubres, sans sécurité d'emploi, sans assurance contre les accidents du travail, et sans droit à la retraite. Les historiens parlent souvent de la "fluidité sociale négative" pendant cette période pour décrire le phénomène où les individus, loin de gravir l'échelle sociale, étaient plutôt entraînés dans un milieu de travail précaire et souvent exploiteur. Malgré cela, pour beaucoup, le travail en usine représentait l'unique opportunité de gagner leur vie, même si cela signifiait endurer des conditions difficiles. Ce n'est que progressivement, souvent à la suite de crises, de luttes syndicales et de pressions politiques, que les gouvernements ont commencé à mettre en place des lois pour protéger les travailleurs. Les premières lois sur le travail des enfants, les conditions de travail, les heures de travail et la sécurité ont jeté les bases des systèmes de protection sociale que nous connaissons aujourd'hui. Mais ces changements ont pris du temps et beaucoup ont souffert avant que ces protections ne soient instaurées.

Les conditions de travail pendant la Révolution industrielle reflétaient la dynamique du marché de l'époque où l'offre excédentaire de main-d'œuvre permettait aux employeurs d'imposer des salaires très bas. Les femmes et les enfants étaient souvent employés parce qu'ils constituaient une main-d'œuvre encore moins chère que les hommes adultes et parce qu'ils étaient généralement moins enclins à se syndiquer et à revendiquer de meilleures conditions de travail. Ces groupes étaient souvent payés à une fraction du salaire des hommes adultes, ce qui augmentait encore la marge de profit des entreprises. Dans ce contexte, le salaire versé aux ouvriers n'était souvent que le minimum vital, calculé selon ce qui était strictement nécessaire pour la survie du travailleur et de sa famille. Cette approche, parfois décrite comme un "salaire de subsistance", ne laissait guère de place à l'épargne personnelle ou à l'amélioration du niveau de vie. L'absence de régulations et de protections sociales a eu pour conséquence directe la mise en place d'un système où la baisse des salaires pouvait être utilisée comme un levier pour augmenter les marges de profit. Les entrepreneurs de la Révolution industrielle, souvent loués pour leur ingéniosité et leur esprit d'entreprise, ont également profité d'un système où les coûts de production pouvaient être compressés au détriment du bien-être des travailleurs. Le fait que les profits ne devaient pas être partagés signifiait que les propriétaires d'usines pouvaient réinvestir une plus grande partie de leurs bénéfices dans l'expansion de leurs entreprises, l'achat de nouvelles machines et l'amélioration des processus de production. Cela a sans doute contribué à l'accélération de l'industrialisation et à la croissance économique globale, mais cette croissance est venue à un coût social élevé. Il a fallu des décennies de lutte des travailleurs, de militantisme social et de réformes législatives pour commencer à créer un environnement de travail plus équilibré et juste, où les travailleurs bénéficiaient de protections et d'une part plus équitable des fruits de la croissance économique.

L'industrialisation, spécialement durant ses premières phases, a bénéficié de manière significative de la participation de la main-d'œuvre féminine et enfantine, souvent dans des conditions qui seraient considérées comme inacceptables aujourd'hui. Le secteur du textile, par exemple, a massivement recruté des femmes et des enfants, en partie parce que les machines nouvellement inventées nécessitaient moins de force physique que les précédentes méthodes de production manuelles. La dextérité et la précision devenaient plus importantes que la brute force, et ces qualités étaient souvent associées aux travailleuses féminines. En outre, les employeurs pouvaient payer les femmes et les enfants moins cher que les hommes, augmentant ainsi leurs profits. Dans le contexte de l'époque, le travail des enfants n'était pas réglementé au début de la Révolution industrielle. Les enfants étaient souvent employés pour des tâches dangereuses ou dans des espaces confinés où les adultes ne pouvaient pas facilement travailler. Leurs salaires étaient dérisoires par rapport à ceux des hommes adultes, souvent jusqu'à dix fois moins. Cela a renforcé la position avantageuse des employeurs : l'abondance de main-d'œuvre disponible faisait baisser les salaires globalement et augmentait la concurrence pour l'emploi, ce qui a contribué à la précarité de la situation des travailleurs. Les femmes recevaient environ un tiers du salaire des hommes pour le même travail, une disparité qui reflétait les normes sociales de l'époque, où le travail féminin était souvent considéré comme moins valuable. Cette exploitation de la main-d'œuvre féminine et enfantine est aujourd'hui vue comme une des périodes les plus sombres de l'histoire occidentale, et a conduit à l'émergence des premières lois sur le travail des enfants et à un examen plus critique des conditions de travail au sein des industries naissantes. Ainsi, si l'industrialisation a apporté des avancées économiques et techniques majeures, elle a également souligné la nécessité d'une réglementation pour protéger les travailleurs les plus vulnérables de l'exploitation. Les mouvements sociaux et les réformes qui ont suivi ont été motivés par la reconnaissance que le progrès économique ne devrait pas se faire au détriment de la dignité et de la santé des individus.

La diversité des pratiques de gestion parmi les employeurs de l'époque de la Révolution industrielle reflétait les différentes attitudes sociales et économiques. D'un côté, certains patrons, motivés principalement par la maximisation des profits, choisissaient d'embaucher des femmes et des enfants, qui pouvaient être payés beaucoup moins que les hommes. Cette stratégie de réduction des coûts leur permettait d'offrir des prix plus compétitifs et de réaliser des bénéfices plus importants. Les conditions de travail dans ces entreprises étaient souvent très dures, et le bien-être des employés n'était généralement pas une priorité. D'un autre côté, il y avait des patrons qui adoptaient une approche plus paternaliste. Ils pouvaient choisir d'embaucher uniquement des hommes, en partie à cause de la croyance répandue que le rôle de l'homme était de subvenir aux besoins de la famille. Ces employeurs pouvaient se considérer comme responsables du bien-être de leurs employés, souvent en fournissant des logements, des écoles ou des services médicaux. Cette approche, bien que plus humaine, était aussi une façon de s'assurer une main-d'œuvre stable et dévouée. Dans les entreprises où prévalait cette mentalité paternaliste, il pouvait y avoir un sentiment d'obligation morale ou une responsabilité sociale perçue envers les employés. Ces patrons pouvaient croire que prendre soin de leurs ouvriers était non seulement bon pour les affaires, en maintenant une main-d'œuvre productive et loyale, mais aussi un devoir envers la société. Ces deux approches reflètent les attitudes complexes et souvent contradictoires de l'époque envers le travail et la société. Alors que les conditions de travail pour les femmes et les enfants dans les usines étaient souvent difficiles et dangereuses, les premières lois sur le travail, comme la Factory Act de 1833 en Grande-Bretagne, ont commencé à mettre des limites à l'exploitation des travailleurs les plus vulnérables. Ces réformes étaient le début d'un long processus d'amélioration des conditions de travail qui continuerait bien après la fin de la Révolution industrielle.

La simplicité de la technique[modifier | modifier le wikicode]

L'adaptation des compétences des travailleurs durant la première phase de la Révolution industrielle a été relativement aisée pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les premières technologies industrielles n'étaient pas radicalement différentes de celles utilisées dans la proto-industrie ou les ateliers artisanaux. Les machines comme le métier à tisser mécanique étaient plus rapides et plus efficaces que leurs prédécesseurs manuels, mais les principes de base de l'opération étaient similaires. Ainsi, les paysans et les artisans qui avaient déjà des compétences dans le travail manuel pouvaient se reconvertir sans grande difficulté dans l'industrie naissante. En outre, le design relativement simple des premières machines industrielles permettait leur reproduction par ceux qui souhaitaient entrer dans l'industrie ou élargir leur production sans nécessiter un transfert complexe de connaissances. Ce qui pouvait être vu comme un manque de protection de la propriété intellectuelle à l'époque a en fait favorisé la diffusion rapide de l'innovation technologique et la croissance de nouvelles industries. Cependant, cette facilité d'accès aux compétences industrielles initiales avait des implications sociales et éducatives. Dans une Angleterre largement illettrée en 1830, l'éducation n'était pas encore considérée comme essentielle pour la majorité de la population ouvrière. Le manque d'éducation contribuait à une main-d'œuvre qui était perçue comme plus maniable et moins susceptible de remettre en question l'autorité ou de revendiquer de meilleurs salaires ou conditions de travail. Certains industriels et lobbies d'affaires voyaient l'éducation de masse comme une menace potentielle à cet état de choses, car une population plus instruite pourrait devenir plus consciente de ses droits et plus exigeante sur le plan social et économique. Ce n'est que bien plus tard, avec la montée des technologies plus complexes comme la machine à vapeur et la mécanique de précision, que la formation de la main-d'œuvre est devenue plus nécessaire et plus spécialisée, menant à une valorisation de l'éducation technique. Cela a aussi marqué le début d'un changement dans l'attitude envers l'éducation des ouvriers, car les compétences de lecture, d'écriture et de calcul devenaient de plus en plus nécessaires pour opérer et entretenir les machines complexes de l'ère industrielle avancée. L'introduction de l'éducation primaire obligatoire en 1880 en Angleterre a été un tournant, reconnaissant finalement l'importance de l'éducation pour le développement individuel et la croissance économique. Elle a marqué le début d'une prise de conscience que l'éducation pouvait et devait jouer un rôle dans l'amélioration des conditions de vie des classes laborieuses et dans la promotion de la mobilité sociale.

La Révolution industrielle a marqué une transformation radicale de la structure socio-économique en Europe, et au-delà. En effet, après des siècles où la majorité de la population vivait dans des sociétés agraires, dépendantes des cycles naturels et de la production agricole, ce nouveau paradigme a introduit un changement drastique. Les progrès technologiques, l'essor de l'entrepreneuriat, l'accès à de nouvelles formes de capital et l'exploitation de ressources énergétiques comme le charbon et plus tard le pétrole ont été des moteurs de ce bouleversement. La machine à vapeur, l'innovation dans les procédés de fabrication comme la production de l'acier, l'automatisation de la production textile et l'avènement des chemins de fer ont tous joué un rôle crucial dans l'accélération de l'industrialisation. Cette période de changement rapide a également été alimentée par une croissance démographique soutenue, qui a fourni à la fois un marché pour les nouveaux produits et une main-d'œuvre abondante pour les usines. Le développement des villes a été spectaculaire, attirant les populations rurales par la promesse d'emploi et de meilleures conditions de vie, bien que souvent cette promesse ne soit pas tenue, entraînant des conditions de vie urbaines difficiles. L'économie a commencé à se spécialiser dans la production industrielle plutôt que dans l'agriculture, et le commerce international s'est développé pour soutenir et étendre ces nouvelles industries. Les États-nations ont commencé à investir dans l'infrastructure et à réglementer l'économie pour favoriser l'industrialisation. Le contexte social a également changé. Les anciennes hiérarchies ont été remises en question et de nouvelles classes sociales ont émergé, notamment une bourgeoisie industrielle et une classe ouvrière prolétarienne. Ces changements ont posé les bases des sociétés modernes, avec leurs enjeux politiques, économiques et sociaux propres. Cependant, la transition de sociétés agraires en sociétés industrielles n'a pas été sans défis. Elle a apporté des inégalités sociales et économiques, des conditions de travail souvent déplorables, et a eu un impact environnemental significatif qui continue de se faire ressentir aujourd'hui. Malgré cela, la dynamique mise en place par la Révolution industrielle est à l'origine de la croissance économique sans précédent et du développement technologique qui ont façonné le monde contemporain.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]