L’Algérie française : le caractère destructeur d’une colonie « mixte »

De Baripedia

La situation précoloniale est celle du Maghreb d’avant la prise d’Alger de 1830. Quelles sont les caractéristiques de l’Algérie précoloniale, mais aussi du Maghreb ?

Le Maghreb d’avant la prise d’Alger

Combat aux portes d'Alger en 1830.

La première caractéristique correspond aux effectifs humains. Vers 1830, le Maghreb est environ de 10 millions d’habitants alors qu’à la même période l’Inde britannique est d’environ 120 millions d’habitants. Le Maghreb a une densité de peuplement plus marquée qu’en Amérique, mais sa densité est très loin d’atteindre celle des grands empires asiatiques.

Au moment de la prise d’Alger, on retient 3 millions d’habitants pour l’Algérie, le Maroc qui est toujours plus grand sur le plan démographique est peut-être de 7 millions tandis que la Tunisie a une densité démographique d’environ 1 million. Les 3 millions apparaissent comme très peu par rapport à sa future métropole qu’est la France. L’Algérie apparaît, vue de l’hexagone, comme un territoire peu peuplé.

À la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle, le Maghreb est mal en point, accablé d’épidémies de peste, de variole et d’événements climatiques qui engendrent des disettes et des famines. Les populations d’Ancien Régime sont soumises à des phases de mortalité. La croissance démographique est faible, voire nulle, mais cela va changer notamment pour l’Algérie coloniale étant même inattendue.

1830 2010
France 33 63
Algérie 3 36

Le rapport entre la population de la colonie et la métropole en 1930 est de 1 à 11, c’est une illusion d’optique : la France parait très peuplée par rapport à une Algérie qui apparaît comme un désert démographique.

En 2010, le rapport est passé de 1 à 2. L’image qui prévaut aujourd’hui est celle d’un Maghreb et plus particulièrement d’une Algérie qui souffre d’une surcharge démographique alors qu’à la veille de la colonisation française la situation était inverse au niveau de la perception.

La seconde caractéristique est une société qui manque de cohésion, la troisième caractéristique est fondée sur l’agriculture et l’élevage.

L’Algérie précoloniale et le Maghreb précolonial se caractérisent par une distribution de la propriété foncière qui est très égalitaire entre ceux qui importent et qui détiennent la terre or cela va changer durant la période coloniale.

Avant 1830 la distribution de la propriété foncière apparait comme assez égalitaire, en revanche, les techniques de production sont peu évoluées qui renvoient au niveau de développement économique.

Nous avons affaire à des économies qui vivent au ralenti dans un « équilibre de la stagnation ».

Avant la conquête française de 1830, les régences d'Alger et de Tunis font partie de l'Empire ottoman.

Il faut rappeler qu’il y a eu avant l’occupation française l’occupation des arabes. Les populations maghrébines sont islamisées à partir du VIIIème siècle, l’occupation va de 755 à 1516, puis va succéder de 1516 à 1830 une occupation ottomane. Ce sont deux occupations beaucoup plus longues que la présence française.

Il faut comparer l’occupation ottomane et l’occupation française afin d’avoir un terme de comparaison.

Lorsqu’en Algérie on parle d’occupation et de colonisation ottomane, il faut y mettre la manière et avancer comme sur un terrain miné. Autant pour la France, il n’y a aucun problème, mais il y a une différence, quelle est-elle ?

Les Turcs ottomans sont une oligarchie militaire turque à la tête du territoire algérien d’aujourd’hui qui ne contrôle pas tout le pays. Cela suffit d’occuper militairement certaines portions du territoire algérien et au fond, ce qui intéresse cette oligarchie militaire sont les villes côtières tandis que l’arrière-pays est laissé aux chefs locaux qui disposent d’une grande autonomie.

La volonté du pouvoir central ottoman, qui est le sultan de Constantinople, n’est pas de s’étendre à tout le pays ni de s’imposer à tous, le résultat est que les structures en place ne sont pas modifiées. Le turc ottoman laisse en place ce qu’il trouve.

L’occupation sert à prélever l’impôt, c’est l’unique règle à laquelle obéissent tous les sujets consistant en une reconnaissance dans la figure du sultan le paiement d’un impôt.

L’autre caractéristique de la société algérienne est son émiettement dans les villes côtières. Dans les villes américaines, il y a le milieu naturel, on retrouve des éléments qui se combinent afin de nous donner la situation de départ et puis il y a le poids des hommes.

Dans l’Algérie précoloniale, il y a des invasions, des migrations qui font dans les villes côtières des lieux de brassage entre les différents éléments ne faisant toutefois pas disparaitre une hiérarchisation entre groupes. Il faut noter que le Maroc n’a jamais reconnu la suzeraineté ottomane.

Les turcs sont au sommet, numériquement faible sont les dominants considérant le reste de la population comme des inférieurs. Il y a le même sentiment au sommet chez les andalous qui sont les descendants de Maurs chassés d’Espagne et qui trouvent asile au Maghreb, au Maroc en Tunisie, mais aussi en Algérie, puis plus bas il y a les noirs parfois soldats ou domestiques dans les caravanes du Sahara qui pourvoient les marchés formant la traite transsaharienne.

Au dernier degré de l’échelle, il y a les juifs méprisés au Maghreb et surtout au Maroc. En réalité la condition des juifs est inégale :

  • les juifs indigènes sont en Algérie depuis très longtemps, ce sont les plus humbles.
  • les juifs livournais forment un amalgame de juifs d’origine ibérique ou italienne engagés dans le commerce international, refoulés de la péninsule ibérique pour la plupart, sont bien lotis, regardant vers l’Europe disposée à s’adapter aux changements. C’est une partie de la communauté juive ouverte dans le monde, engagée dans le commerce international et disposant d’un patrimoine les distinguant des juifs indigènes.

L’émiettement est aux villes où la fragmentation est évidente, mais dès lors qu’on passe les frontières des villes l’émiettement des juifs, turcs et noirs s’efface devant les millions d’arabes et de berbères. Ce qui distingue les arabes et les berbères sont la langue et la culture.

Tous ces éléments contribuent à faire obstacle à l’intégration de la société. La Tunisie est la plus totalement arabisée des pays maghrébins, la plus islamisée, la moins morcelée du point de vue géographique offrant plus d’homogénéité que le Maroc et l’Algérie.

Le secteur primaire domine, la richesse actuelle, c’est-à-dire l’activité dont l’Algérie tire le plus de revenus aujourd’hui, sont les hydrocarbures, mais ces gisements sont exploités qu’à la fin des années 1950. Nous sommes en présence d’une économie où l’agriculture d’élevage et céréalière domine.

L’un des traits du système socioéconomique en place est le caractère relativement égalitaire de la propriété foncière.

En Algérie, il y a des régions où la population est sédentarisée, dans d’autres régions il y a des nomades qui cultivent également la terre, enfin il y a des propriétaires terriens qui ne cultivent pas la terre, ainsi il existe des paysans sans terre.

Les régions sédentarisées sont des propriétés parcellaires exploitées directement par le paysan propriétaire et sa famille. Des parcelles et des terres cultivables, exploitées directement par une paysannerie qui possède la terre, ce sont des exploitations familiales de faible étendu.

La situation des nomades est plus compliquée. Il y a des tributs dont chacune dispose d’un territoire, ces terres tribales sont de vastes dimensions, leurs possessions est reconnue. Chaque tribut possède un territoire dont la possession est reconnue par les autres tributs et le souverain qui est le sultan.

Dans les régions où dominent des populations nomades, chacun fait partie d’une tribu dont l’appartenance donne un droit d’exploitation des terres de la tribu. Cependant, ces terres ne sont pas collectives, chaque famille a des parcelles qu’elle est en mesure de cultiver, il n’y a pas de titre de propriété qui fasse la preuve des droits de chacun, mais la portion familiale des parcelles cultivées est légitimée par le travail devenant continu et une possession héréditaire.

Autrement dit, il y a une paysannerie sédentaire qui possède la terre et chez les nomades ce système qui fait que chaque membre de tribu et sa famille a la possibilité de cultiver et c’est le travail sur la terre qui légitime le titre de propriété devenant continue et héréditaire.

Il existe de grands domaines que leurs propriétaires n’exploitent pas comme les terres cédées à des mosquées, les terres du souverain et de grandes familles, mais aussi les propriétés des citadins. L’existence de ces différents types de propriétés implique celle de paysans non-propriétaires.

Afin de retrouver la caractéristique sur laquelle nous insistons, les paysans pauvres sans terre auxquelles échappe une partie de leurs profits sont toutefois dans l’Algérie coloniale en nombre limité. Autrement dit, en Algérie et au Maghreb précolonial, il y a un personnage qui n’apparaît pas dans le décor social qui est le prolétaire rural.

Ce qui domine est la petite exploitation, la petite propriété et la petite exploitation familiale sur lesquelles pèse principalement la charge fiscale.

Il y a des grands domaines, des familles puissantes qui jouissent de pouvoirs de commandant, les grandes familles parviennent à imposer à leurs dépendants des corvées, mais pour autant ça ne conduit pas à une féodalisation de la société maghrébine. Le processus n’est pas poussé suffisamment loin pour modifier les rapports sociaux, les paysans algériens sont jusqu’à la période coloniale en mesure de garder leurs terres.

Cette distribution de la propriété, les dimensions des exploitations, les modes d’exploitation rendent compte de l’équilibre de la société maghrébine précoloniale : ce sont des sociétés peu étoffées démographiquement, d’une manière générale, elles manquent d’homogénéité et se stabilisent à un niveau technique assez bas.

Le Maghreb ne tient pas la comparaison sur ce registre avec l’Europe occidentale. Il y a un milieu naturel ingrat, les écarts thermiques sont importants à mesure que l’on se déplace de la mer, la pluviométrie est irrégulière. Contre ce milieu naturel ingrat, le paysan maghrébin peine à innover en matière de méthodes culturales et d’outillage agraire. Il n’y a pas d’association étroite entre agriculture et élevage qui est une voie de sortie pour une culture caractérisée par un développement bas.

La charrue est une charrue très simple appelée l’araire qui n’est pas en mesure de retourner la terre de façon à emmagasiner les pluies irrégulières ne faisant que rayer le sol pour enfouir la semence. Pour les troupeaux, il y a l’absence de réserves fourragères en en faisant des troupeaux chétifs.

Les cas de jachère avec une pratique d’assolement sont très rares, il y a des situations où les terres sont abondantes et les hommes plutôt rares incitant à une rotation plutôt rare, mais sans périodicité fixe.

  • Est-ce que les choses changent dans les zones où l’occupation est intensive ?

Même dans ces zones on note l’inertie des méthodes et des instruments de culture. La phase le plus souvent choisit afin de faire ce diagnostic précolonial, l’Europe à ce moment-là est en voie d’industrialisation précédée selon un schéma classique d’une révolution agricole.

En comparaison à l’Europe ainsi engagée dans une industrialisation, le Maghreb apparaît comme vivre au ralentie soit « un équilibre de la stagnation ». Les sociétés maghrébine et notamment algérienne trouvent un équilibre, l’important est que la colonisation va rompre cette routine et violemment.

Échec du peuplement agricole européen

Carte chronologique de la conquête et de la formation territoriale de l'Algérie.

Si on considère le deuxième empire colonial français, l’Algérie apparaît comme quelque chose de très particulier. La France s’est mise en tête de faire de ce territoire une colonie de peuplement payant le prix du sang et le coût financier de la conquête.

Si l’objectif est atteint, l’Algérie devra être peuplée d’européens et principalement de français qui viendraient s’installer sur les terres.

Dans le cadre de la colonisation française de deuxième type à partir des années 1850 – 1860 – 1870 il y a un autre type d’expérience de peuplement qui est la Nouvelle-Calédonie.

La colonisation peut paraitre au départ comme un projet, l’Algérie apparaît au départ comme un territoire peu peuplé, la conservation de l’Algérie peut justifier la conquête et le prix du sang et financier. On envoie une population européenne afin de contenir la résistance des arabes.

On considère que la conquête de l’Algérie se termine en 1870 dans le contexte de l’industrialisation en France.

On a beaucoup de peines afin de fixer le début de la révolution industrielle en France. On considère que les années 1830 – 1840 qui sont les débuts de l’industrialisation entrainant des difficultés sur le plan social. L’idée apparaissant de faire de l’Algérie une sorte d’exutoire à l’excèdent de la population française et surtout régler la question du coût social de l’industrialisation.

La Grande-Bretagne au moment où elle vie des changements de fond structurels, a la possibilité d’envoyer au loin un excèdant de population comme une sorte de soupape.

C’est un plan de colonisation comme il en apparut beaucoup « la France possède une population surabondante, ses frontières sont devenues trop étroite, et le désert démographique algérien est a ses portes ». Seulement, assez rapidement, à partir des années 1850 – 1860, à la faveur de recensements de population, de démembrement, d’enquêtes diverses, la France se découvre un pays de faible fécondité, un pays d’immigration et non pas d’émigration.

La France n’a en réalité, et cela apparaît au dernier temps de la conquête de l’Algérie, ni le besoin de peupler l’Algérie, ni les moyens.

Le résultat est que la France va vouloir peupler l’Algérie. À partir du moment dans les années 1850 – 1860 où on se rend compte qu’on ne peut pas, ce sont des arabophiles parmi lesquels quelques fonctionnaires connaisseurs des réalités algériennes qui ont émit l’idée de changer de politique démographique.

L'empereur Napoléon III salue les « colons français et les Arabes » depuis le balcon de la sous-préfecture de Mostaganem (département d'Oran) lors de sa visite officielle en Algérie le 20 mai 1865. Croquis de M. Moulin paru dans Le Monde Illustré, 1865.

Ces milieux, se rendent compte de la situation et parviennent à convaincre Napoléon III qu’il faut changer de politique et de cap, tourner le dos à la politique de peuplement. Napoléon III va recevoir de ses adversaires le titre d’Empereur des Arabes qui voudra attacher ceux-ci au sol en leur donnant des titres de propriété plutôt que laisser les arabes garder leurs terres et leurs en donner au lieu de faire venir quelques milliers de colons inadaptés au pays.

Cette politique va susciter une très forte opposition, les partisans de la colonisation illimitée sont très nombreux en Algérie notamment parmi les grands colons. À partir des années 1850 – 1860 il y a une première distribution des terres.

Le poids des intérêts coloniaux, des arguments patriotiques, ce poids sur les milieux politiques français va faire échouer ce qui était une grande idée de Napoléon III qui rétrospectivement avait raison.

Cette idée avait le grand mérite de prendre en compte ce que nous appellerions les conditions initiales parmi lesquelles le poids de hommes. Cette idée avait le mérite de prendre en compte le fait que la population musulmane était et resterait largement majoritaire en Algérie.

À partir des années 1870, la politique algérienne de la France reprend son orientation initiale en donnant la priorité au peuplement européen avec des résultats mitigés.

Tout dépend du terme de comparaison que l’on choisit. Soit l’on reste à l’intérieur du domaine coloniale français auquel cas l’Algérie apparait comme une expérience qui se démarque des autres, soit on prend les expériences de colonisation de peuplement réussies dans les Amérique et dans le Pacifique auquel cas l’Algérie en est très loin.

Comparée à d’autres possessions en Asie et en Afrique, l’Algérie peut prétendre au statut de colonie de peuplement. En 1880, il y a 400000 européens installés alors que les européens sont noyés dans les masses indigènes en Asie et en Afrique subsaharienne, toutefois, en Algérie, cela correspond à 10% de la population totale. Si on regarde l’évolution du nombre des européennes rapporté à la population algérienne dite musulmane, les européens vont constituer une fraction de la population maximum au début du XXème siècle avec 14%. C’est le record atteint en Algérie.

L’Algérie ne ressemble pas à la quasi-totalité des colonies en Asie et en Afrique, mais pour autant ce n’est pas une expérience qui peut être rapprochée de ce qui va se passer en Amérique du Nord et dans le Pacifique, au fond, l’Algérie est entre les deux, c’est pourquoi on la caractérise de colonie mixte.

La colonie mixte fait cohabiter deux populations numériquement inégales, toutefois les européens constituent une forte minorité ; de bout à bout, les européens ne parviennent pas à l’emporter.

Une colonie mixte se rapproche de l’Algérie à savoir l’Afrique du Sud où la population blanche constitue une minorité plus forte, mais une minorité quand même. Selon le dernier recensement de la population générale de l’Afrique du Sud, les colors ont dépassé en nombre celui des européens blancs.

Jamais ces expériences ne parviennent à atteindre le but visé qui est de surpasser la population indigène. Au contraire, les privilèges des minoritaires européennes sont condamnés à disparaitre à terme face à la revendication de la masse des populations autochtones. C’est pour cela que nous avons en Algérie à la fin de la période coloniale le rapatriement des européens d’Algérie et qu’en 1991 il y a le démantèlement de l’apartheid, ce n’est pas tenable.

La formule mixte de la colonisation est une situation explosive, c’est la suprématie blanche sans les effectifs.

La formule de la colonisation mixte est beaucoup plus inégalitaire en Afrique du sud, L’un des signes est que la minorité blanche accapare en Afrique du sud une fraction des terres beaucoup plus grande qu’en Algérie soit 87% des terres cultivées en mains des européens alors qu’en Algérie on estime que 25% des superficies des surfaces cultivées sont en main européenne. Au-delà de ces petites différences, l’Algérie et l’Afrique du Sud relèvent du même type colonial en raison de l’inégalité dans la répartition des populations et des richesses.

Une fraction minoritaire de la population possède une proportion trop importante par rapport à son importance numérique des richesses.

Afin de faire le lien avec la typologie américaine, la colonisation mixte engendre une situation d’extrême inégalité qui rappelle les deux premières catégories de colonies américaines.

Le fait que la colonisation française s’achève par une guerre qui dure longtemps, coûte cher et fait beaucoup de victimes n’est pas si étonnant lorsqu’on présente les choses de cette façon.

L’écart est entre le projet de faire de l’Algérie une colonie de peuplement et un type d’implantation qui ne rappelle pas du tout le projet initial.

Les résultats de la politique de peuplement sont mitigés, dans un premier temps les objectifs sont atteints, mais assez rapidement la population européenne va plafonner.

La population dénombrée comme française en Algérie dans un premier temps, si l’on s’en tient aux données chiffrées des recensements, cette population est multipliée par plus de 10 entre le recensement de 1856 et celui de 1954.

À première vue c’est quelque chose d’assez spectaculaire ou performant. Cette augmentation est due moins à l’immigration et à l’accroissement naturel des français venus de l’hexagone qu’à l’assimilation des étrangers européens et des juifs algériens.

On s’achemine vers une communauté européenne en Algérie qui va être composée de français d’origine, d’européen non-français comme des espagnols, des italiens, des maltais, des allemands mais aussi des suisses, il y a également des juifs algériens.

En 1880, les émigrants venus d’Espagne, d’Italie et de Malte forment une population plus importante que les français puisqu’ils sont poussés par la misère tandis que les français sont les exclus de la révolution industrielle.

C’est une situation inédite. Dans les années 1880, les émigrants européens non-français sont plus nombreux que les émigrants français. Se pose la question de la souveraineté française sur l’Algérie.

Afin d’assurer sa souveraineté, on va imaginer une législation qui va faire des européens non-français des français et des juifs algériens des français.

Une loi de 1889 ordonne la naturalisation automatique de tout étranger né en Algérie s’il ne réclame pas à sa majorité la nationalité d’origine de son père. Selon le droit du sol on peut être naturalisé automatiquement s’il n’est pas réclamé la nationalité d’origine de son père.

En même temps, la catégorie des français est gonflée avec à partir de 1870 un décret qui naturalise collectivement les juifs d’Algérie. Zn 1870 ils sont 30000 et en 1954 ils sont 140000. Les juifs algériens vont, avec le temps, remarquablement s’occidentaliser en tant que citoyen français. Ils vont parler le français, s’habiller à l’européenne, envoyer leurs enfants à l’école de la République.

En 1962 au moment du repli, les juifs algériens naturalisés français se rendront en masse dans la quasi-totalité en France et non pas en Israël.

À partir de 1896, ce processus d’assimilation et un fait et est réussi, on va faire en sorte qu’émerge en Algérie une communauté française. À partir de 1896 le nombre de français né en Algérie dépasse celui des immigrés, émerge un peuple que l’on appelait à l’époque un « peuple nouveau » appelé les pieds noirs.

Cette communauté d’européens d’origine française ou étrangère va faire la même chose que les émigrants britanniques en Amérique du nord qui vont à partir d’un moment s’appeler eux-mêmes les américains. Ces français d’Algérie vont s’appeler des algériens.

Emerge un sentiment d’identité au sein de cette communauté d’européens qui pourtant ne pourra pas se muer en un patriotisme indépendantiste même s’il y a eu avec le patriotisme pieds noirs des velléités de se séparer de la France.

En 1954, près de 80% des européens sont nés en Algérie. Autrement dit, le terme consacré de rapatriement en 1962 est inapproprié puisqu’au fond il ne s’agit pas de ramener dans leur patrie des français nés dans l’hexagone, mais il s’agit de déplacer des populations nées pour la plupart en Algérie, c’est un déracinement et un exile.

L’Algérie ne peut donc avoir la même destinée que les treize colonies d’Amérique du Nord, encore une fois c’est la démographie : la faiblesse numérique de ce peuple dit pied-noir par rapport à la majorité musulmane rend impossible toute séparation d’avec la métropole à moins de choisir la formule sud-africaine.

La voie radicale est le développement séparé, mais en Afrique du Sud les européens sont deux fois plus nombreux que les européens en Algérie.

Le peuplement européens en Algérie va plus loin que dans une colonie d’exploitation type en Asie et en Afrique. Ce peuplement va moins loin qu’en Afrique du sud et il n’y a aucune comparaison possible avec les colonises de peuplement en Amérique du nord et dans le Pacifique. De fait, la population dite européenne, c’est-à-dire les français d’origine ou les européens non-français naturalité, les juifs algériens, mais aussi les européens non-naturalisés, tous ces groupes constituent la catégorie des européens.

Ces européens ne s’accroissent plus rapidement que les indigènes musulmans que durant les quarante premières années de la présence française. De 1830 à 1870 on est dans un processus qui aurait effectivement fait accroitre le nombre des européens.

À partir des années 1870, c’est le contraire qui se passe, il y a un basculement du rapport démographique entre communautés, mais pas le basculement attendu. L’accélération de l’accroissement naturel de la population musulmane fait que la population européenne ne dépassera jamais le taux maximum de 14% atteint au début du XXème siècle et va descendre par la suite à moins de 10% en 1962 avant l’exode final.

La raison profonde de l’échec du peuplement européen doit être comparée aux expériences qui ont réussi comme les treize colonies d’Amérique du Nord. C’est à la lumière de ce succès qu’on peut expliquer son échec en Algérie.

On ne retrouve pas la même situation de départ en Algérie et en Amérique du Nord, cela ne pouvait pas fonctionner. Si l’on s’en tient à cela, cette politique de peuplement agricole européen était destinée à échouer en Algérie.

La colonisation agricole des treize colonies d’Amérique du nord intervient au XVIIème siècle et au XVIIIème siècle et non pas au XIXème siècle. Le gros de l’immigration européenne date d’après les années 1840, mais à partir de ce moment-là ,les immigrants se concentrent dans les centres urbains.

L’arrivée d’européens donne lieu à deux type d’implantations différenciées :

  • les colonies du nord basées sur un peuplement agricole européen.
  • les colonies du sud basées sur la plantation et l’esclavage.

L’ambition française et de faire de l’Algérie une colonie à l’image des colonies américaines du nord et plus précisément des middle colonies au nord est du littoral Atlantique.

  • Qu’est-ce qui explique la réussite dans un cas et marquer les différences pour l’Algérie ?

C’est une région qui n’offre pas certaines possibilités. Elle n’offre pas la perspective du pillage de métaux précieux et ne permet pas la mise en place d’une colonie de plantation esclavagiste fondée sur des produits tropicaux hautement rentable.

Le climat tempéré des parties septentrionales et centrales du littoral Atlantique des actuels États-Unis, offre quelque chose de particulier à l‘immigration européenne qui sont des conditions adéquates à leur installation, à l’installation de colons accompagnés de leur famille et permet ainsi l’épanouissement d’une économie basée sur l’exploitation familiale et tournée vers des activités agricoles diversifiées appelées aussi des activités de type tempéré que sont la céréaliculture et l’élevage.

Le poids des hommes permet le peuplement agricole européen dans les colonies du nord, mais l’essor et le succès de ce type d’implantations tient d’un facteur particulier.

Il y a en Amérique du Nord une absence de cohabitation entre population autochtone et immigrée. Cette absence est facilitée en Amérique du Nord par deux facteurs qui ont beaucoup moins d’influence en Algérie :

  • très faible densité de peuplement.
  • les populations amérindiennes sont victimes du choc microbien.

Les immigrants européens qui arrivent en Amérique du Nord trouvent une place nette, ce n’est pas le cas en Algérie. Le drame de l’expérience algérienne est d’avoir voulu faire une colonie d’un certain type qui suppose qu’il n’y a pas de coexistence d’une population existante et une population d’immigrés alors qu’en Algérie il y en a.

Les densités de peuplement sont très différentes. À l’arrivée des premiers européens, la population des actuels États-Unis est estimée à 3,5 millions d’habitants soit une densité 3,8 habitants au kilomètre carré facilitant grandement la tâche des européens souhaitant s’implanter.

En Amérique du Nord, il y a la place pour refouler alors qu’en Algérie il n’y a pas de place au refoulement.

  • Au moment de sa conquête coloniale quelle est la densité de peuplement en Algérie ?

Lorsqu’on utilise ce critère ou cet indicateur de densité de peuplement, on tombe sur des niveaux. Les densités de peuplement étant très différentes, nous n’avons pas à faire à des structures qui sont en place et qui se ressemblent.

Le territoire algérien a, vers 1830, 3 millions d’habitants, mais il faut distinguer l’Algérie dite « utile » où les populations peuvent vivre, travailler la terre, obtenir leurs moyens de subsistance qui est la densité de peuplement sans le Sahara et le Sahara.

Dans la bande septentrionale qui longe la méditerranée, la densité de peuplement s’élève à près de 14 habitants au kilomètre carré. C’est un seuil qui nous met en présence d’une économie d’agriculteurs plutôt que comme en Amérique du Nord d’une économie de chasseurs, de cueilleurs et accessoirement d’agriculteur.

La population indigène de l’Algérie est confrontée à une avancée du peuplement européen. Entre 1830 et 1870, la population européenne s’accroit à un rythme plus élevé que la population algérienne, mais celle-ci étant confrontée à l’avancée de celle-là coincée entre le désert saharien et la façade méditerranéenne ne dispose qu’aucun espace vers lequel fuir au contraire des indiens qui peuvent trouver des territoires alternatifs au centre et à l’ouest des actuels États-Unis.

L’échec de la colonisation du peuplement européen relève du fait que l’Algérie ne constitue pas un territoire vide ou très faiblement peuplé prédisposé toujours à accueillir des colons contrairement aux treize colonies d’Amérique du Nord et surtout aux colonies du nord. D’autre part, cet échec de colonie de peuplement en Algérie s’explique aussi du fait que les colons, en s’installant dans l’agriculture, entrent en concurrence directe avec les producteurs indigènes.

Au moment de la conquête de l’Algérie, il n’est pas envisageable d’adopter une politique visant au massacre à grande échelle des populations autochtones ou à leur refoulement systématique de leur zone habituellement d’existence.

Cette politique d’extermination et de refoulement, Napoléon III y renonce d’amblé prenant position sur cette question dans sa lettre sur la politique de la France en Algérie publié en 1865 : « il ne peut entrer dans l’idée de personnes d’exterminer les 3 millions d’indigènes qui sont en Algérie ni de les refouler dans le désert suivant l’exemple des américains du nord à l’égard des indiens.

Pour l’Empereur des Arabes, il faut donc vivre avec les arabes auxquels on va toutefois prendre les meilleures terres.

L’absence de coexistence entre population européenne et indigène sur le continent nord-américain a une conséquence positive pour le colonat blanc qui est cela de ne pas se retrouver dans la situation de concurrence avec les populations autochtones et les agricultures autochtones.

Le coût de production indigène dans l’agriculture est plus faible, les agricultures autochtones sont en mesure de produire la même chose, mais moins cher. Afin que les agriculteurs européens s’accrochent à la terre, il leur faut une intervention afin de leur consentir des avantages.

L’État va intervenir et payer, dans la formule de la colonisation mixte où il y a une minorité d’européens sur une fraction disproportionnée de terre. Il maintient du colonat européen nécessite l’intervention de l’État parce que sinon ils ne tiennent pas la concurrence avec les producteurs autochtones : c’est l’adoption de mesures favorables à l’agriculteur européen.

L’État intervient pour avantager l’agriculteur européen, mais discrimine la population autochtone, c’est une solution qui débouche sur des tensions, c’est une bombe à retardement.

Dans une colonie telle que l’Algérie, s’il n’y a pas suffisamment d’européens, si ceux-ci vont mettre la main sur une fraction disproportionnée des terres, ils ont besoin d’une main d’œuvre. L’agriculture européenne, pour se maintenir et se développer, a besoin d’une main-d’œuvre indigène relativement abondante et bon marché.

Dans ce type de colonie, il y a une dépendance économique à l’égard des européens, à l’égard de la main-d’œuvre indigène. C’est un trait distinctif non seulement de l’Algérie coloniale, mais d’autres territoires que l’ont peut classer dans la catégorie de colonie mixte comme l’Afrique du Sud, le Kenya, mais aussi l’ex-Rhodésie du Sud.

Les européens entrent en concurrence directe dans le secteur de la production agricole avec la main-d’œuvre indigène. Si les européens entrent en concurrence directe dans le secteur agricole, il faudra donc avantager les européens d’un côté, mais aussi discriminer la majorité, en quelque sorte marginaliser la majorité de la population.

L’exemple kényan renvoie à la question du café. Dans certaines zones du Kenya, à partir d’un certain moment, à partir de la Première guerre mondial, le colonat européen va se lancer dans la culture du café et son exportation. L’État colonial intervient et interdit l’accès des producteurs africains dans cette branche lucrative qui est réservée aux blancs. C’est un résultat typique de la formule de la mixité.

La représentation des colons dans un corps législatif renvoie à l’existence d’un relais politique permettant la défense de leurs intérêts aux métropoles. Puisqu’il s’agit d’une minorité protégée, cette petite communauté européenne a la possibilité, en se faisant représenter dans un corps législatif, de défendre ses intérêts non seulement sur place, mais aussi en métropole. À partir de 1848, les citoyens français d’Algérie sont autorisés à élire quatre députés à l’Assemblée nationale.

En Algérie, les colons sont très rares. Au début des années 1950, les européens sont environ 1 million, mais parmi ces européens, il y a très peu de colons qui est un propriétaire terrien d’origine européenne.

Au début des années 1950, en Algérie, sur les 1 million d’européens il y a 19400 colons qui avec leur famille constituent environ 75000 personnes soit 7% du total des européens.

Les européens sont minoritaires, mais ils ne vivent pas dans les zones rurales. Dans la quasi-totalité des cas, les européens sont ouvriers spécialisés, fonctionnaires, employés, chauffeurs de taxi, garagiste, chef de gare, infirmière, ingénieur, commerçant, etc.

Le peuplement européen échoue dans la maitrise de l’espace algérien. Le décalage est un fossé béant entre ce qui avait été prévu au départ imaginé et ce que l’on obtient, sur le terrain la distance est très grande. On imaginait installer sur des terres des immigrants venant de France dont le nombre deviendrait avec le temps grandissant au point de submerger la population indigène.

Il n’y aura pas selon le rêve de certains milieux coloniaux français de petite ou moyenne paysannerie française enracinée, la population européenne reste dans sa grande majorité une population urbaine. La population urbaine française est en 1871 de 60% des européens, en 1954 cette proportion est de 54% avec une forte concentration à Alger et Oran.

Cette population urbaine s’accroit parce qu’avec le temps on assiste à un phénomène de concentration foncière. La propriété foncière va être entre les mains d’un petit nombre de propriétaires qui va entrainer un reflux de la population rurale européenne qui se regroupe dans les villes.

En 1954, environ 6000 grands propriétaires possèdent à eux seuls 87% des terres de colonisation. C’est un processus de constitution de grands domaines.

Mainmise sur les terres

La politique de peuplement échoue, en revanche la mainmise sur les terres réussit. Nous arrivons à la situation où la formule de la mixité induit de très grandes inégalités.

C’est une minorité de la population qui parvient à mettre la main sur une fraction disproportionnée des richesses.

De 1830 à 1954, les européens mettent la main sur 2,7 millions d’hectares soit environ ¼ des terres cultivées, il s’agit aussi bien de l’État que de particuliers ou de grandes sociétés capitalistes parmi lesquelles la société genevoise des sociétés suisses de Sétif.

Au Zimbabwe, plus de 85% des terres sont en mains européennes. Il y a des expériences de colonisation où ce processus de spoliation foncière va très loin.

En Algérie, il s’agit le plus souvent des meilleures terres sur lesquelles sont cultivés du blé, et puis à partir des années 1880 la vigne pour en faire du vin.

De 1860 à 1917 le gros des terres passe en mains européennes, l’appropriation s’effectue soit :

  • par confiscation : a lieu lorsqu’il y a des rebellions matées. Pour punir les populations on confisque les terres des « rebelles ». C’est notamment le cas lors de la rébellion de 1871 qui est suivie à titre de punition de confiscation des biens. Il y a également la confiscation des biens destinés à l’entretien des mosquées et les terres qu’occupaient les ottomans. Les biens du domaine public sont également confisqués.
  • par prélèvement : se fait sur les territoires des tributs.
  • par de nouvelles lois : favorisent la constitution de la propriété individuelle et qui favorisent également les transactions privées.

Il y a une politique coloniale, dans le cas de cette politique, le peuplement européen échoue, en revanche, la mainmise sur les terres aboutie.

Les français s’emparent d’environ 25% des terres, mais pour certains auteurs cela serait 1/3. Comparé au cas sud-africain cela peut paraître peu puisqu’en Afrique du sud c’est 87% de la superficie qui passe en mains européennes.

Il faut souligner que les colons, qui sont très peu nombreux, ne représentent que 2% de la population agricole totale en 1950.

Au fur et à mesure qu’on avance dans la période coloniale, il y a une tendance d’un coté à la l’augmentation de la propriété européenne et de l’autre l’amenuisement chez les indigènes. L’écart sera important, en 1950 il dépassera le rapport de 10 à 1.

Du côté européens, il y tendance à la concentration des terres entre les mains d’un petit nombre de propriétaires, tandis que les paysans musulmans voient leurs terres diminuer ne pouvant concurrencer à armes égales les colons voisins puisque plus de 70% des autochtones possèdent moins de 10 hectares.

C’est l’une des explications de la performance qui est différente si l’on considère les agriculteurs européens d’un côté et les indigènes de l’autre. Les européens font beaucoup mieux parce qu’ils disposent de superficies beaucoup plus grandes, ils sont mieux dotés, et leur domaine est mieux équipé, ils bénéficient d’un crédit beaucoup plus large et au bout du compte, ils produisent et commercialisent une majeure partie des produits agricoles. En 1950, 2/3 de la production végétale de l’Algérie est assurée par les agriculteurs européens et plus de 90% du vin.

On retrouve l’une des caractéristiques de la colonie mixte, dans ce type d’implantation compte tenu du fait que les agriculteurs européens sont concurrencés par des agriculteurs autochtones qui peuvent produire autant, mais à moindre coût, il faut l’intervention de l’État.

L’État intervient pour la mainmise sur les terres, pour la distribution de ces terres, l’État intervient dans l’outillage, l’équipement, le crédit, et dans toute une série de soutiens consentis en faveur des agriculteurs européens.

Lorsque les historiens qui s’intéressent au bilan coût – bénéfice de la colonisation de l’Algérie insistent sur le fait que ce territoire coûte beaucoup car l’État intervient afin de soutenir une fraction de la population minoritaire afin de pouvoir tenir la comparaison.

Il faut envisager la démographie avec la structure foncière. Si on a la situation et les caractéristiques de la formule de la mixité, si une minorité de la population détient une majorité des richesses et si ces richesses sont constituées par les terres alors il faut considérer l’évolution des effectifs en présence : il y a des européens et des autochtones.

À partir d’un certain moment, ces indigènes qui voient les meilleures terres passer en mains européennes, qui voient leurs parcelles se réduire, alors leur nombre s’accroit contre toute attente.

À partir des années 1870, il y a non seulement un renouvellement de la population algérienne dite musulmane, mais s’emballe également augmentant à un rythme élevé : en 1860 la population musulmane est de 2,7 millions, il y a un décrochage démographique temporaire qui ne ressemble pas au précèdent américain ou océanien, en 1920 cette population passe à 4,9 millions en et en 1954 elle passe à 8,7 millions.

Le fait que les européens mettent la main sur une part excessive du sol, combiné à ce que certains ont appelé une explosion démographique ou un emballement démographique va entrainer ce qui est coutume d’appeler dans la lecture spécialisée la prolétarisation de la masse indigène.

La croissance accélérée de la population musulmane diminue inexorablement la surface disponible par habitant et par famille, aussi les productions de l’agriculture indigène tendent à stagner ou diminuer par baisse de rendement ou dégradation des sols.

De 1860, à la veille de la Deuxième guerre mondiale, la part du blé produit en Algérie par la paysannerie arabe passe de 80% à 20%.

C’est une situation où la majorité de la population active agricole et indigène va enregistrer des performances de moins en moins bonnes si on considère la production ou les rendements céréaliers. Une part de la population active ne possède pas une parcelle suffisamment étendue, à ces paysans, s’ajoute un nombre plus grand de non-propriétaires, des métayers et des ouvriers agricoles non-propriétaires permanents ou temporaires.

Une forte portion est sous-employée ou inemployée : au début des années 1950, il y a, en zone rurale, un grand nombre d’actifs sans travail soit près d’un millions de chômeurs ruraux en 1954. C’est une masse de paysans « clochardisée » qui à partir du moment où elle perd ses moyens de subsistances en zone rurale à plusieurs choix :

  • se faire embaucher dans les grands domaines.
  • aller dans les villes où sur les chantiers des travaux publics ; c’est un phénomène d’exode rural de paysans appauvris qui vont vers les villes.
  • aller en France ou d 1914 à 1954, séjournent 2 millions d’algériens soit comme soldat soit comme ouvrier.

Inégalités et colonisation « mixte »

Avec le processus de colonisation apparaît dans le paysage de l’Algérie quelqu’un qui était auparavant absent : le prolétaire rural. C’est pourquoi nous avons souligné son absence au début.

En revanche, la prolétarisation ne touche pas toute la société indigène. Certains des membres de cette société réussissent soit à conserver leur patrimoine soit à le renforcer.

Mais pour la grande majorité, c’est une situation qui se dégrade. Dans une grande partie du pays, les colons possèdent la majorité des terres fertiles.

Les européens sont dans les secteurs agricole et non-agricole, les principaux employeurs, pourtant il y a des disparités aussi bien entre les européens et non-européens qu’à l’intérieur du groupe des européens tout comme chez les algériens musulmans.

Il faut résister à la tentation de présenter les européens comme une classe dominante et tous les musulmans comme un masse indifférenciée de prolétaires et de sous-prolétaires. Les deux sociétés ont leur groupe favorisé ou défavorisé.

Pour la population européenne, les écarts sociaux sont les plus grands dans les campagnes. À côté d’immenses domaines existent de petits propriétaires quelques fois à la limite de la pauvreté, ce sont ceux qui n’ont pas été absorbés dans le processus de concentration foncière.

Pour ce qui concerne la population algérienne musulmane, les écarts apparaissent dans les villes, dans le milieu urbain se trouve des classes moyennes musulmanes dont le niveau de vie se rapproche des actifs européens étant majoritairement salariés et petits entrepreneurs.

Il faut noter des inégalités au niveau des statuts juridiques et politiques, autrement dit, dans ce type d’implantation, il y a des inégalités économiques, mais qui se doublent d’inégalités des statuts juridiques et politiques. Cette inégalité tend à séparer très nettement ces deux entités qui sont diversifiées.

Sur le point de vue juridique, il y a le code de l’indigénat, c’est un arsenal règlementaire à l’encontre des seuls indigènes, c’est un ensemble juridique répressif qui s’exerce à l’encontre des seuls indigènes. Il est appliqué par l’administration étant une violation des principes de séparations des pouvoirs tandis que le code de l’indigénat prévoit en violation du droit français des sanctions collectives. C’est un régime d’exception instauré partout dans l’empire français sauf au Maroc et en Tunisie.

On peut être puni si on désobéit aux ordres, la sanction peut être collective, mais on peut aussi être puni rappelant que pendant la période coloniale, il n’y a pas de libre-circulation des personnes, si on est surpris sans autorisation hors de son arrondissement tombant sous la loi du code de l’indigénat.

L’inégalité de statut politique est la situation dans laquelle les indigènes musulmans en tant qu’habitant d’un territoire annexé par la France sont ressortissant français. En 1848, l’Algérie est proclamée partie intégrante du territoire français y constituant trois départements envoyant des députés à l’Assemblée nationale. Les indigènes musulmans ont depuis 1865 la nationalité française, mais pas la citoyenneté, à l’inverse, des israélites indigènes naturalisés collectivement en 1870 bénéficient d’une assimilation juridique n’étant pas soumise au code de l’indigénat.

Les indignes musulmans peuvent-ils accéder à la citoyenneté française ? Cela est possible pour autant qu’ils en fassent la demande, l’accession à la citoyenneté française n’est pas un droit, mais une faveur accordée par le colonisateur de manière dissuasive : il faut renoncer au droit coranique ou aux coutumes berbères. Au bout du compte, un très petit nombre d’indigènes musulmans accèdent à la citoyenneté française durant la période coloniale.

Les citoyens français d’origine indigène constituent une catégorie qui continue d’être discriminée : l’accès à la terre leur est rendu difficile et ils ne peuvent pas non plus occuper de fonctions administratives.

La colonisation française bouleverse la société musulmane ce qui n’était pas le cas pour l’occupation ottomane, la paysannerie, les cadres de la société algérienne musulmane et les élites urbaines. D’une manière générale, la formule de la colonisation mixte a un caractère destructeur et génère de fortes inégalités.

En Afrique du sud et au Zimbabwe nous retrouvons les mêmes caractéristiques où la domination européenne s’achève toujours dans une extrême violence ou tardivement. La guerre au Zimbabwe s’achève en 1980, le démantèlement de l’apartheid a lieu en 1990, etc.

C’est un bouleversement qui concerne au premier chef la paysannerie victime d’une dépossession foncière et qui se paupérise.

Comme autre impact de la colonisation, il y a l’éclatement des cadres de l’aristocratie musulmane, les grandes familles, les chefs tributs, la bourgeoise des grandes cités qui disparaissent presque tous sous le choc de la colonisation.

En milieu urbain, il y a quelque chose qui ressemble à un renouveau dans le sillage de la colonisation. Se reconstituent des élites urbaines très lentement à partir des années 1900 et surtout après la Première guerre mondiale. Cette reconstitution des élites urbaines se constitue sous une nouvelle forme qui sont des musulmanes laïcisés et francisés.

Les meilleurs représentants de cette élite urbaine qui après l’indépendance s’installent pour une fraction en France sont les écrivains algériens de langue française. Cette production littéraire commence à partir du moment où il y a la reconstitution des élites.

La colonisation mixte assigne à une majorité une part minoritaire des richesses et du pouvoir.

Quelque chose complique le calcul des écarts de revenus en Algérie coloniale qui est la présence européenne : il faut considérer en Algérie le revenu individuel moyen de l’agriculteur européen qui est en 1954, 35 fois plus élevé que celui de l’agriculteur musulman.

À la même date, mais cette fois de manière générale pour toute l’Algérie, le revenu moyen d’une famille européenne est 8 fois supérieur à celui d’une famille algérienne. Trois quarts des français d’Algérie ont un revenu inférieur de 15% à 20% du revenu de la France métropolitaine, l’écart de revenu entre la France et l’Algérie musulmane est en 1950 proche de 8 voire 8,5.

À titre de comparaison, en 1950, l’écart au niveau du revenu moyen entre pays occidentaux industrialisés et le bloc que l’on appelle à ce moment-là le tiers-monde et en moyenne de 5,7. L’écart entre la France et l’Algérie est plus élevé.

En Algérie, il y a la coexistence sur le plan économique et social de deux communautés. Cette coexistence est ressentie pour les plus humbles comme une Algérie « européenne », moderne, en voie de développement et d’enrichissement, de l’autre côté, coexistant avec cette Algérie il y a une Algérie « traditionnelle » entrainée dans une processus de paupérisation.

Cette prise de conscience va transformer la juxtaposition de cette société, les différences deviennent inégales et injustes.

  • Qu’est-ce qu’il aurait fallu pour que la colonisation en Algérie ne débouche pas sur la guerre ? Qu’est-ce qu’il aurait fallu pour que la quasi-million d’européennes ne soit pas obligé de partir ? Qu’est-ce qui aurait pu empêcher l’État indépendant de l’Algérie de mettre la main sur le patrimoine, les terres et les biens des européens ?

Il aura fallu quelque chose que ni le gouvernement français, ni les pieds-noirs ont voulu : des réformes en faveur de la majorité. Seules des réformes auraient évité la radicalisation des luttes nationalistes et le renversement brutal de l’ordre colonial. Aucun gouvernement français ne se montrera capable d’appliquer des réformes de peur du mécontentement d’un colonat blanc intransigeant.

Le colonat européen, les pieds-noirs ont une part de responsabilité dans le drame algérien qui est notamment la guerre d’Algérie de 1954 à 1962 provoquant du côté européens près de 35000 morts et du côté musulman de 300000 à 350000 morts.

« Groupe des six », chefs du FLN. Photo prise juste avant le déclenchement de la guerre le 1er novembre 1954. Debout, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M'hidi à droite.

Les français d’Algérie ont refusé obstinément toute réforme aboutissant au déracinement final du peuple européen d’Algérie. Cet exode s’effectue dans des conditions tragiques, en trois mois de mai à juillet 1962 800000 pieds-noirs quittent l’Algérie vécu comme un exile et un déracinement.

Le Front de Libération National est fondé au Caire en 1954 s’employant à éliminer durant la guerre et après toutes les autres formations nationalistes concurrentes s’imposant comme le parti unique du gouvernement algérien instauré en 1962. Après l’indépendance le FLN crispe la jeunesse algérienne et les forces algériennes, l’exclusivisme va aboutir à une guerre civile qui depuis 1992 ravage le pays.

Après l’indépendance et la récupération des richesses nationales, aux dépens des anciens colons, donne lieu à l’immigration algérienne vers la métropole qui se poursuit et s’intensifie en raison de l’imprévoyance démographique, mais surtout de l’inefficacité économique de l’État postcolonial.

Dans une telle perspective et au-delà de l’appréciation des responsabilités individuelles ou collectives, l’histoire de la colonisation française en Algérie révèle que bien que vaincus, dépouillés et humiliés, les musulmans algériens n’ont jamais renoncés, dans leur très grande majorité, ils ne cédèrent pas.

Annexes

Références