Les indépendances des nations d’Amérique latine

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Nous allons voir qu’il existe des tensions dans toute société, mais qu’en même temps leur entrée dans le processus révolutionnaire est facilitée par un évènement extérieur qui soit crées un vide de pouvoir soit affaiblie le pouvoir. Les révolutions des États-Unis et de Haïti ne se seraient pas produites sans une modification brutale et profonde des rapports entre colonie et métropoles dans un cas les taxes et l’autre la Révolution française.

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La cause extérieure

L’invasion par Napoléon de la péninsule ibérique va permettre le processus d’indépendance des Amériques. L’invasion change le rapport entre gouvernants et gouvernés puisque le roi Ferdinand VII n’est plus là, lorsqu’il revient de captivité il n’est pas à la hauteur des évènements, mais d’autres le seront comme Bolivar. Dans le cas de l’Amérique latine, la composition de la population pèse dans le cours des évènements.

L’invasion par Napoléon de la péninsule ibérique en 1808 conduit tout d’abord à l’indépendance du Brésil puis de l’Amérique espagnole.

L’indépendance du Brésil

Pour le Brésil, quand Napoléon a déjà envahi l’Espagne, le prince régent du Portugal Joao VI embarque avec sa famille, sa cour et son administration pour le Brésil. En tout, ce sont entre 10 000 et 150 000 personnes qui partent sur des bateaux sous escorte britannique avec les archives et le trésor.

De 1808 à 1821, l’empire portugais est dirigé depuis Rio de Janeiro par des fonctionnaires portugais. Le conflit entre la colonie et la métropole éclate seulement en 1821 quand Joao VI décide de retourner à Lisbonne laissant sur place son fils Pedro en charge du Brésil.

Le Brésil est un immense empire. Lorsqu’il prend cette décision, les élites brésiliennes sont très offusquées de retourner à la situation d’avant 1808, les élites convainquent Pedro Ier de rester et de devenir l’empereur indépendant du Brésil. En 1822, Pedro Ier devient empereur du Brésil passant à l’indépendance tout en restant une monarchie esclavagiste, il n’y a aucun changement social.

L’Amérique espagnole continentale : de la fidélité au roi à la guerre civile (1810 - 1814)

Tout est beaucoup plus compliqué dans l’immense empire espagnol de l’Amérique puisque c’est un empire qui comprend entre autres les Philippines en Asie. L’invasion de Napoléon entraine l’abdication du roi d’Espagne Ferdinand VII laissant le pouvoir colonial sans tête.

Dans un premier temps, après cette invasion et la chute du roi, les villes forment des juntes locales pour gouverner au nom du roi pendant son absence. Pour cela, elles invoquent le principe selon lequel en absence du roi la souveraineté revient au peuple, mais ne remet pas en question le bien-fondé du pouvoir royal.

Prestation de serment des Cortes de Cadix à l’église paroissiale de San Fernando. Exposé au Congrès des Députés de Madrid.

En Amérique, ces juntes réunissent l’élite des planteurs et des marchands tant péninsulaires que créoles. En Espagne ce sont des juntes provinciales qui vont former une junte suprême à Cadix qui n’a pas été envahie par Napoléon. Elle est censée superviser tout l’empire et coordonner une guerre de libéralisation.

Cette junte suprême nomme un conseil de la régence comme gouvernement légitime du roi prisonnier. Cependant, elle a besoin de l’appui des colonies d’Amérique puisqu’elles n’ont pas été occupées par Napoléon. Dans ce but, elle reconnaît l’égalité de principe des provinces américaines. En 1810, elle convoque en toute hâte dans des conditions de guerre et d’occupation des cortes, une assemblée nationale des délégués des provinces d’Espagne, des Amériques et d’Asie.

Très vite, la question de la représentation se pose, sur la base de la population l’Espagne aurait moins de délégués que les Amériques qui ont 16 millions d’habitants. C’est le conseil de régence qui tranche le débat, aux cortes, l’Amérique sera grossièrement sous-représentée avec seulement 1/5 des députés. Cela va poser un problème de légitimité des cortes.

Ces cortes débattent et ratifient la constitution politique de la monarchie espagnole de 1812 qui s’applique à l’Espagne et à ses territoires d’Amérique et d’Asie. La constitution établit une monarchie parlementaire avec un pouvoir du roi diminué au profit des cortes, décentralisant une partie de l’administration et elle confère le suffrage à tous les hommes adultes sans exiger qu’ils soient propriétaires ou alphabétisés.

Cependant, c’est un artifice, car le suffrage est limité aux Espagnols, aux Indiens et aux fils métissés des Espagnols excluant les libres descendant d’anciens métissés ou pas selon le principe de limpieza de sangre. Les noirs et les mulâtres constituent un tiers de la population des Amériques.

Cela va être mal vécu dans beaucoup de provinces américaines, les divisant entre celles qui reconnaissent les cortes et celle qui ne vont pas le reconnaître. Il y a aussi des provinces qui vont accepter l’autorité du conseil de la régence qui enverra même de nouveaux gouverneurs pour neutraliser les juntes ; là aussi, de nombreuses provinces vont refuser d’accepter ces nouveaux gouverneurs et décréter qu’elles vont continuer à gouverner au nom du roi à travers leur junte.

Dans ces cas elles déclarent le conseil de la régence illégitime, chassant les nouveaux gouverneurs et elles déclarent qu’elles seules peuvent légitiment gouverner en l’absence du roi. Progressivement ces juntes passent de l’autonomie à la déclaration d’indépendance. Toutefois, des juntes sont restées fidèles au conseil de régence.

De 1809 jusqu’à 1814, il n’y a pas vraiment de guerres d’indépendances en Amérique espagnole, mais des guerres civiles à l’intérieur de chaque province entre ceux qui veulent rester fidèles au conseil de la régence et du roi et ceux qui veulent l’autonomie et l’indépendance. Toutes ces régions sont en guerre civile.

L’Amérique espagnole continentale : la diversité des processus d’indépendance (1814 - 1824)

En 1814, lorsque Napoléon abandonne l’Espagne et que Ferdinand VII retrouve le pouvoir, les évènements vont se transformer en de véritables guerres d’indépendances. Ferdinand VII refuse de faire des concessions rejetant la constitution de 1812 et décide de recourir à la force pour reconquérir ses colonies des Amériques en envoyant des troupes.

Un processus de reconquête est lancé en recourant à la force et à une répression brutale. Les libres créoles dans ces vice-royautés vont se lancer dans des luttes d’indépendance.

Mexique

Miguel Hidalgo y Costilla.

Au Mexique, au début on a une révolte lancée par un curé nommé Miguel Hidalgo, blanc né au Mexique qui mobilise contre les exploiteurs espagnols appelé les « gachupines ». Il mobilise des Espagnols, des Indiens et des gens pauvres pour lutter pour un « gouvernement plus juste ».

La religion catholique est extrêmement forte. Sur le terrain, très vite les troupes de Hidalgo vont occuper un grand territoire s’attaquant aux haciendas des créoles devenant une guerre de classes que Hidalgo n’arrive pas à contrôler.

Morelos por autor anónimo

Les élites créoles prennent peur et rejoignent la cause de la couronne espagnole. Hidalgo est arrêté et exécuté. Cependant, Jose Maria Morelos, prêtre et métisse afro-descendant d’origine modeste reprend le flambeau avec un programme d’indépendance politique, d’égalité raciale, de redistribution des terres et notamment d’abolition de l’esclavage. Mais il n’arrive pas à contrôler ses troupes menant à son arrestation et à son exécution.

Augustin Ier du Mexique.

La guerre civile à l’intérieur du Mexique se poursuit jusqu’en 1821 quand un aristocrate mexicain Augustine De Iturbide se prononce pour l’indépendance et réussit à forger une alliance entre les partisans de Hidalgo et de Morelos et l’élite créole contre les Espagnols. Une fois l’Espagne vaincue, Iturbide se proclame empereur constitutionnel du Mexique ; c’est une solution monarchie qui ne va durer que deux ans, mais qui va protéger la hiérarchie sociale. Toutefois, cette révolution est restée indépendante.

L’Amérique centrale va gagner son indépendance sans combats, car elle dépendait de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne du Mexique.

Venezuela

La question socioraciale complique tout. Si on regarde la carte générale des Amériques, le Venezuela est proche d’Haïti et de toutes les Antilles sucrières ayant un poids dans la réflexion des élites.

Le Venezuela est une colonie dans laquelle il y a un esclavage plus développé qu’au Mexique avec des esclaves employés principalement dans des plantations de cacao, il y a aussi un très grand nombre de libres de couleur travaillant dans l’artisanat dans les villes. Tout cela fait que l’élite craint une révolution à la haïtienne.

Le processus d’indépendance est différent du Mexique. Au tout début, la junte déclare l’indépendance en 1810. Cette déclaration d’indépendance n’enthousiasme pas les classes populaires qui sont mal traitées à travers les élites, l’esclavage et les exploitations. Les Espagnols qui ont encore des troupes arrivent à mobiliser les troupes plantaires non-blanches en dénonçant leur racisme en mobilisant les llaneros, les esclaves des haciendas en leur promettant leur liberté. Les indépendantistes sont rapidement dépassés par les troupes soulevées par l’Espagne.

Là aussi, on se trouve dans une situation de guerre civile. On doit à Simon Bolivar qui appartient à l’aristocratie cacaotière est esclavagiste, qui a compris que pour gagner l’indépendance, il faut être soutenu par la majorité de la population qui est pauvre, indienne et d’origine africaines. Il sait aussi que l’Espagne s’il elle gagne ne va pas donner l’égalité aux descendants africains ni abolir l’esclavage comme l’a montrée la constitution de 1812.

En 1813, il lance une guerre à mort des américains contre les Espagnols sans distinction de race. Il forme des dignitaires militaires sans distinction raciale promouvant des noirs et des mulâtres promettant la liberté aux esclaves qui combattront pour l’indépendance.

Lorsque Ferdinand VII revient sur le trône, Bolivar est contraint de s’enfuir avec de nombreux hommes de ses troupes et officiers se réfugiant à Haïti. Grâce à l’aide d’Alexandre Pétion, Bolívar va pouvoir relancer la guerre et unir la lutte du Venezuela à celle de la Colombie et de l’Équateur et progressivement chasser les Espagnols pour fonder une 1821 une confédération de trois nations nommée la Grande Colombie qui va exister jusqu’en 1831.

On a une indépendance déclarée en 1821 avec des régions très différentes unies dans cette Grande Colombie.

Rio de la Plata (Buenos Aires)

Unique photographie de José de San Martín.

Il faut voir qu’à cette époque vers 1800, Buenos Aires est un petit port seulement élevé au rang de capital de vice-royauté, mais qui a appris à compter sur ses forces en rejetant les Anglais qui l’ont occupé en 1807. Un quart de la population était afro-descendante, une autre partie était formée par des garnisons militaires, des gauchos.

L’indépendance est rapidement gagnée en 1816 en Argentine. Cependant, elle est entourée de l’immense Brésil et de toute la vice-royauté du Pérou qui représente une menace ayant peur d’une attaque par le Nord. L’un des principaux dirigeants de ce mouvement Jose de San Martin décide avec d’autres d’apporter l’indépendance à l’arrière-pays d’Argentine, au Chili et jusqu’à la Bolivie et au Pérou.

Pérou

Il est intéressant de voir que c’est ainsi que le Pérou va gagner son indépendance prise en tenaille entre les troupes venant du Sud et du Nord. L’indépendance sera imposée sur le Pérou, les élites restent fidèles au roi et à l’Espagne parce qu’elles ont peur des Indiens à l’image de la révolte de Túpac Amaru.

Ce ne sera qu’en 1824 que la victoire de Ayacucho apporte l’indépendance et mets fin au colonialisme espagnol.

Conséquences

L’Espagne en 1824 est battue sur le continent américain, mais pas dans les Caraïbes avec Cuba qui va devenir la « perle des Antilles » remplaçant Saint-Domingue comme fournisseur de sucre et Porto Rico qui sera sous domination espagnole jusqu’en 1898.

Considérations générales

Il faut se rappeler qu’à la différence des Treize colonies britanniques et comme à Haïti, c’est un processus d’indépendance dans l’Amérique espagnole qui est très long. De 1808, si on compte les premières juntes, ou 1810 si on prend en compte le premier gouvernement indépendantiste révolutionnaire, cela durer jusqu’en 1828. Seize ans de conflits internes.

L’Espagne attend jusqu’à 1836 pour reconnaître l’indépendance du Mexique. On peut se demander pourquoi le conflit fut si long :

  • il ne comprenait pas une guerre contre la métropole, mais une sorte de guerre civile qui avait une dimension socioraciale à l’intérieur de chaque vice-royauté. À la fois, les royalistes, autonomistes et indépendantistes luttaient entre eux.
  • les colonies espagnoles au contraire des États-Unis n’ont pas reçu d’aide d’autres nations si ce n’est celle de Haïti pour le Venezuela. D’autre part, le peu qu’elles ont eu en aide militaire a été acheté à crédit à l’Angleterre. Ces nations arrivent à l’indépendance avec une dette extérieure assez forte.

Les coûts de la guerre ne sont pas égaux partout ; il est très élevé pour ce qui concerne les pertes humaines au Venezuela et sur la côte caraïbe et la Colombie qui ont leur population qui décline ; en perte économique, c’est le Mexique qui perd le plus, car toute son infrastructure en mine est détruite. L’Argentine s’en sort à moindre prix expliquant des démarrages plus ou moins rapides.

On peut se poser la question de savoir si ce sont de véritable révolution :

  1. on a une mobilisation plus ou moins massive de la population ;
  2. une lutte entre différentes idéologies ;
  3. une lutte concrète pour le pouvoir ;
  4. on n’a pas vraiment de transformation profonde des structures sociales et économiques.

Les guerres d’indépendances sont faites par des élites blanches, mais faites par des troupes de couleur souvent métisses, noires mulâtres ainsi qu’Indiennes. Elles sont faites sur une idéologie dominante qui est liberté, égalité et propriété privée.

Après l’indépendance, il y a un grand changement légal, mais pas vraiment de changement dans les structures socio-économiques. Partout, on adopte des régimes républicains excepté le régime de Iturbide tandis que la noblesse est abolie. Toutes références à la race dans les constitutions, les lois et même les recensements disparaissent ; hormis les esclaves, tout le monde est citoyen.

Pour les afro-descendants libres, c’est une victoire dans le sens qu’ils perdent la souillure de l’esclavage et gagnent l’égalité de droit. Pour les Indiens de communauté, c’est une tragédie, car au nom de l’égalité ils perdent leur statut de mineur protégé par le roi d’Espagne qui interdisait la vente de leurs biens communautaires ; maintenant au nom de la propriété privée, leurs terres deviennent aliénables devenant progressivement accaparées par des haciéndanos et des petits paysans. De nombreuses communautés indigènes vont disparaitre.

Pour la plupart des esclaves il n’y a pas de changements sauf au Chili, en Amérique centrale en 1824 et au Mexique en 1829 en partie parce que les Anglo-saxons colonisent le nord du Mexique et c’est un moyen pour freiner la colonisation du nord des États-Unis.

Partout ailleurs excepté pour les hommes qui se sont battus dans les troupes indépendantistes il y a des lois d’abolition graduelle, l’esclavage sera aboli que dans la période 1850 – 1860.

Si le principe d’égalité fait disparaitre le système de caste, la hiérarchie socioraciale n’est pas bouleversée. Il y a de nouveaux moyens de mobilité sociale et notamment dans l’armée ou quelques métisses-mulâtres peuvent monter en grade. En fait, si ce n’est plus l’accident de la naissance d’être ne blanc, noir ou indien, c’est la propriété privée et l’éducation formelle qui vont le faire ne mettant pas pour autant les compteurs à zéro, car l’ascendance raciale vont peser par la suite. De plus, ces populations vont être tellement pauvres au moment de leur indépendance qu’elles ne pourront investir dans l’éducation.

Les nouveaux gouvernements ne prônent pas la redistribution des terres, elles sont redistribuées aux meilleurs acheteurs et non pas aux couches populaires.

Est-ce qu’il y a formation de ces différentes nations ?

  • Oui ,dans le sens qu’il y a création de mythes fondateurs et que les mouvements d’indépendances ont mélangés les populations des différentes régions dans les armées, de plus on a l’arrivée d’idées républicaines qui font qu’on se sent appartenir à une patrie donnée.
  • Non, car la majorité subit le processus sans y participer, on est souvent enrôlé de force dans les armées, de plus l’identification locale demeura forte. D’autre part, les frontières des nouvelles nations reproduisent les mêmes nations qu’avant. Le découpage est pratiquement le même que celui des vice-royautés de l’époque coloniale tandis que les capitales des vice-royautés continuent d’être les capitales des nations indépendantes.

Annexes

Références