Les externalités et le rôle de l'État

De Baripedia

Dans le chapitre 6 nous avons vu que la “main invisible” (absence de coordination ou organisation centralisée) conduit à maximiser le surplus du marché. Cette conclusion est vraie seulement si les conditions de la concurrence pure et parfaite sont remplies.

Or, l’hypothèse de concurrence parfaite est une abstraction très commode mais très forte de la réalité. Dans le monde réel, il existe de nombreuses situations où le marché dysfonctionne. On nomme ce cas lacunes ou échecs de marché, car l’efficience n’est plus assurée.

Dans ce cas, l’État peut être amené à corriger l’échec du marché.

Un de ces dysfonctionnement est lié aux EXTERNALITES.

Externalités et inefficacité des marchés

Définitions

Une externalité se définit comme l’impact sans contrepartie de l’action d’un individu sur le bien-être d’un tiers individu. Dit différemment, l'impact de l'action d'un individu sur le bien-être d'un autre individu est direct et ne passe pas par le système des prix.

On parle d'externalité négative si l'impact sur les tiers est défavorable.
On parle d'externalité positive si l'impact sur les tiers est avantageux.

Exemples d'externalités négatives :

la fumée des cigarettes (fumée passive); le gaz d'échappement des voitures; les chiens qui aboient ou crottent les trottoirs; les nuisances sonores; la consommation de médicaments qui génèrent une résistance par la mutation de l’agent pathologique; toute pollution ou dégradation de l’environnement...

Exemples d'externalités positives:

le camion qui “aspire” une voiture sur l’autoroute; les vaccins; la restauration de bâtiments historiques ou tout ce qui attire des touristes; un verger pour les ruches d’un apiculteur voisin qui améliore son miel et l’apiculture qui favorise la pollinisation pour le verger; la recherche dans le domaine des nouvelles technologies...

Externalité et inefficacité des marchés

La présence d’externalités négatives conduit les marchés à produire une quantité supérieure à la quantité socialement optimale.

La présence d’externalités positives conduit les marchés à produire une quantité inférieure à la quantité socialement optimale.

Explication: les participants à l’échange marchand ne prennent pas en compte le coût ou bénéfice externe qui échoit à un individu (ou groupes d’individus) tiers.

Exemple: le marché de l'aluminium

Si les usines polluent (externalité négative), le coût de production de l’aluminium pour la société est alors plus élevé que le coût de production des producteurs.

Pour chaque unité d’aluminium produite, le coût social comprend le coût privé des producteurs d’aluminium et le coût externe supporté par les tiers affectés par la pollution =>

Coût social = coût privé de production (offre) + coût externe

Pollution et optimum social

L’intersection entre la courbe de demande et la courbe de coût social (= coût privé + coût externe) détermine le montant optimal d’un point de vue de la société dans son ensemble.

Le niveau de production socialement optimal est plus faible que la quantité d’équilibre de marché.

quantité d’équilibre du marché: coût privé = bénéfice privé.
quantité socialement optimale: coût social = bénéfice social.
Pollution et optimum social 1.png

Externalité négative et bien-être

Externalité et bien être 1.png

Education et optimum social

L’intersection entre la courbe de bénéfice social (bénéfice privé + bénéfice externe) et la courbe de coût détermine le montant optimal d’un point de vue de la société dans son ensemble.

Le niveau de production socialement optimal est plus élevé que la quantité d’équilibre de marché.

Quantité d’équilibre du marché: coût privé = bénéfice privé.
Quantité socialement optimale: coût social = bénéfice social.
Education et optimum social 1.png

Externalité positive et bien-être

Externalité positive et bien être 1.png

L'internalisation des externalités

Internaliser une externalité consiste à modifier les incitations de façon telle que les individus prennent en considération les effets externes de leurs actions.

Une internalisation adéquate permet d’atteindre le niveau de production socialement optimal.

Dans certaines conditions très spéciales, l’internalisation peut se faire par la négociation entre l’agent subissant l’externalité et l’agent qui produit l’externalité (solution privée).

En cas d'externalité négative, l'État peut introduire une norme de comportement pour limiter l’externalité. Il peut aussi imposer une taxe au producteur afin de diminuer la quantité d’équilibre vers le niveau socialement optimal. On parle alors de taxe pigouvienne.

En cas d'externalité positive, l'État peut introduire des obligations ou des recommandations pour promouvoir la production de l'externalité. Il peut aussi subventionner la production du bien ou conférer des droits de propriété au individus qui génèrent l'externalité positive.

Solutions privées aux externalités

Théorème de Coase

Selon le théorème de Coase, si les parties privées à l’échange peuvent négocier sans coûts de transaction l’allocation des ressources, alors elles peuvent résoudre d’elles-mêmes le problème des externalités sans besoin de l'intervention de l'État => solution privée à l'externalité.

Dans ce cas, il suffit que les droits de propriétés soient bien définis et le mécanisme de marché permet d'atteindre la solution socialement optimale, c’est-à-dire le niveau de l'externalité qui égalise les bénéfices marginaux aux coûts marginaux de l'externalité elle-même et ceci indépendamment de qui a les droits de propriété sur l'externalité (cf. graphique à la page suivante pour le cas de la pollution).

Problème I : le plus souvent, les parties intéressées ne parviennent pas à résoudre le problème des externalités en raison de la présence de coûts de transaction si élevés qu’ils ne permettent pas la mise en place d’un accord.

Problème II : un problème majeur de l’initiative privée réside dans la non- révélation des préférences (problème du resquilleur). Ce comportement stratégique résulte de l’incitation à bénéficier de l’action des autres sans en subir le coût.

Négociation privée et droits de propriété

NB: le niveau de pollution socialement optimale n'est pas égal à zéro!

Exemple de solution négociée

Deux frères étudiants, Toxico et Asmatico, rendent visite tous les mois à leurs parents qui habitent au Tessin. Toxico est fumeur, Asmatico n’aime pas la fumée. Pour économiser l’essence, ils alternent les voitures.

Dans la voiture d’Asmatico, il est interdit de fumer. Dans celle de Toxico, on peut fumer. En général, durant le voyage, Toxico fume un paquet (20 cigarettes).

Pour Toxico, le coût marginal associé à la renonciation d’une cigarette est donné par : est le nombre de cigarettes non fumées. Pour Asmatico, le bénéfice marginal associé à ces mêmes cigarettes non fumées est donné par (cf. graphique à la page suivante).

On remarque que lors de ces voyages, Toxico subit un coût total de soit les surfaces lorsqu’il accompagne Asmatico dans sa voiture, tandis que ce dernier subit un coût total de dans la voiture de son frère fumeur (surfaces ).

Externalité Exemple de solution négociée.png

1. ACHAT DE PERMIS DE POLLUER

Supposons que Toxico achète le “droit de fumer” dans la voiture d’Asmatico à raison de 7CHF la cigarette. Tant que son coût marginal est supérieur au prix, il achète ce droit de fumer. Il renonce donc à fumer 6 cigarettes (il en fume 14). En achetant le droit de fumer il dépense les surfaces et subit un coût associé à l’abstinence de 6 cigarettes égal à la surface C (= 24). Son coût total est donc de 122 et il réalise un gain net de 98 correspondant à la surface F.

De son côté, Asmatico accepte, car jusqu’à la treizième cigarette, son bénéfice marginal est inférieur au dédommagement qu’il reçoit par cigarette. Il subit un coût associé à la fumée passive de D (= 49), mais réalise un gain monétaire de (= 98). Son gain net est donc de 49 (surface E).

2. ACHAT DE DROITS À L'AIR PROPRE

On obtient exactement le même résultat en termes de quantité (mais pas de gains nets) si, dans la voiture de Toxico, Asmatico achète l’abstinence de son frère au même prix de 7CHF par cigarette non fumée.

Politiques publiques et externalités

Interventions publiques et externalités

Lorsqu’une externalité amène le marché à réaliser une mauvaise allocation des ressources et qu’une négociation privée ne peut pas être atteinte, le gouvernement peut résoudre le problème...

en adoptant des politiques autoritaires qui prennent la forme de réglementations = obligation ou interdiction de certains comportements (exemple: vaccination obligatoire pour tous les écoliers ou fixation d'un niveau maximal de pollution);

en recourant à des politiques orientées vers le marché = recours aux taxes et subventions pour faire correspondre les incitations privées avec l’efficacité sociale (exemple: aides financières aux travaux d'amélioration de l'isolement des habitations privées ou taxes sur la consommation des alcools forts).

Définition: on appelle TAXES PIGOUVIENNES les taxes qui sont imposées afin de corriger les effets d’une externalité négative.

Permis versus taxes

i l’État décide de réduire la pollution émanant d’une usine particulière, il peut intervenir de deux sortes :

  1. en imposant à l'usine de réduire la pollution d'un montant défini et de respecter une certaine limite (réglementation);
  2. en levant une taxe par unité de pollution émise par l’usine (taxe pigouvienne).
Marché des permis à polluer (cap and trade system)

Dans le premier cas, l'État peut attribuer un certain nombre maximal de permis de polluer aux entreprises. L’échange de permis de droits de polluer permet le transfert volontaire du droit à polluer d’un entreprise vers une autre et le développement d'un marché pour les droits à polluer.

Les firmes qui peuvent réduire la pollution le plus facilement auront la volonté de vendre les permis dont elles disposent et les firmes pour qui la réduction de la pollution est plus coûteuse auront la volonté d’acheter tous les permis dont elles ont besoin.

Problème potentiel : lobbies militent pour un plus grand approvisionnement de certificats d’émission.

Equivalence des taxes pigouviennes et des droits à polluer

Equivalence des taxes pigouviennes et des droits à polluer 1.png

Avantages et désavantages des permis et des taxes

Même si les permis et les taxes sont équivalents en termes de la pollution générée, chaque instrument présente des avantages et des désavantages.

La taxe est en général préférée par les économistes car elle n'entrave pas le mécanisme du marché. Les taxes permettent d'obtenir les mêmes réductions d'émissions d'une norme à moindre coût (les entreprises peuvent s'adapter selon leur capacité à réduire la pollution). De plus, en taxant les firmes qui polluent, l'État les encourage à investir dans la recherche de techniques moins polluantes (effet de moyen/long terme). D'autre part, le gouvernement ne possède pas les informations nécessaires sur le coût social qui seraient nécessaires à fixer le montant de la taxe de manière à restaurer l'optimum social.

Le principal avantage des restrictions est qu'elles sont faciles à comprendre et à appliquer. Lorsqu'on manque d'informations, les normes offrent plus de certitude quant aux niveaux d'émissions. En revanche elles n'incitent pas les individus à améliorer leur comportement et elles créent plus de distorsions que les taxes.

Résumé

Lorsqu’une transaction entre un acheteur et un vendeur affecte directement une tierce partie, l’effet est appelé une externalité.

Les externalités négatives conduisent à une quantité socialement optimale inférieure à la quantité d’équilibre du marché.

Les externalités positives conduisent à une quantité socialement optimale supérieure à la quantité d’équilibre du marché.

Ceux qui sont affectés par les externalités peuvent parfois (mais rarement) résoudre le problème de manière privée.

Suivant le théorème de Coase, si les individus peuvent négocier sans coût, alors ils peuvent toujours aboutir à un accord tel que les ressources sont allouées efficacement.

Quand les agents privés ne peuvent pas traiter les effets externes de manière adéquate, alors le gouvernement intervient.

L’État peut soit réguler les comportements (par des normes), soit internaliser l’externalité en utilisant une taxe Pigouvienne ou encore émettre des permis de polluer (certificats d’émission échangeables).

Annexes

  • The Economist, Selling hot air, 07.08.2006
  • The Economist, Doffing the cap, 14.07.2007

Références