Les coûts sociaux de la révolution industrielle

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Les nouveaux espaces

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Bassins et villes industrielles

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Jusqu’en 1800, selon la loi des 15%, la population urbaine ne pouvait excéder les 15%[1]. Cela commence à changer à partir de 1850. Néanmoins, à la fin du XIXe siècle, les paysans constituent toujours la très grande majorité de la population. Il faut attendre les 1950 pour voir le taux d'urbanisation dépasser les 50% en Europe. Aujourd'hui, le taux d'urbanisation est supérieur à 70%. Le premier bassin est l’Angleterre, puis vient la Ruhr allemande et le nord de la France.

Il faut faire une distinction entre les pays noirs et les villes textiles :

  1. les pays noirs : ce terme est utilisé à cause de la fumée qui se déverse à la campagne. Ce sont les pays du charbon et de métal. Des villages qui tout à coup deviennent des villes industrielles à toute vitesse à cause du charbon puis de la sidérurgie qui suit. Jusque-là, le monde ne bougeait pas. Et tout à coup ces blocages s’effacent, c’est l’industrialisation qui brise ce modèle. La normalité de nos sociétés est aujourd’hui la croissance, on se considère en crise si on n’évolue pas. C’est un fait nouveau et les gens sont pris par la peur d’un désastre. Le charbon est une nouvelle industrie, contrairement au textile et à la sidérurgie, sans compter qu’il demande énormément d’ouvriers. C’est le charbonnage qui fait que les pays noirs se développent beaucoup plus. Pays du fer et du charbon, on y trouve usines sidérurgiques et mines. Quand Cockerill arrive à Seraing, la population est de 2.000 habitants, un siècle plus tard, elle est de 44.000 habitants. La différence quantitative fait lors du recrutement des mineurs : il fallait, jusqu’en 1920, travailler au piolet, et donc embaucher des « immigrés » de la campagne. Le phénomène est le même que pour l’industrie textile. Les usines doivent s’installer sur un seul étage (industrialisation de plain-pied) vu que les matériaux sont lourds ; une telle industrie ne peut se construire en ville, et l’industrialisation se fait donc à la campagne, là où il y a de la place et du charbon. Ceci crée les bassins industriels.
  2. les villes textiles : les usines pouvaient y aller en hauteur grâce à l’extrême division du travail (tissage, filage, teinture…). Ces usines s’intègrent donc dans l’espace urbain. De telles zones apparaissent au nord de la France, en Belgique… de tels bassins se caractérisent par une densité de population effroyable : tous les artisans proto-industriels partant en faillite à cause de l’industrie textile venant travailler dans ces fabriques urbaines, l’urbanisation s’y fait de manière quasi anarchique. On construit dans chaque espace disponible. Le nombre de travailleurs dans le textile n’a pas changé, mais la production a explosé étant donné que la proto-industrie est remplacée par des entreprises modernes : il y a donc eu gains de productivité. Dans la ville industrielle, il n’y a ni hôtel de ville ni place publique ; l’espace public est l’usine. Ce sont de petits bourgs qui se développent tout à coup rapidement. Les usines s’installent en ville où se trouvent déjà les commerçants enrichis au XIXe siècle.

« Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flémalle, la chose devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée d’étincelles; d’autres dessinent lugubrement sur un fond rouge la noire silhouette des villages; ailleurs les flammes apparaissent à travers les crevasses d’un groupe d’édifices. On croirait qu’une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres flamboyants.

Ce spectacle de guerre est donné par la paix; cette copie effroyable de la dévastation est faite par l’industrie. Vous avez tout simplement là sous les yeux les hauts fourneaux de M. Cockerill. »

— Victor Hugo (1834), Voyage le long du Rhin

Deux types de développement démographique

Vue de Verviers (Milieu du XIXe s.)
Aquarelle de J. Fussell.
Développement démographique saint Etienne vs Roubaix.png

Dans les villes textiles, les artisans ruraux éparpillés viennent se concentrer en ville. Ils quittent les campagnes pour venir s’installer près des usines étant donné que cela prend beaucoup de temps de se déplacer de la campagne à l’usine. Ce qui est intéressant est que le nombre de travailleurs du textile est resté le même pour une explosion des gains de productivité. En ville, il y a une concentration des forces dispersée. Verviers est par exemple une ville textile où on dénombre 35000 habitants au début XIXe siècle et 100000 habitants à la fin du XIXe siècle.

Concernant les régions sidérurgiques, les ouvriers se concentrent dans les bassins industriels dans les pays noirs, il n’y a pas non plus d’explosion d’ouvriers. La machine à vapeur permet d’aérer les galeries des mines, mais il faut des travailleurs. Les pays noirs connaissent une explosion démographique étant due à l’industrie charbonnière. Par exemple, à Liège, la population augmente de 50000 habitants à 400000 habitants.

De la ville, les agglomérations ont la densité et l’accumulation des populations. Du village, ces bourgades qui ont énormément crû ont conservé l’organisation rudimentaire, le peu de polices, les administrations presque inexistantes, les services publics déficients en ce qui concerne l’hygiène publique, l’instruction primaire et professionnelle archaïque… les grandes villes, elles, se dotent de l’eau courante, de l’électricité, de l’université, des administrations ; bref, de tous les attributs d’une ville moderne. La ville de Seraing (industrielle) s’endette jusqu’au cou pour construire des écoles primaires qui ne suffisent pas vu que la croissance démographique y est énorme. Le dernier prêt permettant la construction d’écoles au XIXe siècle n’a été remboursé qu’en 1961. Ceci se fait parce que la masse fiscale de telles villes est faible vu que les salaires des ouvriers sont faibles.

Conditions de logement et hygiène

Les espaces sont sous-équipés. Les villes textiles subissent le premier choc parce que ce sont des espaces déjà denses, et il faut accueillir une population nouvelle. On rajoute des étages, on construit des logements au-dessus des ruelles.

Dans l’immense majorité des cas, le développement des pays noirs est tout aussi anarchique. Les ouvriers vivent comme des animaux dans des espèces de bidonvilles. Ces espaces sont à l’origine d’un cercle vicieux, car ces taudis ne sont pas faits pour durer et on ne peut pas amener l’eau, car c’est très étendu donc ça coute cher. D'autre part, ces taudis sans fondations en danger menacent d'effondrement. Il est impossible d'améliorer l’hygiène de ces villes. La seule solution est de bâtir à nouveau. On passe du stade de village à celui de commune avec énormément d’habitants,mais sans être des villes. Les infrastructures ne suivent pas. Au milieu du XIXe siècle, Pasteur fait ses découvertes concernant l’hygiène et les microbes. Certaines villes font appel à lui pour faire construire des canalisations, mais des affaissements de terrain dus aux mines abandonnées y détruisent tout. On peut donc remarquer qu’il est extrêmement difficile de construire des installations d’hygiène et d’eau lorsque les constructions sont déjà faites de manière anarchique. De plus, les taudis ne vont pas en hauteur, mais en largeur, et s’étalent, il faut donc des kilomètres de canalisation là où dans une ville bien agencée, une petite portion de canalisations suffirait pour des centaines d’habitants. De plus, les fumées rejetées par les cheminées des fourneaux font que le pays est littéralement noir de pollution. Nous avons vu que les conditions sociales ont été pénibles dans les pays tard venus ; l’Allemagne représente une exception. Les Allemands ont appris des erreurs commises en Belgique et en France pour construire des logements un tant soit peu salubres, dans des rues clairement tracées.

« On construisit des habitations telles quelles, insalubres le plus souvent, en dehors d’un plan général arrêté. Maisons basses, en contrebas du sol, sans air ni lumière ; une pièce au rez-de-chaussée, pas de pavé, pas de cave ; un grenier comme étage ; aération par un trou, muni d’un carreau de vitre fixé dans la toiture ; stagnation des eaux ménagères ; absence ou insuffisance des latrines ; encombrement et promiscuité. »

— Dr. Kuborn, 1907, sur Seraing.

« C’est « sur ces lieux insalubres, sur ces repaires infects, que les maladies épidémiques s’abattent comme l’oiseau de proie plonge sur sa victime. Le choléra nous l’a démontré, la grippe nous en rappelé le souvenir, et peut-être, le typhus nous donnera-t-il un de ces jours un troisième exemple. »

— Dr. Kuborn, 1907, sur Seraing.

Une alimentation déficiente et des salaires bas

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Les marchés mettent très longtemps à s’organiser et il y a très peu de commerçants et d’épiciers dans les villes industrielles. Ces commerçants pratiquent des prix exagérés profitant de leur situation engendrant un endettement des ouvriers. Les entreprises ont essayé de réagir via le truck-system : le salaire est payé en partie en denrées alimentaires ou en biens de consommations domestiques que l’entreprise achète en gros. Le truck-system donne un pouvoir de l’entreprise sur la survie immédiate.

L’ouvrier est considéré comme immature. Durant tout le XIXe siècle, va être entamée une réflexion sur le salaire minimum de l’ouvrier afin qu’il puisse vivre sans le liquider dans la débauche.

Émerge la loi d’Engel : « Plus un individu, une famille, un peuple sont pauvres, plus grand est le pourcentage de leur revenu qu'ils doivent consacrer à leur entretien physique dont la nourriture représente la part la plus importante ». Cette loi permet de mesurer le degré de pauvreté d’un peuple, d’une famille ou d’un individu pour voir quel pourcentage de son revenu il consacre à se nourrir. Le faible revenu fait que la majorité de la population ne peut pas payer d’impôts. Cela met en exergue la dureté de la condition ouvrière. Le salaire réel commencera à augmenter quand la révolution industrielle va être bien installée dans la seconde moitié du XIXe siècle.

En d’autres termes, la loi d’Engel est une loi empirique avancée en 1857 par le statisticien allemand Ernst Engel[2]. D'après cette loi, la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires (ou coefficient d'Engel) est d'autant plus faible que le revenu est élevé. Même si la proportion d'une catégorie de biens est réputée décroissante dans un budget de consommation donné, cela n'empêche pas que si le revenu augmente, la dépense allouée à l'alimentation, exprimée en valeur absolue, augmente[3].

Le jugement ultime : la mortalité des populations industrielles

Le paradoxe de la croissance

Il y a croissance, certes, mais elle se fait au prix d’urbanisation sauvage ; les conditions de vie sont déplorables : hygiène, maladies et tout le bataclan qui vient avec. Dans les villes anglaises vers 1820-1830, au Creusot vers 1840, en Belgique orientale vers 1850-1860, en 1900 à Bilbao, l’espérance de vie tombe à 30 ans. Une génération dans chaque pays a donc payé l’entrée dans la modernité. En parallèle, la mortalité régresse dans les campagnes voisines du fait des ressources plus nombreuses et plus accesibles. Les conditions de travail sont dénoncées par les premiers « syndicats ». Pourtant, les adultes mourraient moins que les jeunes. L’explication vient du fait que la majorité des ouvriers sont des immigrés venus des campagnes, ce sont donc les plus forts et les plus audacieux uniquement qui y vont, le reste ne voulant pas quitter leur verte campagne. Ceci explique la relative faible mortalité des adultes.

L’environnement plus que le travail

L’environnement a un rôle meurtrier plus important que le travail. Les conditions de travail étaient épouvantables.

La loi le Chapelier stipule promulguée en France le 14 juin 1791 est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage[4]. Cette loi est utilisée pour interdire les syndicats.

Les émigrants sont les plus robustes, les plus ouverts à la prise de risque et ils ont donc une espérance de vie un peu plus haute faisant que les adultes sont un peu épargnés. Néanmoins, la vieillesse vient plus tôt. On s’use littéralement au travail. Les enfants sont les premières victimes à cause des eaux souillées causant de la déshydratation et des diarrhées. Les conditions de conservation des aliments contribuaient aussi à la mortalité infantile. Par exemple, le lait était amené depuis la campagne posant des problèmes de conservation et de transport participant à l'élévation du taux de mortalité.

Les épidémies de choléra

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Le choléra, qui vient d’Inde, commence à se répandre en pandémies (épidémies à l’échelle mondiale). Ceci commence avec la colonisation britannique en Inde, puis se répand. Progressivement en 1840 - 1855, la première pandémie mondiale se propage de l’Inde vers la Chine, la Russie, retourne en Inde, suit le chemin de la Mecque, arrive en Europe, parvient à traverser l’Atlantique et touche les États-Unis, l’Amérique centrale et l’Amérique latine. Le cheminement est intéressant, elle développe en Europe l’idée de la « barbarie asiatique » menaçant la civilisation (la seule, l’unique civilisation, qui est l’Européenne). Après avoir enfin connu la croissance, l’Europe a peur de « s’écraser ». La modernité « fragilise » puisqu’elle permet aux faibles de survivre aux petites épreuves, puis d’attraper une maladie infectieuse et de contaminer tout le monde. On a peur d’une chute brutale. La médiatisation des épidémies (« Le choléra arrive ! » ; « Premiers morts à Berlin ! ») rajoute à la peur populaire. Il y a de plus une inégalité sociale terrible. On meurt 8 fois plus du choléra quand on est pauvres que quand on est riches, et les épidémies creusent les inégalités sociales. Le virus du choléra est tué par les acides gastriques, si on est bien nourris (viande…) on est donc immunisés Par contre, le pain et les patates…

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De grandes épidémies touchent la France après les révolutions de 1830 et 1848. Les pauvres sont en colère, accusant les bourgeois de vouloir empoisonner la fureur populaire. L’armée du tsar est obligée de réprimer des manifestations à Moscou après des épidémies. Les médecins jouent le rôle d’intermédiaires, et sont écoutés par la population en raison de leur dévouement. Ils sont formés dans des facultés, ont une éducation scientifique. Leur bonté est cependant mise à rude épreuve durant les épidémies. Pasteur n’arrivant qu’en 1885, ils ne savent pas ce qu’est un virus, d’où des techniques de guérison qui peuvent nous sembler pas très orthodoxes, mais qui n’étaient en fait pas très ridicules à l’époque. En effet, les médecins observaient de près les étapes de la maladie, et tentaient. Dans le cas du choléra, de réchauffer le malade dans la phase « froide » et de le fortifier avant qu’arrive la dernière phase, celle qui allait déterminer la survie ou la mort.

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En France, le préfet Haussmann a mené la politique d’assainissement de Paris, en repoussant les petites gens jusque dans les banlieues, en construisant des infrastructures et de grands boulevards. D’où la crainte des bourgeois de la population qui « descend » sur Paris, qui marche sur Paris.

La « question sociale »

La distinction ne se fait plus sur le sang, mais sur le statut social engendrant une élite bourgeoise. Est internalisée une hiérarchie sociale et morale. L’élite est constituée d'individus qui, ayant réussi à gérer leurs affaires, possèdent donc le crédit nécessaire afin de gérer le pays. Ce sont d'ailleurs pendant un moment les seuls à pouvoir voter. Les ouvriers sont vus comme des enfants cédant à l’alcoolisme. Une idée reçue par les ouvriers est qu'il ne faut pas se mettre en colère, car cela pourrait amener le choléra, c'est pourquoi il n'y a pas de manifestation. Dans ce contexte, les bourgeois deviennent paranoïaques des banlieues ouvrières.

« Si vous osez pénétrer dans les quartiers maudits où [la population ouvrière] habite, vous verrez à chaque pas des hommes et des femmes flétries par le vice et par la misère, des enfants à demi nus qui pourrissent dans la saleté et étouffent dans des réduits sans jour et sans air. Là, au foyer de la civilisation, vous rencontrerez des milliers d’hommes retombés, à force d’abrutissement, dans la vie sauvage ; là, enfin, vous apercevrez la misère sous un aspect si horrible qu’elle vous inspirera plus de dégoût que de pitié, et que vous serez tenté de la regarder comme le juste châtiment d’un crime [...]. Isolés de la nation, mis en dehors de la communauté sociale et politique, seuls avec leurs besoins et leurs misères, ils s’agitent pour sortir de cette effrayante solitude, et, comme les barbares auxquels on les a comparés, ils méditent peut-être une invasion. »

— Buret, cité par Chevalier, 594-595.

Annexes

Références

  1. Utenda. "La Loi Des 15%." Flashcards. Quizlet, 1 Aug. 2014. Web. 03 Oct. 2014. <http://quizlet.com/45990358/heg-flash-cards/>.
  2. Ernst Engel, Die Lebenskosten belgischer Arbeiterfamilien frueher und jetzt. Ermittelt aus Familienhaushaltsrechnungen und vergleichend zusammengestellt, Bulletin of the International Institute of Statistics, 9, 1895, pp.57 et suiv.
  3. Loi d'Engel. (2013, novembre 21). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 20:36, octobre 8, 2014 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Loi_d%27Engel&oldid=98523654.
  4. "Loi Le Chapelier." Wikipédia, l'encyclopédie libre. 15 sept 2014, 08:00 UTC. 3 oct 2014, 17:39 <http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Loi_Le_Chapelier&oldid=107461787>.