Le libéralisme classique et ses origines historiques

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Le libéralisme classique et ses origines historiques
Professeur(s) Pierre Allan

Lectures


Pour le baron de Montesquieu :

« l’effet naturel du commerce est de porter à la paix »

— Montesquieu, De l’esprit des lois.

Les contemporains du début du XXème siècle pensaient qu’une guerre ne pouvait avoir lieu, car ils pensaient que ce n’était pas dans l’intérêt de l’Allemagne et de la France de faire la guerre.

Ce n’est pas parce que les choses sont rationnelles qu’on doit arriver à une solution rationnelle.

La vision de Morgenthau est qu’il y a un changement de vision et on voit autre chose, il y a un paradigme alternatif : le libéralisme.

Principes de ce paradigme alternatif (au réalisme)

Le libéralisme est voir les relations internationales comme des relations entre les nations, internationales.

C’est une vision différente des réalistes, il y a des relations entre les nations qui sont subétatiques, mais aussi au niveau interétatique lui-même.

Principes du libéralisme

Le libéralisme est un système de pensée et une idéologie qui met en avant quatre grands principes :

  • liberté

Il est préférable de choisir librement que sous la contrainte, la liberté est un bien en soi.

  • égalité

Il y a les libéraux qui parlent de méritocratie, d’égalité de réussite, et les libéraux qui prônent une répartition égalitaire. Marx est un libéral, ses idées s’appuient sur le libéralisme, l’égalité est une égalité dans les résultats, il ne faut pas oublier que Marx est un économiste bourgeois du XIXème siècle qui cherche à concilier la théorie économique classique à l’histoire.

  • rationalité

Utilisation des moyens à disposition de la meilleure des manières pour se rapprocher de ses intérêts.

  • propriété privée

Être libre en étant démuni n’est pas être véritablement libre, il faut quelque chose dans la mesure de l’homme pour lui permettre d’exercer ces possibilités. Pour Smith, c’est par l’égoïsme individuel que va se développer la richesse des peuples.

Marx fait l’apologie du capitalisme, la propriété privée est quelque chose d’indispensable pour le mode de production capitaliste, l’avenir de l’histoire est de casser la propriété privée et d’arriver à une période d’abondance où il n’y aura plus de propriété privée. Marx qui est pour la liberté et l’égalité faisant des analyses rationalistes de l’histoire prône le fait qu’il faut, à un moment donné, rompre avec le système.

Les niveaux d’analyse

1ère image (niveau d'analyse; cf. Waltz 1959) : guerre résulte de la nature de l'homme (qui cherche à dominer)

oui, aussi chez Kant.

Kant part de Hobbes, partant de la représentation de la nature humaine que fait Hobbes, mais arrive n’ont pas à la guerre de tous contre tous, mais à la paix.

Il part sur des bases mauvaises pour en venir à un monde qui est bon, les libéraux sont des optimistes et progressistes au contraire des réalistes qui sont pessimistes et conservateurs.

2ème image : guerre résulte de la nature des États-nations; oui, pour les libéraux

Il faut tendre vers des démocraties qui sont pacifiques entre elles.

Chez Waltz et Mearsheimer, la guerre ne résulte pas de la nature des États-nations, par exemple, la puissance relative d’Athènes est la bipolarité pour Thucydide qui fait que chaque pôle se sent naturellement agressé et menacé par l’autre pôle, par le simple fait que l’autre pôle existe.

Pour les libéraux, les démocraties tendent à ne pas se faire la guerre entre elles, cela ne veut pas dire que les démocraties ne sont pas impliquées dans des guerres, mais qu’une démocratie ne va pas faire de guerre à une autre démocratie.

3ème image : guerre résulte de la nature du système international (SI)

oui, SI anarchique; toutefois, des institutions internationales permettent d'aller dans le sens d'une certaine hiérarchie et contribuer ainsi à un ordre (=> paix).

Pour les libéraux, le système international est anarchique, toutefois on peut avoir des institutions internationales qui permettent d’aller dans le sens d’une certaine hiérarchie, les institutions internationales peuvent pacifier le monde international ; c’est une vision institutionnaliste.

Cette hiérarchie et cet ordre amènent la paix

Nota bene - le libéralisme place – comme le réalisme – les intérêts égoïstes et la puissance des acteurs internationaux au centre de l'analyse.

Pour les réalistes, lorsqu’on a une contre coalition défense cela est de la coopération, même dans le cas du réalisme on a une explication de la coopération, c’est l’équilibre des forces ; dans le libéralisme, on tend plus à mettre l’accent sur la coopération.

Quelques penseurs et idées fondatrices du libéralisme politique classique

Jean Bodin et la souveraineté

« La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République […] c'est-à-dire la plus grande puissance de commander […]. (Elle) n'est limitée ni en puissance ni en charge à un certain temps »

Trois niveaux de la souveraineté

  • La souveraineté ne s’applique pas à des individus, mais à des États

La souveraineté ne s’applique pas à des individus, mais à des États, c’est une souveraineté par rapport à une communauté, c’est une communauté perpétuelle.

  • perpétuelle → communauté (donc indépendante des individus qui naissent et meurent)
  • absolue : inconditionnelle et irrévocable, elle est la source de tout pouvoir et de toute autorité à l'intérieur de la communauté

pacta sunt servanda : souverains doivent et ont intérêt à respecter leurs engagements/traités ("contrat").

Ce vers qui nous nous engageons, ils ne vont pas de nouveau s’engager si on ne respecte pas la parole donnée, si les engagements ne sont pas respectés, on ne sera plus considéré comme des partenaires fiables ; c’est en cela que la rationalité est centrale.

Souveraineté limité : 3 type de limites

  1. les princes sont limités par la loi divine ou naturelle : la souveraineté n'est pas la propriété personnelle du prince : la réflexion sur les normes à utiliser sur le plan social sont des normes que la raison nous dicte ; la souveraineté n’est pas la propriété du prince.
  2. souveraineté limitée par la constitution qui prescrit les changements légitimes : Par exemple un prince au pouvoir absolu n'a pas le droit de transformer sa monarchie en une aristocratie ou une démocratie ; cette conception prépare la monarchie constitutionnelle.
  3. le pouvoir des princes est limité par les traités : Pacta Sunt Servanda : « même le roi au pouvoir le plus absolu doit se conformer aux traités justes et aux promesses qu'il a faites. »

Seuls des princes myopes souscrivent à des traités qu'ils n'ont pas l'intention de respecter : bonne réputation => traités avantageux futurs.

=> ordre inter-étatique doit & peut émerger entre États dont le comportement est rationnel et juste (→ justice, droit international)

Fénelon

(→ Sur la nécessité de former des alliances, tant offensives que défensives, contre une puissance étrangère qui aspire manifestement à la monarchie universelle, 1715)

« Cette attention à maintenir une espèce d'égalité et d'équilibre entre les nations voisines est ce qui en assure le repos commun. À cet égard, toutes les nations voisines et liées par le commerce font un grand corps et une espèce de communauté. Par exemple, la chrétienté fait une espèce de république générale, qui a ses intérêts, ses craintes, ses précautions à observer. Tous les membres qui composent ce grand corps se doivent les uns les autres pour le bien commun, […]. »

Il est possible de faire une lecture chez Fénelon qui est libérale.

Montesquieu, ou "le commerce adoucit les moeurs"

(→ De l'Esprit des Lois, ou du rapport que les lois doivent avoir avec la Constitution de chaque gouvernement, les moeurs, le climat, la religion, le commerce, etc., 1748)

« L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes ; si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. »

Montesquieu aborde la notion de gain absolu : lorsque les États-Unis font du commerce avec la Chine, les États-Unis gagnent.

Le réalisme met l’accent sur les gains relatifs, plus les États-Unis font du commerce avec la Chine plus cela profite à la Chine.

=> tous gagnent au commerce → gains absolus

N.B.: rupture avec réalisme sécuritaire pour qui seule la puissance compte (soit des gains relatifs)

→ "libéralisme commercial"

Kant : théorie et éthique de la paix ou des républiques pacifiques

Dans son ouvrage Essai sur la paix perpétuelle de 1795 Kant considère trois éléments de nature théorique qui, s’ils viennent tous les trois, vont permettre le développement d’un monde où à terme la guerre sera absente.

Théorie et éthique de la paix ou des républiques pacifiques.png

Pour Kant, il faut chercher à montrer que lorsque les rapports économiques comptent, ils sont les plus importants.

Chez Kant, il y a une théorie morale qui utilise des intérêts économiques, un calcul de la rationalité économique des acteurs, les gens sont bons parce qu’ils ont intérêt à être bons.

Kant propose une théorie où il y a trois conditions qui sont à la fois nécessaires et suffisantes pour obtenir la paix perpétuelle.

Article définitif en vue de la paix perpétuelle

Premier article définitif en vue de la paix perpétuelle : la constitution civile de chaque État doit être républicaine

Il faut un régime où ceux qui décident ne sont pas les mêmes que ceux qui mettent en avant les principes de décision ; l’exécutif est séparé du législatif, il y a une séparation des pouvoirs. Entre le gouvernement et le parlement, il faut une séparation.

La protection de la liberté de culte est une protection qui est au-dessus de la volonté populaire, la décision du peuple suisse aussi démocratique soit elle concernant les minarets n’est pas acceptable parce qu’elle ne respecte pas les droits fondamentaux des individus.

« Lorsqu’il faut faire appel au suffira des citoyens (et qu’il n’en peut aller autrement dans une constitution républicaine) pour décider si la guerre doit avoir lieu ou non, il n’y a rien de plus naturel qu’ayant à décréter contre eux-mêmes tous les malheurs de la guerre, ils réfléchissent mûrement avant d’entreprendre un jeu si dangereux (il devraient , en effet, combattre en personne, payer de leurs propres ressources les frais de la guerre, réparer péniblement les dévastassions qu’elle laisse derrière elle ; enfin, pour comble de maux, ils contracteraient une dette qui rendrait amère la paix elle-même et qui ne pourrait jamais être amortie avant que n’éclate une nouvelle guerre). »

Ce n’est pas dans l’intérêt des États de faire la guerre contre d’autres démocraties, lorsque le droit de vote est attribué en 1795, à ce moment-là les choses changent.

Second article définitif en vue de la paix perpétuelle : le droit des gens doit être fondé sur une fédération d'États libres

[= jus gentium = Droit international public] C’est la raison qui explique pourquoi les États ne se font pas la guerre entre eux.

Il faut noter la théorie des biens publics, si par bonheur un État plus puissant dans une région va encourager les autres à avoir une constitution républicaine, alors on ne va plus faire la guerre entre ces différents États.

Troisième article définitif en vue de la paix perpétuelle : le droit cosmopolitique (Weltbürgerrecht) doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle

[= "droit de visite" => libéralisme commercial possible] C’est le droit des gens d’être des bourgeois du monde qui est une exigence très limitée, une sorte de droit de visite, n’importe qui peut voyager sans être tué et de profiter de l’hospitalité universelle.

Selon Kant, si on a le droit de faire cela, la recherche du profit et d’un égoïsme individuel va faire que les gens sont en relation les uns avec les autres et donc que le libéralisme commercial va développer cette interdépendance qui profite aux deux parties rapprochant les peuples et s’inscrivant dans la logique du libéralisme démocratique et vice-versa.

  1. le système international est anarchique : le système international est anarchique, toutefois grâce aux règles et institutions du libéralisme commercial et du libéralisme démocratique, ce système international pourrait devenir pacifique.
  2. toutefois, grâce aux règles et institutions du libéralisme commercial et du libéralisme démocratique : Kant défend une utopie réaliste, si une utopie est réaliste en ce sens, alors il est de notre devoir de réaliser cet idéal. C’est quelque chose qu’on ne réalise pas dans le sens du réalisme politique, mais dans le sens où cela peut devenir une réalité.
  3. il pourrait devenir pacifique
  4. « Chacun pour soi, mais le système pour tous »
  5. = aller du dilemme de la sécurité à sa solution
  6. grâce à la (bonne) main invisible....

Kant et les Quatre principes du libéralisme classique

  • liberté → citoyens libres, républiques libres
  • égalité → entre citoyens, entre républiques
  • propriété privée → calculs du coût de la guerre et de ses dettes
  • rationalité → cf. ci-dessus et argument des démons:
  • « État d'anges » nécessaire ? Non, répond Kant. Pourquoi ?
  • « inclinations égoïstes » => « l'homme, même s'il n'est pas un homme moralement bon, est contraint d'être cependant un bon citoyen' ». Même si les citoyens ne sont pas bons on peut diverger honnêtement est sincèrement sur l’organisation du système politique. Même si l’homme n’est pas bon, la démocratie est bonne parce qu’elle force les citoyens à prendre de bonnes décisions.
  • « faire tourner au profit des hommes le mécanisme de la nature pour diriger au sein d'un peuple l'antagonisme de leurs intentions hostiles, d'une manière telle qu'ils se contraignent mutuellement eux-mêmes à se soumettre à des lois de contrainte et produisent ainsi l'état de paix où les lois disposent d'une force'. » => institutions républicaines : on se contraint mutuellement par rapport à son propre intérêt individuel ; il faut avant tout changer les êtres individuels en des « anges ». Ainsi pour Kant les individus peuvent être mauvais
  • « le problème de l'institution de l'État (...) n'est pas insoluble, même pour un peuple de démons (pourvu qu'ils aient un entendement). » : si les démons sont idiots, ils vont prendre des décisions mauvaises même pour le propre intérêt et vice-versa.

Wilson : la paix par le libéralisme commercial, le libéralisme démocratique et la Société des nations

En janvier 1918, Wilson propose un règlement, une organisation, une structuration du système international à partir de la douloureuse expérience de la Première Guerre Mondiale.

Wilson, en janvier 1918, est déjà le défenseur du libéralisme occidental, les États-Unis sortant comme la grande puissance de cette guerre, il est conscient de la force idéologique du communisme qui s’est établie au pouvoir peu auparavant à Moscou.

Les quatorze points montrent qu’on souhaite aller dans le sens la décolonisation marquant la rivalité entre les États-Unis et la Russie bolchévique.[1] (→ Fourteen Points, 8 January 1918)

« XIV. A general association of nations must be formed under specific covenants for the purpose of affording mutual guarantees of political independence and territorial integrity to great and small states alike ».

Il faut interpréter ces quatorze points du point de vue libéral ; par exemple la liberté des mers est quelque chose d’essentiel pour le libéralisme commercial, on ne peut concevoir un monde qui se globalise sans les transports maritimes.

Les libéraux internationalistes veulent transformer le monde par des idéaux parce qu’ils veulent transformer le monde en développant la paix.

La Société des Nations aura une importance décisive pour Genève, c’était un formidable espoir, car il s’agissait vraiment d’avoir une communauté des nations et de ne plus refaire les erreurs de 1914.

Wilson et les libéraux internationalistes parlent de l’internationalisme libéral, mais plus tard on parle d’idéalisme.

C’est précisément contre cet idéalisme que Carr en 1939 peu avant la Deuxième guerre mondiale publie un ouvrage qui est une condamnation de cet idéalisme : le conflit de la Seconde guerre mondiale est une validation du libéralisme internationaliste qui prend contre pied de l’idéalisme.

= "idéalisme" (critique des réalistes) Cet idéal est un problème d’action collective et des biens publics, nous verrons avec la théorie de l’action collective que ce n’est pas parce que tout le monde veut quelque chose que cela va se produire, car chacun veut goûter aux fruits de certaines choses, mais sans payer le prix de l’intervention, comme par exemple en Éthiopie où l’Italie mène une guerre coloniale et la Société des Nations ne réagit pas.

Tout le monde veut bénéficier des bénéfices de la paix internationale, mais personne ne veut payer le prix avec la nécessaire menace et la volonté réaliste d’intervenir.

Notes

Références

  1. THRONTVEIT, T. (2011). The Fable of the Fourteen Points: Woodrow Wilson and National Self-Determination. Diplomatic History, 35(3), 445–481. https://doi.org/10.1111/j.1467-7709.2011.00959.x