Introduction à la théorie politique

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Nous allons examiner et interpréter des modèles démocratiques contemporains à travers une perspective normative. Notre objectif est de comprendre la démocratie non seulement en termes de ses institutions et pratiques, mais également en termes de ses valeurs et principes idéaux.

Notre analyse commencera par une exploration du concept de démocratie à partir de l'Antiquité grecque, en mettant l'accent sur les enjeux et défis qui ont façonné la philosophie démocratique. Ensuite, nous examinerons deux perspectives modernes de la démocratie : la vision élitiste de Schumpeter et la vision pluraliste de Dahl. La vision élitiste de Schumpeter met l'accent sur l'aspect compétitif de la démocratie et voit le rôle du citoyen davantage comme un électeur qu'un participant actif au gouvernement. La vision pluraliste de Dahl, en revanche, envisage une démocratie où les citoyens, par le biais de groupes et d'associations, ont une participation plus active et directe dans la formulation de la politique.

Au fur et à mesure, nous mettrons en exergue les forces et les faiblesses de ces deux modèles, en insistant sur les limites inhérentes au modèle pluraliste, telles que l'exclusion des petits groupes, la nécessité de ressources pour l'organisation des groupes et les préjugés arbitraires existants. Enfin, notre objectif sera de chercher à comprendre comment nous pouvons envisager un modèle de démocratie qui peut à la fois récupérer ce qui était fort et attirant dans le modèle pluraliste, tout en acceptant la nécessité d'efforts intentionnels pour estomper les inégalités héritées du passé. Cet article, basé sur une approche à la fois théorique et empirique, se veut une exploration en profondeur de la démocratie en tant qu'idéal et réalité.

Qu’est-ce que la théorie politique normative ?[modifier | modifier le wikicode]

Utilisation du modèle pluraliste de la démocratie en tant qu'outil d'analyse[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle pluraliste de la démocratie est un concept important dans la théorie politique. Le pluralisme fait référence à la diversité des opinions et des intérêts présents dans une société démocratique et postule que la démocratie est mieux réalisée lorsque ces divers groupes ont la possibilité de faire entendre leur voix dans le processus politique. En termes plus simples, le pluralisme démocratique suggère qu'il n'y a pas un seul intérêt général ou commun, mais plutôt une multitude d'intérêts particuliers représentés par différents groupes de citoyens. La politique est alors vue comme un champ de bataille pour ces différents groupes, qui cherchent à influencer les décisions politiques en leur faveur.

Du point de vue de la science politique empirique, le modèle pluraliste est utile pour analyser comment les décisions politiques sont prises dans les démocraties réelles. Il permet d'explorer la dynamique des groupes de pression, des partis politiques, des syndicats, des entreprises, et d'autres groupes d'intérêt. Il peut aussi aider à expliquer pourquoi certaines politiques sont adoptées tandis que d'autres ne le sont pas, en fonction de la force et de l'influence relative de différents groupes d'intérêt. Du point de vue de la théorie politique normative, qui se concentre sur comment les choses devraient être plutôt que sur comment elles sont, le modèle pluraliste peut être à la fois une source d'optimisme et de critique. D'une part, il peut être vu comme une affirmation de la diversité et de la liberté d'expression, où chaque groupe a la possibilité d'influencer la politique. D'autre part, il peut être critiqué pour sa tendance à favoriser les groupes qui ont déjà du pouvoir et des ressources, au détriment de ceux qui sont marginalisés ou moins bien organisés.

Le modèle pluraliste est une base fondamentale dans la science politique, tant dans son aspect empirique que normatif. Sur le plan empirique, le modèle pluraliste offre un cadre pour comprendre comment fonctionne une démocratie dans la pratique. Il reconnaît que la société est composée de divers groupes d'intérêt qui cherchent à influencer les politiques publiques. En observant ces interactions, nous pouvons analyser comment ces diverses forces contribuent à façonner le paysage politique. De plus, le modèle pluraliste nous permet de poser des questions clés sur la distribution du pouvoir et de l'influence dans une société. Par exemple, quels groupes sont les plus influents ? Quels groupes sont marginalisés ou exclus du processus politique ? Comment ces dynamiques affectent-elles les résultats politiques ? Sur le plan normatif, le modèle pluraliste nous aide à réfléchir à ce que devrait être une démocratie. Il valorise la diversité des opinions et la compétition entre différents groupes d'intérêt comme moyen de réaliser la démocratie. Cependant, il souligne également les défauts potentiels de ce modèle, tels que la possibilité que certains groupes soient disproportionnellement puissants et d'autres marginalisés. Enfin, le modèle pluraliste peut aussi nous aider à formuler des recommandations sur la manière d'améliorer le fonctionnement de la démocratie. Par exemple, si nous constatons que certains groupes sont régulièrement exclus du processus politique, nous pourrions proposer des réformes pour augmenter leur inclusion et leur influence.

Évolution des perspectives sur le modèle pluraliste[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle pluraliste a pris de l'ampleur dans la science politique occidentale pendant les années 1950, 1960 et 1970. Plusieurs chercheurs ont développé et formalisé ce concept pendant cette période. Les travaux de Robert Dahl sont particulièrement notables. Dans son livre "Who Governs?" (1961), Dahl examine le fonctionnement du pouvoir dans une ville américaine et conclut que le pouvoir est distribué entre plusieurs groupes d'intérêts plutôt que concentré entre les mains d'une élite.[1] David Truman, dans "The Governmental Process" (1951), a également développé l'idée que la politique est largement déterminée par l'interaction de divers groupes d'intérêts.[2] Selon lui, ces groupes sont formés en réponse à des pressions sociales partagées et sont essentiels pour la stabilisation de la société. Dans "The Semi-Sovereign People" (1960), E.E. Schattschneider a soutenu que le modèle pluraliste a ses limites, en particulier lorsqu'il s'agit d'assurer une représentation équitable de tous les intérêts de la société.[3] Il a notamment souligné que certains groupes d'intérêts ont un avantage disproportionné dans le processus politique. Ces théories ont été fondamentales pour comprendre le fonctionnement de la démocratie et sont encore largement utilisées aujourd'hui, bien qu'elles aient été complétées et critiquées par des approches ultérieures, notamment celles qui mettent l'accent sur le rôle de l'élite, les inégalités de pouvoir, et l'importance des institutions politiques.

Comprendre le modèle pluraliste peut servir de base pour explorer d'autres modèles de démocratie, y compris le modèle élitiste. Le modèle élitiste, aussi connu sous le nom de modèle de démocratie compétitive ou de démocratie schumpétérienne (du nom du théoricien politique Joseph Schumpeter), offre une perspective différente sur la façon dont la démocratie fonctionne. Selon Schumpeter dans son ouvrage "Capitalisme, socialisme et démocratie" (1942), la démocratie est définie par la compétition pour le leadership politique entre une élite. Plutôt que de mettre l'accent sur la participation directe du citoyen, comme le fait la démocratie directe, ou sur la compétition entre groupes d'intérêts divers, comme le fait le modèle pluraliste, Schumpeter voit la démocratie principalement comme un mécanisme par lequel les citoyens élisent leurs dirigeants. Pour Schumpeter, le rôle principal du citoyen est de participer aux élections pour choisir entre différents candidats de l'élite. Il a soutenu que ce modèle est plus réaliste et fonctionnel que le modèle de démocratie directe, en particulier dans les sociétés complexes et largement peuplées d'aujourd'hui. Le modèle élitiste de Schumpeter a été critiqué pour son approche minimaliste de la démocratie. Certains soutiennent qu'il donne trop de pouvoir à l'élite et ne fait pas assez pour encourager la participation des citoyens ou pour assurer la représentation des intérêts divers de la société. Cependant, il offre une perspective utile pour analyser la réalité du fonctionnement de nombreuses démocraties modernes. En fin de compte, les modèles pluraliste et élitiste offrent des perspectives différentes mais complémentaires sur la démocratie. Ils soulignent tous deux l'importance de la compétition dans le processus démocratique, mais ils diffèrent quant à qui participe à cette compétition (groupes d'intérêts divers dans le modèle pluraliste, élite politique dans le modèle élitiste) et comment elle se déroule.

La démocratie moderne, en particulier le modèle élitiste, est généralement considérée comme la forme de gouvernement la plus légitime dans de nombreuses parties du monde aujourd'hui. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas et il existe de nombreux défis et critiques associés à ce modèle. Tout d'abord, le modèle élitiste repose sur l'idée que l'élite politique est la mieux placée pour gouverner. Cela découle de la croyance que l'élite a les connaissances, l'expertise et les ressources nécessaires pour prendre des décisions éclairées au nom de la population. Cependant, cela a été critiqué pour le fait que cela peut mener à une concentration du pouvoir entre les mains d'un petit nombre d'individus, potentiellement à l'abri de la volonté du peuple. De plus, bien que la démocratie élitiste implique des élections, certains soutiennent qu'elle n'encourage pas suffisamment la participation citoyenne au-delà du vote. Les citoyens peuvent se sentir déconnectés du processus politique et penser que leurs voix ne sont pas vraiment entendues, ce qui peut conduire à l'apathie et au cynisme. Ensuite, le modèle élitiste peut également être critiqué pour ne pas tenir suffisamment compte des inégalités de pouvoir et de ressources dans la société. Certains groupes peuvent avoir plus de moyens pour influencer les politiques publiques que d'autres, ce qui peut conduire à des résultats qui ne sont pas équitables pour tous. Enfin, la démocratie moderne est confrontée à de nombreux défis qui ne sont pas spécifiques au modèle élitiste, mais qui sont toujours pertinents. Ces défis incluent la désinformation, la polarisation politique, la corruption et la menace du populisme.

La démocratie telle qu'elle a été pratiquée dans les cités-états grecques antiques d'Athènes et de Sparte était très différente de la démocratie telle que nous la connaissons aujourd'hui. Dans la démocratie athénienne, par exemple, tous les citoyens - définis alors comme des hommes libres nés de parents athéniens - avaient le droit de participer directement à l'assemblée politique et de voter sur toutes les questions. C'était une forme de démocratie directe, où les citoyens eux-mêmes faisaient les lois et prenaient les décisions politiques. Dans le modèle spartiate, bien que le système ne soit pas aussi démocratique que celui d'Athènes, il y avait encore un certain degré de participation des citoyens, notamment au sein de l'assemblée des citoyens, où des lois étaient proposées par les éphores (dirigeants) et votées par les citoyens. Cependant, ces modèles anciens avaient des limites importantes. Ils excluaient une grande partie de la population - les femmes, les esclaves, les étrangers - de la participation politique. De plus, ils étaient possibles en grande partie grâce à la petite taille des cités-états, qui permettait à tous les citoyens de se rassembler en un seul lieu pour prendre des décisions.

Lorsque nous nous tournons vers la période moderne, surtout après la Seconde Guerre mondiale, la démocratie telle qu'elle était pratiquée dans l'Antiquité semblait peu applicable. Les nations modernes sont beaucoup plus grandes et plus diversifiées, avec des populations bien plus nombreuses. Une démocratie directe à la manière athénienne serait logistiquement difficile, sinon impossible, à mettre en œuvre à grande échelle. De plus, le traumatisme de la guerre a fait naître un désir de stabilité, de sécurité et de restauration de l'ordre, qui a parfois été mieux servi par des formes non démocratiques de gouvernement, comme les monarchies constitutionnelles ou même les régimes totalitaires. C'est donc pour ces raisons que le modèle de démocratie qui a prévalu après la Seconde Guerre mondiale est généralement une forme de démocratie représentative, où les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions en leur nom, plutôt qu'une démocratie directe. Cela est vu comme un compromis entre le besoin d'une participation citoyenne et les contraintes pratiques de la gouvernance à grande échelle.

Questionnements et préoccupations majeurs de la théorie politique normative[modifier | modifier le wikicode]

Alors, pourquoi avons-nous vraiment même de nos jours un vrai défi, à savoir ce que peut être la démocratie dans le monde moderne  ?

La théorie politique normative est l'une des plus anciennes branches de la science politique et est étroitement liée à la philosophie morale. Elle se préoccupe de questions telles que "Qu'est-ce qu'une bonne société?" ou "Quels devraient être les objectifs du gouvernement?" Il s'agit de questions sur ce qui devrait être, plutôt que sur ce qui est - d'où le terme "normatif". La théorie politique normative peut être retracée jusqu'aux philosophes grecs anciens comme Platon et Aristote, qui ont réfléchi à la nature de la justice, de la vertu et du meilleur type de gouvernement. Ces idées ont continué à être développées tout au long de l'histoire par des penseurs tels que Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Immanuel Kant, John Stuart Mill et bien d'autres. La théorie politique normative continue d'être une partie importante de la science politique aujourd'hui, même si elle est parfois moins mise en avant que d'autres aspects plus empiriques de la discipline. Elle joue un rôle clé dans notre compréhension des idéaux démocratiques, des droits de l'homme, de l'égalité, de la liberté et de la justice sociale. Cependant, il est également vrai que la science politique contemporaine a largement évolué pour inclure une variété de méthodes quantitatives et qualitatives qui cherchent à comprendre le comportement politique, les institutions, les politiques publiques et d'autres aspects du fonctionnement des gouvernements. Ces approches empiriques et analytiques sont souvent considérées comme plus "scientifiques" en raison de leur objectivité et de leur reproductibilité, mais cela ne diminue en rien la valeur de la théorie politique normative. En fait, la théorie politique normative et la science politique empirique sont souvent complémentaires. Les théories normatives peuvent fournir des cadres pour interpréter et évaluer les données empiriques, tandis que la recherche empirique peut aider à tester et affiner les théories normatives. Ensemble, elles contribuent à une compréhension plus complète et nuancée de la politique.

La théorie politique normative, et donc la science politique dans son ensemble, a ses racines dans la philosophie de l'Antiquité grecque. Socrate, par exemple, était connu pour sa méthode d'interrogation critique, souvent appelée "maïeutique" ou "méthode socratique", dans laquelle il posait des questions pour amener ses interlocuteurs à réfléchir de manière plus profonde et plus critique sur leurs convictions et présuppositions. Bien que Socrate lui-même n'ait pas écrit d'ouvrages, ses dialogues avec ses disciples, tels que rapportés par Platon, touchent souvent à des questions de justice, d'éthique et de la meilleure façon de vivre, des thèmes qui sont au cœur de la théorie politique normative. Platon, l'un des élèves de Socrate, a ensuite formalisé ces idées dans ses écrits, notamment dans "La République", où il examine la question de la justice et propose une vision de la société idéale. Aristote, un autre philosophe grec ancien, a également apporté d'importantes contributions à la théorie politique normative, en examinant la nature et le but de l'État et en classifiant différentes formes de gouvernement. Ces idées ont été développées et débattues tout au long de l'histoire de la philosophie et de la science politique, et continuent de façonner notre compréhension de la politique aujourd'hui. Bien que la science politique ait évolué pour inclure de nombreuses autres méthodes et approches, la théorie politique normative reste une partie fondamentale de la discipline.

La théorie politique normative se préoccupe de la manière dont le monde devrait être, en se concentrant sur les questions de justice, de droits, de devoirs, de bon gouvernement et de bonnes institutions. Elle va au-delà de la description du monde tel qu'il est et cherche à établir comment il devrait être sur la base de principes éthiques et moraux. Par exemple, la question du vote obligatoire soulève de nombreux problèmes dans le domaine de la théorie politique normative. Les défenseurs du vote obligatoire peuvent avancer que tous les citoyens ont le devoir de participer au processus démocratique, car c'est ainsi que nous assurons la représentativité et la légitimité du gouvernement. Ils peuvent également argumenter que le vote obligatoire favorise l'égalité en veillant à ce que tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale, leur éducation ou leur niveau de revenu, aient leur mot à dire dans le processus politique. D'un autre côté, les critiques du vote obligatoire pourraient argumenter que forcer les citoyens à voter enfreint leur liberté individuelle, un principe également valorisé dans de nombreux systèmes démocratiques. Ils pourraient également soutenir que le vote devrait être un droit, mais pas nécessairement un devoir, et que la responsabilité d'inciter les citoyens à voter devrait incomber aux politiciens, qui devraient proposer des politiques convaincantes et engageantes. Dans ce débat, la théorie politique normative offre un cadre pour évaluer les arguments des deux côtés, en s'appuyant sur des principes tels que la liberté, l'égalité, le devoir et la justice. C'est un exemple de la manière dont la théorie politique normative peut aider à éclairer les discussions sur les questions politiques contemporaines.

La théorie politique normative s'attache à établir des idéaux pour la société et le comportement individuel sur la base de principes moraux et éthiques. Elle pose des questions fondamentales sur ce que signifient la liberté, l'égalité, la justice, et comment ces concepts devraient être incarnés dans nos institutions et nos actions. Par exemple, la théorie politique normative peut aider à définir ce que signifie véritablement la "liberté". S'agit-il simplement de l'absence de contraintes (liberté "négative"), ou implique-t-elle également la capacité réelle d'agir selon ses propres objectifs (liberté "positive")? Et comment ces différentes conceptions de la liberté peuvent-elles se traduire dans la pratique, en termes de lois, de politiques et d'institutions? De même, la théorie politique normative peut aider à définir et à équilibrer les idéaux d'égalité et de solidarité. Par exemple, quelle égalité devrait être visée - égalité des opportunités, égalité des résultats, ou quelque chose entre les deux? Et comment ces objectifs peuvent-ils être réconciliés avec la liberté individuelle et l'efficacité économique? En outre, la théorie politique normative peut aider à guider nos préférences politiques et nos actions. Par exemple, elle peut nous aider à réfléchir à nos responsabilités en tant que citoyens, à la nature de la justice sociale, ou à la manière dont nous devrions traiter les questions d'environnement, de migration, de genre et de race. Dans tous ces cas, la théorie politique normative fournit des outils pour réfléchir de manière critique à ces questions, pour débattre de différentes perspectives et pour guider nos efforts pour créer un monde meilleur.

Intersections entre la théorie politique normative et la science politique empirique[modifier | modifier le wikicode]

Bien que la théorie politique normative et la science politique empirique soient différentes dans leurs approches et leurs objectifs, elles ne sont pas mutuellement exclusives. Au contraire, elles sont souvent complémentaires et s'informent mutuellement. La théorie politique normative se préoccupe des questions de ce qui devrait être et peut donc être guidée par des principes moraux, éthiques et philosophiques. Cependant, pour formuler des propositions normatives pertinentes et efficaces, il est nécessaire de comprendre le monde tel qu'il est. C'est là qu'intervient la science politique empirique. La science politique empirique utilise des méthodes de recherche scientifiques pour comprendre comment le monde politique fonctionne. Cela peut impliquer l'étude de tout, depuis le comportement des électeurs et le fonctionnement des institutions politiques, jusqu'à l'impact des politiques publiques et la dynamique des relations internationales. Elle cherche non seulement à décrire ces phénomènes, mais aussi à expliquer pourquoi ils sont comme ils sont. Ces connaissances empiriques peuvent à leur tour éclairer la théorie politique normative. Par exemple, si nous voulons soutenir que les démocraties devraient adopter certaines pratiques pour être plus justes ou plus efficaces, il est utile de savoir comment ces pratiques fonctionnent dans le monde réel. Ou si nous voulons promouvoir certaines politiques publiques, il est utile de comprendre comment ces politiques ont fonctionné dans le passé et quelles pourraient être leurs conséquences probables. En somme, bien que la théorie politique normative et la science politique empirique aient des approches différentes, elles sont toutes deux essentielles pour une compréhension complète de la politique et peuvent travailler ensemble pour nous aider à comprendre non seulement comment le monde est, mais aussi comment il devrait être.

Bien que les questions posées par la théorie politique normative soient souvent "ce que nous devrions faire" plutôt que "ce qui est", elle utilise également des explications et des preuves pour soutenir ses conclusions, tout comme les branches plus empiriques de la science politique. Les théoriciens politiques normatifs utilisent la logique, la philosophie morale et politique, l'histoire, et parfois même des données empiriques pour construire leurs arguments. Par exemple, un théoricien pourrait utiliser des données historiques pour démontrer les conséquences néfastes de certaines politiques ou institutions, puis argumenter sur la base de ces preuves que nous devrions changer notre approche. Ou encore, un théoricien pourrait examiner une série de principes moraux ou politiques (comme l'égalité, la liberté ou la justice), puis utiliser la logique et le raisonnement pour déterminer quels types de comportements ou d'institutions seraient les plus cohérents avec ces principes. Dans tous les cas, la théorie politique normative ne se contente pas de faire des affirmations sur ce que nous devrions faire ; elle cherche à soutenir ces affirmations avec des arguments rationnels et des preuves. C'est donc, à sa manière, une forme de recherche qui cherche à expliquer non pas le monde tel qu'il est, mais le monde tel qu'il devrait être.

Approche méthodologique en théorie politique normative[modifier | modifier le wikicode]

Il est important de noter que la philosophie morale et politique n'est pas relativiste par nature. Bien que différentes personnes et cultures puissent avoir des idées différentes sur ce qui est moralement ou politiquement correct, cela ne signifie pas que toutes les opinions sont également valides dans une discussion philosophique. La philosophie morale et politique, comme toutes les disciplines académiques, est guidée par des méthodes rigoureuses de raisonnement, de preuve et de débat. Les philosophes ne se contentent pas de déclarer leurs opinions ; ils construisent des arguments logiques pour les soutenir, s'appuient sur des preuves (qu'elles soient empiriques, logiques, historiques ou autre), et soumettent leurs idées à l'examen critique de leurs pairs. De plus, la philosophie morale et politique n'est pas simplement une question d'opinions subjectives. Elle s'appuie sur des principes universels tels que la logique et l'éthique, et elle vise à découvrir des vérités sur des questions comme la justice, la liberté, l'égalité et le bien-être. Même si les gens peuvent être en désaccord sur ces questions, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de réponses correctes ou meilleures à découvrir. Ainsi, bien que la philosophie morale et politique puisse parfois sembler relativiste en raison de la diversité des opinions qu'elle examine, elle est en réalité une discipline rigoureuse qui vise à établir des normes et des vérités sur la façon dont nous devrions agir et organiser notre vie en société.

La théorie politique normative, comme toute autre discipline académique, repose sur des outils méthodologiques rigoureux pour structurer et guider son étude :

  • Logique : C'est la structure de base qui permet d'établir des arguments cohérents et valides. Elle facilite le passage d'une affirmation ou d'un ensemble d'affirmations à une conclusion.
  • Analyse conceptuelle : Cette méthode implique de clarifier et d'analyser les concepts fondamentaux utilisés en théorie politique, comme la justice, l'égalité, la liberté, etc. Cela permet d'établir des bases solides pour le débat et la réflexion.
  • Critiques internes : Il s'agit d'examiner les arguments d'une théorie de l'intérieur, en vérifiant leur cohérence interne, en identifiant les éventuelles contradictions et en explorant les implications de la théorie.
  • Évidence normative : Les théories normatives doivent être étayées par des preuves, que ce soit sous forme de raisonnements logiques, de références à des principes moraux ou éthiques généralement acceptés, ou de preuves empiriques sur les conséquences de différentes actions ou politiques.
  • Jugement moral et éthique : Les théoriciens politiques normatifs utilisent leur jugement moral et éthique pour évaluer différentes situations, politiques, institutions, etc. Cela implique souvent de peser des valeurs et des intérêts concurrents, et de tenter de résoudre les dilemmes moraux et politiques.

La clé pour utiliser ces outils efficacement est de le faire de manière rigoureuse, disciplinée et critique. Il ne s'agit pas simplement d'exprimer des opinions personnelles, mais d'engager un raisonnement approfondi, de rechercher des preuves, de tester des hypothèses et de soumettre les idées à l'examen critique des pairs. De cette façon, la théorie politique normative peut contribuer à une compréhension plus profonde et plus nuancée de la politique et de la morale.

L'enseignement de la théories politique à l'Université de Genève[modifier | modifier le wikicode]

La théorie politique normative et l'histoire des idées sont toutes deux des domaines importants de la science politique, mais elles ont des approches et des objectifs différents. L'histoire des idées implique l'étude de la façon dont les idées et les philosophies ont changé au fil du temps. Elle examine l'évolution des idées politiques, la façon dont elles ont influencé la société et la politique, et comment elles ont été influencées par leur contexte historique. L'histoire des idées peut donc être considérée comme une approche plus descriptive ou empirique de la science politique. En revanche, la théorie politique normative est une discipline qui se penche sur les questions de ce qui devrait être. Elle s'interroge sur les valeurs, les principes et les objectifs qui devraient guider la politique et la société. C'est donc une approche plus prescriptive ou normative de la science politique. Il est important de noter que ces deux approches peuvent se compléter et s'informer mutuellement. L'étude de l'histoire des idées peut éclairer les débats normatifs en montrant comment certaines idées ont fonctionné dans le passé, tandis que la théorie politique normative peut éclairer l'histoire des idées en fournissant un cadre pour évaluer et interpréter les idées du passé. Le département de sciences politiques de l’Université de Genève est à l’heure actuelle le seul département de science politique en Suisse qui enseigne la théorie politique normative du baccalauréat au doctorat, la plupart du temps, en Suisse, on étudie l’histoire des idées.

La théorie politique positive se concentre sur la description, l'explication et la prédiction du comportement politique et des processus politiques. Elle est basée sur des faits observables et cherche à utiliser des méthodes empiriques, y compris quantitatives et mathématiques, pour formuler des théories qui peuvent prédire les comportements futurs. Un exemple de ceci pourrait être l'étude des comportements de vote ou l'analyse des systèmes électoraux. D'autre part, la théorie politique normative se concentre sur les questions de ce qui devrait être, plutôt que sur ce qui est. Elle utilise des outils comme la logique, l'analyse des concepts et l'éthique pour explorer les valeurs, les principes et les normes qui devraient guider le comportement et les institutions politiques. Cela pourrait impliquer, par exemple, une discussion sur la justice sociale, l'égalité, la démocratie, la liberté, les droits de l'homme, et ainsi de suite. Les deux types de théories sont importants et se complètent mutuellement. La théorie politique positive peut nous aider à comprendre comment le monde fonctionne et à prédire ce qui pourrait se passer à l'avenir. La théorie politique normative, quant à elle, peut nous aider à comprendre comment le monde devrait fonctionner et à formuler des objectifs pour l'amélioration de la société et des institutions politiques.

La théorie politique normative diffère des autres formes d'histoire des idées par sa concentration sur les problèmes contemporains et sa préoccupation pour les valeurs et principes qui devraient guider notre réflexion et notre action politiques. En se concentrant sur les problèmes actuels, la théorie politique normative cherche à clarifier les enjeux moraux et politiques en jeu, à identifier et à évaluer les arguments de différentes parties, et à formuler des recommandations sur la manière dont ces problèmes devraient être résolus. L'objectif n'est pas seulement de comprendre les problèmes, mais aussi de contribuer à leur résolution en proposant des principes et des valeurs qui peuvent guider les actions et les politiques. Parfois, cela peut aider à résoudre les conflits en clarifiant les enjeux et en dissolvant les malentendus. Cela ne signifie pas que la théorie politique normative peut résoudre tous les conflits politiques - après tout, de nombreux conflits sont basés sur des désaccords profonds sur les valeurs fondamentales ou les intérêts matériels. Cependant, elle peut aider à rendre ces désaccords plus clairs et plus explicites, et peut-être à identifier des compromis ou des solutions qui respectent autant que possible les valeurs et les intérêts de toutes les parties concernées.

La clarification des différents points de vue est une partie centrale de la théorie politique normative. Cela implique d'examiner et d'expliquer les avantages et les inconvénients des différentes positions politiques et de fournir une analyse équilibrée et nuancée des problèmes. Cette analyse peut ensuite être utilisée pour informer les décisions politiques et pour aider à résoudre les conflits. L'idée est de faire la lumière sur les valeurs, les principes et les objectifs qui sont en jeu dans différents problèmes politiques, et d'expliquer les conséquences de différentes politiques ou actions. Par exemple, si l'on considère un débat sur la fiscalité, une analyse de la théorie politique normative pourrait clarifier les principes de justice, d'égalité et d'efficacité économique qui pourraient être en jeu, et expliquer les implications de différentes politiques fiscales en termes de ces principes. La théorie politique normative ne prétend pas nécessairement résoudre tous les conflits politiques, mais elle vise à rendre ces conflits plus compréhensibles et à fournir des outils pour une réflexion et un débat éclairés. En fin de compte, le but est de contribuer à des décisions politiques plus réfléchies et éthiquement responsables.

La démocratie dans la théorie politique moderne[modifier | modifier le wikicode]

L'importance du pluralisme démocratique[modifier | modifier le wikicode]

Pourquoi devrions-nous étudier les théories pluralistes de la démocratie, dont celle de Robert Dahl est un exemple emblématique ? Quelle est la pertinence de ces théories, élaborées il y a cinquante ans et dont les défauts sont bien connus ? La réponse réside dans le fait que ces théories, et notamment celle de Dahl, nous offrent une représentation du monde démocratique qui semble refléter de manière précise les aspects fondamentaux de nos sociétés contemporaines.

Malgré les différences culturelles et historiques entre des pays tels que les États-Unis, la Suisse, la France, l'Inde, l'Angleterre et les pays scandinaves, on observe des caractéristiques communes qui définissent leurs démocraties modernes. Ces caractéristiques comprennent les gouvernements représentatifs, le suffrage universel, la prise de décision par la majorité à travers des votes, et les "libertés des modernes" pour reprendre l'expression de Benjamin Constant. Ces libertés comprennent la liberté d'expression, de pensée, de religion, d'association, de mouvement et, bien entendu, la liberté de choix politique. Ces valeurs sont essentielles à une démocratie saine et fonctionnelle, en permettant à chaque citoyen d'avoir son mot à dire dans le processus politique et de jouir de ses droits fondamentaux sans crainte de répression ou de discrimination. Ces aspects, mis en évidence par les théories pluralistes, sont cruciaux pour comprendre et appréhender le fonctionnement des démocraties modernes.

Ce qui fait l'importance des théories pluralistes est l'effort qu'elles consacrent à nous proposer un modèle des démocraties modernes, un modèle qui transcende leurs différences. Ce modèle sert non seulement à l'analyse empirique et à la théorisation sociale, mais aussi, et surtout, à établir des jugements normatifs. Il ne se contente pas de dépeindre les caractéristiques de nos sociétés et de notre démocratie moderne. Il offre également une manière de penser la légitimité de nos gouvernements, et de notre manière de nous gouverner. Ce faisant, il nous invite à remettre en question l'idée, parfois répandue, que la démocratie n'est pas, en fin de compte, une forme très efficace de gouvernement. En nous offrant un cadre pour analyser et évaluer nos démocraties, ces théories pluralistes contribuent donc à renforcer notre compréhension des fondements et des défis de nos systèmes politiques modernes.

L'intérêt des théories pluralistes réside dans leur double utilité. D'une part, elles offrent un modèle empiriquement précieux pour l'analyse de la réalité politique. D'autre part, elles se révèlent particulièrement pertinentes d'un point de vue normatif. Ces théories tentent d'expliquer pourquoi, en dépit de leurs défauts notoires, les gouvernements démocratiques de nos sociétés bénéficient d'une légitimité que d'autres formes de gouvernement n'ont pas. Ces modèles pluralistes articulent ainsi une justification de la démocratie, non pas comme une forme parfaite de gouvernement, mais comme la moins imparfaite parmi celles existantes. En soulignant les mécanismes de contrôle, de représentation, et de respect des libertés individuelles propres à la démocratie, les théories pluralistes aident à comprendre pourquoi, malgré ses défauts, la démocratie demeure un mode de gouvernance légitime et préférable à ses alternatives.

Le pluralisme nous propose une vision du gouvernement comme un espace de compétition équitable. Dans ce modèle, les partis politiques organisés, ainsi que d'autres associations secondaires tels que les syndicats, les associations patronales ou encore les groupes religieux, s'affrontent pour influencer les lois et les orientations politiques. Dans un système politique où les citoyens sont divisés et ne peuvent se mettre d'accord sur la manière de légiférer ou de gouverner, le pluralisme soutient que la seule forme de légitimité réside dans l'opportunité équitable pour toutes ces entités de concourir pour le pouvoir. Cette approche reconnaît l'existence d'une pluralité d'opinions et d'intérêts dans la société, et la nécessité d'une compétition équitable pour assurer la représentation de cette diversité au sein du gouvernement. Ainsi, malgré les désaccords et les conflits, la légitimité du système est maintenue par le mécanisme de compétition équitable et l'alternance au pouvoir.

Le modèle pluraliste met en évidence le fait que pour une concurrence politique équitable, il faut garantir à la fois l'égalité des citoyens et leur liberté, à la fois personnelle et politique. En garantissant l'égalité, on s'assure que chaque citoyen dispose des mêmes droits et opportunités pour participer à la vie politique. Cela inclut l'accès à l'information, le droit de vote, et la possibilité de se présenter à des postes politiques. En garantissant la liberté, on permet à chaque citoyen d'exprimer librement ses opinions et ses préférences politiques, sans crainte de représailles ou de discrimination. Par conséquent, le modèle pluraliste nous donne un cadre pour comprendre ce qui est nécessaire pour garantir la légitimité politique. Il nous montre que la légitimité ne se limite pas à la simple majorité numérique, mais nécessite également le respect de l'égalité et de la liberté des citoyens. C'est pourquoi le modèle pluraliste est si important pour notre compréhension de la démocratie moderne.

Démocratie grecque antique et ses défis contemporains[modifier | modifier le wikicode]

Remise en question de la démocratie[modifier | modifier le wikicode]

Pourquoi est-il essentiel d'apporter des réponses à ces questions ? Qu'est-ce qui rend si crucial de démontrer que nos gouvernements fonctionnent sur le principe démocratique et qu'en vertu de cette démocratie, ils détiennent une légitimité considérable ? La nécessité de répondre à ces questions vient du fait que la légitimité d'un gouvernement est essentielle à sa stabilité, à son efficacité et à son acceptabilité par les citoyens. Les gouvernements démocratiques tirent leur légitimité du consentement des gouvernés : ce sont les citoyens qui, par leur vote, confèrent au gouvernement le pouvoir de régir. Sans cette légitimité, un gouvernement risque de rencontrer de l'opposition, du mécontentement et de la résistance de la part de ses citoyens. Le fait de démontrer que nos gouvernements sont démocratiques n'est pas seulement une question d'exactitude factuelle, mais aussi une question de justice et de respect des droits des citoyens. Dans une démocratie, chaque citoyen a le droit de participer à la prise de décision, que ce soit directement ou par le biais de représentants élus. Si un gouvernement prétend être démocratique mais ne respecte pas ces droits, il est essentiel de le dénoncer et de le remettre en question. L'importance de comprendre les défis que nous pose la démocratie grecque est que, en tant que première démocratie documentée, elle représente une sorte de "modèle original" de la démocratie. En étudiant la démocratie grecque, nous pouvons comprendre comment la démocratie est née et comment elle a évolué au fil du temps. Nous pouvons également comprendre les défis et les problèmes auxquels la démocratie a été confrontée dès le début, et voir comment ces problèmes ont été traités, ou pas, dans les démocraties modernes. Cela peut nous aider à éviter de répéter les erreurs du passé et à améliorer la manière dont la démocratie est pratiquée aujourd'hui.

La démocratie, dans sa forme originelle, était principalement présente dans de petites cités-états comme Athènes ou Sparte durant l'Antiquité. Ces cités n'accueillaient qu'un nombre limité d'habitants, en l'occurrence, quelques milliers, et parmi eux, seuls un nombre restreint était considéré comme citoyens. Ces citoyens étaient typiquement des hommes libres, alors que les esclaves, les femmes et les étrangers étaient exclus de la citoyenneté. L'esclavage jouait un rôle central dans ces cités-états. Il était considéré comme une condition nécessaire pour l'existence de la démocratie dans ces sociétés. En effet, le travail des esclaves permettait aux citoyens de disposer de suffisamment de temps libre pour participer activement à la vie politique et aux affaires de la cité. Ainsi, les esclaves assuraient l'essentiel du travail manuel et domestique, laissant aux citoyens le loisir de se consacrer aux affaires publiques. Cependant, il est important de noter que cette forme de démocratie était radicalement différente de nos conceptions modernes de la démocratie. A l'époque, la démocratie était directe : tous les citoyens participaient personnellement à la prise de décisions concernant les lois et les politiques. De nos jours, la plupart des démocraties sont représentatives : les citoyens élisent des représentants qui prennent des décisions en leur nom. En somme, la démocratie dans les cités-états grecques était une affaire de petite échelle, très exclusive, basée sur l'esclavage, et avec une participation directe des citoyens dans le gouvernement. Ainsi, comprendre ces origines et ces caractéristiques de la démocratie antique aide à mieux saisir la transformation de cette idée et son application dans nos sociétés modernes.

Dans nos sociétés modernes, vastes et complexes, l'esclavage n'existe plus. La plupart des citoyens doivent travailler pour subvenir à leurs besoins, puis rentrer chez eux pour s'occuper de leurs tâches domestiques et respecter leurs obligations familiales. Par conséquent, ils disposent de peu de temps pour s'engager dans la politique ou pour l'éducation politique. Cela pose une question fondamentale : est-il réellement possible d'avoir une démocratie véritable dans le monde moderne, compte tenu de ces différences par rapport à la démocratie grecque ancienne ? Le contexte de la démocratie a radicalement changé : nous ne sommes plus dans des cités-états de petite taille, mais dans de vastes nations. De plus, la démocratie directe, telle qu'elle était pratiquée à Athènes, semble impossible à l'échelle d'un pays moderne. C'est la raison pour laquelle la plupart des démocraties contemporaines sont des démocraties représentatives : les citoyens élisent des représentants qui votent les lois et prennent des décisions en leur nom. Cependant, cela ne signifie pas que l'essence de la démocratie, à savoir la règle du peuple, ne peut pas être préservée. Il faut simplement adapter le concept à notre réalité contemporaine. Par exemple, les avancées technologiques, comme l'internet, peuvent faciliter la participation citoyenne et la diffusion de l'information, rendant ainsi la démocratie plus accessible et vivante. La démocratie dans le monde moderne est donc certainement différente de la démocratie grecque, mais elle n'en est pas moins valide ou réalisable. Il faut cependant être conscient de ces différences et être prêt à continuer à adapter et à faire évoluer nos systèmes démocratiques pour qu'ils répondent aux besoins et aux réalités changeantes de nos sociétés.

Défis posés par le modèle pluraliste[modifier | modifier le wikicode]

Le premier défi, qui est essentiel, a été particulièrement préoccupant pour les philosophes tels qu'Arendt. Suite à la Seconde Guerre mondiale, ils ont cherché à comprendre quelles étaient les perspectives de la démocratie dans un monde marqué par deux conflits mondiaux. L'un de ces conflits a vu l'Allemagne, à l'époque la nation la plus avancée, sombrer dans la barbarie. Par conséquent, nous qui considérons nos sociétés comme démocratiques, nous devons nous interroger sur la nature de cette démocratie. En effet, la plupart d'entre nous possèdent une connaissance limitée de la politique publique, même dans notre propre pays, sans parler des affaires internationales.

De plus, nous avons très peu de temps pour participer, nous organiser et débattre des questions politiques avec les autres. Pour aggraver les choses, non seulement nous ne disposons pas d'esclaves, mais même si nous pouvons employer des domestiques, l'émancipation des femmes a également supprimé la disponibilité du travail domestique non rémunéré. L'une des questions soulevées par l'émancipation des femmes était précisément celle de savoir comment nous pourrions maintenir la démocratie dans un monde sans esclaves, dans un monde où nous n'avons plus d'esclaves pour éduquer les enfants et organiser le foyer. Ainsi, si des citoyens ordinaires, avec une intelligence moyenne et des énergies moyennes, doivent à la fois gagner leur vie, s'occuper des enfants, prendre soin de leurs parents et grands-parents, tout en s'éduquant et en s'intéressant à une politique qui nous semble souvent très abstraite, difficile à comprendre et, bien sûr, très difficile à influencer, alors nous pouvons sérieusement nous demander en quoi cela ressemble à la démocratie telle qu'elle était pratiquée en Grèce. En Grèce ancienne, après tout, ce sont les citoyens qui se gouvernaient eux-mêmes, qui étaient choisis par tirage au sort. C'étaient des gens qui pouvaient se consacrer pleinement à la politique de leur pays.

La première chose à saisir, lorsque l'on tente de comprendre l'influence du modèle pluraliste, est le défi majeur de déterminer comment nous pouvons maintenir une démocratie aujourd'hui, malgré ce que nous appelons nos gouvernements actuels.

Deuxièmement, contrairement aux démocraties grecques antiques qui ne garantissaient pas la liberté de religion - comme en témoigne le sort de Socrate qui ne jouissait pas de la liberté de pensée et d'expression - les citoyens de l'époque étaient généralement d'accord sur ce qui constituait une bonne vie et sur les objectifs à atteindre pour leur État. Par contre, dans nos sociétés modernes, nous sommes profondément divisés sur des questions morales et religieuses, y compris sur la nécessité d'une religion, le nombre de divinités à reconnaître, et le rôle de la religion en politique. Nous sommes également divisés sur des questions économiques, comme la façon d'organiser une économie socialiste ou la nécessité d'accepter un revenu de base. Ces divisions ne portent pas seulement sur nos préférences personnelles, mais également sur nos convictions les plus profondes et les plus intimes.

Face à cette réalité, on pourrait se demander si il est encore possible, dans le contexte moderne marqué par des divergences fondamentales sur les questions de bien et de moralité, de partager le pouvoir en tant que citoyens égaux. Est-il vraiment possible de nous considérer comme égaux lorsque nous avons des idées que nous considérons comme déplorables, mal conçues, voire dangereuses ? Ce défi contemporain nous confronte à la question suivante : est-il possible de nous traiter en tant qu'égaux lorsque, en fin de compte, nous partageons très peu de valeurs communes ?

En définitive, dans un monde moderne et cosmopolite où les économies surpassent largement notre cité et notre pays, et où nos gouvernements ne peuvent contrôler qu'une petite part, on peut se demander s'il est possible de maintenir une démocratie. Dans l'ancienne Grèce, les décisions économiques n'occupaient pas une place très importante dans la vie politique, se réduisant essentiellement à des questions de taxation et de revenus pour financer le gouvernement, soutenir les citoyens pauvres, et financer les guerres, notamment à Athènes et Sparte. Cependant, de nos jours, les questions économiques constituent une part importante de la politique publique. Il est évident que ces enjeux surpassent largement notre compréhension en tant qu'individus, et notre capacité à agir est limitée. Par conséquent, nous devons nous interroger sur la possibilité et la manière d'avoir des gouvernements démocratiques dans le contexte de notre monde actuel.

L'attrait persistant de la démocratie grecque[modifier | modifier le wikicode]

Pourquoi prêter attention à ce que faisaient les Grecs ? Il y a certains aspects de leur démocratie qui continuent de nous interpeller, de nous attirer, malgré les siècles de différences culturelles et malgré nos divergences de valeurs sur des questions telles que l'égalité des sexes, l'égalité raciale et, bien sûr, l'esclavage.

Malgré les différences considérables de contexte et de valeurs, il est essentiel d'examiner le modèle de démocratie grecque pour plusieurs raisons. D'abord, c'est la démocratie athénienne qui est souvent considérée comme le berceau de la démocratie, c'est-à-dire la forme de gouvernance que de nombreuses sociétés modernes aspirent à imiter ou à perfectionner. Ensuite, la démocratie grecque offre une perspective unique sur la manière dont un gouvernement peut fonctionner avec une participation directe et active des citoyens. Même si ce modèle n'est pas totalement transférable à nos sociétés contemporaines en raison de leur taille, de leur diversité et de leur complexité, il offre néanmoins des leçons importantes sur l'engagement citoyen et la responsabilité politique. De plus, en dépit de leurs défauts manifestes, tels que l'exclusion des femmes, des esclaves et des étrangers de la citoyenneté, les cités-états grecques ont démontré une capacité d'adaptation et une résilience notables face aux défis politiques et sociaux. Leur expérience sert d'éclairage pour comprendre comment les sociétés modernes peuvent naviguer dans leurs propres défis. Enfin, malgré nos différences évidentes avec les Grecs en termes d'égalité de genre, de race et d'opinions sur l'esclavage, le fait que nous puissions encore trouver de la valeur et de la pertinence dans leur système politique témoigne de l'universalité de certaines idées politiques et de la nature humaine. C'est un puissant rappel que, malgré nos différences culturelles, temporelles et sociétales, il existe des principes fondamentaux d'équité, de justice et de gouvernance qui transcendent les époques et les cultures.

L'attrait de la démocratie grecque réside dans la promesse d'autogouvernance - la capacité d'exercer une influence significative sur les conditions et la qualité de notre propre existence. C'est la possibilité pour chaque citoyen d'avoir une voix qui compte, qui a du poids dans la prise de décisions affectant leur vie quotidienne.

Il est souvent difficile pour nous d'exercer une influence significative sur les événements de notre vie, même dans des domaines très personnels. Il y a une multitude de facteurs et de circonstances hors de notre contrôle qui affectent notre vie. Mais l'absence de pouvoir ou d'influence dans des domaines qui nous concernent, en particulier dans des domaines politiques qui impliquent des lois coercitives, des conventions sociales et le potentiel de violence, est profondément troublante. La perte de notre capacité à nous autogérer - pas seulement individuellement, mais en concert avec les autres - serait véritablement préoccupante. C'est parce que nous voyons en nous une réflexion de l'idéal grec d'autogouvernance que l'idéal démocratique nous attire. Pour nous, la question cruciale est de savoir si nous pouvons réaliser l'autogouvernement, la démocratie, dans des conditions radicalement différentes de celles qui ont engendré cette idée et cette forme de gouvernement.

Pourquoi l'autogouvernement suscite-t-il une telle fascination ? Pour certains, c'est une utopie, pour d'autres, c'est une illusion de croire que nous pouvons nous autogérer en tant que collectif, que c'est attrayant de chercher à influencer la politique. Pour aborder ces interrogations, il est essentiel de plonger dans la philosophie de l'individu, de la façon dont nous percevons nos possibilités en tant qu'êtres humains : nos capacités à réfléchir, à délibérer sur nos actions, à évaluer nos pensées, nos désirs et nos réalisations. Nous ressentons l'importance de la liberté, la possibilité de développer nos capacités d'action et de réflexion, de faire des choix non seulement à titre individuel, mais aussi en tant que groupe. C'est à cela que fait référence l'idéal d'autogouvernement. Nous sommes intéressés par la politique même si nous nous accordons sur l'idéal de l'individu autonome, maître de ses émotions, de ses désirs, cette image de l'idéal stoïcien que nous avons héritée des Grecs. Nous pouvons valoriser la politique et la possibilité d'avoir une voix qui compte autant que celle des autres pour des raisons purement instrumentales.L'importance de ces raisons instrumentales pour désirer la démocratie est mise en évidence lorsque l'on considère les formes de gouvernement du passé. Des systèmes féodaux aux monarchies, en passant par des gouvernements représentatifs mais non démocratiques, tels que ceux qui prévalaient aux États-Unis et en Europe au XIXe siècle, nous avons de nombreuses raisons de préférer une démocratie.

Dans ces autres formes de gouvernement, le sort de la majorité des personnes était souvent négligé. Si vous étiez un serf, vous étiez considéré comme un simple animal de travail aux yeux des nobles ; les intérêts des serfs n'avaient en eux-mêmes aucune importance. Ils étaient peut-être utilisés comme chair à canon lors des guerres, comme travailleurs dans les champs, ou simplement pour la procréation, mais leurs sentiments, leurs désirs et leurs ressentis n'avaient absolument aucune valeur. En effet, même dans les gouvernements représentatifs mais non démocratiques, comme ceux de l'Angleterre au XIXe siècle, il est clair que les intérêts de ceux qui n'avaient pas le droit de vote, comme les femmes ou les hommes de la classe ouvrière, n'avaient pas beaucoup d'importance. Leur absence de voix et leur statut inférieur les rendaient invisibles aux yeux des autres.

La question de la compétence politique[modifier | modifier le wikicode]

Si nous considérons que l'autogouvernance est une valeur à défendre, que la participation aux affaires publiques est importante, alors nous devons être capables de justifier la compétence politique d'autrui. Historiquement, une justification couramment employée était que la majorité des gens n'étaient pas suffisamment intelligents pour participer à des affaires aussi complexes que la politique. Platon soutenait que la politique a une dimension technique et que le gouvernement devrait être aux mains des "philosophes-rois", ceux qui ont une compréhension profonde de la justice et du bien commun. Selon lui, ces individus sont les mieux à même de guider la cité vers la vérité et le bien-être général. Comment équilibrer le besoin d'une expertise spécialisée dans la prise de décisions politiques avec le principe de base de la démocratie, qui est que chaque citoyen a un droit égal à la prise de décision ? Il est vrai que la politique, comme toute autre discipline, possède une dimension technique qui nécessite une certaine expertise. Les politiques économiques, environnementales ou de santé publique, par exemple, peuvent être extrêmement complexes et requièrent une compréhension approfondie des sujets pour être correctement mises en œuvre. Cependant, cela ne signifie pas que la démocratie est inapplicable ou qu'elle devrait être limitée aux experts.

Platon a développé cette analogie dans "La République" pour illustrer son argument. Il soutenait que, tout comme un charpentier est le mieux équipé pour construire une maison grâce à sa connaissance de l'architecture et des techniques de construction, un dirigeant doit avoir une compréhension profonde et précise de la philosophie, de la justice et de l'éthique pour gouverner efficacement. Pour Platon, la philosophie était l'étude de l'ordre rationnel et de l'essence des choses, ce qui inclut une compréhension des principes éthiques et moraux qui sous-tendent l'existence. Il croyait que le gouvernement idéal était une aristocratie de philosophes-rois, des personnes ayant atteint un haut niveau de connaissance et de sagesse. Il voyait le rôle du dirigeant non seulement comme celui de prendre des décisions pragmatiques concernant la gestion de la cité, mais aussi d'orienter la communauté vers un idéal de justice et de vertu. Selon lui, cette vision plus élevée du leadership nécessitait une forme de connaissance qui allait au-delà de la simple expertise technique ou pratique. Il affirmait que cette connaissance philosophique et éthique n'était pas facilement accessible à tous, et donc seuls ceux qui l'avaient acquise devraient être qualifiés pour diriger.

Platon était convaincu que la politique était beaucoup plus qu'une question de gestion administrative ou de négociation de compromis. Il a soutenu que la politique avait une dimension philosophique profonde, impliquant une compréhension des principes éthiques et des idées qui forment la structure de la société. Pour Platon, un dirigeant idéal, souvent appelé "philosophe-roi" dans ses écrits, serait quelqu'un qui avait atteint une profonde compréhension de ces principes. Ce dirigeant serait capable de discerner la véritable justice, de distinguer le bien du mal, et d'orienter la politique en fonction de ces connaissances. Il a également rejeté l'idée que tout individu était capable de cette compréhension philosophique. Au contraire, il soutenait que seule une minorité d'individus, ceux qui avaient reçu une éducation philosophique appropriée et qui s'étaient engagés dans une introspection et une réflexion profondes, seraient capables de saisir ces vérités. Cela dit, il est important de noter que, bien que les idées de Platon aient été très influentes dans l'histoire de la philosophie, elles ont également été critiquées et débattues. Certaines critiques se sont centrées sur son apparent élitisme et sa méfiance envers la démocratie, tandis que d'autres ont remis en question la faisabilité ou l'attractivité de son idéal de "philosophe-roi".

Selon Platon, le vrai but de la politique n'est pas simplement de gérer les affaires de l'État, mais d'orienter la société vers la justice et le bien-être. Pour Platon, la justice est l'harmonie de l'âme et de la société, et le bien-être est une conséquence de cette harmonie. La politique est donc, pour Platon, une activité profondément morale et éthique. Il soutient que les dirigeants politiques doivent être des individus de grande vertu morale et éthique, capables de comprendre et de mettre en œuvre les principes de justice et de bien-être. C'est pourquoi Platon a fait valoir que les "philosophes-rois" sont les dirigeants les plus qualifiés. Selon lui, ces philosophes-rois, qui ont une compréhension approfondie de la philosophie et de l'éthique, sont les mieux placés pour gouverner justement et efficacement, en guidant la société vers la justice et le bien-être. Cela dit, il convient de noter que cette vision platonicienne de la politique a été largement débattue et critiquée. Certaines personnes s'opposent à son idée de gouvernement par une élite éduquée, soutenant que cela peut conduire à une forme d'autoritarisme. D'autres contestent sa confiance dans la philosophie et l'éthique comme guides de la politique, soutenant qu'il existe d'autres facteurs importants à considérer, tels que les réalités économiques et sociopolitiques.

Cette réflexion met en lumière un aspect important de la motivation démocratique : la peur des conséquences si l'on est exclu de la prise de décision. Cela peut être une motivation forte pour soutenir la démocratie, même si nous rejetons certains des présupposés philosophiques ou idéologiques qui sous-tendent les origines de la démocratie dans l'Antiquité grecque. Il est important de noter que la démocratie n'est pas uniquement attrayante pour des raisons instrumentales (ce qu'elle peut accomplir), mais aussi pour des raisons intrinsèques : la valeur inhérente de permettre à chaque individu d'avoir une voix et de participer à la prise de décision. Cela peut être lié à une conception de l'égalité humaine et de la dignité, qui va au-delà des considérations purement instrumentales. La tension entre ces motivations instrumentales et intrinsèques, ainsi qu'entre différentes conceptions de ce que signifie être un citoyen dans une démocratie, est au cœur de nombreuses questions politiques contemporaines. C'est une tension qui peut s'avérer productive, car elle pousse à une réflexion constante sur la nature de notre système politique et sur la manière dont il peut être amélioré.

L'attrait fondamental de la démocratie est précisément cela : l'idée que chaque individu, indépendamment de son statut, de son éducation ou de sa richesse, a un rôle à jouer dans la gouvernance de la société. C'est le principe d'égalité politique qui est au cœur de la démocratie. Cette idée peut sembler idéalisée et il est vrai que dans la pratique, la démocratie est souvent imparfaite et influencée par diverses formes d'inégalités. Cependant, l'objectif demeure de parvenir à une société où chacun a la possibilité d'influencer le processus décisionnel. La démocratie n'est pas seulement une question de vote. C'est aussi une question d'engagement civique, de débat public et de respect des droits de chacun. Le vote est un élément clé de la démocratie, mais ce n'est pas le seul. L'idéal démocratique implique un engagement plus large envers l'égalité, la liberté et la participation active de tous les citoyens à la vie publique.

L'idée d'accorder à tous le droit de vote est un outil puissant pour garantir la considération des intérêts de chacun dans la prise de décision politique. C'est une manière de s'assurer que chaque voix est entendue et que chaque individu a la possibilité d'influencer le cours de la société. C'est aussi une protection contre le paternalisme ou l'autoritarisme. Si chaque personne a un vote, alors il est plus difficile pour une petite élite de contrôler le gouvernement et d'ignorer les intérêts du peuple. Le vote universel est une garantie importante de l'égalité politique et un rempart contre la tyrannie. Cependant, comme pour toutes les institutions démocratiques, le vote universel n'est pas une panacée. Il doit être soutenu par d'autres institutions et normes démocratiques, telles que l'État de droit, la liberté d'expression et la protection des droits de l'homme. De plus, la mise en œuvre effective du vote universel nécessite un engagement constant en faveur de l'éducation civique et de l'égalité sociale. Il est important de rappeler que la démocratie n'est pas une fin en soi, mais un moyen de réaliser des valeurs plus profondes comme la liberté, l'égalité et la justice.

L'évolution de l'idée de démocratie à l'ère moderne[modifier | modifier le wikicode]

À quelles idées devrions-nous nous référer ? Nous pourrions trouver une justification pour la démocratie dans les principes fondamentaux modernes de la liberté et de la solidarité. Cette approche est séduisante, même si elle fait abstraction de l'idée que des individus sans compétences particulières exceptionnelles sont néanmoins en mesure de participer à des tâches difficiles, comme l'autogouvernance.

Le paternalisme, par définition, est une attitude ou une pratique dans laquelle une autorité limite la liberté et la responsabilité des individus pour leur propre bien. Cela peut souvent être perçu comme oppressif et restrictif, car il nie l'individualité et la capacité des personnes à prendre des décisions éclairées pour elles-mêmes. En revanche, la démocratie est fondamentalement un système qui promeut la liberté individuelle. En accordant à chaque citoyen le droit de vote, la démocratie permet à chacun de participer activement à la prise de décisions politiques qui affectent sa vie. Elle évite donc le paternalisme en reconnaissant que chaque individu, quelle que soit son éducation ou son statut social, a la capacité et le droit de participer à la gouvernance de sa société. De plus, la démocratie répond à la notion moderne d'égalité. Dans un système démocratique, chaque voix a la même valeur, chaque vote compte autant qu'un autre. Cette égalité de vote traduit un profond respect pour l'égalité humaine. C'est un rejet clair des hiérarchies et des inégalités fondées sur le sexe, la race, la richesse ou l'éducation. En outre, la démocratie n'est pas seulement une question de liberté individuelle et d'égalité. Elle est aussi une question de solidarité. La participation démocratique peut rassembler les citoyens, renforcer le sens communautaire et encourager la coopération pour atteindre des objectifs communs. Elle peut aider à forger un sentiment d'appartenance et de responsabilité mutuelle parmi les citoyens. Ainsi, alors que la démocratie peut sembler être un idéal ambitieux, particulièrement dans les grandes sociétés modernes, elle trouve sa justification dans ces concepts fondamentaux de liberté, d'égalité et de solidarité. Cela donne à chaque individu, même sans compétences ou connaissances spéciales, le pouvoir de participer et d'influencer la direction de sa société.

La liberté moderne, est fondée sur la conviction que les individus adultes, rationnels et éduqués, ont la capacité de faire leurs propres choix, même si ces choix peuvent être erronés. C'est l'idée que l'erreur elle-même peut être un outil d'apprentissage puissant et que le droit de faire des erreurs, de les reconnaitre et de les corriger est une partie essentielle de la liberté humaine. Cette notion se fonde sur le respect de l'autonomie individuelle et sur la conviction que chaque personne a une capacité unique et intrinsèque d'apprendre, de grandir et de se développer. Elle respecte la possibilité que chaque individu puisse avoir une vision différente de ce qui est bon ou mauvais pour lui. C'est vrai que parfois, d'autres peuvent sembler mieux savoir ce qui est bon pour nous. Comme mentionné, nos parents sont souvent un exemple de cela. Ils ont plus d'expérience et de sagesse et peuvent souvent prévoir les conséquences de nos actions mieux que nous-mêmes. Cependant, reconnaître la validité de leurs conseils n'est pas la même chose que de leur céder le contrôle sur nos vies. Admettre qu'ils ont raison dans certains cas ne signifie pas que nous devrions leur permettre de prendre toutes nos décisions à notre place. C'est ici que réside le cœur de la liberté moderne : le droit de prendre nos propres décisions, de vivre avec les conséquences de ces décisions, et d'apprendre et de grandir à partir de ces expériences.

C'est une idée clé de la liberté moderne. La liberté n'est pas simplement une question de droit ou d'autorisation de faire des choix, c'est aussi la capacité d'assumer la responsabilité de ces choix. C'est la possibilité de tirer ses propres conclusions, d'apprendre de ses erreurs et d'évoluer en conséquence. La liberté n'est pas une fin en soi, c'est un processus dynamique et un dialogue constant avec soi-même et avec les autres. C'est dans ce processus que nous développons notre compréhension de nous-mêmes, de nos valeurs et de notre place dans le monde. Et par-dessus tout, la liberté est un moyen d'apprentissage. Quand nous nous trompons, ces erreurs deviennent une occasion d'apprendre, de grandir et de se développer. Les erreurs peuvent être douloureuses, mais elles sont aussi essentielles à notre développement personnel. Ce processus d'apprentissage est intrinsèquement lié à notre capacité à discuter et à réfléchir sur nos actions avec les autres. En partageant nos expériences et nos perspectives, en écoutant les expériences et les perspectives des autres, nous enrichissons notre propre compréhension et nous ouvrons la possibilité de voir les choses sous un angle différent. Donc, en essence, la liberté moderne est bien plus qu'une simple absence de contraintes, c'est une dynamique d'apprentissage, de croissance et de dialogue, une capacité d'agir, de réfléchir et d'interagir avec le monde autour de nous.

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850).

La démocratie se distingue par son respect fondamental de la liberté individuelle. Elle repose sur le principe que chaque citoyen a le droit de participer à la vie politique de sa communauté, que ce soit en exprimant son opinion, en votant pour ses représentants ou en participant activement à l'élaboration des politiques publiques. En outre, la démocratie offre des mécanismes pour protéger ces libertés individuelles. Par exemple, dans une démocratie, les citoyens peuvent se réunir et s'organiser pour défendre leurs droits et libertés, ils peuvent demander un examen judiciaire des actions du gouvernement, et ils peuvent élire des représentants qui s'engagent à protéger leurs libertés. De plus, la démocratie ne se limite pas à garantir les libertés individuelles. Elle s'engage également à promouvoir l'égalité, à garantir la justice sociale et à favoriser le bien-être de tous les citoyens. C'est pourquoi la démocratie est souvent associée à d'autres valeurs modernes, telles que l'égalité, la justice et la solidarité. Dans une démocratie, la liberté individuelle et l'action collective vont de pair. La liberté de chaque citoyen est protégée et renforcée par l'action collective, et vice versa. Les citoyens peuvent se rassembler pour défendre leurs libertés individuelles, et l'exercice de ces libertés contribue à renforcer la solidarité et la cohésion de la communauté dans son ensemble. En résumé, la démocratie est la forme de gouvernement qui correspond le plus directement à la valeur de la liberté individuelle et à notre capacité collective de protéger cette liberté. Elle offre un cadre dans lequel chaque citoyen peut exercer sa liberté tout en contribuant au bien-être collectif.

Alexis de Tocqueville, dans son célèbre ouvrage "De la démocratie en Amérique", souligne l'importance des mécanismes de correction inhérents à la démocratie. Pour Tocqueville, la grandeur de la démocratie ne réside pas nécessairement dans l'intelligence supérieure ou l'expertise technique de ses dirigeants. En fait, il reconnaît que les dirigeants démocratiques peuvent parfois manquer de compétences ou faire des erreurs. Cependant, là où la démocratie excelle, c'est dans sa capacité à s'auto-corriger. Contrairement à d'autres formes de gouvernement où les erreurs peuvent être institutionnalisées ou les abus de pouvoir rester impunis, en démocratie, la liberté d'expression, la liberté d'association et le droit de vote permettent à la société de critiquer, de contester et finalement de corriger les décisions erronées ou les mauvaises politiques. En permettant une circulation libre et ouverte des idées, la démocratie encourage la remise en question et la responsabilisation. Si un dirigeant ou un parti politique ne répond pas aux attentes des citoyens, ils peuvent être tenus responsables de leurs actions et finalement être retirés du pouvoir lors des élections suivantes. En ce sens, la démocratie est un système résilient et auto-régulé, capable de s'adapter et de se reformer en réponse à ses propres défauts et aux défis changeants de la société. C'est cette capacité d'évolution et d'amélioration continue qui fait de la démocratie un idéal toujours pertinent et attrayant, malgré ses imperfections et ses défis.

Le rôle des institutions dans la démocratie[modifier | modifier le wikicode]

Amartya Sen, lauréat du prix Nobel d'économie, a apporté une contribution majeure à la philosophie sociale et politique à travers ses travaux sur le développement, la justice sociale et la démocratie. Il a souligné le rôle des institutions démocratiques non seulement pour garantir la justice sociale, mais aussi pour assurer le développement économique. Sen a également fait valoir que la démocratie offre un moyen essentiel de protéger les droits fondamentaux des individus. Il a souligné que les pays démocratiques, avec leur respect des droits de l'homme, leur liberté de parole et leur presse libre, sont mieux équipés pour répondre aux besoins de leurs citoyens et prévenir les crises, comme la famine. L’argument principal de Sen est que la démocratie fonctionne non seulement en donnant à chacun une voix, mais aussi en créant un environnement où les erreurs peuvent être corrigées, les abus de pouvoir contrôlés et les besoins sociaux satisfaits. Cela est possible grâce à la liberté d'expression et de débat, qui sont des éléments fondamentaux des sociétés démocratiques. Ainsi, Sen souligne non seulement l'importance de la démocratie en tant que fin en soi, mais aussi son rôle en tant que moyen de promouvoir le développement économique et social.

Amartya Sen a développé la théorie selon laquelle il n'y a jamais eu de famine dans une démocratie fonctionnelle avec une presse libre. Il attribue cela au fait que dans les démocraties, les informations sur les pénuries alimentaires sont libres de circuler, les responsables sont tenus pour responsables et les mesures correctives sont prises. C'est le pouvoir de la transparence et de la responsabilité dans une démocratie qui, selon lui, prévient efficacement les famines. Dans le cas de l'Inde, après l'indépendance et l'établissement de la démocratie, malgré de nombreux défis socio-économiques et des erreurs politiques, il n'y a eu aucune famine de grande envergure. C'est dû en partie à la liberté de la presse, à la libre circulation de l'information et à la responsabilité politique, des éléments essentiels d'une démocratie. Cela ne signifie pas que l'Inde a résolu tous ses problèmes de sécurité alimentaire ou de malnutrition. Il reste beaucoup à faire, mais le fait qu'une catastrophe aussi dévastatrice que la famine ait été évitée montre le pouvoir potentiel d'une démocratie fonctionnelle pour répondre aux crises.

La liberté de mouvement, couplée à la liberté d'expression, joue un rôle crucial dans la propagation de l'information et la sensibilisation. Si les habitants d'un village en Inde, par exemple, rencontrent une pénurie de nourriture en raison d'une mauvaise politique ou d'un changement environnemental, ils peuvent se déplacer vers des régions plus prospères et informer les autres de la situation. De plus, ils peuvent aussi élever leur voix contre les injustices et les inégalités, demandant aux responsables politiques de rendre des comptes. C'est un aspect clé de la démocratie : la capacité de responsabiliser les gouvernements et de promouvoir le changement à travers la dissémination de l'information et l'action collective. Cela montre aussi comment les droits et libertés individuels - tels que la liberté de mouvement et la liberté d'expression - peuvent avoir un impact sur les problèmes collectifs et systémiques, comme la sécurité alimentaire. La démocratie, en respectant et en protégeant ces libertés, permet à la société de répondre plus efficacement à ces défis.

La démocratie est également étroitement liée à l'idée moderne d'égalité. Dans une démocratie, tous les citoyens sont égaux devant la loi et ont le droit de participer à la prise de décisions politiques. Cette égalité de droit et de participation est un principe fondamental de la démocratie. Le vote, par exemple, est un droit qui est accordé à tous les citoyens, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur race ou de leur statut économique. C'est une manifestation concrète de l'égalité en démocratie. Chaque voix compte et a le même poids, reflétant ainsi le principe d'égalité. De plus, la démocratie cherche également à promouvoir l'égalité des chances. Par le biais de politiques publiques, elle vise à réduire les inégalités socio-économiques et à garantir que tous les citoyens aient les mêmes opportunités d'éducation, d'emploi et de réussite sociale. Ainsi, si nous valorisons l'égalité moderne, nous avons une raison de plus de valoriser la démocratie. Bien que la démocratie ne réalise pas l'idéal grec d'autogouvernement, elle offre néanmoins un cadre dans lequel les principes modernes de liberté et d'égalité peuvent être mis en pratique.

La démocratie est un système politique qui incarne l'idéal d'égalité. Elle offre à chaque individu, indépendamment de ses ressources ou de son statut social, une voix égale dans les décisions politiques. En ce sens, la démocratie met en pratique le principe d'égalité politique, un aspect essentiel de l'idée moderne d'égalité. Dans notre monde contemporain, l'égalité est une valeur d'une grande importance, mais elle est aussi source de nombreuses controverses. Certaines personnes peuvent argumenter que l'égalité en termes de résultats est préférable à l'égalité des chances. D'autres peuvent soutenir que l'égalité devrait se concentrer davantage sur la reconnaissance des différences individuelles et culturelles, plutôt que sur l'uniformité. Malgré ces débats, l'égalité reste un principe fondamental dans nos sociétés modernes. Par conséquent, si nous valorisons les idées modernes d'égalité, alors nous avons de bonnes raisons de valoriser la démocratie. Bien que la démocratie moderne ne puisse pas réaliser pleinement l'idéal d'autogouvernement tel qu'il était compris par les Grecs anciens, elle offre néanmoins une forme d'autogouvernement qui est adaptée à notre monde moderne et qui est en accord avec nos valeurs modernes de liberté et d'égalité.

Il est indéniable que l'idéal d'autogouvernement, enraciné dans des sociétés antiques, est difficile à concrétiser dans le contexte moderne. La démocratie en tant que forme de gouvernement autonome est un concept complexe, particulièrement dans les grands pays et dans un monde globalisé, où les décisions politiques dépassent largement le cadre national. En effet, comment peut-on parler d'autogouvernement lorsque les actions de notre pays sont influencées par une multitude d'acteurs internationaux ? Comment peut-on envisager un réel contrôle de la population sur les affaires politiques lorsque les prises de décision sont de plus en plus complexes et technocratiques ? Ces questions sont légitimes et soulignent les défis inhérents à la mise en œuvre de la démocratie à grande échelle et dans un monde interconnecté. Cependant, même si la réalisation de l'idéal d'autogouvernement peut sembler difficile dans les conditions actuelles, les valeurs fondamentales qui sous-tendent cet idéal, à savoir la liberté, l'égalité et potentiellement la solidarité, demeurent pertinentes et cruciales. Ces valeurs modernes constituent le fondement de notre attachement à la démocratie et fournissent une justification solide pour continuer à valoriser et à poursuivre cet idéal. La liberté, qui valorise l'autonomie individuelle et permet à chacun d'exprimer et de défendre ses opinions ; l'égalité, qui assure à chaque citoyen un poids égal dans la prise de décision ; et la solidarité, qui promeut la cohésion sociale et la coopération collective, sont autant de piliers qui renforcent notre adhésion à la démocratie, en dépit des défis que celle-ci doit relever dans le monde moderne. Il est donc crucial de continuer à valoriser et à promouvoir ces valeurs dans nos sociétés, afin de préserver et d'améliorer la démocratie telle que nous la connaissons. Il est également nécessaire de rechercher des moyens innovants pour adapter l'idéal d'autogouvernement à notre monde globalisé et complexe, afin de garantir une participation citoyenne significative et efficace dans la prise de décision politique.

L'idéal de représentation démocratique[modifier | modifier le wikicode]

La démocratie représentative, parfois également appelée démocratie indirecte, est une forme de gouvernement dans laquelle les citoyens élisent des représentants pour les gouverner. C'est cette notion de représentation qui permet de rendre opérante l'idée de démocratie, surtout dans les sociétés larges et complexes. Mais comment ces gouvernements représentatifs peuvent-ils être considérés comme démocratiques ? Premièrement, la démocratie représentative permet une participation élargie. Il serait impraticable pour tous les citoyens de participer directement à toutes les décisions politiques dans une grande nation. La démocratie représentative offre donc une solution pragmatique en déléguant le pouvoir décisionnel à des représentants élus. Deuxièmement, ces représentants sont censés refléter les intérêts et les valeurs des citoyens qu'ils représentent, servant ainsi de lien entre le peuple et le gouvernement. Cette idée de représentation permet de donner vie à l'idéal de la démocratie en garantissant que la voix de chaque citoyen est entendue et prise en compte dans le processus de prise de décision. Troisièmement, en élisant des représentants, les citoyens ont la possibilité de tenir leurs dirigeants responsables. Si les représentants ne remplissent pas leurs devoirs ou ne répondent pas aux attentes de leurs électeurs, ils peuvent être remplacés lors des élections suivantes. Cependant, pour que la démocratie représentative fonctionne comme prévu, plusieurs conditions doivent être remplies. Il doit y avoir des élections libres et équitables, une concurrence politique ouverte, la liberté d'expression et d'association, et des droits civiques et politiques pour tous. De plus, les représentants élus doivent être réellement à l'écoute de leurs électeurs et agir en leur nom. Ainsi, bien que le gouvernement représentatif ne soit pas une démocratie directe à proprement parler, il en conserve néanmoins les principes fondamentaux : la souveraineté du peuple, l'égalité politique et la participation citoyenne. C'est dans l'équilibre entre ces principes et la nécessité d'une gouvernance efficace et éclairée que réside l'essence de la démocratie représentative.

Bernard Manin, dans son livre "Principes du gouvernement représentatif", présente un argument selon lequel l'émergence du gouvernement représentatif au XVIIIème siècle était une réaction contre l'idéal démocratique de l'époque, en particulier l'idée de la démocratie directe où tous les citoyens participeraient activement à la prise de décisions politiques. L'idée de représentation est née en partie d'un certain scepticisme vis-à-vis de la capacité du peuple à se gouverner lui-même. Les penseurs politiques de l'époque, tels que James Madison aux États-Unis, pensaient qu'il serait préférable de confier le pouvoir politique à une élite éclairée plutôt que de le disperser largement parmi le peuple. Ils craignaient que la démocratie directe ne conduise à l'instabilité, à la démagogie et éventuellement à la tyrannie de la majorité. De plus, dans les sociétés modernes en pleine expansion, il était tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que tous les citoyens aient le temps ou l'inclination pour s'engager pleinement dans les affaires publiques. Le gouvernement représentatif est donc apparu comme une solution permettant de concilier la participation du public à la politique (par le biais du vote) avec l'efficacité et la stabilité du gouvernement. Néanmoins, cette conception initiale du gouvernement représentatif a beaucoup évolué depuis le XVIIIème siècle. Aujourd'hui, la plupart des démocraties sont fondées sur une forme de gouvernement représentatif, et les idées d'égalité, de souveraineté populaire et de responsabilité des dirigeants envers leurs électeurs sont largement acceptées. Le défi pour les démocraties contemporaines est de garantir que ces principes sont respectés en pratique, malgré les défis posés par la taille et la complexité de nos sociétés modernes.

C'est un défi complexe que de concilier l'idéal démocratique avec les réalités d'un gouvernement représentatif. L'idée de la représentation repose en partie sur l'idée que certaines personnes, en raison de leur formation, de leur éducation ou de leur expérience, sont mieux à même de prendre des décisions politiques éclairées au nom de tous. Cependant, cela ne signifie pas que la démocratie est incompatible avec le gouvernement représentatif. Au contraire, ils peuvent être complémentaires. La démocratie est une valeur fondamentale qui exige que tous les citoyens aient la possibilité d'influer sur les décisions qui les concernent. Le gouvernement représentatif peut être un moyen d'atteindre cet objectif dans une société large et complexe. Par exemple, dans une démocratie représentative, les citoyens ont le pouvoir d'élire leurs représentants. Ces représentants ont le devoir de servir les intérêts de leurs électeurs et de rendre des comptes à ces derniers. Les citoyens ont également la possibilité de s'engager dans le débat public, d'exprimer leurs opinions et de se mobiliser pour les causes qu'ils estiment importantes. Ainsi, même si la plupart des citoyens ne participent pas directement à la prise de décisions politiques, ils ont encore de nombreuses occasions d'influer sur le processus politique. En outre, l'idée de la démocratie ne se limite pas au simple vote. Elle implique également la liberté d'expression, le droit à l'éducation, l'égalité devant la loi, la justice sociale et de nombreuses autres valeurs fondamentales. Le défi pour les démocraties représentatives modernes est donc de trouver des moyens d'impliquer le plus grand nombre possible de citoyens dans le processus politique, tout en respectant ces valeurs fondamentales.

Ces questions de représentativité et de droit de vote sont cruciales dans l'histoire de la démocratie. Au XIXème siècle, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, avaient un système politique dans lequel seules certaines parties de la population, généralement les hommes blancs les plus fortunés, avaient le droit de voter. Cela a conduit à des gouvernements qui représentaient les intérêts d'une petite minorité au détriment de la majorité de la population. Cependant, à partir du XIXème siècle, les mouvements de réforme ont commencé à exiger l'extension du droit de vote à des groupes de population plus larges. En Angleterre, par exemple, le mouvement de réforme a abouti à plusieurs réformes électorales qui ont progressivement élargi le droit de vote à davantage de citoyens. Des mouvements similaires ont eu lieu dans d'autres pays, comme les États-Unis et la France. Ces mouvements de réforme ont cherché à faire en sorte que le gouvernement soit plus représentatif des intérêts de l'ensemble de la population, et non pas seulement d'une élite privilégiée. Ils ont affirmé que tous les citoyens, indépendamment de leur richesse, de leur race ou de leur sexe, devraient avoir le droit de participer au processus politique. Cependant, ces mouvements ont également mis en évidence la tension inhérente à la démocratie représentative : comment concilier la représentativité de l'ensemble de la population avec l'idée que certains individus, en raison de leur éducation ou de leur expérience, sont mieux à même de prendre des décisions politiques ? Cette question reste une préoccupation majeure dans les démocraties représentatives d'aujourd'hui. Malgré l'extension du droit de vote à la majorité de la population, il existe encore de nombreuses inégalités dans la représentation politique. Il reste donc beaucoup à faire pour que les gouvernements représentatifs soient véritablement représentatifs des intérêts et des aspirations de tous leurs citoyens.

L'élitisme en démocratie : le cas de Schumpeter[modifier | modifier le wikicode]

Joseph Schumpeter.

Le défi du suffrage universel[modifier | modifier le wikicode]

Avec le suffrage universel, pourquoi il semblait avoir un tel problème ? Cette question aborde une crainte fondamentale que beaucoup de penseurs politiques ont eu par rapport à l'extension du droit de vote : le risque de la "tyrannie de la majorité". Cette idée suggère que si tout le monde a le droit de vote, alors les intérêts de la majorité pourraient facilement l'emporter sur ceux des minorités, ce qui pourrait mener à l'oppression de ces dernières. Alors que de nombreux pays commençaient à introduire le suffrage universel, cette crainte était très répandue parmi l'élite politique. Cependant, elle se fonde sur une série d'hypothèses, dont certaines sont contestées. Par exemple, l'idée que les ouvriers voteraient nécessairement en bloc sous-estime leur diversité d'opinions et d'intérêts. De plus, la démocratie, même dans son sens le plus large, ne signifie pas seulement le droit de vote pour tous. Elle implique aussi l'existence de mécanismes pour protéger les droits des minorités et pour assurer une représentation équitable. Des systèmes tels que les élections proportionnelles, la protection constitutionnelle des droits de l'homme, la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice sont tous des moyens pour empêcher la tyrannie de la majorité. Enfin, il convient de noter que le gouvernement représentatif ne s'oppose pas nécessairement à la démocratie. Au contraire, le principe du gouvernement représentatif est souvent vu comme un moyen de réaliser la démocratie dans les sociétés modernes et complexes. En effet, la représentation permet à des individus élus de prendre des décisions au nom de leurs électeurs, permettant ainsi une forme de démocratie qui ne nécessite pas que chaque citoyen soit impliqué dans chaque décision politique.

Schumpeter a soutenu une vision particulière de la démocratie qu'il a appelée "la théorie de la démocratie élitaire". Selon cette vision, la démocratie n'est pas tant une forme de gouvernement qui permet à chaque citoyen d'avoir un mot à dire directement sur la politique, mais plutôt une forme de compétition pour le leadership politique. Dans cette perspective, le rôle du citoyen est principalement de choisir entre les différentes élites politiques qui se disputent le pouvoir. Schumpeter a vu cette conception de la démocratie comme une façon de concilier la nécessité d'un gouvernement représentatif dans une société grande et complexe avec le principe d'égalité politique. En donnant à chaque citoyen le droit de vote, nous maintenons l'égalité politique. Et en limitant le rôle du citoyen à la sélection des dirigeants plutôt qu'à la participation directe à la politique, nous permettons un gouvernement représentatif efficace. Selon cette conception, la démocratie n'est pas menacée par la majorité ignorant ou non éduquée qui pourrait prendre des décisions politiques néfastes. Au contraire, la démocratie est un système dans lequel les élites politiques doivent se disputer les faveurs de cette majorité. Ainsi, Schumpeter semble avoir trouvé une façon de concilier l'égalité, la liberté et le gouvernement représentatif. Son approche a eu une grande influence sur la façon dont nous pensons la démocratie aujourd'hui. Cependant, elle a aussi été critiquée pour avoir minimisé l'importance de la participation citoyenne et pour avoir peut-être trop mis l'accent sur les élites politiques.

Tocqueville a observé que l'avènement de la modernité a conduit à une multiplication des libertés individuelles. Dans nos sociétés modernes, nous jouissons d'une vie privée accrue, de la possibilité de fonder une famille, de pratiquer des sports, de nous engager dans des activités associatives, de pratiquer librement notre religion, de créer des organisations caritatives, de voyager, et ainsi de suite. Ces nouvelles libertés ont transformé notre rapport à la politique. Parce que nous avons tant d'autres espaces pour exprimer nos préférences et réaliser nos aspirations, la politique peut sembler moins centrale pour beaucoup de gens. Cela ne veut pas dire que la politique est devenue moins importante, mais plutôt que notre engagement envers elle a changé. Tocqueville a également noté que ces libertés modernes pourraient avoir un effet d'atomisation, nous poussant à nous concentrer davantage sur nos vies privées et à nous désengager de la vie publique. Cette tension entre la vie privée et la vie publique est un thème central de la démocratie moderne, et elle soulève des questions importantes sur la manière dont nous pouvons encourager une participation politique significative dans des sociétés où les individus ont tant d'autres façons de s'exprimer et de réaliser leurs aspirations.

Ces aspects de la vie moderne, selon Schumpeter, tendent à nous détourner de la politique. Dans nos sociétés libres, nous avons tant d'autres choses à faire et à explorer que la politique peut souvent passer en second plan. Schumpeter a donc soutenu que, même dans une démocratie, seules une minorité d'individus seront réellement actifs politiquement. Cependant, il a également souligné que cela ne rend pas la démocratie obsolète ou sans importance. Au contraire, il a souligné que le rôle de la majorité en démocratie est de choisir entre différentes élites politiques. Ainsi, même si la plupart des citoyens ne participent pas activement à la politique, ils ont toujours un rôle crucial à jouer en sélectionnant leurs dirigeants. Ce point de vue a été critiqué pour son pessimisme sur la capacité et le désir des gens ordinaires de participer à la politique. Il a également été critiqué pour son emphase sur les élites. Cependant, il offre une façon de comprendre comment la démocratie peut fonctionner dans les grandes sociétés modernes où le temps et les ressources sont limités.

Selon Schumpeter, dans nos sociétés modernes, bien que tous les individus soient éligibles pour participer à la politique, nombreux sont ceux qui n'ont ni le désir, ni les ressources nécessaires pour le faire activement. La multitude des engagements et des distractions de la vie contemporaine limite souvent notre volonté et notre capacité à nous engager pleinement dans le processus politique. Il est important de préciser que cette vision de Schumpeter n'implique pas que les individus ne se soucient pas de leurs droits politiques ou de leur capacité à influencer les décisions politiques. Au contraire, ils tiennent à leur droit de vote et veulent être en mesure d'intervenir dans le processus politique. Cependant, ils peuvent ne pas avoir le temps, l'énergie ou les ressources nécessaires pour s'engager activement dans la politique au-delà de l'exercice de leur droit de vote. C'est pourquoi Schumpeter a souligné l'importance du vote universel : il offre aux individus un moyen de participer à la politique sans exiger une implication continue ou intense. En même temps, il assure que tout le monde a une voix dans le processus politique, ce qui préserve la légitimité démocratique du système politique.

La division du travail en politique[modifier | modifier le wikicode]

Joseph Schumpeter a donc souligné l'idée d'une « division du travail » en politique. Selon cette perspective, dans une démocratie moderne, la majorité des citoyens délègue la responsabilité de la gouvernance à un petit groupe d'élus. Ces derniers, souvent plus informés et plus impliqués dans la politique, sont chargés de prendre des décisions au nom de ceux qui les ont élus.Cette division du travail politique a deux avantages principaux. D'une part, elle aux citoyens ordinaires de consacrer leur temps et leur énergie à d'autres aspects de leur vie, tout en conservant leur droit de vote et leur influence sur les décisions politiques. D'autre part, elle assure que les décisions politiques sont prises par des individus qui, idéalement, sont plus informés et mieux équipés pour comprendre les complexités de la gouvernance. Cependant, cette conception de la démocratie suppose que les élus représentent fidèlement les intérêts et les valeurs de ceux qui les ont élus. C'est pourquoi la transparence, la responsabilité et l'intégrité sont des valeurs cruciales dans ce système. Sans elles, la division du travail politique pourrait facilement se transformer en une déconnexion entre les élus et les électeurs, ce qui compromettrait la légitimité démocratique du système.

La conception élitiste de la démocratie de Schumpeter, malgré son nom, est en réalité très en phase avec l'organisation actuelle des sociétés démocratiques modernes. Ce modèle démocratique repose sur le principe de la compétence : ceux qui sont les plus compétents en politique sont ceux qui devraient gouverner. Dans ce système, le rôle des citoyens est de choisir parmi les candidats ceux qui seront leurs représentants, sur la base de leurs programmes, de leur compétence, de leur expérience, de leurs valeurs, etc. Ainsi, le vote permet de faire émerger une élite politique, mais cette élite est élu par les citoyens et est responsable devant eux. C'est en cela que la démocratie élitiste de Schumpeter reste une démocratie : le pouvoir est détenu par le peuple, mais il est exercé par l'intermédiaire de représentants élus. L'élite politique est ainsi en quelque sorte "légitimée" par le peuple à travers le processus électoral. Le rôle des citoyens n'est donc pas seulement passif (dans le sens où ils sont gouvernés), mais aussi actif (dans le sens où ils participent à la sélection de leurs gouvernants).

Adaptation de l'idéal d'autogouvernement à la réalité moderne[modifier | modifier le wikicode]

La conception de la démocratie selon Schumpeter est en décalage avec l'idée originelle d'autogouvernement que l'on retrouve dans les démocraties directes de l'Antiquité, comme à Athènes. Dans ces sociétés, chaque citoyen avait le droit de participer directement à la prise de décision politique, ce qui est à l'opposé du système représentatif moderne. Cependant, il faut noter que la mise en œuvre de l'autogouvernement à grande échelle dans nos sociétés complexes et largement peuplées serait extrêmement difficile. La délégation de pouvoir à des représentants élus permet de rendre le processus décisionnel plus gérable et plus efficient. Cela n'exclut pas la possibilité pour les citoyens de s'impliquer activement dans la politique à différents niveaux, par exemple à travers des associations, des mouvements sociaux, ou en exprimant leurs opinions et en faisant pression sur leurs représentants. La démocratie représentative peut ainsi être perçue comme une adaptation de l'idée d'autogouvernement à la réalité des sociétés modernes. Il y a bien sûr des inconvénients à ce système, notamment le risque que les représentants ne répondent pas suffisamment aux préoccupations des citoyens. C'est pour cela qu'il est crucial que le processus électoral soit juste et transparent, que les citoyens soient bien informés et qu'ils aient la possibilité de faire entendre leurs voix.

La conception schumpétérienne de la démocratie, également appelée "démocratie procédurale" ou "démocratie élitiste", repose sur l'idée que les citoyens élisent des représentants qui sont spécialisés dans le travail politique. C'est une vision qui met l'accent sur la compétence et l'expertise des dirigeants, et qui considère que l'élection elle-même est le mécanisme démocratique par excellence. Selon Schumpeter, la démocratie n'a pas nécessairement pour but d'engager activement tous les citoyens dans la prise de décision. Il ne considère pas la démocratie comme un système qui permettrait la réalisation parfaite de l'idéal de l'autogouvernement. Au contraire, la démocratie est pour lui une méthode pour choisir les dirigeants, et non une fin en soi. Cette vision peut être critiquée, car elle implique un degré relativement faible de participation citoyenne. Si les citoyens se contentent de voter pour des représentants sans s'engager activement dans le débat politique, cela peut conduire à une forme de passivité politique et à un désintérêt pour les affaires publiques. D'un autre côté, Schumpeter soutenait que cette approche était plus réaliste et plus adaptée aux conditions modernes, compte tenu de la complexité des problèmes politiques et de l'ampleur des sociétés contemporaines.

La vision de Schumpeter repose sur l'idée que l'égalité moderne est mieux protégée par une démocratie élitiste où des experts formés et spécialisés dans le domaine de la politique sont en compétition pour le pouvoir. Cette compétition est vue comme bénéfique car elle favorise l'innovation et l'efficacité politique, tout en garantissant que les politiques sont formulées par ceux qui ont une connaissance approfondie des enjeux complexes. Selon Schumpeter, la majorité des citoyens n'a ni le temps, ni les connaissances, ni l'envie de s'occuper des questions complexes de politique internationale, d'énergie ou de finance. C'est pourquoi il préfère que ces questions soient laissées à des spécialistes qui ont une compréhension détaillée de ces sujets. Il est important de noter que cette vision de la démocratie peut être critiquée pour son élitarisme apparent et son désintérêt pour la participation citoyenne au-delà du vote. Cependant, Schumpeter soutiendrait que ce n'est pas nécessairement antidémocratique si l'on considère que l'objectif ultime de la démocratie est d'assurer une gouvernance efficace et équitable, et non nécessairement de permettre une participation maximale. Cependant, la perspective de Schumpeter reste pertinente dans le débat sur la démocratie représentative. De nombreuses sociétés démocratiques luttent avec le défi de concilier les attentes de participation citoyenne plus large avec la nécessité d'une prise de décision efficace sur des questions complexes. C'est un débat qui continue à ce jour, avec des arguments importants de chaque côté.

Selon Schumpeter, la réalité de la démocratie moderne, c'est que la majorité des citoyens n'a pas le désir ou la capacité de s'engager pleinement dans la politique. Cela est dû à une multitude de facteurs, notamment le manque de temps, les obligations personnelles et professionnelles, et souvent un manque d'intérêt ou de connaissance approfondie des questions politiques complexes. Schumpeter soutient donc que la démocratie élitiste, où les politiques sont déterminées par une classe de professionnels de la politique formés et éduqués, peut en fait être une meilleure réalisation des valeurs d'égalité moderne. Cela est dû au fait que cette approche permet à tous les citoyens de participer au processus politique par le vote, tout en garantissant que les décisions politiques sont prises par ceux qui sont les mieux à même de le faire. Cela ne veut pas dire que les citoyens ordinaires sont exclus du processus politique. Au contraire, ils ont le pouvoir de choisir leurs représentants et de les tenir responsables de leurs actions. Et dans de nombreux pays démocratiques, il existe également des mécanismes pour permettre une plus grande participation citoyenne, tels que les référendums, les initiatives citoyennes et les consultations publiques. Mais selon Schumpeter, pour que la démocratie fonctionne efficacement dans le monde moderne, il faut accepter que la majorité des citoyens ne seront pas des participants actifs dans la politique au-delà de ces mécanismes. C'est un point de vue controversé, et il est clair que le débat sur le meilleur moyen de réaliser l'idéal démocratique dans le monde moderne est loin d'être terminé.

Le contraste entre les idées de Rousseau et celles de Schumpeter est frappant. Rousseau, figure clé du républicanisme, affirmait que pour être véritablement libres, les citoyens devaient participer activement à la politique et à la prise de décision publique. Cette conception de la liberté est souvent appelée "liberté positive" ou "liberté des Anciens". Rousseau voyait la participation politique non seulement comme un droit, mais aussi comme un devoir. Dans son contrat social, il soutient que la souveraineté appartient au peuple et que chaque citoyen doit contribuer à l'expression de la volonté générale. Cette volonté générale n'est pas simplement la somme des volontés individuelles, mais plutôt la volonté du corps politique dans son ensemble, visant le bien commun. Ainsi, pour Rousseau, être un citoyen, c'est participer activement à l'élaboration de cette volonté générale. Schumpeter, en revanche, avait une vision beaucoup plus pragmatique et réaliste de la politique. Il reconnaissait que la plupart des gens ne souhaitent pas ou ne peuvent pas s'engager de manière significative dans la politique. Selon lui, le rôle des citoyens est principalement de choisir les dirigeants politiques par le vote, tandis que le travail de la gouvernance devrait être laissé à une élite politique professionnelle. Ce contraste reflète des conceptions très différentes de la liberté et de la citoyenneté. Pour Rousseau, la liberté consiste à participer activement à l'élaboration des lois qui nous gouvernent, tandis que pour Schumpeter, la liberté consiste davantage à choisir nos dirigeants et à les tenir responsables. Ces deux visions continuent d'influencer le débat sur le rôle du citoyen et la nature de la démocratie dans le monde contemporain.

L'approche de Schumpeter à la démocratie et à la participation politique est réaliste et pragmatique. Selon lui, la plupart des gens sont plus intéressés par leur vie privée, leurs familles, leurs carrières, et d'autres aspects de leur vie quotidienne que par une participation active et directe dans la politique. Pour lui, la démocratie ne signifie pas que tous doivent participer activement à la prise de décisions politiques. Au lieu de cela, il voit la démocratie comme un mécanisme par lequel les citoyens élisent des leaders pour prendre ces décisions pour eux. Selon Schumpeter, ce modèle de démocratie "élitiste" permet à la fois de protéger les libertés individuelles et d'assurer l'égalité. Les citoyens ont la liberté de se concentrer sur leurs propres vies et leurs propres intérêts, tout en ayant également l'égalité de vote pour choisir ceux qui vont gouverner et prendre des décisions en leur nom. Dans ce sens, il voit la démocratie non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen d'atteindre d'autres objectifs sociaux et individuels. Cependant, cette vision de la démocratie n'est pas sans critiques. Certains peuvent soutenir qu'une démocratie véritable exige plus qu'un simple vote périodique pour des représentants. Ils peuvent soutenir que les citoyens doivent être activement engagés dans le débat public, informés des questions politiques, et capables de contribuer à la prise de décisions politiques. De plus, certains peuvent s'inquiéter du risque que les élites politiques deviennent déconnectées des préoccupations des citoyens ordinaires dans un tel système.

Schumpeter a certainement apporté une perspective intéressante sur la manière dont la démocratie peut fonctionner dans une société moderne complexe. En acceptant une certaine division du travail politique, où une élite politique se spécialise dans la gouvernance et où les citoyens ordinaires se concentrent sur d'autres aspects de leurs vies, Schumpeter propose une vision de la démocratie qui est à la fois réaliste et praticable. Il est important de noter que cette approche ne signifie pas que les citoyens sont complètement détachés du processus politique. Au contraire, ils jouent un rôle crucial en élisant ces élites et en décidant qui devrait les gouverner. De plus, cette approche ne signifie pas non plus que les citoyens ne peuvent pas s'engager davantage dans le processus politique s'ils le souhaitent. Les citoyens peuvent toujours choisir de s'impliquer davantage dans la politique, de se tenir informés des questions politiques et de faire entendre leur voix par divers moyens. Cependant, cette approche soulève également des questions importantes. Comment s'assurer que les élites politiques restent responsables envers les citoyens et reflètent leurs préoccupations et leurs intérêts ? Comment éviter que les élites politiques ne deviennent trop distantes ou déconnectées des citoyens ordinaires ? Comment s'assurer que les citoyens ont suffisamment d'information et de connaissances pour prendre des décisions éclairées lorsqu'ils votent ? Ce sont là des défis importants que toute démocratie, qu'elle soit basée sur le modèle schumpeterien ou non, doit affronter.

La démocratie élitiste : une vision pragmatique[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle élitiste de la démocratie, tel que conceptualisé par des penseurs comme Schumpeter et Huntington, met l'accent sur le rôle crucial que jouent les élites dans le processus démocratique. Ils soutiennent que les questions complexes et techniques qui définissent souvent la politique moderne nécessitent une expertise spécialisée qui est mieux gérée par une élite formée et compétente. Ils font valoir que la division du travail politique, où les citoyens élisent des représentants pour gouverner en leur nom, permet une gouvernance plus efficace et plus stable. Huntington, en particulier, a soutenu que ce modèle était essentiel pour maintenir l'ordre et la stabilité dans les sociétés modernes. Il a mis en garde contre ce qu'il a appelé un "excès de démocratie", où une trop grande participation et un trop grand pluralisme peuvent conduire à une instabilité politique et à une inefficacité gouvernementale.

Selon Schumpeter, Huntington et d'autres qui soutiennent le modèle élitiste de la démocratie, l'engagement politique généralisé et actif peut potentiellement mener à des conflits de groupe majeurs. Ils argumentent que si chaque individu ou groupe cherche à faire avancer ses propres intérêts et points de vue à travers le processus politique, cela pourrait créer une concurrence intense et potentiellement déstabilisante pour le pouvoir et l'influence. Dans les sociétés modernes complexes, où des personnes de différentes classes sociales, religions, origines ethniques et points de vue politiques coexistent, un tel niveau de participation et d'activisme politique pourrait, selon cette perspective, mener à des conflits et à une polarisation. Cela pourrait potentiellement menacer la stabilité de la société et rendre la prise de décision politique plus difficile et moins efficace. De plus, ils soutiennent que la majorité des citoyens n'ont ni le temps, ni l'intérêt, ni l'expertise nécessaire pour s'engager activement dans la politique. Ils pensent qu'il est plus efficace et pratique que les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions en leur nom, tandis que les citoyens se concentrent sur leurs propres vies et carrières. Si on peut le dire, la démocratie moderne dépend de la possibilité de faire des compromis demandant d’accepter que seulement une partie de nos demandes seront réalisées dans nos politiques communes, que seulement une partie de nos idées, seulement une partie de nos efforts seront réalisés dans la politique.

La perspective de Schumpeter et de ceux qui partagent son point de vue est souvent qualifiée de "réaliste" ou de "cynique", car elle tend à décrire la démocratie en termes de ce qui est faisable dans le contexte de la société moderne, plutôt qu'en termes de ce qui serait idéal selon certains principes théoriques. Dans cette perspective, l'autogouvernement au sens classique - où chaque citoyen est activement impliqué dans le processus de prise de décision politique - est considéré comme impraticable et peut-être même indésirable. Au lieu de cela, ces théoriciens proposent un modèle où la participation politique des citoyens ordinaires se limite essentiellement à élire leurs représentants, tandis que les décisions politiques réelles sont prises par une élite spécialisée. Cette élite est supposée représenter les intérêts des citoyens et agir en leur nom, tout en tenant compte de l'ensemble des compétences, connaissances et expertise nécessaires pour gouverner de manière efficace dans le monde complexe d'aujourd'hui. De cette manière, les partisans de cette vision pensent que la démocratie élitiste peut maintenir les valeurs fondamentales de la liberté et de l'égalité tout en étant fonctionnelle et stable.

Dans la vision de la démocratie élitiste que Schumpeter et d'autres soutiennent, ce qui compte le plus n'est pas l'héritage, la richesse ou la classe sociale, mais plutôt la capacité à gagner le soutien des citoyens et à les représenter efficacement. Cette vision met l'accent sur des compétences telles que le charisme, la communication, la négociation, et la capacité à prendre des décisions difficiles dans l'intérêt public. Cette vision de la démocratie diffère de l'aristocratie ou de la noblesse héréditaire, où le pouvoir est détenue par une classe privilégiée en raison de leur naissance ou de leur richesse. Dans une démocratie élitiste, tout le monde a théoriquement la possibilité de se présenter pour un poste politique, mais seuls ceux qui peuvent gagner le soutien du peuple par leurs compétences et leurs actions seront élus. La démocratie élitiste telle que décrite par Schumpeter ne privilégie pas intrinsèquement la naissance ou la richesse. Au lieu de cela, elle valorise des compétences telles que le charisme, l'éloquence, la capacité à inspirer et à mobiliser les gens, et l'aptitude à négocier et à arriver à des compromis sur des questions difficiles. Ces caractéristiques sont vues comme essentielles pour gagner le soutien des citoyens et pour mener efficacement un gouvernement dans une démocratie élitiste. Cependant, il est important de noter que si la naissance et la richesse ne sont pas explicitement valorisées dans cette vision de la démocratie, elles peuvent toujours jouer un rôle indirect en donnant à certains individus un accès plus facile à une éducation de haute qualité, à des réseaux sociaux influents et à d'autres ressources qui peuvent faciliter leur succès en politique. Le cas de Laurent Fabius et son rôle lors de la COP21 à Paris illustre ce point. Fabius, en tant que président de la COP21, a été reconnu pour sa capacité à conduire les négociations à un accord sur le climat universellement approuvé, démontrant ainsi des qualités de leadership et de négociation efficaces. Cependant, sa capacité à jouer ce rôle avec succès était également liée à son expérience politique antérieure, à son éducation, et au réseau de contacts qu'il a pu établir au cours de sa carrière, des facteurs qui peuvent être liés à son origine familiale et à sa situation socio-économique.

La démocratie élitiste, telle que conceptualisée par Schumpeter, présente plusieurs avantages. En reconnaissant que la majorité des citoyens peuvent ne pas vouloir s'engager activement dans la politique, ce système vise à protéger la liberté individuelle de poursuivre d'autres intérêts et de mener une vie privée sans interférence politique excessive. Par ailleurs, en évitant une approche autoritaire qui insiste sur une participation politique obligatoire ou qui donne la priorité aux intérêts des citoyens sur ceux des non-citoyens ou de l'environnement, ce modèle offre une vision plus inclusive et plus équilibrée de la démocratie

Délégation du pouvoir à une élite[modifier | modifier le wikicode]

Bien que cette approche puisse être pragmatique et réaliste en reconnaissant que tous les citoyens ne souhaitent pas s'engager activement dans la politique, elle peut aussi sembler cynique en ne valorisant pas suffisamment la participation citoyenne au-delà du vote. Dans un tel système, les citoyens peuvent souvent se sentir aliénés ou déconnectés du processus politique, car ils sont largement passifs, n'ayant que peu d'influence réelle sur les politiques en dehors des élections. Cette passivité politique peut potentiellement conduire à l'apathie et à la désillusion, minant la confiance dans le système politique et ses acteurs. De plus, bien que la démocratie élitiste puisse permettre une prise de décision plus efficace et experte, elle peut aussi entraver la responsabilisation des élites politiques. Sans une participation citoyenne active et informée, il peut être plus difficile de tenir les élus responsables de leurs actions. Dans cet esprit, il est essentiel de trouver un équilibre entre l'efficacité du gouvernement et la participation citoyenne. Tandis que la démocratie élitiste met l'accent sur l'efficacité, d'autres modèles de démocratie, comme la démocratie participative, valorisent davantage la participation citoyenne.

Robert Dahl, un politologue influent du 20ème siècle, a offert une perspective alternative à la vision élitiste de Schumpeter avec son modèle de la "polyarchie". Dahl reconnaissait que la démocratie directe à grande échelle n'était pas réalisable dans les sociétés modernes, mais soutenait que le modèle élitiste de Schumpeter n'était pas suffisant pour réaliser les idéaux démocratiques d'égalité et de liberté.

Pour Dahl, une polyarchie, une forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir est investi dans plusieurs personnes, était une démocratie plus authentique. Elle accorde une importance centrale à la participation citoyenne et à la compétition politique. Dans une polyarchie, le pouvoir est réparti entre plusieurs centres de décision, ce qui permet aux citoyens de participer activement à la politique par le biais de différents canaux et institutions.

La polyarchie de Dahl se caractérise par plusieurs éléments clés :

  • L'élection des responsables : les citoyens ont le droit de voter pour leurs représentants.
  • La liberté d'expression : les citoyens ont le droit de s'exprimer sans crainte de sanctions.
  • L'accès à l'information alternative : les citoyens ont le droit d'accéder à des sources d'information diverses et indépendantes.
  • L'associativité : les citoyens ont le droit de former et de rejoindre des associations indépendantes.
  • L'inclusivité : tous les citoyens ont le droit de participer, indépendamment de leur statut social ou économique.

Dahl affirmait que ces caractéristiques étaient essentielles pour réaliser une démocratie authentique dans les sociétés modernes. En encourageant une participation plus active des citoyens et une concurrence politique plus libre et ouverte, la polyarchie cherche à réconcilier les tensions entre la liberté et l'égalité dans la démocratie.

Le modèle de Schumpeter est élitiste en ce sens qu'il reconnaît l'importance de la compétence et de la spécialisation dans le gouvernement, et non en ce sens qu'il favorise un certain groupe de personnes basé sur leur héritage ou leur statut social. Selon Schumpeter, dans une démocratie moderne, les citoyens délèguent le pouvoir à une "élite" d'individus politiquement compétents et instruits, qui se battent pour obtenir les votes des citoyens lors d'élections compétitives. Cette "élite" n'est pas nécessairement riche ou de "bonne famille" ; elle est simplement mieux équipée pour comprendre et gérer les complexités de la gouvernance moderne. L'accent mis par Schumpeter sur la compétence et la spécialisation dans la politique est lié à sa conception de la démocratie comme un système dans lequel les citoyens ont la possibilité de choisir leurs dirigeants, mais ne sont pas nécessairement impliqués dans la prise de décision politique quotidienne. C'est cette délégation de pouvoir à une élite politique qui fait que son modèle est souvent qualifié d'"élitiste".

Dans le modèle de Schumpeter, l'élite politique n'est pas une élite par naissance, par richesse ou par classe sociale, mais par compétence, talent et dévouement à la politique. Cette élite est choisie par le peuple lors d'élections libres et compétitives. La compétition électorale est considérée comme le mécanisme clé pour assurer la responsabilité des dirigeants envers le peuple et pour garantir que seuls les candidats les plus compétents et les plus dévoués à servir l'intérêt public soient élus. Les individus qui forment cette élite politique sont souvent ceux qui ont une vocation, une passion pour la politique, et qui ont acquis une expertise dans le domaine à travers l'éducation, l'expérience et l'engagement constant. Ils sont capables de comprendre les problèmes complexes auxquels la société est confrontée et de proposer des solutions politiques efficaces.

L'idée de Schumpeter sur la démocratie repose sur le concept de compétition politique. Les individus les plus compétents et les plus capables de prendre les meilleures décisions pour la collectivité sont élus pour gouverner. Cette concurrence favorise une sorte de "darwinisme politique" où seuls les meilleurs survivent et prospèrent. Selon Schumpeter, la compétition pour le vote populaire oblige les candidats à démontrer leur compétence, leur vision politique et leur aptitude à gouverner. Cela diffère des systèmes basés sur l'hérédité ou la loterie, où le leadership peut être attribué indépendamment de la compétence ou de l'aptitude à gouverner. De plus, Schumpeter soutenait que la plupart des citoyens ne s'intéressent pas à la politique au-delà du vote lors des élections. Ils préfèrent laisser la gestion des affaires de l'État aux politiciens professionnels. Pour lui, c'est non seulement acceptable, mais aussi bénéfique pour la société.

Schumpeter avait une vision des élections démocratiques comme étant une méthode qui assure une meilleure représentation des intérêts des citoyens par comparaison avec les systèmes basés sur l'hérédité ou la loterie. Selon lui, les candidats politiques, pour être élus, devraient répondre aux besoins et aux préoccupations des électeurs. Ainsi, les gouvernements qui émergent de cette compétition électorale seraient plus susceptibles de se soucier du bien-être de la population, de chercher à répondre à leurs besoins et de respecter leurs droits. Dans cette perspective, l'engagement politique des citoyens se manifeste principalement par le vote. C'est par ce processus que les citoyens expriment leurs préférences et choisissent ceux qui les gouverneront. Cette approche, cependant, soulève des questions sur la passivité politique et le rôle actif que les citoyens peuvent et devraient jouer dans la vie démocratique au-delà du vote.

Pour Schumpeter, la démocratie est avant tout un processus compétitif pour le vote du peuple. Dans son modèle, le gouvernement est certes conduit par une élite, mais cette élite est soumise à la volonté populaire exprimée par le vote. Il considérait que c'était le meilleur moyen d'assurer un gouvernement qui répond aux besoins et aux désirs du peuple, car les candidats qui cherchent à être élus doivent nécessairement prendre en compte les préférences et les intérêts des électeurs. En d'autres termes, dans la vision de Schumpeter, la démocratie ne signifie pas que tout le monde doit être impliqué dans la prise de chaque décision. Au lieu de cela, elle implique que tout le monde a le droit de participer au choix des dirigeants qui, une fois élus, auront la responsabilité de prendre des décisions politiques importantes.

L'autogouvernement selon Schumpeter[modifier | modifier le wikicode]

Joseph Schumpeter était plutôt sceptique vis-à-vis de l'idée de démocratie participative ou de démocratie directe, surtout dans les sociétés modernes larges et complexes. Selon lui, l'autogouvernement total, où chaque citoyen aurait un rôle actif et direct dans la prise de toutes les décisions politiques, n'est ni réaliste, ni souhaitable. Il a fait valoir que la plupart des gens n'ont ni le temps, ni l'expertise, ni le désir de s'impliquer directement dans la politique à ce niveau. En outre, il craignait que la démocratie directe ne conduise à des prises de décisions inefficaces et à des conflits sociaux constants. Ainsi, il soutenait que la meilleure forme de gouvernement est une démocratie représentative, où les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions politiques en leur nom. C'est pourquoi on qualifie souvent sa vision de la démocratie d'"élitiste" : même si les citoyens ont le pouvoir de voter, le processus décisionnel est essentiellement entre les mains d'une élite élue.

Selon Schumpeter, la démocratie représentative permet de protéger la liberté individuelle en offrant aux citoyens la possibilité de s'impliquer politiquement s'ils le souhaitent, mais sans les contraindre à le faire. C'est l'opposé de certains systèmes politiques qui peuvent forcer les citoyens à participer activement à la gouvernance, qu'ils le veuillent ou non. De plus, dans le système démocratique représentatif, les citoyens ont toujours le pouvoir de choisir leurs représentants lors des élections régulières. Ces élus sont responsables devant leurs électeurs, et peuvent être remplacés s'ils ne répondent pas à leurs attentes. Cela garantit également l'égalité dans la mesure où tous les citoyens ont le même droit de vote, quels que soient leur statut social, leur richesse ou leur éducation. Donc, dans ce système, chaque citoyen a un poids égal dans la détermination du gouvernement, ce qui reflète l'idée d'égalité politique. Cela dit, Schumpeter reconnaît également que dans ce système, une "élite" de politiciens professionnels se forme naturellement. Cependant, selon lui, c'est le résultat d'une spécialisation et d'une division du travail nécessaires, plutôt que le résultat d'un accès inégal au pouvoir politique.

La participate politique et délégation du pouvoir selon Schumpeter[modifier | modifier le wikicode]

Schumpeter mettait l'accent sur ce qu'il appelait la "liberté des modernes", qui comprend le droit de choisir notre niveau d'engagement politique. Pour lui, la démocratie n'impose pas aux citoyens un devoir de participer activement à la politique. En fait, il considérait que la liberté individuelle était mieux préservée lorsque les gens pouvaient décider eux-mêmes de leur degré d'implication dans les affaires publiques. Selon lui, la démocratie représentative est un système qui respecte cette liberté individuelle. Dans ce système, chacun est libre de se présenter aux élections et de prendre part à la politique s'il le souhaite, mais il n'est pas obligé de le faire. Les gens ont le droit de se concentrer sur leur vie privée, leur travail, leurs loisirs ou toute autre chose qu'ils jugent importante. Dans le même temps, le système démocratique représentatif permet aux citoyens de contrôler le gouvernement en élisant leurs représentants. Ce système équilibre donc la liberté individuelle avec la possibilité de participer à la gouvernance collective, ce qui, selon Schumpeter, est le meilleur compromis possible dans une société moderne complexe et diversifiée.

Schumpeter considérait la liberté de non-participation en politique comme une dimension fondamentale de la démocratie, en particulier lorsqu'elle est contrastée avec les régimes autoritaires du milieu du XXe siècle, tels que le fascisme, le nazisme ou le stalinisme. Ces régimes tendaient à imposer une participation politique obligatoire, souvent via des moyens coercitifs, et réprimaient ceux qui cherchaient à s'abstenir ou à contester l'orthodoxie politique dominante. Pour Schumpeter, la possibilité de refuser la participation à la politique est un aspect crucial de la liberté individuelle. La liberté de choisir de ne pas participer à la politique est considérée comme une garantie contre le totalitarisme et l'autoritarisme. Dans sa conception de la démocratie, les citoyens ne sont pas obligés d'être constamment engagés dans la politique, mais ont plutôt le droit de se concentrer sur d'autres aspects de leur vie. C'est précisément cette liberté de choisir son niveau d'engagement politique qui, selon Schumpeter, distingue les démocraties libérales des régimes autoritaires.

La perspective de Schumpeter sur la démocratie accorde une importance centrale à la liberté individuelle, y compris la liberté de ne pas participer en politique. Selon lui, la contrainte à participer en politique n'est pas compatible avec une véritable démocratie. Cette vision repose sur une compréhension fondamentale de la liberté et de l'égalité. Pour Schumpeter, la liberté implique le droit de choisir son propre niveau d'engagement en politique, y compris le droit de s'abstenir complètement. L'égalité, dans cette vision, n'est pas une égalité de participation active, mais plutôt une égalité d'opportunité : tous les citoyens ont la possibilité de participer ou de se présenter aux élections s'ils le souhaitent, mais personne n'est obligé de le faire. Il s'agit donc d'une vision de la démocratie dans laquelle l'égalité est principalement définie en termes de droits politiques égaux, et non de participation politique égale. Cette approche est parfois critiquée pour avoir une conception trop passive de la citoyenneté, mais pour Schumpeter, elle constitue le noyau de la démocratie dans les sociétés modernes.

Schumpeter considérait la démocratie représentative comme une forme de gouvernement supérieure, en particulier en comparaison avec les démocraties directes de l'Antiquité ou les républiques de la Renaissance. Selon lui, la démocratie représentative est capable de concilier efficacité, liberté, égalité, stabilité et compétence, caractéristiques qu'il jugeait insuffisamment présentes dans ces anciennes formes de gouvernement. Dans les démocraties directes comme celles de la Grèce antique ou des républiques de la Renaissance comme Florence, la participation active de tous les citoyens à la prise de décision politique créait souvent des conflits d'intérêts et de pouvoir. Ces systèmes étaient souvent instables, avec des périodes de tensions intenses et parfois de violences, comme l'exil de citoyens. Au contraire, dans une démocratie représentative, la prise de décision est déléguée à des élus, ce qui peut, en théorie, permettre une prise de décision plus efficace et moins conflictuelle. Les citoyens ont la liberté de participer ou non à la politique, tout en conservant leurs droits politiques égaux, y compris le droit de vote. La compétence de la gouvernance est également favorisée par la sélection des élus par le biais d'élections, ce qui peut favoriser l'ascension de personnes ayant une certaine expertise ou un certain talent pour la politique. Enfin, la démocratie représentative, par sa structure et ses mécanismes institutionnels, peut favoriser la stabilité en fournissant un cadre pour la gestion pacifique des conflits et des divergences d'intérêts. C'est l'un des principaux attraits de la vision de la démocratie de Schumpeter.

Schumpeter pensait que la démocratie représentative était préférable à la démocratie directe, pour plusieurs raisons. Premièrement, la démocratie représentative est plus réaliste et gérable dans une société moderne et complexe. Dans une démocratie directe, chaque citoyen est censé participer activement et comprendre toutes les questions sur lesquelles il doit voter. C'est à la fois un fardeau pour les citoyens, qui peuvent ne pas avoir le temps, l'expertise ou l'intérêt nécessaire pour s'engager à ce niveau, et pour la société en général, qui doit gérer un processus de décision politique massivement décentralisé. Deuxièmement, la démocratie représentative permet une certaine spécialisation. Les représentants élus peuvent consacrer leur temps et leurs efforts à la compréhension et à la gestion des problèmes politiques, tandis que les citoyens peuvent se concentrer sur d'autres aspects de leur vie. Troisièmement, la démocratie représentative favorise l'unité et la stabilité. Les représentants sont incités à rechercher des solutions de compromis et à construire des coalitions larges pour gagner les élections et gouverner efficacement. Cela contraste avec une démocratie directe, où des factions distinctes peuvent s'affronter sur chaque question individuelle, ce qui peut entraîner une polarisation et une instabilité politiques. Pour toutes ces raisons, Schumpeter voyait la démocratie représentative comme la meilleure forme de gouvernement pour une société moderne.

L'idée de Schumpeter était que, une fois que les citoyens ont élu leurs représentants, ces derniers devraient être ceux qui s'occupent de la plupart des affaires politiques, sans que les citoyens aient besoin de s'impliquer activement dans chaque décision politique. Les citoyens donnent leur confiance à leurs représentants pour prendre des décisions en leur nom et pour le bien du pays. Cette vision repose sur l'idée que les représentants sont plus à même de comprendre et de gérer les complexités de la politique moderne, et qu'ils sont responsables devant les électeurs grâce à la possibilité de réélection. Cette responsabilité incite les représentants à travailler pour le bien de leurs électeurs, car leur carrière politique dépend de leur capacité à répondre aux attentes et aux besoins des citoyens. C'est dans ce sens que Schumpeter parle de "démocratie stable" : en déléguant la prise de décision à une équipe d'experts élus, le processus démocratique devient plus gérable et plus prévisible. Cela permet également aux citoyens de se concentrer sur d'autres aspects de leur vie sans avoir à se préoccuper constamment de la politique.

Le point de vue de Schumpeter sur l'instabilité est intéressant et repose sur l'idée que le maintien d'un niveau constant d'activité politique parmi les citoyens peut en réalité nuire à la stabilité politique. Pour lui, une fois que les représentants sont élus, les citoyens devraient leur faire confiance pour prendre des décisions en leur nom. Une implication de ce point de vue est que les manifestations, les pétitions et d'autres formes de protestations publiques pourraient être vues comme des signes d'instabilité dans une démocratie. Pour Schumpeter, ces comportements pourraient suggérer que le système représentatif ne fonctionne pas correctement, car ils indiquent que les citoyens estiment que leurs représentants élus ne répondent pas adéquatement à leurs besoins ou à leurs préoccupations. Schumpeter soutient que, dans une démocratie saine et stable, les citoyens devraient être capables de se reposer sur leurs représentants pour s'occuper de la politique, leur permettant ainsi de se concentrer sur d'autres aspects de leur vie. Pour lui, la "bonne" démocratie est celle où les citoyens se sentent suffisamment en confiance dans le système représentatif pour ne pas ressentir le besoin de s'engager constamment dans l'activité politique.

Le modèle de démocratie élitiste tel que proposé par Joseph Schumpeter propose que le gouvernement soit laissé entre les mains d'une "élite" élue. C'est une sorte de division du travail où les citoyens élisent des individus pour gérer les affaires publiques afin qu'ils puissent se concentrer sur d'autres aspects de leur vie. Schumpeter soutenait que ce modèle respectait les principes démocratiques car les citoyens conservaient le pouvoir ultime de décision : ils choisissent ceux qui les gouverneront. Toutefois, une fois cette décision prise, les citoyens devraient, selon lui, se retirer de la politique active et laisser les élites diriger. C'est pourquoi certains critiques qualifient ce modèle de "démocratie dépolitisée". Cependant, il est important de noter que cette vision de la démocratie n'est pas sans critiques. Certains soutiennent que la démocratie nécessite une participation citoyenne active et continue, et que le laisser-faire après l'élection des représentants peut conduire à l'apathie politique et à la distance entre les élus et les électeurs. Par ailleurs, cela pourrait potentiellement ouvrir la porte à des abus de pouvoir ou à l'inaction politique si les citoyens ne sont pas vigilants et actifs dans le suivi de leurs représentants élus.

Les limites de l'élitisme selon Schumpeter[modifier | modifier le wikicode]

La théorie de Schumpeter repose sur l'idée que la concurrence dans un système démocratique représentatif stimulera l'émergence de leaders compétents et dévoués au bien-être des citoyens. Cependant, dans la pratique, plusieurs problèmes peuvent émerger. Tout d'abord, il est possible que tous les candidats ne soient pas également compétents pour gouverner. La politique peut attirer des individus motivés par le pouvoir, le prestige ou l'enrichissement personnel plutôt que par le désir de servir l'intérêt public. Les citoyens peuvent également se laisser séduire par des personnalités charismatiques qui ne possèdent pas les compétences nécessaires pour gouverner efficacement. Deuxièmement, il est possible que la concurrence politique ne produise pas nécessairement un gouvernement stable. Au contraire, elle peut donner lieu à des rivalités et à des divisions qui entravent le processus de prise de décision. Troisièmement, la vision de Schumpeter suppose que les citoyens sont capables de faire des choix éclairés lors des élections. Cependant, ils peuvent manquer d'informations précises ou fiables sur les candidats et les enjeux, ou être influencés par la propagande ou les fake news. Enfin, le modèle de Schumpeter pourrait potentiellement conduire à une déconnexion entre les élus et les électeurs. Si les citoyens sont encouragés à laisser la politique aux "experts" une fois leurs représentants élus, cela pourrait créer une élite politique déconnectée des préoccupations de la population. C'est pourquoi, bien que la vision de Schumpeter ait des mérites, elle n'est pas sans problèmes et fait l'objet de nombreux débats parmi les politologues et les philosophes politiques.

En théorie, le modèle de Schumpeter semble assez prometteur. En effet, si un parti politique souhaite rester compétitif et pertinent, il doit chercher constamment de nouveaux talents, de nouvelles idées et de nouvelles perspectives. Cela devrait, en principe, ouvrir la voie à des individus talentueux de tous les horizons qui peuvent apporter leur contribution unique à la politique. En cherchant des talents politiques partout, les partis peuvent assurer le renouvellement de leur base de soutien, maintenir leur pertinence et éviter le piège de la stagnation. Il s'agit en quelque sorte d'une forme de "méritocratie", où ceux qui ont des compétences et une passion pour la politique sont invités à participer, quel que soit leur milieu d'origine. Cependant, il est également important de noter que ce modèle repose sur plusieurs suppositions. Il suppose que les partis politiques sont ouverts au changement, à l'innovation et à l'inclusion de nouvelles voix. Il suppose également que les talents politiques sont répartis uniformément dans la population et que les partis sont prêts et capables de les reconnaître et de les utiliser efficacement. Dans la pratique, de nombreux facteurs peuvent entraver l'application de ce modèle. Les partis politiques peuvent être résistants au changement, favoriser certaines élites ou groupes, ou être incapables de reconnaître et de valoriser efficacement les talents politiques de différents groupes de la population. De plus, la concurrence entre les partis peut parfois conduire à la polarisation ou à la paralysie politique plutôt qu'à l'innovation et à l'inclusion.

Dans la pratique, le modèle de Schumpeter peut avoir des limites, en particulier dans les sociétés où la participation politique n'est pas largement encouragée ou facilitée. Le concept d'une "classe politique" peut émerger, où la politique est dominée par une petite élite, souvent issue des mêmes familles ou des mêmes groupes sociaux ou économiques. Dans de nombreux pays, y compris aux États-Unis et dans plusieurs pays d'Amérique latine, nous pouvons voir des exemples de ce phénomène, où la politique est souvent considérée comme un "métier de famille" et où les enfants de politiciens connus suivent les traces de leurs parents. Cela peut potentiellement entraîner une stagnation politique, un manque de diversité d'idées et de perspectives, et un sentiment d'aliénation parmi ceux qui ne font pas partie de ces élites politiques. Cela peut également créer une distance entre les élites politiques et le reste de la population, rendant plus difficile la compréhension et la réponse efficace aux besoins et aux préoccupations des citoyens ordinaires. De plus, cela peut également contribuer à une méfiance ou à un cynisme croissant envers la politique et les politiciens, ce qui peut à son tour dissuader davantage de personnes de participer activement à la politique.

Ainsi on peut identifier les des problèmes potentiels de l'existence de "dynasties politiques". Si la politique devient une affaire de famille, le processus démocratique peut être compromis. Dans le cas de la famille Bush aux États-Unis, par exemple, il y a eu deux présidents provenant de cette famille : George H. W. Bush et son fils, George W. Bush. En plus, Jeb Bush, un autre fils de George H. W. Bush, a également été un politicien influent en tant que gouverneur de la Floride et candidat à la présidence. Bien que chacun de ces politiciens ait ses propres mérites et ait été élu démocratiquement, la présence de telles dynasties politiques peut susciter des questions sur la justesse du système politique et sur l'égalité des chances pour tous les citoyens d'accéder aux postes de pouvoir.

La théorie qui relie la concurrence à la formation d'une élite spécialisée non héréditaire n'a pas trouvé de validation concrète dans la réalité. Au lieu de se concentrer véritablement sur le bien-être des citoyens qui se désintéressent de la politique, l'émergence inévitable d'une élite politique compétente a pour conséquence de fournir à nos représentants les outils nécessaires pour assurer leur pérennité future. Ainsi, le pouvoir politique se transforme en un moyen d'accumulation de richesses et de maintien d'un statut social qu'ils n'auraient peut-être pas pu atteindre par leur naissance. En effet, lorsque la politique devient l'apanage d'une élite spécialisée, deux problèmes majeurs peuvent se poser :

  • L'aliénation des citoyens : Si les citoyens ordinaires sentent qu'ils n'ont pas d'influence réelle sur les décisions politiques, ou que ces décisions sont prises par une petite élite qui ne comprend pas leurs préoccupations quotidiennes, ils peuvent se sentir déconnectés de la politique et devenir apathiques ou cyniques. Cela peut affaiblir la démocratie en diminuant la participation électorale et en augmentant la méfiance à l'égard des institutions politiques.
  • Le risque de corruption : Si une petite élite a un contrôle important sur le pouvoir politique, il y a un risque accru que cette élite utilise ce pouvoir à des fins d'enrichissement personnel ou pour favoriser leurs propres intérêts. Cela peut conduire à des niveaux élevés de corruption et à une distribution inégale des ressources.

Dans le passé, le pouvoir était souvent lié à la richesse et à la position sociale. Les individus nés dans la noblesse ou la richesse avaient souvent un accès privilégié à l'éducation et à d'autres ressources, ce qui leur permettait d'acquérir les compétences et les connaissances nécessaires pour gouverner. Leurs possessions terriennes et leur rang social leur conféraient également l'autorité et le respect nécessaires pour diriger. Dans de nombreux cas, ces individus assumaient des responsabilités de leadership à un jeune âge, apprenant les ficelles du métier politique par l'expérience. Cette "formation" leur permettait de développer les compétences nécessaires pour naviguer dans les coulisses du pouvoir, comme la diplomatie, la stratégie politique et la prise de décision. La structure sociale et économique favorisait également leur accession au pouvoir. Par exemple, ils pouvaient utiliser leur richesse pour influencer les électeurs, financer des campagnes politiques ou corrompre des fonctionnaires. Leurs relations familiales et sociales leur permettaient également de créer des alliances politiques et de se protéger contre les menaces.

Dans le modèle de Schumpeter, l'ascension au pouvoir politique peut parfois être motivée non par un désir d'améliorer le bien-être de la société, mais par une volonté de s'enrichir et de solidifier sa position sociale. Cela peut conduire à une situation où le pouvoir politique devient une voie vers la richesse et la sécurité économique, plutôt qu'un moyen de servir la société. Dans certains cas, des individus peuvent chercher à entrer en politique précisément parce qu'ils voient cela comme une opportunité d'accumuler de la richesse et du statut social, et non parce qu'ils ont une passion pour le service public ou une vision pour améliorer leur communauté ou leur pays. Cela peut mener à la corruption et à l'abus de pouvoir, avec des politiciens qui utilisent leur position pour leur propre avantage, plutôt que pour le bien de ceux qu'ils sont censés représenter. Il est également possible que ces personnes ne soient pas entièrement équipées ou disposées à faire les sacrifices nécessaires pour mener une vie de service public. Elles peuvent manquer de compétences, d'expérience ou d'engagement nécessaires pour faire face aux défis de la gouvernance. Et si leur motivation première est l'auto-enrichissement, elles peuvent être moins enclines à prendre des décisions qui bénéficieraient à la société mais nuiraient à leurs propres intérêts financiers.

Dans une telle structure, il existe un risque sérieux que les intérêts du plus grand groupe, les citoyens ordinaires qui ne sont pas profondément engagés dans la politique, soient négligés ou mal représentés. Cette séparation entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui sont censés être représentés par ce pouvoir peut potentiellement mener à un sentiment d'aliénation parmi les citoyens, diminuant leur confiance dans le système démocratique. D'une perspective normative, cela soulève également des questions sérieuses sur la nature de la liberté et de l'égalité dans une telle démocratie. Si une minorité privilégiée et spécialisée possède la majorité du pouvoir et du savoir-faire politique, la majorité des citoyens peut-elle être considérée comme étant véritablement libre et égale ? Cette configuration peut sembler cynique, en contraste avec l'idéal d'une démocratie dans laquelle tous les citoyens sont considérés comme égaux et ont un poids équivalent dans le processus décisionnel. De plus, ce genre de situation peut facilement mener à une concentration du pouvoir et à des abus, car ceux qui détiennent le pouvoir ont la possibilité d'agir dans leur propre intérêt plutôt que dans celui du peuple. Cela peut entraîner une inégalité croissante et une réduction de la liberté pour la majorité. Ces problèmes soulignent l'importance de maintenir des mécanismes de contrôle et de responsabilisation dans une démocratie, afin de prévenir les abus de pouvoir et de s'assurer que les voix de tous les citoyens sont entendues et prises en compte.

Vers un modèle de démocratie moins élitiste[modifier | modifier le wikicode]

Il est tout à fait possible d'adapter le modèle élitiste de la démocratie pour en atténuer le caractère élitiste, en le rendant plus participatif et égalitaire. Nous pourrions envisager, par exemple, un système qui conserve la notion de compétition pour le pouvoir au sein d'un groupe restreint, tout en intégrant des mécanismes d'action positive visant à diversifier et à élargir le cercle des gouvernants. En outre, on pourrait envisager un système inspiré du corporatisme, tel que développé par Durkheim et ses successeurs. Dans cette approche, nous chercherions à impliquer et à représenter en politique les divers intérêts des différentes sections de la population. En résumé, on pourrait imaginer une démocratie qui combine la compétition pour le pouvoir, l'élargissement de la représentation politique grâce à l'action positive, et la participation active de divers groupes d'intérêts via un système corporatiste.

Le modèle corporatiste de la démocratie repose sur la participation active de différentes groupes sociaux ou "corporations" dans la prise de décision politique. Cette approche vise à aller au-delà de la simple représentation individuelle basée sur le droit de vote, en reconnaissant que les individus ont plusieurs identités et intérêts en fonction de leur rôle dans la société (ouvrier, employeur, membre d'une communauté religieuse, etc.). Dans un système de démocratie corporatiste, ces différents groupes ont une voix dans le processus politique. Par exemple, les syndicats peuvent représenter les intérêts des travailleurs, les associations patronales ceux des employeurs, les organisations religieuses peuvent représenter les valeurs de leurs membres, etc. La théorie derrière cela est que ces groupes, en raison de leur expertise et de leur connaissance directe des questions qui affectent leurs membres, peuvent apporter des perspectives précieuses et contribuer de manière significative à l'élaboration de politiques efficaces. Cependant, le corporatisme a aussi ses propres défis. Il peut, par exemple, favoriser les groupes les plus organisés et les plus puissants au détriment des intérêts des individus et des groupes moins représentés. En outre, il peut parfois être difficile d'équilibrer les intérêts de différents groupes dans la prise de décision politique.

En creusant plus profondément cette idée, ce que nous pourrions envisager, c'est un système de représentation plus nuancé et plus inclusif que le modèle traditionnel de démocratie représentative. Dans ce système, les individus ne seraient pas seulement des électeurs lors des élections politiques, mais ils seraient également représentés par des associations ou des organisations qui reflètent leur identité professionnelle, leurs intérêts et leurs besoins spécifiques. Par exemple, un agriculteur pourrait être représenté non seulement par le politicien qu'il a élu dans sa circonscription, mais également par une organisation agricole nationale qui défendrait les intérêts de tous les agriculteurs du pays. De même, un travailleur industriel serait représenté par son syndicat, qui défendrait ses droits et ses conditions de travail auprès des décideurs politiques. Cette double représentation, politique et corporatiste, permettrait d'assurer une plus grande prise en compte de la diversité des intérêts au sein de la société. En somme, ce modèle corporatiste permettrait une forme de démocratie plus participative, où les citoyens auraient une voix plus directe et constante dans les décisions politiques. Non seulement cela pourrait potentiellement améliorer l'égalité et la représentativité du système, mais cela pourrait aussi encourager une plus grande participation des citoyens à la politique, en leur permettant de s'engager dans des domaines qui touchent directement leurs vies quotidiennes.

Le modèle que nous venons de discuter dépasse les limites de la vision élitiste de la démocratie que Schumpeter préconisait. Selon Schumpeter, la démocratie est une compétition entre élites pour le suffrage des électeurs, et une fois que ces élites sont élues, elles ont le devoir de gouverner sans interférence de la part des citoyens ordinaires. Cependant, ce modèle corporatiste plus participatif que nous avons exploré met en avant l'idée que chaque citoyen, indépendamment de ses intérêts spécifiques ou de sa profession, devrait avoir un certain niveau d'engagement et de représentation dans le processus politique. Cela pourrait être réalisé par le biais de différentes formes de participation, qu'il s'agisse du vote lors des élections, de l'adhésion à des syndicats ou à des associations professionnelles, ou de l'engagement dans des initiatives locales ou communautaires. En d'autres termes, selon ce modèle, la politique n'est pas seulement l'affaire des élites, mais elle devrait être quelque chose qui intéresse et implique tous les citoyens. Cela implique bien sûr une certaine responsabilité et un certain engagement de la part des citoyens eux-mêmes, mais cela pourrait aussi conduire à une démocratie plus dynamique et représentative, où les décisions politiques sont plus étroitement liées aux intérêts et aux préoccupations de tous les citoyens.

David Held, un théoricien politique britannique reconnu pour ses travaux sur la démocratie et la mondialisation, a beaucoup écrit sur les modèles de démocratie et sur la façon dont ils pourraient évoluer. Il n'a pas simplement critiqué les modèles existants, mais a également envisagé comment ils pourraient être améliorés ou modifiés pour mieux s'adapter à un monde en évolution. Dans son ouvrage "Models of Democracy", Held a examiné une variété de modèles, dont la démocratie directe, la démocratie libérale, la démocratie délibérative, la démocratie cosmopolite, entre autres.[4] Il a suggéré des façons d'améliorer ces modèles, en tenant compte de l'interdépendance croissante des États, de la mondialisation de l'économie et des problèmes transnationaux comme le changement climatique. Par exemple, dans le cas de la démocratie délibérative, Held a soutenu qu'elle pourrait être améliorée en assurant une plus grande représentativité et inclusivité dans les processus de délibération, et en équilibrant la participation citoyenne avec l'expertise professionnelle. Quant à la démocratie cosmopolite, Held a suggéré qu'elle pourrait être renforcée par le développement d'institutions supranationales démocratiquement responsables, capables de réguler les questions mondiales et de garantir les droits et les normes universels.

Émile Durkheim, un sociologue français influent, a introduit de nombreux concepts dans le domaine de la sociologie, y compris celui de corporatisme. Selon Durkheim, le corporatisme est un moyen d'organiser la société dans laquelle les intérêts professionnels, industriels ou autres types d'associations jouent un rôle central. Dans son livre "La Division du Travail Social", Durkheim explique que le corporatisme pourrait servir de moyen pour éviter l'anomie (l'absence de normes sociales claires, entraînant un sentiment d'aliénation et de désespoir) qui peut survenir avec une division du travail plus spécialisée dans une société moderne. Dans une société corporatiste, selon Durkheim, les individus seraient membres d'associations professionnelles ou industrielles spécifiques, appelées corporations, qui défendraient leurs intérêts spécifiques. Ces corporations serviraient également de médiateurs entre les individus et l'État, en facilitant une représentation collective de leurs membres. En d'autres termes, le corporatisme de Durkheim chercherait à apporter un certain degré d'harmonie sociale en regroupant les individus en fonction de leurs rôles professionnels, plutôt que de leurs affiliations de classe ou de leur appartenance politique.

L'un des principaux dilemmes de la réforme démocratique : trouver un équilibre entre le maintien des avantages d'un système existant et la correction de ses défauts. Le modèle de Schumpeter a certainement des qualités séduisantes, notamment sa simplicité et son efficacité apparente. Cependant, ses limites, en particulier en termes de participation citoyenne et d'équité, sont également évidentes. Si nous tentons d'améliorer le modèle de Schumpeter en y incorporant des éléments plus participatifs ou égalitaires, comme le corporatisme ou le pluralisme, nous pourrions "dépasser" certains de ses attraits. Par exemple, l'introduction de mesures visant à augmenter la participation citoyenne pourrait compliquer le système et le rendre moins efficace. De plus, des efforts pour rendre le système plus égalitaire pourraient diminuer la compétitivité, qui est un autre aspect clé du modèle de Schumpeter. Cependant, ce n'est pas nécessairement un argument contre la tentative d'amélioration. En effet, il est possible que les bénéfices obtenus en termes d'inclusion et d'équité l'emportent sur les pertes potentielles en termes d'efficacité ou de compétitivité. En fin de compte, la question est de savoir quelles sont les valeurs que nous privilégions dans notre conception de la démocratie.

Robert Dahl propose un modèle alternatif de démocratie qu'il nomme "polyarchie" ou "démocratie pluraliste", qui cherche à concilier l'efficacité et la stabilité du modèle schumpétérien avec un degré plus élevé de participation et d'égalité. Dans la vision de Dahl, la démocratie est un système dans lequel divers groupes et intérêts de la société ont la possibilité d'influencer les décisions publiques. Au lieu de se concentrer sur un petit groupe d'élites qui se disputent le pouvoir, comme dans le modèle de Schumpeter, Dahl met l'accent sur la dispersion du pouvoir politique entre de nombreux groupes différents. Cette dispersion du pouvoir encourage la compétition et la collaboration entre divers groupes, ce qui, selon Dahl, peut aider à maintenir la stabilité et l'efficacité tout en favorisant une plus grande participation et égalité. Par conséquent, la vision de Dahl tente d'équilibrer les attraits du modèle de Schumpeter avec les avantages de la participation citoyenne plus large et de la représentation équitable des différents intérêts.

Le pluralisme démocratique de Dahl[modifier | modifier le wikicode]

Robert A. Dahl.

Nous allons explorer comment Dahl cherche à capitaliser sur les aspects séduisants et peut-être même novateurs de la vision de Schumpeter, tout en esquivant les problèmes empiriques et normatifs inhérents à cette conception élitiste de la démocratie. Nous allons découvrir pourquoi Dahl estime qu'une perspective pluraliste, ancrée dans diverses formes de pouvoir, semble non seulement plus en phase avec la réalité empirique, mais aussi plus souhaitable normativement que la vision élitiste proposée par Schumpeter.

La distribution du pouvoir dans la démocratie pluraliste[modifier | modifier le wikicode]

Le pluralisme, tel que défendu par Robert Dahl et d'autres, repose sur l'idée que la santé d'une démocratie dépend de la présence de divers groupes et associations au sein de la société. Ces groupes peuvent être basés sur une multitude de facteurs, allant des intérêts professionnels aux affiliations religieuses, en passant par des loisirs communs ou des causes politiques. L'idée fondamentale du pluralisme est que la liberté d'association permet à chaque individu de trouver un groupe ou une organisation qui reflète ses intérêts et ses convictions, et de l'utiliser comme moyen de faire entendre sa voix au sein du système politique. Dans ce contexte, les groupes et associations agissent comme des intermédiaires entre l'individu et le gouvernement, en représentant les intérêts de leurs membres et en leur donnant une voix collective plus forte. En outre, dans une société pluraliste, aucune association unique n'est censée dominer le paysage politique. Au lieu de cela, le pouvoir est réparti entre de nombreux groupes divers, ce qui peut contribuer à équilibrer les influences et à éviter la concentration du pouvoir entre les mains d'une élite restreinte. Le pluralisme peut également favoriser un échange d'idées plus riche et plus dynamique, car différents groupes apportent des perspectives variées au débat public. Cela peut aider à nourrir la créativité et l'innovation en politique, tout en évitant la stagnation qui peut survenir lorsque le pouvoir est détenu par un groupe homogène. C'est donc en encourageant la diversité et la liberté d'association que le pluralisme cherche à éviter les problèmes associés à l'élitisme décrit par Schumpeter, tout en préservant les avantages de la concurrence politique et de la représentation.

La critique que Dahl adresse à Schumpeter tient en grande partie à la conception limitée que ce dernier a de la démocratie. Pour Dahl, Schumpeter ignore un aspect fondamental de la démocratie moderne : sa dimension sociétale. Selon lui, la démocratie ne se limite pas à un processus électoral où des élites politiques se font élire pour gouverner. Elle s'inscrit aussi et surtout dans le tissu social et repose sur la libre association des individus. Tout comme Tocqueville avant lui, Dahl soutient que la vitalité démocratique d'une société réside dans sa capacité à favoriser la formation d'associations diverses et multiples. Ces associations peuvent être nées de passions communes, d'intérêts partagés ou simplement du plaisir de se réunir autour d'une cause ou d'un objectif. Elles jouent un rôle crucial dans la vie démocratique en permettant aux citoyens de se regrouper pour défendre leurs intérêts, participer à la vie publique et exercer une influence sur les décisions politiques. Cette vision plus large de la démocratie, qui s'étend au-delà du simple cadre institutionnel pour englober la société dans son ensemble, est ce qui distingue l'approche pluraliste de Dahl de celle, plus restreinte, de Schumpeter. Selon Dahl, c'est cette richesse associative qui donne toute sa profondeur à la démocratie et permet à celle-ci de s'épanouir véritablement.

La vision qu'ont Tocqueville et Dahl de la démocratie est enracinée dans l'idée qu'un gouvernement démocratique moderne doit s'appuyer sur une société de citoyens qui s'organisent et s'associent de diverses façons, selon leurs goûts, leurs besoins et leurs croyances individuels. L'élément central de cette conception est la liberté d'association : les citoyens doivent pouvoir librement créer, rejoindre ou quitter des associations à leur gré. Dans une telle société, les clivages qui émergent sont souvent complexes et enchevêtrés - c'est-à-dire que les individus ne sont pas divisés selon une seule ligne de fracture sociale ou politique, mais peuvent appartenir à différents groupes et associations avec des intérêts parfois divergents. Cette multiplicité d'appartenances et d'identités contribue à une certaine dynamique démocratique, favorisant le débat, le compromis et la prise de décision collective. Elle aide également à éviter la polarisation excessive, en empêchant la formation de deux blocs homogènes et antagonistes. Selon Tocqueville et Dahl, une démocratie saine et dynamique nécessite une société civile active et diverse, où les citoyens sont libres de s'associer en fonction de leurs intérêts et convictions.

L'idée principale ici est que dans une société où la liberté d'association est encouragée, nous avons la possibilité de nous unir avec d'autres sur une multitude de sujets qui nous tiennent à cœur. Cette diversité d'associations permet aux individus de se rassembler autour d'intérêts communs, qu'ils soient sociaux, politiques, religieux, etc., transcendant ainsi les différences de classe, de race ou de croyances. Ce processus favorise une compréhension plus profonde et une appréciation de la diversité de notre société. Nous commençons à comprendre que nos identités ne se limitent pas à une seule catégorie, mais sont plutôt une mosaïque de différentes affiliations et intérêts. Cette prise de conscience nous amène à reconnaître que nos intérêts personnels et ceux des autres sont souvent enchevêtrés et interdépendants, ce qui peut conduire à une plus grande tolérance et coopération dans la sphère politique. La liberté d'association peut contribuer à atténuer les divisions sociétales, en favorisant la création d'une société civile dynamique et diversifiée, capable de nourrir un débat démocratique sain et productif.

Le rôle de la société civile en politique[modifier | modifier le wikicode]

Face à la crainte qu'éprouvait Schumpeter et nombre de politologues depuis l'instauration du suffrage universel - celle d'un vote se réduisant à une simple expression de classe sociale, avec les ouvriers votant uniquement pour leurs intérêts de classe et les propriétaires faisant de même - Dahl souligne l'importance des associations. Selon lui, ces dernières révèlent que nos identités et nos intérêts ne se limitent pas à notre position socioéconomique. En tant qu'ouvriers ou propriétaires, nous avons également une multitude d'autres intérêts qui transcendent notre classe sociale. Que ce soit en matière d'éducation, de religion, de culture, d'environnement ou de loisirs, nous avons tous des préoccupations variées qui nous amènent à nous associer de multiples façons. Cette complexité et cette diversité d'intérêts peuvent et doivent se refléter dans la politique. Ainsi, loin d'être simplement une lutte entre différentes classes sociales, la politique peut être un espace où s'expriment et se négocient une multitude d'intérêts et d'identités. Cela peut favoriser un débat démocratique plus riche et plus inclusif, et aider à atténuer la polarisation et les conflits de classe.

L'idée sous-jacente est que la démocratie va bien au-delà d'un simple système de gouvernement représentatif basé sur le suffrage universel et majoritaire. Elle exige aussi une société vibrante et dynamique, dans laquelle les individus sont actifs, discutent et cherchent des partenaires avec lesquels ils peuvent s'associer pour défendre leurs intérêts. Dès lors qu'on envisage cette société bourdonnante de groupes divers et vivants, qui reflètent et défendent l'éventail complet de nos intérêts, nous nous rapprochons d'une conception de la démocratie qui est réellement libre. En effet, un tel modèle de démocratie reflète et respecte la diversité et la liberté des citoyens. De plus, il favorise l'égalité en déconnectant la naissance de la destinée politique. Dans une telle démocratie, naître pauvre ne condamne pas à une vie de pauvreté. Au contraire, être pauvre n'empêche pas de rejoindre de nombreux groupes d'associations avec d'autres individus qui ne sont pas pauvres et qui partagent des intérêts communs. Ainsi, malgré les inégalités économiques, les citoyens peuvent bénéficier d'une certaine égalité politique et sociale grâce à leur participation active à la vie associative.

L'idée est que lorsque les gens choisissent de s'engager en politique en fonction de leur religion, nous avons également l'opportunité d'atténuer les différences raciales et les clivages entre les immigrants et les autochtones. En fin de compte, si les individus peuvent représenter leurs intérêts en tant que membres d'une même association religieuse, ils auront des raisons de chercher le bien-être de tous les autres membres de leur religion, indépendamment de leur couleur de peau, de leur statut d'immigrant ou de leur origine ethnique. C'est l'idéal d'un monde où les gens transcendent les différences héréditaires et les divisions qui les séparent, pour parvenir à une politique concurrentielle où les clivages sont fluides et peuvent changer à tout moment. Il s'agit d'une politique créative et réactive, qui est directement responsable des intérêts des individus tels qu'ils se conçoivent eux-mêmes. Cette vision propose une démocratie dynamique, qui évolue constamment pour refléter la diversité des aspirations et des identités de ses citoyens.

Pour des penseurs tels que Dahl et peut-être Tocqueville dans son ouvrage "La Démocratie en Amérique", une société véritablement démocratique est une mosaïque d'associations multiples et changeantes. Dans une telle société, les compétences et les connaissances politiques sont accessibles à tous, car chaque association doit se gérer, se réunir et apprendre à coopérer avec les autres. Ainsi, l'individu peut apprendre les rouages de la politique en gérant une association, et graduellement, la politique devient une extension de ses intérêts personnels qui le forme et lui donne les outils pour participer au niveau national. Cette vision positionne la politique non pas comme une discipline éloignée et mystérieuse, mais comme un aspect de la vie quotidienne, directement liée à nos aspirations personnelles et collectives. Contrairement à l'approche de Schumpeter, qui considère la politique comme un métier spécifique et distinct, inaccessible à la majorité des gens, la vision pluraliste de Dahl la rend accessible à tous. Selon lui, la politique n'est pas un domaine réservé à une élite. Au contraire, elle est à la portée de chaque citoyen, faisant partie intégrante de la vie quotidienne et interagissant directement avec nos intérêts personnels et collectifs. Cette perspective démocratise véritablement la politique, en encourageant l'engagement de tous, indépendamment de leur formation ou de leur statut social.

Dahl propose une vision séduisante, donnant un nouveau sens à l'idéal d'autogouvernement dans le monde moderne et mettant en lumière l'attrait des associations démocratiques. Cependant, malgré l'attrait de cette perspective dynamique, adaptable et évolutive de la politique, la réalité s'avère souvent beaucoup plus complexe. En pratique, la mise en place et le maintien d'une telle démocratie fluidique et responsive peuvent se heurter à un certain nombre de défis et d'obstacles concrets.

Les conséquences de la professionnalisation de la politique[modifier | modifier le wikicode]

Robert Putnam, dans son ouvrage publié en 2000, "Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community", déplore la disparition de cette vision idéalisée et du monde pluraliste que Dahl avait préconisé.[5] Il constate une tendance à la désintégration des liens sociaux, ce qui se traduit par une baisse de la participation aux associations et aux groupes communautaires. Cette évolution a des répercussions importantes sur le fonctionnement de la démocratie, et soulève des questions quant à la viabilité du modèle pluraliste dans le contexte contemporain.

Robert Putnam exprime une certaine nostalgie pour ce qui semble être une époque révolue, l'Amérique des années 1950, où la participation citoyenne était, selon lui, plus robuste et la société plus intégrée. Dans cette vision idéalisée, les citoyens étaient engagés dans une myriade d'associations, formant une toile dynamique d'interactions sociales et politiques. Selon lui, cette participation active au niveau local était un ingrédient essentiel de la démocratie, car elle permettait aux citoyens de participer directement à la gestion de leurs communautés, favorisait l'apprentissage des compétences politiques et créait un sentiment d'appartenance à la communauté. Il déplore que la politique moderne ne semble plus fonctionner de cette manière. Selon Putnam, il y a eu un déclin marqué de l'engagement citoyen et des associations communautaires dans la société américaine, ce qui a entraîné une diminution de la participation citoyenne active et une fragmentation sociale accrue. Cela a des implications importantes pour la démocratie, car la participation citoyenne active est un élément essentiel de la responsabilité et de la légitimité démocratiques.

La politique est devenue de plus en plus professionnalisée à tous les niveaux. Ce processus a conduit à une situation où des partis politiques et des groupes d'intérêts embauchent des experts et des consultants professionnels pour concevoir des stratégies politiques et pour mener des campagnes. Une des raisons de ce développement est la complexité croissante des questions politiques, qui nécessite une expertise spécialisée. De plus, le paysage médiatique moderne, avec sa capacité à atteindre de grandes audiences et son rôle crucial dans l'influence de l'opinion publique, a également encouragé la professionnalisation de la politique. Cela a pour conséquence une distance accrue entre les citoyens ordinaires et le processus politique, ce qui peut sembler être un écho du modèle élitiste de Schumpeter. En outre, la professionnalisation de la politique a également tendance à favoriser ceux qui ont les moyens de payer pour cette expertise professionnelle, ce qui peut renforcer les inégalités de pouvoir existantes dans la société et agir en contradiction avec l'idéal démocratique d'égalité politique.

Les limites du modèle pluraliste de Dahl[modifier | modifier le wikicode]

Représentativité des groupes minoritaires ou marginalisés[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle pluraliste présente une difficulté significative lorsqu'il s'agit de représenter et de protéger les intérêts de groupes minoritaires ou marginalisés. Dans une société pluraliste, bien que les citoyens aient la possibilité de se regrouper et de s'organiser autour d'intérêts communs, certains groupes peuvent être trop petits ou trop marginalisés pour être efficacement représentés. Il est probable que les préoccupations et les besoins de ces groupes minoritaires ou marginalisés soient négligés ou ignorés dans le processus politique, simplement parce qu'ils n'ont pas le poids numérique pour influencer le résultat des décisions politiques. Cette situation contredit l'idéal démocratique d'égalité et d'inclusivité, selon lequel chaque citoyen a droit à une voix et à une représentation équitable dans le processus de prise de décision politique. De plus, les minorités distinctives peuvent également faire face à des obstacles structurels qui entravent leur capacité à s'organiser et à défendre leurs intérêts. Ces obstacles peuvent inclure la discrimination, le manque de ressources ou d'accès à l'information, ou des barrières linguistiques ou culturelles. Ces défis soulignent la nécessité d'aborder ces questions dans le cadre du modèle pluraliste et de chercher des moyens de garantir une représentation et une participation équitables pour tous les groupes de la société.

La dynamique du pluralisme implique une diversité d'intérêts qui s'entrecroisent et se chevauchent, facilitant ainsi la représentation de multiples préoccupations au sein du discours public. Cependant, pour les groupes minoritaires distincts et isolés, cette dynamique peut poser un sérieux défi. Ces groupes peuvent ne pas avoir de points d'intérêt communs avec les groupes majoritaires ou d'autres minorités, ce qui complique leur intégration dans le tissu associatif pluraliste. De plus, ces groupes peuvent être trop petits pour exercer une influence politique significative en termes de nombre, et leurs préoccupations peuvent être trop spécifiques ou uniques pour être prises en compte par les groupes de lobbying plus larges. En conséquence, ils peuvent se retrouver sous-représentés ou même non représentés dans la politique publique, ce qui remet en question l'idéal d'égalité et d'inclusivité dans une démocratie pluraliste. Cela souligne la nécessité de mesures et de politiques qui protègent et favorisent la représentation des groupes minoritaires distincts, pour garantir que toutes les voix, et pas seulement les plus puissantes ou les plus nombreuses, soient entendues dans le processus démocratique.

L'action collective dans le pluralisme démocratique[modifier | modifier le wikicode]

L'idée de Mancur Olson dans son œuvre "La Logique de l'action collective" (1965) est que l'organisation des groupes nécessite des ressources, et que l'efficacité de ces groupes dépend de leur capacité à mobiliser ces ressources. Cela pose un défi à l'idéal pluraliste de libre association, car tous les groupes n'ont pas le même accès aux ressources nécessaires pour défendre efficacement leurs intérêts. Les ressources peuvent être financières, mais elles peuvent aussi être liées au temps, aux compétences ou à l'expertise, à l'information, aux réseaux et aux contacts. Des groupes avec de grandes ressources financières peuvent embaucher des lobbyistes professionnels, mener des campagnes de relations publiques sophistiquées, ou influencer les décideurs de manière plus directe. De plus, les individus qui ont plus de temps ou d'expertise à consacrer à l'activité associative peuvent être mieux à même de faire avancer leurs causes. Cela peut entraîner une inégalité dans le pouvoir de représentation entre les différents groupes d'intérêts, remettant en question l'égalité des chances dans une démocratie pluraliste. Il est donc crucial que la démocratie pluraliste s'accompagne de politiques visant à égaliser l'accès aux ressources nécessaires pour une participation politique effective.

Il est souvent difficile pour les associations de consommateurs d'avoir un impact significatif, malgré le nombre important de consommateurs qu'elles représentent. Les raisons de ce défi sont multiples. Premièrement, bien que les consommateurs soient nombreux, ils sont également très diversifiés. Les consommateurs ont une gamme d'intérêts et de priorités qui varient considérablement, ce qui peut rendre difficile l'identification et la promotion d'un agenda commun. En outre, les consommateurs sont souvent dispersés géographiquement, ce qui complique encore la tâche d'organisation. Deuxièmement, les ressources dont disposent les associations de consommateurs sont souvent limitées. Par rapport aux entreprises ou aux industries, qui peuvent avoir des ressources financières importantes à leur disposition, les associations de consommateurs doivent souvent se contenter de budgets plus restreints. Cela peut limiter leur capacité à mener des campagnes de sensibilisation efficaces, à embaucher du personnel professionnel ou à exercer une influence politique. Troisièmement, les consommateurs ont souvent moins de pouvoir politique que les producteurs. Les producteurs, notamment les grandes entreprises, peuvent exercer une influence politique directe grâce à leurs contributions financières aux campagnes électorales, à leur lobbying et à leurs relations avec les décideurs politiques. En revanche, le pouvoir politique des consommateurs est souvent indirect, s'exerçant principalement par le biais de leurs choix de consommation. Ces défis ne signifient pas que les associations de consommateurs sont impuissantes, mais ils soulignent la nécessité de stratégies et de politiques qui reconnaissent et répondent à ces obstacles. Pour surmonter ces défis, les associations de consommateurs peuvent chercher à créer des alliances avec d'autres groupes d'intérêts, à utiliser les médias et les réseaux sociaux pour atteindre et mobiliser un public plus large, et à promouvoir des réformes politiques qui renforcent le pouvoir des consommateurs dans la prise de décisions économiques et politiques.

Les défis posés par les préjugés structurels[modifier | modifier le wikicode]

L'un des principaux défis auxquels fait face le modèle pluraliste est qu'il ne tient pas compte suffisamment des inégalités structurelles, y compris celles basées sur le genre, la race, l'orientation sexuelle, la religion ou d'autres facteurs. Dans le modèle pluraliste, l'accent est mis sur la capacité des individus à former des groupes pour défendre leurs intérêts communs. Cependant, cela suppose que tous les individus ont un accès égal aux ressources, aux informations et aux opportunités nécessaires pour former ces groupes, ce qui n'est souvent pas le cas en raison de préjugés et de discrimination systémiques. Par exemple, les femmes, les personnes de couleur, les membres de la communauté LGBTQ+ et les personnes appartenant à des minorités religieuses peuvent faire face à des obstacles structurels et institutionnels à la participation politique. Ces obstacles peuvent se traduire par une sous-représentation dans les processus décisionnels, un manque d'accès aux ressources nécessaires pour mener des campagnes politiques efficaces, et une marginalisation sociale et économique qui limite leur capacité à exercer leur pouvoir. De plus, le modèle pluraliste peut avoir du mal à traiter les questions qui transcendent les groupes individuels ou qui sont structurellement enracinées dans la société, comme les inégalités de genre ou de race. Dans ces cas, il peut être nécessaire d'adopter des approches politiques plus holistiques et intersectionnelles qui prennent en compte les multiples facettes de l'identité des individus et la manière dont elles interagissent avec les structures de pouvoir et d'inégalité.

Malgré la liberté d'association théorique dont nous jouissons dans de nombreuses démocraties, l'accès pratique à cette liberté est souvent entravé par une série d'inégalités et de biais structurels. L'opulence, l'éducation, le statut social et d'autres facteurs socioéconomiques peuvent grandement influencer la capacité d'une personne à participer activement aux associations ou à former de nouvelles associations. Par exemple, les personnes issues de milieux économiquement défavorisés peuvent ne pas avoir le temps, les ressources ou les compétences nécessaires pour s'engager pleinement dans des associations ou des activités politiques. De plus, la discrimination systémique et les préjugés sociétaux peuvent entraver la capacité des groupes marginalisés à s'associer efficacement. Les femmes, les personnes de couleur, les personnes LGBTQ+, les immigrants et d'autres groupes peuvent se heurter à des obstacles sociaux, économiques et politiques qui limitent leur capacité à former des associations, à participer aux activités associatives existantes et à faire valoir leurs intérêts. Cela peut conduire à une sous-représentation de ces groupes dans le paysage associatif et politique, ce qui peut à son tour perpétuer les inégalités et l'injustice.

En théorie, le pluralisme promet une certaine égalité dans la représentation des intérêts variés et diversifiés des citoyens. Il suggère que, grâce à la liberté d'association, nous pourrions atténuer les inégalités et les divisions sociales basées sur la classe, la race, la religion et d'autres facteurs. Cependant, en pratique, cette vision idéalisée du pluralisme est souvent loin de la réalité. Dans de nombreux cas, les associations volontaires peuvent en réalité renforcer et approfondir les divisions existantes, plutôt que de les atténuer. C'est ce qu'on appelle parfois la "ségrégation volontaire" - le phénomène par lequel les individus choisissent de s'associer principalement avec des personnes qui leur ressemblent ou partagent leurs opinions, ce qui renforce les divisions existantes et crée des "bulles" isolées dans la société. Cela peut être dû à divers facteurs, dont la préférence naturelle des individus pour la familiarité et le confort, les préjugés et les stéréotypes existants, et la structure socio-économique plus large dans laquelle ces associations opèrent. Dans ce contexte, il est essentiel de reconnaître les limites du pluralisme et de travailler activement pour promouvoir l'inclusivité et l'égalité dans nos sociétés, en cherchant des moyens de combattre la ségrégation volontaire et de favoriser la diversité et la collaboration au sein des associations volontaires.

Les enjeux contemporains de la théorie politique normative[modifier | modifier le wikicode]

Nous avons examiné deux modèles de démocratie cherchant à conjuguer liberté et égalité pour réaliser l'idéal d'autonomie dans le monde moderne : le modèle élitiste de Schumpeter et le pluralisme de Dahl. Chacun de ces modèles offre des perspectives fascinantes sur la façon dont nous pourrions concevoir et pratiquer la démocratie, et ils ont chacun contribué de manière importante à notre compréhension de la démocratie comme idée et comme pratique. Cependant, ces modèles ont aussi des limitations significatives. Le modèle élitiste, par exemple, a été critiqué pour son étroite conception de la démocratie et pour la façon dont il peut exclure la grande majorité des citoyens de la prise de décision politique significative. De même, le modèle pluraliste, malgré son accent attrayant sur la liberté d'association et la diversité des intérêts, a été critiqué pour son incapacité à tenir compte des inégalités structurelles et des exclusions qui existent dans nos sociétés. Ces défis soulignent le fait que la démocratie est une idée complexe et contestée, qui continue d'évoluer et de se développer en réponse aux défis politiques, sociaux et économiques de notre époque. Ils nous rappellent aussi que l'objectif de réaliser une véritable démocratie - une démocratie qui respecte à la fois la liberté et l'égalité, et qui permet une véritable autonomie pour tous les citoyens - reste un travail en cours.

Comment allier les atouts des modèles existants de démocratie tout en tenant compte des inégalités structurelles inhérentes à nos sociétés ?

La démocratie pluraliste de Dahl et la démocratie élitiste de Schumpeter, bien que présentant des qualités importantes, ont montré leurs limites, notamment dans leur capacité à s'attaquer aux inégalités systémiques et à promouvoir un véritable bien commun. Une réponse possible à ces défis pourrait être de repenser nos démocraties en termes de démocratie délibérative. La démocratie délibérative fait valoir que les citoyens et leurs représentants devraient délibérer sur les lois et politiques publiques. Cette délibération n'est pas simplement un débat ouvert et respectueux, mais une discussion collective réfléchie et informée sur des questions d'intérêt public. Les défenseurs de la démocratie délibérative soutiennent que la qualité de la délibération peut être améliorée par des réformes institutionnelles qui encouragent une représentation plus diversifiée et plus équitable et garantissent que tous les citoyens ont l'opportunité de participer à la délibération.

L'idée est de favoriser une participation active de tous les citoyens, y compris des groupes marginalisés ou minoritaires, et de mettre l'accent sur la délibération plutôt que sur la simple compétition entre intérêts divergents. Cette approche permettrait non seulement de prendre en compte un plus grand nombre d'intérêts, mais aussi de favoriser une meilleure compréhension et un respect mutuel entre des citoyens ayant des points de vue différents. Cependant, tout comme les modèles précédents, la démocratie délibérative présente elle aussi des défis, tels que le risque de domination par des groupes plus éloquents ou plus puissants, ou la difficulté d'organiser de véritables délibérations à grande échelle. Malgré ces défis, beaucoup voient dans la démocratie délibérative une voie prometteuse pour améliorer nos démocraties et mieux répondre aux défis de notre temps.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

  • Grant, Wyn, 'David B. Truman, The Governmental Process: Political Interests and Public Opinion', in Martin Lodge, Edward C. Page, and Steven J. Balla (eds), The Oxford Handbook of Classics in Public Policy and Administration, Oxford Handbooks (2015; online edn, Oxford Academic, 7 July 2016), https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199646135.013.16
  • Studlar, D. (2016). E. E. Schattschneider,. In M. Lodge, E. C. Page, & S. J. Balla (Eds.), Oxford Handbooks Online. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199646135.013.39

Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Dahl, R. A. (2005). Who governs?: Democracy and power in an American City, second edition. Yale University Press.
  2. The governmental process. Political Interests and Public Opinion. By David B. Truman. New York, Alfred A. Knopf, Inc., 1951. xvi, 544 pp. $5. (1951). In National Municipal Review (Vol. 40, Issue 9, pp. 504–504). Wiley. https://doi.org/10.1002/ncr.4110400915
  3. Schattschneider, E. E. (1975). The semi-sovereign people: A realist’s view of democracy in America. Brooks/Cole.
  4. Held, David. Models of democracy. Polity, 2006.
  5. Harraka, Melissa. "Bowling Alone: The collapse and revival of American community, by Robert D. Putnam." Catholic Education: A Journal of Inquiry and Practice 6.2 (2002).