Approche analytique des institutions en science politique

De Baripedia

Qu’est-ce qu’une institution ?

Définitions : règles, routines ou conventions formelles ou informelles, qui existent à tous les niveaux politiques

Les institutions sont définies comme des règles, procédures, routines ou conventions plus au moins formelles, qui existent à divers niveaux de l’analyse que cela soit niveau international, au niveau infranational, régional ou sectoriel. Par exemple, la Constitution suisse serait une institution parce qu’elle va déterminer la forme de l’État, les relations entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ainsi que le mode de ces instances politiques.

Il existe aussi des institutions informelles puisque c’est un ordre constitutionnel non écrit comme au Royaume-Uni, mais c’est un ensemble de règles et de traditions coutumières qui sont passées d’une génération à l’autre et qui créée des règles contraignantes.

Il existe d’autres définitions classiques de différents sous-domaines de la science politique complémentaires qui illuminent des points importants de ceux que sont des institutions.

Stephen Krasner

Dans International Regimes publié en 1983, Krasner définit un régime international comme l’ensemble des règles qui codifient le libre-échange compris en tant qu’institutions internationales. Les institutions sont des règles des normes et des procédures qui se focalisent sur les comportements internationaux : « "international regimes" are the “rules, norms, principles, and procedures that focus expectations regarding international behaviour” »[1].

Si un État ratifie la convention sur la torture, on s’attend à que cet État va se comporter d’une certaine façon. On va s’attendre un certain comportement de l’État vis-à-vis de ces normes internationales.

Douglass North

Dans Institutions, Institutional Change, and Economic Performance[2], North, prix Nobel d’économie en 1993 définit les institutions comme « the rules of the game in a society or, more formally, [...] the humanly devised constraints that shape human interaction” “reduce uncertainty by providing a structure to everyday life. [...] define and limit the set of choices of individuals ».

L'institutionnalisme s'intéresse à la manière dont les actions, c’est-à-dire les choix et les interactions, sont structurées par les règles de la procédure, c’est-à-dire par des institutions.

Cette approche va qualifier le postulat de la rationalité des acteurs et de l’explication de l’action par les intérêts, car elle montre comment les structures institutionnelles vont limiter les actions, les choix et les interactions des acteurs.

En d’autres termes, cette approche montre comment la structure limite le nombre d'options par lesquelles les acteurs peuvent choisir. Il montre que l'organisation institutionnelle restreinte limite le choix possible des individus.

James March and Johan Olsen

Dans Elaborating the “New Institutionalism”[3], March et Olsen définissent les institutions comme des « collections of structures, rules and standard operating procedures that have a partly autonomous role in political life ».

Lorsque l’on a à faire a des organisations, ce sont les procédures opérationnelles standards qui sont en vigueur dans une organisation et qui vont créer des comportements habituels à l’intérieur d’une institution. En d’autres termes, ce sont les procédures qui ont un rôle autonome dans la vie politique.

Les types d’institutions

Elles ont des divers niveaux :

  • Institutions internationales comme l'OMC ou l'ONU ;
  • Institutions transnationales : les codes de conduites des entreprises multinationales sont mis en place pour faire du monitoring, elles sont organisées et intègrent la distribution des biens et services au niveau international. Avec la mise en place des codes de conduite, il est cherché à respecter un certain nombre de droits et conditions de travail dans différents pays, c'est un régime international au niveau de la firme de niveau privée qui concerne autant le producteur que le fournisseur ;
  • Institutions nationales : ce sont les constitutions, le parlement, partis politiques ou encore les systèmes électoraux ;
  • Institutions infranationales au niveau régional ou sectoriel sont par exemple les accords collectifs de branche.

On distingue aussi des institutions moins formelles :

  • Forum Economique Mondiale de Davos : il a une formalité en tant que c’est une réunion annuelle, cependant du côté de sa composition cela est informel, car il n’est pas clairement définit quels sont les membres précis ce qui empêche la codification de règles très formelles ;
  • G20 : joue un qui serait rôle dans la gouvernance internationale, mais cela reste très vague. C’est un organe de rencontre, mais qui n’a pas de véritable pouvoir au niveau effectif.

Notons que les termes "organisations" et "institutions" sont souvent utilisés de manière interchangeable. Les acteurs sociaux, politiques, les organisions d’intérêts sont des institutions, mais aussi des organisations, car en tant que tel ils vont être les agents du changement politique. Ainsi, on peut se demander comment ils vont influencer le changement institutionnel, ce qui explique pourquoi on les traite à la fois en tant qu’institution et en tant qu’organisation.

Comment les institutions influencent-elles les résultats?

Les intuitions peuvent agir et intervenir pour influencer les politiques de trois manières :

  • le pouvoir politique peut influencer les capacités des différents agents ;
  • altérer les préférences des agents ;
  • influencer sur les stratégies des individus ou des États.

Influence des institutions sur pouvoir politique

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Pour en revenir au schéma, on peut voir intervenir les institutions et théoriser leurs effets sur le pouvoir politique entre groupes à l’intérieur d’un État et entre relations étatiques.

  • NAFTA - North-American Free Trade Agreement

L’accord de libre-échange nord-américain dit aussi NAFTA est un bon exemple, car il a introduit des règles pour renforcer le pouvoir des sociétés multinationales au détriment des travailleurs et des syndicats.

En créant un marché unique, c’est-à-dire où il est possible de s’introduire sans avoir à payer des tarifs douaniers, cela va renforcer le pouvoir des sociétés multinationales puisqu’elles peuvent plus facilement délocaliser leur production vers le sud et notamment vers le Mexique.

Ensuite, il y a la possibilité de réimporter ces biens avec des coûts de transports qui sont cependant peu élevés due à la proximité.

On voit un rapport de pouvoir accru des firmes multinationales à la suite de ce traité. Un des pouvoirs obtenus est la plus grande mobilité alors que les travailleurs restent immobiles dans une localité. Les sociétés multinationales peuvent menacer d’une délocalisation si les travailleurs se plaignent ou formulent par exemple de réclamations.

  • Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies

Le droit de veto détenu par la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Russie et la Chine peut être instrumentalisé par l’une de ces grandes puissances pour s’opposer à l’émergence d’une puissance mondiale ou régionale comme à l’Inde, au Brésil ou encore l’Iran.

Par l’imposition de sanctions diplomatiques, économiques, on peut isoler un pays en position de rivalité pour les puissances en place.

Influence des institutions sur les préférences

Les institutions peuvent aussi avoir une influence directe sur les préférences par le mécanisme de la socialisation. Elles peuvent aussi avoir un effet plus indirect sur les préférences en respectant les positions matérielles de l’agent dans l’économie et la politique. Il peut y avoir un effet de socialisation lorsqu’une institution a de fortes normes et qu’il existe des contacts réguliers dans le temps entre les agents.

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Une élite économique et politique dans un pays en développement peut côtoyer à Washington de manière régulière les élites politique et économique américaines et mondiales en faveur de libre-échange et comment ce contact peut se disséminer et convaincre des élites du pays en développement qui on peut être un intérêt moins objectif au libre-échange. Cependant ces contacts fréquent et régulier peuvent les persuader des biens faits du libre-échange.

L’Espagne a effectué sa transition démocratique en 1975, mais à la suite, les militaires ont eu une difficulté à céder le pouvoir aux autorités civiles. En 1981, il y eut un coup d’État qui n’a toutefois pas atteint son but. La raison pourquoi les élites miliaires sont septiques pour remettre le pouvoir est qu’ils craignent pour l’autonomie de l’armée, ils ont peur que leur statut privilégié ne soit remis en cause. Nous pouvons aussi penser à l’Égypte ou les militaires tentent de négocier une position forte et privilégiée dans le régime démocratique.

Une étude montre que dès 1975, les forces armées espagnoles commencent à intégrer l’OTAN et à moderniser les forces armées en effectuant des exercices conjointement à d’autres armées. Cela va socialiser les élites militaires espagnoles et leur faire comprendre que le rôle de l’armée doit être subordonné au pouvoir politique.

Durant ce processus de contact et d’exercice effectué ensemble, les militaires comprennent quel est leur statut et leur rôle dans la démocratie. Apparaissent les préférences de ces acteurs dans leur profondeur.

On pourrait aussi se poser la question de comment la Grèce en tant que membre de l’union monétaire européenne à longtemps éviter un choix difficile entre taux d’intérêt à bon marché et une accumulation d’un déficit public et d’une dette importante. En temps normal lorsqu’un État accuse des déficits importants et donc une dette souveraine lourde, les marchés internationaux vont exiger des taux d’intérêt plus élevés pour continuer à investir dans les titres de l’État.

En faisant partie de l’union monétaire européenne, la Grèce a continué à mener des politiques fiscales expansionnistes, mais n’a pas dû payer le prix de taux d’intérêt plus élevés parce que les taux d’intérêt étaient garantis par la Banque centrale européenne en restant plus bas que ce qu’ils auraient été si la Grèce n’était pas membre de l’union monétaire européenne. On voit qu’elle a pu poursuivre des actions qui lui ont parmi d’avoir une politique externe expansionniste et en même temps de bénéficier d’un crédit bon marché au niveau national.

Influence des institutions sur les stratégies et les interactions

À partir d’un travail de Davis intitulé International Institutions and Issue Linkage: Building Support for Agricultural Trade Liberalization[4], nous pouvons comprendre comment le contexte institutionnel des négociations multilatérales du commerce international influence les stratégies des États et les résultats.

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Davis commence en nous rappelant que lorsqu’on négocie domaine par domaine et secteur par secteur les État ont une grande difficulté et en particulier les États riches ont une difficulté à libéraliser le secteur de l’agriculture parce qu’il y a des intérêts centralisés fort qui s’opposent à la libéralisation avec enSuisse l’association suisse des paysans, mais c’est également vrai pour les paysans français qui arrivent à maintenir les produits d’importation en dehors de la zone de l’Union Européenne.

Lorsque l’on négocie domaine par domaine, il est extrêmement difficile de libéraliser les échanges internationaux et particulièrement dans le secteur de l’agriculture.

Lorsqu’il y a une innovation institutionnelle qui est effectuée par l’intermédiaire du issue linkage qui est une institution plus ou moins formelle qui va combler différents enjeux en élargissant les enjeux de la négociation, au lieu de négocier enjeu par enjeu et secteur par secteur, on va combiner la libéralisation d’un secteur des services.

L’auteur va démontrer que lorsqu’un lien est créé entre les domaines de l’agriculture et celui des services, la libéralisation des échanges seront encouragés et favorisée.

Cette institution informelle du linkage, de la création d’un lien entre les domaines, va fondamentalement changer la mobilisation des groupes d’intérêts puisqu’on a plus nécessairement à faire à des groupes d’intérêts qui s’opposent, mais on a de lobbying. Il y a clairement des avantages comparatifs et donc un intérêt fort et une mobilisation de ces secteurs pour que la libéralisation s’effectue.

La préférence de l’État demeure, sur le dossier du commerce ; ce même État aura encore une préférence à ne pas libéraliser. D’une part dans le domaine des services, l’État en question aura plus intérêt à libéraliser,les préférences en tant que telles demeurent identiques, mais l’introduction de ce mécanisme informel, la stratégie au niveau national va avancer et va avoir plus de gains et des coûts acceptables pour le secteur de la paysannerie qui va subir des pertes liées à la libéralisation.

Pour conclure ce point sur le rôle et l’influence des institutions, on va voir que les arguments de type institutionnalistes ne sont pas coupés de l’approche sur les intérêts ; l’approche va emprunter de cette approche l’idée que les conflits entre groupes pour l’appropriation des ressources rares est au cœur du politique, mais elle va montrer que c’est l’organisation institutionnelle du politique et de l’économie qui va structurer fondamentalement les conflits et va privilégier certains acteurs au détriment d’autres.

Institutionnalisme-historique

Unanticipated - unintended consequences

C’est un courant qui a émergé au début des années 1980 principalement en réaction au fonctionnalisme et au behavioralisme des années 1960 et 1970.

On parle de l’émergence d’un néoinstitutionnalisme parce que l’approche institutionnelle souligne le rôle important des institutions dans les sociétés actuelles cependant cette description remonte jusqu’à Aristote et sa typologie de ses régimes politiques.

Cependant, le néoinstitutionnalisme va se distinguer de l’institutionnalisme ancien en se demandant véritablement quelles institutions ont de l’importance, comment ont-elles une influence indépendante des intérêts et vont mettre l’accent non seulement sur les institutions formelles, mais aussi sur les institutions informelles ce qui est à nouveau une nouveauté qui caractérise ce néoinstitutionnalisme des années 1980 et qui reste un courant très en vogue de nos jours.

Du behavioralisme, elle va principalement rejeter l’idée selon laquelle le fonctionnement du système est déterminé par des caractéristiques individuelles des agents et notamment les caractéristiques phycologiques, culturelles et sociales. Au contraire, l’institutionnalisme va mettre l’accent sur l’organisation institutionnelle politico-économique et à nouveau sur les institutions et comment les structures institutionnelles vont limiter les options des acteurs.

Du fonctionnalisme, elle va rejeter l’idée selon laquelle les institutions politiques peuvent être comprises suivant les fonctions qu’elles accomplissent, c’est-à-dire que les institutions peuvent être expliquées par leurs conséquences. C’est le postulat du fonctionnalisme qui dit que les instituions existent parce qu’elles sont une fonction particulière et les institutions sont comme une réponse efficace à des problèmes auxquels les acteurs rationnels font face et donc on va mettre en place ces institutions pour résoudre des problèmes pour les conséquences positives qu’elles peuvent avoir.

Parce que les institutions ont telles ou telles conséquences, les acteurs rationnels vont établir de telles institutions, c’est la perspective fonctionnaliste.

Dans ces perspectives, les intérêts des acteurs et des institutions sont toujours en adéquation et en équilibre.Le jour où les institutions ne répondent plus aux préférences d’acteurs et aux problèmes auxquels les acteurs font face, alors on s’attend à ce que les institutions changent pour refléter les intérêts rationnels des agents.

Les institutionnalistes vont dire que c’est problématique, car les institutions sont difficiles à changer, une fois qu’elles existent, elles ont une existence propre. C’est l’idée qu’il y a une persistance forte des institutions, car cela sera plus dur de changer ces institutions pour qu’il y ait de nouveau l’équilibre entre les intérêts et le cadre institutionnel.

D’un autre côté, les institutionnalistes vont montrer que les institutions sont rarement des solutions optimales aux problèmes des acteurs. Elles sont rarement des solutions optimales aux problèmes et des acteurs est rarement un acte intentionnel qui reflète la maximisation de l’utilité ou de la satisfaction des individus.

Les institutionnalistes vont justement introduire dans l’analyse la durée, une perspective à long terme qui va montrer qu’il y a des conséquences de choix d’institutions qui ne sont souvent pas anticipées et connues des acteurs lorsqu’ils sont sur le court terme.

Bo Rothstein dans son article Labor-market institutions and working-class strength publié en 1992 développe la thèse que la classe ouvrière est plus forte mesurée au taux de syndicalisation des ouvriers dans les pays qui ont un système connu sous le nom de système de Gantt. Là où il existe un système de Gantt, la classe ouvrière est plus forte.Le système de Gantt et une assurance chômage volontaire, mais soutenue ou promulguée par l’État. Le plus important est qu’elle soit administrée par les syndicats et non pas administrée par l’État comme c’est le cas dans l’assurance chômage universelle.

Si ce système de Gantt permet une organisation forte des travailleurs en syndicats et donc un pouvoir fort de la classe ouvrière. On s’attendrait à ce que les gouvernements de gauches historiquement alliés à la classe ouvrière introduisent ce système de Gantt à la fin du XIXème et au début du XXème siècle lorsque les assurances chômage universelles administrées par les syndicats commencent à être mises en place en Europe. On s’attendrait à ce que ce soit les gouvernements de gauche qui mettent en place le système de Gantt si les acteurs sont rationnels et savent que c’est cette institution qui va renforcer dans la durée le mouvement ouvrier.

Or, Bo Rothstein le montre, ce ne sont pas principalement les gouvernements de gauche qui ont introduit une législation de type système de Gantt, mais ce sont bien les gouvernements libéraux, à savoir les gouvernements de droite qui sont moins réceptifs aux intérêts de la classe ouvrier. Il le montre en France, en 1905 les libéraux introduisent une législation qui devrait promouvoir l’introduction de l’assurance chômage du système de Gantt, cependant les syndicats qui ont une tradition antiétatique vont s’opposer à cette législation qui ne va pas véritablement voir le jour. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’un gouvernement conservateur va introduire une assurance chômage publique universelle.

Sur la durée cela va défavoriser le pouvoir de la classe ouvrière en France, car en France le taux de syndicalisation et l’un des plus faibles dans le secteur privé de l’ordre de moins de 10% de travailleurs syndiqués.

Le mouvement de la création institutionnelle en 1905 en France par exemple, peut avoir des raisons de court terme qui ont amené ces décisions, mais ce n’est pas un acte intentionnel qui a pris en compte l’évolution dans la durée ainsi que les institutions favorables aux travailleurs dans le long terme. Les acteurs ne sont pas toujours au clair sur ce qui est avantageux pour eux.

De là, la critique que font les institutionnalistes aux fonctionnalistes, dans le sens ou les institutions ne peuvent pas être expliquées parleurs conséquences puisqu’il y a un décalage entre la rationalité et les choix à court terme faits par certains acteurs ; les conséquences peuvent être espérées et avec ce qui va intervenir dans le temps avec des conséquences inattendues qui sont du ressort de l’évolution historique et non pas du calcul et des choix rationnels au temps t, c’est-à-dire au temps de la création de l’institution.

Path dependence

Les conséquences historiques des sociétés sont caractérisées par la path dependence, c’est-à-dire par les institutions existantes et donc il y a une forte continuité au développement historique.

William Sewell

Pour Sewell dans l'article Three Temporalities: Toward an Eventful Sociology, publie en 1996, le path dependence est caractérisé par « what has happened at an earlier point in time and will affect the possible outcomes of a sequence of events occurring at a later point in time ».[5].

James Mahoney

Dans l'article Path Dependence in Historical Sociology publié en 2000[6] de James Mahoney, le path dependence est défini comme « Path-dependence characterizes specifically those historical sequences in which contingent events set in motion institutional patterns or event chains that have deterministic properties ».

Cette définition est plus précise et respective, elle combine l’idée de contingence initiale qui est suivie d’un certain déterminisme une fois qu’un processus est en court suite à cette contingence initiale. C’est aussi ce qu’on appelle dans cette perspective intuitionniste les moments charnières dans l’histoire.

Paul Pierson & Theda Skocpol

Dans Historical Institutionalism in Contemporary Political Science publié en 2002, Paul Pierson et Theba Skocpol parlent de « dynamics of self-reinforcing or positive feedback processes in a political system »[7].

Lock-in effect

La logique est qu’une fois qu’un choix initial effectué, et que lorsque des acteurs s’engagent sur une trajectoire historique, il y a des effets de verrouillage appelés lock-in effect dans le sens ou les alternatives du passé semblent irrémédiablement perdu.

Rebrousser chemin de ce choix, de ce path choisi est aussi très difficile, car les acteurs ajustent leurs stratégies, leurs raisonnements et leurs calculs aux règles qui vont prévaloir dans cette trajectoire choisie. Il va s’en suivre une forte récurrence des comportements à l’intérieur des institutions choisies et définies qui vont guider la trajectoire sociale d’un pays.

Stickiness

Le terme stickiness désigne que les institutions ont une persistance historique qui influence les développements historiques ultérieurs, ce n’est pas parce que les intérêts et les acteurs changent au cours du temps que les institutions vont se transformer également et refléter ces intérêts changeant.

Cette persistance demeure même si les conditions qui ont amené à l’émergence de cette institution se modifient. Cette approche souligne la puissante inertie qui est inhérente à la vie politique. Les trajectoires historiques des sociétés se déroulent selon les path dependence et les sociétés sont beaucoup de difficultés à changer radicalement de trajectoire.

En science politique, on peut par exemple regarder des différences entre les États-Unis et la Suède et on voit que justement des institutions du marché du travail assez régulées en Suède permettent de réduire les inégalités en Suède alors que les inégalités sont plus fortes aux États-Unis en partie à cause d’un marché du travail plus flexible.

Ne suffirait-il pas d’apporter les institutions suédoises pour réduire les inégalités ?

Les États-Unis ont une trajectoire historique distincte qui reflète aussi des normes, des valeurs qui sont différentes des individus américains que des individus suédois. Dès lors, il est très difficile pour une société qui a fait des choix initiaux de virer de bord et de créer d’un jour à l’autre de nouvelles institutions.

Il est extrêmement important de comprendre ces moments de création institutionnelle puisqu’ils vont déterminer une trajectoire sur le très long terme.

Critical juncture

Les critical juncture sont ces points critiques, ces moments ou les changements institutionnels substantiels ont lieu créant de nouvelles trajectoires historiques. Ces points tournants sont souvent des crises économiques, des conflits militaires, des révolutions. Ce sont des effets majeurs qui amènent soit des destructions importantes soit de l’incertitude importante et/ou la crise va servir à réformer en profondeur des institutions nationales et internationales.

Beaucoup de politologues se sont posé la question si la crise financière de 2008 que nous subissons toujours pour savoir si elle va donner lieu à une transformation en profondeur de la gouvernance mondiale et à une reformation du système financier, on pourrait voir émerger de nouvelles institutions suite à la crise que nos sociétés ont connue.

À nouveau ces moments sont extrêmement importants, l’Allemagne a donc eu un nouveau cadre institutionnel après la guerre ou encore le Printemps arabe a amené au fondement d’assemblées confusionnelles pour refonder les institutions qui sont typiquement des moments formateurs dans une société qui vont donc influer les trajectoires de ces pays dans les décennies à venir.

L’institutionnalisme historique effectue également une critique des explications de type « causes constante » qui sont des efforts de généralisation à travers l’espace et le temps notamment fait grâce à l’analyse de régression : deux variables sont mises en relation et on peut identifier une relation valable à travers le temps et l’espace indépendamment du contexte.

Les institutionnalistes historiques vont être généralement peu convaincu par ce type de généralisation, car les évolutions historiques sont conditionnées par les arrangements institutionnels propres à un pays ou à un ensemble de pays, dès lors, il est important de rendre compte et d’identifier ces effets de contextes.

Pour illustrer, nous pouvons dire que la mondialisation économique est un coût sur les prix, surtout sur les coûts de production dans les pays riches suite à la plus grande compétition de la Chine, de l’Inde, du Vietnam, etc. ; cela devrait amener à une pression sur les coûts de production et les employeurs devraient exiger un temps de travail plus long dans les pays riches.

On pourrait contrer la pression sur les coûts, des travaux ont montré que suivant la présence ou non d’institutions dans un pays, il n’y a pas une relation positive entre augmentation de la mondialisation économique et augmentation du temps de travail.

Cela va dépendre de la force des syndicats. Dans un pays où les syndicats sont forts, ils vont pouvoir négocier les intérêts des travailleurs de sorte que le temps de travail n’augmente pas autant que dans des pays où les syndicats sont plus faibles.

C‘est un argument contextuel où les investissements directs à l’étranger et le temps de travail ne sont pas valables de manière identique dans tous les pays à travers le temps, mais est bien conditionné par la puissance des syndicats, la régulation du marché du travail, etc.

Critique du principe explicatif de constant causes

Les institutions vont généralement placer des limites à la généralisation expliquant que des variables données se combinent dans un contexte pour tel résultat dans un pays, mais pas dans un autre contexte et dans un autre pays. Le contexte est pris très sérieusement en compte, l’avantage est que cela est pris dans la théorie du choix rationnel par exemple.

Social science must ultimately be judged, claims Lewis Coser, « on the basis of the substantive enlightenment… it is able to supply about the social structures in which we are enmeshed and which largely condition the course of our lives”.

Nota bene

Deux concepts importants :

  • Institutional layering
  • Institutional conversion.

Ils permettent d’analyser comment les institutions impactent les résultats, mais pas d’expliquer le changement institutionnel ; on comprend ici les institutions comme des variables dépendantes que l’on essaie d'expliquer, et n’ont pas comme des variables indépendantes qui servent à expliquer.

On n’exclut pas les évolutions institutionnelles (institutional layering et institutional conversion), car le changement est possible.

  • Institutional layering  : nouvelles initiatives et procédures qui vont s'ajouter à l'institution existante, plutôt que de la remplacer complètement ; c’est une continuité plutôt qu’un changement radical.
  • Institutional conversion : les acteurs peuvent donner aux institutions de nouvelles fonctions. Comme il est extrêmement difficile de s’adapter, on ne détruit pas les institutions ; elles continuent à exister selon la loi de path dependence, mais leurs fonctions, c’est-à-dire leurs buts, sont remplacés.
  • la théorie des groupes d’intérêts : l'institutionnalisme historique emprunte l'idée que les conflits entre groupes pour l'accaparation des ressources rares sont au centre de la dynamique politique; mais l’approche institutionnaliste va s'étonner de la variation entre pays, dans l'organisation institutionnelle des groupes des producteurs et des groupes d'intérêts.

Annexes

  • Path Dependence in Historical Sociology - James Mahoney; Theory and Society , Vol. 29, No. 4 (Aug., 2000) , pp. 507-548 - Published by: Springer; Article Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3108585
  • Rothstein, Bo. The Social Democratic State: The Swedish Model and the Beaureaucratic Problem of Social Reform. Pittsburgh, PA: U of Pittsburgh, 1995

Références

  1. Krasner, Stephen D. (ed). 1983. International Regimes. Ithaca, NY: Cornell University Press.
  2. Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Douglass North éd. Cambridge University Press, 1990, 159 p.
  3. http://www.unesco.amu.edu.pl/pdf/olsen2.pdf
  4. CHRISTINA L. DAVIS - International Institutions and Issue Linkage: Building Support for Agricultural Trade Liberalization. American Political Science Review Vol. 98, No. 1 February 2004
  5. Sewell, "Three Temporalities," 262-263. For scholars who basically adopt this definition, see Barbara Geddes, "Paradigms and Sand Castles in Comparative Politics of Developing Areas," in William Crotty, editor. Politic~al Sc~ienc~e: Looking to the Future, vol. 2. (Evanston, Ill.: Northwestern University Press 1991). 59; Isaac. "Transforming Localities," 7: Terry Lynn Karl, Tl~eParadox of'Plentj~: Oil Booin.\ and Petro- state^ (Berkeley: University of California Press, 1997), 11: Jill Quadagno and Stan J. Knapp. "Have Historical Sociologists Forsaken Theory?: Thoughts on the HistoryITheory Relationship." Sociologicirl Met11od.t irnd Rc~mrc,ll 20 (1992): 481--507; Somers. "We're No Angels." 768-769: Tilly. "Future History." 710.
  6. http://www.jstor.org/discover/10.2307/3108585?uid=3737760&uid=2&uid=4&sid=21105163650823
  7. Skocpol T, Pierson P. “Historical Institutionalism in Contemporary Political Science”. In: Katznelson I, Milner HV Political Science: State of the Discipline. New York: W.W. Norton; 2002. pp. 693-721.