De l’empire à la fédération : le cas américain

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Les constituants américains, à partir de 1787, vont proposer deux modèles de république, tenter de résoudre la tension entre Vattel et Rousseau, créer un empire tout en s’en éloignant, créer une synthèse entre les théories impériales justifiées par Grotius et celles et ceux comme Rousseau, Montesquieu ou encore Adam Smith qui vont critiquer la notion d’Empire. Les États-Unis vont tenter une synthèse entre Vattel et Rousseau. Le cas américain est intéressant pour celui qui s’intéresse aux grands empires et aux théories impériales, car les colonies américaines vont tenter une synthèse en tenant à la fois d’être républicain et d’être impériaux. C’est une synthèse entre ceux opposés aux empires et ceux qui défendent l’idéologie impériale.

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La synthèse des Fédéralistes [Hamilton, Jay, Madison]

Le 4 juillet 1776 est l’indépendance américaine qui voit le jour. Se met en place une sorte de confédération entre les différents États qui sont les Treize colonies américaines. De mai à septembre 1787 a lieu la Convention de Philadelphie qui met en exergue les tensions entre les partisans d’un grand empire américain et ceux qui dénoncent les dangers d’une dérive impériale. L’adoption de la convention nécessite l’accord de neuf États sur treize. La Révolution américaine divise les constituants américains entre les fédéralistes qui sont, entre autres, Hamilton Jay et Madison et les antifédéralistes qui vont défendre une conception de la République différente. Ils se posent trois questions :

  • comment articuler l’idée de République et l’idée d’Empire ? peut-on avoir une république qui a vocation à être un empire aussi ? peut-il exister une république impériale ?
  • comment combiner la nécessaire pluralité existant dans la société y compris la société internationale avec l’unité nécessaire au bon fonctionnement de cette communauté ? comment faire de différentes entités un seul tout en respectant les différences ? D’où la devise pluribus unum.
  • quel modèle de république est souhaitable pour les Treize colonies américaines ? une colonie de type commerciale ? agraire ? une république de type expansionniste s’étendant vers l’ouest ? Est-il possible de dépasser la ligne de 1763 négociée entre les Anglais et les Indiens. La grande question est peut-on agrandir la République américaine nouvellement créée ?

Les réponses à ces trois questions sont très intéressantes parce qu’elles démontrent très bien quel modèle d’empire va s’imposer. Les germes de l’empire américain sont déjà présents dans les débats de 1787 :

  • les constituants américains construisent un système juridique et politique où aucun parti ne peut l’emporter sur l’autre. Ils consacrent le principe de la représentation politique avec chaque État ayant le droit à un membre au Sénat, et le principe de la souveraineté du peuple qui permet de donner une légitimité aux autorités politiques américaines.
  • les fédéralistes défendent la mise en place d’une république fédérative et commerciale ouverte sur le monde. On le voit notamment dans The Federalist XI.
  • ils acceptent l’idée qu’une telle république commerciale et fédérative peut exister sur un grand territoire. En d’autres termes, ils acceptent l’idée conceptuellement tout à fait nouvelle qu’une république peut être établie sur un grand territoire. Rousseau et ses contemporains disaient qu’une monarchie ou un empire peut exister sur un grand territoire, mais par définition une république ne peut exister que sur des petits territoires. Pour les fédéralistes, une république peut et pour certain doit exister sur un grand territoire ouvrant une nouvelle vision du régime républicain s’opposant à l’idée qui associait république et petit territoire.

Les fédéralistes vont associer une vision très expansionniste de la république s’appuyant sur une nouvelle définition de l’idée même de constitution. Les fédéralistes vont proposer deux sens au terme même de « constitution ». Le concept de constitution peut être ramené à deux dimensions institutionnelles :

  • elle règle l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs politiques qu’il soit judiciaire, exécutif, et législatif. C’est le sens même de la constitution que l’on pratique encore aujourd’hui.
  • les fédéralistes vont introduire un sens plus normatif désignant le caractère fondamental de cet écrit. Ils vont faire de la constitution américaine la loi fondamentale de la République américaine instituant dans l’ordre juridique américain une hiérarchie entre la constitution qui est au sommet et l’ordre juridique qui en découle. Cette dimension est importante.

Faire de la constitution américaine la clef de voute de cette république commerciale et fédérative va déplacer les débats sur l’empire, les débats consistant à définir la République américaine de la sphère politique à la sphère juridique. On va voir que dans les luttes pour la définition de cette République américaine, la Cour suprême va jouer un rôle essentiel au nom même des pouvoirs conférés par la constitution. La Cour suprême américaine a un pouvoir d’interprétation important. Aujourd’hui encore, la Cour suprême a un rôle politique important dans la définition de la vie politique américaine.

Les fédéralistes imposent une république commerciale, fédérative, expansionniste dont les traits constitutionnels sont connus de tous avec la séparation des pouvoirs et la représentation du peuple. La victoire qu’ils ont obtenue ne s’est pas fait de manière facile. À la vision fédéraliste va s’opposer la vision des antifédéralistes qui vont défendre une autre conception de la république refusant la politique de puissance défendue par les fédéralistes, ils refusent la république commerciale, ils refusent une république qui s’ente, ils refusent les dangers que le modèle proposé recèle en son sein. Ils dénoncent les dérives impériales du modèle républicain qui se met en place.

Certains antifédéralistes ont pressenti les dangers du modèle de république impériale qui se met en place.

« Let us how fare it is practicable consistent with the happiness of the people and their freedom. It is the opinion of the ablest writers on the subject, that no extensive empire can be governed upon republican principles, and that such a government will degenerate to a despotism, unless it be made up of a confederacy of smaller states, each having the full powers of internal regulation. »

On voit la dénonciation des antifédéralistes. On ne peut faire gouverner un empire sur des principes républicains.

« Large and consolidated empires may indeed dazzle the eyes of a distant spectator with their splendor, but if examined more nearly are always found to be full of misery. »

En substance, les grands empires peuvent éblouir, aveugler, mais en fait, ils sont toujours la source d’une grande misère humaine.

« This new system is, therefore, a consolidation of all the states into one large mass, however diverse the parts may be of which it is to be composed. »

La grande république impériale qui est en train de se mettre en place est en train de niveler la grande diversité des cultures des États qui compose les États-Unis d’Amérique qui est la République américaine.

Discours de Patrick Henry contre le Stamp Act en 1765 devant la Chambre des Bourgeois de Virginie.

Cette critique est accompagnée d’un plaidoyer célèbre. Lorsque les antifédéralistes critiquant la tendance impériale que prend la république des fédéralistes, lorsque les vaincus voient qu’ils perdent les combats, un homme va à la tribune et prononce un discours fameux, cet homme est Patrick Henry.

« Vous ne devez pas chercher à renforcer votre commerce, ni à devenir un peuple grand et puissant, mais à assurer les libertés ; car la liberté devrait être le but essentiel de votre gouvernement. […] ce nouveau pouvoir foulera aux pieds votre liberté déchue : que mes chers Américains se gardent bien contre cette léthargie fatale qui a perverti l’Univers ; avons-nous les moyens de résister à des armées disciplinées quand notre seul moyen de défense se trouve entre les mains du Congrès ? […] Imiterons-nous l’exemple de ces nations qui ont échangé un gouvernement modeste conter un gouvernement superbe ? Ces nations sont-elles dignes de notre imitation ? Quelles compensations peuvent-elles chercher pour la perte de leur liberté ? Si nous acceptons ce gouvernent consolidé, ce sera par amour de la splendeur et de la grandeur d’un pouvoir formidable. D’une manière ou d’une autre, nous aurons alors un grand et puissant Empire ; nous aurons une marine, une armée et bien d’autres choses. Quand l’esprit américain était dans sa jeunesse, le langage de l’Amérique était différent ; la liberté, Monsieur, était lors le but suprême. »

— Discours de P. Henry dans : The anti-federalist papers and the constitutional debates, publ. Par R Ketchmam, New York 1986, p.200

Ce vaincu de l’histoire et à qui l’histoire a donné raison, a écrit de nombreux textes prémonitoires montrant que cette république commerciale et fédérative va devenir une république impériale. Vattel va l’emporter sur Rousseau.

Les deux modèles de république

En 1787, à la Convention de Philadelphie, s’opposent deux visions de la République : un modèle dit des « fédéralistes » et un modèle des « antifédéralistes » :

  • la vision des vainqueurs des fédéralistes est fondée sur la vision d’une république puissante, commerciale, ouverte sur le monde, fédérative, expansionniste étant ouverte vers une étendue vers l’Ouest. Sur le plan du droit interne, ils sont favorables à la séparation des pouvoirs, à la représentation politique, à l’idée de souveraineté du peuple, favorables à l’idée d’une constitution comme norme suprême et favorables à l’institution d’une Cour suprême comme garant de l‘ordre juridique.
  • Les antifédéralistes sont favorables à la séparation des pouvoirs, à l’idée de faire de la constitution la norme suprême de l’ordre juridique, favorable à la souveraineté du peuple, mais le modèle du point de vue de l’ordre international, le modèle qu’ils vont proposer est différent. Ce n’est pas un modèle de république fondée sur la puissance américaine, mais plutôt sur la modestie qui est une république plus agraire, fondée sur les township qui sont de petites communautés rurales, c’est une république qui n’est pas fondée sur la puissance et la splendeur, une république pas ou peu accès sur le commerce extérieur, mais plutôt sur le commerce intérieur et c’est modèle de république qui se veut fidèle aux principes républicains étant une république fondée de petites républiques n’ayant pas d’ambitions impériales.

Ces sont deux visions qui s’affrontent pas tant dans l’ordre interne que dans l’ordre international. La république impériale se met peu à peu en place. Très vite, la question qui se pose est de savoir s’il est possible d’élargir la frontière. En d’autres termes, la jeune République américaine peut-elle devenir un empire ? La vision de république impériale l’a emportée à travers l’expansion vers l’ouest qui est le déplacement vers l’ouest de la frontière qui va être justifié de différentes manières. La question des tensions entre l‘idée de république et l’idée d’empire se matérialise à travers la question indienne. La question indienne va cristalliser les tensions entre les deux modèles de républiques qui vont s’affronter.

Comment nait la conception impériale aux États-Unis et quels sont les points historiques ? En 1796 sont l’affirmation et l’explication de l’idée de république impériale par George Washington qui donne sa vision de la république impériale dans le Farwell address. Il va, en bon héritier des fédéralistes, défendre quatre idées essentielles donnant un contour à l’idée impériale des fédéralistes :

  • il faut mener une politique étrangère, défendre un modèle de république qui évite à tout prix la division du pays ;
  • il faut refuser de faire des États-Unis d’Amérique le lieu des conflits entre les France et l’Angleterre. C’est l’affirmation d’une certaine neutralité face au conflit opposant la France et l’Angleterre ;
  • la défense absolue des attaques contre les États-Unis d’Amérique ;
  • nécessité de s’étendre vers l’ouest. La République américaine ne sera grande et splendide que si elle s’étend vers l’ouest. Les États-Unis d’Amérique ont des velléités impériales sur leur propre sol déjà.

En 1824, les États-Unis d’Amérique, par la voix de leur secrétaire d’État, définissent la doctrine Monroe :

  • non seulement il ne faut pas se mêler des conflits des pays européens, mais il ne faut pas tolérer plus et pas la présence de puissances européennes aux alentours des États-Unis. C’est la délimitation qui relève de l‘idée de zone de sécurité. Monroe va interdire aux puissances européennes de s’approcher trop près des frontières européennes ;
  • il affirme la nécessité de s’étendre vers l’ouest, mais au nom du destin de la nation américaine.

Dans la doctrine Monroe est une idée essentielle qui va rendre l’application de la république impériale possible qui est l’idée essentielle trouvant ses fondements dans la vision religieuse des États-Unis d’Amérique qui est l’idée du destin exceptionnel de la nation américaine. Chez les puritains américains fondateurs des États-Unis d’Amérique, il y a la notion protestante et calviniste d’être le peuple élu. C’est le devoir de l’élection transféré dans leur vision du politique. C’est l’idée qu’ils sont destinés à être une nation importante, mais ils ont un destin particulier parmi les nations du monde. Ce sont les racines de l’exceptionnalisme américain. Est affirmée l’idée de destinée manifeste des États-Unis d’Amérique qui est l’exceptionnalisme américain. À ce modèle de république impérialiste est venue s’ajouter une vision quasi mystique et religieuse à travers sont extension vers l’Ouest au détriment des indiens et des tribus amérindiennes.

L’expansion territoriale vers l’Ouest et le statut des communautés amérindiennes : le rôle de la Cour suprême

La question indienne

La question indienne cristallise les arguments des « pro » et des « anti » empire. Les premiers traités avec les Indiens sont signés dès 1761 entre les Anglais et les Indiens. À partir de la date de 1763 jusqu’en 1881, 429 traités seront conclus entre les États-Unis d’Amérique et les nations indiennes. Ces traités garantissent presque tous la protection des personnes et des biens ainsi que l’intégrité des tribus indiennes en échange du respecter l’État américain. On constate que ces traités respectent tous le droit de propriété des tribus indiennes. Le problème n’est pas tant les traités que leur application.

Les partisans de l’empire américain vont pousser en 1830 au Congrès pour que passe la loi Indian Removal Act autorisant ni plus ni moins entre 1828 et 1845 la déportation de 270000 Indiens. Cela représentait entre 20% et 30% de la population indienne existante. L’Indian Removal Act va se mettre en place parce qu’il est possible depuis le 26 mai 1830 de déporter les tribus amérindiennes situées dans l’Indian reserve et de déplacer la frontière américaine au-delà du Mississippi. Les Indiens ne vont pas se laisser faire et résister.

Le fond du problème sur le plan juridique est qu’à partir de 1830, les autorités américaines peuvent déporter les tribus indiennes. La question est de savoir quel est le statut de ces tribus amérindiennes. Depuis Vitoria ce sont des hommes, Grotius et Vattel le rappellent et l’ont admis. Ces tribus sont-elles des nations ou des États ? Si ce sont des nations ou des États, le gouvernement américain doit traiter d’égal à égal ces nations amérindiennes. Les tribus indiennes ont-elles un droit de propriété ? sont-elles des nations ou des États ? L’Indian Removal Act vont susciter toute une série de questions et il sera du rôle de la Cour suprême de répondre à ces questions. Les partisans de la république impériale vont trouver en la Cour suprême un opposant important.

La Cour suprême va répondre « oui » à la question du statut d’État de la tribu indienne, « oui » au droit à la propriété des nations indiennes, et « non » à leur déportations. La vision des vainqueurs l’a pourtant emportée. Trois arrêts vont pourtant jouer un rôle crucial dans la résistance à la république impériale et à la vision expansionniste américaine. Le président de la Cour suprême John Marshall va prendre son indépendance vis-à-vis du président Andrew Jackson. Dans trois arrêts, la Cour suprême va tenter de limiter la vision impériale de la république.

L’arrêt de 1823 Jonson contre McIntosh est le premier arrêt. Marshall joue déjà un rôle. La question est de savoir si un particulier peut-il s’approprier la propriété de la terre lorsqu’elle est vendue par un indien. La question politique est de savoir si on a le droit d’acheter une terre d’un indien. La question est de savoir quel est le statut et de quel type de droit de propriété jouissent les Indiens. La réponse à la question est qu’un particulier peut acheter une terre à un indien qui possède un droit légitime à la propriété. Le droit de propriété des Indiens est confirmé par la Cour suprême amérindienne. Un Américain peut légitimement acheter une propriété à un indien qui possède ce droit de propriété. Lorsqu’on lit l’arrêt en détail, on se rend compte que les juges affirment clairement que les Indiens sont des « right full occupant » soit des occupants légitimes. Dans cet arrêt qui traite d’un problème de vente de propriété, touche pour la première fois la question de propriété des Indiens. C’est le début de l’action de la Cour suprême contre la vision impériale de la République.

Map of northeastern Georgia, showing Cherokee lands
Cherokee lands in 1830.

L’arrêt Cherokee Nation contre Géorgie est en 1831, une année après l’Indian Removal Act. Les Cherokees étaient une nation indienne nomade qui a décidé de devenir sédentaire parce que plusieurs chefs cherokees étaient passés par les grandes universités américaines notamment parce que certains chefs cherokees avaient épousé des femmes blanches et leurs enfants avaient grandi entre une culture américaine et indienne. En 1821, les Cherokees ont rédigé une constitution et décidés s’établir. La situation était d’autant plus dramatique parce qu’ils ont tenté de s’assimiler à la nation américaine. L’État de Géorgie n’a pas considéré que les territoires au nord-ouest de son État étaient véritablement indépendant et n’ont pas reconnu la nation cherokee comme une nation indépendante. En 1831, la question qui se pose est de savoir quel est le statut de cette nation cherokee. Sont-ce des Américains ou une nation indépendante qui peut avoir le statut d’État ou de nation indépendante ? Marshall n’était pas content de ce cas parce que sa conviction était faite reconnaissant les Cherokees comme un État indépendant. La question de savoir si la nation cherokee est-elle une nation étrangère à la nation américaine va être tranchée à la négative au damne de Marshall qui avait voté pour et qui sera minorisé dans la Cour qu’il préside. Les nations indiennes ne vont pas être qualifiées de nations indépendantes, mais de « nations domestiques dépendantes ». Ce n’est pas une nation indépendante au sens du droit international public. Les nations indiennes n’ont pas de souveraineté et ne sont pas des nations souveraines. Marshall va être déçu de cette conclusion étant minorisée à cinq contre quatre.

Samuel Worcester.

En 1832, le problème revient à la Cour suprême dans l’arrêt Worcester contre Géorgie. Marshall est président de la Cour suprême américaine de 1801 à 1835 ayant profondément marqué le droit Américaine et les États-Unis d’Amérique. Il fut secrétaire d’État et membre de la chambre des représentants siégeant pour l’État de Virginie. Un pasteur, Samuel Worcester, va sur les terres de Géorgie et au retour se fait arrêter par l’État de Géorgie au fait qu’il n’était pas autorisé à se rendre dans une partie de l’État de Géorgie. La question qui se pose est de savoir si l’extension des lois de Géorgie sur les territoires indiens est licite :

  • l’extension des lois de l’État de Géorgie sur les territoires indiens est-elle licite ?
  • les lois géorgiennes sont-elles compatibles avec la Constitution américaine et le droit des tribus indiennes d’être protégées par les lois et les traités des États-Unis ?
  • quel est le statut des nations indiennes ?

Marshall va détruire pièce par pièce le droit de découverte qui est le droit de terra nula pour justifier de l’étendue de ces frontières. En critiquant Vattel, il va préciser, reformuler la notion de « domestic dependent nation » parce qu’il estime qu’ils sont et doivent être une nation indépendante. Il analyse tous les traités que les Cherokees avaient passés avec les Anglais. Au nom du principe pacta sund servanda, il va dire que les Indiens avaient été traités comme des nations indépendantes par les Anglais et qu’il n’y a pas de raisons que les traités de l’ancienne puissance coloniale anglaise soient repris. Il souligne qu’il faut reconnaître le statut des nations par les Indiens, reconnaître le droit des Indiens de posséder leur propre gouvernement et reconnaître le territoire. La tribu cherokee, et par extension les tribus amérindiennes, sont des nations à part entière et le gouvernement américain, certes, doit avoir une relation spéciale avec ces nations, assurer la protection et les reconnaître comme des nations indépendantes. La nation cherokee est donc l’égal de l’État fédéral américain.

L’arrêt Worcester contre Géorgie est considéré aujourd’hui encore comme la déclaration d’indépendances des nations amérindiennes. La Cour suprême n’a pas eu beaucoup de poids politique. Au lendemain où Marshal a rendu sa décision qui renverse la république impériale américaine, le président Jackson a eu cette phrase : « John Marshall has made his decision; now let him enforce it ! ». La vision impériale de la République américaine va poursuivre son cours.

L’expression « Empire de la liberté » est une expression rhétorique afin de masquer intentionnellement ou non le véritable modèle qui se met en place qui est le modèle de République impériale. Jefferson parlait d’Empire de la liberté lors de la Convention de Philadelphie. Il ne s’agit pas de décrire un état de fait, mais la notion d’Empire de la liberté est une expression avec une fonction rhétorique pour justifier le modèle de république impériale qui se met en place au XVIIIème siècle.

L’idéologie du Manifest Destiny

Cette œuvre, peinte vers 1872 par John Gast intitulée American Progress est une représentation allégorique de la « Destinée manifeste ». Dans cette scène, une femme angélique (parfois identifiée comme Columbia, la personnification des États-Unis au XIXe siècle), porte la lumière de la « civilisation » à l'Ouest avec les colons américain, câblant le télégraphe dans son sillon. Les Amérindiens et les animaux sauvages fuient vers les ténèbres de l'ouest sauvage.

La tension entre ces deux modèles se retrouve et irrigue toute la pensée américaine. Cette tension que l’on trouve dans les arrêts Marshall entre le modèle impérial et le modèle plus isolationniste et agraire se retrouve tout au long du XIXème siècle et du XXème siècle aux États-Unis. Ces deux visions de la République américaine se retrouvent tout au long du XIXème siècle et du XXème siècle. Après Marshall, les héritiers de Rousseau, Montesquieu et Smith ont perdu le combat. Cette République américaine dans sa version impériale se met en place et s’impose avec une dimension impériale très forte et se voit idéologiquement consacrée dans la Destinée Manifeste des États-Unis. L’idéologie du Manifest Destiny est l’idéologie principale de ce qui va permettre de justifier l’extension et l’expansion vers l’Ouest de la République américaine.

L’idéologie du Manifest Destiny qui se met en place et qui permet la dimension impériale de la République américaine de voir le jour est une idéologie qui repose sur quatre idées :

  1. c’est une réitération de la doctrine Monroe ;
  2. la nécessité de la marche et de l’expansion vers l’Ouest : il y a une nécessité à conquérir des espaces et des territoires voisins parce que les États-Unis d’Amérique ont un grand destin devant eux ;
  3. la démocratie des colons américains est le modèle moderne de démocratie et surtout doit être défendu et promu dans les espaces encore vierges de ce qui deviendra les États-Unis d’Amérique ;
  4. les États-Unis d’Amérique sont la terre promise des temps modernes : c’est la dimension religieuse du puritanisme protestant qui se pense et se voit comme le peuple élu. Lorsqu’on lit tous les grands textes religieux du XVIIème siècle et XVIIIème siècles, les sermons des grands penseurs américains, apparait la notion de « peuple élu » qui à un rôle majeur à jouer dans l’humanité. On retrouve cette dimension dans certains textes de Calvin et des radicaux protestants étant l’idée que le protestant est le nouvel élu qui est l’idée très forte que le protestant et le puritain sont destinés à jouer un rôle majeur dans l’histoire de l‘humanité.

À partir de 1840, les guerres et l’extension vers l’Ouest vont mener à la guerre contre l’Espagne et le Mexique qui occupent tout le Texas et certaines régions du Nouveau Mexique. Les guerres contre les Espagnols et les Mexicains à partir de 1840 se succèdent et se font au nom d’une idée de supériorité culturelle et raciale des États-Unis. Pour être rigoureux dans la terminologie, il n’y a pas encore en 1840 – 1845 un « empire américain » à proprement parler. Il y a une expansion vers l’ouest, la mise en place d’un modèle de république qui se veut impériale, mais il est erroné de parler d’empire américain. L’idéologie de la Destinée Manifeste s’accompagne par deux idées centrales tout au long du XIXème siècle constitutif de l’identité américaine sur deux piliers qui sont l’idée du pionnier et l’idée de la frontière. C’est le triomphe de l’individu autonome et du citoyen autonome. Dès 1840 – 1845, les Américains ont le sentiment d’être devenus la civilisation moderne.

John O'Sullivan.

O’Sullivan était un obscur critique littéraire, mais il a trouvé un nom pour l’idéologie qui a marqué le modèle impérial américain qui est l’idéologie de la Destinée Manifeste. Le titre de « Annexation » montre que l’enjeu à cette époque est le rattachement du Texas aux États-Unis d’Amérique. Les colons avaient occupé le nord du Texas et peu à peu harcelé par les troupes mexicaines qui voyant très mal les colons américains, protestants et blancs occuper les terres du nord du Texas. Ces Américains occupant le nord du Texas ont demandé la protection du gouvernement américain et à être rattaché aux États-Unis d’Amérique. La question qui se pose est une question politique est de savoir si on doit annexer ce territoire et si « oui », pourquoi. Ces arguments constituent et forment le socle de cette idéologie de la Destinée Manifeste.

« Texas is now ours. »

Dans les premières lignes de ce deuxième paragraphe est employé un langage tout à fait républicain dans lequel peut se reconnaître tout américain de la côte est. Parlant de la convention du Texas comprenant la réunion des Texans, O’Sullivan dit :

« She comes within the dear and sacred designation of Our Country; no longer a ‘pays,’ she is a part of ‘ la patrie;’ and that which is at once a sentiment and a virtue, Patriotism, already begins to thrill for her too within the national heart. »

La « patrie » est le terme républicain pour désigner la « nation » parce que c’est l’équivalent républicain de la « nation ». Ce sont des mots qui appartiennent au langage républicain.

« Let their reception into "the family" be frank, kindly, and cheerful, as befits such an occasion, as comports not less with our own self-respect than patriotic duty towards them. »


The Fall of the Alamo de Robert J. Onderdonk, 1901.

Le Texas est « à nous », il demande le rattachement du Texas aux États-Unis d’Amérique. Va apparaitre ce qui devenir l’idéologie de la pensée américaine.

« […] limiting our greatness and checking the fulfillment of our manifest destiny to overspread the continent allotted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions. »

Il y a l’idée que la providence a donné aux États-Unis une « destinée manifeste » sur le monde pour inonder de sa lumière le monde.

« […] has not been more general even among the party before opposed to Annexation, and has not rallied the national spirit and national pride unanimously upon that policy. »

Il est intéressant de voir les arguments de ce texte pour justifier l’annexion . Les États-Unis ont une destinée à conquérir le monde et à aller vers l’ouest.

« Themselves already of mixed and confused blood, and free from the "prejudices" which among us so insuperably forbid the social amalgamation which can alone elevate the Negro race out of a virtually servile degradation even though legally free, the regions occupied by those populations must strongly attract the black race in that direction; and as soon as the destined hour of emancipation shall arrive, will relieve the question of one of its worst difficulties, if not absolutely the greatest. »

Il parle que les États-Unis vont pouvoir apporter notamment à la « race noire » la civilisation moderne. Toute cette fin de paragraphe vise à affirmer la supériorité de la « race américaine » et par la même de justifier l’aventure et la conquête du Texas.

« Texas has been absorbed into the Union in the inevitable fulfilment of the general law which is rolling our population westward, the connexion of which with that ratio of growth in population which is destined within a hundred years to swell our numbers to the enormous population of two hundred and fifty millions (if not more), is too evident to leave us in doubt of the manifest design of Providence in regard to the occupation of this continent. »

Le Texas fait partie des États-Unis au nom de la règle générale que les États-Unis vont de toute façon aller vers l’Ouest. O‘Sullivan a une vision que la marche vers l’Ouest va amener la civilisation, mais surtout va permette à la population américaine de grandir jusqu’à 250 millions et même plus.

« California will, probably, next fall away from the loose adhesion which, in such a country as Mexico, holds a remote province in a slight equivocal kind of dependence on the metropolis. Imbecile and distracted, Mexico never can exert any real government authority over such a country. The impotence of the one and the distance of the other, must make the relation one of virtual independence. »

L’argument est de dire que « Mexico never can exert any real government authority over such a country ». Mexico est tellement loin du Texas et de la Californie qu’ils ne peuvent pas exercer leur autorité si loin au risque de tomber dans la tyrannie, il ne peut que « retain a military dominion ». C’est l’argument de la distance qui est l’incapacité du Royaume du Mexique à contrôler un territoire si lointain.

« And they will have a right to independence - to self-government - to the possession of the homes conquered from the wilderness by their own labors and dangers, sufferings and sacrifices - a better and a truer right than the artificial title of sovereignty in Mexico, a thousand miles distant, inheriting from Spain a title good only against those who have none better. Their right to independence will be the natural right of self-government belonging to any community strong enough to maintain it - distinct in position, origin and character, and free from any mutual obligations of membership of a common political body, binding it to others by the duty of loyalty and compact of public faith. This will be their title to independence; and by this title, there can be no doubt that the population now fast streaming down upon California will both assert and maintain that independence.

Whether they will then attach themselves to our Union or not, is not to be predicted with any certainty. Unless the projected railroad across the continent to the Pacific be carried into effect, perhaps they may not; though even in that case, the day is not distant when the empires of the Atlantic and Pacific would again flow together into one, as soon as their inland border should approach each other. »

On August 12, 1898, the flag of the Republic of Hawaii over ‘Iolani Palace was lowered and the United States flag raised to signify annexation.

Il est sous-entendu qu’on va leur laisser la possibilité de vivre et qu’on va leur apporter la démocratie qui est le « And they will have a right to independence - to self-government - » permettant à ces personnes d’exercer le « right to independence will be the natural right of self-government belonging to any community strong enough to maintain it— distinct in position, origin and character, and free from any mutual obligations of membership of a common political body, binding it to others by the duty of loyalty and compact of public faith ». Il y a l’idée que l’annexion du Texas va quelque part amener les principes majeurs et fondateurs de la république américaine dans cette région du monde.

Ce texte reprend un certain nombre d’attitudes, de variables et de paramètres constitutifs de l’identité américaine que l’on retrouve encore aujourd’hui. En 1840, O’ Sullivan écrivait : « Whether they will then attach themselves to our Union or not, is not to be predicted with any certainty. Unless the projected railroad across the continent to the Pacific be carried into effect, perhaps they may not; though even in that case, the day is not distant when the empires of the Atlantic and Pacific would again flow together into one, as soon as their inland border should approach each other ». Il y a la condition qu’il faut réunir la côte du Pacifique et de l’Atlantique. O’Sullivan emploi le mot de « empireS » au pluriel. Certes, du coté de l’Atlantique, la république impériale américaine a sa capitale et ses États, mais il y avait à l’époque dans la région du Pacifique, du Colorado le nord de l’Arizona et un peu de la Californie, l’empire Comanche qui occupait un zone immense et structurée.

« soon to be followed by Annexation, and destined to swell the still accumulating momentum of our progress. And whosoever may hold the balance, though they should cast into the opposite scale all the bayonets and cannon, not only of France and England, but of Europe entire, how would it kick the beam against the simple, solid weight of the two hundred and fifty, or three hundred millions—and American millions—destined to gather beneath the flutter of the stripes and stars, in the fast hastening year of the Lord 1845!. »

La volonté de Dieu doit être accomplie. On est véritablement dans un texte presque à caractère religieux. Il emploie un langage républicain, mais également un langage quasiment religieux.

Sur le terrain, cette république à dimension impériale va commencer à partir de la fin du XIXème siècle à appliquer l’idée du Manifest Destiny en devenant une puissance coloniale à partir de 1895 et 1898 notamment avec l’entrée en guerre contre l’Espagne, l’occupation d’Hawaï, les Philippines et ils vont installer des protectorats à Porto Rico et Cuba. Le modèle de république impériale commence à la fin du XIXème siècle à déborder le simple continent et le simple pays.

Alfred Mahan en 1904

Cette tendance à l’expansionnisme va faire débat à partir de la fin du XIXème siècle parce que l’identité américaine va être débattue. L’expansion américaine doublée à l’immigration massive de certaines communautés américaines, dont les Irlandais, a forcé les États-Unis à se poser la question identitaire de savoir qui ils sont et de savoir quelle est leur destinée comme république. Fondamentalement, au début du XXème siècle, les États-Unis sont obsédés par leur modèle de république et il y a une vraie tension entre les « isolationnistes » et ceux qui privilégient l’« expansionnisme » américain qui sont les héritiers de la destinée manifeste. On retrouve encore aujourd’hui cette tension. Les expansionnistes appuient leur vision de la république sur l’idéologie de la destinée manifeste, mais également sur un ouvrage extrêmement important. En 1890, l’Amiral Mahan publie The Influence of Sea Power upon History qui défend bien sur l’idée que pour devenir un empire complet aller jusqu’au bout de la dimension impériale, les États-Unis doivent avoir une chose fondamentale qui est une marine et une flotte qui puisse dominer les océans. Le débat à partir de 1895 prend de l’ampleur parce qu’il vise à défendre la mise en place d’une marine extrêmement puissante et ce qui sera le cas dès 1908 – 1910.

Le modèle de république impérial au XXème siècle est contesté par les isolationnistes et défendu par les partisans de l’exceptionnalisme américain. Dès le début du XXème siècle, les États-Unis deviennent la puissance dominante en Amérique centrale et dans les Caraïbes, mais en même temps, ils se méfient des empires européens qu’ils dénoncent. La Première Guerre mondiale est l’illustration de ce paradoxe qui voit la vision expansionniste de la République américaine s’imposer parce que les États-Unis deviennent les principaux fournisseurs de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Italie et en même temps ils vont défendre une certaine neutralité. On retrouve toujours la tension dans la politique étrangère américaine entre isolationnistes et ceux qui pensent que les États-Unis ont une mission que cela soit pour répandre le libre-échange dans l’ordre économique ou la démocratie dans l’ordre politique.

Les Américains tentent de remettre en cause les empires européens. Il y a toujours le paradoxe entre combattre les empires européens tout en défendant sur le plan économique et politique une vision impériale de la république. Cette vision est consacrée dès 1945 et le refus de l’isolationnisme du président Roosevelt marque l’entrée des États-Unis dans le rôle de superpuissance.

Empire américain ?

Aujourd’hui peut-on parler d’Empire américain ? Institutionnellement, formellement, il n’y a pas d’empire américain. Un empire est une domination s’exerçant sur des territoires et sur des populations dotées de statuts juridiques divers et ce n’est pas le cas des États-Unis. Un empire comme Rome est fait de différentes entités qui occupaient différentes régions de l‘Europe et avait laissé leurs identités aux différents protagonistes. L’« Empire américain » est une expression qui nait dans les années 1950 – 1955. Les États-Unis ne sont pas formellement un empire. L’expression a une fonction politique très précise étant employée par les ennemis des États-Unis d’Amérique et qui tentent d’assimiler la puissance américaine aux anciens empires européens en disant que les États-Unis d’Amérique se comportent comme les puissances coloniales européennes. À la chute de l’Union soviétique en 1989, le terme d’« Empire » est réinstrumentalisé afin de désigner les États-Unis qui deviennent la plus grande et la superpuissance régnant sur l’ordre international. Le rôle hégémonique des États-Unis résulte de leur place prépondérante dans l’économie. Aujourd’hui, les États-Unis ont certes de nombreuses bases et alliances militaires, mais n’ont pas pour intention de conquérir de nouveaux territoires. Le terme de « république impériale » est plus exact à la fois dans l’ordre juridique et dans l’ordre politique.

Au moment où les États-Unis vont vers l’ouest, que se passe-t-il avec les empires européens ? Le modèle impérial en Europe s’est affirmé de manière très forte à partir des années 1840 notamment en France avec la conquête de l’Algérie et puis la conquête de l’Inde et de l’Afrique par les Anglais, les allemands et les hollandais. Si le XIXème siècle voit une résurgence des empires européens, le modèle d’empire français, anglais et hollandais à partir de la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle décline peu à peu. D’abord, il y a la Première Guerre mondiale qui est un référent lançant le début du déclin des empires européens et de l’idéologie impériale européenne. 1917 est la proclamation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et d’une certaine manière, les Quatorze points de Wilson délégitismsent l’idéologie impériale européenne.[4] En Europe, Grotius et Vattel avaient gagnés en termes de pensée et de philosophie, mais ce modèle va décliner. Il ne s’efface pas, mais il prend une autre forme. Dès les années 1900, on assiste à un changement des grands empires français, anglais et hollandais. Certains pays vont obtenir une plus grande indépendance. Chaque empire européen vit un moment de changement. Le modèle d’empire se transforme.

Les Empires européens

Le Conseil des Quatre à la conférence de paix : Lloyd George, Vittorio Orlando, Georges Clemenceau, et Woodrow Wilson.

Il y a une grande continuité dans le modèle anglais à partir du XVIIème siècle, mais à partir de 1920. On se rend compte que Smith a raison et que l’empire anglais est « surétendu ». En parallèle, les Anglais ont développé et mis en place ainsi que permis à une élite locale de s’installer au pouvoir. Cette élite locale a peu à peu fait concurrence aux élites anglaises sur place. Les élites locales deviennent peu à peu nationalistes demandant leur émancipation. Aux États-Unis et en Angleterre est mise en place une anthropologie avec la découverte et la valorisation des cultures indigènes. À partir de 1910, dans le monde universitaire et intellectuel anglais, il y a un développement très important des publications décrivant et valorisant les cultures indigènes dominées par l’Empire anglais. Il y a une prise de connaissance des cultures indigènes, une valorisation de leur culture et un travail de sape sur l’idéologie impériale anglaise. L’Empire britannique va peu à peu décliner surtout à partir de la Deuxième Guerre mondiale.

Le modèle français évolue aussi. La France perd son Second empire en 1763 par le traité de Paris où l’Angleterre annexe une grande partie des territoires français. La question d’un empire français ressurgit à partir de 1820 avec la question de l’Algérie. À partir de 1820, la France retrouve un empire par certaines régions d’Afrique et d’Asie. L’évolution de l’empire français est moins marquée qu’en Grande-Bretagne évoluant différemment. La première est que la promotion des élites locales dans l’Empire français à partir de 1830 et 1840 se fait différente des élites britanniques s’agissant de la civiliser et de la franciser en l’assimilant à la culture française. Dans les manuels scolaires qui sont à la disposition des écoles dans les pays conquis par la France, il y a une utilisation de l’histoire de France comme véhicule d’assimilation avant de leur donner une indépendance ou une administration dans leur État ou leur régime. L’Empire français n’a jamais adopté le principe du « self-government ». Il était très difficile dans l’empire français d’avoir ou d’obtenir une forme d’indépendance ou du moins d’autonomie parce que la France envisage son empire de manière presque patrimoniale. Les Anglais ont une vision beaucoup plus utilitariste de leur empire.

L’indépendance de l’Indonésie, puisque les Hollandais occupent encore l’Indonésie ne 1930, les Hollandais ont très vite accepté que les partis politiques puissent voir le jour. Ils ont donné une certaine autonomie aux élites locales. Il y a la volonté de garder un contrôle économique sur les colonies hollandaises. Autrement dit, les Hollandais ont gardé et inséré toutes leurs colonies dans un système de lois qui d’une certaine manière garantissait le monopole et le lien économique entre la capitale et les colonies.

Fondamentalement, dès 1920, se met en place un déclin des empires européens avec la montée de la république impériale américaine, mais surtout dès 1920, se met en place un ordre international fondé sur une division entre deux catégories d’États. Les grands empires européens déclinent et ont décliné peu à peu dès le début du XXème siècle, la république impériale américaine a émergée peu à peu. Il a fallu organiser cette réalité entre deux types d’États à savoir entre les « États civilisés » et les « États non civilisés ». Entre la fin du XIXème siècle le début au XXème siècle, Grotius et Vattel ont d’une certaine manière gagné, les empires européens sont sur le déclin, l’empire américain à émergé, mais l’idéologie de Vattel et Grotius l’a emporté parce que tous les traités internationaux à partir de 1885 ne divisent plus les États entre « empire » et « nation », mais entre « État civilisé » et les « État non civilisé ».

D’une certaine manière c‘est un ordre international binaire qui se construire peu à peu. Les grands empires, les grandes idéologies impériales ne se sont pas imposées là où on pensait qu’elles s’imposeraient, mais elles se sont imposées dans le droit international en divisant entre « États civilisés » et « États non civilisés ». Il y a une égalité formelle, mais une inégalité de fait entre les États. Jusqu’en 1970 – 1975, les grands traités seront divisés entre un droit pour États civilisés et un droit pour les États non civilisés. L’idéologie impériale qui décline est remplacée par une vision binaire du monde qui va se cristalliser dans la doctrine de la théorie d’intervention d’humanitaire. Le modèle d’empire à idéologie impériale d’inspiration grotienne n’a pas complètement disparu, mais elle s’est transformée dans le droit international et continue à marquer la vision de l’ordre international. Le concept d’empire ne disparait pas, mais se transforme se matérialisant en droit international que l’on retrouve dans la théorie d’intervention humanitaire.

Tableau montrant Périclès durant son oraison funèbre.
Périclès durant son oraison funèbre.

La question qui nous a hanté est la question du concept d’empire, mais surtout de savoir si une république peut être un empire et de savoir si une démocratie peut-être un empire.

« Comprenez que notre cité jouit dans le monde entier du renom le plus beau, cela parce qu'elle ne se laisse pas dominer par les malheurs et qu'elle s'est dépensée à la guerre plus que toutes, en hommes et en effort; elle a ainsi acquis la puissance la plus considérable à ce jour, et, pour les générations à venir, même si à présent il nous arrive jamais de fléchir le souvenir en sera préservé éternellement […] La haine ne tient pas longtemps, mais l'éclat dans le présent, avec la gloire pour l'avenir, reste à jamais dans les mémoires. »

Oui, une démocratie peut être un empire. Périclès se lance dans cette tirade disant que le principe d’être une république et d’un empire ne sont pas contradictoire.

L’empire est un fait ancien dans l’histoire. L’exemple romain hante aujourd’hui encore les Américains. Washington est doté d’un capital et de sénateurs. La culture populaire américaine est saturée de références romaines beaucoup plus impériales que républicaines et les similitudes entre les deux empires ne sont pas insignifiantes :

  • le campement des légions romaines aux quatre coins du monde rappelle étrangement les bases américaines aux quatre coins du monde ;
  • la force des deux systèmes romain et américain repose et reposant sur une capacité logistique et militaire importante ;
  • Washington comme Rome autrefois fonctionne avec des groupes de pression, des lobbys, une forme de clientélisme ;
  • le mode de vie américain comme la culture gréco-romaine à l’époque a un pouvoir d’attraction ou de répulsion considérable.

Comparaison n’est pas raison. Les deux empires reposent quand même sur des valeurs sensiblement différentes. L’idée d’empire n’a pas disparu. Depuis Rome, la question impériale hante l’univers politique des occidentaux, mais pas que comme il en est le cas de la Chine. Pour certains, l’empire est le bien absolu, pour d’autres c’est le mal qui corrompt les hommes. La réalité humaine fait que les empires ou les impérialismes ont toujours été les moteurs de l’histoire. Le système politique actuel a hésité entre l’aventure impériale et la restauration des équilibres. Étudier l’histoire des empires, c’est étudier un passé qui n’est pas tout à fait passé et qui a pour partie façonné notre monde, sa mémoire et ses difficultés présentes et qui n’a pas fini de hanter notre imaginaire politique.

La théorie de l’intervention d’humanité

Avec le droit d’intervention d’humanité, on retrouve la tension entre un désir de secourir et un désir des États civilisés d’imposer un ordre juridique et politique. Rougier rédige La théorie de l’intervention d’humanité en 1910 alors que l’Europe a occupé et conquis une partie importante de l’Asie, de la l‘Afrique et du monde. Les États-Unis également ont chassé les Espagnols de Cuba et à se sont implantés dans plusieurs parties du monde. Rougier résume la tension entre les partisans des empires et ceux qui critiquent l’idéologie impériale avant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes du président Wilson en 1917. Ce texte condense toute les contradictions et les paradoxes de ceux qui veulent faire le bien de leur pays au nom d’une idéologie d’intervention d’humanité posant la question des fondements juridiques, politiques et même philosophiques de la responsabilité à protéger dit droit d’intervention humanitaire. Rougier va tenter d’expliciter le droit d’intervention d’humanité et trouver des justifications. Ce texte est important juridiquement parce que les arguments que l’on trouve dans le texte se retrouvent dans les traités internationaux jusqu’en 1974 avec la division entre États civilisés, États demi-civilisés et États barbares.

Rougier et un très grand théoricien du droit et tente de théoriser l’idée que dans certains cas, l’intervention d’humanité est justifiée. Toute la question va devenir par qui, sur quelle base juridique et comment appliquer ce droit d’intervention. Il révèle les contradictions du concept d’empire soutenu par des théoriciens d’un droit et par des philosophies, mais qui est aussi encore défendu sous des aspects différents ? Le droit d’intervention est sans doute un reliquat, une extension lointaine de l’idée que l’ordre international doit être dominé par certains acteurs à tort ou à raison. Cet ordre international dominé par certains acteurs plonge ses racines dans l’approche que Rome avait adoptée afin de contrôler et conquérir une partie de ce qui allait devenir l’Europe. Rougier tente de théoriser le droit d’intervention d’humanité.

Ce texte pointe certains principes fondamentaux du droit avec notamment le principe d’égalité des États. La question à laquelle est donné Rougier et y a-t-il des situations ou l’humanité est bafouée nécessitant l’intervention d’États. Cela implique de définir ce qui va définir ce qu’est l’intervention d’humanité impliquant sans doute de remettre en cause le principe d’égalité entre États, mais aussi de créer les conditions pour l’intervention à proprement dite. Trois questions structurent ce texte :

  • qui définit ce qu’est l’humanité ?
  • qui a le droit d’intervenir ?
  • comment peut-on intervenir ?

Rougier doit présenter ce qu’il entend par États et donner une définition non pas de l’État, mais des États révélant comment son époque voit le monde international. Très classiquement, comme Grotius, il divise le monde en trois catégories d’États :

  1. les États civilisés ;
  2. les États mi-civilisés ;
  3. les États barbares.

« Les nations civilisées, chez qui l’ordre politique repose sur le respect du droit et sur la garantie des libertés des citoyens, s’émeuvent volontiers au spectacle des actes de tyrannie et d’arbitraire que donnent au monde des gouvernements moins policés. Plus on descend dans l’échelle de la civilisation, et plus on voit chez les dépositaires du pouvoir souverain s’obscurcir cette notion fondamentale que l’autorité n’est qu’un moyen dont disposent les gouvernements pour remplir une fonction, fonction consistant à assurer les progrès d’un peuple par le moyen de l’ordre et du droit. »

Rougier commence par confirmer que le monde est divisé en trois catégories d’États et que le droit international public doit être pensé pour ces catégories d’États. Dans les États mi-civilisés il y a le Japon et la Chine. La catégorisation des États et opérée par Rougier dès le début de son article.

« Quant aux États qui s’enorgueillissent du titre de civilisé, ils ne sont pas à l’abri des défaillances. Leur civilisation est sujette à éclipses. Sous le coup des passions politiques ou religieuses, les gouvernements oublient trop souvent de remplir envers certains citoyens la mission d’ordre et de justice qui leur incombe, s’ils n’attendent pas eux-mêmes à leur vie, à leur liberté ou à leur propriété. Citer des exemple serait presque retracer l’histoire politique de l’Europe, que ce soient des exemples de révolutions comme la Terreur en France, des exemples d’insurrection comme l’écrasement des Hongrois par l’Autriche en 1848, des exemples de persécutions religieuses comme les mesures de proscription légale édictées contre les Israélites par la Russe ou la Roumanie. »

Rougier est tributaire de la vision de l’Europe des années 1840 et 1850 proposant une justification historique de sa démarche. Cet article n’a pas seulement comme arrière-fond la volonté de trouver et de théoriser l’intervention d’humanité. La démarche de Rougier repose sur des expériences historiques que l’Europe a vécues et qu’il a vécues. Tout d’abord, il y a la question d’Orient qui est le massacre des chrétiens libanais par l’Empire ottoman et par certaines communautés druzes dans ce qui s’appelait le Mont Liban. Rougier écrit étant très marqué par la question d’Orient. Il traite aussi de la question cubaine, de la Bulgarie et de la Crête. On voit le rôle de la porte de l’Empire ottoman dont l’intervention brutale a marqué les Européens. On est dans un contexte où il y a eu des massacres de communautés essentiellement chrétiennes. C’est un contexte ou il y a eu un certain nombre de massacres extrêmement importants qui ont marqué les esprits. Rougier a trouvé un moyen de protéger et de défendre un principe permettant d’éviter et de prévenir ces massacres et d’intervenir.

« À quels résultats pratiques aboutirent ces essais d’application de la théorie qui nous occupe ? »

Avoir dénoncé ces massacres dans le monde n’a pas changé grand chose, il faut donc trouver une théorie d’intervention d’humanité à la question de savoir qui peut décider de l’intervention, sur quel est la base légale et qui a la compétence pour l’appliquer. Rougier présente les arguments des non-interventionnistes et puis il annonce et explique qu’il faut pouvoir construire une théorie qui réponde à ce qu’il appelle le principe d’humanité et au principe d’autorité.

« Au contraire l’intervention d’humanité est par hypothèse désintéressée et ne suppose chez l’intervenant aucun préjudice direct et personnel. Fondée sur le respect des lois de l’humanité, l’action est ouverte à tous ceux qui se croient qualifiés pour parler au nom de celles-ci à la façon d’une actio popularis. »

Toute la démarche de Rougier vise à dire que l’ordre juridique international ne fournit aucune base légale pour l’intervention d’humanité [1], il faut que cette intervention défende les lois d’humanité [2] et il faut une autorité compétente agréée par tous qui puisse décider d’une intervention [3]. Les deux mots-clefs sont « humanité » et « autorité ». On peut se demander de quelles sont les lois de l’humanité, quelle idée est la base du droit d’humanité.

Depuis le XVIIème siècle en droit, il y a la tradition du droit naturel reposant sur un certain nombre d‘axiomes dont le plus important est le suivant : nous naissons être humain avec un certain nombre de droits naturels qui vont devenir plus tard ce qu’on appelle les droits fondamentaux. Il y a quelque part attaché à la personne humaine des droits qui sont au-dessus des lois positives qui sont les lois de la société. En philosophie du droit, il y a un certain nombre de traditions, dont la tradition naturaliste et la tradition positiviste. La tradition naturaliste est la tradition qui pense qu’au-dessus des droits, des ordres juridiques nationaux, il y a quelque part un ordre juridique naturel qui défend l’idée qu’à notre personne est attaché ce qui va devenir des droits fondamentaux. Quelque part, il y a une partie de chacun d’entre nous qu’on ne peut pas toucher. Il y a quelque part quelque chose dans notre personne humaine qui n’est pas touchable relevant presque du sacré trouvant son fondamental dans la théorie du droit naturel. Les naturalistes pensent qu’il y a une dimension sacrée à notre personne qui est au-dessus des lois et des différents ordres juridiques nous appartenant en propre. Ce sont les partisans de droit fondamentaux qui sont les héritiers de la tradition de droits naturels.

Rougier est un naturaliste pensant qu’il y a un certain nombre de droits « fondamentaux » attaché à notre personne qui ne peuvent pas et ne doivent pas être violés. Les lois d’humanité sont les lois qui englobent la dimension sacrée de l’être humain. Si on touche à certains aspects de l’être humain, on viole le droit naturel constitutif de nos ordres juridiques.

« Théorie du droit humain et de pouvoir-fonction. – À la doctrine s’oppose négative de l’intervention d’humanité s’oppose un groupe de théories qui reconnaissent aux États le droit de mettre leur autorité au service de la justice et d’empêcher ou de réprimer certains abus chez les États voisins. Ces théories s’inspirent de vision de considérations souvent différentes suivant les tendances religieuses, philosophiques ou sociales de leurs auteurs. Parfois elles se réduisent à de simples affirmations, Mais, en dépit de ces divergences de forme, toutes reposent sur trois idées essentielles qui permettent de les synthétiser en une seule et même doctrine que nous appellerons la théorie u droit humain et du pouvoir-fonction. Cette théorie affirme l’existence d’une règle de droit générale s’imposant aux gouvernants comme aux gouvernés, supérieure au droit national et international qui n’en sont que des expressions particulières. »

Il y a des règles de droit qui sont supérieures aux droits nationaux et au droit international. Ces règles de droit sont des droits naturels liés à la vision naturaliste de leurs auteurs. Tous les partisans du droit naturel, celles et ceux qui appartiennent à la tradition du droit naturel tentent de conserver le rapport entre droit et justice, en d’autres termes tentent de ne pas dissocier le droit et le moral ou le droit et la justice. Ils partent de l’idée qu’on ne peut pas totalement dissocier le droit et la morale. Pour un juriste positiviste, on peut parfaitement avoir un droit injuste. Le droit et la morale sont deux choses différentes que certains veulent mettre ensemble d’autres veulent écarter. Si on veut mettre ensemble le droit et la morale, les opposants interrogent sur la morale de qui et la justice de qui ? C’est pour cela que de grands philosophes du droit ont décidé de séparer les deux. Rougier fait partie de cette tradition naturaliste qui pense que le droit et la justice ne peuvent pas être dissociés et ceux qui doivent définir ce qui est juste ou injuste sont les États civilisés.

« Mais la notion de droit naturel, beaucoup plus morale que juridique, ne permettait pas d’arriver à une précision suffisante dans la détermination des actes que permettait ou prohibait cette règle suprême. »

Rougier est une naturaliste, il pense que les lois d’humanité dérivées du droit naturel doivent être défendues parce que le droit et la justice ne peuvent pas être totalement dissociés.

« Quelles sont les puissances compétentes pour intervenir auprès d’un gouvernement qui viole les lois de l’humanité. »

Qui peut décider de ce qui est juste et injuste, qui peut décider de la violation de droit d’humanité. Rougier parle d’intervention individuelle et collective qu’il préfère parce que la légitimé est plus forte.

« Par définition l’intervention d’humanité est désintéressée ». C’est pour le bien de l’humanité et de la justice que les États civilisés interviennent. Il va remettre aussi en cause le principe d’égalité entre les États.

« L’égalité n’est pas comme on l’a dit un droit fondamental des États, c’est la conséquence d’une situation de fait […] Pour les États comme pour les individus, la sauvegarde des intérêts collectifs exige qu’il y existe des dirigeants et des dirigés. Ceux qui peuvent mettre au service de la communauté une plus grande science, un plus grand développement juridique et social, une plus grande puissance économique, financière ou militaire, devront être investis d’une autorité légitime sur les États inférieurs qui ne peuvent que suivre une impulsion reçue. »

Il y a des cas dans lesquels on doit intervenir, et parallèlement nous devons tous accepter qu’il y ait des États civilisés, des États mi-civilisés et des États barbares instaurant de fait une inégalité entre les États. Cela signifie que les États ont la puissance économique et militaire on un devoir d’intervention pour protéger les lois d’humanité.

« La plus flagrante inégalité internationale est celle qui existe entre civilisés et barbares Un Royaume nègre peut réunir tous les éléments constitutifs de l’organisation politique : population, territoire et gouvernement, et mériter le titre d’État à l’égal de l’Empire de Russie ; mais on ne saurait sans fiction considère ces deux nations comme égales en droit, ni admettre que leurs souverainetés soient également respectables. »

Il y a des États qui peuvent intervenir au nom de la justice définie par eux-mêmes et d’autres États doivent accueillir la civilisation et les États-civilisés. On retrouvera ces arguments dans une partie du XXème siècle dans les ouvrages de droit international.

« Cette tendance de la société des États à reconnaître au profit de certains de ses membres une sorte de puissance législative parait indiquer précisément une lente et progressive consécration juridique de leur prééminence de fait. »

La situation « de fait » devient une situation « de droit ». Rousseau avait dit « force ne fait pas droit », et Rougier lui répond « la force peut être pas, mais c’est le fait qui fait le droit ».

« Nous y verrions volontiers la reconnaissance d’une légitime autorité sur les autres États, autorité complexe qui comprend tout à la fois des vestiges de la législation, d’administration et de juridiction. Il appartient aux puissances qui disent la loi d’en surveiller l’exécution, de veiller aux intérêts généraux de la communauté internationale, de s’assurer si chaque gouvernement remplit ses devoirs envers ses ressortissants. En Europe, c’est au concert européen exclusivement qu’il appartient de pratiquer l’intervention d’humanité vis-à-vis des autres États. »

Ce texte défend qu’il y ait un certain nombre d’États civilisés porteur et défendeur des lois d’humanité qui peuvent au nom des droits naturels et de la justice intervenir dans les affaires du monde.

Lorsqu‘il dit : « La conclusion qui se dégage de cette étude est qu’il est pratiquement impossible de sépare les mobiles humains d’intervention des mobiles politiques et d’assurer le désintéressement absolu des États intervenants ». Le désintéressement des États est en fait un leurre et il faut le reconnaître : « Nous en dirons pas, comme Phillimore (1), que le respect du droit humain ne sera jamais qu’un motif accessoire d’intervention ; l’histoire a démontré pour l’honneur de l’humanité qu’il pouvait être un motif principal, comme il le fut lors de l’intervention française en Syrie. Mais ce ne sera jamais un motif unique. Dès l’instant que les puissances intervenantes sont juges de l’opportunité de leur action, elles estimeront cette opportunité au point de vue subjectif de leurs intérêts du moment ». Ce que nous dit Rougier est un axiome fondamental, certains États plus puissants que d’autres ont organisé l’ordre juridique et la politique internationale pour pouvoir intervenir pour le meilleur ou pour le pire.

Cette théorie d’intervention d’humanité est probablement un moyen de donner un fondement à ces interventions, mais surtout ce texte montre bien que les partisans de Grotius et de Vattel ont lu leurs classiques et le moment grotien est encore celui sur lequel repose l’ordre international. Ce texte montre toute l’ambiguïté, toute la dimension impériale de ce qu’on appelle aujourd’hui le « droit d’intervention humanitaire ». Il faut être conscient que le droit d’intervention d’humanité, le droit a la responsabilité de protégé sont des principes fondamentaux du droit international, mais il faut être lucide sur la dimension parfois un peu impériale de tels principes.

Annexes

  • "Annexation": The July–August 1845 editorial in which the phrase "Manifest Destiny" first appeared
  • Hoffmann Stanley. Aron (Raymond) - République impériale, Les États-Unis dans le monde 1945-1972., Revue française de science politique, 1973, vol. 23, n° 5, pp. 1097-1100.
  • Sen, A. (2010). Adam Smith and the contemporary world. Erasmus Journal for Philosophy and Economics, 3(1), 50. https://doi.org/10.23941/ejpe.v3i1.39

Références

  1. Alexis Keller - Wikipedia
  2. Alexis Keller - Faculté de droit - UNIGE
  3. Alexis Keller | International Center for Transitional Justice
  4. THRONTVEIT, T. (2011). The Fable of the Fourteen Points: Woodrow Wilson and National Self-Determination. Diplomatic History, 35(3), 445–481. https://doi.org/10.1111/j.1467-7709.2011.00959.x