« We shall overcome » : le mouvement des droits civiques / Counterculture made in USA

De Baripedia

Les années 1950 sont les années de la consommation et de la vie confortable, mais l’élite intellectuelle et la culture populaire s’inquiètent des conséquences de la vie moderne. Ces doutes se renforcent pendant les années 1960 notamment avec le mouvement des droits civiques qui réclame l’inclusion dans la « vie douce » des années 1950. Mais ce mouvement critique aussi le mode de vie américain, ce qui mène à la counterculture Made in the USA.

Les droits civiques et l’après-guerre

Le rêve américain et la vie douce n’existent pas pour tous. Louistown, par exemple, n’a pas une seule famille mixte en son sein et la doctrine « separate but equal » n’est pas vraiment une doctrine valable, car la ségrégation empêche l’égalité. Cependant, certaines choses commencent à bouger « grâce » à la Deuxième Guerre mondiale.

La Deuxième Guerre mondiale fut une bataille intellectuelle entre l’Ouest et le fascisme. La position étasunienne est assez faible dans cette bataille parce que la critique de l’idéologie raciale reste hypocrite à la vue de la façon dont les Noirs sont considérés au sein des États-Unis. Hitler puis l’URSS critiquent ouvertement le concept d’égalité des États-Unis qui n’existe que sur papier. Cette critique va trouver un certain écho en Amérique latine et notamment à Cuba.

Les Afro-Américains ressentent leur exclusion du rêve américain et de la vie publique. Beaucoup d’intellectuels blancs défendent la cause des minorités. Certains changements positifs ont toutefois lieu pendant la guerre. En effet, les Afro-Américains qui sont soldats dans la Deuxième Guerre mondiale sont forcés de servir dans des unités purement noires et sont considérés comme des soldats de moindre qualité. Mais on se rend rapidement compte que ce n’est pas le cas et la première réaction législative vient en 1942 lorsque le gouvernement fédéral organise le « Soldier Voting Act » qui abolit pour tous les soldats l’impôt obligatoire pour avoir le droit de voter[1]. De plus, a lieu en 1944 le jugement Smith vs. Allwright permettant à des candidats noirs de participer aux élections au Texas. Le sacrifice commun de la guerre a tourné l’opinion publique en faveur des minorités soulevant une intégration pragmatique des Noirs au sein même de l’armée. Néanmoins, un général noir ne se retrouvera jamais à commander des soldats blancs…

En 1948, Truman donne l’ordre de la déségrégation de l’armée, ce qui se fait très doucement. En effet, l’armée considère qu’elle n’a pas à faire de réformes sociales et changera sa politique lorsque la nation entière aura accepté de faire la révolution sociale.

Gagner des droits civiques au tribunal

Dans les années 1950, plusieurs groupes d’Afro-Américains revendiquent leurs droits devant des tribunaux. En 1954, un arrêt de la Cour suprême des États-Unis intitulé « ’Brown vs. Board of Education » demande à ce que les établissements secondaires ouvrent leurs portes à tous les élèves, y compris les Afro-Américains et les Mexicains. Cependant, les États du Sud décident de résister.

En Arkansas en 1957, une école préfère fermer ses portes que de laisser des Afro-Américains étudier dans leurs classes. La garde nationale doit être envoyée pour que les étudiants afro-américains puissent pénétrer dans l’école publique.

Un cas qui reste tristement célèbre est celui d’Emett Teal, jeune homme afro-américain sauvagement tué pour avoir sifflé sur le passage d’une femme blanche. Des photographies de presse immortalisent le corps du supplicié et touchent le public dans l’entièreté des États-Unis. Seules deux des personnes impliquées passent au tribunal et ils sont déclarés non coupables. Cet acquittement enflamme l’opinion publique nationale et internationale.

Gagner des droits civiques dans la rue : la mobilisation non-violente autour de Martin Luther King

Parks on a Montgomery bus on December 21, 1956, the day Montgomery’s public transportation system was legally integrated. Behind Parks is Nicholas C. Chriss, a UPI reporter covering the event.

Il reste un écart immense entre gagner les droits civiques au tribunal et les voir appliquer dans la vie de tous les jours.

C’est Rosa Park qui initie le boycott contre la ségrégation dans les bus. MLK et la « Southern Christian Leadership Conference » lancent un boycott dans les bus, ce qui touche fortement le chiffre d’affaires de la compagnie. En 1956, la Cour Suprême décide que la ségrégation dans les bus est anticonstitutionnelle.

MLK et la SCLC sont une aile très modérée et pacifique du mouvement de revendication des droits. On s’inspire de la résistance passive de Gandhi pour sa lutte de droits civiques. Cette lutte pacifique s’étend aux restaurants et autres lieux publics, où ils s’installent et refusent de s’en aller jusqu’à être servis.

Malheureusement, la réaction n’est pas aussi pacifique que la manifestation et dans des protestations de 1963, les interventions violentes de la police sont enregistrées et diffusées par les médias.

Au début des années 1960, Kennedy veut rendre illégale la ségrégation raciale dans tous les établissements publics, mais cette loi de 1963 ne passe pas.

Washington, 28 août 1963 : la victoire de la démocratie américaine ?

Après dix années de déségrégation, on dénombre encore très peu d’étudiants noirs et le taux d’électeurs afro-américains est encore très bas dans le Sud. La réalité sociale est encore très difficile pour les Afro-Américains qui quittent le Sud pour aller vers le Nord ou en Californie.

D’un côté, la marche sur Washington attire près de 250 000 personnes qui vont écouter Martin Luther King et son rêve américain. Mais d’un autre côté, il y a encore de la discrimination raciale, de la ségrégation et les réponses restent négatives aux protestations. Dans les années qui vont suivre, plusieurs pièces législatives importantes vont tenter de pousser cette question encore plus loin.

En 1964, le « ’Civil Rights Act » et le « ’Voting Rights Act » de 1965 en sont des exemples. Le premier est un projet de Kennedy repris par Johnson qui déclare illégale la discrimination par la race et la couleur dans les bâtiments et emplois publics, ce qui signifie que le gouvernement ne peut plus être à l’origine de discrimination. Le second abolit les tests de type scolaire comme condition afin de voter utilisés alors comme mesure de discrimination.

Ce genre de législations montre des résultats assez rapidement et le nombre d’électeurs afro-américains double en trois ans. C’est donc une certaine victoire du mouvement des droits civils et il y a une base législative visant à lutter contre la discrimination. Néanmoins, d’importantes d’importants pans de la société restent encore à réformer.

Des droits civiques au « Black Power » et à la fragmentation du mouvement

La situation se complique parce qu’après avoir obtenu leurs droits, les Afro-Américains continuent leur mouvement qui se fragmente. Entre autres, Malcom X et son groupe « La Nation Islamique » disait que les Afro-Américains devraient devenir musulmans et donc supérieurs au reste de la société américaine. Il suit donc une politique assez séparatiste et quelque peu raciste du côté islamique. D’autres organisations comme les « Black Panthers » sont plus radicaux et poussent la justice sociale à partir de 1966. Ils luttent pour l’inclusion sociale.

Cela devient délicat lorsque l’on touche à la question de l’atteinte des buts. Comment faire ? Rester non violent ou montrer les dents ?

Malcom X et les Black Panthers décident de passer à la lutte armée. On commence à donner des armes à certains groupes qui veulent faire la révolution armée comme celle ayant eu lieu à Cuba dans les années 1950. C’est l’idée qu’il est possible de changer la société avec les armes, idée répandue pendant les années 1960 grâce à l’exemple cubain.

Il y a aussi cette idée de « Black Power », nouveau slogan pour exprimer la fierté d’être noir, le fait qu’être noir n’implique plus un sentiment d’infériorité. C’est une identité africaine, un sentiment d’attachement à l’Afrique jugé meilleur à l’Amérique. Les Black Panthers ont donc une vision plus critique de la vision américaine ne cherchant plus l’inclusion, mais proposant une autre vision de cette société. C’est une vision de ségrégation raciale, mais selon les termes de la communauté noire.

Ce panorama se complique avec les émeutes raciales à partir de 1965. La première est l’émeute de Watts, suivie par des émeutes similaires, des centaines dans les années qui suivent. Ces émeutes sont marquées par des morts, blessés, mais aussi des destructions. Le Président se sent trahi, a l’impression d’avoir fait beaucoup pour les Afro-Américains et d’être « récompensé » de cette manière. Il met en place une commission d’enquête qui décide que le désordre est spontané et non organisé. Les médias ont diffusé les émeutes, ce qui donne des idées partout aux États-Unis. La radicalisation est un signe du malaise profond et on tolère de moins en moins la discrimination de tous les jours, opposée aux changements dans les textes légaux.

La radicalisation a comme suite la fragmentation du mouvement afro-américain. Étant donné que tous ne sont pas d’accord avec la tournure violente du mouvement, plusieurs groupuscules radicaux luttent pour leurs propres projets.

Remise en question de « the good life »

Il y avait des zones de friction autour de la question de la « good life » du rêve américain. L’individualisme est une valeur fondamentale des États-Unis étant invoquée très souvent dans l’histoire américaine. Ainsi, « L’Américain pense que tout son destin est entre ses propres mains ».

Mais dans les années 1950, des critiques commencent à monter. William Whyte est l’auteur du grand classique « ’The Organization Man » en 1956, ouvrage dans lequel il critique la vie d’après-guerre des hommes d’organisation. Whyte craint que les corporations suppriment la créativité et la responsabilité. Les hommes sont irresponsables et les banlieues sont les « dortoirs » des hommes d’organisation. Ce livre devient un best-seller, exprimant le malaise que l’on retrouve dans la population américaine qui se fait du souci sur leur vie.

Cet ouvrage a également soulevé la question du genre, puisqu’on se demande si les hommes sont encore virils dans ce mode de vie doux étant donné que le revers de la vie confortable est le fait qu’elle touche à la virilité des hommes. Est craint que ces hommes émasculés ne puissent plus lutter correctement contre le communisme.

Un autre angle de critique de cette société est celui de John Kenneth Galbraith, qui dans son ouvrage « La société riche » de 1958 présente une critique économique de la société américaine. Selon lui, la richesse est concentrée dans le secteur privé tandis que le secteur public stagne et n’a pas assez de fonds. Galbraith plaide pour qu’on ne base pas l’économie nationale sur la satisfaction des besoins de consommation. Ce message vient trop tôt en 1958 et n’est pas écouté, ce n’est que dix ans plus tard qu’il trouvera écho.

Même Hollywood exprime ce malaise et s’occupe du sujet de la « good life ». On aborde ce sujet notamment dans « ’The Man in the Grey Flannel Suit ». On cherche un sens à la vie.

Les doutes de Dwight Eisenhower

Le Président Eisenhower se pose également des questions. Eisenhower fut président pendant une décennie assez privilégiée et surprend le monde entier avec ses réflexions sur les effets de la Guerre froide, sur la militarisation et sur le complexe militaro-industriel. Déjà en 1953, il parle de son espoir pour la paix et critique la course aux armes atomiques qui « vole » des ressources qui pourraient nourrir ou habiller les plus démunis.

La menace soviétique devient plus forte avec le choc de Spoutnik en 1957 étant le premier satellite dans l’espace, qui est un satellite soviétique. Les Américains se rendent compte qu’ils sont en train de perdre la question technologique et la question de l’espace contre l’URSS. Cela donne une nouvelle dynamique à la Guerre froide, et même Eisenhower alloue des budgets énormes pour le programme spatial américain.

Mais en 1961, alors qu’il quitte la Maison blanche, Eisenhower lance un avertissement sur les dangers du complexe militaro-industriel. Pour lui, l’institution militaire jouit d’un très grand pouvoir aux États-Unis dans l’économie et dans la politique, mais aussi dans la vie idéologique, ce qui est nécessaire pour combattre l’URSS. Malgré tout, il faut en comprendre les implications et faire en sorte que cela ne détruise pas le processus démocratique.

Kennedy et Johnson : l’espoir incertain de la « Grande Société » pendant la Guerre froide

Lorsque Kennedy devient Président (1961-1963), il tente d’intégrer cette critique du rêve américain en tant que candidat contre Nixon. Il défend un programme de progrès et d’action d’entreprise dans tous les domaines. La Guerre froide reste au centre des préoccupations, mais il tente de mobiliser les jeunes pour ses projets, et veut les retirer de leur vie de banlieue trop facile. Il met en place beaucoup de programmes comme le Peace Corps, service civil à l’étranger (construction d’hôpitaux en Amérique latine, projets en Afrique, etc.). Il veut faire des réformes sociales aux USA et dans le monde entier. Il s’engage pour les droits civiques des Afro-Américains, comme nous l’avons vu. Il continue de plus le programme d’exploration spatiale. Finie, la vie douce.

Mais Kennedy est assassiné en 1963 alors de nombreux projets ne sont pas achevés et on ne peut pas savoir comment sa présidence se serait terminée.

Johnson devient Président en 1963 (-1968). Il essaie de se présenter comme le successeur idéologique de Kennedy, mais rajoute sa vision de la Grande Société. Il a beaucoup fait pour les civil rights, ce qui est très important. Mais la vision qui est derrière est une vision inclusive. Il veut que le monde confortable de banlieue soit accessible à toutes les couches de la société. Il veut lutter contre la pauvreté, qui est très présente à cette époque. Il développe des programmes comme le Economic Opportunity Act en 1964, le Housing and Urban Development Department, etc. Il met en place des programmes de santé et d’assurance, comme le Medicare et le Medicaid. Il tente réellement d’établir un filet de sécurité sociale, avec notamment les food stamps. Tout cela se fait dans les 4 ans après qu’il soit devenu président.

Ce projet de Grande Société semble être un succès. Mais la société américaine n’est pas satisfaite et ne se calme pas. Les réformes suscitent beaucoup d’inquiétude chez les uns, et de la résistance chez les autres. En effet, elles ont des effets polarisants, ce que l’on voit aux prochaines élections où un Républicain est élu. Comment en est-on arrivé là ?

La guerre du Vietnam et le mouvement antimilitaire

Évidemment, Eisenhower avait averti Kennedy qu’il fallait tenir le Vietnam hors des mains des communistes et Kennedy engage 16 000 conseillers militaires. Sous Johnson, on décide que le Vietnam serait une vraie guerre avec une participation de soldats américains, au maximum ½ million de soldats. C’est une escalade militaire très impressionnante.

Les médias diffusent la guerre en live et balancent les informations données par le gouvernement. La crédibilité du gouvernement est en danger lorsque les chaines de télévision montrent des scènes dramatiques, comme lorsque les soldats mettent le feu à des villages de civils. On découvre des violations graves des droits de l’homme faites par des soldats américains. Même au Congrès, on critique la façon de faire cette guerre, mais le gouvernement de Johnson ne peut pas rester crédible face à cela. La résistance des Américains contre cette guerre grandit. De premières manifestations ont lieu contre cette guerre.

Les débuts du mouvement écologique

Il y a aussi dans les années 1960 les débuts du mouvement écologique, lié à l’expérience nucléaire américaine. Au début, les Américains ne se souciaient pas trop des armes nucléaires, faisaient des essais nucléaires très dangereux sans se rendre compte des conséquences de ceux-ci sur la faune, la flore et l’homme. Lorsque l’on s’en rend compte, les scientifiques mettent en garde. Le gouvernement rejette toute critique jusqu’à 10 ans plus tard, lorsqu’ils admettent les dangers de la radiation. En 1963, les États-Unis signent un accord avec l’URSS pour cesser les essais nucléaires dans l’atmosphère.

Le gouvernement se soucie peu de l’environnement en général. Par exemple, on invente le DDT, « insect bomb » pour combattre les insectes porteurs de malaria. Après la guerre, on utilise ce poison dans l’agriculture, jusqu’à ce qu’une scientifique dénonce le danger de ce pesticide. On a essayé de faire taire cette scientifique, en partie parce que c’est une femme. On la traite de communiste, on ne la prend pas au sérieux jusqu’à ce que les scientifiques masculins admettent également les dangers du DDT.

Vers la fin des années 1960, on commence à se rendre compte que les ressources de la planète sont limitées et qu’il faut un certain retour à la nature. Un mouvement de protection des consommateurs se met en place qui veut les protéger des conséquences de (ô, ironie sublime) la société de consommation.

Conclusion

Les années 1950 et 1960 ont suscité beaucoup d’espoirs pour les Américains et ont en achevé beaucoup. Néanmoins, cette émancipation légale ne doit pas être confondue avec l’égalité sociale. Cet écart est justement une grande frustration pour les Afro-Américains qui restent encore exclus de la société américaine.

Les années 1950 sont aussi marquées par des critiques sur l’usage de ressources et de la vie trop confortable. Lorsque Johnson fut président, il tenta d’ouvrir ce rêve américain à des échelons plus grands de la société voulant y inclure tout le monde. Mais les conservateurs sont éprouvés des demandes de chacun, de tous les changements et du chaos de la mobilisation. Pour eux, les revendications sont sans fins enrayant le dialogue public, voulant simplement vivre leur vie et être laissées en paix. Il y a une fatigue liée aux réformes à la fin des années 1960.

Cette majorité silencieuse et fatiguée va donner la victoire à Nixon et aux conservateurs parce que la société américaine ressent une saturation. Cependant, les mouvements écologiste, féministe ou encore afro-américain continuent à lutter pour la justice sociale comme ils la perçoivent faisant que la société reste polarisée.

Annexes

Références

  1. Defense.gov,. (2015). Defense.gov News Article: Servicemembers to Follow Long Absentee Voting Tradition . Retrieved 10 May 2015, from http://www.defense.gov/news/newsarticle.aspx?id=51200