La théorie des capabilités d’Amartya Sen et Marta Nussbaum

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Ce qu’attaque Sen est ce qu’il appelle le caractère excessivement idéal de la théorie rawlsienne, à savoir d’institutionnalisme transcendantal.[8] Sen est au cœur d’une théorie de la justice qui est beaucoup plus empirique. Pour lui, il faut, à un certain moment, descendre les concepts sur quelque chose qui peut être opérationnalisable.

Pour lui, la question inhérente à la théorie de la justice n’est pas quelles seraient les institutions parfaitement justes ? Mais plutôt comment faire progresser la justice ? Ainsi, Sen vise à déterminer « les consensus raisonnés auxquels nous pouvons parvenir sur les moyens de réduire l’injustice en dépit de nos visions différentes des régimes 'idéaux' [de la justice] ».

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Le principal désaccord avec Rawls[modifier | modifier le wikicode]

En bon économiste, Sen veut aussi travailler sur des concepts qui ont un sens. Il met l’accent sur la capabilité qui n’est pas la capacité afin de dire qu’il partage avec Rawls pratiquement toute sa théorie, mais que Rawls tombe dans un travers, c’est-à-dire qu’il devient complètement transcendantal, à savoir que sa théorie est de plus en plus déconnectée des conditions concrètes de production de la justice.[9] D’autre part, Rawls devient un fétichiste des biens premiers sociaux, donc un fétichiste des ressources.[10] En d’autres termes, Sen conteste le fétichisme de Rawls pour les biens sociaux premiers, à savoir les biens nécessaires à la poursuite du projet de vie rationnelle des individus le portant davantage à déterminer les « bonnes choses » plutôt qu’à déterminer ce que se dernières produisent pour les êtres humains.[11]

La question de Sen est très simple : nos ressources ne nous servent à rien si elles ne sont pas considérées dans une relation à nous même. Si nous n’avons pas de bras, que nous détestons conduire et que l’État nous offre une Ferrari, cela ne nous servira pas à grand-chose. La problématique de Sen est très simple. Il dit qu’il faut penser la relation entre les biens premiers dont Sen ne conteste pas la pertinence. Où il est en désaccord est sur le fait qu’il faut sortir de la fiction d’imaginer que chacun aura besoin d’une distribution équitable des biens premiers parce que les gens vont utiliser les biens premiers de manière très différente en fonction de ce qu’il appelle leur capabilité.[12]

Pour Sen, « la place éminente que Rawls accorde à la métrique des biens premiers révèle la sous-estimation générale d’une réalité : des personnes différentes entre elles, pour des raisons de caractéristiques personnelles ou d’influence de leurs environnements physiques et sociaux, voire de privation relative (quand leurs avantages absolus dépendent de leur situation relative par rapport aux autres), risquent d’avoir des possibilités très différentes de convertir des ressources d’ordre général (comme le revenu au la fortune) en capabilité – ce que, concrètement, elles peuvent ou ne peuvent pas faire. Les écarts entre possibilités de conversion ne sont pas une simple question de « besoins spéciaux » : ils reflètent des variations omniprésentes – grandes, petites et moyennes – dans la condition humaine et les contextes sociaux pertinents ».[13][14]

En particulier, « une personne peut disposer d’un revenu plus élevé et d’une ration alimentaire plus abondante que ceux d’un autre individu, mais disposer néanmoins d’une moindre liberté de mener une existence de personne bien nourrie, en raison d’un métabolisme basal plus élevé, d’une plus grande vulnérabilité aux maladies parasitaires, d’une plus grande taille, ou d’une grossesse. De même, lorsqu’on aborde le problème de la pauvreté dans les pays riches, il faut tenir compte du fait que nombre de « pauvres », en termes de revenus et d’autres biens premiers, présentent également des caractéristiques – âge, handicap, mauvais état de santé, etc. – qui leur rendent plus difficile la conversion des biens premiers en capabilités de base, telles que la capacité de se déplacer, de mener une vie saine et de prendre part à la vie de la collectivité. Ni les biens premiers ni les ressources définies plus largement ne peuvent rendre compte de la capabilité dont jouit effectivement une personne ».[15] Donc, nous savons pour nous-mêmes si ce que nous recevons nous permet d’avoir une capacité au sens de capabilité à fonctionner, à être libre, si nous pouvons comparer les besoins de chacun.

Pour Sen, Rawls est tellement obsédé par les critères de répartition de ces biens sociaux premiers et il ne voit pas que ces biens sociaux premiers peuvent être parfaitement inutiles pour certaines catégories de la population qui n’ont pas la possibilité de les utiliser et de transformer ces biens premiers en liberté. L’idée est que la distribution égale des biens sociaux premiers ne suffit pas à garantir l’exercice de la même liberté effective et alors nous sommes libres dans la mesure où nous avons la capacité d’agir.[16][17] Donc, Sen est dans une conception de la liberté, mais il dit que pour que les gens soient libres, il est nécessaire qu’ils puissent jouir d’une distribution de capabilité de base leur permettant de pouvoir fonctionner et d’agir de manière libre. Pour Sen, ce qu’il faut égaliser ne sont pas les biens premiers, ce sont les possibilités effectives de fonctionner. Si quelqu’un d’analphabète ne peut pas travailler et que nous constatons que le manque de ce travail l’amène à des phénomènes de pauvreté, il y a un fonctionnement qui ne marche pas et dans ce cas, l’État libéral doit intervenir afin d’augmenter sa capacité ou sa capabilité à transformer quelque chose en un fonctionnement qui lui permette d’être libre. Donc, ce n’est pas le bien qu’il faut égaliser, mais la capabilité. Dans l’idéal, dans une société juste, nous aurons une situation hypothétique où tout le monde aurait les mêmes possibilités a priori de transformer ses capabilités en fonctionnement qui leur permettrait d’être libres ou de donner un sens à leur vie. Ceci implique une conception fine de l’analyse de ce qu’empiriquement permet cette capabilité ou pas de fonctionner. C’est pour cette raison que Sen a une théorie politique comparative très empirique.

La proposition de Sen : la justice par les capabilités[modifier | modifier le wikicode]

Amartya Sen.[18]

Ce que cherche Sen est de comparer des situations. Il dit que s’il doit penser à résoudre le problème des famines en Inde, il est plus utile de donner des ressources alimentaires plutôt que de donner des ressources en termes de respect de soi ; alors que pour Rawls, ces biens premiers sont tous au même niveau, on les distribue pour être juste. Pour Sen, il y a peut-être des situations qui impliquent que certaines ressources et dotations soient considérées comme étant prépondérantes par rapport à d’autres parce que si les personnes ne peuvent pas fonctionner, elles ne seront pas libres. Mais pour le faire, il est nécessaire de comparer les besoins, de comparer les relations entre les besoins et les ressources et ceci n’est qu’empirique. Les philosophes ne peuvent pas faire ce travail, ce sont des sociologues ou encore des économistes.[19]

Donc, la capabilité est la possibilité effective qu’a un individu de choisir diverses combinaisons de fonctionnements, donc une évaluation de la liberté dont il jouit effectivement d’accomplir certains actes.[20] C’est le fait d’avoir les ressources qui permettent de faire un choix qui va donner la possibilité de choix et donc la liberté. Pour Sen, en Inde, l’État a mis en place des programmes d’éducation universaliste, mais le problème est que les filles ont tendance à ne pas aller à l’école parce qu’elles ne peuvent pas quitter la maison parce qu’autour de leur présence à la maison s’est constitué un système économique qui fait que si les filles vont à l’école, ce petit microsystème économique familial tombe. Sen s’interroge sur la nécessité de construire des écoles qui resteront vides quand la capabilité de choix qu’il faut améliorer est quelque part de donner la capabilité aux filles indiennes de pouvoir choisir d’aller à l’école ou de rester à la maison. Ce degré de finesse ne peut pas être vu par Rawls selon Sen parce qu’il est trop obsédé par ces catégories très générales des biens sociaux premiers.

Pour Sen, être juste ne veut pas dire intervenir de la même manière en Inde, en Chine, en Nouvelle-Zélande ou en Suisse parce que les besoins et la manière par laquelle les individus donneront un contenu aux besoins va changer en fonction des ressources disponibles, des rapports de pouvoir ou encore des contextes qui permettent ou pas certains fonctionnements. Donc, d’avoir une théorie idéale, générale, abstraite présupposant des principes qui s’appliqueraient partout ne fonctionne pas et cela peut créer même plus d’injustice.

On en revient à cette théorie plus contextualiste et même comparative qui pose un problème parce que la première accusation qui nous vient à l’esprit est de dire que Sen est relativiste.[21] Il faudrait baisser les standards du traitement juste d’une fillette indienne par rapport au standard de justice d’une fillette new-yorkaise : cela est injuste, immoral et insatisfaisant du point de vue de la justice. Les universalistes diraient que la fillette indienne est traitée de manière juste si elle a le choix entre être femme de ménage à treize ans ou aller dans une école presque vide tandis que dans les fonctionnements d’une fillette new-yorkaise dans une société globale, on part de l’idée que maintenant, il est nécessaire que tout le monde ait des ressources afin de pouvoir s’acheter des téléphones portables ou des sacs. Si on accepte cette proposition, cela voudrait dire que les goûts de luxe des Occidentaux devraient avoir les mêmes retombées en termes de justice que les besoins d’égalisation de revenu d’une famille indienne. On voit un clivage se proposer entre une accusation de relativistes à la Sen et très contextualiste qui va chercher des comparaisons et évidemment les universalistes qui disent que les principes de justice sont les mêmes, quel que soit le contexte.[22]

Sen critique Rawls au sujet du fait que pour lui, penser aux moyens de réaliser la justice qui est l’équivalent des biens sociaux premiers sans penser à l’utilisation que les individus peuvent en faire ratent quelque par la cible de ce que devrait être une égalisation minimum des ressources permettant aux individus de fonctionner de manière équitable dans une société libérale.[23] C’est pour cette raison que pour lui, ce qui est nécessaire d’égaliser ce ne sont pas les biens en tant que tel même s’il ne conteste pas l’utilité de ces biens afin de pouvoir penser la justice, mais c’est plutôt les capabilités qui sont les capacités de base qui permettent aux individus de fonctionner d’une certaine manière dans l’espace démocratique et donc de donner un contenu effectif à leur liberté. L’idée de Sen est quelque part de dire que si on part de l’idée que les individus doivent être libres, il est nécessaire de penser les conditions leur permettant de le faire et une manière de penser à ces conditions est de regarder si les capabilités, autrement dit les capacités à transformer leurs ressources en actions libres et réelles existent ou pas.

Donc, ce qui est important pour Sen est vraiment l’idée d’une réalisation active de quelque chose permettant aux individus d’être libre. Ce qui permet effectivement cet exercice actif de liberté est une dotation de capabilités qui au fond, sont une espèce de chose qui permet d’utiliser des ressources dans un sens que ces dernières amènent à fonctionner d’une certaine manière. L’individu, par des capabilités, fonctionne.[24][25] Nous pouvons être doués naturellement des plus grandes capacités en termes de QI par exemple, mais si nous sommes dans une société qui ne valorise en rien le QI, ce fonctionnement ne sera tout simplement pas possible. À l’inverse, si on part de l’idée qu’un individu pour être libre, par exemple, doit être en bonne santé, doit avoir la possibilité d’avoir une activité professionnelle ou autre, donner des ressources sans se soucier de comment ces ressources seront transposées dans une action effective ne sert à rien. C’est sur ce point que Rawls intervient.

C’est l’égalité des capabilités de base, Sen est un peu réticent à l’idée de faire une liste définitive de ces capabilités parce qu’il part de l’idée que quelque part, la capacité ou pas de transformer ces capabilités en fonctionnement va dépendre de contextes spécifiques.[26][27][28] Il y a une autre nouveauté par rapport à Rawls ou encore Nozick qui est l’idée que, quelque part, une réflexion sur la justice ne peut être faite que de manière contextuelle, empirique et donc plutôt relative à des situations particulières et pas en utilisant des principes généraux et abstraits qui peuvent sembler séduisant en théorie, mais qu’on n’arrivera pas à transposer directement dans une action concrète.

Pourquoi chaque individu doit bénéficier des capabilités afin d’être libre ce qui veut dire que chaque individu a une fin en soi et il est nécessaire à faire en sorte à ce qu’il soit traité de la sorte, ce qui veut dire que lui aussi exclurait complètement de point de vue de la justice de réduire les capabilités de certains pour augmenter les capabilités d’autres par exemple. C’est la critique classique de beaucoup de versions du libéralisme à l’égard de l’utilitarisme.

Ce caractère « relativiste », est à replacer dans une approche métaéthique particulière qui veut dire en particulier la nature des valeurs qui pour certains existe quelque part et on peut le penser de manière rationnelle, alors que pour d’autres ces valeurs sont l’émanation de contextes et de situations sociales. C’est un peu la vieille diatribe entre Hegel et Kant.[29] Pour Sen, l’idée qu’il y a une base contextuelle renvoie à l’idée de degré de finesse qui pour Sen, Rawls et son approche n’arrive à saisir.

Par contre, l’une des limites de Sen est que du moment où il a une approche comparative et à partir du moment où les contextes jouent un rôle déterminant pour la détermination de ce qui ne va pas donc de ce qu’il s’agit d’égaliser, alors il est clair qu’il est possible d’imaginer des conflits importants et tragiques d’un point de vue moral parce qu’il n’y a pas nécessairement une réponse qui en découle concernant le type de capabilité qu’il est nécessaire d’égaliser à un certain moment. Si nous imaginons qu’il y ait un tel problème de capabilités de bases allant de pair avec des ressources de la part de l’État qui sont très limitées, donc on peut imaginer que l’État doit faire des choix concernant quel type de capabilité il va essayer d’augmenter. Il est possible de facilement imaginer que si X pourcentage du PIB seront consacrés à l’éducation par exemple, et bien, ce X pourcentage sera enlevé au développement du système de santé. Donc, le conflit tragique reviendrait à dire que, quel que soit le choix dans un contexte donné et fini, il est plausible d’imaginer qu’il y aura des perdants, à savoir des individus dont, pour des raisons contingentes, les capabilités ne pourront pas être assouvies. Où on critique Sen, non pas d’un point de vue économique et politique, mais d’un point de vue moral, il est évident que le caractère flou de sa démarche, flou au sens de ne pas poser un argument moral de principes concernant quelle capabilité, à quel moment et à quel niveau, ne permet pas quelque part de trancher ces conflits. Il renvoie le besoin de trancher les conflits qui se poseront au niveau de la distribution au niveau des contextes spécifiques.

C. Martha Nussbaum (Sex and social justice, 1999; Creating Capabilities. The Human Development Approach, 2011)[modifier | modifier le wikicode]

Martha Nussbaum en 2008.

Une des collègues de Sen est Martha Nussbaum qui est l’une des philosophes dominantes aujourd’hui s’inscrivant dans un paradigme libéral, mais qui vient d’une tradition aristotélicienne. Nussbaum a collaboré avec Sen afin de créer le Human Development and Capability Association qui vise quelque part à faire une interface entre des études éthiques morales de philosophes et de l’autre côté des travaux plus appliqués notamment sur des politiques publiques pour aider le développement de pays en développement ou en transition démographique.[30] Nussbaum partage et reprend essentiellement la logique de Sen concernant les capabilités, mais elle abouti à une liste qui est une identification de ce qui est pour elle des capabilités qui au même titre que les biens sociaux premiers doivent être égalisés plus ou moins, doivent faire l’objet d’une considération en termes de justice et donc dont des formes d’utilisation engagent la responsabilité de l’État.[31]

Nussbaum part également de l’idée que la capabilité est un moyen de liberté. Elle partage l’avis de Sen et introduit des distinctions que Sen n’introduit pas ou introduit différemment, en faisant des distinctions entres les capabilités internes qui sont les attitudes ou talents appris et développés dans un contexte particulier, les capabilités combinées qui sont ce que le contexte permet de faire avec ce que l’individu est capable de faire dans une situation particulière, et capabilités de base qui sont au fond les dotations naturelles que nous avons.[32]

Ce qui l’intéresse est surtout les capabilités combinées qui sont ce que les individus peuvent faire dans des contextes qui sont donnés, mais tout en étant confiant que ce que les individus peuvent faire dépend aussi en partie de la dotation de la capabilité de base qu’ils ont. Si par exemple, on part de l’idée que pour bénéficier de prestations sociales, nous devons être capable de courir le cent mètres en quatorze secondes, il est évidement pour Nussbaum que pour fonctionner dans le cas d’espèce au sens de bénéficier de prestations, il y aura des individus qui seront avantagés par leurs capabilités de base, à savoir leur force physique qui leur permettra d’être beaucoup plus facile à courir les cent mètres en quatorze secondes tandis qu’il y aura des personnes qui manqueront de cette capabilité, ils ne pourront pas la transformer en fonctionnement, à savoir courir en quatorze secondes et donc ils seront discriminés. La question est de savoir comment trouver l’adéquation entre ce que nous savons faire, ce que nous pouvons faire et le contexte dans lequel nous pouvons ou devons le faire.

Pour Nussbaum, ce qui est important est que, quelque part, les questions des capabilités raisonnent avec les questions d’égal respect et évidemment aussi de dignité.[33][34][35][36] Pour résumer, Nussbaum part de l’idée que le but d’une théorie de la justice ou d’une théorie du fonctionnement libre des individus n’est pas juste de vivre ou de survivre, mais il faudrait encore vivre de manière vraiment humaine, c’est-à-dire d’une manière qui soit conforme à un certain nombre de principes éthiques de base. L’influence aristotélicienne vient d’une vision un peu perfectionniste de la vie humaine qui fait que selon Aristote, être une espèce de paresseux qui ne s’intéresse pas à la chose publique, qui est complètement anomique est une vie, mais ce n’est pas vraiment une vie humaine.[37][38][39][40][41][42][43][44] Pour qu’une vie vraiment humaine soit présente pour Aristote, il faudrait par exemple développer un sens des vertus, il faudrait intégrer par l’éducation et développer des dispositions aux vertus qui permettraient aux individus de saisir un sens du juste, mais aussi un sens du bien.

Nussbaum va un peu dans cette direction, mais tout en restant tout de même dans une vision libérale. Pour elle, ces capabilités ne sont pas seulement importantes pour survivre, mais elles sont aussi importantes pour donner une sorte de possibilité de contenu éthique à la vie des individus, une vie selon Dworkin qui ne serait pas gaspillée. Une vie vraiment humaine dans cet esprit est une vie qui vaut la peine d’être vécue parce que les individus sont mis en mesure de pouvoir donner un contenu à leur conception du bien et en profiter. On s’éloigne un peu du procéduralisme pur où ce qu’il s’agit de faire est de mettre en place des procédures permettant aux individus d’interagir. Ici, il s’agit plutôt de penser à des formes de capabilités qui permettent aux individus d’avoir une vie qui soit suffisamment bonne pour permettre la dignité humaine, qui ait suffisamment de valeur pour donner un sens à la dignité humaine.

Quelles sont ces capabilités ? Nussbaum en distingue dix.[45][46][47] Elle propose une liste de capabilités centrales nécessaires à remplir, à savoir celle, en s’inspirant d’Aristote, qu’elle considère comme étant une vie vraiment humaine – a life that is truly human.[48] Une société décente doit garantir à tous au moins un seuil minimal de ces dix capabilités centrales :

  • la vie : pouvoir vivre sa vie jusqu’à la fin. C’est quelque chose qui n’est pas équitablement distribué aujourd’hui de par le monde pas seulement pour des raisons d’espérance de vie, mais aussi plus simplement par des critères d’assurer la vie quelque part ;
  • la santé du corps : si on veut fonctionner et être libre, nous avons intérêt à être en bonne santé ;
  • l’intégrité corporelle ;
  • sens, imagination et pensée : pouvoir utiliser les sens, l’imagination, la pensée et le raisonnement d’une « façon humaine », informée et éduquée ;
  • émotions : attachement à des choses et des personnes, à savoir l’amour pour ceux qui nous aiment et nous entourent et nous soignent, etc. ;
  • raison pratique : la possibilité de déterminer une conception du bien et d’engager une réflexion critique sur sa propre vie. C’est à la base de toute conception de la justice ;
  • affiliation : la possibilité de reconnaître et de montrer de l’empathie pour les autres êtres ainsi que le droit d’avoir une base sociale de respect de soi et une protection contre l’humiliation. En d’autres termes, c’est le droit d’être traité comme être digne ;
  • autres espèces : le droit de vivre avec respect pour et en relation avec des animaux et des plantes et l’ensemble du monde de la nature ;
  • jeu : la possibilité de rire, de jouer, d’avoir du plaisir ;
  • le contrôle sur son propre environnement : il va du contrôle politique, par la participation aux choix politiques, au contrôle matériel, à savoir la propriété privée, le fait d’avoir un emploi respectueux de l’être humain, etc.

Lorsqu’on voit cette liste, on se rend compte que l’on voit tellement de capabilités, qu’il est presque difficile de voir lesquelles aurait-on oubliées. Au-delà de l’avis que nous pouvons avoir et de la cohérence en termes de chacune de ces capabilités, il y a deux aspects qui en découlent. D’un côté l’intérêt. Tout comme pour Sen, cette liste permet d’avoir un étalon de comparaison, un standard permettant de dire que dans le contexte X, Y ou Z ou par rapport aux individus W, T, R, certaines capabilités de base qui sont celles qui permettraient aux individus de vivre de manière vraiment humaine, peuvent faire l’objet d’une comparaison. Donc, on pourrait dire que si on découvre que 10 % des gens seraient exclus de la possibilité d’avoir une intégrité corporelle saine, Nussbaum et Sen nous permettent de souligner l'existence d'une discrimination à l’égard des personnes concernées.[49]

Quelques problèmes[modifier | modifier le wikicode]

La question qui se pose est de savoir si ces capabilités ont tous le même poids, est-ce que quelque part entre la question de la possibilité que nous ayons de déterminer librement notre conception du bien et par exemple la possibilité d’avoir du plaisir au sens ludique du terme, est-ce qu’elles ont le même poids ?[50][51] À savoir qu’un système qui ne garantit pas équitablement ces deux capabilités sont en même temps coupable du même tort moral et implique les mêmes devoirs en termes de justice. Cette question est un peu problématique parce qu’il n’est pas très clair de comment Nussbaum tout comme Sen, quel est le problème inhérent à ces approches contextualistes permettant quelque part de trancher. Il est possible d’imaginer intuitivement qu’il est bien d’avoir une politique publique valorisant les divertissements ou encore le jeu, mais aujourd’hui, en Syrie, leurs soucis sont autres. Donc, quelque part, nous ne sommes pas choqués si quel que soit l’État légitime en présence, si l’État intervient sur d’autres fronts, il est aussi possible d’imaginer que demain, il y a un reportage qui se focalise sur la situation des enfants syriens dans des camps de réfugiés et nous avons à faire avec des entités corporelles qui n’ont aucune possibilité de jeu et d’être enfant, alors il est possible de se dire qu’il faudrait quand même mettre quelque chose en place.

La question est de savoir ce qui permet d’avoir non pas un argument empirique, mais un argument de principe concernant la manière de déterminer s’il y a une situation qui est plus injuste qu’une autre.[52] Dans d’autres textes, Nussbaum tente de répondre à cette question, mais il est clair qu’on pourrait la voir comme étant l’un des prix à payer comme étant du contextualisme. D’un côté, il y a des théories générales qui sont plutôt déconnectées de la réalité empirique et qui permettent d’avoir des réponses beaucoup plus tranchées en termes de justice ou de morale relevant quelque part d’arguments logiques, mais qui sont souvent un peu vagues voire peu opérantes, lorsqu’il s’agit d’analyser des situations concrètes ; et de l’autre côté, il y a des théories qui sont beaucoup plus performantes pour analyser des situations concrètes, mais qui ont le prix d’être moins capable que les théories idéales à proposer des réponses tranchées et univoques sur quel est le principe de distribution qu’il faut défendre dans le cas spécifique. Il est possible d’imaginer que, quelque part, le modèle idéal se trouve là au milieu d’un modèle qui soit ouvert à des considérations empiriques tout en n’étant pas aveugle à des facteurs de jugement évaluatif.

Un autre problème soulevé par l’approche de Nussbaum plus que l’approche de Sen est de savoir que si véritablement nous sommes contextualistes, est-ce qu’il fait sens d’aboutir à une liste de dix capabilités de base.[53][54][55] À ce moment, est-ce qu’il ne faudrait pas être contextualiste jusqu’au bout et dire que la liste soit elle est ouverte ou alors il ne faut pas en faire une parce qu’on pourrait imaginer que toutes ces capabilités font sens par rapport à une certaine conception classique qui vient des Grecques et jusqu’à nos valeurs judéo-chrétiennes. Mais est-ce qu’il est possible d’effectivement dire d’un point de vue empirique que toutes les personnes, tous les individus vivant dans des contextes sur cette planète se reconnaitraient dans l’importance de ces caractéristiques. Nous avons à faire avec quelque chose qui relève de cette distinction entre universalistes et relativistes qui reviendrait à dire que d’une part « oui », on peut comprendre ce qu’est la dignité humaine, ce qu’est une vie digne d’être vécue et il n’y a pas de raisons que dans d’autres contextes, des individus ne soient pas à la hauteur de ces critères qui seraient plutôt la position universaliste ; la position relativiste serait de dire qu’il faut peut-être accepter ou partir de l’hypothèse que ces valeurs ne sont pas nécessairement valorisées ou partagées par tout le monde et à ce moment-là, il faudrait laisser la place ou pour de nouvelles valeurs ou pas des critiques venants de ces contextes à ceci. On retrouve le clivage classique entre une conception relativiste, à savoir « les valeurs dépendent de » et une conception plus universaliste, à savoir « il est possible d’exporter la justice et d’exporter la morale » parce que nous sommes tous quelque part des êtres humains et en tant qu’être humain, il n’y a pas de discrimination, donc il n’y a pas de raisons que dans un contexte X, les gens ne souhaiteraient pas ce genre de chose. Que le contexte ne leur permette pas de le réaliser est une autre chose. Cette tension reste, mais il est clair que la question qui reste est « est-ce que toutes ces capabilités ont vraiment la même importance pour déterminer ce qu’est une vie vraiment humaine » et si on le sait, « peut-on imaginer que ceci fonctionne dans tous les contextes ». Par exemple, si on prend la capabilité sur le sens et l’imagination et de la pensée, il est possible d’imaginer que pour que cette capabilité se développe, il est nécessaire d’avoir un système d’éducation qui fonctionne. Il est possible d’imaginer que les facultés données aux individus d’utiliser leur imagination, pensée, esprit critique ou autre vont dépendre en partie d’une éducation adéquate, mais la question est de savoir ce qu’est une « éducation adéquate ». On pourrait imaginer, dans le cadre d’une comparaison au niveau du monde, quel modèle d’éducation pour quelles valeurs et dans quels buts qui serait de créer de nouveaux citoyens rationnels comme en France, ou d’apprendre à lire et à écrire, ou d’être performant dans le secteur tertiaire ; il est facilement possible d’imaginer que ne serait-ce que pour donner un contenu et pour déterminer concrètement si cette idée de développement d’un système d’éducation doit avoir la priorité sur d’autres capabilités, il est possible d’imaginer des débats très tendus ne concernant pas seulement comment le mettre en œuvre, mais aussi comment penser la force et l’importance de cette capabilité par rapport à d’autres capabilités qui pourraient nous paraître plus importantes. D’un point de vue économique, il y a quand même des indicateurs. Si un pays consacre 20 % de son PIB à l’armée et 0,3 % à l’éducation, nous pouvons avoir une vague idée du choix politique que le pays a fait. Dans ce cas-là, au moins, cette approche nous permet de dire d’aller voir si à ce manque de ressource pour l’éducation correspond un manque de fonctionnement et à ce moment-là il propose un argument critique pour thématiser en termes de justice un certain nombre de manques.

En prolongement, Martha Nussbaum a écrit sur la théorie du care.[56][57][58] Le care pourrait être une forme de sollicitude. Il y a la dimension sollicitude et affective. Il y a une sollicitude émotionnelle au sens d’essayer de faire le possible pour faciliter et donner de la qualité. Il est possible d’avoir une définition du care qui va plus dans le sens du besoin, à savoir qu’il y a des gens qui ont besoin de care, d’attention et d’aide et qu’il est nécessaire d’aider. Cette idée est intéressante parce qu’elle participe de la même logique empirique qui a été commencée par les tenants des capabilités. Le care est par définition relationnel, nous ne pouvons avoir du care pour nous-mêmes, le care va vers quelqu’un et quelque chose. Par exemple aider des personnes est prendre en charge un caractère émotionnel de quelqu’un tout en imaginant que ce caractère émotionnel humain est une partie constitutive d’une vie digne tout en imaginant que notre humanité sera rabaissée si un système, quel qu’il soit ne prend pas en compte cette considération et cette dimension. Intuitivement, on part de l’idée qu’une vie digne implique un traitement digne, mais un traitement digne n’est pas juste traiter les gens de manière impartiale, pas juste traiter les gens de manière équitable, mais c’est aussi traiter les gens d’une manière humaine qui veut dire reconnaître aussi les besoins humains de ces personnes. Donc, traiter les gens avec sollicitude voudrait dire traiter les gens en fonction de leurs besoins émotionnels, traiter les gens en fonction de leurs besoins voudrait dire traiter les gens en fonction des exigences qu’ils ont.

La théorie du care vient du féminisme à la base et on peut imaginer la fonction qu’elle a eue.[59] La théorie du care avait comme fonction de décloisonner et de rendre non occulte aux yeux de l’éthique libérale la dimension véritablement humaine des actes de justice. Avant cette dimension humaine, des actes de justice étaient faits par des femmes dans la sphère privée. C’était les femmes dans la sphère privée qui prenaient en charge les enfants, encore aujourd’hui, ce sont les femmes qui dans la sphère privée prennent en charge les ainés, un certain nombre de professions restent encore statistiquement des professions très féminines et les théories féministes ont montré que quelque part, le fait de continuer à penser la justice comme étant basée sur une séparation stricte entre sphère privée et sphère publique qui s’agit d’ordonner au sens de Rawls amenait à occulter complètement le travail fondamental fait par certains acteurs sociaux, dans le cas espèce les femmes, sur toute une dimension fondamentale de la justice et de l’humanité commune. Donc, le care a mis sous les projecteurs éthiques cette dimension. Il y a eu une dimension de critique de faire émerger un domaine d’action éthique qui n’était pas vue par Rawls et tout un tas d’auteurs en essayant de leur donner des titres de noblesse et d’essayer d’imaginer des formes de politiques publiques justifiées visant à donner une reconnaissance institutionnelle, mais aussi des moyens à ces politiques sociales du care.

Ce qu’il y a dans cette intuition du care est quelque chose qui présuppose une différente ontologie. Dans les théories du care et en partie déjà avec les théories des capabilités, on entre dans une autre ontologie du soi qui est celle à la base de la théorie libérale. Il s’agit d’une ontologie essentiellement relationnelle : nous sommes le produit de relations, nous sommes ce que notre interaction avec d’autres, au sens large, nous permet d’être. Donc, pour ces théories, si on ne théorise pas cette relation, le caractère relationnel de notre apport au monde, on rate quelque chose de fondamental. Des théoriciens du care pourraient dire qu’on peut avoir tous les biens sociaux premiers que l’on souhaite, mais s’il n’y a personne qui prend soin de nous lorsque nous sommes en détresse, notre vie ne sera pas à la hauteur d’une vie digne. Il est possible d’avoir tous les biens sociaux que l’on souhaite, mais si nous n’avons pas la possibilité de vivre des relations éthiques ou encore sociales satisfaisantes, et bien, ces biens premiers ne nous servirons pas à grand-chose.

On entend un peu des liens avec les capabilités parce que le care est un type de fonctionnement parmi d’autres. Nous avons besoin pour eux de certaines prises en considération de notre exigence sociale, émotionnelle ou autre. Ce qui est plus intéressant est que penser le care, penser les capabilités, nous amène à penser l’individu dans des termes relationnels, dans un contexte, nous sommes pris en charge ou quelque chose fait un objet de sollicitude à notre égard, nous ne pouvons pas nous faire de la sollicitude tout seul. Or, c’est quelque chose que nous n’avons vu ni dans la position originaire de Rawls, que nous n’avons pas vu dans le modèle de la vente aux enchères de Dworkin par exemple, que nous n’avons pas du tout vu chez Nozick ; là, nous avons un changement ontologique. C’est quelque chose qui a un lien direct, mais pas avec « tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre ‘monde’, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie » comme le relate de Tronto dans Un monde vulnérable. Pour une politique du care publié en 2009.[60][61] Cela injecte une dimension éthique que n’ont pas forcément les positions plus procéduralistes fines du juste que ne se posent pas les conceptions du bien, mais qui se posent essentiellement les critères de la répartition juste des ressources, des droits et des ressources sociétales.

Ce qui est important est de savoir si on pense la justice de la même manière. Si on introduit cette complexité sociale qui a des prolongements sur la reconnaissance notamment, est-ce qu’on rate quelque chose ? Il y a un élément au niveau de l’autonomie, à savoir que l’éthique du care introduit une conception relationnelle de l’autonomie donc un changement assez important avec ce modèle libéral qui présuppose un individu ayant une autonomie individuelle qu’il est capable d’exercer, quel que soit son contexte social dans lequel il est inscrit. Selon Tronto, cela change en partie notre manière d’envisager l’autonomie, cela donne une importance supplémentaire au contexte, donc toute solution universaliste ou à prétention universaliste à régler la justice de ce point de vue n’est pas seulement qu’elle ne marche pas, mais va créer encore plus de dégâts parce qu’elle va violer des éléments essentiels des spécificités individuelles des personnes. Donc, la question est qu’une théorie morale qui tienne la route doit avoir des principes nous permettant de guider le jugement moral, mais qui en même temps doit considérer sérieusement la pluralité de situations, contextes ou individus qui sont l’objet de discussions. Donc, il y a des contextes ou des situations spécifiques, ce qui évidemment rend difficile la possibilité d’aboutir à des réponses tranchées.

Il y a des auteurs qui ont abouti à des considérations analogues, mais à un autre niveau qui est un niveau plus général de la notion de communauté qui sont les communautariens et qui continuent un peu dans la même logique de contextualisation, de prise en considération du contexte culturel qui encadre les relations entre les individus et donc qui pour eux doit être un facteur fondamental afin de penser la justice.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]

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