La notion de « concept » en sciences-sociales

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En sciences sociales, un « concept » est une idée ou une catégorie abstraite qui permet aux chercheurs de classer et de comprendre le monde social. Les concepts sont des outils essentiels pour penser, analyser et expliquer les phénomènes sociaux. Ils nous aident à simplifier la complexité du monde social en regroupant et en organisant diverses observations, idées et phénomènes dans des catégories analytiques.

Les concepts peuvent prendre diverses formes en fonction de la discipline. Par exemple, en sociologie, des concepts comme "l'anomie", "la bureaucratie" ou "le capital social" sont utilisés pour caractériser et analyser des phénomènes sociaux spécifiques. En économie, des concepts tels que "l'équilibre du marché", "l'offre et la demande" ou "le capital humain" sont utilisés. En science politique, des concepts tels que "la démocratie", "le pouvoir" ou "la gouvernance" sont couramment utilisés.

La construction d'un concept est une étape importante dans la recherche en sciences sociales. Cela implique généralement une définition claire du concept, ainsi que l'identification de ses différentes dimensions ou caractéristiques. Parfois, les chercheurs peuvent également opérationnaliser les concepts, c'est-à-dire les traduire en variables mesurables qui peuvent être utilisées dans la recherche empirique.

Débats et controverses perpétuelles[modifier | modifier le wikicode]

La science politique est intrinsèquement dynamique et marquée par une succession de débats et de controverses en constante évolution. Ces discussions influencent profondément le paysage de la recherche dans ce domaine, qu'il s'agisse de questions théoriques, méthodologiques ou de fond. Les débats sont essentiels, par exemple, en ce qui concerne le rôle de l'État dans la société, avec des perspectives allant d'un État minimaliste à un État plus interventionniste. Un autre débat fondamental porte sur la définition de la démocratie, ses composantes essentielles et la manière de mesurer sa qualité. En outre, l'éternel débat sur le comportement individuel rationnel versus l'influence des normes et identités de groupe continue de façonner la compréhension de phénomènes politiques tels que le vote ou la formation de partis. Enfin, le débat sur la méthodologie, notamment entre les approches quantitatives et qualitatives, reste une question clé. La manière dont ces débats sont abordés et résolus influence l'évolution de la recherche en science politique, en améliorant notre compréhension des phénomènes politiques et en affinant les théories et méthodes dans ce domaine.

Ces débats en science politique sont perpétuels dans le sens où ils perdurent malgré le temps et les évolutions de la discipline. Ils sont souvent difficiles à résoudre par une simple analyse empirique car ils englobent des questions fondamentales de théorie et de philosophie, plutôt que des questions qui peuvent être résolues par la collecte de données ou l'observation directe. De plus, les différentes méthodologies, les définitions conceptuelles et les cadres théoriques peuvent influencer la façon dont les chercheurs interprètent les données empiriques, ce qui peut à son tour alimenter ces débats. De plus, ces débats sont souvent paradigmatiques, c'est-à-dire qu'ils concernent les cadres de base ou les paradigmes qui structurent la pensée en science politique. Un paradigme est une manière spécifique de comprendre le monde, qui comprend des hypothèses fondamentales sur la nature de la réalité et la façon de la connaître. Les débats paradigmatiques peuvent concerner, par exemple, la question de savoir si les individus sont essentiellement rationnels ou si leur comportement est fortement influencé par des facteurs sociaux et culturels, ou encore la question de savoir si la politique est essentiellement une question de lutte pour le pouvoir ou si elle peut aussi être influencée par des idéaux de justice ou de bien commun. Ces débats ont une importance cruciale car ils façonnent la façon dont les chercheurs en science politique conçoivent leurs études, interprètent leurs résultats et comprennent le monde politique. Ils contribuent à l'évolution de la discipline et stimulent la recherche et la réflexion continues.

Niveaux d'analyse en science politique[modifier | modifier le wikicode]

Kenneth Waltz, un éminent théoricien des relations internationales, a proposé dans son ouvrage "Man, The State, and War" (1959) une typologie des niveaux d'analyse des conflits internationaux. Cette typologie a engendré de nombreux débats et controverses dans le domaine des relations internationales et de la science politique en général.

Waltz a identifié trois "images" ou niveaux d'analyse :

  1. Le niveau individuel : Cela se concentre sur les individus et leurs actions. Cela inclut l'examen des caractéristiques personnelles des dirigeants, tels que leurs croyances, leurs valeurs, leur personnalité et leur comportement. Cela peut également impliquer l'étude des processus psychologiques, tels que la perception, la cognition et la motivation.
  2. Le niveau de l'État : Cela implique l'examen des caractéristiques internes des États, telles que leur structure politique, leur économie, leur culture et leur démographie. Cela pourrait également inclure l'étude des processus politiques au sein des États, tels que la prise de décision, la formulation de politiques et la gestion des conflits.
  3. Le niveau systémique : Cela se concentre sur le système international dans son ensemble. Cela implique l'examen de la structure du système international, y compris la distribution du pouvoir entre les États, les normes et les institutions internationales, et les patterns de relations entre les États.

Ces différents niveaux d'analyse offrent des perspectives différentes sur les conflits internationaux, et les chercheurs peuvent se concentrer sur un ou plusieurs de ces niveaux dans leurs analyses. Cependant, le choix du niveau d'analyse peut souvent être une source de controverse, car il peut influencer la manière dont un conflit est compris et, par conséquent, les stratégies qui sont considérées comme appropriées pour le résoudre.

Dans le cadre du niveau individuel d'analyse de Waltz, la nature humaine et les comportements individuels sont considérés comme des facteurs déterminants dans l'explication des conflits et de la guerre. Selon cette perspective, les traits humains tels que l'égoïsme, l'agressivité et la soif de pouvoir peuvent être vus comme des causes sous-jacentes de la guerre. L'idée est que certains aspects de la nature humaine, en particulier notre capacité à agir de manière égoïste ou agressive, peuvent nous pousser à entrer en conflit avec les autres. Par exemple, un dirigeant qui est animé par un désir de pouvoir et qui est prêt à utiliser la force pour l'obtenir pourrait être plus enclin à déclencher une guerre. Ces comportements individuels, lorsqu'ils sont multipliés à l'échelle d'une société ou d'une nation, peuvent alors conduire à des conflits à grande échelle. Par exemple, si de nombreux individus dans une société sont animés par des sentiments nationalistes forts et sont prêts à utiliser la violence pour défendre leur nation, cela pourrait augmenter le risque de guerre.

Cette perspective est controversée. De nombreux chercheurs soutiennent que la guerre ne peut pas être expliquée simplement par la nature humaine, et que des facteurs tels que la structure politique, l'économie, et le système international jouent également un rôle important. En outre, il existe une grande variété de comportements humains, et pas tous les individus ou toutes les sociétés sont égoïstes, agressifs ou assoiffés de pouvoir. Par conséquent, la mesure dans laquelle la nature humaine peut être considérée comme une cause de la guerre est une question de débat continu en science politique et en relations internationales.

Au niveau interne, le modèle de Waltz suggère que la politique étrangère et les conflits peuvent être influencés par une variété de facteurs domestiques. Les structures politiques internes, le type de régime, l'opinion publique, et les intérêts de groupes particuliers au sein de l'État peuvent tous avoir un impact significatif sur les décisions en matière de politique étrangère. Par exemple, dans un régime autocratique, les décisions peuvent être fortement influencées par les intérêts du dirigeant ou du groupe restreint qui détient le pouvoir. Cela peut inclure des intérêts personnels ou économiques, tels que le désir de maintenir le contrôle politique, ou les bénéfices qui peuvent être obtenus par le complexe militaro-industriel à travers la vente d'armes ou la reconstruction après un conflit. De même, l'opinion publique peut également jouer un rôle dans la politique étrangère. Si une grande partie de la population est en faveur de l'action militaire, par exemple, cela peut mettre la pression sur les dirigeants pour qu'ils adoptent une ligne plus dure dans leurs relations internationales. Inversement, une opposition publique généralisée à la guerre peut dissuader les dirigeants d'entrer en conflit. Tout comme avec le niveau individuel d'analyse, le niveau interne d'analyse ne peut pas expliquer tous les aspects de la politique étrangère ou des conflits. Les facteurs systémiques, tels que la distribution du pouvoir entre les États ou les normes et institutions internationales, peuvent également jouer un rôle significatif.

Le débat autour du niveau d'analyse interne en science politique, comme proposé par Waltz, est perpétuel en raison de plusieurs facteurs. D'abord, la politique interne est un champ complexe qui englobe une multitude de dimensions - des institutions aux pratiques économiques, culturelles et à l'opinion publique - dont l'interaction et l'influence sur la politique étrangère sont loin d'être clairement définies. Ensuite, la question de l'importance relative des facteurs internes par rapport aux autres niveaux d'analyse reste ouverte. Certains chercheurs estiment que les facteurs internes sont prédominants, tandis que d'autres privilégient les facteurs individuels ou systémiques. De plus, l'évolution constante des régimes politiques crée un terrain mouvant pour l'étude des facteurs internes. L'émergence de nouvelles formes de gouvernance, telles que le populisme, soulève de nouvelles questions sur leur impact sur la politique étrangère. Enfin, le débat sur la nature exacte de la causalité - comment les facteurs internes entraînent-ils spécifiquement des comportements à l'échelle internationale et quelle est leur importance relative - reste largement ouvert. Ces questions fondamentales assurent que le débat autour du niveau d'analyse interne persiste, stimulant ainsi la recherche et la réflexion en science politique et en relations internationales.

Le niveau externe d'analyse, aussi appelé niveau systémique, fait référence à la structure du système international dans son ensemble. Inspiré par le réalisme et le néo-réalisme, ce niveau met l'accent sur l'anarchie internationale, c'est-à-dire l'absence d'une autorité mondiale supérieure aux États-nations souverains. Dans ce contexte d'anarchie, les États sont considérés comme les acteurs principaux et sont perçus comme agissant en fonction de leurs propres intérêts pour garantir leur sécurité et leur survie. Cette perspective suggère que, dans un monde où chaque État est responsable de sa propre sécurité et où aucun pouvoir supérieur n'existe pour imposer l'ordre ou le droit, le conflit est inévitable. La peur d'être attaqué peut amener les États à se protéger en se dotant d'armes, et parfois même à déclencher une guerre pour prévenir une attaque potentielle. En d'autres termes, la nature anarchique du système international, en tant que facteur externe, peut pousser les États à s'armer et à se préparer à la guerre, même si cela peut mener à un cercle vicieux d'escalade des tensions et de conflit.

Chaque niveau d'analyse - individuel, interne et externe - propose une perspective unique sur les phénomènes politiques et a une part de vérité. En fonction du niveau d'analyse privilégié, différents aspects des questions politiques seront mis en avant, ce qui influencera l'orientation de la recherche et la conception des solutions proposées. Si l'on se concentre sur le niveau individuel, par exemple, l'attention pourrait être portée sur l'étude des dirigeants politiques, de leurs croyances, de leurs personnalités et de leurs motivations. Les solutions proposées pourraient alors inclure l'éducation des leaders ou la promotion de la psychologie positive. En revanche, si l'on privilégie le niveau interne, la recherche pourrait se concentrer sur les structures politiques, les régimes et les facteurs sociétaux. Les solutions pourraient alors concerner la réforme politique, la gouvernance démocratique ou l'amélioration de la participation citoyenne. Enfin, si l'on met l'accent sur le niveau externe, la recherche pourrait examiner la structure du système international, les relations de pouvoir entre les États et les mécanismes de la guerre et de la paix. Les solutions pourraient alors impliquer des réformes du droit international, la promotion de la coopération internationale ou l'amélioration des mécanismes de résolution des conflits.

Structure-agent : Comprendre les interactions[modifier | modifier le wikicode]

Dans le domaine des sciences politiques, et plus largement en sciences sociales, on trouve un débat persistant entre deux approches principales : le structuralisme, qui met l'accent sur les structures sociales, politiques et économiques, et l'agentivisme, qui privilégie les actions et décisions des individus, ou "agents". Les théories structuralistes argumentent que les structures - qu'elles soient économiques, politiques ou sociales - sont prédominantes dans la détermination du comportement des individus et des groupes. Par exemple, selon la théorie marxiste, les structures économiques déterminent en grande partie les relations politiques et sociales. D'un autre côté, les théories axées sur l'agent considèrent que les individus, par leurs actions, leurs décisions et leurs interactions, ont le pouvoir de modeler et de changer les structures. Un exemple pourrait être la théorie de l'acteur rationnel en économie, qui présuppose que les individus agissent en fonction de leur propre intérêt, et que ces actions individuelles façonnent les marchés et l'économie.

La plupart des théories et des chercheurs reconnaissent l'importance à la fois des structures et des agents, même s'ils peuvent différer sur laquelle de ces deux dimensions est prédominante. En réalité, structures et agents interagissent constamment et se façonnent mutuellement, dans un processus appelé "dualité de la structure" par certains sociologues comme Anthony Giddens. Ainsi, choisir de mettre l'accent sur les structures ou sur les agents n'est pas tant une question de "bonne" ou de "mauvaise" théorie, mais plutôt une question de perspective et de priorité théorique.

Le débat entre l'individualisme (qui met l'accent sur les agents) et le structuralisme (qui met l'accent sur les structures) est un débat ontologique, c'est-à-dire qu'il concerne la nature de l'être et de la réalité. Il s'agit de deux approches philosophiques différentes pour comprendre le monde social et politique. L'individualisme méthodologique, par exemple, considère que les individus et leurs actions sont les éléments fondamentaux de toute analyse sociale. Les structures sociales, dans cette perspective, sont vues comme le produit des interactions et des décisions individuelles. Inversement, le structuralisme soutient que les structures sociales existent indépendamment des individus et ont un impact déterminant sur leurs comportements. Les structures, dans cette perspective, sont conçues comme des entités réelles qui ont une existence propre et qui peuvent contraindre ou faciliter les actions des individus. La préférence pour l'individualisme ou le structuralisme ne peut pas être déterminée par la recherche empirique seule, car il s'agit de postulats philosophiques sur la nature de la réalité. C'est pourquoi les chercheurs peuvent recourir à la philosophie pour justifier leur choix ontologique, et pourquoi différents chercheurs peuvent avoir des approches différentes même lorsqu'ils étudient le même phénomène.

La théorie marxiste et la théorie du choix rationnel sont deux exemples de métathéories utilisées dans le domaine de la science politique. La théorie marxiste est une métathéorie qui met l'accent sur les structures économiques et sociales. Selon Marx, les structures économiques de la société (mode de production) déterminent en grande partie les relations sociales et politiques (superstructure). Dans cette perspective, les conflits de classes et les inégalités économiques sont au centre des problèmes politiques et sociaux. D'autre part, la théorie du choix rationnel est une métathéorie qui met l'accent sur l'individu en tant qu'agent. Cette théorie part du principe que les individus sont rationnels et agissent en fonction de leurs propres intérêts. Ils cherchent à maximiser leur utilité en pesant les coûts et les avantages de différentes options avant de prendre une décision. La théorie du choix rationnel est largement utilisée dans l'étude de nombreux domaines de la science politique, comme le vote, la législation, les coalitions politiques et les relations internationales. Ces deux métathéories offrent des perspectives complémentaires sur les phénomènes politiques : l'une met l'accent sur les structures et l'autre sur les individus. Combiner ces deux perspectives peut permettre une compréhension plus riche et plus nuancée de la politique.

Le débat entre le rôle des structures et des agents n'est pas limité à des paradigmes distincts, mais peut également se produire à l'intérieur d'un même paradigme ou d'une même école de pensée. Le marxisme en est un excellent exemple. Nicos Poulantzas, un théoricien marxiste structuriste, considérait que les structures économiques et sociales déterminaient en grande partie les comportements et les actions politiques. Selon lui, les lois inéluctables du développement économique, notamment la contradiction entre le capital et le travail, conduisent à des conflits de classe et à des transformations sociales et politiques. D'un autre côté, des penseurs marxistes tels qu'Antonio Gramsci ont davantage mis l'accent sur le rôle des agents, notamment des intellectuels et des dirigeants, dans la transformation de la société. Pour Gramsci, la révolution communiste nécessite une "guerre de position" dans laquelle les intellectuels et l'avant-garde jouent un rôle crucial pour sensibiliser les masses à la domination capitaliste et pour construire un contre-hégémonie culturelle et idéologique. Ces deux perspectives reflètent des points de vue différents sur la question de la structure et de l'agence au sein du paradigme marxiste. Elles illustrent la diversité des approches théoriques possibles, même au sein d'un même paradigme, et la richesse que cette diversité apporte à la compréhension des phénomènes politiques.

La science sociale et la pertinence de la théorie[modifier | modifier le wikicode]

En science sociale, la théorie joue un rôle central, mais elle n’est pas toujours claire :

  • La théorie comme une abstraction: La théorie est un outil pour nous aider à comprendre le monde de manière plus abstraite. Cependant, contrairement à ce que certains pourraient penser, elle n'est pas réservée uniquement aux philosophes ou aux intellectuels. Chacun de nous utilise constamment des théories pour interpréter et comprendre le monde qui nous entoure. Par exemple, si on pense que la récompense motive les gens à travailler plus dur, on applique en réalité une version simplifiée de la théorie de l'incitation. Les théories sont simplement des cadres de réflexion qui nous aident à structurer nos observations et nos pensées sur le monde.
  • La théorie comme étant déconnectée de la réalité: Il est également courant de penser que la théorie est déconnectée de la réalité ou qu'elle est subjective. Cependant, une bonne théorie en sciences sociales est basée sur l'observation empirique et est constamment testée contre celle-ci. La théorie peut commencer par des idées abstraites, mais ces idées sont ensuite liées à des hypothèses spécifiques qui peuvent être testées par l'observation ou l'expérimentation. Ainsi, loin d'être déconnectée de la réalité, une bonne théorie est constamment en dialogue avec elle.

L'approche inductive et déductive sont deux méthodes centrales dans le raisonnement scientifique, y compris en sciences sociales, et décrivent comment les faits et les théories interagissent.

  • Approche inductive : La méthode inductive part des observations spécifiques pour arriver à des généralisations ou à des théories plus larges. Par exemple, un chercheur pourrait commencer par des entretiens détaillés avec des personnes sans abri, puis utiliser ces entretiens pour développer une théorie plus générale sur les causes de l'itinérance. Cette approche est souvent utilisée en recherche qualitative.
  • Approche déductive : La méthode déductive, en revanche, commence par une théorie ou une hypothèse générale, puis cherche à trouver des observations spécifiques qui la soutiennent. Par exemple, un économiste pourrait commencer par l'hypothèse que l'augmentation du salaire minimum entraînera une augmentation du chômage, puis chercher des données pour tester cette hypothèse. Cette approche est souvent utilisée en recherche quantitative.

Dans la pratique, de nombreux chercheurs utilisent une combinaison d'approches inductives et déductives dans leur travail. Ils peuvent commencer par une théorie générale (approche déductive), puis utiliser des observations pour affiner ou modifier cette théorie (approche inductive). Ou ils peuvent commencer par des observations spécifiques (approche inductive), puis utiliser ces observations pour développer une nouvelle théorie ou hypothèse qu'ils testeront ensuite avec d'autres données (approche déductive). La complémentarité de ces deux approches aide à enrichir et à renforcer la recherche en sciences sociales, en assurant un dialogue constant entre la théorie et les observations.

Dans le contexte des sciences sociales, une théorie est une explication systématique des phénomènes observés. Elle fournit un cadre de compréhension et d'interprétation de la réalité, en reliant différents faits et observations pour expliquer des relations de cause à effet, des motifs, des comportements et des tendances dans la société. Une théorie n'est pas simplement une hypothèse ou une supposition. Elle est basée sur un ensemble d'hypothèses clairement définies et vérifiables, et elle est soutenue par des preuves empiriques. En outre, une bonne théorie devrait être capable de faire des prédictions précises sur les résultats futurs. Il existe souvent plusieurs théories différentes qui peuvent expliquer un même phénomène social. Par exemple, en sociologie, l'inégalité économique peut être expliquée par des théories marxistes (qui se concentrent sur les structures de classe et le capitalisme), des théories de l'échange social (qui se concentrent sur les interactions et les transactions individuelles), ou des théories institutionnelles (qui se concentrent sur les lois, les politiques et les structures sociales). Cependant, malgré leurs différences, toutes ces théories partagent le même objectif fondamental : aider à expliquer comment fonctionne la réalité sociale.

Une bonne théorie en sciences sociales a pour but d'identifier les facteurs et les processus qui structurent une partie de la réalité sociale. Elle sert à expliquer comment et pourquoi les choses se passent, et à anticiper comment les choses pourraient se passer dans différentes conditions. Voici quelques points importants concernant une bonne théorie :

  1. Identifie les facteurs importants : Une théorie devrait clairement identifier les variables ou facteurs qui sont importants pour le phénomène ou la question de recherche à l'étude. Ces facteurs peuvent inclure des caractéristiques individuelles, des comportements, des processus sociaux, des institutions, des structures sociales, et plus encore.
  2. Explique les relations entre ces facteurs : Une théorie devrait également expliquer comment ces facteurs sont liés les uns aux autres. Par exemple, elle pourrait expliquer comment les changements dans une variable (par exemple, le niveau d'éducation) affectent une autre variable (par exemple, le revenu).
  3. Propose des lois ou des principes généraux : Une théorie devrait proposer des principes généraux ou des "lois" qui expliquent le comportement des facteurs étudiés. Par exemple, une théorie économique pourrait proposer une loi selon laquelle, toutes choses étant égales par ailleurs, une augmentation de la demande pour un produit entraînera une augmentation de son prix.
  4. Est vérifiable : Une théorie devrait être formulée de manière à pouvoir être testée par l'observation et l'expérience. Cela signifie qu'elle devrait faire des prédictions spécifiques qui peuvent être confirmées ou infirmées par des données.
  5. Est applicable à une variété de contextes : Une bonne théorie devrait être assez générale pour s'appliquer à une variété de contextes et de situations, bien que certaines théories puissent être spécifiques à certains contextes culturels ou historiques.

Dans "Doing Comparative Politics: An Introduction to Approaches and Issues", Lim met en lumière la fonction d'une théorie comme un moyen de filtrer et d'organiser notre compréhension de la réalité.[1] Il définit la théorie comme une représentation simplifiée de la réalité, c’est un prisme par lequel les faits sont sélectionnés, interprétés, organisés et reliés entre eux de sorte qu’ils forment une totalité cohérente. Les points clés de cette définition sont :

  1. Simplification de la réalité : La réalité est incroyablement complexe. Une théorie fournit une représentation simplifiée qui permet de comprendre plus facilement des phénomènes spécifiques. Elle permet de concentrer l'attention sur les aspects les plus pertinents de la réalité pour une question de recherche donnée.
  2. Prisme : Une théorie agit comme un prisme, aidant à sélectionner et à mettre en lumière certains faits tout en mettant d'autres faits dans l'ombre. Cette sélection est cruciale car il est impossible de considérer tous les faits à la fois.
  3. Interprétation et organisation : Une théorie fournit un cadre pour interpréter et organiser les faits. Elle aide à donner du sens aux observations et à les regrouper de manière significative.
  4. Cohérence : Une bonne théorie présente un ensemble cohérent de faits et d'arguments. Elle relie divers éléments de manière logique et systématique.

Les théories jouent un rôle crucial dans la structuration de notre compréhension de la réalité. Elles aident à organiser et à relier les faits, à identifier les relations de cause à effet, et à mettre en lumière les structures et les processus sous-jacents qui peuvent ne pas être immédiatement évidents. Par exemple, dans le domaine de la sociologie, la théorie du conflit aide à organiser les faits autour de l'idée que la société est structurée par des conflits de classe et d'autres formes de lutte pour le pouvoir. Elle relie divers faits - comme l'inégalité économique, la discrimination raciale, et le sexisme - à une analyse plus large de la manière dont le pouvoir est distribué et contesté dans la société. De même, en économie, la théorie de l'offre et de la demande aide à organiser les faits en suggérant que les prix sont déterminés par l'interaction entre ce que les gens sont prêts à payer pour un bien ou un service (la demande) et la quantité de ce bien ou de ce service qui est disponible (l'offre). Ces théories ne réduisent pas seulement la complexité de la réalité en fournissant des simplifications utiles, elles aident également à ordonner la réalité en structurant notre compréhension des faits. Elles fournissent un cadre cohérent pour l'interprétation et l'explication des phénomènes que nous observons, ce qui permet aux chercheurs de formuler des hypothèses, de conduire des recherches, et de développer une compréhension plus profonde de la réalité sociale.

Une théorie, dans son essence, est une argumentation cohérente qui repose sur une logique interne solide. Elle décrit et explique les mécanismes qui sous-tendent une relation causale et fournit un cadre qui lie les concepts, les variables et les faits d'une manière qui donne du sens. En sciences sociales, une théorie bien construite doit identifier les relations entre les concepts ou les variables, préciser la nature de ces relations (par exemple, si une augmentation d'une variable entraîne une augmentation ou une diminution d'une autre), et expliquer pourquoi ces relations existent. La théorie doit également être suffisamment précise pour permettre de faire des prédictions qui peuvent être testées empiriquement. Par exemple, dans la théorie du capital humain en économie, l'éducation est considérée comme un investissement qui augmente la productivité et le potentiel de gains d'un individu. Cette théorie suggère une relation causale : une augmentation de l'éducation entraîne une augmentation des revenus. Les mécanismes qui soutiennent cette relation incluent l'acquisition de compétences et de connaissances qui augmentent la productivité de l'individu. Cependant, une théorie n'est pas seulement une description de la réalité, c'est aussi un outil pour changer cette réalité. En identifiant les mécanismes qui sous-tendent les relations causales, une théorie peut aider à identifier les leviers d'action possibles pour influencer les résultats. Par exemple, si l'on accepte la théorie du capital humain, alors une politique possible pour augmenter les revenus serait d'investir dans l'éducation.

On peut penser à deux analogies pour saisir la notion de théorie :

  • La théorie comme paire de lunettes : Cette analogie illustre bien la manière dont une théorie nous aide à filtrer et à interpréter les informations que nous percevons. Tout comme une paire de lunettes peut aider à améliorer notre vision en mettant certaines choses au point ou en filtrant certaines longueurs d'onde de lumière, une théorie aide à mettre en évidence certains aspects de la réalité sociale tout en en minimisant d'autres. Chaque théorie offre une perspective unique qui nous permet de voir certains aspects de la réalité plus clairement, tout en occultant potentiellement d'autres aspects.
  • La théorie comme carte : De la même manière qu'une carte est une représentation simplifiée de la réalité géographique qui met l'accent sur certains détails (comme les routes, les frontières ou les reliefs) tout en en omettant d'autres, une théorie est une représentation simplifiée de la réalité sociale qui met l'accent sur certains aspects de celle-ci. Les cartes peuvent varier en fonction des informations que l'on souhaite mettre en évidence, de même, les théories peuvent différer en fonction des aspects de la réalité sociale que l'on souhaite mettre en avant.

Tout comme il est utile d'avoir plusieurs types de cartes (par exemple, une carte routière, une carte topographique, une carte politique), il est également utile d'avoir plusieurs théories pour comprendre pleinement la complexité de la réalité sociale. Chaque théorie offre un éclairage unique, et ces éclairages peuvent souvent se compléter pour donner une image plus complète et nuancée.

La distinction entre les perspectives de Karl Marx et de Max Weber illustre deux approches fondamentales de la théorie en sciences sociales.

  • L'approche de Karl Marx: Marx considérait la théorie non seulement comme un moyen de comprendre la réalité sociale, mais aussi comme un outil pour la transformer. Pour lui, le but de la théorie était d'identifier les structures de pouvoir et d'exploitation dans la société (en particulier dans le contexte du capitalisme) et de fournir une base pour l'action politique et sociale visant à créer une société plus équitable. Sa célèbre déclaration, "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, il s'agit maintenant de le transformer," met en lumière cette conviction que la théorie doit être appliquée de manière pratique pour améliorer la condition humaine.
  • L'approche de Max Weber: D'un autre côté, Weber voyait la théorie plus comme un outil de compréhension objective de la réalité sociale. Pour lui, le but de la théorie était de décrire et d'expliquer la réalité sociale de manière aussi précise et neutre que possible, sans nécessairement chercher à la transformer. Cette approche est souvent associée à l'idée de "valeur-neutralité" en sciences sociales, qui soutient que les chercheurs doivent s'efforcer de rester objectifs et de ne pas laisser leurs propres valeurs ou idéologies influencer leurs recherches.

Ces deux approches ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives. De nombreux chercheurs en sciences sociales estiment qu'il est important de comprendre la réalité sociale de manière objective (à la manière de Weber), mais reconnaissent également que cette compréhension peut et doit être utilisée pour informer l'action sociale et politique (à la manière de Marx). En fin de compte, la manière dont un chercheur envisage le rôle de la théorie dépendra de ses propres perspectives philosophiques et éthiques.

La perspective de Karl Marx sur la théorie souligne le potentiel qu'elle a de servir de levier pour le changement social et politique. Pour Marx, la théorie n'est pas simplement un outil pour comprendre le monde, mais un moyen de le transformer activement. Dans cette vision, la théorie n'est pas une activité purement académique ou intellectuelle, mais elle a une pertinence et une utilité directes pour le monde réel. Dans l'œuvre de Marx, cette idée est étroitement liée à sa théorie de la lutte des classes. Selon Marx, la théorie peut aider à éclairer les structures de pouvoir et d'exploitation dans la société, en particulier en ce qui concerne les relations entre les classes sociales dans le système capitaliste. En conscientisant les classes ouvrières de leur exploitation, Marx pensait que la théorie pourrait servir d'outil pour inciter à la révolution et à l'établissement d'une société communiste. Cela dit, il est important de noter que bien que l'approche de Marx mette l'accent sur le rôle actif de la théorie dans le changement social, cette perspective n'est pas nécessairement partagée par tous les chercheurs en sciences sociales. Certains peuvent voir la théorie davantage comme un outil pour comprendre le monde plutôt que pour le changer. Néanmoins, la perspective de Marx met en évidence l'une des façons dont la théorie peut être considérée comme ayant une pertinence et une utilité directes pour la société.

Robert Cox, un éminent théoricien des relations internationales, a bien articulé cette perspective dans son travail dans son ouvrage Social Forces, States and World Orders: Beyond International Relations Theory[2]. Selon lui, toute théorie a une perspective — elle est "toujours pour quelqu'un et pour certains objectifs". Cette affirmation repose sur l'idée que la théorie n'est jamais totalement neutre ou objective, car elle est toujours influencée par les valeurs, les croyances et les objectifs des individus qui la développent et l'utilisent. Cox a fait une distinction entre ce qu'il appelait les théories "problème-résolution" et les théories "critiques". Les théories de résolution de problèmes acceptent le monde tel qu'il est et cherchent à rendre les systèmes et structures existants plus efficaces. Elles sont généralement favorables au statu quo et à l'ordre existant. D'autre part, les théories critiques remettent en question l'ordre existant et cherchent à comprendre comment et pourquoi il a été créé. Elles visent à exposer les forces et les structures de pouvoir qui sous-tendent la réalité sociale et, souvent, à envisager des moyens de changer ces structures. Cela souligne une fois de plus que les théories ne sont pas simplement des descriptions neutres de la réalité. Elles sont influencées par les perspectives et les objectifs des théoriciens, et elles peuvent à leur tour influencer notre compréhension de la réalité et notre action sur le monde.

Max Weber, un des fondateurs de la sociologie moderne, a fortement soutenu l'idée de la neutralité axiologique, c'est-à-dire la séparation des faits et des valeurs dans la recherche scientifique. Selon Weber, alors que les valeurs peuvent guider le choix des sujets de recherche, les chercheurs devraient s'efforcer d'être aussi objectifs et impartiaux que possible lorsqu'ils analysent et interprètent les données. Weber soutenait que, bien que la recherche en sciences sociales puisse éclairer les conséquences possibles de différentes actions ou politiques, elle ne peut pas nous dire quelle action ou politique nous devrions choisir. C'est parce que le choix entre différentes valeurs ou fins est en fin de compte une question de jugement personnel ou moral, et non de fait scientifique. En termes pratiques, cela signifie que les chercheurs devraient présenter les faits tels qu'ils sont, sans les juger selon leurs propres critères de bien et de mal, de juste et d'injuste, de meilleur ou de pire. Par exemple, un sociologue qui étudie une certaine pratique culturelle devrait s'efforcer de la décrire et de l'expliquer aussi objectivement que possible, sans exprimer son approbation ou sa désapprobation personnelle. La neutralité axiologique ne signifie pas que les chercheurs ne doivent pas avoir de valeurs personnelles ou qu'ils doivent éviter des sujets de recherche qui ont des implications éthiques ou politiques. Plutôt, cela signifie que lorsqu'ils effectuent leur recherche, ils devraient s'efforcer de séparer leurs analyses et leurs conclusions de leurs propres jugements de valeur.

La perspective de Weber sur la neutralité axiologique a été très influente et continue d'être une norme importante dans de nombreux domaines des sciences sociales. Cependant, elle a aussi été critiquée. Certains suggèrent qu'il est impossible pour les chercheurs d'éviter totalement que leurs valeurs influencent leur travail. D'autres argumentent que la recherche en sciences sociales devrait avoir pour but non seulement de comprendre le monde, mais aussi de le changer, une position qui s'oppose à l'idée de neutralité axiologique. C'est un débat qui continue dans les sciences sociales aujourd'hui, et différentes perspectives peuvent être plus ou moins pertinentes selon le sujet de recherche et la méthodologie utilisée.

Max Weber, dans son essai "Politik als Beruf" (La Politique comme Vocation), a élaboré sa vision de la neutralité axiologique. Cet essai, écrit en 1919, est souvent considéré comme une définition classique de la neutralité axiologique en sciences sociales. Dans "La Politique comme Vocation", Weber a soutenu que bien que la science (y compris les sciences sociales) puisse aider à clarifier les moyens par lesquels un certain objectif politique peut être atteint, elle ne peut pas déterminer quelle fin ou quel objectif devrait être poursuivi. Selon lui, cela relevait de la sphère de la politique et du jugement personnel, et non de la science. La neutralité axiologique, dans la perspective de Weber, est une tentative de maintenir une séparation entre ces sphères - pour éviter que la science ne devienne trop politisée, ou que la politique ne devienne trop scientifisée. Il s'agit d'un idéal selon lequel les chercheurs s'efforcent de rendre compte de la réalité aussi objectivement et impartialement que possible, sans laisser leurs propres valeurs ou jugements politiques influencer leur travail.

L’extrait suivant est issu d’une série de conférences prononcées en 1919 à l’Université de Munich. Weber développe une réflexion sur la nature du travail scientifique : "Arrêtons-nous maintenant un instant aux disciplines qui me sont familières, à savoir, la sociologie, l'histoire, l'économie politique, la science politique et toutes les sortes de philosophie de la culture qui ont pour objet l'interprétation des diverses sortes de connaissances précédentes. On dit, et j'y souscris, que la politique n'a pas sa place dans la salle de cours d'une université. Elle n'y a pas sa place, tout d'abord du côté des étudiants. Je déplore par exemple tout autant le fait que dans l'amphithéâtre de mon ancien collègue Dietrich Schäfer de Berlin un certain nombre d'étudiants pacifistes se soient un jour massés autour de sa chaire pour faire du vacarme, que le comportement des étudiants anti-pacifistes qui ont, semble-t-il, organisé une manifestation contre le professeur Foerster dont je suis pourtant, par mes propres conceptions, aussi éloigné que possible pour de multiples raisons. Mais la politique n'a pas non plus sa place du côté des enseignants. Et tout particulièrement lorsqu'ils traitent scientifiquement les problèmes politiques. Moins que jamais alors, elle n'y a sa place. En effet, prendre une position politique pratique est une chose, analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis en est une autre. Lorsqu'au cours d'une réunion publique,on parle de démocratie, on ne fait pas un secret de la position personnelle que l'on prend, et même la nécessité de prendre parti de façon claire s'impose alors comme un devoir maudit. Les mots qu'on utilise en cette occasion ne sont plus les moyens d'une analyse scientifique, mais ils constituent un appel politique en vue de solliciter des prises de position chez les autres. Ils ne sont plus des socs de charrue pour ameublir l'immense champ de la pensée contemplative,mais des glaives pour attaquer des adversaires, bref des moyens de combat. Ce serait une vilenie que d'employer ainsi les mots dans une salle de cours.Lorsqu'au cours d'un exposé universitaire on se propose d'étudier par exemple la « démocratie », on procède à l'examen de ses diverses formes, on analyse le fonctionnement propre à chacune d'elles et on examine les conséquences qui résultent de l'une et de l'autre dans la vie; on leur oppose ensuite les formes non démocratiques de l'ordre politique et l'on essayera de pousser son analyse jusqu'au moment où l'auditeur sera lui-même en mesure de trouver le point à partir duquel il pourra prendre position en fonction de ses propres idéaux fondamentaux. Mais le véritable professeur se gardera bien d'imposer à son auditoire, du haut de la chaire, une quelconque prise de position, que ce soit ouvertement ou par suggestion - car la manière la plus déloyale est évidemment celle qui consiste à laisser parler les faits. Pour quelles raisons, au fond, devons-nous nous en abstenir ? Je présume qu'un certain nombre de mes honorables collègues seront d'avis qu'il est en général impossible de mettre en pratique cette réserve personnelle, et que même si la chose était possible, ce serait une marotte que de prendre pareilles précautions. Dame ! On ne peut démontrer scientifiquement à personne en quoi consiste son devoir de professeur d'université. On ne peut jamais exiger de lui que la probité intellectuelle, ce qui veut dire l'obligation clé reconnaître que d'une part l'établissement des faits, la détermination des réalités mathématiques et logiques ou la constatation des structures intrinsèques des valeurs culturelles, et d'autre part la réponse aux questions concernant la valeur de la culture et de ses contenus particuliers ou encore celles concernant la manière dont il faudrait agir dans la cité et au sein des groupements politiques, constituent deux sortes de problèmes totalement hétérogènes. Si l'on me demandait maintenant pourquoi cette dernière série clé questions doit être exclue d'un amphithéâtre, je répondrai que le prophète et le démagogue n'ont pas leur place dans une chaire universitaire […] je suis prêt à vous fournir la preuve au moyen des œuvres des historiens que chaque fois qu’un homme de science fit intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a pas plus de compréhension intégrale des faits"

Cet extrait met en lumière la perspective de Max Weber sur la distinction entre jugement de valeur et jugement de fait, et l'idée de neutralité axiologique. Pour Weber, la salle de cours universitaire (et, par extension, le domaine de la recherche académique) devrait être exempte de politique, dans le sens où ni les étudiants ni les enseignants ne devraient laisser leurs convictions politiques personnelles influencer leur approche de l'étude. Il est particulièrement critique à l'égard des enseignants qui chercheraient à imposer leurs propres prises de position à leurs élèves, que ce soit de manière ouverte ou subtile. Weber met en avant la distinction entre "prendre une position politique pratique" et "analyser scientifiquement des structures politiques et des doctrines de partis". Alors que la première implique un engagement personnel et l'utilisation du langage comme "moyen de combat", la seconde implique une analyse objective et désintéressée, visant à permettre aux étudiants de comprendre les faits de manière à pouvoir formuler leurs propres jugements. C'est ce que Weber entend par neutralité axiologique : la nécessité pour le chercheur de se tenir à l'écart de la politique, en veillant à séparer soigneusement le jugement de fait du jugement de valeur. C'est une vision qui a eu une influence considérable sur les sciences sociales, même si elle a aussi été l'objet de critiques et de débats.

Weber a fait valoir que les chercheurs devraient s'efforcer d'atteindre l'objectivité en séparant leurs propres jugements de valeur de leur analyse des faits. C'est le principe de "neutralité axiologique". Cependant, cela ne signifie pas que les questions normatives - c'est-à-dire les questions de ce qui devrait être, plutôt que de ce qui est - n'ont pas leur place en science politique. Il existe de nombreux domaines de la science politique qui s'occupent de questions normatives, tels que la théorie politique, l'éthique politique, et certains aspects de la politique publique et de l'administration. La "révolution du choix rationnel" a conduit à une approche plus formalisée et plus quantitative de l'analyse politique, basée sur l'hypothèse que les individus agissent de manière à maximiser leur utilité personnelle. Cependant, bien que cette approche puisse offrir des aperçus précieux sur le comportement humain, elle a aussi été critiquée pour sa tendance à négliger d'autres facteurs importants, tels que les normes sociales, les valeurs culturelles, et la complexité et l'incertitude inhérentes à de nombreuses situations politiques. En fin de compte, l'équilibre entre l'analyse objective des faits et l'engagement avec les questions normatives est un sujet de débat continu en science politique, et différentes approches peuvent être appropriées dans différents contextes.

La théorie politique normative se distingue en ce sens qu'elle cherche à évaluer comment les choses devraient être, plutôt qu'à décrire comment elles sont. Ce champ d'études se penche sur des questions d'éthique et de philosophie morale et politique, en s'interrogeant par exemple sur ce qui rend un gouvernement juste ou injuste, ou sur ce qui constitue une société bonne ou mauvaise. Dans le contexte de la démocratie parlementaire, une étude normative pourrait évaluer la valeur intrinsèque de la démocratie parlementaire en tant que système de gouvernement. Cela pourrait impliquer l'examen des principes philosophiques sous-jacents à la démocratie parlementaire, tels que l'égalité, la liberté d'expression et le droit de participer à la gouvernance politique, ainsi que des questions d'éthique politique plus larges. La théorie politique normative ne prétend pas à la même objectivité que d'autres domaines de la science politique. Au lieu de cela, elle implique souvent l'articulation et la défense de positions éthiques spécifiques. Cela ne signifie pas pour autant que ce travail est dépourvu de rigueur intellectuelle. Bien au contraire, la théorie politique normative implique souvent des arguments rigoureux et détaillés qui s'appuient sur des principes philosophiques bien établis.

En science sociale, l'analyse empirique est souvent basée sur des postulats normatifs, qui sont les croyances ou les suppositions fondamentales sur le monde qui sous-tendent une approche particulière de la recherche. Ces postulats peuvent concerner la nature de la réalité sociale, les types de connaissances qui sont possibles ou valables, ou les méthodes appropriées pour obtenir ces connaissances. Cependant, dans l'analyse empirique, l'objectif principal est de tester et d'évaluer ces postulats à travers l'observation et l'expérience. Cela signifie que, bien que les postulats normatifs puissent influencer la façon dont un chercheur aborde une question de recherche particulière, l'analyse empirique se concentre principalement sur l'examen systématique et objectif des données disponibles. Dans ce processus, les théories ou les hypothèses sont constamment révisées et affinées à la lumière des preuves empiriques, dans un effort pour obtenir une compréhension plus précise et plus complète de la réalité sociale. Par conséquent, bien que les considérations normatives puissent jouer un rôle dans l'orientation de la recherche en science sociale, elles ne sont généralement pas au premier plan de l'analyse empirique. L'objectif de cette dernière est d'offrir une compréhension basée sur des preuves de la manière dont le monde fonctionne réellement, plutôt que de prescrire comment il devrait fonctionner.

L'approche explicative est dominante dans de nombreuses disciplines des sciences sociales. Cette approche vise à expliquer pourquoi les phénomènes sociaux se produisent, généralement en identifiant les causes ou les mécanismes qui les génèrent. L'objectif est de produire des connaissances qui permettent de prédire et, éventuellement, de contrôler ces phénomènes. Les chercheurs qui adoptent cette approche utilisent souvent des méthodes quantitatives, telles que les statistiques et les modèles économétriques, bien que des méthodes qualitatives puissent également être utilisées. L'approche phénoménologique, quant à elle, se concentre sur la compréhension des expériences subjectives des individus. Elle cherche à décrire et à interpréter la façon dont les individus perçoivent, vivent et donnent un sens à leur monde. Les chercheurs qui adoptent cette approche utilisent généralement des méthodes qualitatives, telles que les interviews en profondeur, l'observation participante et l'analyse de discours. Ces deux approches sont complémentaires et peuvent souvent être utilisées conjointement dans une étude. Par exemple, un chercheur peut utiliser une approche explicative pour identifier les facteurs qui influencent un certain phénomène social, puis utiliser une approche phénoménologique pour comprendre comment ces facteurs sont vécus et interprétés par les individus concernés.

Max Weber à propos de la délimitation du champ de la science politique et de son objet dit "ce ne sont pas les rapports entre les « choses » qui constituent le principe de la délimitation des différents domaines scientifiques, mais les rapports conceptuels entre problèmes"[3]. La citation de Max Weber souligne l'importance des relations conceptuelles entre les problèmes dans la définition des domaines de recherche en sciences sociales. Dans cette perspective, les disciplines ne sont pas définies par des objets d'étude distincts (ou des "choses") mais plutôt par les questions spécifiques qu'elles cherchent à répondre et les cadres conceptuels qu'elles utilisent pour aborder ces questions. Par exemple, l'économie, la sociologie et la science politique peuvent toutes s'intéresser au même phénomène - disons, l'inégalité économique - mais elles poseront différentes questions à ce sujet et l'aborderont à travers des cadres conceptuels différents. La vision de Weber nous incite à reconnaître que les sciences sociales sont moins définies par leurs "objets" d'étude que par les problématiques et les questions qu'elles posent. Dans cette optique, il n'existe pas une démarcation stricte entre les différentes sciences sociales, mais plutôt une multiplicité de perspectives qui se chevauchent et se complètent. C'est pourquoi le même phénomène peut être étudié sous différents angles par différentes disciplines. Par exemple, un sociologue, un économiste et un politologue pourraient tous s'intéresser à la pauvreté, mais ils poseraient des questions différentes et utiliseraient des méthodes différentes pour y répondre. Cette perspective encourage la recherche interdisciplinaire et la collaboration entre chercheurs de différentes disciplines pour aborder des problèmes complexes sous plusieurs angles différents.

Les concepts jouent un rôle central dans la science politique (et les sciences sociales en général) en aidant à définir les problèmes de recherche et à structurer les explications des phénomènes sociaux et politiques. Les concepts sont les outils de base que les chercheurs utilisent pour penser le monde politique, pour formuler des questions de recherche, et pour construire des théories. Les concepts en sciences sociales et politiques sont souvent des abstractions de réalités plus complexes. Par exemple, des concepts tels que "démocratie", "État", "idéologie", "pouvoir", ou "classe sociale" représentent tous des aspects de la réalité sociale et politique qui sont trop complexes pour être saisis directement. Ces concepts fournissent un moyen de simplifier cette complexité en se concentrant sur certaines caractéristiques ou dimensions spécifiques des phénomènes qu'ils représentent. La mise en relation de ces concepts permet de construire des théories, qui à leur tour permettent de mieux comprendre et d'expliquer le monde social et politique. Par exemple, en science politique, nous pourrions utiliser le concept de "démocratie" pour poser des questions sur la manière dont différents types de régimes politiques (une autre notion conceptuelle) affectent les résultats politiques et économiques. Nous pourrions utiliser le concept de "pouvoir" pour explorer comment les différents acteurs sociaux et politiques sont en mesure d'influencer les processus de décision et les politiques publiques. Ou encore, nous pourrions utiliser le concept de "classe sociale" pour comprendre comment les inégalités socio-économiques affectent la participation politique et les préférences en matière de politique publique. Ces concepts ne sont pas figés ; ils évoluent en fonction des développements théoriques et méthodologiques dans le domaine, ainsi que des changements dans le monde politique lui-même. Les chercheurs débattent souvent de la meilleure façon de définir et de mesurer ces concepts, et ces débats sont une partie importante du développement de la discipline. Ainsi, les concepts en science politique sont à la fois des outils de recherche et des sujets de débat académique. Ils sont indispensables pour structurer notre pensée et notre compréhension du monde politique, et pour conduire des recherches qui produisent de nouvelles connaissances sur ce monde.

Le modèle classique en science politique[modifier | modifier le wikicode]

Conceptualisation : Définir le coeur des concepts[modifier | modifier le wikicode]

La conceptualisation en science politique est une étape cruciale dans toute analyse ou étude. Elle implique la définition, la clarification et l'explication des concepts clés qui seront utilisés dans l'analyse. C'est un moyen de décrire, de comprendre et d'interpréter des phénomènes politiques spécifiques. Par exemple, des termes tels que « démocratie », « pouvoir », « état », « gouvernement », « libéralisme », « socialisme », « nationalisme », etc., sont tous des concepts politiques couramment utilisés qui doivent être clairement définis et conceptualisés avant d'être utilisés dans l'analyse. Il est à noter que ces concepts peuvent avoir des significations différentes en fonction du contexte, de la culture, du temps et de l'espace.

La définition d'un concept nécessite une compréhension de son essence et de ses caractéristiques fondamentales. Par exemple, pour définir le concept de "démocratie", on pourrait dire que c'est un système politique où les citoyens ont le pouvoir de choisir leurs dirigeants par le biais d'élections libres et justes. Cependant, cela ne capture pas nécessairement toutes les nuances de la démocratie, qui peuvent inclure des éléments tels que la liberté d'expression, l'égalité des droits, la règle de droit, etc. Le processus de conceptualisation peut également impliquer le développement de nouveaux concepts ou l'adaptation de concepts existants pour comprendre de nouvelles réalités politiques. Par exemple, le concept de "démocratie numérique" a émergé avec le développement des technologies de l'information et de la communication, ce qui a entraîné de nouvelles formes de participation et d'engagement politiques.

Le terme "concept" vient du latin "conceptus", qui est dérivé du verbe "concipere". "Concipere" est lui-même formé des mots "con-" qui signifie "ensemble" et "capere" qui signifie "prendre". Donc, littéralement, "concipere" signifie "prendre ensemble", ce qui sous-entend l'idée de "comprendre" ou "saisir" une idée ou une chose en son entier. Ainsi, en science politique, comme dans tout autre domaine de recherche, un "concept" est une idée ou un phénomène qui a été "pris ensemble" ou "compris" de manière à pouvoir être étudié et analysé de manière plus détaillée.

Le concept est un outil indispensable dans la recherche et l'analyse, pas seulement en science politique, mais dans tous les domaines de connaissance. Les concepts sont comme des blocs de construction que nous utilisons pour donner du sens au monde autour de nous. Ils nous permettent de classer et d'organiser l'information, de voir des relations entre les phénomènes, et de communiquer des idées complexes de manière plus simplifiée. Par exemple, un concept comme la "démocratie" nous permet de regrouper une variété de caractéristiques et d'expériences sous un même terme, nous aidant ainsi à comprendre et à communiquer les aspects spécifiques de la gouvernance politique qui sont liés à ce terme. De plus, la conceptualisation peut aider à poser des questions de recherche plus précises, à formuler des hypothèses, à identifier les variables pertinentes et à construire des modèles théoriques. Dans cette perspective, les concepts sont plus qu'une aide à la compréhension, ils sont le fondement de toute recherche académique sérieuse.

Le terme "concept" est polysémique. Sa signification varie grandement en fonction de l'utilisateur et du contexte dans lequel il est utilisé. Généralement, un concept est perçu comme une idée ou une notion abstraite. Néanmoins, son interprétation peut diverger considérablement selon le domaine d'étude. Par exemple, en philosophie, un concept est généralement vu comme une représentation mentale ou une idée, formée dans l'esprit par le biais de l'observation ou de la réflexion. En science, par contre, un concept est une idée générale obtenue en examinant les détails et en identifiant des caractéristiques communes. En science politique, un concept peut servir à comprendre et à expliquer les phénomènes politiques tels que le pouvoir, la démocratie ou le gouvernement. Enfin, en informatique, le terme "concept" peut se référer à une abstraction ou une représentation dans un système ou un langage de programmation. Il est donc crucial, lors de l'emploi du terme "concept", de préciser le contexte et la signification spécifique que l'on y associe. La diversité d'interprétations rend l'utilisation du terme à la fois complexe et enrichissante.

Robert Adcock, dans son œuvre "The History of Political Science" publiée en 2005, propose une définition du concept basée sur le modèle classique, également connu sous le nom de "paradigme objectiviste".[4] Selon cette perspective, les concepts sont vus comme des représentations mentales de catégories du monde. Ils sont censés représenter la réalité externe. Dans cette vision, un concept n'est pas simplement une idée abstraite, mais une manière de classer et de comprendre le monde réel. Chaque concept est une catégorie mentale qui représente une certaine portion de la réalité. Par exemple, dans le domaine de la science politique, des concepts tels que "démocratie", "État", "pouvoir", sont des représentations mentales des différents aspects et structures de la réalité politique.

La perspective objectiviste stipule que ces concepts sont des représentations précises de la réalité. En d'autres termes, la réalité extérieure existe indépendamment de nos perceptions et c'est le rôle des concepts de la représenter le plus fidèlement possible. C'est une perspective très influente, mais elle n'est pas sans contestation. Certains critiques argumentent que nos concepts sont inévitablement teintés par nos propres expériences, cultures et langues, et donc qu'ils ne peuvent jamais représenter la réalité de manière parfaitement objective.

Dans la perspective objectiviste, les concepts sont considérés comme des symboles mentaux, des représentations mentales ou des images mentales qui reflètent la réalité externe. Cette approche suppose que nos esprits créent des représentations symboliques de la réalité qui nous permettent de comprendre et de naviguer dans le monde. Par exemple, si nous prenons le concept de "démocratie", nous n'avons pas une démocratie physique dans notre esprit, mais une image mentale ou une représentation de ce qu'est la démocratie, basée sur nos expériences, notre éducation, notre culture, etc. Cette image mentale de la démocratie est un symbole qui représente la réalité complexe de ce qu'est un système politique démocratique. Cette capacité à utiliser des concepts comme des symboles mentaux est fondamentale pour notre capacité à penser, à comprendre et à communiquer. Cependant, il est important de rappeler que nos représentations mentales sont des simplifications de la réalité et qu'elles peuvent varier d'une personne à l'autre en fonction de nos expériences individuelles et de notre contexte culturel et social.

Dans le modèle classique ou le paradigme objectiviste, les concepts (les objets cognitifs) sont vus comme représentant une classe ou une catégorie d'objets ou de phénomènes réels, basés sur leurs caractéristiques communes. Par exemple, le concept de "démocratie" représente une classe de systèmes politiques qui partagent certaines caractéristiques communes, telles que la tenue d'élections libres et justes, le respect des droits de l'homme, la séparation des pouvoirs, etc. De même, le concept de "pouvoir" pourrait représenter une classe de relations sociales caractérisées par l'influence, le contrôle ou la domination. La clé ici est que ces concepts ne sont pas simplement des idées abstraites ou des constructions théoriques, mais des outils cognitifs qui nous permettent de comprendre, d'expliquer et de catégoriser la réalité de manière significative. Ces concepts sont supposés représenter la réalité telle qu'elle est, indépendamment de nos perceptions ou interprétations subjectives. Cependant, comme mentionné précédemment, cette approche a ses critiques. Certains suggèrent que les concepts sont inévitablement influencés par nos perspectives subjectives et culturelles, et donc qu'ils ne peuvent jamais représenter la réalité de manière parfaitement objective. De plus, la réalité elle-même est complexe et dynamique, et peut ne pas se prêter facilement à la catégorisation nette et définitive que ce modèle classique pourrait suggérer.

Giovanni Sartori, un politologue italien renommé, a développé une approche systématique de l'analyse des concepts en science sociale dans son ouvrage de 1984, "Social Science Concepts: A Systematic Analysis".[5] Pour Sartori, un concept est défini par un ensemble de caractéristiques nécessaires qui le distinguent d'autres concepts. Il met l'accent sur la définition claire et précise des concepts pour éviter les erreurs de sur-conceptualisation (quand un concept est trop élargi pour être utile) et de sous-conceptualisation (quand un concept est défini trop étroitement pour capturer sa signification complète).

Le but de Sartori est de créer une distinction claire entre ce qui appartient à un concept (A) et ce qui n'y appartient pas (non-A). Cela permet une classification et une analyse plus précises et efficaces. Par exemple, en utilisant sa méthode, nous pourrions dire que pour qu'un système politique soit considéré comme une "démocratie", il doit avoir certaines caractéristiques nécessaires, comme la tenue d'élections libres et équitables. Si un système politique n'a pas cette caractéristique, il serait classé comme "non-démocratie" (non-A).

Cette approche, en mettant l'accent sur la définition claire et précise des concepts, vise à rendre les analyses en science sociale plus rigoureuses et systématiques. Toutefois, comme toutes les approches, elle a ses limites et ses critiques, certaines personnes soulignant que la réalité sociale et politique est souvent plus nuancée et complexe que ne le permettent les définitions claires et catégoriques.

L'analyse conceptuelle est une tâche méthodologique cruciale dans tout travail de recherche, en particulier en sciences sociales et politiques. Elle est essentielle pour établir un cadre clair et précis pour la recherche, et pour distinguer le discours scientifique du discours du sens commun. Le discours du sens commun est souvent imprécis et peut être ambigu ou contradictoire. Par exemple, dans le langage courant, des termes comme "liberté", "justice", "égalité" ou "démocratie" sont souvent utilisés de manière vague ou incohérente, sans définition claire ou cohérente. Cela peut rendre difficile la compréhension précise de ce qui est signifié lorsque ces termes sont utilisés. En revanche, le discours scientifique vise à être précis, cohérent et basé sur des définitions claires et explicites des concepts. Par exemple, un chercheur en science politique qui utilise le terme "démocratie" dans sa recherche définira précisément ce qu'il entend par "démocratie", en spécifiant les caractéristiques nécessaires pour qu'un système politique soit considéré comme tel. En faisant cela, l'analyse conceptuelle aide à clarifier le discours scientifique et à le distinguer du discours du sens commun. Elle permet également de rendre le discours scientifique plus rigoureux, en veillant à ce que les concepts utilisés soient clairement définis et utilisés de manière cohérente tout au long de la recherche.

Giovanni Sartori, dans son approche systématique de l'analyse des concepts, a insisté sur la nécessité pour les chercheurs en sciences sociales de définir clairement leurs termes. Selon lui, cela inclut l'élaboration de définitions de concepts qui sont à la fois claires et intersubjectives, c'est-à-dire compréhensibles et acceptables par l'ensemble de la communauté scientifique. Cette exigence vise à assurer que les concepts utilisés dans la recherche sont précis, cohérents et communément compris, évitant ainsi les malentendus et les ambiguïtés qui peuvent découler d'une définition de concept floue ou subjective. De plus, Sartori reconnaît que le travail conceptuel peut également conduire à la création de nouveaux concepts. En explorant et en analysant des phénomènes sociaux ou politiques, les chercheurs peuvent identifier de nouvelles catégories ou patterns qui ne correspondent pas aux concepts existants. Dans ces cas, ils peuvent créer de nouveaux concepts pour décrire et expliquer ces phénomènes. Cela montre que l'analyse conceptuelle n'est pas seulement une tâche méthodologique préliminaire, mais qu'elle est une partie intégrante du processus de recherche lui-même. Elle est essentielle pour comprendre, expliquer et communiquer efficacement les phénomènes que les chercheurs étudient.

Charles Taylor, philosophe politique canadien, distingue des catégories en termes de conditions nécessaires et suffisantes. Selon cette perspective, un concept est défini par un ensemble de caractéristiques qui sont à la fois nécessaires (c'est-à-dire qu'elles doivent être présentes pour que le concept s'applique) et suffisantes (c'est-à-dire qu'une fois ces caractéristiques présentes, le concept s'applique nécessairement). Taylor envisage ces conditions comme des variables binaires ou dichotomiques. Cela signifie que chaque condition est soit présente, soit absente - il n'y a pas de milieu. Par exemple, si nous définissons "démocratie" comme nécessitant des élections libres et équitables, alors un système politique qui n'a pas d'élections libres et équitables ne serait pas considéré comme une démocratie selon cette définition.

Selon cette approche, tous les membres d'une catégorie ont le même statut - si un système politique satisfait aux conditions nécessaires et suffisantes pour être classé comme une "démocratie", alors il est une démocratie au même titre que tout autre système qui satisfait à ces conditions. Cela permet une clarté et une précision dans la définition des concepts, mais peut aussi être critiqué pour sa rigidité. Dans la réalité, les phénomènes sociaux et politiques peuvent souvent être plus nuancés et moins facilement catégorisés en termes binaires. Par exemple, certains systèmes politiques peuvent avoir des éléments de démocratie sans être pleinement démocratiques, posant ainsi des défis à cette approche dichotomique.

L'importance de la mesure en science politique[modifier | modifier le wikicode]

Article détaillé : De la théorie aux données.

Les théories sont en fait des constructions intellectuelles qui nous aident à comprendre les relations entre différents concepts et à expliquer les phénomènes du monde réel. Mais bien que les concepts eux-mêmes soient des abstractions, ils sont souvent opérationnalisés de manière à pouvoir être mesurés et observés.

L'opérationnalisation est le processus par lequel les chercheurs définissent comment un concept spécifique sera mesuré dans le cadre d'une étude particulière. C'est une étape essentielle de la recherche en sciences sociales, car elle permet de passer d'un concept abstrait à des indicateurs concrets et mesurables. Par exemple, le concept de "démocratie" est une abstraction qui englobe de nombreuses idées différentes sur ce que signifie un gouvernement "du peuple, par le peuple, pour le peuple". Mais pour étudier la démocratie de manière empirique, les chercheurs doivent définir comment ils vont la mesurer. Ils peuvent décider d'opérationnaliser la démocratie en termes de libertés civiles et politiques, de pluralisme politique, de participation électorale, de transparence gouvernementale, etc. Ces indicateurs sont ensuite utilisés pour recueillir des données qui peuvent être analysées pour tester les hypothèses de la théorie.

Il est important de noter que l'opérationnalisation d'un concept peut varier en fonction du contexte de l'étude et des questions de recherche spécifiques. Les chercheurs doivent donc être clairs sur la façon dont ils opérationnalisent leurs concepts et justifier leurs choix méthodologiques. Il est également crucial de comprendre que même si les concepts sont abstraits et les théories sont inobservables, ils sont essentiels pour structurer notre compréhension du monde et guider notre recherche. Sans eux, nous ne saurions pas quoi chercher, ni comment interpréter ce que nous trouvons.

L'opérationnalisation est un processus crucial dans la recherche en sciences sociales. C'est le processus par lequel un concept abstrait (comme la démocratie, la pauvreté, l'éducation, etc.) est transformé en une variable mesurable, souvent grâce à l'utilisation d'indicateurs. Par exemple, si nous prenons le concept de "démocratie", nous devons décider comment nous allons mesurer ce concept dans une étude particulière. C'est là qu'intervient l'opérationnalisation. Nous pourrions décider que la démocratie sera mesurée par des indicateurs tels que des élections libres et équitables, la protection des droits de l'homme, l'indépendance de la justice, etc. L'opérationnalisation est donc une étape essentielle pour passer d'une idée théorique à une recherche empirique. Cela permet de rendre les concepts abstraits "réels" de manière à ce qu'ils puissent être mesurés et analysés. C'est également une étape qui nécessite une réflexion et une justification rigoureuses, car le choix des indicateurs peut avoir un impact significatif sur les résultats de la recherche.

Une mesure est une quantification ou une qualification d'un concept qui le rend utilisable dans le cadre d'une étude empirique. La mesure implique de transformer le concept en une variable mesurable qui peut être utilisée pour la collecte de données.

Considérons le concept de "démocratisation". Pour l'opérationnaliser, il faut définir les indicateurs de la démocratisation. On peut décider que la démocratisation peut être mesurée par des facteurs tels que l'existence d'élections libres et équitables, la liberté de la presse, le respect des droits de l'homme, l'existence de plusieurs partis politiques, la séparation des pouvoirs, etc. On peut ensuite développer une méthode pour collecter des données sur ces différents facteurs dans un certain nombre de pays. Par exemple, utiliser des bases de données existantes qui évaluent la liberté de la presse, le respect des droits de l'homme, etc., dans différents pays. Alternativement, il est possible de développer sa propre enquête ou méthode d'observation pour collecter ces informations. Dans ce cas, les données sur ces divers indicateurs seraient les mesures du concept de démocratisation. Cependant, tout comme dans l'exemple du bonheur, il est important de se rappeler que ces mesures sont des représentations du concept de démocratisation, et non le concept lui-même. De plus, toutes les mesures ont une certaine marge d'erreur et ne sont jamais parfaites, c'est pourquoi il est essentiel de réfléchir soigneusement à la manière dont d'opérationnaliser et mesurer les concepts dans sa recherche.

Il est important de noter que la mesure est une représentation du concept et non le concept lui-même. De plus, aucune mesure n'est parfaite et toutes comportent une certaine marge d'erreur. C'est pourquoi il est essentiel de réfléchir soigneusement à la façon dont d'opérationnaliser et mesurer ses concepts dans sa recherche.

L'opérationnalisation est une étape essentielle dans tout processus de recherche empirique. Sans elle, les concepts restent trop abstraits pour être analysés de manière systématique et rigoureuse. L'opérationnalisation transforme les concepts théoriques en variables mesurables qui peuvent être observées et analysées. C'est un processus qui permet de traduire des concepts abstraits en termes concrets et observables, ce qui permet aux chercheurs de les mesurer et de les analyser. C'est en opérationnalisant les concepts que les chercheurs peuvent tester les hypothèses et les théories en utilisant des méthodes empiriques. Par exemple, si un chercheur a une théorie selon laquelle la démocratisation conduit à une diminution de la violence, il doit d'abord opérationnaliser les concepts de "démocratisation" et de "violence". Ce n'est qu'après avoir défini ces concepts en termes mesurables qu'il peut collecter des données et analyser la relation entre eux. Sans l'opérationnalisation, il serait impossible de tester empiriquement les théories et les hypothèses en sciences sociales et politiques.

L'évolution de la discipline : De l'art à la science[modifier | modifier le wikicode]

Les cinq transformations clés qui éclairent notre compréhension de l'état actuel de la science politique, qui nous aident à définir les objets de cette discipline et qui nous invitent à réfléchir profondément sur la nature intrinsèque des sciences politiques, sont les suivantes:

  1. Passage de la description/jugement à l'explication/analyse : Cette transition a marqué un changement d'orientation fondamental, de l'expression des opinions personnelles ou du jugement normatif à l'analyse rigoureuse des phénomènes politiques. Cela signifie que les chercheurs en science politique cherchent à expliquer pourquoi les choses se passent comme elles le font, plutôt qu'à dire comment elles devraient se passer.
  2. Montée en puissance de la méthode : L'importance croissante accordée à la méthode a contribué à renforcer le caractère scientifique de la science politique. Cela signifie que les chercheurs en science politique utilisent des méthodes de recherche rigoureuses pour tester leurs hypothèses et théories.
  3. Spécialisation : Avec le développement de la science politique, les chercheurs ont commencé à se spécialiser dans des domaines spécifiques, tels que la politique comparée, les relations internationales, la théorie politique, la politique publique, etc. Cette spécialisation a permis de développer des connaissances plus approfondies dans ces domaines spécifiques.
  4. Passage des approches métathéoriques aux théories de moyenne portée : Les théories de moyenne portée sont des théories qui cherchent à expliquer un phénomène spécifique ou un ensemble de phénomènes liés, contrairement aux théories métathéoriques qui cherchent à expliquer un large éventail de phénomènes. Cette transition a permis d'obtenir des explications plus précises et plus nuancées des phénomènes politiques.
  5. Révolution au niveau des données disponibles : L'augmentation de la disponibilité et de l'accessibilité des données a profondément changé la manière dont les recherches en science politique sont menées. Cela a permis aux chercheurs d'analyser des phénomènes politiques à une échelle et avec une précision sans précédent.

Ces changements ont contribué à façonner la science politique en une discipline rigoureuse et dynamique qui continue d'évoluer en fonction des nouvelles données, théories et méthodes disponibles.

Du descriptif à l'explicatif : Un tournant majeur[modifier | modifier le wikicode]

Depuis la Seconde Guerre mondiale et particulièrement à partir des années 1960, nous observons un double mouvement dans l'étude des phénomènes politiques.

Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les travaux de science politique étaient principalement descriptifs et normatifs. Les chercheurs se concentraient sur la description des structures politiques, des comportements et des idéologies, souvent avec un souci de réforme ou d'amélioration de l'ordre politique existant. D'une part, l'objet de recherche s'est déplacé de la simple description vers une explication plus approfondie des phénomènes politiques. En d'autres termes, les chercheurs se sont moins intéressés à la description des faits politiques qu'à la compréhension des causes et des effets sous-jacents de ces faits. Cependant, cette approche ne posait pas suffisamment la question "pourquoi?" - une question qui nécessite une explication plus profonde des phénomènes politiques. Pour répondre à cette question, les chercheurs doivent élaborer un raisonnement basé sur des hypothèses, des preuves et des déductions logiques, en d'autres termes, une analyse.

Ce n'est que plus tard, particulièrement à partir des années 1960, que les chercheurs en science politique ont commencé à se concentrer davantage sur la question du "pourquoi?". Ils ont cherché à expliquer les causes et les effets des phénomènes politiques, en utilisant des méthodes analytiques et en se basant sur des preuves empiriques. Cela a permis à la science politique de devenir une discipline plus rigoureuse et plus scientifique. Ainsi, nous avons également observé un mouvement du jugement normatif et descriptif vers une approche plus analytique et rationnelle. Au lieu de porter des jugements de valeur sur les phénomènes politiques ou de simplement les décrire, les chercheurs se sont efforcés de les comprendre de manière plus objective, en utilisant des méthodes analytiques et des raisonnements basés sur des preuves empiriques. Ce changement a permis d'améliorer la rigueur scientifique de la discipline et de mieux comprendre la complexité des phénomènes politiques.

Dans le cadre de la science politique, les chercheurs s'intéressent souvent à des schémas ou des régularités empiriques qui se produisent dans différentes sociétés et à travers le temps. Ces régularités peuvent concerner divers phénomènes, tels que le comportement électoral, l'émergence de mouvements sociaux, le développement de systèmes politiques, le déroulement des conflits, etc. En identifiant ces régularités, les chercheurs peuvent commencer à formuler des théories ou des hypothèses sur les mécanismes sous-jacents qui expliquent ces phénomènes. Ces mécanismes peuvent impliquer divers facteurs, tels que des institutions politiques, des processus sociaux, des motivations individuelles, des facteurs économiques, etc. L'objectif de cette approche est de produire des connaissances qui peuvent nous aider à mieux comprendre le monde politique. En identifiant les mécanismes qui produisent certaines régularités empiriques, nous pouvons également être en mesure de faire des prédictions sur la manière dont les choses pourraient évoluer dans le futur, ou sur la manière dont des interventions spécifiques pourraient influencer les résultats politiques.

La science politique, dans sa quête d'explication et d'analyse, a adopté des méthodologies empruntées aux sciences naturelles et physiques, tout en adaptant ces méthodes à la complexité et à la spécificité des phénomènes sociaux et politiques. L'une de ces méthodes est l'approche comparative, qui implique l'étude de plusieurs cas pour identifier les similitudes et les différences entre eux. Cette méthode peut permettre aux chercheurs de mieux comprendre les causes et les conséquences des phénomènes politiques en observant comment ils se manifestent dans différents contextes. Par exemple, un chercheur en science politique pourrait utiliser une approche comparative pour étudier la démocratisation. Il pourrait examiner un certain nombre de pays qui ont récemment transitionné vers la démocratie, en comparant les processus par lesquels ces transitions ont eu lieu, les défis rencontrés, et les facteurs qui ont contribué à la réussite ou à l'échec de la démocratisation. Cependant bien que la science politique emprunte des méthodes aux sciences naturelles et physiques, elle reste une science sociale. Les phénomènes qu'elle étudie sont profondément enracinés dans le contexte social et culturel, et sont souvent influencés par des facteurs subjectifs et intangibles qui peuvent être difficiles à mesurer ou à quantifier.

Growth of causal thinking.png

Ce tableau présente la quantité d'articles qui emploient des termes renvoyant à la causalité, tels que « analyses causales », non seulement dans le cadre de la revue américaine de science politique, mais également à travers une gamme plus large de revues scientifiques.

La nette augmentation de l'usage de termes liés à la causalité dans ces publications met en évidence le rôle croissant accordé à l'explication dans le travail des politologues depuis les années 1960. Cela implique que le champ de la science politique a évolué pour devenir plus axé sur l'analyse causale. En d'autres termes, les chercheurs en science politique sont de plus en plus intéressés par la compréhension des causes et des effets dans les phénomènes politiques. Ils cherchent à identifier les mécanismes qui expliquent pourquoi certaines choses se produisent dans le domaine politique. L'augmentation de l'utilisation du langage causal reflète également l'influence croissante des approches quantitatives et méthodologiques rigoureuses en science politique. Ces approches sont souvent utilisées pour établir des relations causales entre différents facteurs politiques. Enfin, cela pourrait aussi refléter une tendance plus large dans les sciences sociales à se tourner vers des méthodes plus empiriques et axées sur les données. Les chercheurs sont de plus en plus capables de recueillir et d'analyser de grands ensembles de données, ce qui leur permet d'examiner les relations causales de manière plus détaillée et rigoureuse. Cela dit, il est important de noter que l'augmentation de l'accent sur l'analyse causale ne signifie pas nécessairement que d'autres approches sont moins importantes ou moins valables. Il existe de nombreux aspects de la politique qui peuvent nécessiter des approches plus qualitatives, interprétatives ou théoriques.

Renforcement méthodologique : Vers une recherche plus scientifique[modifier | modifier le wikicode]

En science politique comme dans d'autres sciences sociales, l'accent mis sur l'explication a entraîné une plus grande rigueur méthodologique et un renforcement du caractère scientifique de la recherche. Cela signifie que les chercheurs adoptent une approche plus systématique et disciplinée pour tester leurs hypothèses et interpréter leurs données. Ils s'appuient sur des méthodes de recherche bien établies et rigoureuses pour recueillir des données, qu'il s'agisse de sondages, d'entretiens, d'études de cas ou d'analyses de documents. Ces méthodes sont utilisées pour assurer la fiabilité et la validité des résultats de la recherche. En outre, la recherche en science politique a également été marquée par une utilisation accrue des méthodes quantitatives et des analyses statistiques. Cela permet aux chercheurs de traiter de grands ensembles de données et d'établir des liens causaux plus forts entre différentes variables politiques. En fin de compte, cette tendance vers une plus grande rigueur méthodologique et un renforcement du caractère scientifique de la recherche en science politique vise à produire des connaissances plus fiables et plus précises sur le monde politique. Cependant, il est important de noter que cette approche ne remplace pas, mais complète d'autres approches plus qualitatives ou théoriques de la science politique.

La méthode comparative est une approche couramment utilisée en science politique qui se base sur l'analyse et la comparaison d'un petit nombre de cas, généralement entre deux et une vingtaine. L'idée est de tirer des conclusions à partir des similitudes et des différences entre les cas étudiés. Cette approche est particulièrement utile pour étudier la diversité des institutions politiques. Par exemple, on peut utiliser la méthode comparative pour analyser comment différentes démocraties fonctionnent, en comparant des aspects spécifiques tels que les systèmes électoraux, les structures gouvernementales ou les politiques publiques. De même, on peut comparer des régimes autoritaires pour comprendre les facteurs qui contribuent à leur stabilité ou à leur chute. L'un des principaux avantages de la méthode comparative est qu'elle permet de contrôler un certain nombre de variables et de se concentrer sur les facteurs spécifiques que l'on cherche à étudier. Cela peut aider à identifier des relations causales et à développer des théories plus robustes. Cependant, il est également important de reconnaître les limites de cette méthode, notamment le fait qu'elle dépend de la qualité des cas sélectionnés et de la pertinence des comparaisons effectuées.

L'observation de variations institutionnelles et politiques dans différents pays constitue une base pour l'utilisation de la méthode comparative en science politique. Par exemple, la Suisse est caractérisée par un système fédéraliste, ce qui signifie que le pouvoir est réparti entre le gouvernement central et les gouvernements des cantons. En revanche, la France est un État unitaire très centralisé, où le pouvoir est concentré au niveau du gouvernement central, bien qu'il y ait des niveaux de gouvernement local. De même, la Suisse a un système parlementaire où le pouvoir exécutif est détenu par le Conseil fédéral, qui est responsable devant le Parlement. En revanche, la France a un régime semi-présidentiel, où le Président a des pouvoirs importants, indépendants du Parlement. Ces différences peuvent avoir des implications significatives pour le fonctionnement de la politique dans ces pays, par exemple en termes de processus décisionnels, de responsabilité politique, de protection des minorités, de gestion des conflits, etc. L'étude comparative de ces systèmes peut donc aider à comprendre comment différentes configurations institutionnelles et politiques affectent les résultats politiques.

La comparaison entre différentes institutions politiques offre non seulement une perspective plus large sur la diversité des systèmes politiques, mais elle fournit également une base solide pour l'analyse causale en science politique.

En premier lieu, la comparaison élargit notre vision de ce qui est possible en termes de structures politiques. Elle met en évidence la diversité des arrangements institutionnels existant à travers le monde et nous fait prendre conscience des options disponibles pour structurer notre propre société. C'est un rappel que nous avons une certaine marge de manœuvre pour façonner nos institutions en fonction de notre contexte historique, culturel et social. De plus, elle permet de comprendre que des solutions efficaces existent déjà ailleurs et pourraient être adaptées à notre propre contexte.

Ensuite, les différences entre les institutions politiques fournissent un point de départ précieux pour tester des hypothèses causales. L'analyse causale nécessite une certaine variation (qu'elle soit institutionnelle, politique ou économique) entre les entités que l'on compare. Ces différences constituent la base analytique permettant d'expliquer les relations causales. Par exemple, pourquoi certains systèmes politiques sont-ils plus stables que d'autres ? Pourquoi certains systèmes politiques favorisent-ils plus l'égalité que d'autres ? La comparaison institutionnelle peut aider à répondre à ces questions.

Le "most similar systems design" (ou conception des systèmes les plus similaires) est une approche méthodologique en politique comparée où l'on sélectionne des cas (généralement des pays) qui sont similaires sur un grand nombre de variables, mais qui diffèrent sur la variable d'intérêt ou le phénomène que l'on cherche à expliquer. Par exemple, supposons que l'on cherche à comprendre pourquoi certains pays ont des taux de criminalité plus élevés que d'autres. On peut choisir de comparer deux pays qui sont similaires en termes de taille de la population, de niveau de développement économique, d'histoire culturelle, de structure politique, etc., mais qui ont des taux de criminalité très différents. En isolant autant que possible la variable d'intérêt (dans ce cas, le taux de criminalité), il est possible d'obtenir des aperçus plus précis de ce qui pourrait causer cette différence.

L'idée sous-jacente de cette approche est que si les systèmes sont très similaires, toute différence dans la variable d'intérêt est susceptible d'être due à la variable que l'on cherche à expliquer, et non à d'autres facteurs de confusion. C'est une façon de contrôler les variables de confusion dans le cadre d'une étude comparative. Cette méthodologie permet de contrôler un certain nombre de variables qui pourraient avoir une incidence sur la variable dépendante. En choisissant des cas (par exemple, des pays ou des individus) qui sont similaires en termes de ces autres variables, on peut être plus sûr que la variable indépendante est la cause de la variation dans la variable dépendante.

L’idée est d’identifier une variable indépendante explicative comme une institution ou une pratique politique voir une caractéristique individuelle de l’électeur si on s’intéresse aux comportements électoraux ; identifier une telle variable indépendante, une variable explicative absente dans un des deux cas, mais présente dans l’autre et qu’elle soit associée à des résultats différents au niveau de la variable expliquée. L'idée derrière l'approche "most similar systems design" est d'identifier une variable indépendante qui pourrait être la cause de la variation dans la variable dépendante (la variable que l'on souhaite expliquer).

Bo Rothstein, dans son article "Labor-market institutions and working-class strength" publié en 1992, a choisi un ensemble de pays européens de l'OCDE pour son étude.[6] Ces pays présentent une grande similarité sur plusieurs fronts : géographiquement, ils sont tous situés en Europe ; historiquement, ils partagent un certain nombre d'expériences communes, comme l'impact de la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Froide ; économiquement, ils sont tous des économies de marché développées et membres de l'OCDE. En utilisant ces pays comme unités d'analyse, Rothstein cherche à identifier les variables institutionnelles qui pourraient expliquer les différences dans la force de la classe ouvrière, telles que mesurées par des indicateurs tels que le taux de syndicalisation ou la capacité à influencer la politique économique et sociale. Dans ce contexte, l'utilisation du "most similar systems design" permet à Rothstein de se concentrer sur les variations institutionnelles entre ces pays tout en contrôlant, autant que possible, les autres facteurs qui pourraient influencer la force de la classe ouvrière. C'est une application typique de cette méthode de recherche comparative.

Bo Rothstein, dans son étude, cherche à comprendre pourquoi la puissance des mouvements syndicaux varie tant d'un pays européen à l'autre. Il constate des variations significatives dans l'organisation et la force des syndicats à travers ces pays, et cherche à identifier les facteurs pouvant expliquer ces variations. Une des variables institutionnelles qu'il étudie est le système de Ghent. Ce système, présent dans certains pays mais pas dans d'autres, est caractérisé par la gestion des prestations de chômage par les syndicats. Rothstein postule que cette institution du marché du travail pourrait être une explication majeure de la variation dans la puissance syndicale à travers les pays européens. En particulier, il constate que les pays scandinaves, où le système de Ghent est présent, ont des taux de syndicalisation élevés. Par conséquent, il propose que le système de Ghent pourrait être un facteur déterminant dans l'explication de ces taux élevés de syndicalisation dans ces pays.

L'hypothèse de Bo Rothstein est que bien que ces pays présentent de nombreuses similitudes - par exemple, géographiquement, historiquement et économiquement - il y a une variable importante qui diffère entre eux : la présence ou l'absence du système de Ghent. Selon Rothstein, cette seule différence pourrait expliquer les variations observées dans les taux de syndicalisation d'un pays à l'autre. Ce raisonnement s'inscrit dans une démarche comparative qui cherche à isoler l'effet d'une variable spécifique en contrôlant les autres variables qui pourraient aussi influencer le phénomène étudié.

Dans The Social Construction of an Imperative: Why Welfare Reform Happened in Denmark and the Netherlands but Not in Germany[7], Robert Cox se penche sur la question de la réforme de l'État-providence dans trois pays européens : les Pays-Bas, l'Allemagne et le Danemark. Ces trois pays ont un certain nombre de similarités, ce qui les rend aptes à être comparés dans un cadre de recherche "most similar". Cox est intéressé par le fait que deux de ces pays, les Pays-Bas et le Danemark, ont pu mettre en œuvre des réformes significatives de leur État-providence, tandis que l'Allemagne n'a pas réussi à le faire. Il propose que la capacité à mener à bien ces réformes ne peut pas être expliquée simplement par les conditions économiques ou les pressions politiques externes, mais doit être comprise en termes de "construction sociale d'une impératif". En d'autres termes, il s'agit de comprendre comment le besoin de réforme est perçu et interprété au sein de chaque société, et comment cette interprétation façonne les réponses politiques. En utilisant le modèle de recherche "most similar", Cox peut se concentrer sur cette variable - la construction sociale de la nécessité de réforme - et examiner comment elle varie entre les trois pays. Cela lui permet d'expliquer pourquoi deux d'entre eux ont pu réformer leur État-providence tandis que l'autre n'a pas réussi.

L'analyse de régression est une technique statistique qui est largement utilisée dans de nombreuses disciplines des sciences sociales, y compris la science politique. Elle provient de l'économétrie, où elle est utilisée pour modéliser et analyser les relations entre des variables. Dans le contexte de la science politique, l'analyse de régression peut être utilisée pour examiner les relations entre différents facteurs politiques, économiques et sociaux. Par exemple, elle pourrait être utilisée pour analyser l'impact de l'éducation et du revenu sur le comportement électoral, ou pour examiner les effets des politiques économiques sur les niveaux de chômage. L'usage croissant de l'analyse de régression et d'autres techniques statistiques avancées en science politique reflète une tendance générale vers une plus grande rigueur méthodologique et une approche plus quantitative de la recherche. Cela fait partie du mouvement plus large vers le renforcement de la méthode et de la scientificité de la recherche en science politique.

Growth of mentions of words related to causal thinking.png

Ce graphique illustre clairement l'augmentation progressive de l'usage de l'analyse de régression en science politique, un outil statistique précieux pour démontrer des relations causales. Il est à noter que l'utilisation de cet outil s'est considérablement accrue à partir de la moitié du 20ème siècle, reflétant l'accent de plus en plus fort mis sur la méthodologie rigoureuse dans la discipline. Henry Brady a bien montré dans son travail comment l'usage de l'analyse de régression, et plus généralement de méthodes quantitatives rigoureuses, a augmenté au fil du temps en science politique.[8] Cela illustre comment la discipline s'est progressivement éloignée de ses origines plus qualitatives et descriptives pour adopter des méthodes plus proches des sciences naturelles, avec une attention particulière portée à l'établissement de relations causales. L'analyse de régression est particulièrement utile pour cette tâche, car elle permet aux chercheurs d'isoler l'effet d'une variable sur une autre tout en contrôlant pour l'effet d'autres variables. Cette capacité à contrôler pour les effets de variables confondantes est cruciale pour l'établissement de relations causales. La montée de ces méthodes quantitatives ne signifie pas que les approches qualitatives ont perdu leur valeur. Au contraire, les approches qualitatives restent essentielles pour comprendre les mécanismes et les processus sociaux et politiques, et elles sont souvent utilisées en combinaison avec des méthodes quantitatives dans une approche dite mixte.

L'analyse de régression permet d'établir le degré d'influence d'une variable indépendante sur une variable dépendante tout en ajustant, ou en "contrôlant", pour les effets potentiels d'autres variables. Ce contrôle permet de réduire le risque que les relations observées entre la variable indépendante et la variable dépendante soient en réalité le résultat de l'influence d'une troisième variable. En d'autres termes, cela permet aux chercheurs d'avoir plus de confiance dans le fait que les relations observées sont causales et non simplement corrélées.

L'analyse de régression est un outil précieux pour isoler l'effet d'une variable particulière tout en contrôlant les effets d'autres variables. Pour illustrer cela avec l'exemple de la chute de la République de Weimar, on pourrait poser comme hypothèse que le système proportionnel (une variable indépendante) a joué un rôle significatif dans cette chute (la variable dépendante). Pour tester cette hypothèse, on pourrait recueillir des données sur divers pays et moments historiques où des circonstances similaires se sont présentées. Ces données pourraient inclure d'autres variables pertinentes, comme la situation économique, la stabilité politique, les conflits internationaux, etc. L'analyse de régression permettrait alors de mesurer l'effet du système proportionnel sur la stabilité de la république tout en contrôlant les effets de ces autres variables. Si le système proportionnel s'avère avoir un effet significatif, on pourrait alors soutenir avec plus de confiance que ce facteur a contribué à la chute de la République de Weimar.

Spécialisation : La clé d'une meilleure compréhension[modifier | modifier le wikicode]

Des figures intellectuelles comme Marx, Weber, Darwin, Tolstoï, Dickens et Dostoïevski se distinguent par leur maîtrise remarquable de multiples domaines du savoir. Leur œuvre, souvent caractérisée par un chevauchement des disciplines, a bénéficié de leur capacité à penser de manière holistique et à intégrer des idées provenant de différentes sphères d'expertise. Cependant, une comparaison avec une liste de penseurs contemporains influents, tels que Bill Gates, Warren Buffet, Maria Vargas, Joe Stiglitz et Martin Wolf, révélée par le magazine Foreign Policy, pourrait laisser l'impression que cette dernière est moins impressionnante.

La question se pose alors : pourquoi la liste contemporaine semble-t-elle moins éclatante ? Il existe plusieurs facteurs qui pourraient expliquer pourquoi la liste des penseurs contemporains peut sembler moins impressionnante.

  • La nécessité d'une perspective historique : Il est parfois nécessaire d'avoir une certaine distance temporelle pour véritablement évaluer l'impact et l'influence d'une personne. Ce qui est considéré comme révolutionnaire ou de grande valeur peut ne pas être reconnu comme tel immédiatement, et la valeur d'une contribution intellectuelle peut devenir plus évidente avec le recul.
  • La familiarité engendre la banalisation : La proximité temporelle des penseurs contemporains peut nous rendre plus familiers avec leurs idées et donc nous amener à sous-estimer leur génie ou leur influence. Nous sommes souvent plus impressionnés par les figures historiques en raison de leur stature mythique et de la longévité de leur influence.
  • Le changement dans la gestion de la connaissance : Au cours des dernières décennies, il y a eu un changement structurel vers une spécialisation accrue des connaissances. Les universités encouragent cette spécialisation, et la progression de la connaissance se fait de plus en plus par la coopération et les interactions entre spécialistes dans des domaines de plus en plus spécifiques. Cette spécialisation est facilitée par les nouvelles technologies, comme Internet, qui permettent une collaboration mondiale. Par exemple, à l'Université de Genève, les professeurs occupent des chaires qui couvrent des domaines spécifiques de la science politique, et un chercheur particulier a tendance à contribuer à un seul sous-domaine de la science politique.

Ainsi, alors que les figures intellectuelles historiques étaient souvent des polymathes, maîtrisant de nombreux domaines du savoir, les penseurs contemporains sont généralement des spécialistes dans des domaines particuliers.

L'importance des théories de moyenne portée (mid-range theories)[modifier | modifier le wikicode]

Les théories de moyenne portée, ou "mid-range theories", sont des concepts issus de la sociologie et de la science politique. Elles sont une réponse au défi de construire des "grandes théories" universelles qui expliquent toutes les facettes d'un domaine donné. Ces "grandes théories" sont souvent critiquées pour leur manque de précision et leur incapacité à fournir des explications spécifiques et testables pour des phénomènes particuliers. En revanche, les théories de moyenne portée se concentrent sur des explications spécifiques de certains aspects de la réalité sociale ou politique. Elles visent à expliquer des phénomènes spécifiques en utilisant un ensemble limité de variables.

Le concept de "théorie de moyenne portée" a été introduit pour la première fois par le sociologue Robert K. Merton dans les années 1950. Merton soutenait que les sciences sociales devraient viser à développer des théories de ce type qui sont suffisamment générales pour être applicables à diverses situations, mais suffisamment spécifiques pour fournir des prédictions précises et vérifiables.

Les théories de moyenne portée sont très répandues en science politique, où elles sont souvent utilisées pour expliquer des phénomènes spécifiques tels que le comportement électoral, les mouvements sociaux, la formation des politiques, la prise de décision des gouvernements, etc. Par exemple, la théorie du choix rationnel, qui postule que les individus agissent de manière à maximiser leur utilité personnelle, est une théorie de moyenne portée utilisée dans de nombreux domaines des sciences sociales, y compris la science politique. Les avantages des théories de moyenne portée comprennent leur applicabilité à une grande variété de situations, leur capacité à fournir des prédictions précises et testables, et leur flexibilité en termes d'adaptation à de nouvelles données et de nouveaux contextes.

À l'ère contemporaine, nous constatons une tendance à délaisser les grands "ismes" tels que le marxisme, le libéralisme, le constructivisme, le réalisme, en faveur de débats et de théories de moyenne portée plus spécifiques et liés à un contexte particulier. Ces débats et théories ont généralement pour objet des problématiques particulières, susceptibles d'être résolues par une analyse empirique approfondie. Ce changement d'orientation vers des théories de moyenne portée témoigne d'un désir d'une meilleure compréhension des dynamiques spécifiques qui sous-tendent divers phénomènes sociaux et politiques. Au lieu de se fier à des cadres théoriques larges et souvent abstraits, les chercheurs se concentrent désormais sur l'élaboration et le test de théories plus concrètes, qui peuvent être directement liées à des données empiriques spécifiques et qui sont capables de fournir des explications précises et vérifiables pour des phénomènes spécifiques. C'est une évolution qui reflète l'aspiration à un travail de recherche plus précis, plus nuancé et plus directement pertinent pour l'analyse des problèmes du monde réel.

Métathéorie : Au-delà de la théorie[modifier | modifier le wikicode]

Une métathéorie est un cadre ou une structure qui sert à interconnecter et à réunifier logiquement plusieurs théories partielles. Elle joue un rôle crucial dans la construction d'une théorie plus générale ou globale. En d'autres termes, une métathéorie agit comme un pont ou un lien entre des théories distinctes, permettant leur intégration dans un système de compréhension plus large. La métathéorie va souvent au-delà de la simple somme de ses composantes théoriques individuelles, offrant de nouvelles perspectives et approfondissant la compréhension du phénomène ou du domaine qu'elle couvre. Elle permet d'organiser et de structurer les connaissances existantes, et peut également guider la recherche future en identifiant des domaines qui nécessitent une investigation plus poussée.

Une métathéorie dans le domaine de la science politique est une théorie générale qui cherche à démontrer comment diverses théories spécifiques s'articulent et se connectent. Elle vise à créer un cadre cohérent qui intègre différentes perspectives et hypothèses sur les phénomènes politiques. Cette approche permet d'obtenir une vision plus large et plus complète des processus politiques. Elle cherche à saisir la complexité de la politique en reliant diverses théories qui, autrement, pourraient sembler disjointes ou incompatibles. Par exemple, une métathéorie pourrait chercher à établir des liens entre les théories du comportement électoral, de l'action collective, et de la gouvernance institutionnelle. L'objectif ultime de la métathéorie est de fournir une compréhension plus profonde et plus nuancée du politique en tant que domaine d'étude. Cette approche peut également aider à identifier de nouvelles directions pour la recherche et à élaborer des stratégies plus efficaces pour l'analyse et l'interprétation des phénomènes politiques.

Des métathéories comme le structuralisme, le marxisme, l'institutionnalisme historique, ou la théorie des choix rationnels sont utilisées pour fournir un cadre général qui englobe un large éventail de théories spécifiques dans le domaine de la science politique. Le structuralisme, par exemple, cherche à expliquer les phénomènes politiques en termes de structures sociales sous-jacentes et de leur influence sur les comportements et les attitudes individuelles. Le marxisme, d'autre part, propose une analyse de la politique centrée sur les relations de classe et la lutte pour le pouvoir économique. L'institutionnalisme historique se concentre sur le rôle des institutions dans le façonnement des trajectoires politiques et économiques des sociétés, en mettant l'accent sur l'importance du contexte historique. Enfin, la théorie des choix rationnels suppose que les acteurs politiques, comme tous les individus, agissent de manière à maximiser leur utilité ou leur bénéfice personnel. Cette théorie est souvent utilisée pour analyser des phénomènes tels que le comportement électoral ou la prise de décision politique. Ces métathéories offrent des perspectives différentes et parfois complémentaires sur la politique, aidant les chercheurs à comprendre et à expliquer un large éventail de phénomènes.

Les théories de moyenne portée : Des solutions spécifiques[modifier | modifier le wikicode]

Le concept de théories de moyenne portée (ou mid-range theories) a été introduit par le sociologue Robert Merton. Ces théories se situent entre les théories hautement abstraites et universelles (ou grands "ismes") et les descriptions purement factuelles et spécifiques de phénomènes individuels.

Les théories de moyenne portée sont conçues pour être suffisamment générales pour couvrir un large éventail de situations, mais suffisamment spécifiques pour être testables et utiles dans la pratique. Elles sont généralement axées sur un domaine particulier ou un aspect limité de la réalité sociale ou politique, comme un certain type d'institutions, de comportements ou de processus. Par exemple, une théorie de moyenne portée dans le domaine de la science politique pourrait s'intéresser à la façon dont les systèmes électoraux influencent le comportement des partis politiques, ou à la façon dont les institutions de contrôle de la corruption affectent la qualité de la gouvernance. Ces théories ont pour but de fournir des explications précises et vérifiables des phénomènes qu'elles couvrent, tout en restant suffisamment souples pour s'adapter à différentes circonstances. Elles sont souvent utilisées comme outils d'analyse dans la recherche empirique.

Certains chercheurs se consacrent entièrement à l'étude des processus de théorisation. Cela peut couvrir une variété de sujets, des mécanismes qui sous-tendent la formation de théories et leur validation, jusqu'à l'impact de ces théories sur le monde réel. En science politique, par exemple, un chercheur peut se spécialiser dans l'étude des processus de théorisation relatifs à un domaine spécifique, comme les relations internationales, les politiques publiques, ou les systèmes de gouvernance. Ces chercheurs peuvent examiner comment les théories sont élaborées, testées, modifiées et finalement acceptées ou rejetées par la communauté scientifique. Ils peuvent également étudier comment ces théories sont utilisées pour informer les politiques publiques et pour comprendre et expliquer les phénomènes politiques. La théorisation elle-même peut être vue comme un processus dynamique et en constante évolution, qui implique à la fois des contributions individuelles et collectives, et qui est influencé par une variété de facteurs contextuels, tels que les événements historiques, les développements technologiques, et les changements sociaux et politiques. Ainsi, l'étude des processus de théorisation est un domaine de recherche riche et complexe, qui peut offrir des perspectives précieuses sur la façon dont nous comprenons et interagissons avec le monde politique.

Les théories de moyenne portée (ou "mid-range theories") sont des théories qui cherchent à expliquer des phénomènes spécifiques, plutôt que de viser à fournir un cadre d'explication universel. Elles se concentrent sur un domaine particulier ou un aspect spécifique de la réalité sociale et politique, offrant ainsi une analyse plus détaillée et spécifique. Par exemple, les spécialistes des conflits civils peuvent développer des théories de moyenne portée qui cherchent à expliquer les causes et les conséquences de ces conflits, se concentrant sur des facteurs spécifiques tels que les inégalités socio-économiques, les clivages ethniques, le rôle des ressources naturelles, etc. De même, la théorie des comportements électoraux est une autre forme de théorie de moyenne portée, qui se concentre sur l'explication des motivations et des comportements des électeurs lors des élections. Elle peut examiner des facteurs tels que l'influence des médias, l'idéologie politique, les questions socio-économiques et d'autres facteurs qui influencent le comportement électoral. L'approche des "variétés du capitalisme", quant à elle, est une théorie qui cherche à expliquer les différences dans la manière dont les économies de marché sont organisées entre différents pays. Elle examine des facteurs tels que les relations entre l'État et l'économie, la régulation du marché du travail, le rôle des institutions financières, etc. Ces théories de moyenne portée sont précieuses car elles permettent d'explorer des aspects spécifiques de la réalité sociale et politique de manière plus détaillée, tout en offrant des cadres d'analyse qui peuvent être testés empiriquement.

L'ère de l'information en science politique : Révolution au niveau des données disponibles[modifier | modifier le wikicode]

Ces dernières années, nous avons assisté à une véritable révolution dans la disponibilité des données pour la recherche en sciences sociales, y compris en science politique. Grâce à l'avènement du numérique, de l'Internet et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les chercheurs ont désormais accès à une quantité sans précédent de données quantitatives, allant des résultats électoraux aux enquêtes d'opinion, des données économiques aux données sur les conflits, et bien plus encore.

De plus, le développement de bases de données centralisées et accessibles au public facilite la recherche comparée à l'échelle internationale. Ces bases de données compilent souvent des informations provenant de diverses sources et offrent des outils de recherche et d'analyse sophistiqués qui peuvent aider les chercheurs à traiter et à analyser les données de manière plus efficace. Parmi les exemples de ces bases de données, on peut citer la Banque mondiale, l'OCDE, Eurostat, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en France, le Bureau du recensement aux États-Unis, ainsi que de nombreux instituts de sondage et de recherche qui publient régulièrement des données sur divers aspects de la politique et de la société. Cette explosion des données disponibles a non seulement transformé la manière dont la recherche en science politique est menée, mais elle a aussi ouvert de nouvelles possibilités pour la découverte et l'analyse de tendances et de phénomènes politiques.

La disponibilité accrue de données quantitatives a largement favorisé le recours à des méthodes d'analyse statistique en science politique. Les bases de données permettent aujourd'hui d'accéder à une multitude d'informations concernant le comportement des électeurs, le fonctionnement des institutions, les politiques publiques, les conflits, l'économie, et bien plus encore. Ces données, couplées à des outils statistiques de plus en plus sophistiqués, permettent aux chercheurs de réaliser des analyses approfondies et rigoureuses de phénomènes politiques. Les modèles de régression, l'analyse de séries chronologiques, les tests d'hypothèses, l'analyse factorielle, ou encore les modèles multi-niveaux sont autant d'outils qui peuvent être utilisés pour interpréter les données et répondre à des questions de recherche.

Ainsi, l'analyse quantitative s'est imposée comme une méthode incontournable en science politique, contribuant à renforcer la rigueur et la précision de cette discipline. Il est toutefois important de noter que l'analyse quantitative ne remplace pas les autres méthodes de recherche, mais vient plutôt les compléter. L'interprétation des résultats statistiques et leur mise en contexte nécessitent une compréhension approfondie des réalités politiques et sociales étudiées, qui peut être apportée par des méthodes qualitatives telles que l'analyse de discours, les entretiens, ou l'observation participante.

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Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Lim, T. C. (2005). Doing comparative politics: An introduction to approaches and issues. Lynne Rienner.
  2. Cox, Robert W.. "Beyond international relations theory: Robert W. Cox and approaches to world order", Approaches to World Order. 1st ed. Cambridge: Cambridge University Press, 1996. 3-18.
  3. M. Weber, Essais sur la théorie de la science, op. cit. p.146
  4. Adcock, R. and Bevir, M. (2005), The History of Political Science. Political Studies Review, 3: 1–16. doi: 10.1111/j.1478-9299.2005.00016.x
  5. Social Science Concepts: A Systematic Analysis Giovanni Sartori Beverley Hills: Sage, 1984
  6. Rothstein, B. (1992). ‘Labor-market institutions and working-class strength’. In S. Steinmo, K. Thelen and F. Longstreth, eds. Structuring Politics. Historical Institutionalism in Com¬parative Analysis. Cambridge: Cambridge University Press, 33–56
  7. Cox RH. The social construction of an imperative: why welfare reform happened in Denmark and the Netherlands but not in Germany. World Polit. 2001;53(3):463-98. doi: 10.1353/wp.2001.0008. PMID: 17595731.
  8. Brady, Henry A. (2008): Causation and explanation in social science. Box-Steffensmeier, Janet M., Henry Brady and David Collier (ed.): The Oxford handbook of political methodology. Oxford: Oxford University Press: 217-270.