L’essor de la Croix Rouge

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L’émergence de la Croix Rouge est l’un des processus les plus marquants de l’histoire transnationale, car il s’agit non seulement d’un phénomène de prise de conscience globale au niveau étatique ou intellectuel, mais bien d’un transfert interculturel de masse à l’origine du plus grand mouvement de solidarité humanitaire.

Un transfert interculturel est un processus au cours duquel une ou plusieurs idées, coutumes ou pratiques sont transmises d’un espace culturel à un autre, où ses elles seront soit acceptées, soit modifiées, soit rejetées.

L’émergence de la Croix Rouge dans l’Europe du milieu du XIXème siècle est d’autant plus frappante qu’il s’agit d’une période de recul de l’idéalisme, de la morale et de la conscience publics en faveur du nationalisme, de l’impérialisme pragmatique et de la primauté de la nécessité, principes réunis par le théoricien politique Ludwig von Rochau sous le terme « Realpolitik ». Cette philosophie était clairement dominante dans l’Europe post napoléonienne régie par des monarques ambitieux, soutenus par les mouvements nationalistes émergents, dont la politique était définie par des calculs de risque afin de réaliser leurs buts égoïstes.

C’est donc dans une période de déclin de l’idéalisme, de grande tension internationale déstabilisant le « Concert de l’Europe » et dans le contexte de guerres totales pour la réunification de l’Allemagne et d’Italie, de la Guerre de Crimée et de la Guerre de Sécession que naît le mouvement de la Croix Rouge, un mouvement qui pour but une meilleure compréhension entre les États sur la gestion des hostilités et une réduction globale des conséquences néfastes de la guerre.

Le mouvement de la Croix Rouge a pour particularité le fait qu’il ne s’oppose pas à la guerre en principe : contrairement au pacifisme, il accepte la guerre comme partie inévitable des relations entre États. Etant donné cela, ce mouvement appelle les Etats à adresser certaines réalités déplorables de la guerre, d’amoindrir les conséquences néfastes de cette dernière et d’améliorer notamment le sort des personnes mises hors de combat, ce dans l’intérêt de tous les Etats et de tous leurs sujets. Autre particularité, alors que le mouvement abolitionniste culmine par une codification internationale, le mouvement de la Croix Rouge ne fait que commencer avec la signature de la « Convention de Genève (I) pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ».

La société civile et « l’impulsion humanitaire »[modifier | modifier le wikicode]

L’évènement de naissance du mouvement de la Crois Rouge et des Conventions de Genève à l’origine du droit international humanitaire contemporain est incontestablement l’épisode de Solferino, en 1859, où un commerçant genevois, Henry Dunant, partit chercher audience avec Napoléon III, devient témoin d’une bataille sanglante ayant laissé 40'000 blessés à mourir sur le champ de bataille sans aucun secourt.

Cette image d’infortunés criant, souffrant et mourant seuls dans la nuit sur le champ de bataille a profondément touché Dunant, qui partit sauver ceux qu’il pouvait avec quelques volontaires locaux. Depuis cet épisode, qui le marquera à vie, Dunant s’est promis d’œuvrer pour fonder une association neutre qui aiderait et protégerait les victimes de la guerre : cette entreprise a débouché sur la création du Comité de Genève, rebaptisé Comité International de la Croix-Rouge. Cette célèbre ONG ira beaucoup plus loin, en avançant le long processus du développement du droit humanitaire. La Croix rouge jouera d’ailleurs un rôle premier lors de codifications majeures telles que les Conventions de Genève.

De retour à Genève en 1862, Henry Dunant se fait connaître par son ouvrage « Souvenir de Solférino », à la suite duquel il a fait parvenir les deux propositions suivantes aux États d’Europe et à la société civile en germe :

  • une association permanente pour le secours et l’aide humanitaire en temps de guerre;
  • un traité international reconnaissant la neutralité de tous les corps sanitaires, y comprit ceux de l’association, leur permettant de procurer l’aide aux blessés.

La première a débouché sur la création de la Croix Rouge, l’autre sur la première Convention de Genève. Pour ces deux réalisations extraordinaires, Henry Dunant recevra les deux premiers Prix Nobel de la Paix en 1901. On voit avec quelle efficacité et rapidité le message de Dunant est parvenu à atteindre tous les recoins de l’espace publique transnational: deux ans seulement après la publication de son œuvre, Dunant gagne les coeurs et les esprits des intellectuels et des hommes d’Etat européens qui se réunissent à Genève en 1864 pour signer la première codification humanitaire internationale.

Malgré la puissance du message de son message, Dunant devait faire face à l’ignorance et aux mauvaises mœurs d’une société européenne ultra conservatrice, militariste et chauvine, pour qui la guerre et les batailles sont du domaine de l’héroïque, une opportunité pour les jeunes patriotes de montrer leur capacités et leur bravoure. Henry Dunant se heurtait donc à une grande difficulté pour faire comprendre l’ampleur du choc, du sommet de la barbarie, de l’inhumanité et de la négligence de la part des États dont il a été témoin.

Henry Dunant n’est pas non plus le premier activiste à vouloir améliorer le sort des soldats blessés en guerre : pendant la Guerre de Crimée de 1854 à 1856, première guerre moderne et guerre totale ayant emmené plus d’un demi-million de vies, l’infirmière volontariste britannique Florence Nightingale est personnellement intervenue pour soigner les blessés de tous les côtés et améliorer leurs conditions de vie (la large majorité des morts étaient dues au choléra, et non aux blessures de guerre). Par la suite, Nightingale a œuvré en Grande-Bretagne pour la réforme, ou plutôt l’instauration, des institutions sanitaires du pays : elle est considérée comme mère fondatrice de l’infirmerie moderne.

Au sein du Comité des cinq (composé de membres éminents de la Société genevoise de l’utilité publique), Henry Dunant était chargé de mobiliser des individus capables et de fonder des branches du mouvement en dehors de la Suisse, ainsi que de convaincre les chefs d’État, les princes et les monarques à soutenir la Convention. En 1863 il s’adresse aux chirurgiens des armées d’Europe lors du Congrès statistique de Berlin où il présente ses idées et obtient un grand soutien. Il insiste catégoriquement sur la neutralisation des blessés et des services sanitaires : il défend ces idées internationalistes en avançant que la Convention sera futile sans l’application de ces principes.

Il ne faut pas oublier la contribution d’autres membres du Comité de Genève (dès 1876, Comité International de la Croix Rouge) pour la diffusion du message, dont le juriste Gustave Moynier, les docteurs Louis Appia et Théodore Maunoir ainsi que le général et homme d’état suisse Guillaume Dufour, qui ont joué un rôle primordial pour convaincre les États d’Europe à se rallier à la cause de la Croix Rouge et à signer la Convention de Genève.

Le Général Dufour s’est efforcé à convaincre les gouvernements suisses et étrangers. L’application efficace de considérations humanitaires dans son expérience lors de la Guerre civile suisse du Sonderbund, où les hostilités n’ont donné que 26 morts, a donné une résonance infaillible à ses arguments lors de sa présidence de la conférence préparatoire à l’origine de la Convention, où il a rallié 12 États signataires à la cause.

« Le 25 août 1863, le Comité international décide de réunir à Genève, sous sa propre responsabilité, une Conférence internationale pour étudier les moyens de pourvoir à l'insuffisance du service sanitaire dans les armées. Il envoie donc une convocation à tous les gouvernements des pays européens et à de nombreuses personnalités.

La Conférence est ouverte le 26 octobre 1863 par le général Dufour. Elle réunit 36 personnes, dont 14 délégués de gouvernements, 6 délégués de diverses organisations et 7 personnes venues à titre privé. Ce caractère hybride, à la fois public et privé, s'est perpétré dans les [Conférences internationales de la Croix rouge à venir].

La Conférence de 1863 adopte pour base de discussion un "Projet de Concordat" préparé par le Comité international. Elle se termine après avoir adopté dix résolutions qui constituent le fondement des Sociétés de secours aux militaires blessés : les futures Sociétés de la Croix-Rouge et, plus tard, du Croissant-Rouge. La résolution 10 confie au Comité international le mandat d'échanger des informations entre les Comités des diverses nations [mission fondamental du CICR jusqu’à la Première Guerre mondiale]

Dans les mois qui suivent, les premières Sociétés de Secours se constituent […]. Pour sa part, le [CICR] prépare l'étape suivante, une conférence diplomatique [qui] devra transformer les résolutions adoptées en 1863 en règles conventionnelles [applicables] pour les [Parties contractantes]. Le 6 juin 1864, le gouvernement suisse (qui a accepté d'organiser la conférence diplomatique) adresse une lettre d'invitation à tous les gouvernements d'Europe, ainsi qu'aux États-Unis d'Amérique, au Brésil et au Mexique. La Conférence siège du 8 au 28 août 1864, en présence de délégués de 16 États. Elle adopte comme base de discussion un projet de convention [préparé par le CICR]. Elle signe, le 22 août 1864, la Convention pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en compagne. Le droit international humanitaire moderne était né ».

Parmi les éléments principaux esquissés par la Conférence, on compte la neutralisation des blessés de guerre, des services sanitaires et des hôpitaux ; l’identification des infirmiers et des hôpitaux par le signe distinctif universel de la Croix Rouge ; la pratique de réunir des branches nationales au cours de conférences internationales servant de base pour la coopération internationale.

Monarchie face à l’impulsion humanitaire : utilité ou humanitarisme ?[modifier | modifier le wikicode]

Dès le début, on s’est demandé de quelle manière l’internationalisme humanitaire a-t-il réussi à influencer la politique des États et quelle était la motivation qui a poussé les monarchies à accepter des limites à leurs actions en temps de guerre. Dès lors, on a retenu deux théories : selon la première, les monarchies ont adopté la Convention pour des considérations d’utilité militaire ou politique, selon la seconde, les motivations seraient principalement humanitaristes.

L’argument de l’utilité militaire, à savoir l’idée selon laquelle les Parties contractantes souhaitaient utiliser les efforts de volontaires pour minimiser leurs pertes et améliorer la guérison des soldats en vue de leur retour rapide au service, ne serait expliquer seul le ralliement des États d’Europe à la Convention. Effectivement, la faiblesse de la médecine (précédant le traitement des infections par la méthode Pasteur) et la nature de la guerre et de l’armement de l’époque faisait en sorte que les blessures des soldats étaient pratiquement toujours trop graves pour que ces derniers puissent servir à nouveau.

De l’autre côté, l’argument de la bonne volonté humanitariste des monarques, souvent catalysés par l’influence de leurs épouses, ne donne pas non plus satisfaction.

Dès lors, on estime que les raisons ou les motivations pour l’adoption de la Convention tiennent à une combinaison de facteurs complexes :

  • Premièrement, la Convention permettait aux monarques non seulement de minimiser leurs pertes militaires, mais promettait également de réduire la conflictualité et les dommages bilatéraux des guerres qui devenaient de plus en plus complexes et totales dans un système international en clin aux courses aux armements et de plus en plus instable. Dans le long terme, la Convention permettait d’adoucir le fléau de la guerre, de rendre la victoire plus facilement atteignable, de favoriser le bon retour à la paix et réduisait les tensions entre puissances rivales tout en sauvant la face des empires.
  • Deuxièmement, les monarchies de l’époque faisaient face à des tensions intérieures avec une société civile de plus en plus revendicatrice et contestataire : cette dernière était réellement enflammée par l’ouvrage d’Henry Dunant et son appel aux États du monde. Ainsi, la Convention de Genève s’inscrit dans une plus large pratique d’actes philanthropiques dont les monarchies européennes ont pleinement fait usage pour légitimer leur position et leur image.

S’ajoutent à cela des considérations fiscales : les volontaires que procuraient les associations de la Croix Rouge étaient un appui gratuit au travail des corps sanitaires de l’armée, ce qui permettait de réduire les coûts des campagnes militaires.

Finalement, la cause humanitaire, à savoir la volonté de venir en aide et « d’adoucir le sort » de certaines victimes de la guerre, a réellement joué un rôle dans la signature de cette Convention qui favorisait l’intérêt de tous sans coûter quoi que ce soit aux Parties contractantes.

La Convention de Genève et ses effets à l’époque de la realpolitik[modifier | modifier le wikicode]

La Convention de Genève de 1864 a été un pas en avant considérable : il s’agit de la première convention multilatérale (devenue universelle) du droit des conflits armés. Avant même sa ratification, des associations de la Croix Rouge apparaissent dans tous les pays du monde : en Allemagne, en Russie, aux États-Unis, au Japon, dans les colonies en Afrique et bien d’autres. Dès lors, le mouvement s’internationalise véritablement : il prend racine dans toutes les nations du globe et compte des milliers de membres qui sont actifs en temps de paix comme en temps de guerre, non seulement dans le domaine caritatif, mais aussi éducationnel.

Depuis 1864, un nombre de congrès d’experts et de conférences diplomatiques se sont succédé pour développer davantage la cause humanitaire. Tout particulièrement, la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 a été un premier traité multilatéral limitant l’emploi de certaines armes et certaines tactiques causant des souffrances inutiles et/ou superflues en temps de guerre. De plus, le CICR œuvre pour conclure de nouvelles conventions pour élargir et renforcer les protections aux blessés dans la guerre sur mer, puis aux prisonniers de guerre et aux civils. Cette double initiative de limiter la destruction de la guerre et d’élargir les protections aux personnes ont culminé à la signature des Conventions de La Haye, autre étape charnière dans le développement du droit international humanitaire.

Malgré leurs efforts et leurs succès, les développements du droit humanitaire ne suivent pas le rythme insoutenable de la radicalisation de la guerre, exacerbé par la montée des tensions internationales et la révolution des armements.

À cette époque, le rôle du CICR lui-même reste très restreint, malgré la montée en popularité et en importance des sociétés nationales de la Croix Rouge. Il s’agit en fait d’un simple secrétariat de 10 personnes (présidé jusqu’en 1910 par Gustave Moynier) assistés d’un secrétaire. Leur fonction était d’assurer la correspondance entre les associations nationales, de diffuser des informations sur les activités du mouvement de la Croix Rouge au grand public d’édicter un bulletin international régulier, d’accepter ou non de nouvelles associations-membres.

Lors des rares conflits armés qui avaient lieu avant la Première Guerre mondiale, le CICR assurait également la correspondance postale des prisonniers de guerre avec leur famille et envoyait notamment des colis à ces derniers pour améliorer leurs conditions de vie. Avec le temps, une pratique non-conventionnelle s’est développée avec l’envoi de délégués du CICR aux Etats-membres pour s’assurer de la bonne application de la Convention. Néanmoins, les membres du CICR ont exercé une influence salutaire lors des différentes conférences internationales humanitaires.

Les choses vont radicalement changer avec la Première Guerre mondiale : le CICR accepte le mandat de s’occuper du sort des prisonniers de guerre et se dote d’une organisation de taille pour garantir la bonne protection de ses derniers. Or, en raison de la brutalité, de la globalité et de la durée inédites du conflit, la tâche devient immense : il s’agit de se procurer et d’échanger les informations sur plus de huit millions de prisonniers de guerre éparpillés sur tout le continent européen, d’assurer leur correspondance avec leur famille et de s’assurer qu’ils ne soient pas maltraités.

Au final, le mouvement de la Croix Rouge, l’établissement des Conventions de Genève, du CICR et des sociétés nationales de la Croix Rouge ont été des réalisations considérables et un tournant significatif dans le système international de l’époque. Elles ont captivé l’attention et on provoqué une grande prise de conscience à travers la société civile européenne, nourrissant l’opinion virulente que la guerre peut et doit être régulée par le droit ainsi que l’espoir que celle-ci peut être domestiquée voir éradiquée. Les nouveaux régimes internationaux humanitaires ainsi créés ont dépassé la logique de la realpolitik dictée par les cinq puissances du Concert de l’Europe et ont favorisé l’émergence d’une diplomatie multilatérale tenant compte de la conscience publique et des principes humanitaires.

Références[modifier | modifier le wikicode]

Notes[modifier | modifier le wikicode]

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