Globalisations : circulation entre impérialisme et stratégies cosmopolites

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La globalisation aurait une vision « impériale » voire « impérialiste » pour les marxistes. Des mouvements altermondialistes mobilisent des individus à travers des réseaux transnationaux à travers une autre mondialisation. Autour de la question de la mondialisation, il y a des enjeux politiques sur le type de société. Nous allons revenir sur les principales thèses autour de leur pertinence et sur leur analyse des enjeux de pouvoir autour de la globalisation.

La raison impériale et sa dénonciation[modifier | modifier le wikicode]

Comment les rapports de pouvoir ou les volontés « impérialistes » circulent ? Comment ce pouvoir s’impose ou ne s’impose pas ? Comment circule-t-il ?

Castells et la globalisation contre-hégémonique[modifier | modifier le wikicode]

Manuel Castells.

Dans The Information Age: Economy, Society and Culture[9] publié en trois volumes, qui est une bible de l’altermondialisme sur la globalisation des réseaux et du local, il est montré comment la nouvelle société globale contribue à fabriquer une opinion publique mondialisée par les médias contribuant à accélérer la crise des États-nations. Via la circulation de l’information, il y a une prise de conscience globale d’avoir un projet politique qui s’oppose à un projet global.

On assiste à une relocalisation du politique en faveur d’institutions internationales et supranationales qui érodent le pouvoir des États. On parle du néo-médiévalisme avec un retour vers les identités locales et régionales directement liées à l’érosion de l’État. Dans Empire de Hart et Negri[10], la dissolution de l’État ferait tendre vers une sorte d’empire imposé par les canons libéraux de la globalisation éloignant les élites des enjeux locaux et nationaux.

Cette transition du pouvoir au niveau global provoque un éloignement des élites traditionnelles par rapport aux enjeux locaux. Une partie de ces élites vont soit jouer le jeu global et se désintéresser des problèmes locaux soit rester bloquées dans le local et parfois même avoir des positions identitaires. Cette thèse apporte une caution intellectuelle à la cause altermondialiste puisque derrière il y a l’idée selon laquelle les élites en tant qu’agent de la globalisation auraient trahi leur population d’où le besoin de s’ériger contre ces élites. Cette thèse permet une mobilisation transnationale contre des élites. Au-delà de la dimension séduisante de ces types d’approches, les choses sont un peu plus ambiguës. Cette approche bottom-up contre les élites cosmopolites est arrogante.

Certaines ONG communautaires sont par exemple financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international dans les failing states. Cela dépend vraiment des stratégies nationales. De penser que les ces gens vont avoir des choses en commun et travailler ensemble serait simplifier la réalité. On finit dans cette vulgate altermondialiste d’entériner une image très simpliste des élites. Dans cette image, les élites sont soit des vendus à la globalisation, soit des gens enfermés sur des questions identitaires. C’est une contravision manichéenne des élites qui doivent choisir entre agents de la globalisation ou champion du local. Cela contribue à mettre dos à dos ces deux postures comme si elles délimitaient le champ politique à cela.

Ce type d’approche néglige les spécificités des histoires nationales susceptibles d’expliquer le jeu local des positions entre État et ONG. Si on ne s’intéresse pas à cela, on reste dans une approche asocioloqie malgré leur attachement officiel au constructivisme dans le sens où on ne s’intéresse pas au positionnement social et à la contextualisation de ces agents et acteurs dans leur pays d’origine ; les agents ne sont jamais situés dans les espaces nationaux où ils acquièrent des ressources familiales, scolaires, etc.

On reproduit peut-être de nouveau ce non-dit, et la distinction entre relations internationales et science politique. On est souvent face à des gens multipositionnés où l’investissement au niveau international va souvent dépendre d’une approche nationale. La question sous-jacente est comment la globalisation impose des idées, mais aussi comme les combat-on. Ainsi, il y aurait des faits de pouvoir dans la globalisation, certaines stratégies génèrent des effets de pouvoir et permettraient à certaines idées de circuler.

Découplage[modifier | modifier le wikicode]

Avec le néo-institutionnalisme, on étudie la circulation internationale de l’expertise. Avec la thèse de Meyer intitulé World Society and the Nation‐State[11], on est censé dépasser à la fois l’écueil de l’interétatique seul et de la globalisation qui anticipe le déclin des frontières. Les normes globales s’imposent, car se basent sur un socle commun. On est dans une volonté d’essayer de comprendre comment circulent les savoir-faire, mais on est dans une forme de « magie » de par qui cela passe et comment cela se diffuse.

Van der Pijl – global rivalries[modifier | modifier le wikicode]

Dans Global Rivalries From the Cold War to Iraq[12], la thèse de Van der Pijl est intéressante, car elle a la mérite de dépasser les thèses des Harts et Negri sur une absorption de l’État au profit d’un dispositif impérial. Il historicise son argument en disant qu’au niveau global on est dans une longue histoire de compétition entre deux modèles d’États qui s’opposent toujours dans l’espace international. Cette thèse d’inspiration marxiste s’intéresse aux enjeux entre les bourgeois et les élites. D’un côté, il y aurait l’État libéral anglo-saxon, de l’autre, l’État prussien. Cette thèse a quelque chose d’intéressant qui est que, comme par hasard, les pays qui s’en sont bien sortis dans ces dernières décennies sont les pays qui ont adopté un État prussien avant de se transformer en un État libéral. Des États vont se construire plus récemment et devenir des États libéraux dans le cadre d’une économie plus globalisée comme le Brésil ou encore la Corée du Sud dans le cadre de stratégies de décollages.

Il y a l’idée qu’au niveau global, se joue une lutte entre les élites de ces deux types d’États et que le modèle libéral est en fait en train de gagner parce qu’il a certains « avantages comparatifs », mais surtout historiquement il y a eu des phénomènes qui leur ont permis de s’imposer. Cette thèse montre qu’entre la crise de 1929 jusqu’à la fin de la Guerre froide, le modèle anglo-saxon n’a pas le vent en poupe. À la fin de la Guerre froide, il y a le retour d’une pensée néolibérale qui va s’imposer de nouveau au niveau global. C’est une lecture marxiste, mais qui a le mérite de ne pas donner dans les discours globalisants qui prennent la globalisation comme une donnée anhistorique permettant de mettre en perspective la contrerévolution libérale des années 1980. Avec les années 1980, on assiste a un démantèlement des États providences.

La circulation internationale des idées[modifier | modifier le wikicode]

Au-delà de la « magie » du découplage qui pense que l’international fonctionne de manière autonome par rapport au national, « les textes voyagent sans leur contexte ». Une œuvre écrite dans un pays, si elle va être traduite et circuler ce n’est pas nécessairement parce que c’est un superbe texte. On va se rendre compte qu’il y a des stratégies éditoriales, les textes ne circulent pas internationalement de manière linéaire.

Des auteurs se sont inspirés de cela disant que le transfert d’un espace national à un autre s’accomplit à travers toute une série d’opérations sociales par les importateurs en fonction de leurs positions et intérêts avec une sélection et une réinterprétation-marquage. Ce sont des opérations d‘import-export symbolique qui est un terme utilisé par Yves Dezalay et Mickael Rask Madsen dans Espaces de pouvoirs nationaux, espaces de pouvoirs internationaux : Stratégies cosmopolites et reproduction des hiérarchies sociales[13]. Il y aurait une exportation hégémonique des luttes domestiques.

Donc, il y a un besoin d’analyser les stratégies des passeurs en fonction des positions qu’ils occupent dans leurs espaces nationaux. Intervient l’idée qui est en fin de compte assez à contre-courant de ce qu’on peut lire. Le fait d’aller chercher une expertise à l’étranger serait indissociable de la reproduction des hiérarchies sociales dans les espaces nationaux des deux côtés.

Espaces de pouvoirs et circulations des savoirs[modifier | modifier le wikicode]

Ce type d’approche est inspiré par sociologie bourdieusienne racontant une histoire différente de la globalisation. Ils renvoient dos à dos les analyses de science politique et les discours promotionnels ainsi que prescriptifs sur la globalisation comme si le global vivait de manière autonome par rapport à l’État. C’est l’idée de remettre l’État au centre du débat tout en l’inscrivant dans des logiques d’interprétation multiscalaire parce que de nouveau, les études multiniveaux ont tendance à minimiser l’importance des institutions de l’État national comme si elles étaient court-circuitées par interactions directes entre le local et le local. Il faut prendre en compte l’importance des transferts internationaux de compétences et la circulation des experts entre les espaces nationaux. Ainsi, il faudrait repenser les relations entre le national et l’international en évitant un enfermement dans le paradigme étatique et en évitant de céder aux illusions des discours prescriptifs sur la globalisation.

Capital international[modifier | modifier le wikicode]

Dans Les classes sociales dans la mondialisation[14] publié en 2007, Wagner parle de capital international passant par l’acquisition de ressources internationales comme les langues, les codes culturels, mais encore les compétences d’interactions. Les agents disposent de plusieurs capitaux. Chaque agent à différents capitaux. Avec ce type d’outils sachant la sociologie bourdieusienne s’applique dans un champ national, alors qu’est-ce qui constitue un capital international ? Un capital international est justement, peut-être, la possibilité au niveau national de pouvoir obtenir des choses parce que l'on connaît des gens à l’extérieur. En d’autres termes, c’est l’articulation d’un capital international avec d’autres types de capitaux notamment économiques, scolaires ou encore culturels.

Le capital international ne s’acquiert pas facilement. Il s’articule autour de certains types de ressources. C’est l'articulation d'un tel capital international avec d'autres types de capitaux qui est décisive et permet de le maximiser. Wagner va dire qu’en France par exemple, ce sont les anciennes élites de certaines familles qui vont garder les commandes parce qu’elles ont obtenu un capital international.

Si on étudie sérieusement cette notion, on se rend compte qu’on peut avoir une autre lecture de la circulation de savoirs.

Dans La mondialisation des guerres de palais[15], Dezalay et Garth essaient d’expliquer en Amérique du sud pourquoi dans les années 1970 et 1980 se sont imposés toutes les forces néolibérales. Leur argument part du principe qu’on est dans deux stratégies nationales entre lesquelles il y a des logiques d’import- export. Aux États-Unis il y a les Chicago Boys qui sont les défenseurs des réformes libérales que l’on connait bien aujourd’hui.

En Amérique du Sud, ils vont s’intéresser surtout au cas du Chili où il y a une aristocratie qui a plutôt fait ses études en Europe et qui est plutôt proche de la démocratie chrétienne, mais, en même temps, Pinochet arrive avec de nouvelles personnes pour s’imposer. Il va y avoir des intérêts croisés qu’on appelle une « homologie » entre certains américains qui ont intérêt à exporter leur idée et en Amérique du Sud et il y a des gens qui vont importer ces idées parce qu’elles vont leur permettre de s’imposer au niveau national. C’est une lutte entre élites.

Dezalay va encore plus loin. En fin de compte, les enjeux des champs du pouvoir américain ont une influence sur ce qui se passe dans le reste du monde. Aux États-Unis on a assisté à une guerre entre « gauche » et « droite » où ceux qui ont perdu ont fait apparaître toute une série de gens qui ont investi d’autres lieux notamment des juristes qui ont investi des arènes comme les grandes ONG internationales. Il y a un développement des ONG internationales où ce sont des gens qui dans le champ du pouvoir américain se trouvent déclassés étant connecté. S’il y a des effets de pouvoir au niveau global, c’est là qu’ils sont. On observe quelque chose qu’on pourrait reproduire à plein de niveaux. Avec ce courtage de l’international, il y a un double jeu national/international qui équivaut à hégémonie des élites nord-américaines multi positionnées que l’on appelle aussi une « foreign policy establishment ».

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Cours[modifier | modifier le wikicode]

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Leclerc, Romain (2013), Sociologie de la mondialisation, Paris: laDécouverte, 2013.
  • Sassen, Saskia (2009), La globalisation: une sociologie, Paris:Gallimard, pp. 17-50.
  • Dezalay, Yves, Madsen, Mikael R. (2009), « Espaces de pouvoirs nationaux, espaces de pouvoir internationaux »,Cohen, A., Lacroix,B., Riutort, P., Nouveau Manuel de Science Politique, Paris: La Découverte.
  • Bayart, Jean-François (2008), Le gouvernement du monde: Une critique politique de la globalisation, Paris: Fayard.
  • Cooper, Frederik (2001), «Le concept de mondialisation sert-il à quelque chose? Un point de vue d’historien» Critique internationale,10, pp. 101-12. *Dezalay, Yves, Garth, Bryant (2002), La mondialisation des guerres de palais, Paris: Seuil.
  • Madsen, Mikael R., Kauppi Niilo (2013), Power Elites: The NewProfessionals of Governance, Law and Security, London: Routledge

Référence[modifier | modifier le wikicode]

  1. Page de Stephan Davidshofer sur Academia.edu
  2. Page personnelle de Stephan Davidshofer sur le site du Geneva Centre for Security Policy
  3. Compte Twitter de Stephan Davidshofer
  4. Page de Xavier Guillaume sur Academia.edu
  5. Page personnelle de Xavier Guillaume sur le site de l'Université de Édimbourg
  6. Page personnelle de Xavier Guillaume sur le site de Science Po Paris PSIA
  7. Page de Xavier Guillaume sur Academia.edu
  8. Page personnelle de Xavier Guillaume sur le site de l'Université de Groningen
  9. Castells, Manuel. The Information Age: Economy, Society and Culture. Cambridge, MA: Blackwell, 2000.
  10. Hardt, Michael, and Antonio Negri. Empire. Cambridge, MA: Harvard UP, 2000.
  11. Meyer, Ohn W., John Boli, George M. Thomas, and Francisco O. Ramirez. "World Society and the Nation‐State." American Journal of Sociology 103.1 (1997): 144-81.
  12. Pijl, Kees Van Der. Global Rivalries from the Cold War to Iraq. London: Pluto, 2006.
  13. Dezalay, Y & Madsen, MR 2009, 'Espaces de pouvoirs nationaux, espaces de pouvoirs internationaux: Stratégies cosmopolites et reproduction des hiérarchies sociales'. in A Cohen, B Lacroix & P Riutort (eds), Nouveau annuel de science politique. Dévouverte, Paris, pp. 681-693. Grands Repères Manuels
  14. Wagner, Anne-Catherine. Les Classes Sociales Dans La Mondialisation. Paris: La Découverte, 2007.
  15. Dezalay, Yves, and Bryant G. Garth. La Mondialisation Des Guerres De Palais: La Restructuration Du Pouvoir D'Etat En Amérique Latine, Entre Notables Du Droit Et "Chicago Boys. Paris: Seuil, 2002.