Géopolitique du Moyen-Orient

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Nous allons réfléchir sur l’évolution du Moyen-Orient et passer à la phase suivante de l’analyse du terrorisme radical islamiste.

La géopolitique est le lien qui existe entre un territoire et le politique. La géopolitique considère que l’action politique est aussi dictée par des intérêts que représentent certains territoires et certaines ressources. Les acteurs institutionnels et politiques vont avoir une réflexion sur des États ou des systèmes d’acteurs. La géopolitique fait le lien entre le territoire est les systèmes politiques qui sont dessus.

Le Moyen-Orient est une région du monde importante en termes de jeu d’acteurs par un ensemble d’éléments dont certains sont les ressources. La géopolitique du pétrole explique très bien qu’à partir des années 1920, les grandes compagnies pétrolières ont émergé ont eu des intérêts économiques et politique dans les régions du Moyen-Orient. Lorsqu’on parle de géopolitique, on parle d’enjeux stratégiques liés à la présence de ressources, d’éléments importants du développement économique et politique. La géopolitique va considérer le fait qu’il est intéressant d’étudier les systèmes politiques non pas simplement en tant que système, mais en tant que relayant des territoires qui ont des enjeux stratégiques permettant d’expliciter les politiques. Lorsque l’on parle de géopolitique du Moyen-Orient, on pointe le fait que cette région du monde ne peut pas être à l’abri d’enjeux stratégiques importants et de conflictualités importantes.

Le Moyen-Orient a toujours été un espace stratégique. On le trouve dans le concept anglo-saxon de Middle East qui s’oppose à Near East - Le Proche Orient - qui désigne pour certains plutôt les Balkans et l’Empire ottoman, mais peut aussi designer le Moyen-Orient. Les définitions ont beaucoup bougé n’étant pas précisément délimitées. Il débute à l’Ouest par l’Égypte et s’étend à l’Est jusqu’à l’Iran. Au Nord, selon les uns, il peut inclure la Turquie et le Sud du Yemen. Cependant, ce qui est important est que ce concept renvoie à une question de géopolitique. Dès le XIXème siècle, il y a un enjeu fondamental qui est de lutter contre l’expansionnisme russe vers le sud.

Selon certains, c’est le stratège américain Alfred Mahan qui emploie le mot le premier dans un article de la National Review en 1902. L’Amiral Mahan milite pour le développement d’une flotte qui permette d’assurer la suprématie militaire pour étendre sa puissance et s’accaparer des ressources guidant une stratégie militaire.

Le concept du Moyen-Orient[modifier | modifier le wikicode]

C’est un concept qui s’oppose au concept de la Question d’Orient au sens d’une interrogation sur le devenir de l’Orient. De plus, il s’oppose au concept français de Pays du Levant – vision géographique puis politique – qui postule une continuité entre la géomorphologie du Liban, de la Syrie et de la Palestine. Le concept de Moyen-Orient va s’implanter à partir des années 1920 et 1930 notamment à travers la constitution des grandes compagnies pétrolières et la constitution et la consolidation de régimes politiques comme, par exemple, en Arabie Saoudite qui est créé par les pays occidentaux. La querelle traduit des regards différents de légitimation des politiques des grandes puissances dans la région : le concept de Moyen-Orient détrônera au fil du temps celui de pays du Levant. La vision francophone ne survivra pas à la décolonisation.

La vision du Moyen-Orient se renforce dans les années de la Seconde guerre mondiale et immédiatement dans l’après-guerre. Ce sont des raisons stratégiques, car l’enjeu de la Seconde guerre mondiale va aussi se jouer au Moyen-Orient. Toute la question stratégique de la Seconde guerre mondiale fixe une mission importante au Moyen-Orient de tenir l’effort de guerre et d’éviter qu’il se rallie aux puissances de l’Axe. D’autre part, le Moyen-Orient a une importance concernant ses ressources énergétiques et humaines pour la poursuite de la guerre. Le Moyen-Orient est un enjeu du développement économique de l’après-guerre.

Exemple : l’apparition de la revue Middle Eastern Studies en 1964[modifier | modifier le wikicode]

Les Middle East studies apparaissent en 1964 avec l’idée qu’il y a un modèle de développement à promouvoir et qu’il est complexe parce qu’il doit intégrer la Turquie et Israël qui se pose à partir de 1949.

« Since its launch in 1964 Middle Eastern Studies has become required reading for all those with a serious concern in understanding the modern Middle East.

Middle Eastern Studies provides the most up-to-date academic research on the history and politics of the Arabic-speaking countries in the Middle East and North Africa as well as on Turkey, Iran and Israel, particularly during the nineteenth and twentieth centuries ».

Le Moyen-Orient devient un concept incontournable notamment avec la perception des conflits entre Israël et les pays arabes. Israël fait partie intégrante du concept de Moyen-Orient comme le souligne la revue Middle Eastern studies.

La fragilité du concept[modifier | modifier le wikicode]

Ce concept reste très fragile. C’est aussi un concept qui permet aux États-Unis de définir cette aire géographique et politique. Le concept permet toutes les interprétations selon les manières dont les États-Unis vivent leur présence dans la région étant de plus assimilée à une poudrière. La définition du Moyen-Orient peut devenir plus restrictive et écarter des autorités, dont les monarchies pétrolières de la péninsule arabique. Le problème demeure complexe concernant des pays comme l’Iran classé et déclassé de la rubrique du Moyen-Orient. Le concept pensé exclusivement en référence au conflit israélo-palestinien apparait plus restrictif que jamais.

Le Moyen-Orient est une vision occidentale qui peut être subordonnée à un découpage et des fonctions stratégiques qui sont une géographique et une géopolitique. On parle aussi de géoéconomie qui est la poursuite de la géopolitique dans le domaine économique interférant avec la question du politique.

Le déploiement stratégique américain au Moyen-Orient
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Agir au Moyen-Orient 
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De quand dater l’entrée en scène des États-Unis au Moyen-Orient ? Cela date de l’entre-deux-guerres avec des enjeux de l’après-Première guerre mondiale avec la maximalisation de l’utilisation du pétrole et du travail prospectif afin de trouver du pétrole pour faire tourner les économies occidentales. Cela signifie que l’entrée en scène des États-Unis est aussi à ce moment dans les années 1920.

Dans le monde qui est en train de se construire, à partir de la redéfinition des ressources, un lien s’institut entre l’exploitation économique des ressources et la question politique. La question est de savoir quels sont les bons régimes politiques afin qu’il puisse y avoir une efficacité de gestion économique. C’est la relation entre les ressources économiques et la question politique.

Dans le contexte de la Deuxième guerre mondiale et du conflit avec les puissances de l’Axe, l’enjeu est autour de la possession des ressources naturelles pour la poursuite de la guerre. L’après-Seconde guerre mondiale est un enjeu important parce qu’il y a un besoin de ressources pour la reconstruction. C’est une approche stratégique importante, mais qui va se fonder sur un divorce important de la position américaine qui est une position anticoloniale. Les américains sont anticoloniste reprochant aux systèmes anglais et français notamment d’avoir fabriqué des colonies qui sont contre l’idée de liberté. La puissance américaine va jouer aussi au Moyen-Orient contre les intérêts français et anglais.

En pleine Guerre Froide, le discours légitimant l’indépendance des colonies - « sortir » et de sacrifier les britanniques et les français du Moyen-Orient, car la peur est qu’en pleine Guerre froide, le modèle anticolonialiste développé dans les colonies soit un modèle marxiste. Ils vont s’activer à sortir la puissance britannique et française au Moyen-Orient. La puissance soviétique cherche aussi à utiliser le Moyen-Orient comme une zone d’influence, car les enjeux économiques sont importants de plus, elle cherche à avoir un débouché vers la mer Méditerranée.

Time May 22 1978, Prince Fahad Saudi Arabia Ibn Saud.

La constitution de l’État d’Israël joue aussi comme un pôle d’attraction politique sur la région. Les guerres israéliennes vont commencer dès 1949 avec le conflit israélo-arabe. Israël apparaît aux yeux de la population arabe comme un État qui a usurpé les terres, et aux yeux des puissances occidentales comme un État qui permet de conforter les positions occidentales.

Le premier allié est le régime de l’Arabie Saoudite avec la famille royale des ben Saoud qui fonde en 1932 l’Arabie moderne avec l’aide de la puissance américaine. Les enjeux sont économiques et pétrolifères. Les États-Unis s’appuient sur la royauté saoudienne pour contrer les intérêts britanniques dans le pétrole sans complètement évincer l’allié britannique des zones côtières du Golfe, car l’Angleterre demeure un allié naturel. C’est un paradoxe.

La première période est une critique du colonialisme français. Dans un premier temps, les États-Unis vont porter une bienveillance développée à l’égard des régimes politiques de la décolonisations qui s’émancipent des tutelles française et britannique pour passer à une liberté conditionnelle comme avec l’Irak en 1932 ou encore l’Égypte en 1937.

L’accélération de la présence américaine au Moyen-Orient intervient avec l’avancée soviétique par-delà la Mer Noire. Il s’agit de contrer l’URSS par une stratégie du Containment c’est-à-dire qu’on va mettre en place des politiques pour contenir la puissance politique de l’autre notamment en consolidant d’autres États. Il y a une opposition dans le cadre d’un monde binaire entre « monde libre » et « monde communiste ».

Les mesures[modifier | modifier le wikicode]

Les moyens classiques sont les ventes et le contrôle des ventes d’armes vers le Moyen-Orient par la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne. D’autre part, il faut penser la présence militaire qui conduira au stationnement permanent de la Vème Flotte en Méditerranée pour sécuriser les voies de transit des approvisionnements stratégiques, mais aussi intimider ou réagir en cas de menaces sur ses ressortissants. Renforcer l’appui à Israël qui est considéré comme une zone de stabilité pour penser la poudrière du Moyen-Orient. Dans les guerres israélo-arabe, Israël a toujours trouvé un appui fort de l’occident en matière d’armement et de logistique.

Le grand conflit qui va apparaître est le conflit qui va apparaître avec Nasser. Nasser va se tourner vers les américains pour financer le barrage d’Assouan qui vont refuser se tourner vers les Soviétiques qui vont le financer. Le régime nassérien se présente comme socialiste, mais non pas comme marxiste. Nasser va être le grand leader charismatique du panarabisme qui est l’idée de la grande nation arabe et laïque. C’est l’introduction d’un modèle qui est sensiblement lié à l’Union soviétique, mais qui en même temps cherche à affirmer une position originale des pays non-alignés.

Le Moyen-Orient apparaît pour l’occident comme une zone d’incertitude, une zone complexe où il faut développer des systèmes de contrôle et de précaution. Il y a un double paradoxe de la position américaine dans les années 1950 avec une doctrine qui d’un côté vise à appuyer la libération nationale des peuples, d’un autre côté, appuyer des révolutions en marche, mais dont on ne connaît pas l’issu et se retournant souvent contre les américains et ses alliés comme, par exemple, avec la France en Algérie qui s’insurge contre les trafics d’armes en provenance d’Égypte pour le FLN. Enfin, une ingérence des États-Unis dans les affaires locales au nom d’un l’impératif stratégique. Puisque cette région est une région stratégique en termes de ressources et de gestion politique, la position américaine va être à la fois de maintenir des liens historiques et culturels avec les alliés européens traditionnels tels que l’Angleterre et la France et de penser que l’ingérence est aussi de l’ordre de la nécessité.

Cette double position engage plusieurs stratégies possibles :

  • la stratégie du containment : produire des alliances pour contrer le communisme comme, par exemple, le Pacte de Bagdad de 1955 qui associe autour de la Grande-Bretagne, l’Iran, la Turquie, le Pakistan et l’Irak. L’idée est de limiter l’avancée de l’influence communiste ;
  • la stratégie de remplacement ou de substitution : se substituer à une ancienne puissance coloniale comme, par exemple, la Grande-Bretagne notamment en Arabie Saoudite, en Irak.

Prendre appui sur Israël 
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Carte israel moyent orient.jpg

La logique est de prendre appui sur Israël d’abord parce qu’il y a une prise de conscience de l’impossibilité à bâtir un front anticommuniste au Moyen-Orient. Il y a la crainte que le « socialisme arabe » puisse s’étendre par l’exportation du modèle égyptien à travers le passage du « socialisme arabe » au panarabisme. Israël apparait comme un levier important pour contrôler le socialisme arabe.

Pour les américains, le socialisme arabe apparaît comme dangereux. Le double but du « nationalisme arabe » qui inquiète les États-Unis :

  • inquiétude autour du fait de construire un développement économique autonome de ces pays sur le fait que ces pays pourraient avoir une indépendance économique ;
  • inquiétude autour du fait que cela peut susciter un transfert des richesses des anciennes classes dominantes pro-occidentales vers de nouvelles catégories pronationalistes allant à l’encontre de leurs propres intérêts.
Nasser au côté de Khrouchtchev.

La victoire militaire franco-britannique avec la participation d’Israël va se transformer en défaite politique. Les États-Unis et les Soviétiques font faire pression pour que les français et les anglais retirent leurs troupes de Suez. La défaite militaire de Nasser se transforme en victoire devant celui qui a résisté lui donnant la gloire, la légitimité et l’honneur du peuple arabe. Après l’affaire du canal de Suez, les États-Unis prennent conscience du risque que fait peser à leur diplomatie l’absence de soutien aux puissances occidentales dans la région.

La défaite arabe de 1967 dans la guerre du Kippour contre Israël favorise la radicalisation de régimes politiques contre l’Occident et Israël notamment de la part de la Libye, de l’Irak, mais aussi du Sud-Yémen menant à la création d’une ligne de front antiaméricaine qui rapproche régimes laïques et monarchies traditionnelles.

À partir des années 1960 et 1970, les réponses américaines sont des interventions plus importantes en confirmant le soutien à l’Arabie Saoudite et à l’Iran du régime des Pahlavi, mais aussi augmenter l’aide américaine en faveur d’Israël avec un soutien confirmé dans la guerre de 1973 avec une réponse à l’embargo des pays arabes sur le pétrole.

President Sadat of Egypt, President Carter and Prime Minister Begin of Israel sign the Camp David Accords: A Framework for Peace.[2]

À travers Henri Kissinger est mis en place une « stratégie des petits pas » afin d’entrainer un à un les régimes en faveur des États-Unis par une aide économique spécifique comme, par exemple, avec l’Égypte qui devient un partenaire indispensable engagé dans le processus de paix notamment avec les Accords de Camp David. D’autre part, les États-Unis vont aider à l’Irak dans le contexte de la guerre contre l’Iran de l’Ayatollah Khomeiny afin d’éviter l’extension de la révolution islamiste.

De plus, il y a eu une mise en œuvre de la stratégie du Delinkage en relations internationales qui sont des opérations vont chercher à séparer des États d’un même espace pour les transférer dans l’aire américaine. Il s’agit dans la stratégie américaine de séparer les voisins d’Israël des pays du Golf pour incorporer ces derniers dans une nouvelle géopolitique.

Du retour à l’hégémonie
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Les années 1980 et 1990 sont interprétées comme un retour sur la scène moyen-orientale des États-Unis. Ce retour se manifeste par le repli soviétique sur la Syrie et le Sud-Yémen. Sur le plan idéologique, la stratégie du delinkage est mise en œuvre en s’adressant à chaque partenaire pour répondre à ses préoccupations. Cela va mener à une réaffirmation de la présence militaire dans la région et un engagement d’un processus de paix avec Israël auquel les États de la région sont engagés à s’associer.

Les accords d’Oslo de 1993 sont en retrait par rapport aux accords de Camp David de 1978 et posent les palestiniens dans une situation sans espoir notamment avec le mouvement d’implantations de nouvelles colonies israéliennes. Le processus de paix est donc perçu comme un processus de légitimation de la présence américaine au Proche-Orient. Le succès de la diplomatie américaine fut d’empêcher que se constitue un front « arabe » contre la diplomatie américaine au Proche-Orient.

Les nouveaux mots de l’hégémonie américaine[modifier | modifier le wikicode]

D’anciens concepts réactualisés et nouveaux concepts font leur entrée dans le domaine de la stratégie américaine :

  • Bandwagoning State : refers to the act of weaker states joining a stronger power or coalition within balance of power politics.[3][4]. Cela permet d’acquérir de l’influence dans le système impérial afin de ramener l’État vers soi.
  • Pivotal State : countries whose fate determines the survival and success of the surrounding region and ultimately the stability of the international system[5]. C’est un État capable de structurer une région. La gestion des relations diplomatiques et économiques est la capacité de stabiliser politiquement une région.
  • Backlasch States : there are few « backlash states » : Cuba, North Korea, Iran, Irak and Libya. For now they lack the resources of a superpower, which would enable them to seriously threaten the democratic order being created around them. Nevertheless, their behavior is often aggressive ansd defiant. The ties between them are growing as they seek to thwart of quarantine themselves from a global trend to which they seem incapable of adapting[6]. C’est un État qui n’a pas de dimension démocratique et qui a un pouvoir de nuisance notamment belliqueux.
  • Rogue States : some states considered threatening to the world's peace. This means meeting certain criteria, such as being ruled by authoritarian regimes that severely restrict human rights, sponsor terrorism, and seek to proliferate weapons of mass destruction[7][8][9]. C’est un niveau supplémentaire dans la gradation de la conflictualité. Dans cette doctrine, ce sont les États qui atteignent à la paix mondiale en recourant à un régime autoritaire, restreignent la liberté humaine et qui financeraient ou utiliseraient le terrorisme comme un mode d’assurance de leur pouvoir. L’utilisation du terrorisme est un mode d’assurance de son pouvoir. C’est aussi celui qui fait de la prolifération nucléaire et d’armes de destruction massives.

Ces termes permettent de fabriquer le discours impérial sur le Moyen-Orient qui est la théorie des « amis-ennemis ».

Le concept de l’État pivot et son application à l’Égypte[modifier | modifier le wikicode]

Aujourd’hui, l’Égypte actuelle questionne la communauté occidentale, mais dispose d’une bienveillance occidentale. Dans les années 1970 et 1980, l’Égypte est vue comme un État capable de limiter l’influence de l’islam.

La théorie de l’État pivot repose la question de la théorie des dominos. Si un État pivot s’effondre quelles peuvent en être les conséquences sur les États voisins ? Penser l’État pivot c’est donc penser l’arrêt de tout processus de domino. Cela soulève la question de quels sont les États pivots dans la zone géographique concernée ? Selon Paul Kennedy, deux modèles existent : l’Égypte et la Turquie

On peut distinguer un intérêt à deux niveaux de l’Égypte:

  • contenir la vague islamiste et à travers elle toute revendication révolutionnaire dans la région. Référence à l’Iran de Khomeiny et de la Révolution islamique. Cela est sur la base de tout idéal révolutionnaire en contrepoint de la révolution iranienne.
  • constituer un point d’ancrage dans la diplomatie et le processus de paix avec Israël. Sans État pivot comme État-relais, cette diplomatie serait vouée à l’échec.

Selon Daniel Pipes, l’Égypte permet de contrebalancer et rééquilibrer les rapports de force politique au Moyen-Orient. L’entrée de l’Égypte sur la scène géopolitique régionale – puissant facteur de négociation avec Israël – serait à mettre au crédit de l’affaiblissement du camp arabe et des palestiniens.

Il recommande toutefois de ne pas abandonner la relation privilégiée entre États-Unis et Turquie au profit d’un seul axe Égypte-États-Unis. La géopolitique de la Turquie est particulièrement intéressante. Il faut renforcer l’axe avec le régime turc sur la base d’une aide militaire particulièrement importante. Cette conception se rapproche de celle de l’historien et stratège britannique Paul Kennedy qui témoigne du danger que représenterait pour les États-Unis l’abandon de tout axe privilégié avec la Turquie. [Paul Kennedy, Grand Strategies in War and Peace, 1991 ; Preparing for the Twenty- first Century, 1993 ; From War to Peace: Altered Strategic Landscapes in the Twentieth Century, 2000].

Obama-mubarak.jpg

Selon Kennedy, l’aide américaine à l’Égypte doit être contenue dans les stricts termes de l’aide économique et de l’aide alimentaire. L’aide militaire pourrait faire le jeu des ennemis de « l’intérieur ». Le problème de l’Égypte est d’avoir 90% de désert, peu d’agriculture et 90% d’importation de blé. La stratégie de Kennedy est d’apporter une aide économique, une aide alimentaire, mais on ne va pas pousser trop sur l’aide militaire puisque l’Égypte pose un problème avec l’aide militaire qui est la présence des Frères musulmans. C’est l’idée d’une aide maitrisée sur la base que l’Égypte complexe est considérée par les stratèges américains comme étant moins solide d’un point de vue structurel. L’analyse stratégique postule que l’Égypte présente un régime moins solide sur le plan structurel que celui de la Turquie.

Depuis la guerre du Golfe, les États-Unis ont recentré leur stratégie en direction de l’Arabie Saoudite considérée comme le seul État pivot. C’est un État perçu comme plus solide est servant les intérêts américains.

L’Égypte est ainsi amenée à se redéfinir un rôle plus complexe avec la reconquête d’une place géostratégique depuis Nasser :

  • volonté de retrouver une place significative au sein de la Ligue Arabe. Derrière l’image que voulait porter Moubarak, il y avait l’image nassérienne de leader au Moyen-Orient ;
  • recherche d’un rôle de médiation entre les États-Unis et Israël et les autres États de la région ;
  • retrouver un rôle de leadership diplomatique régional ;
  • faire les bons offices dans de tas de dossiers complexes c’est-à-dire une politique de gestion des conflictualités dans la région.

Backlash States, stratégie du containment et Rogue States[modifier | modifier le wikicode]

Le Backlash State [État rebelle] se définit par rapport à la notion de fonctionnement des relations internationales. C’est ce qui a échappé à la rationalité de l’ordre international par des États qui ne jouent plus les règles internationales minimales.

Le Rogue State [État voyou] s’oppose à la fois à l’ordre international imposé par les plus puissants, mais aussi aux règles régionales mises en place par les puissants ou les États-Unis comme, par exemple, Cuba.

La liste des États-rebelles est sujette à caution variant dans l’espace-temps. Elle a longtemps compris la Libye, le Soudan, l’Iran et plus récemment l’Irak. Quelle place accorder à la Syrie ? Les positions évoluent au fil du temps et selon les conjonctures géopolitiques régionales. D’un côté il y a un rapport compliqué avec l’occident et de l’autre un État surarmé et autoritaire.

La théorie du backlash State débouche logiquement sur la théorie du containment qui interroge sur comment faire pour endiguer notamment avec la nécessité d’endiguer le développement soit du socialisme soit de l’Islam politique. La politique du containment va viser à contenir l’islam politique et va fabriquer des outils d’une gestion.

Les contenus de la politique de containment comprennent :

  • l’aide au développement économique pour stabiliser les régimes politiques sur la base des échanges et ouvertures économiques
  • l’aide militaire pour assurer au pays concerné les moyens de se défendre sur le plan géostratégique notamment à travers la vente d’arme ;
  • une politique d’intervention constituée sur la base de la « low intensity War » [conflit de faible intensité] à partir d’un armement et des dispositifs conventionnels
  • des dispositifs répressifs comme l’embargo soulevant la question du rapport de la gestion de l’ONU.

Anthony Lake postule au milieu des années 1990 la nécessité du « double containment » pour les deux pays en conflit que représentent l’Iran et l’Irak. La position est très cynique. Il faut profiter du conflit entre les deux systèmes de régime pour les affaiblir mutuellement et éviter une position de leadership pour un des deux, jugée dangereuse pour l’équilibre régional et les intérêts stratégiques américains.

Zbigniew Brzeziski, ex-conseiller du Président Jimmy Carter, réfute la théorie du double containment d’Anthony Lake pour proposer au milieu des années 1990 une théorie variable plus adaptative fondée sur :

  • l’endiguement absolu de l’Irak dont la puissance militaire et le régime prétorien est défini comme une menace majeure pour la sécurité régionale, la paix du Golfe et le processus de paix israélo-palestinien ;
  • un endiguement plus mesuré avec l’Iran. L’espoir du dialogue possible permet d’imaginer la banalisation des rapports politiques avec l’Iran. La crise de l’Islam politique fait espérer un changement naturel du régime. On ne va pas affaiblir l’Iran, mais on essaie de fabriquer un régime à travers une stratégie différente ;
  • une concertation plus active avec l’Europe sur la politique à mener au Proche et Moyen-Orient.

La position sur l’Irak a été marquée par les hésitations nées des contradictions géostratégiques[modifier | modifier le wikicode]

Opération Desert Storm.

La première guerre du Golfe avait pour objet l’anéantissement de la puissance militaire irakienne. La crainte d’une déstabilisation régionale au profit de l’Iran a conforté les États-Unis dans la conservation du régime de Saddam Hussein – principes de l’école réaliste –. Le régime politique est sauvé, mais placé sous embargo des Nations Unies. Le concept de Rogue State est appliqué à l’Irak jusque dans les dernières années du XXème siècle.

Le renversement le régime irakien devient une nécessité qui se réactualise après le 11 septembre 2001 avec pour ambition de détruire le régime irakien. Le passage par le 11 septembre est très important pour comprendre ce qui va se passer.

Conclusion : 1993 ou l’année des trois paradigmes pour l’après-guerre froide[modifier | modifier le wikicode]

Alain Joxe - L'Empire du chaos[10]

Les meilleures analyses produites sont pour nous celles d’Alain Joxe auteur de plusieurs ouvrages de géopolitique dont L’Empire du chaos, dont nous référons ici.

Trois paradigmes contenus dans trois livres parus dans la même année 1993 qui est considérée comme une année charnière :

  • Samuel Huntington, The Clash of civilizations, 1993 ;
  • Alvin et Heidi Töffler, Third wave information war, 1993 ;
  • Anthony Lake, Enlargement versus Containment, 1993.

Samuel Huntington [1927 – 2008][modifier | modifier le wikicode]

Samuel Huntington en 2004 au Forum économique mondial de Davos.

Huntington est un brillant universitaire d’Harvard, membre du Conseil de Sécurité́ nationale, auteur de plusieurs livres sur le politique, l’armement, la culture et la stratégie. Il publie en 1993 un article The Clash of Civilizations ; sa thèse : Le monde se divise en civilisations : occidentale, tao-confucéenne, islamique, Hindoue, orthodoxe, latino-américaine. Le choc va se produire entre occidentale, tao-confucéenne et islamique soulevant la question de savoir comment diviser le monde pour le dominer ?

L’idée est de diviser le monde pour dominer proposant une stratégie impériale d’alliances. « La civilisation judéo-chrétienne » repose sur le principe de la stratégie impériale classique faite d’alliances. Selon lui, les cultures ne sont pas « mixables ». La seule modernité possible est occidentale caricaturant l’Islam et le présentant comme un danger. Le problème des best-sellers est que ce genre d’ouvrage diffuse des perceptions simplistes.

Alvin et Heidi Töffler[modifier | modifier le wikicode]

Alvin et Töffler sont des écrivains, sociologues et futurologues et auteurs en 1970 du Choc du futur. Ils travaillent sur :

  • « la guerre de l’information », « la guerre de la connaissance » ;
  • « la guerre de la troisième vague », soit la guerre de la connaissance électronique.

Le concept religieux de « choc des civilisations » est écarté. Pour eux, la nature du conflit est d’ordre entre des civilisations agraires, industrielles et informatiques. Le leadership ne peut être que fondé sur l’information au centre de toute guerre à venir. Information et connaissance vont de pair. Seul le maintien du monopole de la connaissance – non-partage et supériorité – permet de jouer sur l’information qui ne se partage donc pas.

Il ne peut donc y avoir des alliances qui ont pour objet le partage de l’information. Il faut fabriquer des alliances régionales pour permettre aux États-Unis de conserver un leadership mondial. Le concept d’alliance associe donc les États-Unis, l’Europe et le Japon.

Anthony Lake[modifier | modifier le wikicode]

Anthony Lake.

Lake est universitaire à la John Hopkins University, conseiller à la sécurité nationale du président Clinton. Il fonde une nouvelle théorie sur les cendres de la théorie du containment de la bipolarité de la Guerre Froide. Il va fabriquer un « enlargement » fabriquant une ouverture par une économie de marché. À partir du moment où on ouvre les États à une économie de marché, l’idée est qu’on va aboutir à une libéralisation politique qui va créer un grand marché mondial et instaurer une paix mondiale.

Il ne s’agit plus de contenir l’ennemi ou ses alliés, mais au contraire de produire de l’enlargement par une économie de marché elle-même ouverte - et qui s’oppose à la command economy –. L’enlargement par l’économie vise par effet de ricochet un enlargement politique soit l’ouverture de régimes considérés comme bloqués et dirigistes et anti-démocratiques.

C’est une conceptualisation d’un nouveau monde globalisé avec :

  • la consolidation du noyau dur des démocraties de marché : États-Unis ; Canada, Japon et Europe
  • la consolidation des « nouvelles démocraties » : Amérique latine, Afrique du Sud, Nigeria.

La contre-attaque ou la stratégie de subversion libéralisante est élaborée contre les États hostiles comme l’Iran, l’Irak ou encore Cuba qui sont des États voués au blocus. L’aide humanitaire dans les régions de misère - great humanitarian concern – est mise en place pour favoriser la démocratie de marché. Émerge un nouveau monde polarisé qui n’est plus celui du libéralisme opposé au dirigisme, mais celui de la démocratie contre la barbarie.

La démocratie ne peut que faire alliance avec les États-Unis. Les États en cours de libéralisation économique dont la Chine, le Vietnam sont des États avec une économie de marché développée, mais avec des régimes autoritaires ; ou encore certains États du Moyen-Orient ne génèrent plus de la bienveillance que de l’hostilité.

La question qui est soulevée est quelle est l’étendue de la Barbarie ? Ou de la « Zone barbare ». Ce sont Les États tyranniques, les États contre la démocratie et l’économie de marché, mais aussi les États fondés sur des régimes militaires et/ou la religion. D’autre part, il y a un retour d’une théorie de l’unilatéralisme. On peut remarquer que le grand absent dans la pensée d’Anthony Lake est l’ONU qui est considérée comme impensée et impensable.

Par ses trois analyses, Alain Joxe nous invite à penser la géopolitique américaine à partir de 1993 en termes de « stocks de représentations impériales » qui peut être rapportées aux figures suivantes :

  • la structure autistique. Il n’y a plus d’interaction à rechercher avec l’autre et il n’y a pas de compréhension du monde ;
  • le leadership des États-Unis est réaffirmé ;
  • la recherche d’un principe d’intervention expéditionnaire minimaliste. On ne va plus s’investir sur des champs bancals.

Il y a la mise à distance de la tyrannie comme domination du politico-militaire sur l’économie. Pour comprendre les conséquences diplomatiques, politiques du 11 septembre, il faut comprendre cette position autistique.

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Benjamin Barber, Djihad versus McWorld, mondialisation et intégrisme contre la démocratie, Paris, Pluriel, 1996 ;
  • Pierre Hassner, « Le Barbare et le Bourgeois » Politique internationale, 84, été 1999, p. 81-98 ;
  • Robert D.Kaplan, L’anarchie qui vient, ;
  • Paul Kennedy, La grandeur et le déclin des nations, Paris, Payot, 1989 ;
  • Fouad Nohra, Stratégies américaines pour le Moyen-Orient, Beyrouth, Al- Bouraq, 1999 ;
  • Jean-Christophe Rufin, L’Empire et les nouveaux barbares, Paris, Jean-Claude Lattès, 1991 ;
  • Robert Steele, « Les nations intelligentes : stratégies nationales et intelligence virtuelle », Défense Nationale, 40, 1996

Cours[modifier | modifier le wikicode]

Articles[modifier | modifier le wikicode]

  • "Moyen-Orient Et Pays Limitrophes Géographie." Moyen-Orient Et Pays Limitrophes Géographie. N.p., n.d. Web. 17 July 2014. <http://le-lutin-savant.com/g-moyen-orient-geographie.html>.
  • Foreign Policy,. (2015). Forget Sykes-Picot. It’s the Treaty of Sèvres That Explains the Modern Middle East.. Retrieved 11 August 2015, from https://foreignpolicy.com/2015/08/10/sykes-picot-treaty-of-sevres-modern-turkey-middle-east-borders-turkey/
  • W.P. Deac. ‘Duel for the Suez Canal.’ Military History, Vol. 18 Issue 1. Apr2001, pp. 58- 64.
  • P.H.J. Davies. 2012. Intelligence and Government in Britain and the United States, Vol. 2. ‘Ch 7: The Great Centralization, 1957-66’, pp. 163-177.
  • R.J. Aldrich. 2001. The Hidden Hand. ‘Ch 21: Defeat in the Middle East: Iran and Suez’, pp. 464-494.
  • W.S. Lucas. ‘The missing link? Patrick Dean, Chairman of the Joint Intelligence Committee.’ Contemporary British History. Vol.13 No. 2. 1999, pp. 117-125.
  • P. Cradock. 2002. Know Your Enemy: How the JIC Saw the World. ‘Ch 18. Intelligence and Policy.

Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Page personnelle de Rémi Baudoui sur le site de l'Université de Genève
  2. "Academy of Achievement Photo Credit." Academy of Achievement. Academy of Achievement, n.d. Web. 17 July 2014. <http://www.achievement.org/autodoc/photocredit/achievers/car0-015>.
  3. Quincy Wright (1890-1980) in A Study of War, 1942
  4. Kenneth Waltz in Theory of International Politics, 1979
  5. Robert S. Chase, Emily Hill, and Paul M. Kennedy, The Pivotal State, 2000
  6. Anthony Lake, Confronting Backlash States, 1994
  7. T.D.Allman, Rogue State: America at War with the World, 2004
  8. William Blum, Rogue state: a guide to the world's only superpower. 2006
  9. Noam Chomsky, Rogue States : The Rule of Force in World, 2000
  10. Joxe, Alain. L'empire Du Chaos: Les Républiques Face À La Domination Américaine Dans L'après-guerre Froide. Paris: La Découverte, 2004.