De l’exceptionnalisme à l’universalisme américain

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Nous allons envisager un certain nombre de points structurels et des problèmes relatifs à la politique étrangère américaine vus sur le long terme. Il faut envisager les choses sur la longue durée, nous allons voir comment se structure cette politique étrangère, selon quelles lignes directrices, comment le rapport au monde des États-Unis s’est progressivement construit de la période allant du milieu du XIXème siècle jusqu’à nos jours et faire la part de ce qui existe dès le début de l’histoire américaine.

L’exceptionnalisme est l’idée qu’il y a une exception américaine que les États-Unis constituent un pays particulier avec un destin particulier. Cela n’est pas très original, mais c’est particulièrement fort aux États-Unis et important sachant le poids qu’on prit les États-Unis dans la géopolitique mondiale et dans l’ordre mondial au cours du XXème siècle.

L’universalisme est l’idée qu’un pays a un destin particulier, mais que ce pays, entend, a conscience, à la certitude et la volonté de constituer un modèle pour le reste du monde.

Ce balancement est quelque chose qui est un balancement structurel dans les rapports des États-Unis au monde et dans le cadre de la politique étrangère américaine. C’est un pays qui a comme n’importe quel pays construit une politique étrangère dont l’objectif est d’affirmer sa puissance et défendre ses intérêts particuliers et en même temps une politique étrangère qui va plus loin que cela, de puissance, de grande puissance et de superpuissance. C’est une politique étrangère qui défend les intérêts nationaux, mais qui va plus loin présentant un modèle, dans la politique étrangère américaine et la façon dont elle est mise en place, ce modèle devrait s’appliquer à l’ensemble de l’humanité dans un futur incarnant l’avenir de l’humanité.

Nous allons d’abord nous intéresser à la notion d’exceptionnalisme, puis à la cristallisation de l’universalisme où cette notion d’universalisme devient prépondérante de la politique étrangère américaine d’autant plus que le poids des États-Unis va s’accroitre dans les relations internationales. L’universalisme ne va plus seulement être un discours déconnecté de la réalité, mais une réalité avec la prise de poids des États-Unis dans les relations internationales et enfin le dilemme de la politique étrangère américaine.

Les composantes de l’exceptionnalisme

La démocratie américaine

Dessin de presse (attribué à Benjamin Franklin) qui fut d’abord publié pendant la guerre franco-indienne au cours de la guerre de Sept Ans, puis réutilisé pour inciter les colonies américaines à s’unir contre la couronne britannique.

L’exceptionnalisme américain, la certitude d’avoir un destin particulier se manifeste avec un premier élément fondamental que l’on retrouve dans les origines de la création des États-Unis. C’est un élément de longue durée, toute une série de notions se met en place à ce moment-là en particulier dans la conception de la liberté et le rapport au pouvoir. Un des éléments fondamentaux vécus par les immigrants dans ce qui va devenir les États-Unis est qu’ils vont trouver un « Nouveau Monde » où le despotisme des régimes monarchiques et en particulier les persécutions religieuses qui sont alors la règle dans l’Europe du XVIIème siècle n’existe pas. L’attachement fondamental à la liberté est un élément structurel de la conception réelle et vécue de la différence entre les États-Unis et l’Europe.

Une des choses qui caractérise les Treize colonies est une extrême autonomie, chaque colonie avait une histoire autonome avec son organisation spécifique qui était un mélange de centralisme afin de faire fonctionner l’ensemble et de décentralisation parce qu’un des éléments fondamentaux chez les migrants était l’attachement à la liberté et plus particulièrement à la liberté individuelle. La dialectique entre centralisation et décentralisation reste encore aujourd’hui forte dans les colonies est dans les États-Unis.

Le troisième aspect important est qu’au moment ou les Treize colonies déclarent leur indépendance par rapport à la Grande-Bretagne, la guerre d’indépendance américaine est à la fois une guerre contre l’Angleterre, mais aussi plus largement une guerre contre le régime monarchique. Finalement, dans la lutte pour la démocratie d’une part et la construction de la politique étrangère d’autre part, sont deux réalités étroitement liées dès les origines de la République américaine. Il y a l’idée que toute politique étrangère commence par une lutte pour la démocratie.

Le gouvernement américain tel qu’il s’est conçu dès le départ a toujours eu un double objectif qui est que le pouvoir est à la fois censée défendre le pays contre ce qui est le colonisateur et l’idée qu’il ne doit pas être trop fort non plus sinon cela devient une tyrannie au détriment de la liberté individuelle. Ce couple centralisé – décentralisé est un curseur dans le système politique américain qui oscille en permanence selon les périodes.

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Si on regarde le système Checks and Balances c’est un système politique dans lequel à chaque pouvoir correspond un contre-pouvoir avec ses équilibres. Un pouvoir doit affirmer la puissance et la centralisation et un pouvoir doit protéger l’individu contre l’empiètement des pouvoirs de l’autre pouvoir. Chaque fois qu’un pouvoir est créé, un contre-pouvoir a été créé. Les États fédéraux se mettent ensemble pour représenter leur propre pouvoir et l’État fédéral est rassembleur. Il y a toujours la lutte entre État fédéraux et l’autonomie des États fédérés. C’est un couple structurel. La même chose se trouve entre le gouvernement central et le Congrès qui représente l’individu contre l’État. À l’intérieur du Congrès, il y a la différence entre les Sénats et la Chambre des représentants : le Sénat représente les États, et la Chambre des représentants représente les individus.

La coïncidence entre empire et démocratie ne relève d’aucune contradiction entre empire et démocratie. L’idée des pères fondateurs de la République américaine comme Jefferson, Washington, Madison, Jay est qu’ils sont convaincus d’avoir réalisé une synthèse parfaite. La République américaine se constitue en contrepoint à une Europe sous la férule monarchique à ce moment de l’histoire. C’est une synthèse parfaite entre affirmation d’un pouvoir d’une part et respect de la liberté individuelle d’autre part.

Cette conception va très vite être conçue comme étant exportable. L’idée que les États-Unis peuvent, et doivent exporter la démocratie est présente dès le départ dans la politique américaine parce que précisément les concepteurs de la République américaine pensent avoir réalisé la synthèse parfaite qui doit devenir un modèle pour le reste de l’humanité.

La politique étrangère américaine n’est absolument pas déconnectée de se qui se passe à l’intérieur. Il faut laisser la distinction faite par les théoriciens de la science réaliste qui séparent la politique intérieure de la politique extérieure. Dans le cadre des États-Unis la connexion est intime entre politique extérieure et politique intérieure.

Un laboratoire de la modernité

Lorsqu’on analyse l’exceptionnalisme américain, il y a aussi un rapport intime à la modernité important à comprendre qui est structurel dès le départ devenant très important dans la politique étrangère au XXème siècle et présent dès le XVIIème siècle. Ce qui va devenir les États-Unis se conçoit et est perçu par les Européens comme un laboratoire de la modernité.

La liberté religieuse est tout à fait fondamentale. Ceux qui émigrent aux États-Unis sont des personnes multiconfessionnelles ainsi que des dissidents. Se retrouvent aux États-Unis des personnes ayant des convictions religieuses très différentes. La seule façon que les futurs « américains » ont afin de continuer de vivre ensemble est de ne pas imposer de religion d’État. Le premier à l’avoir fait est la Pennsylvanie en 1684 qui est le premier État à avoir instauré comme principe la tolérance religieuse. Beaucoup de philosophes des lumières vont voir les États-Unis om un laboratoire de la liberté parce que l’idée de liberté religieuse et la tolérance sont une initiative novatrice qui va structurer la pensée des Lumières en Europe.

Postcard photo of the Rexall Train.

L’usage de la technologie est précoce, immodéré et permanent afin de mettre en valeur le territoire. Les Américains, à partir de la création des États-Unis, vont conquérir assez rapidement un territoire énorme avec une population assez faible. Pour mettre en valeur se territoire puisqu’il manque de bras, les machines vont être développées. Très rapidement, la mise en valeur du territoire, des ressources naturelles et agricoles vont être fondées sur la construction de machines-outils très développées. Il y a une dimension technologique forte, il y a l’idée que les Américains sont capables de dompter la nature. Le rapport américain à la modernité est un élément fondamental de l’exceptionnalisme américain.

Le thème de la modernité va se retrouver tout au long du cours et en particulier après la Deuxième Guerre mondiale. Il y a une dimension d’apporter la modernité à des pays qui ne l’ont pas. Dans les années 1950 se développent les théories de la modernisation. L’idée de la modernité est absolument centrale dans la construction de l’exceptionnalisme américain.

Un peuple élu : la « Manifest destiny »

Cette œuvre, peinte vers 1872 par John Gast intitulée American Progress est une représentation allégorique de la « Destinée manifeste ». Dans cette scène, une femme angélique (parfois identifiée comme Columbia, la personnification des États-Unis au XIXème, porte la lumière de la « civilisation » à l’ouest avec les colons américains, câblant le télégraphe dans son sillon. Les Amérindiens et les animaux sauvages fuient vers les ténèbres de l’ouest sauvage.

La « Destiné Manifeste » est l’idée que la population américaine, les immigrants sont des dissidents émigrant avec la certitude d’être un peuple élu porteur du futur. L’expression « Nouveau Monde » n’est pas seulement une réalité géographique, mais l’idée de la construction d’une manière générale d’une nouvelle société.

Les habitants de ce qui va devenir les États-Unis vont se penser comme un peuple élu incarnant le futur du monde. Cette thèse va se cristalliser devenant un élément fondateur de la culture politique américaine et donc une ligne directrice de la politique étrangère américaine. Au milieu du XIXème siècle dans les années 1840 – 1846, les États-Unis s’agrandissent vers l’Ouest, il y a une dilatation territoriale énorme, il y a un bon dans la puissance américaine qui se fait à ce moment-là. C’est le moment où il commence à y avoir la conquête des marchés extérieurs et en particulier le marché chinois. Il y a une vraie exception commerciale, afin de mettre en valeur le territoire qui devient de plus en plus énorme, il faut des dispositifs techniques particuliers notamment dans le domaine des communications avec la construction des chemins de fers reliant l’Est à l’Ouest.

Cela est interprété par la population américaine et le milieu intellectuel comme de l’exceptionnel et d’un appel divin appelant le destin des États-Unis. Les États-Unis sont la seule démocratie moderne où le président prête encore serment sur la bible. Tous ces signes apparaissent comme un signe divin avec un destin exceptionnel qui attend les États-Unis.

L’idée de Destinée Manifeste est formulée par John O’ Sullivan en 1845, à propos de l’annexion du Texas, et est reprise par Walt Whitman et Ralph W. Emerson[4][5]. Ils développent l’idée que les États-Unis sont un pays exceptionnel avec un destin exceptionnel devant conquérir le territoire américain et éventuellement plus tout en diffusant les principes de la démocratie américaine dans le reste du monde, qui, à cette époque, se fonde aussi sur des distinctions raciales.

La cristallisation du destin exceptionnel se fait dans les années 1840 – 1850 avec le discours de la Manifest Destiny qui reste théorique puisqu’en 1845 les États-Unis ne sont pas encore une grande puissance. Dans les faits, va se caractériser la conquête d’un territoire énorme et faire partager les bénéfices de la démocratie.

La conquête permanente de la frontière

Davis avec Theodore Roosevelt à Cuba, 1898.

Conquête territoriale d’une part et création d’une identité nationale et formatrice de la nation sont deux choses qui se passent en même temps. Le concept d’identité nationale n’est pas dissociable de la conquête du territoire, les deux processus viennent en même temps.

Le processus de formation de l’identité nationale américaine est concomitant de la conquête et substantielle à la construction de l’identité. C’est un discours et une pratique que les migrants vont adopter en repoussant en permanence la frontière. Les migrants entretiennent un rapport extrêmement fort avec l’idée de Manifest Destiny. Lorsque les migrants arrivent dans les terres californiennes ou dans le centre ouest, ils trouvent de vastes terres fertiles qu’ils vont transformer et exploiter.

Ils repoussent la frontière jusqu’à arriver au Pacifique. Vers les années 1890 où les États-Unis sont déclarés unifiés, l’étape suivante devient le reste du monde. Précisément, la politique étrangère américaine n’est qu’une poursuite du processus de conquête américain. À l’issue de la guerre contre l’Espagne, Théodore Roosevelt eut ces paroles : « l’américanisation du monde est notre destinée ».

La conquête permanente de la frontière est un élément fondamental de la politique expansionniste américaine. Le reste du monde est un territoire potentiellement ouvert à la conquête américaine. Quelque part, si on poursuit le raisonnent, il n’y a pas de rupture entre la politique intérieure américaine et la politique étrangère. Le monde n’est qu’un jardin potentiel de la politique américaine, la frontière entre les États-Unis et le reste du monde est une conception perméable.

Un pays-monde

Immigrants à Ellis Island (New York).

La majeure partie des immigrants sont des Anglais et de hollandais, mais rapidement les États-Unis deviennent un pays kaléidoscopique avec une diversification des migrants à travers des séries de vagues allant largement peupler le pays. Les États-Unis sont jusqu’au début du XXème siècle un pays d’immigration. D’autre part, la grande vague est entre 1890 et 1920 avec jusqu’à 1 million d’immigrants par an.

Très vite est intégrée la composante que les États-Unis sont un condensé de l’humanité parce que des gens viennent de partout. C’est un « pays-monde » mieux à même de comprendre le monde. La synthèse politique et sociale américaine doit prendre en compte des influences venant de divers systèmes et pays. Les États-Unis arrivent à faire cohabiter des gens venant d’horizons différents. Les États-Unis sont exceptionnels parce que ce sont un « pays-monde », un condensé d’habitants pouvant constituer un modèle pour le futur de l’humanité. Le discours de la Manifest Destiny a des encrages profonds puissants qui font corps de doctrine dans des éléments concrets.

La cristallisation de l’universalisme

La fin et les moyens

Dessin satirique représentant le monopole de la société dans les années 1900.

Il y a un moment où se cristallise l’universalisme arrivant à maturité dans son discours et dans sa mise en œuvre. Sur la dimension universaliste, le moment important est les années 1890 parce que c’est le moment où le pays est unifié et il y a une étape supplémentaire de franchie, la population est de plus en plus importante, enfin, il y a un pays qui devient une puissance économique extrêmement importante. Dès avant 1914, les États-Unis sont la première puissance économique du monde au niveau de la production industrielle dépassant la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France réunies.

La puissance économique est majeure avec un marché intérieur important et protégé tandis que le marché américain est assez peu ouvert aux produits européens. Ce marché très protégé permet à d’énormes groupes industriels de se constituer. C’est une économie extrêmement concentrée avec de grands groupes qui ont pour caractéristique d’être assez rapidement en situation de monopole sur le marché américain et d’avoir très vite des ambitions mondiales notamment avec l’ambition de conquérir les marchés extérieurs dès la fin du XIXème siècle. La Standard Oil Company détient le monopole du marché pétrolier interne et 90% du marché mondial. La décennie des années 1890 est absolument fondamentale.

Une multiplicité d’acteurs

L’universalisme est issu de milieux différents, il y a une multiplicité d’acteurs. La politique étrangère américaine est faite par des acteurs nombreux et divers. Le discours universaliste à des origines diverses est produit d’actions diverses et variées de milieux différents. La construction de la politique étrangère américaine ne se fait pas uniquement avec l’impulsion de l’État qui ferrait tout. L’État américain n’est qu’un acteur parmi d’autres. L’État américain est le réceptacle d’une multitude de lobbys perméables à toute une série de sollicitations extérieures. Le programme international n’est pas que le résultat des cogitations d’un petit nombre d’administrateurs. On retrouve ce discours dans toute une série de groupes qui s’internationalisent.

Lorsqu’on parle de « messianisme américain », les États-Unis sont un pays de mission où il y a de nombreuses missions protestantes qui vont y prêcher l’évangile anglo-saxon. C’est un élément important du début du XIXème siècle avec l’American Board of Commissioners for Foreign Missions qui coordonne des missions protestantes dans le monde. Au début du XXème siècle, il y a plus de 1000 missions différentes en Chine et plus de 600 au Japon relevant une force de frappe de puissance. Ce sont des missions évangélistes, mais qui prônent aussi l’exportation du modèle américain. Ces différents mouvements missionnaires ont des relations ambiguës avec le gouvernement américain qui souvent laisser faire, entérine et parfois protège les missionnaires comme dans le cadre de la révolution des Boxers en 1900 en Chine.

Il y a aussi toute une kyrielle d’associations et d’organisations que Ian Tyrrell appelle les « Moral Reformers » qui sont des associations avec des buts précis comme promouvoir l’éducation physique et morale de la jeunesse notamment à travers les YMCA ou l’abstinence en matière de boissons à travers la New York Society for the Abolition of Vice. Toutes ces associations se projettent dans toute une série de pays à partir des années 1870 – 1880. La YMCA est l’une des plus dynamiques qui crée des filiales dans de nombreux pays européens.

Les industrielles partent à la conquête des marchés mondiaux à partir de la fin du XIXème siècle. Ils se regroupent aussi en associations comme avec la American Manufacturers Export Association fondée en 1909 ou encore l’American Chamber of Commerce créée en 1912. Ce sont des industriels qui se font concurrence sur le sol américain, mais lorsqu’il s’agit d’aller à l’extérieur jouent ensemble. Fin XIXème siècle – début XXème siècle, ces associations ont pour ambition de fonctionner à l’échelle mondiale. C’est un industrialisme pragmatique avec l’idée de conquête des marchés mondiaux dominés par les Européens.

Logo original de la Fondation Rockefeller.

La catégorie des philanthropes est souvent des industriels qui ont fait fortune dans leur secteur d’activité comme Rockefeller et Carnegie qui créent des fondations philanthropiques qui vont agir dans toute une série de parties du monde en subventionnant des centres de recherche, en organisant des campagnes sanitaires et en même temps en promouvant la modernité américaine. Les fondations philanthropiques mettent en œuvre des politiques d’ampleur mondiale avec les premières grandes campagnes de vaccination. Les philanthropes sont une catégorie qui fonctionne à l’échelle du monde. La devise de la fondation Rockefeller suggère le projet mondial et d’universalisme qui se précise : « to promote the well-being of mankind throughout the world ».

Dans les années 1890, les militaires qui deviennent un lobby important au sein de l’administration fédérale américaine réclament l’augmentation de la puissance de feu américaine et en particulier de la puissance navale. La puissance militaire à la fin du XIXème siècle se mesure à la puissance de sa marine c’est pourquoi les militaires demandent l’augmentation du tonnage de la marine américaine. Il y a un lobbying concomitant des militaires et des industriels qui aussi permet à l’État d’augmenter ses potentialités géostratégiques lui offrant des capacités pour être présentes sur une plus grande variété de théâtres d’opérations.

Les faiseurs d’opinions et en particulier des journalistes correspondants sont dans la période de « l’Âge d’or » de la presse écrite. Ils sont importants dans le cadre du relais d’un discours afin de promouvoir le fait que les États-Unis sont une puissance importante et que leur politique doit se développer à l’échelle du monde.

Les hommes d’État formalisent le processus de décision et mettent en œuvre une politique concrétisant l’universalisme. À partir de la fin du XIXème siècle, les dirigeants politiques américains ont une ambition mondiale qui se formalise.

L’entrée dans l’arène des puissances

Le Conseil des Quatre à la conférence de paix : Lloyd George, Vittorio Orlando, Georges Clemenceau, et Woodrow Wilson.

À la fin du XIXème siècle, les États-Unis qui étaient une puissance régionale jusqu’aux années 1890, entrent dans l’arène des grandes puissances avec la guerre contre l’Empire espagnol finissant et le début d’un Premier empire colonial américain avec Cuba, Puerto Rico, Guam et les Philippines. L’affrontement avec l’Espagne signe l’entrée des États-Unis dans le monde des grandes puissances.

Le stade suivant de l’entrée dans l’arène des grandes puissances est le Corolaire Roosevelt à la doctrine Monroe en 1904. Il s’agit de réserver l’Amérique aux États-Unis et se réservent le droit d’intervenir sur le continent américain dans son ensemble au cas où la civilisation serait menacée. Roosevelt va théoriser le possible et in fine le droit d’intervenir dans les affaires de l’ensemble du continent américain.

Roosevelt va être médiateur dans la guerre russo-japonaise qui se déroule en 1904 – 1905 parce que l’expansion japonaise inquiète Roosevelt, mais cette intervention est sans succès. Il va se mêler d’un conflit qui se situe hors de la zone d’influence naturelle américaine. La deuxième médiation et la crise marocaine de 1905 – 1906 qui est une crise entre puissances européennes affirmant le fait que l’intérêt des États-Unis va aussi en dehors du continent américain. Les États-Unis sont potentiellement intéressés par des zones hors de leur zone d’influence nationale. Il y a une expansion des zones d’interventions potentielles des États-Unis. La première guerre mondiale de ce point de vue est une charnière importante.

Le Premier conflit mondial est la première intervention des soldats américains en dehors du territoire américain jouant un rôle décisif dans la victoire de l’Entente contre les puissances centrales. En 1918, l’arbitre de la Conférence Versailles est Wilson. Les Américains sont les arbitres de la paix et les créanciers du monde détenant la moitié des stocks d’or mondial. Les États-Unis s’affirment de plus en plus sur la scène internationale.

Les dilemmes de la politique étrangère des États-Unis

La question centrale est que les États-Unis acquièrent une puissance militaire, économique, diplomatique croissante avec un déséquilibre par rapport aux autres puissances. La question est de gérer l’équilibre entre puissances montantes et les puissances traditionnelles. Du point de vue de la conception américaine c’est l’articulation difficile entre le respect des principes fondateurs de la République américaine et la politique de puissance elle-même qui peut aller et va de fait en contradiction avec ces principes. Comment demeurer une puissance démocratique lorsqu’on devient une superpuissance. C’est le dilemme qui se pose aux États-Unis.

Impérialisme et liberté

Portrait de Jefferson, peint par Rembrandt Peale, 1805.

Impérialisme et liberté peuvent apparaitre intellectuellement contradictoires, mais dans l’esprit de la vision américaine ces termes ne le sont pas. Les dirigeants américains ont la certitude d’avoir construit une synthèse politique parfaite est un élément majeur dans la justification de la politique étrangère américaine. Pour Jefferson les États-Unis sont « l’Empire de la liberté ». Il y a un régime démocratique qui se construit nonobstant les limites de cette construction, c’est une exception dans l’Europe du début du XIXème siècle dominée par les monarchies et de l’autre côté l’expansion impériale. Pour les Américains, il n’y a pas de contradiction entre extension impérialiste et régime de liberté.

Les États-Unis vont développer rapidement une politique expansionniste spécifique. La grande idée est de s’opposer aux puissances coloniales. Dans l’histoire américaine, il y a une opposition viscérale au colonialisme, s’expliquant par le fait que les États-Unis sont une colonie émancipée de l’Angleterre. L’autre élément est qu’à partir du moment où les États-Unis deviennent assez forts et puissants, des voix s’élèvent au sein des États-Unis disant qu’ils ont aussi le droit à un empire. Il y a un lobby qui se développe à la fin du XIXème siècle en faveur de la création d’un empire colonial américain qui va de fait se créer avec la défaite espagnole en 1898.

La voix des impérialistes américaine avec le discours d’un colonialisme à l’européenne va être rapidement minoritaire. L’idée d’un expansionnisme diffèrent va être prônée non pas selon le modèle colonial européen, mais de développer un expansionnisme spécifique non pas fondé sur la présence militaire, mais le fonds de l’expansionnisme va être de se créer en particulier des zones d’influences économiques. Dans le rapport des États-Unis et dans la politique étrangère américaine, l’économie est un élément majeur de la politique de puissance. Il faut trouveur un autre moyen de faire sentir sa puissance.

L’espace que méritent les États-Unis doit concorder au respect des principes fondateurs de la démocratie américaine. C’est la spécificité de l’expansionnisme américain qui se voit comme un « Empire de la liberté ». Un des fils conducteurs majeurs de la politique étrangère américaine et l’expansion démocratique, mais aussi le fait que la diffusion de la démocratie est fondamentale dans les principes de la politique étrangère américaine. Celui qui a théorisé cette doctrine est Wilson avec l’idée de « making the world safe for democracy ».

Ce questionnement va ressurgir avec la chute de l’Union soviétique qui va amener à un déséquilibre entre liberté et expansion posant une contradiction entre impérialisme et liberté. Il y a une tension forte entre ces deux pôles, c’est une tension particulièrement forte dans toute l’histoire américaine.

Isolationnisme et interventionnisme

Les États-Unis oscillent en permanence depuis le XIXème siècle entre être centrés sur leurs intérêts nationaux ou alors de défendre et combattre pour des principes universels ou jugés tels. La notion d’isolationnisme se fonde sur l’idée qu’il y a une séparation radicale entre l’Europe et les États-Unis. Se dégage le discours que les intérêts européens et la politique américaine sont différents des intérêts américains. Il y a l’idée de créer un « Nouveau Monde » et de s’éloigner de la politique européenne. Cela ne signifie pas de ne pas intervenir dans la politique mondiale, mais ils veulent que les européens n’interviennent pas dans leurs affaires.

L’isolationnisme se fonde aussi sur une réalité concrète qui est que la distance entre le cœur de la politique mondiale qui est l’Europe et les États-Unis est de plusieurs milliers de kilomètres, faisant des États-Unis une nation à l’abri des conflits européens. Pour rester à l’abri, l’idée est que dans tous les conflits européens, les États-Unis sont neutres et ne contractent aucune alliance qui pourrait les embarquer dans des conflits européens.

L’isolationnisme se manifeste notamment lors des guerres révolutionnaires françaises où les États-Unis refusent d’intervenir même selon le principe de solidarité démocratique. La doctrine Monroe visait à tracer une frontière étanche entre les deux continents. D’autre part, il faut éviter au maximum les conflits militaires. Le fait que la diplomatie américaine s’oriente vers des zones d’influences et l’expansion économique est pour éviter d’être embarqué dans des conflits militaires alors qu’une politique étrangère fondée sur l’économie permet d’avoir les mains plus libres.

L’idée isolationniste va progressivement être battue en brèche à partir du début du XXème siècle parce que progressivement Roosevelt va se mêler des crises européennes et l’intervention américaine dans la Première Guerre mondiale est un pas franchi dans la rupture avec l’isolationnisme. Si les États-Unis rejettent la Société de Nations cela n’empêche qu’ils sont impliqués dans les affaires européennes et notamment les affaires financières. La Deuxième Guerre mondiale est une intervention massive aux côtés des alliés avec une potentialité militaire et économique investie dans ce conflit. Pendant la Guerre froide a lieu une rupture flagrante avec le principe isolationniste. Lorsqu’on regarde l’énorme système d’alliances mis en place par les États-Unis durant la Guerre froide, cela montre que les États-Unis sont en rupture progressive avec l’élément isolationniste avec un élément interventionniste de plus en plus fort.

La dimension isolationniste ne disparait pas tout à fait. Depuis les années 1900, une tendance isolationniste revient. La Première guerre du golf a marqué la continuation de la dimension interventionniste, mais ensuite on constate retour à une politique isolationniste. L’intervention en Yougoslavie qui fut minimale, le désengagement progressif des États-Unis de la plupart des opérations de maintien de la paix de l’ONU à partir de 1994 montre un retour progressif à l’isolationnisme. Toutefois, les deux tendances sont toujours présentent, mais des périodes vont varier l’équilibre sans qu’une tendance ne disparaisse.

Entre idéalisme et réalisme

D’un côté, il y a de grands principes de politique étrangère fondés sur la morale et, de l’autre côté, une insistance mise sur les intérêts nationaux américains. Ces deux pôles sont extrêmement importants.

Avec Wilson, il y a eu l’idée de refonder les relations internationales sur de nouvelles bases avec l’idée de promouvoir la démocratie et la liberté tout en rompant avec la diplomatie telle que pensée par les Européens. À partir du moment où les États-Unis deviennent une puissance régionale puis une puissance internationale, les États-Unis ne vont pas hésiter à intervenir pour protéger leurs intérêts nationaux.

Il y a une cohabitation entre ces deux éléments. Si on prend le cas de Wilson, il mène une politique usant du recourt à la force en Amérique latine. Cette oscillation entre ces deux pôles est permanente chez Wilson, également pendant la Guerre froide où d’un côté y a les principes de la défense de la démocratie puis le prétexte des dictatures pour endiguer le communisme comme en Asie et le soutien aux dictatures en Amérique du Sud. Depuis la fin de la Guerre froide et le début des années 2000 apparait le mouvement néoconservateur qui a la volonté de diffuser la démocratie dans le monde en usant de la guerre. Les États-Unis ont pour projet de reconfigurer le Proche-Orient et le Moyen-Orient y compris par la guerre.

Unilatéralisme et multilatéralisme

Faut-il mener sa politique étrangère seul ou négocier et prendre en compte le point de vue des autres ? Ce sont deux tensions qui mettent en exergue la tension entre unilatéralisme et multilatéralisme du point de vue militaire et économique. Entre la fin du XIXème siècle où les États-Unis mettent en place des dispositifs ad hoc et la période de la Guerre froide où sont mis en place de vastes systèmes d’alliances, on a ce cas de figure.

Du point de vue économique, d’un côté, les intérêts des États-Unis vont être poussés avec la revendication d’une libéralisation du marché mondial et, de l’autre côté, essayer de mettre en place des négociations multilatérales et des zones de négociations. Après 1945, les États-Unis ont essayé de mettre en place un multilatéralisme économique international avec des accords multilatéraux ainsi que le GATT et l’ALENA.

Cette tension se retrouve également du point de vue du droit ou depuis le XXème siècle, les États-Unis sont pour la mise en place et le développement d’un droit international et réticent à mettre en place ce droit international à partir du moment où il s’oppose à leurs intérêts. Les États-Unis sont aussi pionniers dans la mise en place d’un système international et en même temps enclin à quitter ces organisations internationales lorsqu’elles ne correspondent plus à leurs intérêts comme ce fut le cas avec leur départ de l’UNESCO en 1984 réintégré en 2004. Depuis la fin du XIXème siècle, il y a oscillation entre faire cavalier seul et dialoguer entre partenaires.

Annexes

Références