État, souveraineté, mondialisation, gouvernance multiniveaux

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L'État moderne est un concept central en science politique. Il désigne une entité territoriale qui exerce une autorité souveraine et dont le gouvernement a le pouvoir de prendre et d'appliquer des lois, d'administrer la justice et de contrôler les ressources. Cette entité est caractérisée par sa légitimité, sa souveraineté, son territoire délimité et son peuple.

La science politique, en tant que discipline, se consacre à l'étude de l'État moderne, de ses institutions et des processus qui façonnent les politiques publiques. Cette discipline examine également les structures de pouvoir, les idéologies, les politiques internationales, et les diverses formes de gouvernance. L'État moderne joue un rôle essentiel dans la définition de l'identité politique d'un pays. Il est l'entité qui organise et définit la vie politique, sociale et économique d'une nation. En outre, l'État moderne est également responsable de la protection des droits de l'homme et de la mise en œuvre de la justice sociale. Le concept d'État moderne a évolué au fil du temps. Aujourd'hui, il est souvent associé à des concepts tels que l'État-providence, qui suggère que l'État a une responsabilité envers le bien-être social et économique de ses citoyens. De plus, avec la globalisation et les défis contemporains tels que le changement climatique et la cybersécurité, le rôle et la nature de l'État moderne sont constamment en évolution. La science politique, en analysant ces transformations et en étudiant les différents modèles d'État à travers le monde, joue un rôle crucial dans notre compréhension de l'État moderne.

L'État peut être compris et analysé sous plusieurs angles qui mettent en évidence différentes facettes de son fonctionnement.

  1. L'État comme un ensemble de normes - des théories politiques normatives: Dans cette perspective, l'État est vu comme un ensemble de principes, de règles et de normes qui régissent la façon dont il fonctionne et la façon dont les citoyens sont censés se comporter. C'est l'étude de l'idéal de l'État, des principes éthiques et moraux qui devraient guider ses actions. Les théories politiques normatives cherchent à définir ce que devrait être un bon État, quels devraient être ses objectifs et comment il devrait réaliser ces objectifs.
  2. L'État comme un site de pouvoir et d'autorité: Ici, l'accent est mis sur l'État en tant qu'entité qui détient et exerce le pouvoir. L'État est vu comme l'autorité ultime qui contrôle la société et qui a le pouvoir de faire appliquer ses lois et ses règles. Il s'agit d'explorer comment l'État utilise ce pouvoir, comment il est contesté, négocié et distribué, et comment il influence les relations sociales et politiques.
  3. L'État comme un ensemble d'institutions et leurs effets: Dans cette perspective, l'attention est portée sur l'État en tant qu'ensemble d'institutions - comme le gouvernement, le système judiciaire, l'administration publique, etc. - qui ont des effets concrets sur la société et la vie des citoyens. Cette approche examine comment ces institutions sont structurées, comment elles interagissent, comment elles influencent la politique publique et comment elles affectent le bien-être des citoyens.

Ces trois angles d'approche offrent un cadre analytique utile pour comprendre l'État moderne, ses rôles, ses fonctions et son impact sur la société. Ils permettent également d'appréhender les défis auxquels l'État est confronté et les opportunités qui s'offrent à lui dans le contexte contemporain.

L’État

Qu’est-ce qu’un État ?

L'État est un concept complexe qui a évolué au fil du temps et qui varie en fonction des contextes historiques et culturels. Fondamentalement, l'État est une entité politique qui possède une souveraineté sur un territoire défini et une population. Il a le pouvoir de faire et d'appliquer des lois, d'imposer l'ordre, de contrôler et de défendre son territoire, et de conduire des relations avec d'autres États.

Les fondements de l'État peuvent effectivement être retracés jusqu'à l'Antiquité, avec des exemples précoces en Égypte, en Grèce et en Chine.

  • En Égypte ancienne, le concept de l'État était lié à la figure du pharaon, qui était considéré comme un dieu vivant et qui détenait le pouvoir absolu sur le territoire et le peuple. La bureaucratie de l'État était organisée pour servir le pharaon et pour administrer le pays.
  • En Grèce antique, on voit émerger l'idée de la cité-État, où un territoire urbain et sa campagne environnante formaient une unité politique indépendante, ou "polis". C'était une communauté de citoyens libres qui participaient directement à la prise de décision politique, un concept qui a jeté les bases de la démocratie.
  • En Chine ancienne, l'État était organisé autour de la notion de "Mandat du Ciel", selon laquelle le dirigeant, ou empereur, avait le droit de gouverner tant qu'il maintenait l'ordre et la prospérité. Le rôle de l'État était d'assurer l'harmonie sociale et de maintenir l'ordre cosmique.

Le concept moderne d'État tel que nous le connaissons aujourd'hui a commencé à prendre forme en Europe occidentale à la fin du Moyen Âge, avec le déclin de la féodalité et l'avènement de la Renaissance. Au cours de la période féodale, le pouvoir était largement décentralisé. Les seigneurs locaux détenaient un pouvoir considérable sur leurs terres et leurs sujets, et l'autorité du roi était souvent limitée. De plus, la papauté et l'empire avaient une influence majeure sur la vie politique et sociale. Cependant, avec le déclin du système féodal et l'essor des villes et du commerce pendant la Renaissance, le pouvoir a commencé à se centraliser. Les rois ont commencé à consolider leur autorité, à établir des administrations centralisées et à asseoir leur contrôle sur leur territoire. C'est à cette époque que l'on voit émerger les premiers États-nations, avec des frontières définies et une autorité centralisée. La baisse de l'influence de la papauté et des institutions impériales a également joué un rôle clé. Avec le déclin de ces autorités supra-nationales, les rois ont été en mesure d'affirmer leur souveraineté et de prendre le contrôle de leur territoire et de leur population. Ces transformations ont posé les bases de l'État moderne. Cependant, il convient de noter que le processus de formation de l'État a été très différent selon les régions et les pays, et que le concept d'État a continué à évoluer et à se développer jusqu'à nos jours.

L'émergence de l'État moderne est un sujet d'étude vaste et complexe, et de nombreux chercheurs ont contribué à notre compréhension de ce processus. L'un des plus importants est sans doute Charles Tilly, sociologue et politologue américain, connu pour son travail sur l'évolution des États européens. Tilly a avancé l'idée que l'émergence de l'État moderne en Europe était étroitement liée à la guerre. Dans son ouvrage "Coercion, Capital, and European States, AD 990-1992", il soutient que les États qui ont réussi à mobiliser des ressources pour la guerre ont réussi à se centraliser et à se développer. En d'autres termes, la nécessité de lever des armées, de collecter des taxes pour financer les guerres, et de maintenir l'ordre interne a conduit à la création d'administrations centralisées et à la consolidation de l'autorité de l'État. Il a également souligné l'importance des conflits sociaux internes dans la formation de l'État, en particulier la manière dont les États ont répondu aux révoltes et aux soulèvements. La théorie de Tilly a eu une influence significative sur notre compréhension de l'évolution de l'État. Cependant, il convient de noter que sa théorie s'applique principalement à l'Europe, et que l'émergence de l'État moderne peut varier considérablement en fonction des contextes historiques, culturels et géographiques.

Pour Charles Tilly, afin de rendre compte de la formation de l’État moderne, il faut prendre en compte trois grandes dynamiques historiques :

  • importance de la guerre et de la tendance croissance de l’État à monopoliser la contrainte qui va donc amener un contraste entre la sphère étatique où règne la violence et la sphère de la vie civile ou est la non-violence. Selon lui, la guerre a joué un rôle central dans l'émergence de l'État moderne en Europe, en raison de son impact sur l'organisation politique et sociale. Selon Tilly, la nécessité pour les souverains d'engager des ressources importantes dans la guerre, notamment en raison de l'évolution des technologies militaires (comme l'introduction de la poudre à canon au XVème siècle), a conduit à une centralisation accrue du pouvoir. Pour financer les guerres de plus en plus coûteuses, les souverains ont dû développer une bureaucratie efficace pour collecter des impôts de manière régulière et systématique. Cela a conduit à la création d'un "budget de l'État", une innovation majeure dans l'organisation de l'État. En outre, la nécessité de recruter des hommes pour la guerre, de fournir du matériel et de l'approvisionnement en nourriture a entraîné la création de services gouvernementaux spécialisés. Cela a également contribué à la croissance de la bureaucratie de l'État. Enfin, la capacité de l'État à prélever des impôts sur ses sujets a été accompagnée d'une demande croissante de la part de ces derniers pour avoir leur mot à dire dans le gouvernement. Cela a conduit à l'émergence d'assemblées publiques et à l'établissement de certaines formes de représentation politique. Les guerres de plus en plus coûteuses ont nécessité des ressources croissantes, ce qui a incité les souverains à développer des systèmes d'imposition plus efficaces et réguliers. La gestion de ces fonds a mené à la conceptualisation du "budget de l'État", une innovation qui reste centrale dans la gestion des États modernes. Afin de soutenir ces efforts de guerre, les souverains ont également dû développer une bureaucratie de plus en plus complexe. Cela a inclus la création de services gouvernementaux dédiés à la mobilisation et à l'entretien des armées, à la fourniture de matériel de guerre et à l'approvisionnement en nourriture. La bureaucratie a également été nécessaire pour administrer le système d'imposition plus robuste. En outre, à mesure que l'État a accru sa capacité à prélever des impôts, les sujets ont commencé à exiger une plus grande représentation et responsabilité de la part de leurs souverains. Cette dynamique a contribué à l'émergence d'assemblées publiques et à l'établissement de certaines formes de représentation politique. En résumé, la thèse de Tilly suggère que la dynamique de la guerre a été un facteur majeur dans l'émergence de l'État moderne et de sa bureaucratie. Cependant, il convient de noter que cette théorie a ses critiques, et que d'autres facteurs peuvent aussi avoir joué un rôle important dans l'évolution de l'État.
  • avènement et développement économique parle capitalisme marchand. À partir du XVème siècle, on constate une transformation économique en profondeur liée à l’essor du commerce et de la finance. À partir du XVème siècle, l'essor du commerce et de la finance a conduit à des transformations économiques profondes. Le développement du capitalisme marchand, avec sa prédominance des activités commerciales et bancaires, a entraîné une urbanisation croissante et une intensification des échanges commerciaux. Ce phénomène a vu l'émergence d'un nouveau groupe social, la bourgeoisie, qui comprenait les marchands et les commerçants profitant de la production et du commerce des biens. À la différence de la paysannerie, la bourgeoisie était un groupe social politiquement libre qui jouait un rôle clé dans le financement des États, car elle accumulait du capital et prêtait de l'argent aux souverains. Charles Tilly a également souligné l'importance de la monétarisation de l'économie dans ce processus. Selon lui, dans les régions où l'économie était fortement monétarisée, les États les plus centralisés et les plus puissants ont tendance à émerger. De plus, la présence de villes commerçantes au sein du territoire d'un État a une influence significative sur sa capacité à mobiliser des ressources pour la guerre.
  • changement au niveau idéologique et au niveau de représentations collectives qui va amener au renforcement de la légitimité de l’État. L'évolution des idéologies et des représentations collectives a aussi joué un rôle important dans le renforcement de la légitimité de l'État moderne. Une transformation majeure a été l'émergence de l'individualisme, qui a marqué une rupture par rapport à la conscience collective de l'époque féodale. Comme l'historien George Duby l'a illustré dans son ouvrage "Les trois ordres", l'idéologie féodale était structurée autour d'un ordre trifonctionnel: ceux qui prient (le clergé), ceux qui combattent (les chevaliers), et ceux qui travaillent (les paysans). Dans ce système, l'appartenance individuelle à un ordre était largement prédéterminée. Avec l'émergence de l'individualisme, cependant, cette conception a commencé à changer. Les individus ont commencé à se voir non plus comme membres d'un ordre prédéterminé, mais comme parties contractantes dans les relations avec le souverain, les dirigeants et le gouvernement. Par exemple, un marchand pourrait se considérer comme un individu capable de négocier sa relation avec différents souverains, et pourrait choisir d'offrir sa loyauté à celui qui prélève le moins d'impôts. Cette évolution a eu un impact significatif sur la légitimité de l'État. Alors que la légitimité de l'État féodal était souvent basée sur le respect des traditions et des hiérarchies établies, la légitimité de l'État moderne est de plus en plus fondée sur sa capacité à respecter et à protéger les droits et les intérêts individuels. Cela a conduit à des changements majeurs dans la manière dont l'État est organisé et gouverné.

La forme d'État qui prédomine actuellement est l'État-nation. En fait, l'idée d'État-nation est intimement liée à l'idée de souveraineté nationale, ce qui signifie qu'un État est gouverné dans l'intérêt de sa propre population nationale. L'idée d'État-nation a commencé à prendre de l'importance en Europe au XIXe siècle, lorsqu'elle a été mise en pratique dans le cadre des mouvements d'unification en Italie et en Allemagne. Ces mouvements ont cherché à rassembler des territoires et des populations linguistiquement et culturellement similaires en une seule entité politique, créant ainsi un "État-nation". Au XXe siècle, ce concept d'État-nation s'est répandu bien au-delà de l'Europe. L'effondrement de l'Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, par exemple, a conduit à la création de la Turquie en tant qu'État-nation. La décolonisation des années 1950 et 1960 a également donné naissance à un grand nombre de nouveaux États-nations. Dans beaucoup de ces cas, les frontières des nouveaux États ont été tracées par les puissances coloniales en retrait, souvent sans tenir compte des réalités ethniques ou culturelles sur le terrain. Cela a souvent conduit à des tensions et des conflits qui perdurent encore aujourd'hui.

Selon Weber, un sociologue allemand influent, l'État est une "communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé... revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime".[1] Cette définition met l'accent sur trois aspects principaux de l'État :

  1. Territorialité : l'État doit contrôler un territoire déterminé. Il s'agit de la dimension spatiale de l'État, qui se réfère à la zone géographique sur laquelle l'État exerce son pouvoir.
  2. Communauté : l'État est une communauté de personnes. Il s'agit de la dimension humaine de l'État, qui renvoie à la population que l'État gouverne.
  3. Monopole de la violence légitime : l'État a le droit exclusif d'utiliser la force pour maintenir l'ordre et faire respecter ses règles. C'est ce qui distingue l'État des autres types d'organisations politiques.

La définition de Weber met en avant l'idée que la légitimité de l'État repose en grande partie sur sa capacité à monopoliser l'usage de la violence physique de manière légitime. Cette capacité est essentielle pour maintenir l'ordre social et pour que l'État soit en mesure d'exercer son autorité de manière efficace. Il est à noter que bien que cette définition soit largement acceptée, elle a aussi été critiquée et débattue. Certains soutiennent, par exemple, que la légitimité de l'État repose non seulement sur son monopole de la violence, mais aussi sur sa capacité à fournir des biens publics, à protéger les droits de l'homme, à promouvoir la justice sociale, etc.

Territoire

Le territoire est un élément essentiel de la définition de l'État, et il le distingue de la notion de "nation". En termes simples, le territoire se réfère à l'espace géographique délimité et contrôlé par un État. Il inclut non seulement les terres, mais aussi les ressources, l'espace aérien, et dans certains cas, les eaux territoriales et les zones économiques exclusives.

D'autre part, la notion de "nation" est souvent définie de manière plus culturelle ou ethnique. Une nation est généralement comprise comme un groupe de personnes qui partagent une identité commune basée sur des caractéristiques comme la langue, la culture, l'ethnie, la religion, les traditions, ou une histoire commune. Une nation peut ou ne peut pas coïncider avec les frontières d'un État. Par exemple, la "nation navajo" aux États-Unis, ou la "nation kurde" au Moyen-Orient, sont des nations qui ne correspondent pas à un État territorial spécifique.

L'idée d'État-nation tente de combiner ces deux concepts, proposant l'idéal d'un État où la population partage une identité nationale commune. Cependant, dans la pratique, de nombreux États sont multinationaux ou multiculturels, et l'alignement parfait de la nation et de l'État est rare.

Les concepts d'État et de nation ne sont pas nécessairement liés de manière stricte. La nation se réfère généralement à un groupe de personnes qui partagent une identité commune basée sur des caractéristiques culturelles, ethniques, linguistiques ou historiques, et cette identité peut exister indépendamment d'un territoire spécifique ou d'un État.

L'exemple de la communauté juive avant la création de l'État d'Israël illustre parfaitement cette idée. Pendant des milliers d'années, les Juifs se sont considérés comme faisant partie d'une nation, malgré le fait qu'ils étaient dispersés dans de nombreux pays et régions différentes. Ce sentiment d'appartenance à une nation juive a persisté malgré l'absence d'un territoire ou d'un État spécifiquement juif.

Il convient également de noter qu'il existe des nations qui n'ont pas leur propre État, parfois appelées "nations sans État". Les Kurdes, par exemple, sont souvent cités comme une nation sans État, car bien qu'ils aient un fort sentiment d'identité nationale, ils n'ont pas leur propre pays indépendant. Inversement, de nombreux États sont multinationaux ou multiethniques, abritant plusieurs groupes qui peuvent se considérer comme des nations distinctes. Par exemple, la Belgique comprend à la fois des Flamands et des Wallons, qui ont chacun leur propre langue et culture distinctes.

En somme, alors que l'État se réfère à une entité politique et territoriale, la nation est un concept plus fluide et subjectif, basé sur le sentiment d'appartenance à une communauté. Les deux ne coïncident pas toujours..

Population

L'État-nation, comme modèle dominant de l'organisation politique, a renforcé le lien entre la nation et l'État, et par extension, le lien entre la nation et le territoire. L'idée derrière le concept d'État-nation est que chaque "nation", ou peuple ayant une identité culturelle commune, devrait avoir son propre État. Dans un État-nation idéal, les frontières de l'État coïncideraient parfaitement avec l'étendue de la nation.

Cependant, la réalité est souvent plus complexe. Il existe de nombreuses nations qui n'ont pas leur propre État. Les Kurdes en sont un exemple couramment cité. D'autre part, de nombreux États sont multiethniques ou multinationaux et n'ont pas une seule "nation" qui correspond exactement à leurs frontières.

En ce qui concerne les "nations diasporas", c'est un terme qui est généralement utilisé pour désigner des groupes de personnes qui partagent une identité nationale commune mais qui sont dispersés dans différents pays ou régions. Les Tziganes, aussi connus sous le nom de Roms, sont un exemple de cela. Bien qu'ils n'aient pas de territoire ou d'État spécifique qui leur soit associé, ils ont une culture, une langue et une histoire communes qui constituent une identité nationale.

Ces exemples montrent que les relations entre la nation, l'État et le territoire peuvent varier considérablement et sont souvent beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît à première vue.

L'État, en tant que concept et en tant que réalité tangible, est en effet un construit humain. Il est un produit de l'histoire, des relations de pouvoir, des idéologies et des institutions créées par des êtres humains. L'État est non seulement une entité politique et juridique qui régit un certain territoire, mais il est aussi une communauté de personnes. Sans ses citoyens, un État n'aurait pas de raison d'être. Les personnes qui vivent dans un État sont à la fois les sujets de son pouvoir et les bénéficiaires de ses services. Ils contribuent à sa prospérité par leur travail, paient des impôts pour financer ses activités, obéissent à ses lois et participent (dans la plupart des cas) à son processus politique. De plus, l'État a une responsabilité envers ses citoyens : protéger leurs droits et libertés, fournir des services publics, maintenir l'ordre, et promouvoir le bien-être général. La relation entre un État et ses citoyens est donc fondamentale pour sa légitimité et son fonctionnement.

C'est pourquoi on peut dire qu'un État sans habitants n'est pas concevable. Sans personnes pour le constituer, le gouverner, et être gouverné par lui, un État n'aurait ni substance, ni sens.

Monopole de la contrainte physique légitime

Dans de nombreuses sociétés historiques, le pouvoir, la violence et la contrainte étaient beaucoup plus diffus. Le monopole de la violence légitime par l'État est une caractéristique du système étatique moderne, mais ce n'était pas toujours le cas. Avant l'émergence des États modernes, la capacité d'exercer la violence était souvent distribuée entre différents groupes et institutions. Par exemple, au Moyen Âge en Europe, la violence légitime était partagée entre une variété d'acteurs, comme les seigneurs féodaux, l'Église, les villes autonomes, etc. Chacun de ces acteurs pouvait exercer une forme de violence légitime dans certains contextes. Avec l'émergence de l'État moderne, le processus de centralisation du pouvoir a progressivement conduit à l'établissement du monopole de l'État sur la violence légitime. Cette évolution est souvent liée à la nécessité de maintenir l'ordre, de sécuriser les frontières, et de contrôler les conflits internes. Cependant, même dans les États modernes, la violence et la contrainte peuvent parfois être exercées par d'autres acteurs, comme les groupes criminels ou les organisations paramilitaires. Ces situations sont généralement considérées comme des défis à l'autorité de l'État et à son monopole de la violence.

Selon Tilly, « l’activité de l’État en général, donc son émergence, a créé un contraste accentué entre la violence de la sphère étatique et la non-violence de la vie civile. Les États européens ont provoqué ce contraste, ils le firent en mettant sur pied des moyens de contrainte réservés et en interdisant l’accès de ces moyens aux populations civiles. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté ou l’importance du changement ; durant la majeure partie de l’histoire européenne, la plupart des hommes étaient toujours armés. De plus dans tous les États les potentats locaux et régionaux avaient à leur disposition des moyens de contrainte suffisants bien supérieurs à ce de l’État si on les réunissait en coalition. Pendant longtemps dans plusieurs régions de l’Europe, les nobles eurent le droit de déclencher des guerres privées ; les bandits prospéraient un peu partout tout au long du XVIIe siècle. En Sicile, ces professionnelles de la violence patentée et protégée que sont les mafiosi, continue aujourd’hui de terroriser la population. En dehors du contrôle de l’État, les gens profitèrent souvent de façon fructueuse de l’usage raisonné de la violence. Néanmoins, depuis le XVIIe siècle, les dirigeants on réussit à faire pencher la balance en faveur de l’État plutôt qu’envers leurs rivaux ; ils ont rendu le port d’arme personnel illicite, impopulaire, déclaré hors-la-loi les milices privées et réussi à justifier les affrontements entre une police armée et des civiles armées. Dans le même temps, l’expansion des forces armées propre à l’État commença à surpasser l’arsenal dont disposaient les potentiels rivaux intérieurs ».

Ce passage de Charles Tilly souligne un changement clé dans la transition vers les États modernes : le monopole croissant de la violence légitime par l'État. Ce processus n'a pas été facile ni rapide, car dans le passé, de nombreux acteurs pouvaient légitimement utiliser la force. Par exemple, les seigneurs féodaux pouvaient mener des guerres privées, et de nombreux hommes ordinaires étaient armés. Cependant, au fil du temps, les États ont progressivement réussi à restreindre l'accès aux moyens de contrainte et à monopoliser la violence. Ils ont interdit les milices privées, rendu le port d'armes personnel illicite et impopulaire, et établi des forces de police et des armées d'État puissantes. En même temps, ils ont délégitimé l'utilisation de la force par d'autres acteurs, comme les nobles et les bandits. Toutefois, Tilly note que ce processus n'a pas été totalement complet ou uniforme. Par exemple, en Sicile, des organisations comme la mafia ont continué à utiliser la violence de manière efficace, malgré le contrôle de l'État. De plus, dans de nombreuses parties du monde, la violence privée et non étatique reste un défi majeur pour l'ordre public et la légitimité de l'État. La citation de Tilly met donc en évidence l'importance du monopole de la violence légitime pour la constitution des États modernes, mais rappelle également que ce monopole n'est jamais absolu et qu'il est souvent contesté.

L'un des aspects clés de la définition de l'État moderne selon Max Weber est le monopole de la violence légitime. En d'autres termes, dans une société bien organisée et stable, seul l'État a le droit d'utiliser la force pour maintenir l'ordre et faire respecter les lois. Ce monopole est crucial pour le fonctionnement de l'État moderne. Il permet à l'État de maintenir l'ordre public, de protéger les droits et les libertés des citoyens, et d'exécuter les lois de manière efficace. Dans le même temps, il limite la possibilité pour les acteurs non étatiques, tels que les groupes criminels ou les individus, d'utiliser la violence pour parvenir à leurs fins. Cependant, il convient de noter que ce monopole de l'État n'est pas toujours complet ou incontesté. Il existe de nombreux cas où des acteurs non étatiques exercent une violence significative, que ce soit à travers le crime organisé, la violence domestique ou la rébellion armée. De plus, dans certaines circonstances, l'État lui-même peut abuser de son monopole de la violence, ce qui conduit à des violations des droits de l'homme et à la tyrannie. Dans l'ensemble, le monopole de la violence par l'État est une caractéristique clé de l'État moderne, mais il est également une source de nombreux défis et tensions.

Le concept de l'État ayant le monopole de la force légitime est une idéalisation qui ne reflète pas toujours la réalité complexe et nuancée sur le terrain. De nombreux pays à travers le monde ont des groupes armés non étatiques qui contestent le monopole de l'État sur l'usage de la force. En effet, dans de nombreux cas, ces groupes sont capables de contrôler des territoires, d'exercer une autorité substantielle sur les populations locales et de mener des opérations militaires ou paramilitaires contre l'État ou d'autres acteurs. Comme vous l'avez mentionné, l'Armée Républicaine Irlandaise (IRA) en Irlande du Nord et le Hamas dans les Territoires palestiniens sont des exemples notables de tels groupes. Ces situations soulèvent de nombreuses questions difficiles concernant la légitimité, l'autorité et le contrôle de la violence. Par exemple, quand un groupe non étatique contrôle effectivement un territoire et exerce une autorité sur sa population, peut-il être considéré comme un État de facto ? Et si un groupe non étatique a le soutien d'une grande partie de la population locale, est-ce que cela lui donne une certaine légitimité pour utiliser la force ? Ces questions sont très controversées et il n'y a pas de réponses simples. Cependant, elles soulignent le fait que la réalité de la politique, du pouvoir et de la violence est souvent beaucoup plus complexe que les théories simplifiées de l'État et du monopole de la violence peuvent le laisser croire.

La légitimité de l'usage de la force par l'État est un concept qui dépend en grande partie de la perspective et du contexte. L'usage de la force peut être jugé légitime si le gouvernement qui l'exerce est lui-même considéré comme légitime et si l'usage de la force est considéré comme nécessaire et proportionné pour maintenir l'ordre public, la sécurité nationale ou pour faire respecter les lois. Cependant, il est important de souligner que même si un gouvernement est généralement considéré comme légitime, cela ne signifie pas que tous ses usages de la force seront nécessairement vus comme légitimes. Il y a de nombreux exemples dans l'histoire où des gouvernements ont utilisé la force de manière abusive ou oppressive, ce qui a été largement condamné comme étant illégitime. De plus, la question de la légitimité peut être fortement influencée par des facteurs tels que la culture, la religion, l'histoire, les idéologies politiques et les relations de pouvoir. Par exemple, ce qui est considéré comme un usage légitime de la force dans une société peut être considéré comme totalement illégitime dans une autre. Enfin, il faut noter que la notion de légitimité n'est pas toujours clairement définie ou universellement acceptée. Comme vous l'avez mentionné, ce qui peut être considéré comme un "freedom fighter" pour certains peut être vu comme un "terroriste" pour d'autres. Cette ambiguïté et cette subjectivité peuvent souvent rendre les discussions sur la légitimité de l'usage de la force très complexes et controversées.

Dans certains cas, des groupes armés peuvent justifier l'utilisation de la force comme une réponse à la répression ou à l'injustice perçue commise par l'État ou d'autres autorités légitimes. Ces groupes peuvent argumenter qu'ils utilisent la violence pour se défendre, pour défendre leur communauté ou pour résister à une autorité oppressive. C'est une raison fréquemment invoquée dans les conflits armés, les guérillas ou les mouvements de résistance. Cependant, il est important de noter que, bien que ces groupes puissent revendiquer la légitimité de leur usage de la violence, cela ne signifie pas nécessairement que cet usage sera reconnu comme légitime par d'autres, y compris la communauté internationale, les autres citoyens ou même d'autres membres de leur propre communauté. De plus, l'utilisation de la violence par ces groupes peut souvent entraîner des violations des droits de l'homme, des dommages collatéraux et d'autres conséquences négatives pour les civils innocents. En fin de compte, la question de savoir si l'usage de la force est légitime ou non peut être très complexe et controversée, et peut dépendre d'une multitude de facteurs, y compris le contexte spécifique, les motivations des acteurs impliqués, et les normes et valeurs de la société.

Définitions contemporaines de l’État

L'État, par sa nature complexe et multidimensionnelle, ne peut être réduit à une définition simple ou universelle. Les multiples définitions de l'État sont le reflet de différentes perspectives disciplinaires, approches théoriques, contextes historiques et politiques, ainsi que variations culturelles et régionales.

Dans différentes disciplines comme les sciences politiques, le droit, la sociologie, l'économie ou l'histoire, l'approche pour comprendre l'État varie. Par exemple, un juriste pourrait examiner l'État du point de vue de la structure juridique et des lois, tandis qu'un sociologue pourrait mettre l'accent sur les relations de pouvoir et les institutions sociales. De plus, la conception de l'État a évolué avec le temps et varie en fonction des contextes historiques. Les définitions contemporaines de l'État peuvent donc refléter différentes phases de son développement historique. La nature de l'État peut également varier d'une région ou culture à une autre. Il est donc possible que les définitions occidentales de l'État ne s'appliquent pas de la même manière dans des contextes non-occidentaux. D'autre part, l'interprétation de l'État peut être influencée par les idéologies politiques. Une perspective marxiste, par exemple, pourrait voir l'État comme un instrument de la classe dominante, alors qu'une perspective libérale pourrait le considérer comme un arbitre neutre entre différents intérêts sociaux. Enfin, étant donné la complexité inhérente à l'État, qui comprend une multitude d'acteurs, d'institutions, de règles et de processus, il n'est pas surprenant qu'il existe de nombreuses façons de le définir. Ces diverses définitions aident à saisir les différentes facettes de l'État, et à mieux comprendre son rôle et son fonctionnement dans divers contextes.

Parmi les définigitions les plus courantes on retrouve :

  • Définition juridique: L'État est un sujet de droit international qui possède un territoire déterminé, une population permanente, un gouvernement, et la capacité d'entrer en relation avec d'autres États. Cette définition, largement utilisée en droit international, est souvent associée à la Convention de Montevideo de 1933.
  • Définition de Max Weber: Pour le sociologue Max Weber, un État est une entité qui revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime sur un territoire donné. Cette définition met l'accent sur la capacité de l'État à maintenir l'ordre et à appliquer les lois grâce à son monopole de la violence légitime.
  • Définition institutionnelle: Certains théoriciens politiques définissent l'État en termes d'organisations et d'institutions. Selon cette perspective, un État est un ensemble d'institutions politiques (telles que le gouvernement, les bureaucraties, les forces armées, etc.) qui possèdent l'autorité sur un territoire spécifique et sa population.

Selon la définition donnée par Charles Tilly dans son article War Making and State Making as Organized Crime publié en 1985, les États sont « [States are] relatively centralized, differentiated organizations, the officials of which, more or less, successfully claim control over the chief concentrated means of violence within a population inhabiting a large contiguous territory ».[2] La citation de Charles Tilly de son article de 1985, "War Making and State Making as Organized Crime", propose une définition succincte mais profonde de l'État. Selon Tilly, les États sont "relativement centralisés, des organisations différenciées, dont les responsables revendiquent, plus ou moins, le contrôle sur les principaux moyens concentrés de violence au sein d'une population habitant un vaste territoire contigu".

Cela souligne quelques points clés de sa conception de l'État :

  • Centralisation : Les États sont des organisations où le pouvoir est concentré et organisé autour d'une autorité centrale. Cette centralisation permet une meilleure coordination et un contrôle plus efficace sur les diverses fonctions et responsabilités de l'État.
  • Différenciation : Les États sont composés de nombreuses parties différentes, chacune ayant ses propres rôles et responsabilités. Cette différenciation permet à l'État de remplir une multitude de fonctions nécessaires pour sa survie et son fonctionnement efficace.
  • Contrôle de la violence : Un aspect crucial de la définition de Tilly est l'affirmation que les États revendiquent le contrôle sur les principaux moyens de violence. Cela signifie qu'ils ont le monopole de l'utilisation légitime de la force physique dans leur territoire. Ce monopole est essentiel pour maintenir l'ordre et l'autorité de l'État.
  • Population et territoire : L'État est aussi défini par la population qu'il gouverne et le territoire qu'il contrôle. Ces deux aspects sont cruciaux pour l'existence et le fonctionnement d'un État.

La définition de Tilly offre une vision pragmatique et réaliste de l'État, insistant sur ses capacités coercitives et son rôle en tant qu'entité organisée détenant le monopole de la violence.

La définition de l'État proposée par Douglass North dans son ouvrage "Structure and Change in Economic History" publié en 1981 souligne l'importance de la violence et du pouvoir fiscal dans la structuration des frontières de l'État. North définit l'État comme "une organisation avec un avantage comparatif en matière de violence, s'étendant sur une zone géographique dont les frontières sont déterminées par son pouvoir de taxer les constituants".[3]

  • Avantage comparatif en matière de violence : Cette notion renvoie à l'idée que l'État a une capacité supérieure à d'autres entités pour exercer la violence de manière légitime. C'est ce qui lui permet d'imposer son autorité et d'assurer l'ordre au sein de ses frontières.
  • Frontières déterminées par le pouvoir de taxation : North souligne également l'importance du pouvoir fiscal dans la définition des frontières de l'État. En effet, la capacité de l'État à lever des impôts sur ses constituants est un élément essentiel de sa souveraineté et de sa capacité à fonctionner efficacement.
  • Zone géographique : L'État est défini par une certaine zone géographique. Les frontières de cette zone sont déterminées par le pouvoir de l'État à exercer sa violence de manière légitime et à lever des impôts sur ses constituants.

Cette définition souligne l'importance des aspects économiques et coercitifs dans la conception de l'État, tout en reconnaissant que le pouvoir et la portée de l'État peuvent varier en fonction de sa capacité à mobiliser des ressources par le biais de la fiscalité.

La définition de l'État proposée par Clark et Golder dans leur ouvrage "Principles of Comparative Politics" publié en 2009 se concentre sur l'usage de la coercition et de la menace de la force pour régner sur un territoire donné. Selon eux, "Un État est une entité qui utilise la coercition et la menace de la force pour régner sur un territoire donné. Un État défaillant est une entité semblable à un État qui ne peut pas contraindre et est incapable de contrôler efficacement les habitants d'un territoire donné."[4] Cette définition souligne le rôle crucial de la coercition dans l'exercice du pouvoir de l'État. L'utilisation de la force et la menace de la force sont considérées comme des éléments clés de l'autorité de l'État. De plus, Clark et Golder introduisent la notion d'État défaillant. Selon eux, un État défaillant est une entité qui ressemble à un État mais qui est incapable d'exercer efficacement la coercition ou de contrôler les habitants d'un territoire donné. Cette notion est importante car elle permet de comprendre la fragilité de certains États et les problèmes qui peuvent découler de leur incapacité à exercer efficacement leur autorité. En somme, cette définition met l'accent sur la capacité de l'État à contrôler et à régner sur un territoire par l'usage de la coercition et de la menace de la force.

Dans certaines définitions modernes de l'État, la notion de légitimité et de monopole sur l'usage de la violence peut s'atténuer. Cela peut en partie refléter la réalité complexe d'un monde où des acteurs non étatiques peuvent également exercer une forme de contrainte ou de violence, comme c'est le cas avec certains groupes terroristes ou criminels organisés. Pourtant, la notion de territoire demeure un élément central dans la plupart des définitions de l'État. Un État est généralement reconnu comme ayant le contrôle d'un territoire spécifique, même si la réalité de ce contrôle peut varier en pratique. Quant à la capacité coercitive d'un État, elle ne se limite pas à l'usage réel de la force. Parfois, la simple menace de l'exercice de la contrainte peut suffire pour maintenir l'ordre et assurer la conformité. En effet, la coercition fonctionne souvent par la dissuasion: la peur des conséquences potentielles peut empêcher les individus de se comporter de manière indésirable ou illégale. Il est important de noter que ces définitions ne sont pas exhaustives et qu'elles peuvent varier selon les perspectives théoriques et les contextes historiques et géographiques. En définitive, l'étude de l'État nécessite une compréhension nuancée et multidimensionnelle de ses différents aspects et de ses fonctions.

L'État, quel que soit son régime politique, maintient son pouvoir et son ordre en utilisant une certaine forme de contrainte ou la menace de contrainte. Cette coercition peut se manifester de différentes manières, notamment par l'application de lois et de réglementations, par l'administration de la justice, par la collecte d'impôts, et par le maintien de l'ordre public. La coercition fiscale est un bon exemple. Les impôts sont obligatoires, et ceux qui ne les paient pas peuvent faire face à des pénalités, des amendes, voire des peines de prison. C'est par cette menace de contrainte que l'État peut collecter les revenus nécessaires pour fournir des biens et services publics. Cependant, la légitimité de cette contrainte est cruciale. Dans une démocratie, par exemple, la coercition de l'État est généralement perçue comme légitime parce qu'elle est exercée dans le cadre d'un système politique dans lequel les citoyens ont le pouvoir de choisir leurs dirigeants et d'influencer les politiques publiques. En revanche, dans une dictature, la coercition de l'État peut être perçue comme illégitime, en particulier si elle est utilisée pour réprimer la dissidence et violer les droits de l'homme.

Dans la réalité, le contrôle absolu de la contrainte par l'État est rarement, voire jamais, totalement réalisé. Dans chaque société, il y a une variété d'acteurs non étatiques qui ont une certaine capacité à exercer la contrainte ou à résister à la coercition de l'État. Cela peut prendre la forme d'organisations criminelles, de groupes militants, de sociétés privées de sécurité, de communautés religieuses ou traditionnelles, entre autres. Ces acteurs peuvent parfois contester ou compléter la capacité de l'État à exercer la contrainte, notamment dans les zones où l'État est faible ou absent. Par exemple, dans certaines parties du monde, les groupes criminels organisés ou les milices armées peuvent exercer un contrôle effectif sur des territoires particuliers, en défiant ouvertement le monopole de l'État sur la violence. C'est pourquoi la notion de "comparative advantage" (avantage comparatif) introduite par North est importante. Plutôt que de décrire l'État comme ayant un monopole absolu sur la violence, North suggère que l'État a simplement un avantage comparatif dans l'exercice de la coercition. Cela reconnaît que, bien que l'État soit généralement l'acteur le plus puissant dans une société donnée, il n'est pas le seul acteur capable d'exercer la contrainte..

La notion de différentiation est centrale dans la conception de l'État. Elle fait référence à la distinction entre l'État et la société civile, où l'État maintient une certaine autonomie par rapport aux forces sociales, économiques et politiques qui opèrent dans la société. L'impôt est un bon exemple de cette différentiation. En prélevant des taxes et des impôts, l'État exerce son autorité et son contrôle sur les citoyens et les ressources économiques. Il utilise ces ressources pour financer une variété de fonctions publiques, y compris la défense et la sécurité, mais aussi les services sociaux, l'éducation, l'infrastructure, et d'autres activités. En contrôlant ces ressources et en décidant de leur allocation, l'État se distingue de la société civile et affirme son autorité. Comme Charles Tilly l'a souligné, l'impôt a joué un rôle clé dans le développement historique des États modernes. Il a permis aux États d'accumuler les ressources nécessaires pour financer des armées et des guerres, renforçant leur autorité et leur contrôle sur leurs territoires. De plus, l'impôt a souvent été utilisé comme un outil pour unifier des territoires et des populations diverses sous une seule autorité étatique. Par conséquent, la capacité de lever et de gérer efficacement l'impôt est souvent considérée comme une caractéristique essentielle d'un État fonctionnel.

Les États-faillis

Samuel Huntington, dans sa théorie de l'ordre politique, soutient que la forme de gouvernement (par exemple, démocratie, autocratie) est moins importante pour le bien-être d'une société que le degré de gouvernement, c'est-à-dire, la capacité d'un État à administrer efficacement ses politiques et à maintenir l'ordre.[5] Pour Huntington, l'efficacité d'un gouvernement est mesurée par son niveau de bureaucratie, la stabilité de ses institutions et sa capacité à maintenir l'ordre public et à fournir des services publics essentiels à ses citoyens. Dans cette perspective, un État fort est celui qui peut maintenir la stabilité, l'ordre et fournir des services de base à ses citoyens, qu'il soit démocratique ou non. Par conséquent, Huntington soutient que l'ordre politique doit précéder la modernisation et la démocratisation. Autrement dit, avant de tenter d'instaurer une démocratie, il faut d'abord établir un État solide et bien géré.

La définition donnée par Clark, Golder et Golder dans leur ouvrage "Principles of Comparative Politics" de 2009 se concentre sur la capacité d'un État à exercer le pouvoir par la coercition et la menace de la force dans un territoire donné : « A state is an entity that uses coercion and the threat of force to rule in a given territory. A failed state is a state like entity that cannot coerce and is unable to successfully control the inhabitants of a given territory ».[6] Selon eux, un État est une entité qui utilise la coercition et la menace de la force pour régner sur un territoire donné. C'est-à-dire que pour qu'un État soit considéré comme tel, il doit avoir la capacité de maintenir l'ordre, de faire respecter les lois et de contrôler efficacement la population à l'intérieur de ses frontières. Cette capacité est généralement soutenue par l'utilisation de la force, ou la menace de l'utiliser, pour dissuader le non-respect des lois et des règlements. En revanche, un "État défaillant" est un État qui ne peut pas exercer de coercition et qui est incapable de contrôler avec succès les habitants d'un territoire donné. Un État défaillant est un État qui, pour diverses raisons, ne peut plus remplir les fonctions de base d'un État. Ces États sont souvent caractérisés par des conflits internes, un manque de contrôle territorial, une gouvernance inefficace et une incapacité à fournir des services publics de base à la population.

Lorsqu'un État est incapable d'appliquer ou de faire respecter sa volonté, cela peut se manifester de plusieurs façons. Par exemple, il peut y avoir une non-conformité généralisée à la loi, où les citoyens ne respectent pas les lois et les réglementations établies par l'État. Ceci est souvent le résultat d'un manque de confiance dans la légitimité de l'État ou dans son efficacité à faire respecter la loi. En outre, il peut également y avoir des zones du pays où l'État n'a pas de contrôle effectif, ce qui est souvent le cas dans les États défaillants ou en déliquescence. Dans ces zones, d'autres entités, telles que des groupes armés, des milices ou des organisations criminelles, peuvent exercer un contrôle effectif. Enfin, un État peut être incapable d'offrir des services publics de base à ses citoyens, tels que la santé, l'éducation et la sécurité. Cette incapacité peut résulter d'un manque de ressources, d'une mauvaise gestion ou de la corruption.

Un État qui n'a pas les moyens suffisants pour exercer sa contrainte, ou qui n'a pas la capacité d'exercer son autorité efficacement sur son territoire, est souvent qualifié d'État faible ou d'État défaillant. La capacité de prélever des impôts est souvent vue comme une fonction fondamentale de l'État, car elle permet de financer les services publics et d'assurer le fonctionnement de l'appareil gouvernemental. Si un État est incapable de prélever efficacement des impôts, cela peut indiquer un manque d'autorité ou de contrôle sur son territoire. Cela peut également signifier que l'État a des difficultés à fournir des services de base à ses citoyens, ce qui peut à son tour éroder sa légitimité et sa stabilité. Dans les cas extrêmes, l'incapacité d'un État à prélever des impôts peut contribuer à son effondrement ou à sa défaillance, créant ainsi un vide de pouvoir qui peut être exploité par des acteurs non étatiques, tels que des groupes armés ou des organisations criminelles.

Les pays suivant ont été confrontés à des défis importants en matière de gouvernance, d'instabilité politique et de conflits, qui ont sapé la capacité de leurs gouvernements respectifs à exercer pleinement leur autorité et à fournir des services de base à leurs citoyens. Cependant, il convient de noter que la situation peut varier considérablement d'un pays à l'autre, et même d'une région à l'autre à l'intérieur d'un même pays. De plus, ces pays travaillent activement, souvent avec l'aide de la communauté internationale, pour surmonter ces défis et améliorer leurs capacités étatiques. Voici une brève description de la situation dans chacun de ces pays :

  • Afghanistan : Depuis le retrait des forces américaines et de l'OTAN en 2021, le pays est de nouveau sous le contrôle des Talibans. La situation sécuritaire et politique reste volatile, et le gouvernement taliban est confronté à d'énormes défis pour gouverner le pays.
  • Somalie : La Somalie a été en proie à une guerre civile depuis les années 1990. Cependant, depuis 2012, un processus de stabilisation politique a été engagé avec la formation d'un gouvernement fédéral. Cependant, le pays continue d'être confronté à d'importants défis en matière de sécurité, notamment en raison des activités du groupe militant Al-Shabaab.
  • Haïti : Haïti a été confronté à de nombreux défis en matière de gouvernance et de stabilité politique. L'assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a exacerbé la crise politique dans le pays. Haïti est également aux prises avec d'importantes difficultés économiques et des problèmes de sécurité, notamment le kidnapping et le banditisme.
  • Sierra Leone : La Sierra Leone a connu une guerre civile dévastatrice de 1991 à 2002. Depuis lors, le pays a réalisé des progrès significatifs en matière de réconciliation et de reconstruction, mais il reste confronté à d'importantes difficultés économiques et sociales.
  • Congo : La République démocratique du Congo (RDC) a été en proie à des conflits et à une instabilité politique pendant des décennies. Bien que la situation se soit améliorée depuis la fin de la guerre du Congo en 2003, le pays est toujours confronté à d'importants défis en matière de gouvernance, de sécurité et de développement.
  • Érythrée : L'Érythrée est un État autoritaire, et son gouvernement a été critiqué pour ses violations des droits de l'homme. Le pays est également confronté à d'importants défis économiques.

Le Fund for Peace est une organisation indépendante de recherche et d'éducation qui travaille pour prévenir la guerre et réduire la violence. Il a créé l'Indice de Fragilité des États (FSI, pour Fragile States Index) pour évaluer la stabilité et la pression sur les États à travers le monde. L'indice se base sur douze indicateurs distincts qui mesurent différents aspects de la fragilité d'un État.

Ces douze indicateurs sont utilisés par le Fund for Peace pour évaluer la fragilité d'un État. Voici une explication de chaque indicateur:

  1. Pression démographique : Cet indicateur évalue les tensions potentielles résultant de facteurs démographiques tels que la surpopulation, la pénurie de ressources alimentaires et d'eau, ou le manque d'infrastructures adéquates.
  2. Situation humanitaire d'urgence liée à des mouvements de populations : Il mesure l'ampleur des crises humanitaires causées par des mouvements de population, tels que le déplacement forcé de populations ou les mouvements de réfugiés.
  3. Mobilisation de groupes sur la base de griefs (vengeance) : Il examine dans quelle mesure des groupes particuliers peuvent se mobiliser sur la base de griefs réels ou perçus, menaçant ainsi la stabilité de l'État.
  4. Émigration : Il mesure le degré d'émigration hors du pays, souvent en raison de conditions politiques, économiques ou sécuritaires précaires.
  5. Développement économique inégal entre groupes : Cet indicateur évalue l'écart de développement économique entre différents groupes au sein de l'État, ce qui peut conduire à des tensions sociales et politiques.
  6. Pauvreté, déclin économique : Il mesure la prévalence de la pauvreté et l'ampleur du déclin économique, qui peuvent tous deux contribuer à la fragilité de l'État.
  7. Criminalisation de l'État (absence de légitimité) : Cet indicateur évalue dans quelle mesure l'État lui-même est impliqué dans des activités illégales ou criminelles, ce qui peut éroder sa légitimité aux yeux de la population.
  8. Détérioration progressive des services publics : Il examine l'efficacité avec laquelle l'État est capable de fournir des services publics essentiels à sa population, comme l'éducation, la santé et l'infrastructure.
  9. Violation des droits humains et de la loi : Cet indicateur mesure l'ampleur des violations des droits humains et de l'état de droit commises par l'État ou avec son consentement.
  10. Appareil de sécurité opérant comme un État à l'intérieur de l'État : Il évalue dans quelle mesure les forces de sécurité de l'État opèrent indépendamment du contrôle civil ou légal, agissant comme un "État dans l'État".
  11. Division des élites : Cet indicateur mesure le degré de division ou de conflit entre différentes élites au sein de l'État, qu'elles soient politiques, économiques, militaires ou autres.
  12. Intervention d'autres États ou autres agents externes : Il évalue le degré d'intervention d'autres États ou acteurs externes dans les affaires de l'État, ce qui peut contribuer à sa fragilité.

Chaque indicateur est évalué sur une échelle de 0 à 10, avec 0 représentant le moins de vulnérabilité et 10 représentant le plus de vulnérabilité. En additionnant les scores de chaque indicateur, on obtient un score total pour chaque pays, qui est ensuite utilisé pour établir un classement global de la fragilité des États. Il est important de noter que l'Indice de Fragilité des États est une mesure relative et non absolue de la vulnérabilité d'un État. Il vise à donner une indication générale de la situation dans un pays, mais ne prétend pas fournir une image complète ou précise de la réalité sur le terrain. De plus, le FSI est sujet à des critiques et des débats parmi les chercheurs et les praticiens en matière de stabilité des États et de prévention des conflits.

//Les auteurs vont définir quatre catégories :

  • alerte ;
  • avertissement ;
  • modéré ;
  • soutenable.
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En 2011, 129 États soit 73% des États au niveau mondial sont dans une étape de « warning » ou « d’État failli » . 15/127 États sont considérés comme soutenable et stable ce qui fait donc moins de 10% avec une concentration en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. On peut souligner que la démocratie ou l’état de droit stable reste une exception majeure de forme de gouvernance à travers le monde.

L’État, selon Max Weber, dans son ouvrage The Theory of Social and Economic Organization[7], l’État moderne est « the primary formal characteristics of the modern state are as follows: It possesses an administrative and legal order subject to change by legislation, to which the organized corporate activity of the administrative staff, which is also regulated by legislation, is oriented. This system of order claims binding authority, not only over the members of the state, the citizens, most of whom have obtained membership by birth, but also to a very large extent, over all action taking place in the area of its jurisdiction.It is thus a compulsory association with a territorial basis. Furthermore, today, the use of force is regarded as legitimate only so far as it is either permitted by the state or prescribed by it ».

La législation et la loi stipulent un ensemble d’obligations que l’État cherche à appliquer sur son territoire, c’est le domaine exclusif de l’État. Il faut noter que l’État se soumet lui-même à ses propres lois puisque les conditions d’engagement de la contrainte et de la violence est souvent déterminées dans un cadre constitutionnel ou législatif.

La loi établit également une structure politique, à savoir la forme de l’État, mais pas seulement, aussi un appareil démocratique qui supervise l’administration publique et institué par la législation.

La notion de souveraineté

Il faut remonter à Jean Bodin au XVIe siècle qui est le premier à élaborer cette notion et qui plus tard sera étudier plus en profondeur par Hobbes.

Le XVI-XVIIe siècle est une période d’instabilité politique avec des guerres de religion et un ordre politique très instable ainsi que de formation de l’État par les guerres.

La préoccupation majeure de Bodin est d’instaurer une autorité légitime et pérenne sur le plan interne, de créer et de légitimer un ordre interne sans lequel l’établissement des libertés et de la justice ne serait pas possible. Jean Bodin utilise cette notion pour décrire l’autorité exercée par le prince sur ses sujets dans l’ensemble du royaume ; Hobbes utilise le nom de « Léviathan ».

Cette autorité est sans limites et cette souveraineté signifie la puissance absolue et perpétuelle d’une République, à savoir la plus grande puissance de commandement qui existe au niveau d’un ordre interne.

Tous les citoyens de la République sont soumis à ce pouvoir souverain libre de faire, d’interpréter, d’introduire, et d’exécuter les lois ; il a le pouvoir de nommer les magistrats et d’arbitrer les conflits. Dès lors, le prince est le garant de l’ordre politique.

Ainsi, la notion d’état de nature est aussi utilisée par Rousseau dans certains de ses écrits et notamment dans son ouvrage ‘’Du Contrat Social’’ ou ‘’Principes du droit politique’’ publié en 1762[8].

La notion de souveraineté au sens de Jean Bodin et la notion au sens de la souveraineté interne.

Pour avoir une vue plus complète de la souveraineté, il faut distinguer plusieurs usages, ce que s’attache à faire Krasner.

Souveraineté légale internationale

Renvoie aux pratiques associées à la reconnaissance mutuelle entre États,normalement entre entités juridiquement indépendantes, ce qu’est la reconnaissance internationale.

Cet aspect de la reconnaissance internationale, la communauté internationale est composée d’États souverains reconnus en tant que tels. L’Allemagne fut par exemple la première à reconnaitre la Slovénie et la Croatie en novembre 1991, souvent cette reconnaissance juridique se fait sur un acte bilatérale. Elle donne accès à des entités étatiques, des organisations internationales, des flux de finance et de capitaux, et offre un statut symbolique et de pouvoir aux leadeurs de ces différentes nations.

Souveraineté Westphalienne

Renvoie à une organisation politique basée sur l’exclusion des acteurs externes des structures d’autorité d’un territoire donné, par exemple l’article 2 de Charte des Nations-Unies. Affirme l’égalité souveraine des États et principe de non-interférence ; ainsi les États-Unis ne sont pas plus souverains que le Luxembourg ou Malte. Cet article 2 reprend également le principe de non-interférence.

C’est l’exclusion de puissance externe à un territoire donné pour l’exercice de la volonté dans cet État. Les États sont indépendants les uns des autres et autonomes. Le corolaire de ce principe est le principe de « non-interférence » ; un État ne peut intervenir dans les affaires personnelles d’un autre État, et la Société des Nations doit respecter ce droit de « non-ingérence ».

Souveraineté interne

Cela fait référence à l’organisation formelle de l’autorité politique à l’intérieur d’un État et à la capacité des autorités publiques d’exercer un contrôle effectif, se sont par exemple les États-faillis.

Souveraineté d’interdépendance

Renvoie à la capacité des autorités publiques de réguler les flux transnationaux d’informations, d’idées, de personnes, de produits, de capitaux et l’impact de ces flux sur les structures et résultats internes (cf. débat autour de la mondialisation)

Par exemple, Taiwan ne possède pas de reconnaissance souveraine de la part de la communauté internationale, par contre la souveraineté westphalienne est exercée dans le cas de Taiwan. La Chine oppose son veto et refuse une reconnaissance officielle de Taiwan.

Un État peut avoir une souveraineté légale internationale, mais avoir une souveraineté interne très limitée comme la Somalie qui est reconnue siégeant officiellement aux Nations-Unies, mais n’ont pas la capacité de contrôle et de contrainte d’un État donné.

Les institutions européennes sont reconnues par les pays membres qui se soumettent à la souveraineté supranationale sapant les fondements de la souveraineté nationale

Par rapport à la souveraineté d’interdépendance, Dani Rodrick développe le trilemme politique de l’économie mondiale. Dernière ce trilemme, l’idée est que la mondialisation économique va contrainte fortement la souveraineté d’interdépendance des États. En d’autres termes, l’impact des flux transnationaux va avoir des conséquences sur un État-nation et sur les politiques publiques qui sont des développements externes qui vont déterminer les politiques domestiques. Selon Rodrick, dans le cadre de la mondialisation et en particulier de la mondialisation économique, tout État-nation voit sa souveraineté d’interdépendance limitée.

La mondialisation

Qu’est-ce que la mondialisation ?

Selon Held, McGrew, Goldblatt et Perraton dans Global Transformations: Politics, Economics and Culture publié en 1999[9], la mondialisation est le « widening, deepening and speeding up of global inter-connectednes ».

C’est intensification entendue comme l’élargissement,l’approfondissement et l’accélération des connexions entre entités et une intensification de l’interdépendance entre pays.

Cette interdépendance peut être observée à plusieurs dimensions d’où l’importance de commencer à désagréger le terme de mondialisation et d’en percevoir ses dimensions politiques, sociales et économiques.

Ainsi, Keohane et Nye décrivent la mondialisation comme un phénomène multidimensionnel.

  • Dimension politiques : fait référence à l’intensification des contacts politiques entre pays. La diffusion de politiques gouvernementales d’un pays a un autre en fait parti. C’est par exemple un pays qui est de plus en plus intégré dans la Société des Nations par le fait qu’elle est membre de plus en plus d’organisations internationales.
  • Dimension sociale : fait référence à des

échanges de flux transnationaux de l’ordre des idées, de l’information et des individus.

  • Dimension économique, c’est une plus grande interdépendance des pays par l’intégration des flux des biens et des services, mais aussi de par l’intégration des capitaux.

Qu’est-ce que la mondialisation économique ?

Pour Schwartz, on peut parler d’une pression globale sur les prix.

L’interdépendance économique entre pays est caractérisée d’une part par des flux transnationaux de biens, de services et de capitaux, mais parfois aussi de travailleurs. Ce sont non seulement les flux, mais aussi les politiques publiques qui vont réguler l’ouverture ou la fermeture de ces flux.

Le KOF index de la mondialisation va mesurer l’indice agrégé de l‘interdépendance d’un pays, mais aussi ses sous-dimensions. C’est une collecte d’informations sur 24 variables qui est disponible depuis les années 1970 et publiée de façon annuelle.

  • Globalisation politique (25%)
    • Ambassades dans un pays (25%)
    • Appartenance à des organisations internationales(28%)
    • Participation aux missions du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations-Unies (22%)
    • Traités internationaux (25%)
Indice de globalisation politique.png
  • Globalisation sociale
    • Données de contacts personnels (33%)
      • Trafic téléphonique (26%)
      • Transferts (% PIB) (3%)
      • Tourisme international (26%)
      • Population étrangère (% population totale) (20%)
      • Lettres internationales (par habitant) (25%)
    • Données de flux d’information (36%)
      • Utilisateurs Internet (par 1’000 habitants) (36%)
      • Téléviseurs(par 1’000 habitants) (36%)
      • Commerce de journaux (% PIB) (28%)
    • Données proximité culturelle (31%)
    • Nombre de restaurants McDonald (par habitant) (43%)
    • Nombre de Ikea (par habitant) (44%)
    • Commerce de livres (% PIB) (12%)
Indice globalisation sociale.png
  • Globalisation économique
    • Flux (50%)
      • Commerce international (% PIB)(19%)
      • Investissements directs à l’étranger, flux (%PIB)(20%)
      • Investissements directs à l’étranger, positions(% PIB)(24%)
      • Investissements de portefeuille (% PIB)(17%)
      • Paiements de revenus aux étrangers (% PIB)(20%)
    • Restrictions (50%)
      • Tarifs douaniers moyens (28%)
      • Barrières aux importations (22%)
      • Taxes sur commerce international (% revenu)(27%)
      • Restrictions compte de capital (22%)
Indicice globalization total.png
Indice globalisation économique.png

Le trilemme de l’économie mondiale

Dani Rodrik.

Dani Rodrik et un économiste à l’Université de Harvard a publié un ouvrage en 2011 intitulé Le paradoxe de la mondialisation[10]. Dans le chapitre IX, il développe le concept de trilemme de l’économie mondiale où il développe la thèse d’une incompatibilité fondamentale entre l’hyperglobalisation, l’État-nation et les politiques démocratiques à savoir les prises de décisions démocratiques.

The political trilemma of the world economy.png

Son postulat est que toutes les sociétés souhaitent avoir ces trois éléments et notamment faire partie de la mondialisation économique :

  • Mondialisation : de manière agrégée, l’économie va augmenter le bien-être des Nations.
  • L’État-nation est l’unité constitutive du monde, c’est où les activités politiques principales ont lieu. Rodrick ajoute que la loyauté principale des citoyens et la loyauté à l’État-nation.
  • La politique démocratique signifie la capacité de décider de manière souveraine et autonome afin de devenir démocratique au niveau d’un État-nation.

Cette incompatibilité fondamentale est que chaque État ou société doit choisir au maximum entre deux de ces trois éléments on ne peut avoir les trois simultanément. Si l’on désire bénéficier de l’accroissement de la richesse à travers la mondialisation, il faut automatiquement abandonner soit l’État-nation soit la politique démocratique. Au contraire, si l’on désire la politique démocratique à savoir que ce sont les citoyens d’une nation qui décident des lois auxquels ils vont se soumettre, il faut choisir à abandonner soit la mondialisation ou alors l’État-nation.

La politique démocratique est à mettre en rapport avec ce que Krasner appelle la souveraineté d’interdépendance c’est-à-dire la capacité et l’autonomie qu’a un État-nation à contrôler les flux internationaux ainsi que leurs impacts sur les politiques publiques.

Certains épisodes historiques peuvent être classifiés. On voit apparaitre le compromis de l’après-guerre ou durant la conférence de Bretton Woods sont mis en place les mécanismes de coopération économique au niveau international pour l’après-guerre avec notamment la mise en place de la banque mondiale et du fonds monétaire international afin de réguler la coordination monétaire et financière qui se fait entre autres avec l’aide du GATT. Selon Rodrick ce compromis se fait au détriment de l‘hypermondialisation, car jusqu’en dans les années 1970, les États-nations vont avoir des objectifs nationaux dans le domaine social. Ainsi ces sociétés vont soumettre la mondialisation à ces objectifs, la mondialisation étant un instrument au service des objectifs nationaux et sociaux.Ainsi l’État va par exemple utiliser la politique de restriction de mouvements de capitaux en imposant des tarifs douaniers qui pourraient mettre en danger certains secteurs de l’économie et engendrer des dislocations sociales.

Rodrik estime que la période à partir de la fin des années 1970 est une période où on a lâché les forces du marché en libéralisant les politiques commerciales et financières permettant l’accroissement des échanges internationaux. Cependant, l’État-nation reste relativement fort.

Rodrik aborde aussi la possibilité future d’abandonner l’État-nation comme unité de régulation et de se placer à un étage supérieur qui pourrait par exemple être l’Union européenne qui incarne une forme de gouvernance mondiale ou se soumettre à des règles internationales afin de normaliser les prises de décisions collectives ; ce processus mis en œuvre dans une mondialisation avancée permettrait de recapture les éléments de la démocratie au contraire des forces impersonnelles du marché.

Gouvernance

La commission sur la gouvernance globale a produit une définition de ce qu’est la gouvernance : the sum of the many ways individuals and institutions, public and private, manage their common affairs. It is a continuing process through which conflicting or diverse interests may be accommodated and cooperative action may be taken.

Une des critiques est qu’il y a une pluralité d’acteurs qui participent à la gouvernance que ce soit des individus ou des institutions. D’autre part ce n’est plus un domaine réservé à l’autorité publique, des agents privés vont intervenir afin régler des conflits d’intérêts et trouver des solutions de coopération internationale à des enjeux majeurs et des conflits d’intérêts divers au niveau des États-nations.

La gouvernance est différente du gouvernement entendu au sens large. C’est l’ensemble des pouvoirs qui reflètent l’autorité politique dans une Nation.

Dès lors, l’État souverain détenteur du monopole de la violence légitime n’est plus qu’une autorité parmi d’autres dans ce réseau d’autorités que constitue la gouvernance.

La gouvernance va inclure un nombre plus élevé d’acteurs. Il y a d’autres entités sociales et politiques qui vont gouverner ces actions et qui sont source d’autorité :

  • firmes transnationales : les firmes transnationales vont essayer d’influencer directement les décisions des États-nations, mais aussi faire du lobbying.
  • organisations non gouvernementales
  • mouvements sociaux
  • organisations internationales : contribuent à la gouvernance globale définie par les intérêts domestiques des États, mais qui vont acquérir une indépendance institutionnelle et contraindre le comportement des États.

Toutes ces autorités contribuent à la gouvernance nationale et internationale.

Rosenau et Czempiel parlent de la politique mondiale de la gouvernance sans gouvernement, au niveau international il existe l’absence d’un gouvernement mondial. Si on prend par exemple l’autorité politique du canton de Genève, il est soumis à une autorité politique supérieure qui est celle de l’autorité fédérale à Berne.

Au niveau de la communauté internationale, il n’y a pas d’autorité suprême, le gouvernement suisse est souverain au niveau international, aucun gouvernement mondial ne peut dès lors lui imposer des décisions ;une absence de gouvernement mondial et c’est ce que les chercheurs réalistes qualifient comme étant un système international anarchique, car il n’y a pas d’autorité suprême capable d’imposer avec autorité des décisions aux États-nations.

Gouvernance multiniveaux

C’est un phénomène récent lié à la mondialisation, mais qu’il faut bien identifier et comprendre puisque la science politique va devoir rendre compte de cette plus grande complexité des formes d’autorité dans la gouvernance globale et multiniveau.

sources : [11]

L’État-nation qui se retrouve au centre de ce schéma a longtemps été l’autorité politique principale caractérisée par la souveraineté. La mondialisation va principalement engendrer des déplacements de souveraineté dans ces quatre directions :

  1. déplacement vers le haut : on constate une augmentation de délégation d’autorité vers le haut c’est-à-dire vers les organisations internationales. La Suisse a rejoint les Nations-Unies il y a dix ans, elle a remis quelques compétences à cet organe. Si les Nations-Unies décident d’imposer des sanctions économiques à un pays, dorénavant, la Suisse participe aussi à ces sanctions et est obligée d’y participer.
  2. Déplacement d’autorité vers le bas : déplacement à comprendre un niveau infranational, c’est-à-dire le déplacement d’une région à l’intérieur d’une Nation.
  3. Latéralement : déplacement d’autorité en direction des acteurs qui sont véritablement transnationaux comme les firmes internationales, les organisations non gouvernementales qui privatiser des responsabilités qui étaient auparavant de type public.
  4. Déplacement vers la droite : remise de compétences vers les régions intégrées au-delà de l’État-nation. L’économie mondiale est fortement régionalisée et intégrée. En Amérique du sud existe le Mercosur, en Europe la construction européenne a commencée avec une intégration économique forte sur laquelle s’est superposée une intégration politique. C’est à comprendre comme l’émergence de blocs économiques, politiques au niveau mondial.

L’autorité est plus hétérogène que jamais avec des acteurs privés qui jouent un rôle de plus en plus important,il faut saisir le concept de gouvernance dans ce cadre-là.

Caractéristique de la gouvernance multiniveaux :

1) décisions politiques prises par différentes entités se situant à différents niveaux politiques.

2) Il y a des influents qui sont non pas unilatéraux, mais réciproques entre ces différèrent niveaux ou les développements à un niveau ont de fortes influences à un niveau et réciproquement.

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Dans le cas d’un accord international comme celui du protocole de Kyoto qui reflète les intérêts des pays, une fois mis en place, il dégage des effets contraignants au niveau des Nations. Par exemple si les États-Unis rejoignent cet accord, ils vont être contraints par cet accord international et faire des changements pour s’adapter à la législation de l’accord.

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3) Il y a des interactions réciproques entre les niveaux, mais vont comprendre différents types de régulations et en particulier différents types de partenariats privés – publics.

Ce schéma permet de saisir la diversité de types de partenariats publics – privés avec à l’extrême une régulation qui serait publique pure et à l’autre extrême de cette échelle une régulation purement privée.

Une législation publique qui exclurait complètement les acteurs privés sont les décisions par exemple de la FIMNA qui est l’entité en Suisse qui supervise le secteur financier a ordonnée la transmission de données bancaires sur certains clients à des banques américaines.

On voit aussi apparaitre une manière d’inclure les acteurs privés qui est ordinaire à savoir la consultation des acteurs privés dans le processus de décisions publiques.

D’autres régulations s’orientent vers le rôle privé notamment le rôle que jouent les codes de conduite des firmes multinationales. Des grandes entreprises comme Nike qui produisent dans des pays asiatiques opèrent dans des pays ou l’administration centrale a très peu de ressources pour faire le monitoring des lois du travail dans ces entreprises. Les grandes entreprise pour se protéger d’éventuels scandales qui peuvent nuire à leur communication, ces codes de conduite qui sont des régulations privées de leurs activités et de leurs fournisseurs dans les pays en développement en exigeant le respect de la part des fournisseurs les clauses de ces codes de conduite. C’est une illustration de régulation privée dans l’économie mondiale.

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La gouvernance multiniveau est nommée ainsi, car il y a un accroissement de relations réciproques entre les niveaux. Ce schéma est un indicateur qui montre que les organisations internationales conventionnelles sont passées de 37 au début du XXème siècle à plus de 246 en 2006. On peut aussi illustrer le rôle des acteurstrans nationaux que sont d’une part les organisations non gouvernementales, il y a très forte augmentation surtout à partir de la seconde moitié du XXème siècle.

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On peut voir un rôle de plus en plus important des firmes multinationales mesuré ici au niveau des filiales mères qui existent, on voit qu’elles estiment environ 700 dans les années 1980 et de l’ordre de plus de 80000 filiales mères aujourd’hui. La nouveauté est le rythme auquel les entreprises se transforment en entreprises internationales et internationalisent leurs activités par la production.

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L’accroissement des blocs régionaux,des chercheurs ont essayé de montrer quels sont les domaines politiques ou les États-nations européens ont expérimenté la plus forte érosion de leur souveraineté nationale, car elle est très variée en fonction du domaine que l’on regarde

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Le nombre que l’autorité reste principalement au niveau des États-nations et 5 inique que l’autorité est pleinement effectuée au niveau de l’Union européenne avec une gradation entre 1 et 5 avec moins de décisions prises au niveau national et davantage de décisions prisent au niveau supranational.

Au niveau économique on voit que c’est le processus qui a été intégré en premier notamment la communauté du charbon et de l’acier de 1957, mais c’est aussi le domaine ou l’érosion de la souvenait nationale est la plus avancée. Ce qui est aussi surprendre est que la politique sociale liée à l’État providence, les politiques sociales et les interventions sur le marché du travail sont les politiques les moins intégrés au niveau européen.

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Si on différencie à l’intérieur des relations internationales et de la sécurité externe et intégré d’un côté et beaucoup moins de l’autre.

D’autres travaux ont montré qu’entre 1950 et aujourd’hui il y a une plus forte délégation de compétences au niveau infranational, c’est-à-dire au niveau régional. Ces tendances apparaissent dans plusieurs pays européens notamment en Espagne avec la Catalogne.

Finalement, l’objet de la science politique est de rendre compte de ces relations et de ces interactions réciproquent c’est-à-dire comment un niveau influence d’autres niveaux.

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Par exemple, lorsque la Suisse a signé l’accord de libre-échange avec l’Europe, suite à l’échec de la votation s’est constitué une conférence des gouvernements cantonaux qui renforce la coopération intercantonale, mais aussi la collaboration verticale sur des objets de politique fédérale qui ont des implications pour les cantons, ce sont par exemple les accords bilatéraux qui visent à permettre de faciliter la libre circulation des personnes et qui va avoir des conséquences au niveau de la sécurité et l’éducation. Ainsi, un échec de coopération va renforcer les relations notamment entre le gouvernement fédéral et les gouvernements cantonaux, mais aussi entre l’État fédéral et les autorités européennes à Bruxelles.

Annexes

Références

  1. Weber, Max. Politik Als Beruf. München: Duncker & Humblot, 1919
  2. Tilly, Charles, Peter B. Evans, Dietrich Rueschemeyer, AMD Theda Skocpol. War Making and State Making as Organized Crime. Cambridge: Cambridge UP, 1985.
  3. North, Douglass C. Structure and Change in Economic History. New York: Norton, 1981.
  4. Clark, William Roberts, Matt Golder, AMD Sona Nadenichek. Golder. Principles of Comparative Politics. Washington, D.C.: CQ, 2009.
  5. Huntington, Samuel P. Political order in changing societies. Yale university press, 2006.
  6. Clark, William Roberts, Matt Golder, and Sona Nadenichek Golder. Principles of comparative politics. CQ Press, 2017.
  7. Weber, Max, AMD Talcott Parsons. The Theory of Social and Economic Organization. New York: Free, 1964.
  8. Rousseau, Jean-Jacques, AMD Ronald Grimsley. Du Contrat Social. Oxford: Clarendon, 1972.
  9. Held, David, Anthony McGrew, David Goldblatt, and Jonathan Parraton. Global Transformations: Politics, Economics and Culture. Stanford, CA: Stanford UP, 1999.
  10. Rodrik, Dani. The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy. New York: W. W. Norton, 2011.
  11. Kahler, Miles, and David A. Lake. Governance in a Global Economy: Political Authority in Transition. Princeton, NJ: Princeton UP, 2003